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- 512. La plainte figure dans des communications du Syndicat national unitaire des instituteurs et des professeurs des écoles normales (SNUIPEN) datées du 10 août 2004, et des 18 janvier et 13 juin 2005.
- 513. Le gouvernement a transmis sa réponse dans une communication datée du 1er mars 2005.
- 514. Le Cameroun a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (nº 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 515. Dans sa communication du 10 août 2004, M. Joseph Ze, secrétaire général du Syndicat national unitaire des instituteurs et des professeurs des écoles normales (SNUIPEN), explique que ce dernier est l’organisation la plus importante et la mieux structurée du secteur de l’enseignement: plus de 27 000 adhérents (maternelle, primaire et enseignement normal) sur un total de 50 500 enseignants, tous niveaux confondus. Créé en mai 1999, le SNUIPEN a obtenu son agrément en juillet 2000 et a tenu son premier congrès ordinaire en août 2001; il a participé en novembre 2001 à la création de la Confédération des syndicats indépendants du Cameroun et, en mai 2004, à la mise en place de la Coordination nationale des syndicats de l’enseignement.
- 516. Alors qu’il préparait son deuxième congrès ordinaire, le SNUIPEN est entré dans une crise interne qui a servi de prétexte à certains membres des forces de l’ordre pour violer les droits syndicaux, avec la complicité de quelques membres du syndicat. Un certain Roger Messi Bikoe, en violation des statuts du syndicat, a convoqué en catimini des «conseils nationaux», tenus en mai 2004, où les participants ont décidé la destitution de M. Ze sans l’en aviser, et ont tenté de s’accaparer des fonds et biens du SNUIPEN. Par mesure conservatoire, les fonds ont été transférés sur un nouveau compte bancaire. Ayant échoué dans leurs manœuvres, M. Bikoe et les dissidents ont saisi la gendarmerie nationale, accusant M. Ze d’un détournement de fonds de 6 000 000 de francs CFA, sans aucune preuve matérielle.
- 517. Arrêté le vendredi 16 avril 2004 au matin, M. Ze a été conduit à la gendarmerie, où il a été soumis à un interrogatoire sommaire et musclé par le capitaine Mengnfo Faï et l’adjudant-chef Ndjekida. Faute de preuve, le motif initial de la plainte fut abandonné et remplacé par une nouvelle exigence, soit de libérer 3 800 000 FCFA, représentant la subvention allouée par le ministère de l’Education nationale au SNUIPEN. Ayant refusé d’obtempérer, M. Ze fut mis en cellule durant tout le week-end. De nouveau soumis le lundi 19, de 8 heures à 14 heures, à un interrogatoire entrecoupé de retours en cellule, il a finalement accepté de se rendre en compagnie de l’adjudant-chef Ndjekida à la banque vers 15 heures, où une somme de 2 300 000 FCFA fut décaissée et remise à l’officier; ce dernier, de retour à la gendarmerie, a toutefois fait état d’une somme de 2 250 000 FCFA, s’étant approprié 50 000 FCFA sur le chemin du retour. Jugeant la somme insuffisante, les dissidents ont exigé de M. Ze une reconnaissance de dette qu’il a fini par signer sous la pression, exténué, avant d’être libéré le 19 avril.
- 518. M. Ze a dénoncé les faits au ministère de l’Education nationale et porté plainte au secrétariat d’Etat à la Défense (SED), dont dépend la gendarmerie. L’enquête est en cours devant le SED. Le capitaine Mengnfo Faï a été destitué de son poste en attendant les conclusions de l’enquête. L’adjudant-chef Ndjekida menace continuellement M. Ze pour avoir osé défier la gendarmerie. Les dissidents, quant à eux, continuent à dépenser les fonds syndicaux frauduleusement acquis. Selon le plaignant, même si les conclusions de l’enquête étaient transmises à la justice, rien ne garantit que la plainte serait instruite dans le respect des règles compte tenu des expériences négatives passées.
- 519. L’organisation plaignante soutient que les conseils nationaux d’avril et mai 2004 ont été convoqués en violation des textes organiques du syndicat; que la plainte de M. Bikoe, qui n’avait pas qualité pour ester au nom du SNUIPEN, aurait dû être déclarée irrecevable par les gendarmes; qu’en arrêtant M. Ze, secrétaire général élu du syndicat, et en le forçant à libérer des fonds au profit d’une tendance dissidente, les gendarmes ont commis une violation grossière de la convention no 87 et une véritable extorsion de fonds.
- 520. Dans sa communication du 18 janvier 2005, le SNUIPEN indique que M. Ze a de nouveau été arrêté le 12 janvier 2005, placé en cellule durant quarante-huit heures, puis transféré en détention préventive à la prison de la gendarmerie de Yaoundé. Selon le SNUIPEN, cette arrestation et cette détention reposent sur les faits relatifs à la présente plainte.
- 521. Dans sa communication du 13 juin 2005, le SNUIPEN déclare qu’à cette date M. Ze était toujours en détention préventive (depuis trois mois) et que le juge d’instruction ne se pressait pas pour engager l’information judiciaire, alors que rien n’empêche qu’il puisse comparaître en liberté.
- B. Réponse du gouvernement
- 522. Dans sa communication du 1er mars 2005, le gouvernement déclare que M. Ze, à l’issue du deuxième congrès ordinaire du SNUIPEN tenu le 4 août 2004, a été remplacé dans ses fonctions de secrétaire général du syndicat. La nouvelle direction exige depuis lors la restitution des fonds syndicaux dont le plaignant assurait la gestion. Ce dernier conteste toutefois la légitimité de la nouvelle direction, qui a eu recours aux forces de l’ordre pour recouvrer partiellement ces fonds. Cette procédure de recouvrement a entraîné des gardes à vue abusives du plaignant. Les fonds recouvrés ont été remis à l’organisation syndicale bénéficiaire.
- 523. S’agissant des violations alléguées des droits syndicaux, le gouvernement déclare que le deuxième congrès du SNUIPEN s’est tenu conformément à ses statuts. M. Ze n’a pas contesté la légitimité de la nouvelle direction syndicale conformément à la procédure légale: au lieu de saisir les instances judiciaires, il s’est opposé aux demandes de restitution des fonds syndicaux. Par ses agissements, il est lui-même à l’origine de ce qu’il qualifie de «crise interne» de son organisation. Le gouvernement ne peut être tenu responsable des conséquences du choix des parties de recourir aux forces de l’ordre plutôt qu’aux instances compétentes pour régler de tels différends.
- 524. Le gouvernement s’emploie à promouvoir le pluralisme syndical et une saine gestion de la liberté syndicale, notamment par l’intermédiaire d’un Comité de synergie au sein du ministère du Travail. De plus, le gouvernement s’emploie à promouvoir le respect des droits de l’homme et ne cesse de sensibiliser les forces de l’ordre au respect de la légalité lors des gardes à vue. Le plaignant n’est plus emprisonné et le gouvernement assure le Comité de la liberté syndicale que le SNUIPEN retrouvera un fonctionnement normal lorsque les fonds auront été restitués par le plaignant.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 525. Le comité note que la présente plainte concerne l’arrestation, la détention et l’interrogatoire du secrétaire général du Syndicat national unitaire des instituteurs et des professeurs des écoles normales (SNUIPEN), M. Joseph Ze, ainsi que l’intervention de certains officiers de gendarmerie dans un conflit intersyndical.
- 526. S’agissant du conflit interne au SNUIPEN, le comité note que M. Ze conteste la légitimité de la nouvelle direction choisie, selon lui, lors d’un pseudo-congrès national convoqué en catimini et en violation des règles du syndicat. Le gouvernement considère pour sa part que le congrès en question s’est tenu conformément aux statuts du syndicat, et que M. Ze y a été régulièrement destitué et remplacé à la tête de l’organisation. Le comité note également qu’aucune décision de justice n’a été rendue sur la régularité du congrès du 4 août 2004, la destitution de M. Ze et le bien-fondé éventuel des accusations de détournement de fonds portées contre ce dernier par la faction dissidente, que le gouvernement considère maintenant, à toutes fins pratiques, comme la direction légitime du SNUIPEN.
- 527. Le comité rappelle qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur les conflits internes à une organisation syndicale, sauf si le gouvernement intervient d’une manière qui pourrait affecter l’exercice des droits syndicaux et le fonctionnement normal d’une organisation, et que l’intervention de la justice peut permettre de clarifier la situation du point de vue juridique et de normaliser la gestion et la représentation de l’organisation en cause. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 965.]
- 528. En l’espèce, le comité constate que M. Ze a été interpellé par la gendarmerie, placé en garde à vue et soumis à un interrogatoire sommaire et musclé, sans que la justice ait eu l’occasion de se prononcer ni sur la régularité du congrès du 4 août 2004 qui a destitué M. Ze, ni sur la véracité des accusations portées contre lui par la nouvelle direction du SNUIPEN. Le gouvernement admet d’ailleurs que ce qu’il qualifie de «procédure de recouvrement» des fonds a entraîné des gardes à vue abusives du plaignant. Le comité considère qu’en agissant de la sorte et en utilisant cette méthode pour le moins expéditive les membres de la gendarmerie mis en cause adoptaient de fait un parti pris en faveur de la faction dissidente, attitude que le gouvernement semble avoir ensuite endossée, y compris dans sa réponse à la plainte.
- 529. Soulignant l’obligation de totale neutralité des gouvernements dans les conflits intersyndicaux, le comité rappelle aux parties qu’elles peuvent saisir le tribunal compétent de la question de la régularité de la convocation du deuxième congrès du SNUIPEN ainsi que de la destitution alléguée de M. Ze, afin que ce tribunal puisse se prononcer en fonction des faits prouvés et des dispositions pertinentes des statuts du SNUIPEN. Le comité demande au gouvernement de lui faire parvenir copie de tout jugement qui serait rendu en la matière.
- 530. Notant par ailleurs que l’un des officiers concernés a été suspendu dans l’attente des conclusions d’une enquête menée par le secrétariat d’Etat à la Défense sur les conditions entourant la garde à vue de M. Ze le 16 avril 2004, le comité demande au gouvernement de le tenir informé des conclusions de l’enquête.
- 531. S’agissant des accusations de détournement de fonds portées contre M. Ze, le comité note que, là encore, certains officiers de gendarmerie ont pris fait et cause pour la faction dissidente du SNUIPEN et, suite aux pressions exercées lors de l’interrogatoire et de la détention, ont forcé le plaignant à libérer des fonds appartenant au syndicat pour les remettre aux dissidents. Cela s’apparentait à une saisie sans jugement et à une confiscation sans droit de fonds syndicaux au profit d’une tierce partie. Le comité rappelle à cet égard que, si les personnes exerçant des fonctions syndicales ne peuvent prétendre à l’immunité vis-à-vis de la législation pénale ordinaire, elles doivent bénéficier comme toute autre personne d’une procédure judiciaire régulière et d’une bonne administration de la justice, notamment: être informées des accusations qui pèsent contre elles; disposer du temps nécessaire à la préparation de leur défense; pouvoir communiquer sans entrave avec le conseil de leur choix; et être jugées sans retard par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 83, 102 et 117.] Ces principes n’ayant pas été respectés en l’espèce, le comité demande instamment au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour éviter à l’avenir la répétition de telles procédures expéditives, en donnant aux forces de l’ordre des instructions précises sur le respect de la légalité lors des arrestations et des mises en accusation.
- 532. S’agissant de la nouvelle arrestation de M. Ze le 12 janvier 2005 pour des motifs liés, selon le plaignant, à la plainte, arrestation suivie d’une longue détention préventive, le comité considère que les dirigeants syndicaux ne devraient pas être soumis à des mesures de rétorsion, et notamment des arrestations et des détentions, pour avoir exercé des droits découlant des instruments de l’OIT sur la liberté syndicale, en l’occurrence pour avoir déposé plainte auprès du Comité de la liberté syndicale. Le comité rappelle en outre que, si le fait de détenir un mandat syndical n’implique aucune immunité vis-à-vis du droit pénal ordinaire, la détention prolongée de syndicalistes sans les faire passer en jugement peut constituer une sérieuse entrave à l’exercice des droits syndicaux; les mesures de détention préventive doivent donc être limitées dans le temps à de très brèves périodes, uniquement destinées à faciliter le déroulement d’une enquête judiciaire, et doivent être entourées de toutes les garanties d’une procédure régulière. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 87, 89 et 91.] Le comité demande instamment au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour éviter à l’avenir la répétition de tels incidents, en donnant aux forces de l’ordre des instructions précises sur le respect de la légalité lors des arrestations et des mises en détention préventive.
- 533. Etant donné la situation de fait résultant de l’intervention indue des forces de gendarmerie dans ce différend intersyndical, et afin d’éviter que les fonds destinés à la protection et à la promotion des droits des travailleurs soient dilapidés sans aucun contrôle, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires, par exemple sous contrôle judiciaire, pour qu’il soit rendu compte de l’utilisation et de la gestion des biens et fonds du SNUIPEN, si le tribunal compétent l’estime nécessaire, une fois qu’il se sera prononcé sur toutes les questions en litige.
- 534. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des suites données à toutes les recommandations ci-dessus.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 535. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité rappelle aux parties qu’elles peuvent saisir le tribunal compétent de la question de la régularité de la convocation du deuxième congrès du SNUIPEN ainsi que de la destitution alléguée de M. Ze, afin qu’il puisse se prononcer en fonction des faits prouvés et des dispositions pertinentes des statuts du SNUIPEN; le comité demande au gouvernement de lui faire parvenir copie de tout jugement qui serait rendu en la matière.
- b) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des conclusions de l’enquête menée par le secrétariat d’Etat à la Défense sur les conditions entourant la garde à vue de M. Ze le 16 avril 2004.
- c) Le comité demande instamment au gouvernement de donner des instructions précises aux forces de l’ordre sur le respect de la légalité lors des arrestations, des mises en accusation et des placements en détention préventive.
- d) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires, par exemple sous contrôle judiciaire, pour qu’il soit rendu compte de l’utilisation et de la gestion des biens et fonds du SNUIPEN, si le tribunal compétent l’estime nécessaire, une fois qu’il se sera prononcé sur toutes les questions en litige.
- e) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des suites données à toutes les recommandations ci-dessus.