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- 517. La plainte de la Fédération des syndicats libres de l'Ukraine figure dans des communications en date des 26 février et 2 juillet 1999. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication en date du 30 juillet 1999.
- 518. L'Ukraine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de la fédération plaignante
A. Allégations de la fédération plaignante- 519. La Fédération des syndicats libres de l'Ukraine indique d'abord qu'elle est opposée à certaines dispositions, notamment les articles 11 et 16, de la loi sur "les syndicats, leurs droits et la protection de leurs activités", récemment adoptée par le Parlement de l'Ukraine. La fédération plaignante explique également que le Président de l'Ukraine a utilisé la procédure de veto pour renvoyer le projet de loi pour révision mais n'a pas demandé, dans ses observations, que la teneur des articles 11 et 16 soit modifiée. De ce fait, même si le Parlement examine actuellement ce texte, la fédération plaignante maintient sa position quant à la nécessité de modifier les articles 11 et 16.
- 520. Plus précisément, la Fédération des syndicats libres de l'Ukraine avance que l'article 11 de la loi sur les "syndicats, leurs droits et la protection de leurs activités" est incompatible avec l'article 2 de la convention no 87. En effet, l'article 11 prévoit que les syndicats ont un statut de syndicat de district s'ils ont des liens organiques dans la majorité des unités territoriales administratives du même district et dans les villes de Kiev et de Sébastopol; ... ou qu'ils regroupent la majorité des membres syndiqués de la même catégorie de profession travaillant dans le district et dans les villes de Kiev et Sébastopol. Le fait qu'un syndicat ait le statut d'organisation couvrant toute l'Ukraine sera déterminé sur la base de l'un des principes suivants: 1) existence de liens syndicaux organiques dans la majorité des unités territoriales administratives de l'Ukraine; 2) existence de liens syndicaux organiques dans la majorité des unités territoriales administratives de l'Ukraine dans lesquelles sont situés les entreprises, établissements et organisations d'une branche donnée et qui réunissent au moins un tiers des membres syndiqués de la branche; 3) association dans un syndicat de la majorité des membres syndiqués d'une catégorie professionnelle donnée travaillant en Ukraine.
- 521. La fédération plaignante observe que les dispositions de l'article 11, qui précise les conditions d'octroi d'un statut d'organisation locale, régionale et à l'échelle de l'Ukraine aux syndicats -- prévoyant notamment que, pour avoir un statut d'organisation régionale ou à l'échelle de l'Ukraine, un syndicat doit réunir plus de la moitié des travailleurs de la branche concernée ou avoir des unités organiques dans la majorité des territoires administratifs de l'Ukraine --, violent le principe constitutionnel de l'égalité de tous les syndicats. Pour la fédération plaignante, cet article met les syndicats de l'Ukraine dans une situation d'inégalité puisque seuls les syndicats ayant l'appui de l'Etat, qui constituent la Fédération des syndicats de l'Ukraine, rempliraient ces critères.
- 522. Un autre point souligné par la fédération plaignante concerne les dispositions de l'article 16 de la loi mentionnée ci-dessus. Cet article prévoit que la légalisation des syndicats et de leurs associations sera obligatoire et se fera au moyen de leur enregistrement, ... la demande d'enregistrement étant examinée dans un délai d'un mois à partir de la date de réception des documents. Pendant ce délai, l'organisme légalisateur procédera à la vérification de la correspondance entre les statuts et les dispositions de l'article 11 de ladite loi, inscrira l'organisation dans le registre d'association des citoyens et délivrera un certificat. Pour la fédération plaignante, cet article implique qu'un syndicat n'est constitué qu'après enregistrement par les organismes d'Etat appropriés. Cette disposition va à l'encontre de la Constitution de l'Ukraine; elle implique une intervention de l'Etat dans le processus de constitution d'un syndicat et met un terme à l'indépendance du mouvement syndical en Ukraine.
- 523. De plus, la fédération plaignante estime inacceptable la partie 2 des dispositions finales de la loi qui prévoit que les syndicats et leurs associations, qui ont déjà déployé des activités sur le territoire de l'Ukraine, devront dans un délai de six mois à partir de l'entrée en vigueur de la présente loi, être légalisés conformément à cette même loi sans avoir à acquitter de taxe d'enregistrement. Cette disposition entraîne la dissolution automatique de tous les syndicats qui ne satisfont pas aux dispositions des articles 11 et 16 de la nouvelle loi.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 524. Le gouvernement indique tout d'abord que l'allégation selon laquelle l'article 11 de la loi sur "les syndicats, leurs droits et la protection de leurs activités" viole les principes d'égalité, d'indépendance et de démocratie dans le processus de libre développement des syndicats est sans fondement. Le gouvernement explique que l'article 2 de la loi dispose que l'objet de la création de syndicats est de représenter, d'appliquer et de défendre les droits et intérêts des citoyens aux plans socio-économique et du travail. Aux termes de la loi, le droit d'un syndicat de défendre les intérêts de ses membres et ses pouvoirs en la matière ne dépend pas de son statut. Pour ce qui est du statut des syndicats, le gouvernement souligne que les dispositions y relatives ont pour objet, en Ukraine comme dans de nombreux autres pays, de déterminer la représentation d'un syndicat aux niveaux national, régional et de la branche à des fins de consultations, de négociation collective, de participation aux organes tripartites, etc.
- 525. En ce qui concerne l'article 16 de la loi qui prévoit que les syndicats doivent obtenir une reconnaissance juridique grâce à l'enregistrement, le gouvernement explique que la reconnaissance juridique correspond à une reconnaissance officielle des syndicats une fois établis et ne peut donc être considérée comme une autorisation.
- 526. Enfin, le gouvernement fait remarquer que la loi a été rédigée en consultation directe avec les représentants des syndicats. Le Comité des affaires sociales et de la politique sociale du Conseil suprême a créé une commission consultative composée notamment de représentants de tous les syndicats nationaux. Selon le gouvernement, la version définitive des articles 11 et 16 a été proposée par des représentants syndicaux. Le gouvernement reconnaît qu'un certain nombre de dispositions de la loi ne sont effectivement pas conformes à la Constitution et à la législation nationale de l'Ukraine mais précise que c'est précisément la raison pour laquelle le Président a renvoyé la loi au Conseil suprême pour une nouvelle lecture.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 527. Le comité note que ce cas a trait à des allégations relatives à l'adoption d'une législation sur les syndicats contraire aux principes de la liberté syndicale. Plus précisément, le comité prend note des dispositions des articles 11 et 16 de la loi sur "les syndicats, leurs droits et la protection de leurs activités" qui constituent les principaux objets de la plainte.
- 528. En ce qui concerne l'article 11 de la loi, le comité note que, pour obtenir le statut d'organisation de district ou à l'échelle de l'Ukraine, un syndicat doit réunir plus de la moitié des travailleurs de la même catégorie de profession ou doit disposer d'unités organiques dans la majorité des unités territoriales administratives du même district ou la majorité des unités territoriales administratives de l'Ukraine. Il note également que l'article 16 prévoit l'enregistrement obligatoire d'un syndicat par un organisme de légalisation qui vérifiera que les statuts du syndicat remplissent les critères de l'article 11. Le comité note en outre que, d'après les dispositions finales de la loi, les syndicats en place disposent de six mois à partir de la date d'entrée en vigueur de ladite loi pour régulariser leur situation par un enregistrement, faute de quoi leurs activités deviendront illégales.
- 529. En ce qui concerne l'article 11 de la loi, le comité rappelle que les prescriptions en matière de compétence territoriale ou d'effectifs devraient relever des statuts élaborés par les syndicats eux-mêmes. En fait, toutes dispositions législatives qui vont au-delà des exigences de forme risquent d'entraver la constitution et le développement des organisations et constituent une intervention contraire à l'article 3, paragraphe 2, de la convention. (Voir étude d'ensemble sur la liberté syndicale et la négociation collective, 1994, paragr. 111.)
- 530. Concernant l'article 16 de la loi, le comité rappelle que les législations nationales qui prévoient le dépôt des statuts des organisations sont compatibles avec l'article 2 de la convention s'il s'agit d'une simple formalité ayant pour but d'assurer leur publicité. En revanche, des problèmes peuvent se poser lorsque les autorités responsables sont tenues par la loi d'inviter les fondateurs des organisations à incorporer dans leurs statuts des exigences juridiques qui portent elles-mêmes atteinte aux principes de la liberté syndicale. En outre, le comité rappelle que l'article 7 de la convention no 87 dispose que "l'acquisition de la personnalité juridique par les organisations de travailleurs et d'employeurs, leurs fédérations et confédérations, ne peut être subordonnée à des conditions de nature à mettre en cause l'application des dispositions des articles 2, 3 et 4 de la convention". Sont donc compatibles avec la convention les législations qui confèrent automatiquement la personnalité juridique à l'organisation dès sa constitution, que ce soit suite à une constitution sans formalités, au dépôt des statuts, à une procédure d'enregistrement ou à d'autres formalités qui sont conformes à la convention. Toutefois, dans le cas présent, il apparaît que les dispositions des articles 11 et 16 de la loi, qui confèrent un certain statut à un syndicat si celui-ci réunit plus de la moitié des travailleurs de la même catégorie de profession et prévoient que celui-ci doit ensuite être enregistré conformément au statut qui lui a été accordé, ne sont pas compatibles avec les dispositions de la convention no 87. Le comité rappelle que le principe de la liberté syndicale risquerait très souvent de rester lettre morte si les travailleurs et les employeurs devaient, pour pouvoir constituer une organisation, obtenir une autorisation quelconque. Il n'en reste pas moins que les fondateurs d'un syndicat doivent observer les prescriptions de publicité et les autres dispositions analogues qui peuvent être en vigueur en vertu d'une législation déterminée. Une disposition exigeant qu'un syndicat ait un siège enregistré est une disposition normale dans un grand nombre de pays. Toutefois, ces prescriptions ne doivent pas équivaloir en pratique à une autorisation préalable. Même dans le cas où l'enregistrement est facultatif, s'il dépend de cet enregistrement que les organisations obtiennent les droits fondamentaux nécessaires pour pouvoir défendre et promouvoir les intérêts de leurs membres, le simple fait que dans ce cas l'autorité chargée de l'enregistrement dispose d'un pouvoir discrétionnaire de le refuser crée une situation qui ne diffère guère de celle qu'entraînerait l'exigence d'une autorisation préalable. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 244 et 253; voir également étude d'ensemble sur la liberté syndicale et la négociation collective, 1994, paragr. 70 et 76.)
- 531. En ce qui concerne les dispositions finales de la loi qui accordent six mois aux syndicats existants pour régulariser leur situation par l'enregistrement, le comité estime que ces dispositions ne posent pas de problème. Toutefois, dans le cas présent, considérant les exigences des articles 11 et 16 qui ne sont pas compatibles avec les principes de la liberté syndicale, ces dispositions finales deviennent inacceptables car elles correspondent à une dissolution administrative des syndicats qui ne remplissent pas ces critères.
- 532. Enfin, le comité note que le gouvernement reconnaît que certaines dispositions de la loi ne sont pas compatibles avec la Constitution ni avec la législation nationale. Le comité estime que, dans ce contexte, de nouvelles consultations devraient avoir lieu avec tous les syndicats, y compris la fédération plaignante, afin d'éliminer les lacunes de la loi et il invite donc le gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour aligner les articles 16 et 11 de la loi sur "les syndicats, leurs droits et la protection de leurs activités" sur les dispositions de la convention no 87. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 533. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Estimant que les articles 11 et 16 de la loi sur les syndicats, leurs droits et la protection de leurs activités portent atteinte à la convention no 87 et que de nouvelles consultations avec tous les syndicats, y compris la fédération plaignante, devraient avoir lieu de manière à éliminer les lacunes de cette loi, le comité invite le gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la conformité des articles 11 et 16 de la loi avec les dispositions de la convention et à le tenir informé de l'évolution de la situation à cet égard.
- b) Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur l'aspect législatif de ce cas.