Display in: English - Spanish
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 93. Les plaintes sont contenues dans les documents suivants : communications en date du 29 décembre 1955 et du 5 janvier 1956 émanant de la Fédération syndicale mondiale ; communication en date du 26 janvier 1956 émanant du Syndicat des travailleurs de l'agriculture et professions diverses du district de Famagouste (F.S.M.). Des communications identiques ont été envoyées par un grand nombre d'organisations syndicales cypriotes ; communication en date du 7 février 1956 émanant du Conseil central des syndicats de la République populaire de Bulgarie (F.S.M) ; communication en date du 12 mars 1956 émanant de la Confédération internationale des syndicats libres ; communications en date du 11 mars, du 2 avril et du 7 août 1956 émanant de la Confédération générale du travail de Grèce (C.I.S.L) ; communications en date du 13 juin et du 23 août 1956 émanant de la Fédération pancypriote du travail (F.S.M). La communication de la Confédération internationale des syndicats libres était adressée au Secrétaire général des Nations Unies, qui l'a transmise à l'Organisation internationale du Travail. Toutes les autres communications ont été adressées directement à l'Organisation internationale du Travail. Comme toutes ces plaintes ont trait à des allégations de violation de la liberté syndicale ayant pour origine directe la situation existant à Chypre depuis 1955, il paraît indiqué de les analyser conjointement.
- Allégations concernant l'état d'exception, protestations contre la déportation de l'archevêque Makarios et demande d'autonomie pour l'île de Chypre
- 94. Les plaignants critiquent, en termes généraux, les arrêtés pris à Chypre dans le cadre de l'état d'exception et déclarent qu'ils restreignent les libertés démocratiques, les droits de l'homme et les droits syndicaux et entravent les efforts faits par les syndicats pour préserver et étendre les droits des travailleurs. Ces restrictions, affirme notamment la Fédération syndicale mondiale, montrent que le gouvernement du Royaume-Uni viole les obligations qu'il a prises en informant l'O.I.T qu'il avait l'intention d'appliquer à Chypre, sans y apporter de modification, la convention sur le droit d'association (territoires non métropolitains), 1947.
- 95. La Confédération internationale des syndicats libres a joint à sa plainte une copie d'un communiqué de presse en date du 12 mars 1956 dans lequel elle déplore la déportation de l'archevêque Makarios et la rupture des négociations ouvertes à Chypre qui en est résultée, et demande la reprise de ces négociations en vue de donner à l'île une véritable autonomie et de restaurer la paix et l'harmonie. La résolution adoptée par la C.I.S.L en juillet 1956 réclame l'autonomie et l'autodétermination pour l'île de Chypre.
- Allégations concernant le couvre-feu
- 96. La Fédération syndicale mondiale déclare que le fonctionnement normal des syndicats est gravement handicapé par les couvre-feu, imposés dans certains cas en pleine journée en application de la loi no 17 de 1955 sur le couvre-feu.
- Allégations concernant l'arrestation et la détention sans jugement de dirigeants et de militants syndicaux
- 97. La Fédération syndicale mondiale déclare que, le 14 décembre 1955, la majorité des membres du Comité exécutif de la Fédération pancypriote du travail (affiliée à la F.S.M.) ont été arrêtés et envoyés dans un camp de concentration à Dhekelia, et que 2 membres du Conseil général de la Confédération des travailleurs cypriotes (affiliée à la C.I.S.L.) ont également été mis en état d'arrestation. L'organisation plaignante cite les noms de 24 dirigeants syndicaux et de 30 syndicalistes qui auraient été arrêtés, mais elle indique que 3 des dirigeants syndicaux auraient été libérés. Aux yeux de l'organisation plaignante, ces arrestations constituent une violation flagrante de la liberté syndicale et entravent gravement le fonctionnement des syndicats.
- 98. Le Syndicat des travailleurs de l'agriculture et professions diverses du district de Famagouste déclare que sur les 22 dirigeants syndicaux arrêtés, 11 étaient membres du Conseil général de la Fédération pancypriote du travail, et il ajoute que le secrétaire général de cette Fédération, M. Andreas Ziartides, qui se trouvait à l'étranger lorsque les arrestations ont été opérées, ne peut rentrer à Chypre pour reprendre ses activités syndicales parce qu'il est recherché par la police.
- 99. La Confédération internationale des syndicats libres et la Confédération générale du travail de Grèce protestent contre l'arrestation de M. M. N. Pissas, secrétaire général de la Confédération des travailleurs de Chypre (C.I.S.L) et membre du Comité exécutif de la C.I.S.L. Ces organisations déclarent que M. Pissas a été arrêté le 10 mars 1956 pour « faire l'objet d'une courte enquête », selon les dires des policiers, mais qu'il a été maintenu en prison sans faire l'objet d'une accusation précise, en vertu de la loi no 26 de 1955 qui, selon les plaignants, autorise le gouverneur de Chypre à ordonner l'emprisonnement de toute personne, sans accusation ni formalités judiciaires, et sans que quiconque ait à témoigner qu'elle a commis un crime ou une infraction. Aux yeux des plaignants, cette arrestation constitue une violation des droits élémentaires d'assemblée et d'association ; elle a été opérée sans qu'une procédure judiciaire régulière ait été engagée en vue d'établir que l'intéressé s'était rendu coupable d'activités délictueuses étrangères à ses fonctions, et elle a été effectuée dans l'intention de décapiter le mouvement syndical libre cypriote. Dans une résolution adoptée en juillet 1956, la C.I.S.L déclare non seulement que M. Pissas se trouvait toujours emprisonné sans qu'aucune accusation précise ait été portée contre lui, mais encore qu'un grand nombre de fonctionnaires et de membres des « syndicats libres » étaient également emprisonnés.
- Allégations concernant l'interdiction de syndicats et la confiscation de leurs biens
- 100. Le Syndicat des travailleurs de l'agriculture et professions diverses du district de Famagouste déclare que plusieurs organisations ont été interdites et leurs biens confisqués. Le plaignant ne prétend pas que les organisations en question aient été des syndicats, mais il mentionne expressément l'interdiction de cinq publications, sans toutefois affirmer qu'il s'agit de publications syndicales. En revanche, la Fédération syndicale mondiale précise que « parmi les organisations de travailleurs qui ont été frappées d'interdit », figure la Fédération des agriculteurs cypriotes (E.A.K), syndicat de petits propriétaires affiliés à l'Union internationale des syndicats de travailleurs de l'agriculture et des forêts (branche professionnelle de la F.S.M).
- Allégations concernant la fermeture et la perquisition de locaux syndicaux
- 101. La Fédération syndicale mondiale déclare que les locaux de syndicats ont été fouillés par la police et l'armée dans les villes de Paphos, Larnaca, Famagouste, Kyrenia, Xylophagou, Ormidha, Contamenos et Dhikimo, et que toutes ces perquisitions, sauf celles opérées à Famagouste, se sont terminées par la confiscation des archives et des fonds des syndicats et par la fermeture des locaux. A la date du 21 décembre 1955, aucun de ces biens syndicaux n'avait été rendu aux propriétaires, et les locaux des syndicats étaient encore fermés dans les six dernières agglomérations mentionnées. Le Syndicat des travailleurs de l'agriculture et professions diverses du district de Famagouste déclare en outre que le nouveau bâtiment du Syndicat à Nicosie a été perquisitionné par l'armée, qui a emporté les archives et endommagé des objets appartenant au Syndicat.
- Allégations concernant l'interdiction de périodiques
- 102. Divers périodiques, deux quotidiens, deux hebdomadaires, dont un en langue turque, et un magazine mensuel de l'« organisation féminine » auraient été interdits et leurs biens confisqués.
- Allégations concernant l'interdiction de réunions
- 103. La Fédération syndicale mondiale se plaint que la proclamation du 26 novembre 1955 ait interdit toutes les réunions, y compris les réunions syndicales, en n'autorisant que les rassemblements de personnes dans les théâtres et cinémas, et que la Conférence pancypriote des ouvriers et employés municipaux, convoquée le 27 novembre 1955 pour discuter d'affaires purement syndicales, telles que les revendications des ouvriers et une proposition tendant à fonder une fédération des syndicats de travailleurs municipaux ait été interdite ; l'autorisation de tenir cette conférence n'avait pas encore été donnée au 12 décembre 1955. L'organisation plaignante déclare également qu'aux termes de l'article 37, paragraphe 1, du règlement de 1955 sur les pouvoirs extraordinaires, les commissaires régionaux sont habilités à interdire toute réunion, y compris les réunions syndicales.
- 104. La Confédération générale du travail de Grèce se plaint également, en termes généraux, des mesures interdisant aux travailleurs de se réunir pour discuter de questions les intéressant, à moins qu'une autorisation écrite préalable n'ait été accordée.
- Allégations concernant les entraves apportées à l'action des piquets de grève
- 105. Le Syndicat des travailleurs de l'agriculture et professions diverses du district de Famagouste déclare que 8 membres d'un piquet de grève, postés à Dhekelia au cours d'une grève déclenchée par les travailleurs des Navy, Army and Air Force Institutes (N.A.A.F.I) à l'appui de leurs revendications, ont été arrêtés par des militaires et conduits à un endroit distant de 13 kilomètres avant d'être libérés ; que 11 membres de piquets de grève ont été arrêtés le 11 janvier 1956 alors qu'ils réclamaient la libération de dirigeants syndicalistes emprisonnés et que, le 12 janvier 1956, des employés des N.A.A.F.I, qui avaient décidé une grève de 48 heures pour appuyer leurs revendications, ont été empêchés d'installer des piquets de grève devant l'établissement où ils étaient employés.
- Allégations concernant l'abrogation du droit de grève et le pouvoir d'imposer un emploi aux travailleurs
- 106. La Fédération syndicale mondiale déclare que, par une ordonnance de 1954, les hôtels et restaurants ont été ajoutés à la liste des « entreprises essentielles » (qui comprend déjà les boulangeries, les services d'approvisionnement en électricité et eau potable, les hôpitaux, les télécommunications, les docks et certains emplois civils sur les aérodromes utilisés par la R.A.F) dans lesquelles la grève est interdite en vertu de l'ordonnance sur les services d'utilité publique (pouvoirs transitoires, 1946, Chypre). On peut de cette manière, déclare l'organisation plaignante, allonger indéfiniment la liste des « entreprises essentielles ».
- 107. Le plaignant soutient, d'autre part, que l'article 61 du règlement de 1955 sur les pouvoirs extraordinaires (sécurité et ordre publics) proclame illégales toutes les grèves qui ne sont pas considérées comme « ayant pour seul objet le règlement d'un conflit du travail » ; il ajoute que le terme « conflit du travail » est interprété de façon très restrictive, les grèves étant, par exemple, déclarées illégales si elles ont pour objet exclusif ou partiel d'appuyer des revendications tendant à la création d'un système de sécurité sociale, la protection légale des travailleuses, l'amélioration du logement, ou de protester contre la hausse du coût de la vie, etc. Le plaignant déclare d'ailleurs que même sans qualifier une grève d'illégale, le gouverneur de Chypre peut l'interdire, aux termes du règlement, sous prétexte de « prévenir l'interruption du travail à la suite d'un conflit du travail ».
- 108. La Confédération générale du travail de Grèce se plaint que le droit de faire grève à propos d'un conflit du travail quelconque est refusé aux travailleurs et qu'il leur est interdit de s'absenter de leur travail ou d'arriver en retard.
- 109. La Fédération pancypriote du travail déclare que, par une ordonnance spéciale en date du 21 août 1956, les autorités ont interdit une grève de sympathie de 10.000 travailleurs cypriotes, lancée par trois fédérations ouvrières, la Fédération turque du travail, la Fédération pancypriote du travail et la Fédération indépendante du travail, pour appuyer une grève des travailleurs de l'Hellenic Mining Company.
- 110. La Fédération syndicale mondiale déclare qu'en vertu de l'article 60 du règlement de 1955 sur les pouvoirs extraordinaires, le gouverneur peut imposer à toute personne un emploi spécifié par lui, aux conditions dictées par lui-même, et qu'il peut contraindre des travailleurs à rester dans tel ou tel emploi et leur interdire d'être absents de leur poste de travail « sans raison valable », ou d'arriver en retard à leur travail de façon répétée et continue. Le plaignant considère que ce fait constitue une violation du droit des travailleurs à déterminer eux-mêmes, par l'intermédiaire de leurs syndicats, les conditions auxquelles ils peuvent décider d'accepter ou de refuser un emploi.
- 111. La Confédération générale du travail de Grèce proteste contre l'adoption de mesures qui, à son avis, imposent un travail forcé et permettent aux autorités d'exercer un contrôle sur l'offre et la demande de main-d'oeuvre.
- ANALYSE DE LA REPONSE
- Allégations concernant l'état d'exception, protestations contre la déportation de l'archevêque Makarios et demande d'autonomie pour l'île de Chypre
- 112. Dans sa réponse en date du 19 décembre 1956, le gouvernement du Royaume-Uni fait tout d'abord quelques observations générales sur les événements qui ont conduit les autorités à prendre des mesures extraordinaires à Chypre.
- 113. Le gouvernement déclare que la première flambée de terrorisme a éclaté à Chypre le 1er avril 1955; elle a été suivie du dépôt de bombes dans des bureaux officiels, des postes de police et des installations militaires, de tentatives d'assassinat et de manoeuvres systématiques d'intimidation de la population civile. Dans ces conditions, les habitants hésitaient à déposer devant les tribunaux sur les activités terroristes ; le gouvernement de Chypre, soucieux de protéger les citoyens désireux d'aider les autorités à supprimer le terrorisme, a donc promulgué en juillet 1955 une loi autorisant la détention de personnes appartenant à l'organisation terroriste ; cette mesure a toutefois été suivie d'une série de grèves générales de caractère politique, d'incitations accrues à la sédition et à la violence, de démonstrations et d'émeutes et d'une série de meurtres et d'attaques terroristes. Le gouvernement déclare que devant la multiplication des attentats terroristes et la généralisation des désordres, le gouverneur de Chypre a décidé que de nouvelles mesures devaient être prises afin de protéger le déroulement normal de la vie de la collectivité ; l'état d'exception a été proclamé le 26 novembre 1955, et le règlement sur les pouvoirs extraordinaires a été édicté ; ce règlement habilite notamment le gouverneur à ordonner l'emprisonnement de toute personne dont on présume qu'elle a participé récemment à des actes préjudiciables à la sécurité et à l'ordre public, à déporter toute personne de la colonie, à interdire les cortèges, les réunions et les assemblées, avec certaines exceptions, et à ordonner la saisie des biens et des fonds de toute association illégale ; les grèves dont l'objet n'est pas d'ordre professionnel ont été interdites, et les forces de sécurité ont été autorisées à pénétrer et à perquisitionner dans les locaux sous certaines conditions.
- 114. Entre-temps, des discussions avaient été entamées entre le gouverneur et l'archevêque de Chypre. Le gouvernement déclare que ces discussions ont fait l'objet de violentes attaques de la part du parti communiste de Chypre, qui persistait à exiger pour le peuple cypriote le droit de disposer de lui-même sans conditions et immédiatement ; le parti communiste avait pour unique souci d'empêcher qu'une solution fût trouvée et de prolonger les dissensions dans l'intérêt du communisme international. C'est pourquoi la décision a été prise d'interdire le parti communiste et trois de ses organisations satellites, ainsi que certaines de ses publications.
- 115. La situation décrite ci-dessus, déclare le gouvernement, a imposé le recours à des mesures extraordinaires. Comme un groupe d'extrémistes, cherchant à réaliser ses objectifs politiques par la violence, avait plongé Chypre dans l'anarchie et le terrorisme, avec, à son actif, 181 personnes tuées (dont 100 Cypriotes grecs) et 481 blessés (dont 165 Cypriotes grecs), il a été nécessaire, pour protéger la vie et la sécurité des personnes et pour restaurer la loi et l'ordre, de prendre certaines mesures d'exception qui imposent des restrictions et certaines obligations à l'ensemble de la collectivité ; ces mesures d'exception restreignent inévitablement le droit d'organiser des réunions dans certaines circonstances et assurent le maintien des services indispensables à la vie normale de la collectivité. Les opérations menées par les forces de sécurité contre les terroristes ont également rendu nécessaires l'imposition du couvre-feu et la limitation de la circulation des véhicules. Le gouvernement reconnaît que ces restrictions ne vont pas sans causer parfois des difficultés à divers secteurs de la collectivité dans l'exercice de leurs activités légitimes, et sans gêner aussi, dans une certaine mesure, l'accomplissement des tâches légitimes des syndicats, tout comme les activités d'autres organismes. Le gouvernement déclare cependant qu'aucune discrimination n'a été opérée contre les activités licites des syndicats, contre leurs dirigeants et leurs membres, et qu'aucune restriction n'a été imposée en vue de réduire l'action syndicale légitime, qui, en fait, a pris plus d'ampleur, comme l'indique le développement des effectifs des syndicats, qui ont passé de 26.666 en décembre 1954 à 42.000 en octobre 1956. Le gouvernement ajoute qu'aussi longtemps que la violence et le terrorisme se perpétueront, il faudra probablement maintenir l'état d'exception, et que les autorités seront obligées de faire usage de tous les pouvoirs nécessaires pour supprimer le terrorisme et assurer le respect de la loi et de l'ordre. Il s'ensuivra nécessairement des entraves au déroulement normal de la vie de la collectivité, qui frapperont de la même façon tous ses membres. Ces mesures ont toutes pour objet le maintien de l'ordre public et de l'administration correcte du pays, et aucune de leurs dispositions n'est dirigée contre les syndicalistes en tant que tels ; néanmoins, l'appartenance d'un individu quelconque à un syndicat ne l'exemptera évidemment pas des restrictions imposées aux autres personnes. Le fait essentiel, conclut le gouvernement, est que les membres des syndicats sont assujettis aux restrictions imposées au même titre que les autres membres de la collectivité ni plus ni moins.
- 116. Le gouvernement ne présente aucune observation sur la déportation de l'archevêque Makarios ou sur les demandes de la C.I.S.L concernant la reprise des négociations et l'octroi de l'autonomie à Chypre.
- Allégations concernant le couvre-feu
- 117. Le texte législatif servant de base juridique à l'imposition du couvre-feu à Chypre est la loi sur le couvre-feu (loi no 17 de 1955, modifiée par la loi no 47 de 1955) ; l'article 48 du règlement sur les pouvoirs extraordinaires, qui permet également d'imposer le couvre-feu, n'a jamais été appliqué. La loi sur le couvre-feu dispose que le couvre-feu peut être imposé « pour la sauvegarde de la sécurité publique et le maintien de l'ordre public ». En conséquence, déclare le gouvernement, ce sont les exigences de la sécurité et de l'ordre publics qui déterminent s'il y a lieu ou non d'imposer le couvre-feu ; ces exigences, évidemment, priment toute autre considération, et notamment les inconvénients qui peuvent être causés à tel ou tel groupe de personnes, alors que presque chaque jour des civils sont assassinés en pleine rue et que la tension des esprits entre les diverses communautés est telle qu'un incident entre personnes de races différentes risque de provoquer de graves émeutes et des effusions de sang. Le gouvernement déclare que, dans certains cas, ce sont les habitants grecs et turcs eux-mêmes qui ont demandé l'imposition du couvre-feu afin d'éviter des troubles de ce genre. Le gouvernement reconnaît que le couvre-feu, qu'exige la sécurité de la collectivité tout entière, présente certainement, pour les syndicats, les mêmes inconvénients que pour l'ensemble de la population ; il ne croit pas cependant qu'il soit possible de produire des preuves concluantes à l'appui de l'argument selon lequel le fonctionnement normal des syndicats en aurait été sérieusement entravé.
- Allégations concernant l'arrestation et la détention sans jugement de dirigeants et de militants syndicaux
- 118. Le gouvernement déclare que la situation particulière existant à Chypre a rendu nécessaire l'adoption de la loi de 1955 sur la détention des personnes, qui permet au gouverneur de faire incarcérer qui que ce soit s'il a acquis la conviction qu'il s'agit d'un membre ou d'un ancien membre d'une organisation terroriste. Si cette loi autorise la détention sans jugement d'une telle personne, elle accorde toutefois au détenu, lequel est informé des raisons qui ont motivé son arrestation, le droit d'interjeter appel auprès d'une commission consultative, dont le président était, « tout récemment encore », juge à la Cour suprême. Ce genre de texte législatif s'écarte des règles habituelles d'administration de la justice suivies dans les territoires britanniques, mais son adoption a été rendue nécessaire par l'intimidation de la population civile par les terroristes, et il ne vise nullement les partisans pacifiques de changements politiques, mais uniquement les terroristes actifs. La détention des personnes soupçonnées d'avoir participé à des actes préjudiciables à la sécurité et à l'ordre publics ou à la préparation ou l'instigation de tels actes (lorsqu'il ne s'agit pas de membres d'une organisation terroriste) est autorisée en vertu de l'article 6 du règlement de 1955 sur les pouvoirs extraordinaires (sécurité et ordre publics), qui prévoit lui aussi un droit de recours auprès d'une commission consultative. Comme il a été indiqué ci-dessus, le parti communiste de Chypre, appelé Parti ouvrier réformiste (A.K.E.L.), a été interdit ; à cette occasion, certains de ses chefs ont été arrêtés en application du règlement sur les pouvoirs extraordinaires.
- 119. Le gouvernement déclare qu'aucun arrêté législatif ou administratif n'a été pris qui permettrait de détenir un fonctionnaire syndical en raison de ses activités légitimes et, quand un fonctionnaire ou un membre d'un syndicat a été incarcéré, sa détention a été motivée par des raisons qui n'ont aucun rapport avec son appartenance à un syndicat ou avec ses activités syndicales légitimes. Cependant, ajoute le gouvernement, les partisans de la violence et le parti communiste se sont servis de quelques organisations syndicales de Chypre à leurs fins de politique extrémiste et sont parvenus à occuper des postes de responsabilité dans ces syndicats, ce qui explique que des militants et des fonctionnaires de syndicats se trouvent au nombre des personnes arrêtées.
- 120. Le gouvernement affirme que la Confédération des travailleurs cypriotes était très largement noyautée par l'organisation terroriste E.O.K.A, et que les syndicats qui lui sont affiliés étaient entre les mains d'un groupe de fanatiques qui dissimulaient leurs activités terroristes derrière le mouvement syndical ; le secrétaire de cette confédération, deux membres de son conseil général et deux de ses secrétaires régionaux étaient des chefs terroristes de premier plan. D'après le gouvernement, le secrétaire de la Confédération, Evangelos Evangelides, et un membre de son conseil général, Markos Drakos, qui se sont échappés, sont connus pour être des chefs actifs de bandes terroristes coupables du meurtre de Cypriotes et de Britanniques ; d'autre part, Christos Eleftheriou, secrétaire de la Fédération des employés de commerce, qui s'était également évadé, a été repris le 12 juin 1956 avec un groupe de terroristes armés. L'identité des témoins à charge contre ces personnes ne pouvant être dévoilée sans mettre leur vie en danger, il est impossible de traduire les intéressés en justice.
- 121. Le gouvernement déclare que Michael Pissas, secrétaire général de la Confédération des travailleurs cypriotes, se livrait à des actes préjudiciables à la sécurité et à l'ordre publics et qu'il était impliqué dans des activités terroristes ; des documents de l'E.O.K.A saisis récemment montrent qu'une fois au moins il a servi de courrier aux terroristes.
- 122. La Fédération pancypriote du travail, déclare le gouvernement, était dominée par le Parti ouvrier réformiste (A.K.E.L) interdit. La détention d'un certain nombre de communistes, chefs de ce parti, qui exerçaient également des fonctions dirigeantes au sein de la Fédération et de ses syndicats affiliés, a inévitablement gêné l'activité des syndicats intéressés. Mais la responsabilité de cet état de choses retombe en partie sur les membres de ces syndicats, qui ont permis à ces personnes d'accéder à des fonctions de direction. Cependant, les difficultés ainsi causées à la Fédération n'ont été que le résultat fortuit de la détention de certains de ses dirigeants ; lorsque l'A.K.E.L a été interdit, le gouvernement a annoncé qu'il était extrêmement soucieux de ne pas bouleverser les activités syndicales légitimes, dont il reconnaissait le rôle important dans l'instauration de la stabilité et de la prospérité à Chypre.
- 123. A propos des 54 personnes qui, d'après les plaintes reçues, auraient été arrêtées, le gouvernement déclare que 25 d'entre elles ont été relâchées (généralement sous certaines conditions), que 2 d'entre elles se sont évadées et sont encore en liberté et qu'aucun dossier ne porte trace de la détention de 7 des personnes citées. Parmi les autres personnes mentionnées ou celles qui ont été arrêtées ultérieurement, 9 sont des fonctionnaires de la Fédération des travailleurs cypriotes, qui sont tous connus pour avoir été directement impliqués dans des attentats terroristes, et 13 sont des fonctionnaires de la Fédération pancypriote du travail, communistes militants ayant participé à des activités préjudiciables à la sécurité, à l'ordre public et à la bonne administration du pays. D'après la liste annexée à la réponse du gouvernement, l'une des personnes ainsi mentionnées est détenue depuis le 17 août 1955 et 23 autres depuis le 13 décembre 1955. Mais personne, insiste le gouvernement, n'a été arrêté en raison d'activités syndicales légitimes, et la détention de militants ou de fonctionnaires syndicaux n'a jamais eu pour but de nuire en aucune façon à l'exercice des fonctions syndicales légitimes ; l'infiltration d'extrémistes dans certaines organisations syndicales, et leur arrestation ultérieure en raison de leurs activités illégales, a pu causer des difficultés aux syndicats intéressés, mais c'est là la conséquence inévitable des mesures rendues indispensables par la nécessité de rétablir la loi et l'ordre public.
- Allégations concernant l'interdiction de syndicats et la confiscation de leurs biens
- 124. Le gouvernement déclare que lorsque le Parti ouvrier réformiste a été interdit en application du Code criminel, dans les conditions exposées plus haut, une mesure analogue a été prise contre trois de ses organisations satellites l'Organisation des jeunesses communistes (A.O.N), l'Organisation des femmes communistes (P.O.D.Y) et l'Association des agriculteurs communistes (E.A.K). Cette dernière, qui est mentionnée par certaines organisations plaignantes, n'est pas un syndicat enregistré, mais une association de petits exploitants agricoles. Ses activités n'étaient pas celles d'un syndicat ; le Parti communiste s'en est servi en vue de semer l'agitation, le mécontentement et la dissension dans les régions rurales. Le gouvernement déclare qu'aucun syndicat n'a été interdit ni n'a vu ses biens confisqués.
- Allégations concernant la fermeture et la perquisition de locaux syndicaux
- 125. Après avoir rappelé que des communistes et des partisans du terrorisme étaient parvenus à occuper des postes de direction dans certains syndicats et avaient utilisé ces organisations et leurs locaux aux fins de leurs activités illégales, le gouvernement déclare que, si le caractère privé des archives et des bureaux syndicaux a toujours été dûment pris en considération, les locaux syndicaux ont pu faire l'objet, comme tous les autres locaux, de perquisitions effectuées par la police lorsqu'on pouvait raisonnablement soupçonner qu'ils étaient utilisés à des fins illégales. Dans les conditions extraordinaires existant à Chypre, des perquisitions ont dû être opérées dans des locaux de toutes sortes, dans une mesure dépassant la pratique normale. C'est pour cela que le règlement sur les pouvoirs extraordinaires autorise les forces de police ou les membres de l'armée britannique à pénétrer et à perquisitionner sans mandat dans des locaux s'ils soupçonnent que ceux-ci sont utilisés dans un dessein préjudiciable au maintien de la loi et de l'ordre. Or, d'abondantes indications témoignaient que les locaux de certains syndicats servaient à de telles fins. C'est pourquoi, lorsque l'A.K.E.L a été interdit, des perquisitions ont été opérées dans certains bureaux syndicaux de la Fédération pancypriote du travail, connue pour être dominée et dirigée par des membres du parti interdit. Par la suite, ajoute le gouvernement, les locaux de la Confédération des travailleurs cypriotes, à Nicosie, ont été fouillés lorsque les autorités eurent acquis la certitude que cette organisation participait directement au mouvement terroriste et qu'un certain nombre de ses dirigeants étaient des chefs terroristes actifs. Ces perquisitions ont été minutieuses et ont entraîné l'examen et la traduction d'une grande quantité de documents ; pour l'exécution de ces travaux, il a fallu parfois suspendre le fonctionnement du bureau syndical en cause et fermer les locaux au public ; mais cela a toujours constitué une mesure strictement temporaire, et il n'y a jamais eu confiscation de documents concernant des activités syndicales légitimes ni de fonds syndicaux. Le gouvernement affirme que dans aucun cas les perquisitions n'ont été dirigées contre les activités syndicales légitimes. Elles n'ont été opérées que lorsque les organisations et les locaux syndicaux étaient utilisés à des fins illégales ; la perquisition avait pour objet de permettre l'examen des archives afin d'y rechercher des preuves d'activités illicites ou terroristes, et, dans un certain nombre de cas, des documents compromettants, parfaitement étrangers aux affaires syndicales, ont été trouvés et confisqués.
- 126. Au sujet de la plainte selon laquelle des dommages auraient été causés aux locaux de la Confédération des travailleurs cypriotes à Nicosie, le gouvernement déclare que ces locaux étaient inoccupés lorsque la perquisition a été effectuée ; comme il n'était pas possible d'avertir d'avance l'organisation intéressée de la perquisition qui allait être opérée et que nul n'était présent dans les locaux lorsque les forces de sécurité sont arrivées, celles-ci ont dû user du pouvoir d'entrer par la force que leur donne le règlement sur les pouvoirs extraordinaires. Le gouvernement ajoute que des instructions précises ont été données aux membres des forces de sécurité pour qu'ils usent de ménagements lorsqu'ils perquisitionnent dans les locaux syndicaux, afin d'éviter tous actes inutiles qui pourraient se traduire par la perte de biens ou par des dommages matériels, et pour qu'ils veillent, partout où cela est possible, à ce qu'un représentant du syndicat intéressé assiste à la perquisition.
- Allégations concernant l'interdiction de périodiques
- 127. Le gouvernement déclare que les raisons qui ont conduit les autorités à interdire le Parti ouvrier réformiste (A.K.E.L.) en tant qu'association illégale, valent, sans rien perdre de leur force, pour l'interdiction des quatre journaux qui servaient d'organe au Parti communiste ; les éditeurs de ces quatre journaux ont été convaincus « d'avoir notamment pour objectif de fomenter le désordre et d'étendre la sédition dans la colonie ». Leurs publications ont été interdites le 13 décembre 1955 pour une période de douze mois, en application du Code pénal. Les éditeurs de ces journaux se sont alors servis d'un autre journal, l'Embros, pour atteindre leurs objectifs politiques ; ce journal a publié plusieurs articles séditieux, à la suite desquels il a été interdit pour une durée de douze mois le 6 janvier 1956.
- 128. Le gouvernement souligne qu'aucun de ces journaux n'était l'organe officiel d'un syndicat et que leur interdiction ne constitue aucunement une violation de la liberté syndicale. Il ajoute que, contrairement aux allégations présentées, aucune revue mensuelle féminine n'a été interdite.
- Allégations concernant l'interdiction de réunions
- 129. Le gouvernement affirme que certaines réunions, convoquées sous prétexte de discuter des questions syndicales, ont servi en fait à la diffusion d'une propagande subversive, souvent violente, dirigée contre le gouvernement. C'est pour quoi les réunions syndicales n'ont pas été expressément exclues de l'interdiction générale des assemblées décidée le 26 novembre 1955, lors de la proclamation de l'état d'exception. En fait, l'article du règlement sur les pouvoirs extraordinaires relatif aux réunions et aux assemblées n'a jamais été invoqué ; l'interdiction des réunions et assemblées a été prise conformément à la législation ordinaire de l'île ; elle s'applique à tous les secteurs de la collectivité et n'est en aucune façon dirigée expressément contre les activités syndicales. Dans la situation actuelle, déclare le gouvernement, toute réunion publique présente un danger virtuel ; sous son couvert, un attentat terroriste peut être perpétré. Le gouvernement déclare que, dans la pratique, la proclamation a été interprétée libéralement en ce qui concerne les réunions privées et que, d'une façon générale, aucun obstacle n'a été mis à l'organisation de réunions syndicales dans les locaux mêmes des syndicats, lorsque les autorités avaient la conviction que le véritable et le seul objet de la réunion était de discuter d'affaires syndicales licites. La législation ordinaire de l'île veut que les organisateurs obtiennent une autorisation avant la tenue d'une réunion politique.
- 130. Dans le cas particulier mentionné dans la plainte, fait observer le gouvernement, la conférence avait été prévue pour le 27 novembre 1955, c'est-à-dire le lendemain de la proclamation de l'état d'exception, et les autorités locales ne savaient pas encore au juste dans quelle mesure on envisageait de donner effet à l'interdiction des réunions. L'assemblée en question a été autorisée par une note écrite en date du 5 décembre 1955 ; par conséquent, conclut le gouvernement, l'allégation selon laquelle l'autorisation de tenir cette réunion n'avait pas encore été accordée au 12 décembre 1955 est incorrecte.
- Allégations concernant les entraves apportées à l'action des piquets de grève
- 131. Aux termes de la loi, l'organisation de piquets de grève est autorisée si elle se fait sans recours à la violence et en vue du règlement d'un conflit du travail. Cette disposition est toujours valable ; mais si un membre d'un piquet de grève agit de façon à porter atteinte à la sécurité et à l'ordre publics, il est passible d'arrestation, de la même façon que toute autre personne, en vertu de l'article 3 du règlement sur les pouvoirs extraordinaires. Le gouvernement déclare qu'à plusieurs reprises des piquets ont été organisés, contrairement à la loi, à des fins étrangères à un conflit du travail et que, dans ces cas, les membres des piquets de grève ont été arrêtés, mais que ces arrestations n'avaient pas pour objet d'empêcher l'installation de piquets de grève en tant que tels, mais de donner effet à l'interdiction des assemblées publiques.
- 132. Le gouvernement reconnaît que, le 5 janvier 1956, une patrouille militaire a arrêté à Dhekelia les membres d'un piquet de grève organisé dans le cadre d'une grève licite. Cette patrouille a outrepassé ses instructions et, par la suite, les forces de sécurité ont reçu pour instructions de ne pas entraver l'action des piquets de grève installés conformément à la loi.
- 133. En ce qui concerne les deux autres cas d'entrave à l'action des piquets de grève mentionnés dans les plaintes, le gouvernement déclare que les détails donnés sont insuffisants pour permettre d'effectuer une enquête, mais il souligne que, dans l'un de ces deux cas, le plaignant déclare que les membres du piquet de grève demandaient la libération des chefs syndicalistes internés en vertu du règlement sur les pouvoirs extraordinaires ; aux yeux du gouvernement, pareille revendication n'entre pas dans les attributions d'un piquet installé en vue du règlement d'un conflit du travail.
- Allégations concernant l'abrogation du droit de grève et le pouvoir d'imposer un emploi aux travailleurs
- 134. Le gouvernement commence par déclarer que des documents de l'E.O.K.A saisis par les autorités et portant les dates du 8 février et du 23 mai 1955 contenaient des plans d'organisation de démonstrations et de protestations de masse, avec la participation de la population organisée, et que ce complot s'est traduit par des émeutes, des incendies volontaires et l'assassinat de personnes innocentes. Certains dirigeants syndicaux, déclare le gouvernement, qui étaient, soit personnellement partisans du terrorisme, soit intéressés à la poursuite des dissensions et des violences, ont prêté leur concours à l'organisation de ces désordres.
- 135. Le gouvernement déclare que les grèves générales du 2 août et du 28 septembre 1955, déclenchées pour protester, la première contre la loi sur la détention des personnes, l'autre contre la décision prise par les Nations Unies de ne pas discuter la proposition grecque relative à Chypre, ont donné lieu à des émeutes, à des explosions de violence et à la destruction de biens matériels ; des dirigeants syndicaux en vue de la Confédération des travailleurs cypriotes et de la Fédération pancypriote du travail ont profité de leur situation pour pousser à la grève et ont fait partie du comité central d'organisation de la grève ; les organisateurs de ces grèves générales ont eu recours à l'intimidation pour contraindre les travailleurs à observer l'ordre d'arrêter le travail ; ils ont établi une liste noire des récalcitrants, publié un manifeste demandant ouvertement à chacun, homme, femme ou enfant, de dénoncer quiconque ne participerait pas à la grève, fût-ce un père, un mari ou un parent, et ils ont menacé de représailles les travailleurs désobéissants. Les syndicats turcs, ajoute le gouvernement, ont refusé de s'associer aux grèves politiques de ce genre.
- 136. Le gouvernement considère par conséquent que les autorités avaient le devoir de mettre un terme à ces grèves politiques, afin non seulement d'assurer le respect de la loi et de l'ordre, mais aussi de protéger les particuliers contre les manoeuvres d'intimidation et d'empêcher tout nouvel abus du droit qu'ont les syndicats de déclencher une grève à des fins syndicales légitimes. L'article 61 du règlement sur les pouvoirs extraordinaires dispose donc que quiconque déclenche une grève ou un lock-out illégal, y participe ou agit pour aider à son déroulement, commet un délit ; la définition des termes grève et lock-out illégaux est la suivante : « toute grève ou lock-out qui n'a pas pour unique objet le règlement d'un conflit du travail ».
- 137. D'autre part, ajoute le gouvernement, étant donné que des politiciens extrémistes pourraient essayer de paralyser l'activité économique du territoire en imposant une grève sous prétexte d'un conflit du travail, il a été jugé nécessaire, pour éviter à l'ensemble de la collectivité le bouleversement qu'entraînerait une grève ainsi organisée et pour protéger les travailleurs, pris individuellement, contre de telles tentatives d'intimidation, de donner au gouverneur des pouvoirs qui lui permettent d'interdire, s'il le juge nécessaire, une grève relative à un différend du travail. Ce pouvoir, qui est prévu à l'article 61, paragraphe 2, alinéa b), du règlement de 1955 sur les pouvoirs extraordinaires (sécurité et ordre publics), n'a encore jamais été utilisé, et le gouvernement espère que les conflits du travail légitimes ne seront pas exploités de façon à obliger le gouverneur à l'exercer.
- 138. Le champ d'application de l'ordonnance sur les entreprises essentielles qui interdit les grèves dans les services essentiels et qui est en vigueur depuis 1943, a été élargi en 1954 pour englober les hôtels et les restaurants à la suite d'une série de grèves générales de caractère politique qui ont montré, déclare le gouvernement, que la collectivité entière est gravement atteinte par la fermeture, sous la contrainte, de ces établissements d'utilité publique. Le gouvernement ajoute qu'il ressort de façon évidente de la liste donnée dans l'allégation que les services visés sont vraiment « indispensables à la vie de la collectivité » et que la définition des termes « entreprise essentielle », qui figure dans l'ordonnance, garantit que la liste ne peut pas être allongée indéfiniment comme il est prétendu. En fait, aucune adjonction ne lui a été apportée depuis décembre 1954.
- 139. Aux yeux du gouvernement, par conséquent, il est patent que les travailleurs n'ont pas été privés du droit de se mettre en grève en cas de conflit du travail légitime, mais que, dans la situation extraordinaire qui règne actuellement à Chypre et vu l'abus qui a été fait dans le passé du droit de déclencher des grèves, il a été nécessaire, d'une part, de n'autoriser la grève que dans les seuls cas de différends du travail et, d'autre part, d'habiliter le gouverneur, dans l'éventualité où des politiciens extrémistes chercheraient néanmoins à abuser même de ce droit à leurs propres fins, à interdire une grève ordonnée apparemment en vue du règlement d'un conflit du travail, mais en réalité afin d'atteindre d'autres objectifs, de caractère illégal.
- 140. Le gouvernement ne se dissimule pas la portée étendue des pouvoirs dont le gouverneur est investi en vertu de l'article 60 du règlement sur les pouvoirs extraordinaires, et il exprime l'espoir que la campagne d'intimidation menée par les terroristes ne sera pas dirigée contre le personnel d'entreprises essentielles au point d'exiger l'usage généralisé de ces pouvoirs. Une disposition identique figurait dans le règlement sur la défense nationale pris au Royaume-Uni pendant la guerre ; aux yeux du gouvernement, la situation régnant actuellement à Chypre exige des pouvoirs analogues afin que le gouverneur soit en mesure, le cas échéant, d'imposer un emploi aux travailleurs « s'il le juge nécessaire ou indiqué afin d'assurer la sécurité publique ou le maintien de l'ordre public, ou la régularité des approvisionnements et du fonctionnement des services indispensables à la vie de la collectivité ».
- 141. En ce qui concerne l'allégation particulière concernant l'Hellenic Mining Company, le gouvernement déclare que la grève envisagée aurait gravement compromis le transport d'importants approvisionnements et équipements militaires et entravé l'exécution du programme de construction entrepris par les forces armées. Aussi le gouverneur a-t-il pris, le 22 août 1956, une ordonnance interdisant aux personnes employées dans certains établissements ou services relevant de la marine, de l'armée ou de l'aviation, de s'absenter de leur travail le jour de la grève. Cette interdiction ne s'étendait pas aux travailleurs occupés à des travaux civils ordinaires ne revêtant aucun caractère militaire. Le gouvernement ajoute que c'est la seule fois que l'article 60 du règlement a été invoqué
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 142. Le gouvernement du Royaume-Uni a ratifié, en ce qui concerne Chypre, la convention sur le droit d'association (territoires non métropolitains), 1947.
- 143. Le gouvernement du Royaume-Uni a attiré l'attention sur le fait que des troubles politiques ont éclaté à Chypre en 1955, provoquant une tension aiguë qui a conduit les autorités à proclamer l'état d'exception au mois de novembre 1955. L'état d'exception est depuis lors resté en vigueur parce que, selon le gouvernement, « un groupe d'extrémistes, cherchant à faire aboutir ses visées politiques par la violence, a plongé Chypre dans l'anarchie et le terrorisme » ; les autorités ont donc estimé nécessaire de prendre des mesures d'exception « en vue de protéger la vie et la sécurité des personnes et de rétablir la légalité et l'ordre public ». Le gouvernement souligne, d'autre part, « qu'aussi longtemps que la violence et le terrorisme se perpétueront, il faudra probablement maintenir l'état d'exception, et le gouvernement se verra obligé de faire usage de tous les pouvoirs nécessaires pour supprimer le terrorisme et assurer le respect de la loi et de l'ordre » ; de telles mesures « entraîneront inévitablement des restrictions à la vie normale de la collectivité, frappant de la même façon tous les membres de celle-ci ».
- 144. Toutes les plaintes présentées ont trait à la situation politique existant à Chypre et à l'état de tension et de danger qui prévaut dans l'île. Comme le Comité l'a rappelé dans son premier rapport, « l'une des fonctions confiées au Comité par le Conseil d'administration est de lui faire savoir s'il estime qu'un cas n'appelle pas un examen plus approfondi, lorsqu'il constate que les allégations formulées sont de caractère si purement politique qu'il ne semble pas opportun de poursuivre l'affaire ». D'un autre côté, le Comité a spécifié que des allégations ayant une origine politique ou présentant certains aspects politiques pouvaient soulever, néanmoins, des questions directement rattachées à l'exercice des droits syndicaux. Dans ces conditions, le Comité peut estimer, comme il l'a fait lors de cas précédents, où des allégations avaient trait à une situation de grave tension politique suivie de la proclamation d'un état de siège ou d'exception, qu'il doit se borner à l'examen des aspects purement syndicaux du cas en question, sans perdre toutefois de vue les principes rappelés ci-dessus et la situation politique générale existant à Chypre.
- 145. En outre, il convient d'observer que les aspects politiques de la situation à Chypre ont été examinés par la 11ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies, qui a adopté une résolution sur la question le 26 février 1957.
- Allégations concernant l'état d'exception, protestations contre la déportation de l'archevêque Makarios et demande d'autonomie pour l'île de Chypre
- 146. Plusieurs plaignants, et notamment le Syndicat des travailleurs agricoles et professions diverses du district de Famagouste, le Conseil central des syndicats de la République populaire de Bulgarie et la Fédération pancypriote du travail, critiquent expressément la proclamation de l'état d'exception et réclament sa suppression, en déclarant que sa mise en vigueur s'est traduite par une limitation et une violation des droits syndicaux, des libertés démocratiques et des droits de l'homme et a mis des obstacles de toutes sortes au fonctionnement normal des syndicats. La Confédération internationale des syndicats libres déplore en particulier l'une des mesures prises pendant la période d'exception, à savoir la déportation de l'archevêque Makarios, et réclame l'application d'une politique qui accorderait à la population cypriote le droit à l'autonomie.
- 147. Le gouvernement a affirmé à plusieurs reprises dans sa réponse que la proclamation de l'état d'exception et l'adoption des mesures qui ont suivi ont été dictées uniquement par la nécessité de maintenir l'ordre public et de combattre le terrorisme ; ces mesures n'ont jamais eu pour objet d'empêcher les syndicats de remplir leurs fonctions légitimes.
- 148. Dans ces conditions, le Comité considère, comme il l'a fait dans certains cas antérieurs, au sujet d'allégations générales concernant les effets de l'état de siège, de l'état d'urgence ou de la loi martiale, que la proclamation de l'état d'exception en elle-même présente un aspect purement politique sur lequel il n'a pas à exprimer d'opinion, mais qu'il doit cependant examiner ses effets du simple point de vue de la liberté d'association et des droits syndicaux, en étudiant les allégations précises faites à cet égard par les plaignants. Ces allégations sont traitées sous les diverses rubriques du présent rapport du Comité.
- 149. Le deuxième point, à savoir la déportation de l'archevêque Makarios, auquel fait allusion la Confédération internationale des syndicats libres et sur lequel le gouvernement ne fait aucune observation dans sa réponse, peut également être considéré comme une mesure dont le Comité n'a pas à connaître, sauf s'il pouvait être démontré qu'elle affecte l'exercice des droits syndicaux. En l'occurrence, tout en protestant contre cette déportation, le plaignant ne prétend pas qu'elle implique en elle-même une violation de droits syndicaux.
- 150. En ce qui concerne la demande d'autonomie pour la population de Chypre, on se souviendra que lors d'un cas précédent, également relatif à Chypre, la question de l'autonomie avait été soulevée à propos de la convocation d'un congrès syndical, dont l'organisation n'avait pas été autorisée par le gouvernement parce que la question de l'« Enosis » (union avec la Grèce) était inscrite à son ordre du jour et que la discussion de cette question, dans les conditions du moment, était contraire à la législation sur la sédition. Les gouvernements d'Iran, du Pakistan et de la Grèce ont soulevé la question assez analogue du détachement possible de certaines parties du territoire national dans des cas examinés précédemment par le Comité, lorsque ces gouvernements, dans leurs réponses, ont expliqué pourquoi ils avaient pris certaines mesures que les plaignants, dans ces différents cas, considéraient comme des violations des droits syndicaux. Dans les quatre cas auxquels il est fait allusion ici, le Comité, appliquant le principe posé dans son premier rapport, selon lequel des allégations ayant une origine politique ou présentant certains aspects politiques peuvent soulever des questions directement liées à l'exercice des droits syndicaux et relevant donc de sa compétence, a examiné les aspects syndicaux des mesures qui faisaient l'objet des allégations et a fait certaines réserves de principe concernant quelques-unes d'entre elles. Mais il a néanmoins abouti à la conclusion que les allégations avaient un caractère purement politique. Dans le cas présent, la question de l'autodétermination pour la population de Chypre n'est pas associée, par le plaignant, à une allégation précise de violation de droits syndicaux, que le Comité, conformément aux précédents, aurait pu estimer nécessaire d'examiner. En conséquence, considérant ici encore que la question de l'autonomie est l'un des aspects de la question générale de Chypre qui, comme il a été indiqué, a fait l'objet d'une résolution à la 11ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies, le Comité estime qu'il s'agit ici d'une question politique sur laquelle il n'a pas à exprimer d'opinion.
- Allégations concernant le couvre-feu
- 151. Il est allégué que les couvre-feux imposés à Chypre en application de la loi sur le couvre-feu entravent gravement le fonctionnement normal des syndicats. Le gouvernement déclare que les autorités ont jugé nécessaire d'imposer le couvre-feu, dans les circonstances exceptionnelles présentes, afin de prévenir les émeutes et les effusions de sang et de maintenir l'ordre public, que le couvre-feu s'applique de la même manière à tous les membres de la collectivité et que si les syndicats en éprouvent quelque difficulté, ils n'en sont ni plus ni moins gênés que tous les autres secteurs de la collectivité.
- 152. Le gouvernement déclare que l'imposition du couvre-feu, dans les conditions existant à Chypre, est une mesure prise dans le seul but de protéger l'ordre et la légalité et ne vise pas expressément les activités des syndicats. Le Comité considère néanmoins qu'un couvre-feu, lorsqu'il est appliqué de façon excessive, risque d'entraver sérieusement l'exercice des droits syndicaux, mais que les plaignants n'ont pas fourni de preuve suffisante pour montrer que le règlement relatif au couvre-feu, applicable à l'ensemble de la collectivité, a été en fait appliqué en l'occurrence de manière à constituer une atteinte aux droits syndicaux. Dans ces conditions, sous réserve de l'observation présentée ci-dessus, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
- Allégations concernant l'arrestation et la détention sans jugement de dirigeants et de militants syndicaux
- 153. Le gouvernement déclare que, sur les dirigeants et les membres des syndicats qui auraient été arrêtés et détenus sans jugement, 25 ont été relâchés et 2 se sont évadés ; aucune trace de l'arrestation de 7 autres personnes mentionnées par les plaignants ne peut être trouvée. Le gouvernement reconnaît que 24 des personnes citées par les plaignants sont encore détenues, l'une depuis le 17 août 1955 et les autres depuis le 13 décembre 1955. Neuf d'entre elles sont des fonctionnaires de la Confédération des travailleurs de Chypre, qui sont tous, d'après le gouvernement, convaincus d'avoir été impliqués dans des activités terroristes ; 13 autres sont des dirigeants de la Fédération pancypriote du travail et, aux dires du gouvernement, des communistes militants ayant une activité préjudiciable à l'ordre et à la sécurité publics. Bien qu'elles soient détenues sans jugement - et pour certaines d'entre elles, qui sont membres dirigeants de syndicats, le gouvernement déclare qu'il est impossible de les traduire en jugement parce que les témoins à charge ne sauraient être appelés à témoigner sans que leur vie soit mise en danger -, ces personnes, comme toutes les autres personnes détenues en application de la loi sur la détention des personnes ou du règlement sur les pouvoirs extraordinaires, ont été informées, selon le gouvernement, des motifs de leur arrestation et ont bénéficié du droit de faire appel à une commission consultative, dont le président, en ce qui concerne du moins la Commission consultative fonctionnant en vertu de la loi sur la détention des personnes, était tout récemment encore juge à la Cour suprême. Le gouvernement affirme que nul n'a été arrêté pour ses activités syndicales légitimes et que les arrestations opérées ont toutes été motivées par des activités illégales absolument étrangères aux activités syndicales.
- 154. Dans plusieurs cas soumis précédemment au Comité, et dans lesquels il était allégué que des fonctionnaires ou des membres de syndicats avaient été l'objet de mesures de détention préventive, le Comité a exprimé l'opinion que les mesures de détention préventive peuvent impliquer une grave ingérence dans les activités syndicales, qui semblerait devoir être justifiée par l'existence d'une crise sérieuse et qui pourrait donner lieu à des critiques, à moins qu'elle ne soit accompagnée de garanties juridiques appropriées, mises en oeuvre dans des délais raisonnables ; il a déclaré, d'autre part, que chaque gouvernement devrait veiller à assurer le respect des droits de l'homme, et tout spécialement du droit de toute personne emprisonnée à recevoir un jugement équitable dans le plus bref délai possible.
- 155. Dans le cas présent, le gouvernement soutient que l'adoption de mesures préventives à Chypre est due à l'existence d'une crise de caractère exceptionnel. Le Comité prend note de l'affirmation du gouvernement selon laquelle un grand nombre des dirigeants de la plus importante centrale syndicale de Chypre qui ont été arrêtés appartenaient à un parti politique déclaré illégal en raison de sa participation à des activités illicites et terroristes. Tout en reconnaissant que la situation actuelle à Chypre peut avoir un caractère exceptionnel, et tout en prenant acte de la déclaration du gouvernement selon laquelle les personnes emprisonnées peuvent faire appel devant un organe qui semble avoir un caractère quasi judiciaire, le Comité estime néanmoins nécessaire de réaffirmer l'importance qu'il a toujours attachée, dans les cas de ce genre, à la garantie d'une procédure judiciaire régulière. D'autre part, lorsque à l'occasion de cas précédents, les gouvernements ont répondu aux allégations selon lesquelles des dirigeants syndicaux ou des travailleurs avaient été arrêtés pour activités syndicales en déclarant que les personnes en cause avaient en fait été arrêtées pour leurs activités subversives, pour des raisons de sécurité intérieure ou pour des crimes de droit commun, le Comité a toujours suivi la règle consistant à prier les gouvernements intéressés de fournir des informations complémentaires aussi précises que possible sur les arrestations, et en particulier sur la procédure légale ou judiciaire suivie à la suite des arrestations et sur le résultat de ces procédures. Le Comité prend note des explications du gouvernement concernant les activités illicites, étrangères au domaine normal de l'action syndicale, qui ont motivé, et ont seules motivé, d'après lui, l'arrestation des personnes en question, et de l'affirmation selon laquelle près de la moitié des syndicalistes en cause ont été relâchés, les autres personnes arrêtées ne pouvant être mises en jugement en raison du danger auquel seraient exposés les témoins s'ils déposaient devant un tribunal. Le Comité estime que la détention prolongée de personnes sans les faire passer en jugement en raison de la difficulté de présenter des moyens de preuve selon la procédure normale constitue une pratique qui implique un danger inhérent d'abus et est, pour cette raison, critiquable. Le Comité recommande au Conseil d'administration d'appeler l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au droit de toute personne arrêtée de recevoir un jugement équitable, dans les plus brefs délais possible, et d'exprimer le voeu que le gouvernement, respectueux de ce principe, lui fasse connaître en temps utile les procédures légales ou judiciaires qui auront pu être intentées dans le cas de celles des personnes mentionnées par les plaignants qui sont encore emprisonnées et le résultat des actions judiciaires intentées.
- Allégations concernant l'interdiction de syndicats et la confiscation de leurs biens
- 156. Le seul exemple précis invoqué par les plaignants à l'appui de cette allégation est celui de la Fédération des agriculteurs cypriotes (E.A.K.) qu'ils déclarent être un syndicat de petits propriétaires affilié à l'Union internationale des syndicats des travailleurs de l'agriculture et des forêts (département professionnel de la F.S.M.). Le gouvernement affirme que cette organisation, qu'il appelle l'Association des agriculteurs communistes, ne s'est jamais fait enregistrer en tant que syndicat et n'a jamais exercé d'activités syndicales proprement dites, mais qu'il s'agissait d'une association de petits propriétaires exploitants, organisation satellite du Parti ouvrier réformiste, qui a été interdite lorsque le parti politique dont elle émanait l'a été lui-même, en application du Code pénal, pour sa participation à des activités illicites et terroristes. Le gouvernement ajoute qu'il n'y a jamais eu de cas d'interdiction de syndicats ou de confiscation de biens syndicaux.
- 157. Dans ces conditions, le Comité considère que les plaignants n'ont pas suffisamment établi que des droits syndicaux ont été violés dans ce cas et recommande au Conseil d'administration de décider que ces allégations n'appellent pas un examen plus approfondi.
- Allégations concernant la fermeture et la perquisition de locaux syndicaux
- 158. Il est allégué que, dans plusieurs villes, la police ou l'armée ont fouillé des locaux syndicaux et emporté les archives, fermant les locaux dans quelques cas et causant des dégâts dans un local syndical à Nicosie. Le gouvernement reconnaît que plusieurs perquisitions ont été opérées, mais il déclare que, s'il a toujours été tenu dûment compte du caractère privé des archives syndicales, les locaux syndicaux sont susceptibles d'être perquisitionnés, tout comme n'importe quel autre local, dans les cas où il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'ils servent à des fins illégales. Le gouvernement déclare qu'il existait d'abondantes indications prouvant que certains locaux syndicaux servaient à de telles fins, et il souligne que, dans certains cas, des documents compromettants n'ayant aucun rapport avec les affaires proprement syndicales ont été trouvés et confisqués. Tout en reconnaissant que certains locaux syndicaux ont été fermés, le gouvernement déclare qu'il s'agissait là d'une mesure strictement temporaire prise pendant que les documents trouvés étaient examinés, et qu'en aucun cas des fonds syndicaux ou des documents ayant trait à des questions syndicales n'ont été saisis. En ce qui concerne les dégâts qui auraient été causés aux locaux syndicaux à Nicosie, le gouvernement explique que les services chargés d'effectuer les perquisitions ont pour instructions de le faire avec ménagement, en évitant tout dégât matériel, et de faire en sorte, chaque fois que c'est possible, qu'un représentant du syndicat assiste à la perquisition, mais que dans le cas en question, les locaux étaient inoccupés et le syndicat n'avait pu être averti d'avance, de sorte que les agents chargés de perquisitionner ont dû faire usage du droit qu'ils possèdent, en pareil cas, d'entrer par la force dans tout local.
- 159. Compte tenu des explications détaillées données ci-dessus et de la déclaration du gouvernement selon laquelle un grand nombre de dirigeants des syndicats en question étaient détenus en raison de leur association avec un parti politique interdit ou de leurs activités illicites étrangères au domaine syndical, le Comité prend note des déclarations du gouvernement selon lesquelles les locaux en question servaient à des fins illicites ou terroristes et de l'assurance donnée par lui qu'il n'a pas été emporté de fonds ou de documents syndicaux ayant trait à des questions véritablement syndicales et que la fermeture des locaux était une mesure strictement temporaire et ne devait durer que jusqu'à la fin des perquisitions.
- Allégations concernant l'interdiction de périodiques
- 160. Les plaignants allèguent que deux quotidiens, deux hebdomadaires et une revue mensuelle « de l'organisation féminine » ont été interdits, sans préciser qu'aucun de ces périodiques n'était une publication syndicale. Le gouvernement, de son côté, déclare expressément qu'aucune de ces publications n'était une publication syndicale, mais que toutes étaient des organes d'un parti politique interdit, qui poussaient au désordre et répandaient la sédition dans l'intérêt du parti.
- 161. Le Comité considère, comme il l'a fait dans le cas no 125 intéressant le Brésil, qu'il n'est pas appelé à examiner les questions relatives à la liberté de la presse en général, mais uniquement celles qui ont trait à la presse syndicale, à la lumière du principe énoncé par lui en plusieurs occasions, notamment dans le cas no 101 -, selon lequel « le droit d'exprimer des opinions au moyen de journaux ou de publications constitue un élément essentiel de la liberté syndicale ». Dans le cas en question, toutefois, le Comité avait exprimé l'avis que les organisations syndicales, lorsqu'elles font paraître leurs publications, doivent tenir compte, dans l'intérêt du développement du mouvement syndical, des principes énoncés par la Conférence internationale du Travail, à sa 35ème session, « pour la protection de la liberté et de l'indépendance du mouvement syndical et la sauvegarde de sa mission fondamentale, qui est d'assurer le développement du bien-être économique et social de tous les travailleurs ».
- 162. Considérant que le plaignant n'a pas expressément allégué qu'aucun des périodiques interdits n'ait été une publication syndicale, et que le gouvernement a affirmé qu'il ne s'agissait aucunement de publications syndicales, mais d'organes d'un parti politique interdit, le Comité estime que le plaignant n'a pas fourni de preuves suffisantes établissant que le droit des syndicats à diffuser des publications ayant trait à des questions professionnelles a été violé dans ce cas particulier.
- Allégations concernant l'interdiction de réunions
- 163. Il est allégué que la proclamation en date du 26 novembre 1955 interdit toutes les réunions, y compris les réunions syndicales, et qu'en particulier les autorités ont refusé d'autoriser l'organisation, le 27 novembre 1955, d'une conférence pancypriote des ouvriers et employés municipaux, qui avait pour seul objet la discussion de questions purement syndicales, telles que la constitution d'une fédération des syndicats de travailleurs municipaux.
- 164. Le gouvernement déclare que le règlement sur les pouvoirs extraordinaires permet effectivement d'interdire toute réunion, qu'il s'agisse ou non d'une réunion syndicale, mais il ajoute que cette faculté n'a encore jamais été utilisée à cette fin. Lorsque des réunions ont été interdites, déclare le gouvernement, ce fut en vertu de la législation ordinaire du pays, qui s'applique à l'ensemble de la collectivité et non pas spécialement aux syndicats. Le gouvernement explique que bien que, dans les circonstances actuelles, les réunions publiques constituent une source de danger, les autorités n'ont, d'une façon générale, mis aucun obstacle à l'organisation de réunions dans les locaux des syndicats lorsqu'elles avaient la conviction que ces réunions étaient destinées à la discussion de questions purement syndicales. Dans le cas particulier en question, déclare le gouvernement, les autorités locales ont interdit la convocation de la conférence, qui devait se tenir le lendemain même du jour de la proclamation, parce qu'elles ne savaient pas encore exactement quelle était la situation ; mais l'autorisation d'organiser cette conférence a été donnée par écrit le 5 décembre 1955.
- 165. Dans plusieurs cas précédents, le Comité a souligné que la liberté de réunion syndicale constituait l'un des éléments fondamentaux des droits syndicaux. Toutefois, dans le cas no 62 intéressant les Pays-Bas, le Comité a affirmé que si le droit de tenir des réunions syndicales est un élément essentiel de la liberté syndicale, les organisations intéressées sont toutefois tenues de respecter les dispositions générales relatives aux réunions publiques, applicables à tous ; d'autre part, dans le cas no 61, relatif à la Tunisie, le Comité a reconnu, avec la même réserve de principe, que l'exigence d'une autorisation préalable pour l'organisation de réunions, y compris même de réunions de caractère syndical, pouvait se justifier dans le cas de réunions publiques organisées en période d'état de siège. Le Comité considère que la proclamation de règlements d'exception autorisant le gouvernement à soumettre l'organisation de réunions publiques à des restrictions applicables non seulement aux réunions publiques syndicales, mais à toutes les réunions publiques et suscitée par des événements que le gouvernement a considérés comme étant à ce point sérieux qu'ils justifiaient la proclamation d'un état d'exception, ne constitue pas en elle-même une violation de la liberté syndicale. Il reste à voir si une violation des droits syndicaux a été commise, en l'occurrence, dans l'application de ces règlements.
- 166. En ce qui concerne le refus opposé par les autorités à l'organisation d'une conférence syndicale le 27 novembre 1955, lendemain de la proclamation de l'état d'exception, le Comité, au vu des explications du gouvernement selon lesquelles les autorités locales ne savaient pas exactement, sitôt après la proclamation de l'état d'exception, dans quelle mesure l'interdiction des réunions devait être appliquée, et de son affirmation que l'autorisation d'organiser la conférence a été donnée par écrit le 5 décembre 1955, constatant, d'autre part, que le plaignant a omis de préciser si la conférence devait ou non se tenir dans des locaux syndicaux, considère qu'il est inutile d'examiner d'une façon plus approfondie l'examen de cet aspect particulier du cas.
- 167. Enfin, bien que le gouvernement déclare que la proclamation en question a été interprétée libéralement dans le cas de réunions privées et que, d'une façon générale, les autorités n'ont pas mis d'obstacle à l'organisation de réunions syndicales dans les locaux syndicaux lorsqu'elles avaient la conviction que leur seul objet était la discussion de questions véritablement syndicales, l'organisation de réunions syndicales dans les locaux syndicaux n'en reste pas moins, semble-t-il, soumise à la discrétion des autorités. Dans le cas no 61, relatif à des événements survenus en Tunisie pendant l'état de siège, le Comité, notant qu'une réunion syndicale, organisée dans un local syndical, avait été interdite parce que les autorités avaient des raisons précises de penser que la réunion servirait à des fins politiques, a recommandé au Conseil d'administration de décider que les allégations relatives aux restrictions apportées à l'organisation de réunions syndicales n'appelaient pas d'examen plus approfondi. Il n'est toutefois parvenu à cette conclusion qu'après avoir observé que les réunions syndicales n'étaient pas soumises au régime de l'autorisation préalable, comme l'indiquaient les plaignants, mais à une simple déclaration aux autorités compétentes. Dans le cas présent, le Comité considère que si le gouvernement devait exercer ses pouvoirs dans leur totalité, au point d'interdire l'organisation de réunions syndicales dans des locaux syndicaux, simplement parce que les autorités ne seraient pas convaincues que les discussions seraient limitées à ce qu'elles considèrent comme des affaires purement syndicales, une telle application de ces pouvoirs pourrait, si elle ne reposait pas sur des raisons très puissantes, liées au maintien de l'ordre public, qui justifieraient cette interdiction dans certains cas, porter atteinte au principe selon lequel les syndicats doivent avoir le droit de se réunir en toute liberté dans leurs propres locaux, sans l'intervention des autorités. Cependant, en l'absence de toute preuve précise que le gouvernement a, en dehors du cas assez spécial traité au paragraphe 166 ci-dessus, fait effectivement usage de son pouvoir d'interdire des réunions syndicales organisées dans des locaux syndicaux, le Comité, sous réserve des observations faites ci-dessus, recommande au Conseil d'administration de décider que les allégations en question n'appellent pas un examen plus approfondi.
- Allégations concernant les entraves apportées à l'action des piquets de grève
- 168. Il est allégué: 1) que 8 membres de piquets de grève installés à Dhekelia lors d'une grève des employés des N.A.A.F.I, organisée pour la défense de leurs revendications professionnelles, ont été arrêtés et conduits à 13 kilomètres de là avant d'être libérés; 2) que 11 membres de piquets de grève ont été arrêtés le 11 janvier 1956 alors qu'ils réclamaient la libération de chefs syndicalistes emprisonnés; 3) que le 12 janvier 1956, des employés des N.A.A.F.I, en grève pendant 48 heures, se sont vu interdire le droit d'installer des piquets de grève.
- 169. Il est à noter que le gouvernement déclare que la législation de Chypre autorise précisément l'organisation de piquets de grève lors d'une grève licite, si elle a lieu sans violence et en vue du règlement d'un conflit du travail.
- 170. En ce qui concerne la première allégation, le gouvernement déclare que l'établissement de piquets de grève était licite et que la patrouille qui a opéré les arrestations a outrepassé ses droits. Ayant ainsi admis qu'une erreur avait été commise à cette occasion, le gouvernement déclare qu'il a pris des mesures en vue d'éviter la répétition d'un tel incident en donnant pour instructions aux forces de sécurité de ne pas troubler les piquets de grève licites. Le Comité, tout en soulignant l'importance qu'il attache au principe suivant lequel les piquets de grève organisés dans le respect de la loi ne doivent pas voir leur action entravée par les autorités publiques, prend acte des mesures prises par le gouvernement en vue d'éviter la répétition d'une telle intervention des autorités dans l'organisation des piquets de grève licites.
- 171. Au sujet de la deuxième allégation, le gouvernement déclare qu'elle est trop vague pour qu'il puisse vérifier et localiser l'incident précis auquel il est fait allusion. Il fait observer toutefois que des membres de piquets de grève organisés dans un autre objet que le règlement d'un conflit du travail ont été arrêtés dans certains cas, non pas en tant que membres d'un piquet de grève, mais pour avoir participé à un attroupement public illégal, et que si les piquets de grève en question réclamaient la libération de personnes emprisonnées, on peut difficilement considérer ce genre de piquet de grève comme organisé en vue du règlement d'un conflit du travail. Les témoignages apportés par les deux parties semblent indiquer que les personnes en cause participaient à une manifestation publique tendant à protester contre une mesure prise en application des règlements en vigueur et s'étaient par là même mises en état d'être arrêtées en tant que participants à un attroupement public interdit par ces règlements, et qu'elles ne peuvent, par conséquent, se prévaloir de l'immunité dont jouissent les piquets de grève agissant dans l'ordre et le calme en vue du règlement d'un conflit du travail. Dans ces conditions, le Comité estime que, dans ce cas particulier, les plaignants n'ont pas établi de façon satisfaisante que des droits syndicaux avaient été violés.
- 172. En ce qui concerne la troisième allégation, le gouvernement déclare également que le plaignant n'a pas donné d'indications assez précises pour permettre une enquête sur l'incident évoqué. Bien que le plaignant précise la date de l'incident, le Comité note qu'il n'indique pas le lieu où il s'est produit ni celui des nombreux magasins des N.A.A.F.I où il est survenu. Dans ce cas, par conséquent, le Comité considère que l'allégation est trop vague pour permettre un examen quant au fond.
- Allégations concernant l'abrogation du droit de grève et le pouvoir d'imposer un emploi
- 173. Il est allégué, premièrement, que les hôtels et restaurants ont été ajoutés à la liste des entreprises essentielles - qui comprend les boulangeries, les services d'approvisionnement en électricité et eau potable, les hôpitaux, les télécommunications, les docks et les emplois civils sur les aérodromes utilisés par la R.A.F. -, les plaignants invoquant que la liste ainsi établie peut être indéfiniment allongée ; deuxièmement, que le Règlement sur les pouvoirs extraordinaires qualifie d'illégales toutes les grèves « qui n'ont pas pour seul objet le règlement d'un conflit du travail » ; troisièmement, que le gouverneur peut interdire une grève, même si elle n'est pas illégale, afin d'empêcher l'interruption du travail ; quatrièmement, « qu'en vertu de l'article 60 du règlement sur les pouvoirs extraordinaires », le gouverneur peut imposer à toute personne un emploi spécifié par lui, aux conditions dictées par lui-même, et peut interdire aux travailleurs de s'absenter de leur poste de travail ou d'arriver en retard à leur travail de façon répétée et continue ; cinquièmement, qu'une grève lancée par trois des centrales syndicales de Chypre pour appuyer une grève de mineurs a été interdite par une ordonnance spéciale.
- 174. Le gouvernement déclare qu'à la suite du déclenchement de grèves générales à caractère politique, accompagnées de graves tentatives d'intimidation dirigées contre les travailleurs récalcitrants, il a pris certaines mesures tendant à assurer l'ordre public et la légalité. Le règlement sur les pouvoirs extraordinaires déclare illégales toutes les grèves dont l'objet n'est pas limité au règlement d'un conflit du travail. Le gouverneur dispose également du pouvoir d'interdire même une grève déclenchée lors d'un conflit du travail, mais ce pouvoir, selon le gouvernement, n'a encore jamais été utilisé. Le gouvernement reconnaît que les grèves dans les entreprises essentielles sont interdites, ainsi qu'il est allégué, mais il nie que la liste des entreprises essentielles puisse être indéfiniment allongée.
- 175. Le gouvernement reconnaît que le pouvoir d'imposer un emploi donné au gouverneur par l'article 60 du règlement sur les pouvoirs extraordinaires (qui est identique aux pouvoirs exercés au Royaume-Uni pendant la guerre, en vertu du règlement sur la défense nationale) est d'une vaste portée, mais il exprime l'espoir que les travailleurs des entreprises essentielles ne seront pas l'objet d'intimidations telles que les autorités soient placées dans la nécessité d'en faire usage. Toutefois, ajoute le gouvernement, ces pouvoirs seraient utilisés, en cas de besoin, pour maintenir la sécurité et l'ordre publics ou pour assurer l'approvisionnement et le fonctionnement réguliers des services essentiels à la vie de la collectivité. En fait, déclare le gouvernement, il n'a été fait usage de ces pouvoirs qu'une seule fois, à l'occasion de la grève de solidarité lancée en faveur des employés de l'Hellenic Mining Company, mentionnée par les plaignants. Une ordonnance a été adoptée, en application de l'article 60 du règlement, interdisant aux travailleurs employés dans certains établissements ou services relevant de la marine, de l'armée ou de l'aviation, de s'absenter de leur travail le jour où l'ordre de grève devait être suivi ; cette interdiction ne s'appliquait pas aux travailleurs employés dans des occupations civiles ordinaires n'ayant aucun caractère militaire.
- 176. Dans un certain nombre de cas, le Comité a jugé utile de faire observer que, dans la plupart des pays, il est reconnu que la grève constitue une arme légitime à laquelle les syndicats peuvent recourir pour défendre les intérêts de leurs membres, tant que ce droit s'exerce d'une manière pacifique et en tenant dûment compte des restrictions auxquelles il peut être soumis à titre temporaire. Le Comité a notamment fait observer que, dans le cas des services essentiels, les grèves peuvent être l'objet d'interdiction temporaire, jusqu'à l'épuisement des moyens existants de négociation, de conciliation ou d'arbitrage, mais que la limitation du droit de grève dans les services essentiels a pour corollaire l'obligation de prévoir des dispositions satisfaisantes en vue du règlement des revendications présentées ; le Comité a toujours souligné l'importance qu'il attache à ce que, dans les cas où les grèves sont interdites dans les services essentiels, des garanties appropriées soient accordées pour sauvegarder pleinement les intérêts des travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de défense professionnelle.
- 177. Le gouvernement fait observer que certaines des mesures en vertu desquelles le droit de grève est aujourd'hui restreint à Chypre ont été prises à la suite du déclenchement de grèves politiques présentant un caractère grave, ou de grèves visant à faire pression sur le gouvernement ou la collectivité. Or, le Comité a déjà considéré que l'interdiction de grèves de ce genre ne constituait pas une atteinte à la liberté syndicale. Il est vrai, d'autre part, que le Comité, dans le cas no 73, a considéré que la législation adoptée en temps de guerre par un pays belligérant pouvant mettre les syndicats, à l'instar des autres collectivités ou individus, dans l'obligation d'accepter que certaines restrictions supplémentaires soient imposées à leur liberté d'action, en dehors de celles qui sont normalement prévues par la législation en vigueur en temps de paix ; le Comité pourra estimer qu'une situation présentant un caractère aussi exceptionnel que celle qui semble exister actuellement à Chypre à plusieurs égards, peut être considérée, sous ce rapport, comme semblable à celle d'un pays engagé dans des hostilités déclarées. Néanmoins, le Comité n'a reçu aucune information indiquant s'il existe un système permettant le règlement des différends et sauvegardant les intérêts des travailleurs, qui sont privés du droit de se mettre en grève dans le cadre d'un conflit du travail par suite de l'application de la législation relative aux entreprises et services essentiels, de l'article 61 du règlement sur les pouvoirs extraordinaires, qui permet d'interdire même les grèves licites, ou de l'article 60 du règlement, qui permet d'imposer un emploi et qui, déclare le gouvernement, a été appliqué en une occasion pour interdire une grève envisagée par les travailleurs. Dans ces conditions, tenant compte du fait que même la législation de guerre appliquée au Honduras britannique dans le cas cité ci-dessus, qui interdisait les grèves, prévoyait cependant l'arbitrage obligatoire, le Comité estime qu'avant d'adresser ses recommandations finales, sur cet aspect de la question, au Conseil d'administration, il devrait, tout en remerciant le gouvernement des observations qu'il a déjà communiquées, le prier de bien vouloir lui fournir des indications sur le système de conciliation ou d'arbitrage des différends ou sur les autres systèmes de sauvegarde des intérêts des travailleurs qui peuvent être mis en jeu dans le cas où une grève serait interdite en application de l'ordonnance sur les services essentiels ou des articles 60 ou 61 du règlement sur les pouvoirs extraordinaires.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 178. Compte tenu de toutes les circonstances, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de décider:
- i) que les allégations concernant l'état d'exception, les protestations contre la déportation de l'archevêque Makarios et les demandes d'autonomie pour l'île de Chypre ont trait à des questions politiques et n'appellent pas, par conséquent, un examen plus approfondi ;
- ii) en ce qui concerne les allégations relatives à l'interdiction de syndicats, à la confiscation de leurs biens et au règlement sur le couvre-feu, que les plaignants n'ont pas suffisamment établi qu'il avait été porté atteinte à des droits syndicaux et que ces allégations n'appellent donc pas un examen plus approfondi ;
- b) de noter, au sujet des allégations concernant la fermeture et la perquisition de locaux syndicaux, la déclaration des autorités selon laquelle elles avaient des raisons valables de soupçonner que les locaux en question servaient à des fins illicites ou terroristes, et l'assurance qu'il n'a pas été emporté de fonds ni de documents syndicaux, que la fermeture des locaux était une mesure strictement temporaire ne devant durer que jusqu'à la fin des perquisitions, et de décider, dans ces conditions, que ces allégations n'appellent pas un examen plus approfondi ;
- c) de noter, au sujet des allégations concernant l'interdiction de périodiques, que le plaignant n'a pas fourni de preuves suffisantes établissant qu'en l'occurrence le droit des syndicats de diffuser des publications ayant trait à des questions professionnelles a été violé, et de décider, par conséquent, que ces allégations n'appellent pas un examen plus approfondi ;
- d) d'appeler l'attention du gouvernement, au sujet des allégations concernant l'interdiction de réunions, sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel la liberté des réunions spéciales constitue un des éléments fondamentaux des droits syndicaux, et sur son opinion que, si le gouvernement devait exercer ses pouvoirs dans leur totalité, au point d'interdire l'organisation de réunions syndicales dans des locaux syndicaux, simplement parce que les autorités ne seraient pas convaincues que les discussions seraient limitées à ce qu'elles considèrent comme des affaires purement syndicales, une telle application de ces pouvoirs pourrait, si elle ne reposait pas sur des raisons très puissantes, liées au maintien de l'ordre public, qui justifierait cette interdiction dans certains cas, porter atteinte au principe selon lequel les syndicats doivent avoir le droit de se réunir en toute liberté dans leurs propres locaux, sans l'intervention des autorités ; de décider, cependant, qu'en l'absence de toute preuve précise que le gouvernement a, en dehors du cas assez spécial traité au paragraphe 166 ci-dessus, fait effectivement usage de son pouvoir d'interdire des réunions syndicales organisées dans les locaux syndicaux, cet aspect du cas, sous réserve des observations ci-dessus, n'appelle pas un examen plus approfondi ;
- e) à propos des allégations concernant les entraves mises par les forces de sécurité à l'action des piquets de grève autorisés par la loi, de prendre acte de l'assurance donnée par le gouvernement qu'il a pris, à la suite d'une telle intervention dans un des cas mentionnés dans l'allégation, des mesures propres à éviter le retour d'incidents de ce genre, en donnant pour instructions aux forces de sécurité de ne pas entraver l'action des piquets de grève licites ; de noter, au sujet du deuxième cas de prétendue entrave à l'action des piquets de grève, que les plaignants n'ont pas suffisamment établi qu'il y avait eu violation de droits syndicaux et, en ce qui concerne le troisième cas, que l'allégation est trop vague pour permettre un examen quant au fond ;
- f) de noter, au sujet des allégations relatives à l'arrestation et à la détention sans jugement de dirigeants et de membres de syndicats, qu'un certain nombre de dirigeants syndicaux sont encore emprisonnés et, tout en reconnaissant que la situation à Chypre peut avoir un caractère exceptionnel, d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au droit de toute personne détenue de faire l'objet d'un jugement équitable dans les plus brefs délais possible, et d'exprimer l'espoir que le gouvernement tiendra compte de ces principes et fera connaître en temps utile au Conseil d'administration les procédures légales ou judiciaires qui pourront être suivies dans le cas des personnes en question qui sont encore emprisonnées, ainsi que le résultat de ces procédures ;
- g) de prendre note du présent rapport intérimaire en ce qui concerne les allégations relatives à l'abrogation du droit de grève et au pouvoir d'imposer un emploi, étant entendu que le Comité présentera au Conseil d'administration un nouveau rapport sur ces questions lorsqu'il aura reçu à ce sujet de nouvelles observations de la part du gouvernement du Royaume-Uni.