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A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 115. La plainte est contenue dans deux communications en date du 17 mars et du 29 avril 1954, accompagnées d'un mémorandum et d'autres documents à l'appui.
- 116. L'organisation plaignante déclare qu'elle est un syndicat enregistré, groupant les techniciens sédentaires employés par deux compagnies de transport aérien, qui sont la propriété du gouvernement et ont été créées en vertu de lois spéciales, à savoir par la British Overseas Airways Corporation (B.O.A.C) et la British European Airways Corporation (B.E.A.C). En 1946, la majorité des techniciens employés par la B.O.A.C auraient fait connaître par écrit à cette compagnie qu'ils désireraient faire partie de l'organisation plaignante et être représentés par son entremise.
- 117. Les deux compagnies sont régies à l'heure actuelle par la loi de 1946 sur l'aviation civile. Il est allégué par l'organisation plaignante qu'en 1946, lorsque le Parlement s'est trouvé saisi du projet de cette loi, certains autres syndicats - désignés dans la plainte comme « syndicats patronnés par le gouvernement » - auraient obtenu du gouvernement qu'il modifie le projet de loi en question de manière que ces derniers syndicats soient seuls autorisés à représenter les employés de la B.O.A.C et de la B.E.A.C. Plus tard dans la même année, le gouvernement aurait en outre favorisé ces syndicats en créant un Conseil national paritaire pour les transports aériens civils, organismes de négociation en matière de salaires et de conditions d'emploi, au sein duquel des sièges furent attribués aux « syndicats reconnus », mais non pas à l'organisation plaignante. Il est allégué qu'en modifiant le projet de loi et en instituant le Conseil national paritaire, le gouvernement entendait « protéger les intérêts des syndicats patronnés par le gouvernement ». Le plaignant déclare que depuis 1946 les deux compagnies et les syndicats reconnus s'employaient systématiquement à obliger les membres de l'organisation plaignante à se faire radier de leur syndicat et à adhérer à des syndicats reconnus, dont les statuts n'autorisent cependant un travailleur à s'y affilier que s'il s'est fait au préalable radier de l'organisation plaignante. Un nombre considérable d'employés des deux compagnies seraient néanmoins restés affiliés à l'organisation plaignante.
- 118. En 1948, un accord serait intervenu au sein du Conseil national paritaire aux termes duquel il aurait été convenu que, chaque fois que les syndicats reconnus prétendraient compter parmi leurs membres 100 pour cent des effectifs employés dans un département ou atelier de l'une des compagnies, les membres de l'organisation plaignante ne pourraient plus être employés dans ledit département ou atelier et celle-ci ne pourrait plus y exercer son activité. Il est allégué que cet accord porte atteinte aux droits des employés garantis par la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et par la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, conventions ratifiées par le gouvernement du Royaume-Uni postérieurement à la conclusion de cet accord.
- 119. En outre, il est allégué plus particulièrement qu'en empêchant les membres de l'organisation plaignante de travailler dans des ateliers déterminés et en refusant de leur accorder une promotion (un membre de l'organisation plaignante aurait même été rétrogradé après avoir été promu), la B.O.A.C porterait préjudice à ses employés en raison de leur affiliation syndicale, cela en violation de l'article 1, paragraphe 2 b), de la convention no 98, et qu'en imposant aux membres de l'organisation plaignante, comme condition préalable à la conservation de leur emploi après le transfert à une nouvelle base, l'obligation de se faire radier de leur syndicat, cette compagnie porterait atteinte au principe énoncé à l'article 1, paragraphe 2 a), de ladite convention. Il est allégué qu'en raison de la pression exercée à leur égard, 200 membres de l'organisation plaignante auraient été forcés de se faire radier de leur syndicat pendant la seule période allant de novembre 1952 à novembre 1953. Le plaignant affirme en outre que, contrairement aux dispositions de l'article 1 de la convention no 98, les employés de la B. E. A. C. qui font partie de l'organisation plaignante se voient refuser toute protection contre les actes de discrimination syndicale à l'emploi, tels que, par exemple, l'interdiction de travailler dans certains ateliers ou d'effectuer des heures supplémentaires, etc. C'est ainsi que les membres de l'organisation plaignante se verraient privés de leur liberté syndicale et subiraient certains préjudices en raison de leur affiliation syndicale.
- 120. En conclusion, l'organisation plaignante déclare que le ministre du Travail aurait refusé de recevoir ses représentants, de répondre à ses protestations et de lui donner l'occasion d'exposer son cas.
- 121. Dans sa réponse en date du 15 mai 1954, le gouvernement déclare que le plaignant n'a pas fourni de preuves tendant à démontrer qu'au Royaume-Uni il serait porté atteinte au principe de la liberté syndicale et que les personnes au nom desquelles la plainte a été présentée seraient empêchées d'adhérer à un syndicat dont elles désirent faire partie. Selon le gouvernement, la plainte vise en réalité la décision d'un employeur qui a reconnu, aux fins de négociation des salaires et des conditions d'emploi, certains syndicats de préférence à un autre, c'est-à-dire une question à l'égard de laquelle le gouvernement n'a assumé aucune obligation en ratifiant les conventions nos 87 et 98 ; en effet, déclare le gouvernement, l'article 1 de la convention no 98 a été rédigé de manière à exclure de son champ d'application toutes questions relatives à la protection d'un syndicat à l'égard d'un autre. Il n'existe pas, au Royaume-Uni, de syndicats patronnés par le gouvernement. Toutes les allégations formulées par le plaignant seraient donc dénuées de tout fondement.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 122. Le gouvernement du Royaume-Uni a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, et il est par conséquent lié par les dispositions de ces deux conventions.
- 123. L'article 2 de la convention no 87 a la teneur suivante:
- Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières.
- 124. Selon ses propres déclarations, l'organisation plaignante continue à exister en tant que syndicat enregistré et elle affirme qu'en dépit des mesures qui auraient été prises à son encontre, une partie considérable de ses effectifs continuerait à en faire partie. Le seul grief relatif à une restriction qui serait imposée aux travailleurs dans l'exercice de leur droit fondamental de s'affilier au syndicat de leur choix, conformément à l'article 2 de la convention, se trouve formulé dans l'allégation du plaignant selon laquelle un travailleur qui serait membre de l'organisation plaignante et qui désirerait s'affilier en même temps à un des syndicats reconnus par les employeurs se verrait obligé, pour se conformer aux statuts des syndicats reconnus, de se faire d'abord radier de l'organisation plaignante. L'organisation plaignante admet que les travailleurs peuvent faire usage de leur droit de s'affilier soit à l'organisation plaignante, soit, s'ils le désirent, à un des syndicats reconnus à condition de se conformer aux statuts de ceux-ci.
- 125. Le Comité estime donc que le plaignant n'a pas fourni de preuves suffisantes pour démontrer qu'il aurait été porté atteinte au droit fondamental des travailleurs de s'affilier à un syndicat de leur choix, droit garanti par les dispositions de l'article 2 de la convention no 87.
- 126. Cependant, des questions se rapportant à l'exercice du droit d'association se trouvent également réglées par la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, dont les dispositions doivent, dans ce contexte, être examinées conjointement avec celles de la convention no 87, étant donné qu'elles portent sur l'application de l'article 11 de la convention no 87 aux termes duquel les gouvernements s'engagent à prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d'assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical. C'est qu'en effet l'allégation fondamentale formulée par le plaignant est que le libre exercice du droit syndical serait vidé de son sens en raison de la discrimination à l'emploi qui serait exercée à l'égard des membres de l'organisation plaignante, contrairement aux dispositions de l'article 1 de la convention no 98.
- 127. L'article 1 de la convention no 98 a la teneur suivante:
- 1. Les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi.
- 2. Une telle protection doit notamment s'appliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but de:
- a) subordonner l'emploi d'un travailleur à la condition qu'il ne s'affilie pas à un syndicat ou cesse de faire partie d'un syndicat ;
- b) congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres moyens, en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales en dehors des heures de travail ou, avec le consentement de l'employeur, durant les heures de travail.
- 128. Le Comité estime qu'il ne lui appartient pas de donner une interprétation formelle des dispositions d'une convention, mais qu'en l'espèce, il conviendrait - pour s'assurer de la portée que la Conférence entendait donner à l'article 1, alinéa 2, de la convention no 98 - de se reporter au rapport de la Commission de la Conférence internationale du Travail qui avait examiné cette question à la 32ème session, en 1949, ainsi qu'à la décision prise à l'époque par la Conférence.
- 129. En 1949, le Bureau international du Travail avait communiqué aux gouvernements, conformément au Règlement de la Conférence, un rapport préliminaire contenant le texte d'un projet de réglementation internationale concernant l'application du principe du droit d'organisation et de négociation collective ; l'article 1 de ce projet avait la teneur suivante:
- 1. Les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination antisyndicale à l'emploi.
- 2. Une telle protection doit notamment être accordée contre les actes ayant pour but de:
- a) subordonner l'emploi d'un travailleur à la condition qu'il ne s'affilie pas à un syndicat ou se retire d'un syndicat dont il fait partie ;
- b) congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres moyens, en raison de son affiliation à un syndicat ou de sa participation à des activités syndicales en dehors des heures de travail ou, avec le consentement de l'employeur, durant les heures de travail.
- 130. Sur la base des réponses des gouvernements, le Bureau a soumis à la Conférence un rapport contenant le texte d'un projet révisé à la lumière de ces réponses, et dont l'article 1 avait une teneur identique à celle du texte qui a été finalement adopté par la Conférence (voir ci-dessus, paragraphe 12). Ce rapport contenait le commentaire suivant, qui indique les raisons ayant motivé les modifications apportées au texte du premier projet à la lumière des réponses des gouvernements a:
- Aux articles 1, 2 et 3 du texte anglais du projet de convention, l'expression « les travailleurs (ou les employeurs) doivent bénéficier (enjoy) d'une protection adéquate » a été substituée aux termes « une protection adéquate devrait être accordée (accorded) aux travailleurs (ou aux employeurs) ». Le gouvernement du Royaume-Uni, auteur de cet amendement, a fait observer, à juste titre semble-t-il, que les termes « une protection adéquate devrait être accordée » pourraient être interprétés, à tort, comme imposant aux gouvernements l'obligation de prescrire, par voie légale, la protection envisagée dans la réglementation internationale, même si une telle protection se trouvait d'ores et déjà assurée en vertu du système des relations professionnelles en vigueur dans le pays.
- A l'alinéa a) du paragraphe 2 de l'article 1, le Bureau a, de même, substitué aux termes « se retire d'un syndicat dont il fait partie » les termes « cesse de faire partie d'un syndicat » et, à l'alinéa b) du même paragraphe, il a remplacé les termes « affiliation à un syndicat » par l'expression « affiliation syndicale ».
- De l'avis du gouvernement du Royaume-Uni, qui a proposé ces changements, la formule « se retire d'un syndicat dont il fait partie » pourrait être interprétée comme étant incompatible avec la liberté dont jouissent, dans certains pays, les représentants des employeurs et des travailleurs de conclure des conventions collectives subordonnant l'emploi d'un travailleur à la condition qu'il s'affilie à une organisation syndicale déterminée.
- De son côté, le gouvernement de l'Union sud-africaine a estimé nécessaire de préciser que l'article 1 tend exclusivement à prohiber des actes de discrimination ayant pour but d'entraver les activités syndicales comme telles. Si l'on ne prenait une telle précaution, a-t-il ajouté, des clauses relatives à la sécurité syndicale pourraient être interprétées comme étant, aux termes de cet article, préjudiciables à un travailleur qui appartiendrait à une organisation autre que celle qui a conclu la convention collective. Le gouvernement de l'Union sud-africaine a présenté une observation analogue à propos de l'article 3 du projet de convention.
- Le gouvernement néerlandais a, par contre, déclaré s'opposer à l'insertion, dans la convention, de toute clause sur la sécurité syndicale. De même, le gouvernement français a déclaré qu'à son avis, des clauses de sécurité syndicale permettant de subordonner l'embauchage ou la continuation dans l'emploi d'un travailleur à la condition de son affiliation à une organisation syndicale déterminée ou à son retrait de cette organisation seraient, dans les pays de pluralisme syndical, incompatibles avec le principe de la liberté syndicale et avec le principe de la liberté du travail.
- Ainsi, le problème des clauses de sécurité syndicale a été évoqué à nouveau par plusieurs gouvernements. Il semble bien ressortir des discussions qui se sont déroulées lors des dernières sessions de la Conférence internationale du Travail qu'il serait impossible d'arriver à un accord sur la réglementation du problème de la sécurité syndicale par voie de convention internationale du travail. La seule question qui se pose est de savoir si les Etats qui admettent les clauses de sécurité syndicale, soit expressément en vertu de leur législation nationale, soit en vertu d'une coutume établie dans certaines professions, seraient, de ce fait, placés dans l'impossibilité de ratifier la convention sur le droit d'organisation et de négociation collective, même si, par ailleurs, ils possédaient un régime de relations professionnelles complètement conforme aux dispositions de la convention. En effet, d'assez nombreux pays d'une importance industrielle considérable et possédant un système de protection du droit d'organisation particulièrement efficace seraient placés dans l'alternative ou bien de s'abstenir de ratifier la convention ou bien d'abandonner une pratique profondément ancrée dans les moeurs et acceptée par les parties intéressées.
- Si la Conférence acceptait l'interprétation donnée par le gouvernement du Royaume-Uni à la modification du texte proposé au paragraphe 2 de l'article 1 et incorporée dans le projet de convention, une solution de conciliation pourrait être trouvée. En effet, les pays (et plus particulièrement les pays de pluralisme syndical) ne seraient nullement tenus, aux termes de la convention, de tolérer, soit en droit, soit en fait, les clauses de sécurité syndicale, tandis que les autres pays qui les admettent ne seraient pas mis dans l'impossibilité de ratifier la convention.
- De son côté, la Commission de la Conférence chargée d'examiner cette question a tenu à préciser, dans son rapport à la Conférence, qu'elle avait rejeté un certain nombre d'amendements à l'article 1, ayant trait au droit de ne pas faire partie de syndicats, et elle a notamment déclaré:
- La Commission s'est finalement mise d'accord pour exprimer dans son rapport l'opinion que la convention ne devrait d'aucune façon être interprétée comme autorisant ou interdisant les clauses de sécurité syndicale et que de telles questions relèvent de la réglementation et de la pratique nationales.
- En adoptant le rapport de la Commission, la Conférence s'est ralliée à ce point de vue.
- 131. Tout en notant qu'il semble ressortir des faits cités dans le présent cas que l'affiliation à un des syndicats reconnus comporte pour les intéressés un certain nombre d'avantages alors que l'adhésion à l'organisation plaignante comporte au contraire certain désavantages du point de vue de leur emploi, le Comité estime qu'en l'espèce, les mesures prises par les employeurs sont conformes aux clauses de sécurité syndicale convenues entre les parties et en application desquelles un travailleur peut effectivement être obligé « à se retirer d'un syndicat dont il fait partie » mais non pas à « cesser de faire partie d'un syndicat », et peut avoir à subir certains préjudices dans son emploi « en raison de son affiliation à un syndicat », mais non pas « en raison de son affiliation syndicale ». Considérant qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur les questions que soulèvent des clauses de sécurité syndicale, le Comité estime donc que l'organisation plaignante n'a pas fourni de preuves suffisantes pour démontrer qu'en permettant que des clauses de sécurité syndicale continuent à être appliquées dans les établissements gérés par les deux compagnies de transport aérien, le gouvernement aurait négligé de donner effet à l'une quelconque des obligations découlant de l'article 1 de la convention no 98 ou que lesdites compagnies auraient eu recours à des pratiques prohibées en vertu de cet article de la convention.
- 132. En plus des griefs relatifs à des actes de discrimination injustifiée dont ses membres seraient les victimes, l'organisation plaignante allègue qu'il serait porté atteinte à l'exercice des droits syndicaux du fait que les employeurs ne le reconnaîtraient pas en qualité d'organisation représentative aux fins de négociations collectives et en raison de son exclusion du Conseil national paritaire au sein duquel les conventions collectives sont conclues. Selon le plaignant, les syndicats reconnus bénéficient d'une aide des employeurs dans la mise en oeuvre de leur politique tendant à s'assurer un monopole en matière de représentation des travailleurs, et c'est pour faciliter cette politique que la législation régissant les compagnies d'aviation aurait été amendée. Le gouvernement estime de son côté que la question de savoir à quel syndicat l'employeur entend accorder la reconnaissance ou à quel syndicat cette reconnaissance doit être obligatoirement accordée en raison de sa force numérique relève d'un accord entre les parties intéressées, le gouvernement n'assumant à cet égard aucune obligation. En affirmant que les compagnies d'aviation sont « entièrement nationalisées », le plaignant semble vouloir démontrer que, dans le cas d'espèce, les « compagnies en tant qu'employeurs » s'identifient au « gouvernement en tant qu'employeur ». Il est également allégué par le plaignant que le gouvernement aurait fait amender la loi sur l'aviation civile pour empêcher que l'organisation plaignante ne soit reconnue comme organisation représentative aux fins de négociation. En d'autres termes, alors que le gouvernement est d'avis que le présent cas se rapporte à un différend qui opposait plusieurs syndicats désireux d'être reconnus par un employeur indépendant, lequel a finalement décidé de ne reconnaître, aux fins de négociation, que certains d'entre eux, le plaignant est d'avis que ce différend a été réglé au préalable par une intervention législative du gouvernement qui serait, de toute manière, le véritable employeur. Avant d'examiner cette allégation quant au fond, il pourrait sembler utile d'établir clairement si la thèse du « gouvernement-employeur » est correcte. A cet effet, il convient de se reporter aux dispositions de la loi de 1946 sur l'aviation civile et aux débats parlementaires ayant précédé l'adoption de cette loi (documentation fournie par le plaignant) et au cours desquels le gouvernement aurait, selon les allégations du plaignant, présenté un amendement tendant à porter préjudice à l'organisation plaignante.
- 133. L'article 19 de la loi de 1946 sur l'aviation civile est ainsi conçu:
- 19. 1) Chacune de ces trois compagnies sera tenue, sauf pour autant qu'elle aura acquis la conviction que les procédures existantes sont suffisantes pour atteindre les objectifs prévus au présent alinéa, de procéder à des consultations avec toute organisation qu'elle pourra estimer approprié de consulter en vue de la conclusion entre la compagnie et ladite organisation de tout accord que les parties pourront estimer approprié de conclure concernant l'institution et le fonctionnement des procédures tendant à la détermination, par voie de négociation, des salaires et des conditions d'emploi...
- Le passage en italique a été inséré par voie d'amendement ; selon l'organisation plaignante, cet amendement aurait eu pour but de lui porter préjudice. L'opinion soutenue à l'époque par le gouvernement fut exprimée par le Lord du Sceau privé lorsqu'il présenta cet amendement au Parlement:
- Mon amendement a pour but d'obliger les trois compagnies d'aviation, sauf pour autant que l'une d'elles estimerait qu'il existe déjà des procédures satisfaisantes aux fins de discussion et de négociation, à procéder à des consultations avec toute organisation qu'elles pourraient estimer approprié de consulter... La responsabilité retombe donc sur les compagnies. Un des amendements dont vous êtes saisis prévoit que cette responsabilité doit incomber au ministre... J'estime que la véritable base pour les discussions sur les conditions de travail, etc., devrait être recherchée entre les chefs responsables de ces compagnies et les représentants dûment autorisés de leurs employés.
- 134. Le Comité est d'avis que cet amendement ne fait nullement ressortir dans aucun de ses aspects l'intention du gouvernement de légiférer sur la question de la reconnaissance des syndicats, si ce n'est celle de laisser aux trois compagnies en tant qu'employeurs et aux syndicats intéressés le soin de régler eux-mêmes cette question. Le Comité estime également qu'il ressort de la situation ci-dessus que les compagnies sont censées agir en cette matière d'une façon tout à fait indépendante du gouvernement. Il ressort par ailleurs d'un examen des différentes autres dispositions de la loi sur l'aviation civile que, sous réserve de certaines obligations ou limitations qui leur sont imposées par la loi et de l'obligation de se conformer aux directives d'ordre général se rapportant aux questions d'intérêt national, les trois compagnies d'aviation sont des organismes indépendants qui assument eux-mêmes la responsabilité en matière d'administration interne et de relations professionnelles.
- 135. Le Comité estime donc que la seule question qui reste à examiner est de savoir si, dans le cas d'espèce, il est porté atteinte à l'exercice des droits syndicaux en raison d'un différend intersyndical ayant abouti à la reconnaissance de certains syndicats par les employeurs aux fins de négociation collective, alors que les employeurs ont refusé de reconnaître l'organisation plaignante et que le gouvernement s'abstenait d'intervenir dans cette affaire. Selon le plaignant, les mesures prises constitueraient une violation de la convention no 98 tandis que le gouvernement est d'avis qu'en ratifiant cette convention, il n'a assumé aucune obligation à cet égard.
- 136. L'article 4 de la convention no 98 a la teneur suivante:
- Des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d'employeurs d'une part, et les organisations de travailleurs d'autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d'emploi.
- 137. Ainsi que le Comité l'a déjà noté, le gouvernement a fait insérer dans l'article 19 de la loi de 1946 sur l'aviation civile une disposition prévoyant que les compagnies d'aviation seront « tenues de procéder à des consultations avec toute organisation qu'elles pourront estimer approprié de consulter » en vue de conclure des accords concernant l'institution et le fonctionnement des procédures de détermination des salaires et des conditions d'emploi par voie de négociation « sauf pour autant qu'une des compagnies serait convaincue qu'il existe déjà des procédures appropriées » à cet effet. Cependant, ainsi que le gouvernement le rappelle dans sa réponse, la question de la reconnaissance de syndicats par les employeurs aux fins de négociation collective relève, au Royaume-Uni, d'un accord entre les parties intéressées. Le Comité estime, eu égard notamment à l'interprétation formulée par la Conférence internationale du Travail quant à la portée de l'article 1 de la convention pour ce qui a trait aux clauses de sécurité syndicale, qu'aucune disposition de l'article 4 de la convention n'impose au gouvernement l'obligation de recourir à des mesures de contrainte pour obliger les parties à négocier avec une organisation déterminée, mesures qui, comme le Comité l'a déjà reconnu dans un cas précédent, relatif à la Guyane britannique, auraient clairement pour effet « de transformer le caractère de telles négociations ».
- 138. Le Comité estime donc que le plaignant n'a pas fourni de preuves suffisantes pour démontrer que le refus des employeurs de reconnaître l'organisation plaignante en qualité d'organisation représentative aux fins de négociation collective constituerait en l'espèce une atteinte à l'exercice des droits syndicaux.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 139. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que le cas n'appelle pas un examen plus approfondi.
- Genève, le 28 mai 1954. (Signé) Paul RAMADIER, Président.