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- 39. La Confédération des syndicats nationaux (CSN) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement du Canada (Québec) par des communications datées des 6 décembre 1993 et 22 juin 1994.
- 40. Le gouvernement du Canada, par une communication du 9 août 1994, a transmis les observations du gouvernement du Québec, datées du 2 août 1994.
- 41. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; en revanche, il n'a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 42. Dans sa communication du 6 décembre 1993, la CSN soutient que la loi modifiant le Code du travail, entrée en vigueur le 19 mai 1994 (ci-après intitulée "la loi"), contrevient aux principes de la liberté syndicale garantis par les conventions nos 87, 98 et 154, ainsi que par la Constitution de l'OIT.
- 43. La CSN, fondée en 1921, regroupe 2 200 syndicats et plus de 240 000 travailleurs principalement dans la province de Québec. Ces syndicats sont regroupés en neuf fédérations syndicales, réparties par secteur d'activités, dans le secteur privé et les services publics. La majorité des syndicats affiliés à la CSN seraient touchés par cette loi, tant dans le secteur privé que dans les services publics, par exemple les municipalités. Cependant, les secteurs publics et parapublics (hôpitaux, commissions scolaires et fonctionnaires) ne sont pas visés par les mesures législatives contestées dans la plainte.
- 44. Dans sa version antérieure, le Code du travail prévoyait que la durée des conventions collectives était d'au moins un an et d'au plus trois ans (art. 65). En outre, le code prévoyait que la période pendant laquelle une accréditation peut être demandée se situe entre le 90e et le 60e jour précédant la date d'expiration de la convention collective: ce texte permettait donc de vérifier la représentation de l'association accréditée au moins tous les trois ans, lorsqu'un autre syndicat prétendait posséder le caractère représentatif. Aux termes des nouvelles dispositions, la délivrance d'un certificat d'accréditation au syndicat le plus représentatif dans une unité donnée, assurant la reconnaissance comme agent exclusif aux fins de négociation et de représentation de l'ensemble des travailleurs de l'unité, ne peut être remise en question pour une période pouvant aller jusqu'à six ans et demi.
- 45. Ces nouvelles dispositions font en sorte que, pour les conventions collectives dont la durée est de plus de trois ans, la période durant laquelle la vérification de la représentativité serait possible se situe du 180e jour au 150e jour précédant l'expiration de la convention collective. A titre d'exemple, si l'employeur et l'association accréditée concluent une convention collective de sept ans, toute autre organisation ne peut demander une accréditation pour le même groupe que six ans et demi après la signature de la convention collective. Il s'agit là d'une atteinte au droit des travailleurs de choisir l'organisation représentative dans un délai raisonnable (toutes les autres juridictions du travail au Canada reconnaissent le droit de changer d'association accréditée au moins tous les trois ans).
- 46. La CSN soutient que les nouveaux délais imposés par le Code du travail du Québec sont clairement déraisonnables en regard des principes énoncés par le comité lui-même, notamment dans les cas nos 533 (Inde), 559 (Trinité-et-Tobago) et 1385 (Nouvelle-Zélande).
- 47. Par ailleurs, l'article 15 de la loi, en conjonction avec l'article 2, fait en sorte qu'un membre d'association accréditée se verrait interdire de devenir membre d'une autre association ou de s'y affilier pour une période pouvant aller jusqu'à six ans et demi selon la durée de la convention collective conclue entre l'association accréditée et l'employeur. Auparavant, cette interdiction ne pouvait dépasser une période de trois ans vu l'interdiction des conventions collectives de plus de trois ans. Cet article porte donc atteinte au droit à l'affiliation à l'organisme de son choix et contrevient notamment aux articles 2, 5, 8 et 11 de la convention no 87.
- 48. En outre, le fait qu'une association accréditée et un employeur peuvent conclure des conventions collectives de longue durée, sans qu'une autre association puisse présenter une demande d'accréditation avant une longue période (pouvant aller jusqu'à six ans et demi), n'assure pas une protection adéquate contre les actes d'ingérence en ce que cette possibilité en elle-même incite les employeurs qui voudraient créer une organisation syndicale dominée à le faire et à s'assurer ainsi une "paix" de six ans et demi sans aucune véritable négociation. Les travailleurs qui voudraient constituer un syndicat non dominé par l'employeur seraient, dans les faits, contraints d'attendre l'écoulement de la période de six ans et demi avant de pouvoir prétendre à la représentativité et négocier. Cela porte atteinte au droit à une protection adéquate contre tout acte d'ingérence, en violation de l'article 2 de la convention no 98.
- 49. Enfin, la loi permettant aux parties de négocier des conventions collectives pour de longues périodes (5 ans, 10 ans, 20 ans, etc.) sans que celles-ci puissent être dénoncées par une des parties, cela peut constituer après quelques années d'application un carcan duquel une partie ne pourra se libérer en négociant des conditions de travail adaptées à la réalité, sauf entre cinq ans et demi et six ans et demi de l'application de la convention collective, par le choix d'une nouvelle association représentative. Ces dispositions portent donc atteinte au droit de négocier.
- 50. Dans sa communication du 22 juin 1994, la CSN souligne que la modification intervenue entre le dépôt du projet de loi et son adoption introduit une exception pour la première convention collective, qui ne peut durer plus de trois ans. Cette modification fait en sorte que, dans tous les cas de première convention collective, la période où il est permis aux travailleurs de demander un changement d'allégeance syndicale lorsqu'une autre association possède le caractère représentatif requis se situe entre un an et trois ans, selon la durée de la convention (art. 22 d) du Code du travail, art. 2 de la loi). En revanche, dans tous les cas de renouvellement d'une convention collective, les parties pourront convenir de repousser la période où une autre association peut demander l'accréditation, entre cinq ans et demi et six ans et demi à compter de la date de renouvellement de la convention collective (art. 22 e) du Code du travail). Cette modification n'assure le respect des principes de la liberté syndicale que dans les cas de première convention, mais la plainte initiale reste fondée en ce qui concerne les autres conventions.
B. Observations du gouvernement
B. Observations du gouvernement
- 51. Dans sa communication du 2 août 1994, le gouvernement du Québec soutient que les dispositions critiquées par l'organisation plaignante respectent les principes de la liberté syndicale de l'OIT et, avant de répondre spécifiquement aux allégations, décrit les principales caractéristiques du régime de relations professionnelles.
- 52. Les règles relatives à l'accréditation permettent à une association qui prétend représenter la majorité absolue des salariés d'un groupe défini d'employés d'un même employeur (l'unité de négociation) de demander à être reconnue comme l'agent exclusif de l'ensemble des salariés de l'unité pour la négociation et l'application d'une convention collective (art. 21 et 67). Cette accréditation est le fait d'un organisme spécialisé et indépendant, dont la décision se fonde sur des critères objectifs connus d'avance. Elle ne peut être remise en cause qu'à des périodes bien définies, correspondant à l'échéance de la convention collective. Avant les modifications apportées par la loi, elle pouvait survenir, selon la durée convenue de la convention collective, entre un et trois ans, soit les limites minimale et maximale imposées par la loi.
- 53. L'absence de possible remise en cause de l'accréditation, hors ces périodes, ne signifie cependant pas qu'il soit impossible d'écarter un syndicat qui ne représenterait pas vraiment les intérêts des travailleurs. D'une part, le code prévoit qu'on n'accordera pas l'accréditation à un syndicat dominé (art. 12, 29 et 31) et, d'autre part, qu'on peut en tout temps se plaindre qu'une association s'est laissée dominer et en obtenir la dissolution (art. 12, 143, 145 et 149). L'ordonnance de dissolution procédant d'un constat judiciaire de domination, il s'ensuit que l'association dissoute est privée de son accréditation. S'agissant d'un attribut essentiel à la conclusion, par une association de salariés, d'une convention collective, cette dernière devient donc sans fondement juridique. De plus, même si le code n'en traite pas et qu'un tel geste n'a aucun impact sur l'accréditation, un groupe de salariés conserve la possibilité, en fonction des statuts qui gouvernent le fonctionnement de l'association, de changer les dirigeants syndicaux, même pendant la durée de la convention collective.
- 54. Une fois l'accréditation accordée, l'association accréditée et l'employeur sont tenus d'amorcer et de poursuivre les négociations, en vue de la conclusion d'une convention collective, avec diligence et bonne foi (art. 53, 141 et 144). Pour les aider, la loi met à leur disposition des moyens pour résoudre leur différend: la conciliation (art. 54 et 55) ou l'arbitrage (chap. IV, sections 1 et 1.1 du code et art. 15 de la loi sur le ministère du Travail, L.R.Q., c. M-32.1). La loi ne dicte pas le contenu de la convention collective, mais laisse libre cours à la négociation, dans la mesure où elle porte sur des conditions de travail, au sens large du terme, et qu'on ne contrevient pas à l'ordre public ou à la loi (art. 62). Il ne peut y avoir qu'une seule convention collective à l'égard du groupe visé par l'accréditation (art. 67), dont la signature est subordonnée à la tenue d'un vote d'acceptation des membres du syndicat, au scrutin secret (art. 20.3).
- 55. Le code prescrit qu'une mésentente relative à l'interprétation ou à l'application de la convention doit être soumise à la procédure d'arbitrage des griefs (art. 100 et suiv.). La grève et le lock-out sont donc interdits pendant la durée du contrat, sauf lors d'une réouverture des négociations en vertu d'une clause de la convention (art. 107). Ces moyens de pression lourds ne peuvent être utilisés, moyennant préavis, qu'entre deux conventions collectives ou - phénomène plus rare, puisque l'arbitrage d'une première convention collective peut avoir lieu à la demande d'une seule partie - lors d'une première négociation (art. 58 et 93.1 et suiv.). Pendant toute la durée de la grève ou du lock-out, l'employeur se voit interdire, en raison des dispositions du code dites "antibriseurs de grèves", de remplacer à leur poste les salariés grévistes ou "lock-outés", que ce soit par d'autres de ses salariés non affectés par le conflit, par toute personne embauchée après que ne débute la phase des négociations, par un entrepreneur ou par une personne à l'emploi d'un autre employeur. La loi interdit aussi d'utiliser les services de salariés dissidents. De plus, l'employeur ne peut, dans l'établissement en grève, utiliser des cadres de ses autres établissements, sauf si des salariés de ces autres établissements font aussi partie de l'unité de négociation en grève ou en lock-out. L'employeur qui désirerait maintenir ses activités malgré le conflit n'a donc d'autre choix que celui de recourir à ses cadres, avec la réserve mentionnée ci-haut, ou de céder sa production à un sous-traitant extérieur à l'établissement en grève ou en lock-out. Le code prévoit également que le gréviste ne perd pas son emploi du fait de la grève et bénéficie d'un droit préférentiel de recouvrer son emploi à la fin du conflit (art. 110 et 110.1).
- 56. Sur le plan individuel, le salarié est protégé contre les agissements antisyndicaux de son employeur (art. 13, 143 et 14 et suiv.) et dispose de recours pour contester les manquements du syndicat (dont il peut très bien ne pas être membre) à son devoir de représentation à l'égard de l'ensemble des salariés de l'unité d'accréditation (art. 47.2, 144 et 47.3 et suiv.). Finalement, le code prévoit que les changements affectant l'entreprise (aliénation, concession totale ou partielle, division, fusion ou changement de structure juridique) ne font pas disparaître l'accréditation du syndicat, ni la convention collective; le nouvel employeur demeure lié (art. 45).
- 57. S'agissant des amendements introduits par la loi, seules les dispositions concernant la durée des conventions collectives ne sont pas unanimement acceptées, et font l'objet de la plainte; il s'agit des articles 2, 13, 15 et 35. L'article 13, dont les trois autres découlent, modifie l'actuel article 65 du Code du travail en faisant disparaître la limite maximale de trois ans de durée des conventions collectives. Dorénavant, les parties qui le désirent pourront convenir d'un contrat répondant à leur besoin, avec pour seule limite une durée déterminée d'un an au minimum. Les modifications introduites par les articles 2 et 15 de la loi sont des dispositions de concordance avec celle qui concerne la durée des conventions: elles précisent les périodes de changement d'allégeance syndicale (maraudage (Pratique visant à recruter comme membres d'un syndicat des travailleurs faisant partie d'un autre syndicat déjà établi.)) et de changement d'affiliation syndicale, dans le cadre d'une convention collective de longue durée.
- 58. La date d'expiration de la convention collective a toujours servi de point de référence pour déterminer la période où les salariés peuvent exprimer leur désir de changer de représentant collectif. Si l'on ne voulait pas compromettre la liberté d'association, une telle règle ne pouvait demeurer intacte dans la perspective d'un contrat à long terme de plus de sept ans. On imagine mal en effet que pour une convention collective d'une durée de dix ans il ne soit possible de contester le caractère représentatif du syndicat accrédité qu'à l'approche de la dixième année. Il apparaissait également souhaitable que cette période, dite de changement d'allégeance, survienne avant que ne s'amorce la négociation pour le renouvellement de la convention collective qui, elle, peut débuter 90 jours avant l'expiration de la convention.
- 59. Ainsi, le paragraphe e) de l'article 22 du code, tel qu'introduit par l'article 2 de la loi, prévoit que, pour une convention collective d'une durée supérieure à trois ans, la période de changement d'allégeance sera devancée pour se tenir du 180e au 150e jour précédant l'expiration du contrat. Il est aussi prévu, pour tout contrat d'une durée supérieure à sept ans, que s'ajoute une période intercalaire de maraudage du 180e au 150e jour précédant le sixième anniversaire de la convention et, le cas échéant, précédant chaque deuxième anniversaire par la suite. Le tableau qui suit illustre l'application de ce nouveau texte en fonction de la durée convenue de la convention collective.
- "Scénario de maraudage", selon la durée de la convention
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- Durée Début de la (des) Règle applicable période(s) de maraudage ------------------------------------------------------------------
- 3 ans 1/2 2 ans 9 mois (fin) 180e-150e jour
- 4 ans 3 ans 6 mois (fin) 180e-150e jour
- 6 ans 5 ans 6 mois (fin) 180e-150e jour
- 6 ans 1/2 6 ans (fin) 180e-150e jour
- 7 ans 6 ans 6 mois (fin) 180e-150e jour
- 7 ans 1 mois 5 ans 6 mois (intercalaire 6 ans) + 6 ans 7 mois (fin) 180e-150e jour
- 7 ans 2 mois 5 ans 6 mois (intercalaire 6 ans) 6 ans 8 mois (fin) 180e-150e jour
- 8 ans 5 ans 6 mois (intercalaire 6 ans) 7 ans 6 mois (fin) 180e-150e jour
- 9 ans 1 mois 5 ans 6 mois (intercalaire 6 ans) 7 ans 6 mois (intercalaire 8 ans) 8 ans 7 mois (fin) 180e-150e jour
- 10 ans 5 ans 6 mois (intercalaire 6 ans) 7 ans 6 mois (intercalaire 8 ans) 9 ans 6 mois (fin) 180e-150e jour ------------------------------------------------------------------
- 60. En ce qui concerne les périodes où il est permis de changer d'affiliation syndicale (art. 73 du code, modifié par l'article 15 de la loi), la loi ne fait que maintenir la règle antérieure, en l'adaptant au contexte des conventions de longue durée. La modification permet donc comme auparavant, pour une convention de trois ans ou moins, que le changement d'affiliation survienne dans les 90 jours de la fin de la convention et, pour celles de plus longue durée, dans les 180 jours qui suivent le début de toute période de maraudage.
- 61. Selon le gouvernement, la préoccupation de l'organisation plaignante ne concerne pas tant le déplafonnement de la durée maximale des conventions collectives que ses accessoires indispensables: la modification des délais de changement d'allégeance et d'affiliation syndicale, délais dont dépend la périodicité de la négociation. Pour la CSN, les délais proposés seraient trop longs en regard des principes établis en cette matière par le Comité de la liberté syndicale. Le gouvernement soutient à cet égard que ces principes ne peuvent s'appliquer littéralement à la loi, sans d'abord considérer le contexte social, économique et juridique dans lequel intervient cette loi modificatrice, de même que l'esprit et le contexte des décisions rendues par les organes de contrôle de l'OIT.
- 62. S'agissant du contexte socio-économique, le gouvernement souligne que, au cours des cinq dernières années, le Canada est passé, à la faveur de la signature de l'Accord de libre-échange avec les Etats-Unis (ALE) puis tout récemment de l'Accord de libre-échange avec les Etats-Unis et le Mexique (ALENA), du stade d'une économie relativement fermée à celui d'une économie ouverte sur le monde. La restructuration des marchés consécutive à la signature de ces accords de même que la réalité économique du début de cette décennie ont conduit les partenaires québécois en entreprise, employeurs, syndicats et salariés, compte tenu de leur maturité, à s'engager dans de nouvelles expériences de rapports de travail axées sur le partenariat plutôt que sur l'affrontement. C'est ainsi que, sans aucun dirigisme étatique s'est développé un modèle de rapports de travail baptisé le "contrat social", un trait distinctif du Québec dans l'ensemble nord-américain. Par une démarche d'accompagnement, le gouvernement du Québec a soutenu la négociation et la conclusion de tels accords débordant le cadre de la négociation collective traditionnelle, en raison soit des matières couvertes (garanties d'investissement), soit encore de la durée de validité de l'entente en cause, compte tenu généralement du temps nécessaire pour concrétiser les objets de l'accord. Pour l'essentiel, ces accords auraient pu être inscrits à la convention collective, n'eût été la durée maximale prévue par l'article 65 du Code du travail.
- 63. Les partenaires à la négociation développèrent donc certains outils pour pallier un interdit législatif tombé en désuétude: entente parallèle; signature, à l'avance, de deux conventions collectives, à exécution successive, la seconde étant retenue pour être déposée à la date prévue d'entrée en vigueur; ou encore, plus prosaïquement, conclusion d'un contrat de quatre, cinq, six ans ou plus, malgré l'interdit législatif. Déjà une quarantaine de ces ententes, dont une vingtaine auraient été négociées par des syndicats affiliés à la CSN, ont été conclues à ce jour. Comme en font foi des décisions apparemment contradictoires de la Cour supérieure (jointes en annexe aux observations du gouvernement), la valeur juridique de telles ententes pose problème. Si l'on devait s'en tenir à la teneur du premier jugement, on pourrait même poser que ces ententes constituent au plus un accord à l'amiable dont la valeur, au-delà de la troisième année, le maximum légal prévu, ne repose que sur la bonne foi des parties concernées. Vis-à-vis des tiers, tout comme d'une partie voulant forcer le respect de l'accord, c'est comme si, pour l'application du code, il n'existait rien. Le "maraudage" serait donc possible et, si l'accréditation était accordée au syndicat maraudeur, ce dernier pourrait refuser d'appliquer le contrat de longue durée signé par son prédécesseur et réclamer une nouvelle négociation, conformément aux règles prévues à l'article 61 du code. Disparaissent alors pour l'entreprise tous les avantages escomptés de la stabilité des conditions de travail, consignées dans un contrat de longue durée et pour lesquelles elle aura peut-être fait un certain nombre de concessions, dorénavant considérées comme des acquis. Il en va tout autant des concessions et des avantages anticipés du syndicat antérieur, quoique dans une moindre mesure, puisque le remplacement de l'association procède de la décision des salariés. La situation pourra toutefois être tout aussi problématique pour le syndicat et les membres qu'il représente s'il y a substitution d'employeur à la direction de l'entreprise. En ce cas, les règles relatives à la transmission d'entreprise (art. 45 et 46) ne sauraient avoir pour conséquence de lier le nouvel employeur aux termes d'un contrat vieux de plus de trois ans. L'application, et surtout l'interprétation du contrat, pourrait également poser problème dans la mesure où l'une des parties pourrait bien prétendre avec succès qu'un arbitre ne peut valablement être saisi d'un grief dans la quatrième année de la convention collective.
- 64. De tels flottements, générés par les règles du Code du travail et la jurisprudence, susciteraient la méfiance des parties pourtant désireuses de s'engager dans la négociation et la conclusion d'une convention collective de plus longue durée. Il deviendrait donc impossible pour elles de répondre aux besoins de stabilité et de modernité de leurs rapports, ce que commande l'environnement économique actuel. Dans ce contexte, l'intervention de l'Etat apparaît donc justifiée, dans la mesure d'un équilibre à maintenir entre la stabilité des interlocuteurs patronaux et syndicaux et le droit des salariés de choisir, périodiquement, leur représentant syndical. Les amendements introduits maintiennent cet équilibre.
- 65. S'agissant du contexte juridique, le gouvernement soutient que le Code du travail continue d'assurer la promotion et l'exercice des droits d'association et de négociation collective. En fait, les dispositions qui font l'objet de la plainte n'ont pour objectif que de sécuriser juridiquement les partenaires, employeurs et syndicats (dont ceux affiliés à la plaignante CSN), relativement à la signature de contrats de longue durée, une réalité de plus en plus présente à laquelle la législation n'avait pas su s'adapter. Cette sécurité mutuelle des partenaires aurait pu être atteinte en se satisfaisant d'une disparition du plafond de trois ans pour la durée des conventions collectives (art. 65 du Code du travail). Ce faisant, la possibilité de remplacement de l'interlocuteur syndical, à l'expiration du contrat, aurait pu être reportée, en fonction de la durée d'un contrat donné, à des intervalles beaucoup plus longs que celui proposé par les modifications apportées. C'est ce qui justifie l'introduction, à l'article 22 du code, d'un amendement autorisant, dans le cas d'un contrat à long terme de plus de sept ans, une période intercalaire de changement d'allégeance syndicale (art. 2 du projet, introduisant un nouveau paragraphe e) à l'article 22 du code). Alors que, jusqu'à maintenant, par l'effet combiné des articles 22, paragraphe d), 61 et 45 du code, employeurs et salariés étaient liés par les termes du contrat de travail jusqu'à son expiration, l'amendement favorisera les salariés puisqu'ils seront les seuls, par le remplacement de leur association, à pouvoir dénoncer avant terme un contrat de longue durée. En fixant au plus tard cette première période de changement d'allégeance à six ans et demi du début du contrat, le gouvernement estime avoir atteint un juste équilibre entre le besoin de sécurité des partenaires à la négociation et le respect du droit d'association des salariés.
- 66. Par comparaison, la plupart des autres législateurs au pays (provinciaux ou fédéral), tout en ne fixant aucune limite à la durée des conventions collectives, permettent aussi qu'un changement d'allégeance syndicale puisse survenir à un ou des moments déterminés, pendant la durée d'un contrat collectif à long terme. Dans un cas (Ontario), le contrat en cours cesse automatiquement de s'appliquer comme conséquence de l'accréditation d'une nouvelle association de salariés, alors que dans d'autres le syndicat qui se substitue au signataire original peut dénoncer la convention en vigueur (fédéral, Alberta, Colombie-Britannique, par exemple). Ce changement d'interlocuteur syndical peut survenir, pour une première occasion, entre le 18e et le 35e mois d'application de la convention collective, selon la juridiction concernée. Il aurait été facile d'adopter une formule semblable, n'eût été que, selon le gouvernement, le fait d'autoriser une date, quelle qu'elle soit, pour la tenue d'un premier maraudage, risquait de se traduire, dans les faits, par la fixation indirecte d'un nouveau plafond à la durée des conventions collectives. On pouvait alors craindre que peu d'employeurs et de syndicats soient tentés de faire les concessions qu'impose un contrat de longue durée si demeurait omniprésente la possibilité qu'un nouvel interlocuteur syndical puisse remplacer à court terme le signataire de la convention et faire fi, pour l'avenir, de ce contrat à long terme. Au seul plan statistique, l'expérience ailleurs au Canada confirme cette appréhension, puisque la très grande majorité des conventions collectives sont négociées pour une durée correspondant à la première période autorisée de maraudage.
- 67. Le gouvernement souligne qu'aucune démonstration factuelle n'est avancée par le plaignant, permettant de croire que les nouvelles périodes envisagées pour les changements d'allégeance syndicale sont déraisonnables, qu'elles sont démesurément longues au point d'entraîner une violation systématique des droits des salariés de choisir leur association représentative. Le plaignant n'avance aucune donnée établissant que les nouveaux délais, qui s'échelonnent de deux ans neuf mois à six ans six mois (voir tableau ci-dessus), seraient particulièrement inadéquats en regard de l'expérience ou de la pratique passée au Québec quant à la fréquence des changements d'allégeance syndicale. Rien n'impose de choisir le chiffre trois plutôt que deux, quatre ou six comme étant la durée limite pour pouvoir remettre en cause la représentativité d'un syndicat accrédité. Le législateur avait l'obligation de tracer une ligne de démarcation et la tâche d'arbitrer les revendications divergentes de différents groupes de la collectivité sur ce qui constitue la période idéale où doit pouvoir être remise en question la représentativité d'un syndicat. A cet égard, le gouvernement considère qu'il n'a pas exercé de façon déraisonnable la marge de manoeuvre qui est la sienne lorsqu'il aborde des questions de politique sociale et tente de concilier les intérêts opposés. Il estime avoir atteint, par ces nouvelles dispositions sur la période de changement d'allégeance, un juste équilibre entre le besoin de sécurité des partenaires à la négociation et le respect du droit des salariés. Ces dispositions répondent adéquatement au besoin de moderniser le Code du travail face aux nouvelles réalités du marché du travail, tout en assurant une paix industrielle pendant la durée de la convention collective négociée et en assurant le choix des salariés de leur association représentative par la possibilité de changements d'allégeance syndicale à des périodes suffisamment fréquentes.
- 68. Par ailleurs, la durée d'une convention collective demeure, comme elle l'a toujours été, un des éléments de la négociation. C'est dire que, comme les autres conditions de travail, la durée de la convention est négociable et la conclusion d'une convention collective, quel que soit son terme, continue d'être une démarche volontaire. De plus, la signature du contrat est toujours subordonnée à l'expression du désir des salariés membres de l'association (art. 20.3 du code).
- 69. La plainte laisse aussi entendre qu'il sera plus facile à un syndicat dominé de s'installer et de maintenir sa place dans l'entreprise, compte tenu du délai d'attente pour le déloger. Désireux d'éviter cette situation et conscient du problème, le législateur a amendé la loi pour interdire aux partenaires qui en sont à leur première négociation collective de conclure une convention d'une durée supérieure à trois ans puisqu'il s'agit du moment où l'association de salariés est plus vulnérable: la situation antérieure demeure donc inchangée à leur égard. Pour ceux-là comme pour les autres, le code continue aussi de prévoir, et en tout temps, la possibilité qu'une plainte soit déposée alléguant que l'association est dominée par l'employeur (art. 12 et 143 du code). La plainte est entendue par un tribunal judiciaire indépendant, dont la décision débouche sur une condamnation au paiement d'une amende, à laquelle il est possible d'ajouter une demande d'ordonnance de dissolution de l'association dominée (art. 149). Si la dissolution est prononcée par le tribunal, les salariés peuvent alors fonder une nouvelle association, requérir qu'elle soit accréditée et négocier une nouvelle convention collective, en remplacement du contrat annulé en conséquence de la dissolution de l'association signataire.
- 70. Sur le plan individuel, les salariés ne sont pas non plus privés, par la loi, des recours et des mécanismes de protection contre l'arbitraire syndical mis à leur disposition par le Code du travail. En plus d'avoir le droit, par vote au scrutin secret, d'exprimer leur accord à la signature de la convention collective, les membres de l'association ont droit d'accès aux états financiers de leur association et peuvent contester, qu'ils soient membres ou non, le manquement du syndicat à son devoir de représentation à leur égard (art. 20.3, 47.1, 47.2 et 144). Si le manquement syndical survient en contexte de renvoi ou de sanction disciplinaire, le salarié visé dispose d'un recours particulier lui permettant, dans un premier temps, de faire constater le manquement (par exemple, refus du syndicat de procéder à l'arbitrage de son grief de congédiement) et d'obtenir ensuite le renvoi à l'arbitrage (art. 47.2 à 47.6). Successivement, le processus fait intervenir un enquêteur du ministère de l'Emploi si le salarié le requiert, puis le Tribunal du travail et, ultimement, l'arbitre de griefs.
- 71. Le gouvernement souligne que ces mécanismes n'ont de sens que s'ils se traduisent par une présence syndicale importante. Or le taux de syndicalisation au Québec est l'un des plus élevés d'Amérique du Nord, tous secteurs confondus, et la représentation est diversifiée. En effet, la très grande majorité des salariés couverts par convention collective sont représentés par un syndicat affilié à l'une des quatre grandes centrales québécoises, des groupements sur lesquels l'Etat n'exerce aucun contrôle. Une bonne part des autres salariés sont regroupés au sein de fédérations syndicales indépendantes. Le dynamisme syndical n'est donc nullement brimé par la législation du travail au Québec, bien au contraire, et rien dans la loi ne remet en cause cette réalité. Le Code du travail, comme il le fait depuis plusieurs décennies, continue de reconnaître le droit d'association (art. 3); d'assurer sa protection par des interdictions et des mécanismes de contestation appropriés devant des instances indépendantes (art. 12 et suiv.); de permettre à toute association représentative d'être accréditée, suite à la vérification de son caractère représentatif par un organisme indépendant, et selon des critères précis, objectifs et connus d'avance (art. 21 à 44); de favoriser la négociation et la conclusion d'une convention collective (art. 52 à 73); de favoriser, par des mécanismes appropriés et indépendants (arbitrage de différend et arbitrage de griefs) le règlement des mésententes portant sur la négociation ou l'interprétation d'une convention collective (art. 74 à 102); d'autoriser la grève pour appuyer la négociation d'une convention collective, en l'assortissant de mécanismes de protection, d'une portée sans équivalent en Amérique du Nord, sous la forme d'interdits à l'employeur de recourir à une main-d'oeuvre de remplacement (mesures "antibriseurs de grèves", art. 109.1 et suiv.); de permettre, enfin, que la violation d'une de ses dispositions donne ouverture à une plainte et à une condamnation à l'amende prononcée par un tribunal judiciaire indépendant, le Tribunal du travail (art. 118, alinéa 2, et 141 et suiv.).
- 72. Le gouvernement estime que les dispositions faisant l'objet de la plainte sont conformes aux principes de la liberté syndicale. Tel qu'amendé, le Code du travail n'altère ni le droit d'un salarié de ne pas s'associer, ni celui de participer à la formation, aux activités ou d'être membre d'une autre association en tout temps. La modification apportée n'impose pas une durée d'appartenance syndicale obligatoire. Celle-ci découlera plutôt de la durée de la convention collective négociée librement par les parties (syndicats et employeurs). Il s'agit en quelque sorte d'une garantie de stabilité de l'interlocuteur syndical autorisée par la loi pour une plus longue période, celle-ci n'ayant pas comme résultat un système de monopole syndical contraire aux principes de la liberté syndicale. (Voir BIT, La liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 248; 259e rapport, cas no 1385 (Nouvelle-Zélande), paragr. 551; BIT: RCE, Liberté syndicale et négociation collective, étude d'ensemble, rapport III (partie 4B), CIT, 69e session, 1983, paragr. 144 et 145.) En d'autres termes, l'amendement contesté relativement au changement d'allégeance syndicale ne fait que régir la périodicité de tels changements.
- 73. Le gouvernement prie le comité d'examiner la loi à la lumière de la décision des organes de contrôle de l'OIT de laisser "à la pratique et à la réglementation de chaque Etat le soin de décider s'il convient de garantir aux travailleurs ... le droit de ne pas adhérer à une organisation professionnelle ou, au contraire, d'autoriser et, le cas échéant, de réglementer l'utilisation des clauses et pratiques de sécurité syndicale". (Voir Etude d'ensemble, ibid., paragr. 142.)
- 74. Enfin, le gouvernement du Québec estime que les précédents mentionnés par la CSN ne s'appliquent pas en l'espèce. En effet, en ce qui concerne le cas no 533 (Inde), les deux syndicats qui avaient conclu l'accord de cinq ans avec la compagnie avaient agi sans le consentement et à l'insu de la majorité des travailleurs. Dans ce cas, les syndicats n'étaient pas représentatifs de l'ensemble des travailleurs et ne pouvaient les représenter aux fins des négociations collectives et de la conclusion de l'accord de cinq ans. De plus, la reconnaissance syndicale relevait dans ce cas de l'employeur, alors qu'ici elle procède de la décision d'un organisme indépendant. Finalement, contrairement à ce que laisse entendre la CSN, on ne retrouve pas dans cette décision quelque passage où le comité affirmerait que le délai de cinq ans, avant de pouvoir espérer remplacer l'interlocuteur syndical, soit déraisonnable. Quant au cas no 559 (Trinité-et-Tobago), une disposition législative exigeait qu'une convention collective ait une durée fixée par accord entre les parties et non inférieure à trois ans. Par ailleurs, la loi assurait au syndicat représentatif de la majorité des travailleurs qu'il les représenterait pour la durée fixée par la convention collective. Dans ce cas, la loi protégeait l'interlocuteur syndical pendant une durée minimale de trois ans. Si l'on comprend bien la décision du comité, particulièrement le paragraphe 132, c'est l'absence de maraudage intercalaire qui fut déterminant pour rendre la décision. Or tel n'est pas le cas dans le cadre de l'amendement apporté par la loi.
- 75. Le gouvernement ajoute qu'aux termes d'un amendement à la loi il a pris l'engagement de soumettre à une commission de l'Assemblée nationale, la Commission permanente de l'économie et du travail, un rapport d'évaluation des nouvelles mesures (durée des conventions et nouvelles périodes de maraudage), au plus tard en l'an 2000. Tous les citoyens québécois, de même que les associations syndicales, pourront alors s'exprimer sur le sujet et proposer des réajustements si nécessaire.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 76. Le comité note que la présente plainte concerne certaines des modifications législatives apportées au Code du travail du Québec par la loi no 116, en particulier l'article 13 de cette loi qui abolit la durée maximale des conventions collectives et dont découlent les autres dispositions critiquées. Selon la CSN, ces amendements entraînent des violations des principes de la liberté syndicale parce qu'ils peuvent entraîner des délais déraisonnables, notamment en ce qui concerne la vérification de la représentativité des syndicats, les possibilités d'affiliation à une autre organisation, la création de syndicats dominés par l'employeur et la négociation collective. Pour le gouvernement, ce déplafonnement était nécessaire pour assurer la sécurité juridique des conventions collectives de longue durée, phénomène contractuel apparu récemment en réponse à un nouveau contexte socio-économique.
- 77. L'ancien texte de l'article 65 du Code du travail se lisait comme suit: "La durée de la convention collective est d'au moins un an et d'au plus trois ans." Le texte qui lui a été substitué est formulé ainsi: "Une convention collective doit être d'une durée déterminée d'au moins un an. La durée doit être d'au plus trois ans s'il s'agit d'une première convention collective pour le groupe de salariés visé par l'accréditation."
- 78. Les nouvelles dispositions du Code du travail, telles qu'expliquées tant par le gouvernement que l'organisation plaignante, ont pour conséquence d'allonger les délais dans lesquels sont permis les changements d'allégeance et d'affiliation syndicales et, partant, la périodicité de la négociation collective. La CSN considère que ces délais sont déraisonnables et y voit également un risque de constitution de syndicats dominés par l'employeur.
- 79. De l'avis du comité, les difficultés soulevées par l'organisation plaignante découlent des particularités du régime de relations professionnelles du Québec, notamment le droit de représentation exclusif des salariés de l'unité de négociation (membres ou non du syndicat) octroyé au syndicat le plus représentatif, pour une période déterminée en fonction de la durée de la convention collective.
- 80. Le comité a déjà fait observer à cet égard que la reconnaissance du statut d'agent de négociation exclusif au syndicat le plus représentatif n'est pas nécessairement incompatible avec la convention no 87, pourvu que certaines garanties soient assurées et qu'elles comprennent notamment: "a) l'octroi du certificat par un organisme indépendant; b) le choix de l'organisation représentative par un vote de la majorité des travailleurs dans l'unité considérée; c) le droit pour une organisation qui n'obtient pas un nombre de voix suffisant de demander une nouvelle élection après un délai déterminé; d) le droit pour une organisation autre que les organisations ayant reçu un certificat de demander une nouvelle élection au bout d'une période déterminée, souvent douze mois après l'élection précédente". (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 237.)
- 81. Les deux premières conditions mentionnées ci-dessus ne sont pas ici remises en question. Quant aux deux autres critères, qui constituent en fait deux facettes d'un même droit, plusieurs aspects méritent d'être soulignés eu égard au contexte législatif particulier de la présente plainte. Tout d'abord, et c'est peut-être l'aspect le plus important, la durée des conventions collectives (qui, il importe de le rappeler, conditionne les délais et la périodicité des changements d'allégeance et d'affiliation syndicales) reste un des éléments de la négociation volontaire; un comité syndical de négociation pourrait ainsi être disposé à conclure une convention d'une durée plus longue que le maximum antérieurement prévu par le code, en contrepartie d'avantages d'ordre financier ou autre. Il ressort d'ailleurs des informations fournies au comité qu'une quarantaine de ces ententes ont été conclues, dont une vingtaine par des syndicats affiliés à la CSN. Par ailleurs, les parties demeurent libres de négocier des clauses de réouverture de négociations de certains aspects de la convention, si certaines conditions se réalisent ou encore au bout d'une certaine période. De plus, la signature de la convention reste sujette à ratification au scrutin secret par les membres de l'association accréditée, ce qui confère à ces derniers un droit de veto sur un projet de convention qu'ils jugeraient inacceptable, signifiant par là même leur défiance à l'égard de l'équipe de négociation et donc du syndicat en place. Il était dès lors compréhensible, dans un tel contexte de négociation collective volontaire, que le gouvernement veuille traduire dans les textes une pratique qui avait commencé à se développer, assurer le statut juridique des conventions d'une durée supérieure à trois ans, et éviter ainsi qu'elles ne soient remises en cause par une partie qui tenterait de se soustraire à ses obligations, en arguant du fait qu'elle se serait engagée pour une durée supérieure au maximum prévu par le code.
- 82. En ce qui concerne les cas de première convention collective, où les syndicats sont à la fois plus vulnérables aux tentatives d'ingérence et de domination et dans une position de négociation plus faible, le plafond de trois ans est conservé dans la loi et la situation reste inchangée à cet égard.
- 83. S'agissant des allégations de l'organisation plaignante relatives aux risques de domination et d'ingérence par un employeur, le comité observe que les mécanismes prévus par le Code du travail pour y remédier, et notamment le recours à un organe judiciaire indépendant, continuent de s'appliquer, tant au moment de la demande initiale d'accréditation que par la suite. S'il est vrai que les risques de représentation inadéquate des salariés concernés augmentent lorsque l'on allonge la périodicité du renouvellement des conventions collectives, les commentaires faits ci-dessus sur le caractère volontaire de la négociation restent applicables: la loi n'impose pas la conclusion de conventions de longue durée, elle le permet et, dans le cas où les parties l'acceptent par voie de négociation, elle introduit des délais - certes plus longs que ceux établis par les dispositions antérieures - mais qui permettent les changements d'allégeance et d'affiliation.
- 84. Pour toutes les raisons qui précèdent, le comité considère que les amendements concernant le déplafonnement de la durée des conventions collectives, et ses conséquences sur les délais en matière de vérification de représentativité, de négociation collective, de changement d'allégeance et d'affiliation syndicale, ne constituent pas une violation des principes de la liberté syndicale. Le comité est toutefois conscient que, au moins potentiellement, la possibilité de conventions collectives de très longue durée fait naître le risque qu'un syndicat dont le caractère représentatif est tangent soit tenté de consolider sa position en acceptant une longue convention au détriment de l'intérêt véritable des travailleurs.
- 85. Le comité note à cet égard que le gouvernement déclare avoir pris l'engagement de soumettre à une commission de l'Assemblée nationale, "au plus tard en l'an 2000", un rapport d'évaluation des nouvelles mesures et que tous les citoyens, y compris les organisations syndicales, pourront alors s'exprimer sur le point de savoir si les objectifs de la loi ont été atteints et proposer des ajustements si nécessaire. Le comité considère que, si des problèmes d'application pratique des nouvelles dispositions devaient se concrétiser, dans la forme et avec l'ampleur évoquées par l'organisation plaignante, cette période apparaît trop longue. Il recommande donc que le gouvernement fasse rapport à la commission en question dans un délai plus court, par exemple dans les trois ans de l'entrée en vigueur de la loi, afin que tous les partenaires sociaux puissent procéder, dans un contexte tripartite, à un bilan de l'application pratique de ces nouvelles dispositions et proposer les modifications jugées appropriées.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 86. Vu les conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité considère que les amendements législatifs concernant le déplafonnement de la durée des conventions collectives, et ses conséquences sur les délais en matière de vérification de représentativité, de changement d'allégeance et d'affiliation syndicales, et de négociation collective, ne constituent pas une violation des principes de la liberté syndicale.
- b) Conscient cependant que le délai d'évaluation des nouvelles mesures est très long, le comité recommande que le gouvernement fasse rapport à la Commission permanente de l'économie et du travail dans un délai plus court que le terme envisagé, par exemple dans les trois ans de l'entrée en vigueur de la loi, afin que les partenaires sociaux puissent procéder, dans un contexte tripartite, à un bilan de l'application pratique des nouvelles dispositions et proposer les modifications jugées appropriées.