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- 242. La plainte figure dans une communication de la Fédération nationale des travailleurs de la sécurité sociale de Bolivie (FENSEGURAL) en date du 9 octobre 2009.
- 243. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication en date du 6 avril 2010.
- 244. L’Etat plurinational de Bolivie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante - 245. Dans sa communication du 9 octobre 2009, la Fédération nationale des travailleurs de la sécurité sociale de Bolivie (FENSEGURAL) indique qu’en mars 2007 le Syndicat unique des travailleurs de la sécurité sociale de la Caisse nationale de santé-Antenne régionale de Cochabamba (CASEGURAL-CBBA), qui est affilié à la FENSEGURAL, a adressé plusieurs revendications à l’employeur, dénonçant, entre autres choses, des irrégularités dans les contrats temporaires (cas de népotisme), des pressions et abus de pouvoir de la part de l’ancien chef du personnel de l’hôpital ouvrier no 2 de cette antenne régionale et demandant le respect du régime appliqué aux agents de l’administration.
- 246. Jusqu’au début du mois d’avril 2007, l’administration de la Caisse nationale de santé-Antenne régionale de Cochabamba (CNS-CBBA) a adopté une attitude dilatoire face à ces revendications. Pour cette raison, le CASEGURAL-CBBA a lancé le 5 avril 2007 un appel à la grève pour le 11 avril en sa qualité de représentant des intérêts des membres du syndicat et d’autres travailleurs de l’institution. A la date prévue, l’appel a été suivi, sous la forme d’une grève sur le tas dans un premier temps. Comme aucune réponse n’était apportée aux réclamations présentées par le CASEGURAL-CBBA, il a été décidé de poursuivre le mouvement le 12 avril sous la forme d’un débrayage. Les membres de l’organisation syndicale, qui représente du personnel administratif, des aides-soignants, du personnel d’entretien et du personnel paramédical, ont répondu à ce nouvel appel. Cependant, dans l’ensemble des centres de santé de la CNS-CBBA, le personnel médical a assuré la continuité des soins.
- 247. L’organisation plaignante fait part d’une réunion entre des représentants du syndicat CASEGURAL-CBBA, de la CNS-CBBA avec la participation des représentants de la Centrale ouvrière départementale de Cochabamba (COD-CBBA). Les pourparlers, entamés le 12 avril et poursuivis le lendemain, ont permis de négocier des solutions en réponse aux revendications ayant entraîné la grève. Le procès-verbal rendant compte de l’accord institutionnel ainsi conclu a été communiqué à la Direction départementale du travail.
- 248. Or, avant les négociations, l’administration de la CNS-CBBA avait saisi la Direction départementale du travail d’une demande de déclaration d’illégalité de la grève des 11 et 12 avril. La direction départementale s’est prononcée le 20 avril, indiquant ce qui suit: «Indépendamment du bien-fondé des revendications, les conditions légales préalables à l’appel à la grève n’ont pas été respectées. Le mouvement tombe donc sous le coup de l’illégalité.» Une telle décision de la part de l’autorité chargée du travail implique la retenue des jours de grève sur les salaires. Comme il est d’usage en la matière dans l’Etat plurinational de Bolivie, le CASEGURAL-CBBA, le 7 mai 2007, a conclu avec l’administration régionale de la CNS-CBBA un nouvel accord institutionnel prévoyant une compensation de la grève des 11 et 12 avril par l’ajout d’une heure ouvrée par jour jusqu’à concurrence des 16 heures chômées.
- 249. Par la suite, malgré les accords conclus avec l’administration de la CNS-CBBA au sujet des cas de népotisme, des abus de pouvoir commis par l’ancien chef du personnel de l’hôpital ouvrier no 2 et de la compensation des heures de grève, une ordonnance de non-lieu a été rendue en faveur du chef du personnel (7 mai 2007), ainsi qu’une résolution demandant la réintégration de cette personne dans son poste (16 mai 2007). Les travailleurs membres du CASEGURAL-CBBA se sont sentis trahis par ces décisions. En conséquence, le 28 mai, un groupe formé de plusieurs dirigeants de l’organisation ont interpellé le chef du personnel au moment où celui-ci reprenait ses fonctions. Cet incident a servi de prétexte à toute une série de mesures visant à intimider la direction du CASEGURAL-CBBA. Des procédures judiciaires ont notamment été ouvertes. Elles sont encore en instance et ont abouti dans les faits à une criminalisation du mouvement social considéré.
- 250. Un différend personnel avec l’ancien chef du personnel de l’hôpital ouvrier no 2 a entraîné l’intervention du parquet pour la poursuite des infractions présumées suivantes: actes tendant à empêcher ou gêner l’exercice de ses fonctions par un fonctionnaire (article 161 du Code pénal bolivien); actes tendant à empêcher, gêner ou limiter le libre choix du travail, de la profession, du métier ou de l’activité commerciale ou industrielle (article 303 du Code pénal bolivien); appel à des lock-out, grèves ou débrayages considérés comme illégaux (article 234 du Code pénal bolivien) et tout autre acte portant atteinte d’une façon ou d’une autre à la santé de la population (article 216, paragraphe 9, du Code pénal). Le CASEGURAL-CBBA a alors exigé que la Direction départementale du travail lui donne des explications sur le comportement de l’employeur, avec qui des accords institutionnels mettant fin au litige avaient été conclus, et de ramener le traitement des faits dans le cadre qui convenait, à savoir les procédures du travail.
- 251. L’organisation plaignante ajoute que, malgré les efforts déployés par le CASEGURAL-CBBA pour réorienter le traitement des faits vers les procédures du travail, malgré la dénonciation publique par la Centrale ouvrière départementale de Cochabamba des poursuites pénales injustes et déplacées ouvertes à l’encontre de dirigeants syndicaux (7 septembre 2007) et malgré l’écho national suscité auprès de la Centrale ouvrière bolivienne elle-même (17 septembre 2007), huit dirigeants du CASEGURAL-CBBA ont été entravés dans l’exercice de leurs droits syndicaux du fait de l’action du parquet et de sa décision de demander des mesures provisoires (le parquet avait demandé la mise en détention préventive des dirigeants). Les semaines ont passé mais l’acharnement contre l’organisation syndicale n’a pas cessé. Le 23 février 2008, le ministère public a présenté le point de vue de l’Etat devant la Cour suprême de justice. Dans son accusation, le parquet a manqué à l’objectivité à laquelle il est tenu légalement, altérant la chronologie des faits comme suit: «Ayant pris connaissance de l’ordonnance de non-lieu (du 7 mai 2007) et alors qu’il n’était pas possible de modifier l’affectation de M. Juan Carlos Ayala (chef du personnel), ils ont immédiatement lancé un appel à la grève, mouvement illégal qui a eu lieu les 11 et 12 avril 2007.» Cette façon de travestir la réalité associée à plusieurs autres irrégularités relevées entre fin mai 2007 et le 23 février 2008, jour de l’inculpation, soit neuf mois après, trahissent une volonté d’intimidation systématique à l’encontre des dirigeants du CASEGURAL-CBBA.
- 252. L’organisation plaignante indique qu’à ce jour, soit plus d’un an et demi après l’inculpation, la procédure orale n’a toujours pas eu lieu. La procureure qui avait introduit la procédure a quitté ses fonctions pour d’autres au sein de la préfecture du département de Cochabamba, poste obtenu sur instruction du gouvernement central. Une dernière tentative a été lancée pour relancer la procédure orale devant la quatrième chambre du tribunal de première instance (Tribunal de Sentencia). L’audience a été reportée à janvier 2010 mais cette date pourrait encore être modifiée compte tenu que le juge professionnel (Juez Técnico) du tribunal a été nommé vice-ministre au sein du gouvernement et que, plus récemment, la présidente du tribunal s’est présentée aux élections législatives en représentation du parti au pouvoir. Pour l’organisation plaignante, la défection de la procureure ayant introduit la procédure et celle du juge professionnel du tribunal, l’un et l’autre occupant désormais des fonctions au sein d’instances politiques, et la décision de la présidente du tribunal de briguer un mandat politique au parlement mènent légitimement à s’interroger sur la façon dont l’affaire est traitée. L’absence de garanties assurant les principes d’objectivité et d’impartialité pourtant consacrés par la nouvelle Constitution bolivienne inquiète tout particulièrement.
- 253. Selon l’organisation plaignante, les dirigeants syndicaux visés font l’objet de poursuites pénales uniquement parce qu’ils ont fait usage de leur droit de représenter les intérêts de leurs mandants, de soumettre des revendications et négocier collectivement et de faire grève en tant que moyen de revendication sociale légitime face à l’attitude dilatoire de la direction de la CNS-CBBA de l’époque. Ces poursuites pénales et la condamnation qui risque d’en résulter pourraient aboutir à une criminalisation injuste des actes du CASEGURAL-CBBA et porter atteinte à l’existence effective de la liberté syndicale dans l’Etat plurinational de Bolivie.
- B. Réponse du gouvernement
- 254. Dans sa communication du 6 avril 2010, le gouvernement renvoie à la note no MTEPS/DGTHSO/037/10 du 1er février 2010 dans laquelle le directeur général du travail, de l’hygiène et de la sécurité au travail du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale a transmis le rapport technique no MTEPS/DGTHSO/TL/JC 011/10 contenant des informations de la Direction départementale du travail de la ville de Cochabamba au sujet de la plainte présentée par la Fédération nationale des travailleurs de la sécurité sociale de Bolivie (FENSEGURAL). Dans le rapport d’activité de la Direction départementale du travail pour Cochabamba pour la période du 9 au 13 avril 2007, il est dit qu’à l’appel du CASEGURAL le personnel administratif et infirmier a annoncé une grève sur le tas à durée indéterminée pour le 10 avril 2007. Le personnel entendait protester ainsi contre l’embauche par l’administrateur de membres de sa famille et réclamer la destitution du chef du personnel de l’hôpital ouvrier no 2. Le 12 avril 2007, après une réunion prolongée, un accord a pu être conclu sur la première de ces questions, la discussion des autres points étant renvoyée au vendredi 13 avril 2007. Le mouvement de grève a alors été suspendu jusqu’au 16 avril 2007.
- 255. Par courrier no SN/2007 daté du 11 avril 2007, l’administrateur régional de la Caisse nationale de santé a demandé au directeur départemental du travail de Cochabamba de déclarer illégale la grève sur le tas, indiquant qu’une réponse avait été apportée aux trois revendications initiales, ce que le CASEGURAL a nié en prétendant comme à l’accoutumée, avec le terme «autres», l’existence de problèmes plus importants qu’en réalité. Dans ce cadre, l’administrateur régional de la caisse a confirmé les solutions proposées par écrit. De même, il a déclaré que la grève sur le tas à durée indéterminée était contraire à la législation du travail et aux textes applicables à l’institution, demandant par conséquent à la Direction départementale du travail de déclarer l’illégalité du mouvement, qui portait préjudice aux 454 000 assurés de la Caisse nationale de santé de Cochabamba.
- 256. Il convient de souligner que, selon ce courrier, un nombre important d’employés ont été empêchés de travailler le jour de la grève sur le tas, l’accès par la porte principale du bâtiment, rue Esteban Arce, ayant été bloqué, de même que l’entrée des locaux administratifs par la suite. Ces actes qui dépassent manifestement le cadre de la grève sur le tas constituent une violation de l’article 303 du Code pénal («Atteintes à la liberté du travail»). Face à cette violation, l’administrateur régional de la Caisse nationale de santé a porté plainte devant la police, demandant que les faits soient consignés.
- 257. Dans son rapport du 12 avril 2009, l’inspection du travail a constaté les faits signalés par l’administrateur régional de la Caisse nationale de santé et indiqué clairement que les grévistes avaient fait fermer plusieurs bureaux et qu’ils avaient même empêché le libre accès aux locaux administratifs.
- 258. Arguant que l’administrateur régional n’avait pas résolu les problèmes dénoncés, le CASEGURAL a lancé un nouvel appel à la grève pour une durée de vingt-quatre heures par la note no SC-19/2007 du 11 avril 2007. Dans le courrier no SN/2007 du 12 avril 2007, l’administrateur a à nouveau demandé à la Direction départementale du travail de déclarer le mouvement illégal. Il a signalé qu’il avait lui-même subi un préjudice du fait de l’occupation des locaux par un groupe de travailleurs du CASEGURAL, qui l’avaient empêché, de même que du personnel administratif, de pénétrer sur les lieux pendant toute la journée et toute la nuit. Ce fait a été signalé dans le courrier no SN/2007 du 11 avril 2007.
- 259. L’administrateur a indiqué qu’il était disposé à un dialogue sans conditions, mais il n’a reçu aucune réponse du CASEGURAL, ni par oral ni par écrit. Au contraire, le syndicat a remplacé les demandes prétendument restées sans suite par de nouvelles revendications qui ont été inscrites sur le tableau de l’administration le 11 avril 2007 sous la forme suivante: 1) réclamation en lien avec des cas de népotisme et incompatibilité avec la qualité de fonctionnaire; 2) ouverture d’une procédure administrative interne contre le chef du personnel de l’hôpital ouvrier no 2; 3) cas de M. Fernández pour irrégularité présumée dans la restitution du grade et des fonctions d’un fonctionnaire et pour une négligence impliquant aussi le conseiller juridique; 4) annulation immédiate des contrats temporaires conclus avec des membres de sa famille, fait sur lequel il n’y a pas de preuves suffisantes; 5) révocation immédiate du chef du personnel; et 6) violation du régime des agents de l’administration.
- 260. Tout comme dans le courrier no SN/2007 du 11 avril 2007, l’administrateur a fait savoir au directeur départemental du travail que cet arrêt de travail était lui aussi contraire à la législation du travail et aux textes applicables à l’institution, demandant par conséquence que soit prononcée une déclaration d’illégalité de ce deuxième mouvement, qui avait porté préjudice pendant une journée supplémentaire aux 454 000 assurés de la Caisse nationale de santé de Cochabamba. Le directeur départemental du travail a été informé en outre que, le 12 avril 2007, tôt le matin, l’accès par la porte principale de la rue Esteban Arce avait été bloqué, aucun fonctionnaire ne pouvant plus pénétrer dans les locaux. Compte tenu des moyens violents utilisés par le CASEGURAL, le détournement de la grève sur le tas était manifeste. L’administrateur énonce ainsi ce qui suit dans son courrier: «Dans l’intention de résoudre ces [problèmes] qui ne sont en fait que des caprices et des querelles personnelles, je vous prie de désigner un autre inspecteur qui devra assister à la réunion convoquée dans les locaux de l’administration régionale aujourd’hui même – 12 avril 2007 – à 15 heures avec cinq représentants du CASEGURAL, quatre dirigeants de la Caisse nationale de santé de Cochabamba et un représentant de la Centrale ouvrière départementale de Cochabamba, pour discuter des questions litigieuses. Je propose que les débats soient enregistrés in extenso. L’enregistrement, le procès-verbal et le témoignage de l’inspecteur du ministère du Travail feront foi des décisions adoptées.»
- 261. Dans un rapport adressé au responsable de la Direction départementale du travail en date du 13 avril 2007, l’inspection du travail indique que, comme suite à la deuxième visite dans les locaux de la Caisse nationale de santé de Cochabamba et après consultation de plusieurs travailleurs, il est apparu que le personnel gréviste avait fait fermer plusieurs bureaux et avait même empêché le libre accès aux locaux administratifs.
- 262. Le 13 avril 2007, l’administratrice en chef de la Caisse nationale de santé de Cochabamba a été saisie du rapport no CITE 266 du service juridique de la caisse. Ce document présente une analyse juridique de la grève menée à l’appel du CASEGURAL de Cochabamba et indique notamment ce qui suit:
- – l’examen du dossier du Syndicat unique des travailleurs de la sécurité sociale de Cochabamba (CASEGURAL) fait apparaître une violation de l’article 159 de la Constitution, qui consacre certes le droit de grève mais prévoit que celui-ci doit être exercé dans le respect des formalités prescrites par la loi, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce;
- – les fonctionnaires de l’Antenne régionale de Cochabamba ont enfreint l’article 105 de la loi générale du travail, qui se lit comme suit: «Quelle que soit l’entreprise, ni l’employeur ni les travailleurs ne peuvent interrompre le travail de façon intempestive tant que les mécanismes de conciliation et d’arbitrage prévus dans le présent titre n’ont pas été épuisés. Dans le cas contraire, le mouvement est considéré comme illégal.»;
- – par conséquent, comme le CASEGURAL-Cochabamba n’a pas respecté les dispositions juridiques susmentionnées, le service juridique propose à l’administration régionale de Cochabamba de demander, par l’intermédiaire de son service juridique, une déclaration d’illégalité de la grève du 11 avril 2007.
- 263. Conformément à l’avis du service juridique de la Caisse nationale de santé, le ministère du Travail a été invité, par les voies ordinaires applicables, à vérifier, dans le cadre de ses attributions, la légalité des grèves et débrayages. Une fois la demande présentée officiellement, le ministère du Travail y a répondu par l’intermédiaire de la Direction départementale de Cochabamba (courrier no MT/JEF/DEPTAL/TRAB/CBBA/CITE 003/2007 du 20 avril 2007). L’analyse des problèmes soulevés est précédée des considérations suivantes: «Les dispositions du titre X de la loi générale sur le travail, celles de l’article 105 notamment, n’ont pas été respectées, et les conditions prévues par la loi générale du travail ont été contournées. Cependant, indépendamment du bien-fondé des revendications, les conditions légales préalables à l’appel à la grève n’ont pas été respectées. Le mouvement tombe donc sous le coup de l’illégalité. On relèvera que la Direction départementale n’a été saisie d’aucune plainte ni réclamation.»
- 264. L’examen du dossier montre qu’il y a eu deux lettres signées par l’administrateur de la caisse, qui sont datées respectivement des 11 et 12 avril 2007. On n’y trouve en revanche aucun courrier que le CASEGURAL aurait adressé à la Direction du travail pour l’informer de plaintes ou réclamations. Seul figure un courrier adressé par le CASEGURAL à l’administrateur régional de la Caisse nationale de santé en 2007, qui porte le sceau de la Direction départementale du travail. Les 12 et 13 avril, des réunions ont eu lieu avec des représentants de la Centrale ouvrière départementale (COD) et du CASEGURAL et des responsables de l’administration régionale de la Caisse nationale de santé. La rencontre a débouché sur la signature d’un accord institutionnel pour le maintien de relations harmonieuses et un dialogue permanent. Il a été convenu en outre que le texte de cet accord serait remis à la Direction départementale du travail, par l’intermédiaire de l’administration régionale. La Direction départementale du travail a pris connaissance du dossier le 16 avril 2007.
- 265. Enfin, le 10 mai 2007, le CASEGURAL-Cochabamba et l’administration régionale de la Caisse nationale de santé pour Cochabamba ont signé un accord institutionnel dans les locaux de la Direction départementale du travail de la ville de Cochabamba. Etaient présents lors de la signature un représentant de la Centrale ouvrière départementale (COD) et le chef départemental du travail. Le texte de l’accord indique ce qui suit:
- Avis officiel du ministère du Travail sur la grève illégale du CASEGURAL: «Les dispositions du titre X de la loi générale sur le travail, celles de l’article 105 notamment, n’ont pas été respectées, et les conditions prévues par la loi générale du travail ont été contournées. Cependant, indépendamment du bien-fondé des revendications, les conditions légales préalables à l’appel à la grève n’ont pas été respectées. Le mouvement tombe donc sous le coup de l’illégalité. On relèvera que la Direction départementale n’a été saisie d’aucune plainte ni réclamation.»
- L’administrateur et toutes les parties sont parvenus à un accord conforme à l’intérêt des travailleurs, à savoir que les deux jours chômés des 11 et 12 avril 2007 n’entraîneront pas de retenue sur les salaires mais seront compensés par l’ajout d’une heure ouvrée par jour à compter du premier jour ouvrable du second semestre du présent exercice (2007), conformément aux renseignements communiqués par les différents centres, à concurrence de 16 heures ouvrées pour le personnel administratif travaillant huit heures par jour et de 12 heures ouvrées pour le personnel administratif travaillant 6 heures par jour. Les périodes chômées seront vérifiées au moyen du système de contrôle du personnel par biométrie et des cartes de pointage.
- 266. Il apparaît donc que le CASEGURAL n’a jamais respecté le cadre juridique national en vigueur, ce qu’il a lui-même admis. Parce qu’ils reconnaissaient le caractère illégal du débrayage, les membres du syndicat ont accepté la formule de compensation des journées chômées. Le gouvernement indique à cet égard que l’article 51, paragraphe III de la Constitution de 2009 consacre «le droit d’adhérer à un syndicat en tant que moyen de défendre, représenter et aider les travailleurs et travailleuses en zone rurale et urbaine et assurer leur éducation et leur culture». De même, le paragraphe VI du texte prévoit ce qui suit: «Les dirigeants et dirigeantes syndicales jouissent de l’immunité syndicale. Jusqu’à un an après la fin de leur mandat, ils ne peuvent être licenciés. Leurs prestations sociales ne peuvent pas être réduites, et ils ne peuvent pas être poursuivis ni privés de liberté pour des actes réalisés dans l’exécution de leurs fonctions syndicales.» On citera aussi à cet égard l’article 256, paragraphe I, de la Constitution de 2009: «Les traités et instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme que l’Etat aurait signés ou ratifiés ou auxquels il aurait adhéré priment sur la Constitution s’ils consacrent des droits plus favorables que ceux prévus par ce texte; le paragraphe II indique que les droits reconnus par la Constitution seront interprétés à la lumière des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme si ceux-ci prévoient des normes plus favorables.»
- 267. Il est important de souligner que la Constitution de 2009 consacre la nouvelle hiérarchie des normes en indiquant que la Constitution prime sur les traités internationaux, dont les conventions de l’OIT ratifiées par l’Etat plurinational de Bolivie, et les traités internationaux sur les lois, ce qui n’était pas le cas de la Constitution de 1967. Les conventions nos 87 et 98 font partie des traités ratifiés par l’Etat plurinational de Bolivie.
- 268. Le gouvernement se réfère aussi aux allégations selon lesquelles les dirigeants du CASEGURAL auraient fait l’objet de poursuites pénales et d’une persécution politique de la part du gouvernement, comme suite à une plainte présentée par le chef du personnel de l’hôpital ouvrier no 2 en son nom propre. Cette plainte a en effet entraîné l’intervention du procureur du tribunal de première instance responsable des conflits du travail. Le gouvernement mentionne le rapport no MT-DSI du 26 juillet 2007 signé par l’inspectrice départementale du travail de Cochabamba (ministère du Travail), qui renvoie au rapport de la réunion de conciliation entre le CASEGURAL-Cochabamba et la Caisse nationale de santé. La dernière partie de ce rapport indique ce qui suit: «Cependant, il ressort des pièces consultées que M. Juan Carlos Ayala a engagé la réclamation ou plainte en son nom propre et non pas en tant qu’agent de la Caisse nationale de santé.» Il apparaît donc qu’un conflit du travail a certes existé mais que le ministère du Travail est intervenu, par l’intermédiaire de la Direction départementale du travail de Cochabamba, dans l’objectif fondamental de défendre les droits des travailleurs de l’institution concernée. La preuve en est que l’employeur et les travailleurs ont conclu des accords, parvenant de la sorte à trouver une issue au conflit.
- 269. Le gouvernement souligne que le problème découle de la situation particulière de M. Juan Carlos Ayala, celui-ci ayant présenté le 27 mars 2008, en son nom propre et conformément aux mécanismes prévus par la loi, une plainte contre M. Freddy Puente Camacho et d’autres personnes, pour les infractions suivantes: actes tendant à empêcher ou gêner un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions et atteinte à la liberté du travail. Il ne fait pas de doute que l’administration du travail ne peut pas exercer de contrôle sur cette procédure ni y faire entrave. En effet, la plainte a été présentée par une personne physique agissant en son nom propre et non pas par l’institution, et le gouvernement ne peut nier ou restreindre le droit d’un citoyen de demander l’application de la loi, du Code pénal en l’espèce. C’est bien au système judiciaire en effet qu’il incombe de déterminer et de décider s’il est juste qu’une personne physique présente une plainte pénale en son nom propre contre des citoyens donnés, indépendamment de leur culpabilité effective.
- 270. Le 22 février 2008, après un examen des preuves écrites et testimoniales, la procureure compétente pour Cochabamba a officiellement inculpé Freddy Puente Camacho, Wilma Alcocer Mayorga, Raúl Limachi Choque, María Rosalía Orellana Jiménez et José Maldonado Gremio pour des infractions prévues par les articles 161, 216, 234 et 303 du Code pénal et Jonny Calani, Marlene Ortiz Flores et Jeny Vilma Camacho Águila pour des infractions prévues par les articles 161 et 303 du Code pénal.
- 271. Parmi les arguments fournis pour justifier l’accusation, il est dit que les actes tendant à empêcher, gêner ou limiter la liberté du travail, infraction prévue par les articles 161 et 303 du Code pénal, constituent selon la doctrine un délit intentionnel consommé par le seul fait d’empêcher, gêner ou restreindre l’exercice de l’activité professionnelle.
- 272. Dans le cas à l’examen, les inculpés, en imposant illégalement une grève générale au sein de la Caisse nationale de santé dans le but d’écarter M. Juan Carlos Ayala des fonctions qu’il assumait légitimement en sa qualité de chef du personnel de l’hôpital ouvrier no 2, ont empêché et gêné le déroulement ordinaire du travail d’un fonctionnaire, portant atteinte au droit fondamental au travail, pourtant consacré par la Constitution de 1967, et se rendant coupables des infractions prévues et punies par les articles 161 et 303 du Code pénal.
- 273. De même, l’accusation indique ce qui suit: «Il ne fait pas de doute que Freddy Puente Camacho, Raúl Limachi Choque, María Orellana Jiménez, José Maldonado Gremio et Wilma Alcocer Mayorga ont fait en sorte, sous le couvert d’un mandat supposé de leur base, de préparer et consommer une grève déclarée illégale par la Direction départementale du travail (Cochabamba) dans le but d’écarter M. Juan Carlos Ayala de son poste de travail, sans tenir compte du préjudice qu’ils causaient aux nombreux patients pris en charge par la Caisse nationale de santé-Antenne régionale de Cochabamba. Ils ont commis ce faisant l’infraction prévue par l’article 216, paragraphe 9, du Code pénal, comme il ressort des rapports et attestations émanant des différents directeurs des centres médicaux dépendants de la Caisse nationale de santé, qui ont déclaré de façon unanime que la grève illégale avait perturbé le déroulement normal des soins, au détriment de la santé des assurés.»
- 274. En conséquence, la procureure compétente a demandé au président et aux juges du tribunal de première instance commis pour cette affaire de fixer la date et l’heure de la procédure orale dans le respect des formalités requises. Le rapport remis par la présidence de la Cour suprême de justice de Cochabamba indique que l’acte introductif de procédure du 13 juin 2008 fixe l’audience de la procédure orale au 15 décembre 2008. Cependant, cette audience a dû être suspendue comme suite à la défection de l’avocat de la défense. Une nouvelle audience a été fixée au 15 juin 2009. Elle a elle aussi été suspendue, aucun des juges citoyens (jueces ciudadanos), qui avaient été notifiés de leur charge conformément à la loi, ne s’y étant présentés. Le 6 janvier 2010, il a fallu suspendre l’audience une fois encore, la quatrième chambre du tribunal de première instance ne comptant aucun juge professionnel titulaire.
- 275. A cet égard, il importe de souligner que ces suspensions d’audience ne sont pas le fait de «manœuvres politiques», contrairement à ce que les membres du CASEGURAL tentent d’insinuer. Elles ont découlé dans le premier cas de la défection de l’avocat de la défense. Face à une telle situation, l’Etat doit faire en sorte d’assurer et protéger en tout temps le droit à un procès équitable. Dans le deuxième cas, c’est la non-présentation des juges-citoyens qui a entraîné la suspension de l’audience. La responsabilité du pouvoir exécutif n’est pas engagée non plus puisque la Constitution ne lui reconnaît aucune compétence dans ce domaine.
- 276. Le gouvernement conclut comme suit: 1) la Direction départementale du travail de Cochabamba a rendu une décision dans une note dans laquelle elle décrète l’illégalité de la grève au motif que les dispositions de l’article 105 de la loi générale sur le travail n’ont pas été respectées, qu’aucune plainte ou réclamation n’a été portée à la connaissance de la Direction du travail et que la grève sur le tas des 11 et 12 avril 2007 n’avait pas été réalisée dans le respect de la procédure prévue par la loi; 2) grâce à l’intervention du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévision sociale, les deux parties au conflit sont parvenues à un compromis qui a débouché sur la signature d’un accord institutionnel prévoyant que les jours de grève des 11 et 12 avril 2007 n’entraîneraient pas de retenue sur les salaires et seraient compensés par l’ajout d’une heure ouvrée par jour jusqu’à concurrence du total d’heures chômées; 3) pendant le conflit, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Prévision sociale est intervenu, conformément à la compétence et aux attributions que lui confère la loi, assurant le respect de la législation pour résoudre le conflit au mieux, dans l’intérêt des travailleurs, alors même que la procédure prévue pour la réalisation et la convocation d’une grève n’avait pas été respectée; 4) la Constitution du 7 février 2009 prévoit que les droits qu’elle consacre sont inviolables, universels, interdépendants, indivisibles et progressifs et que l’Etat a le devoir de les promouvoir, de les protéger et de les respecter.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité - 277. Dans le cas à l’examen, le comité relève que, selon l’organisation plaignante, le Syndicat unique des travailleurs de la sécurité sociale de la Caisse nationale de santé-Antenne régionale de Cochabamba (CASEGURAL-CBBA) et l’administration de la Caisse nationale de santé-Antenne régionale de Cochabamba (CNS-CBBA) sont parvenus à des accords après une grève tenue les 11 et 12 avril 2007. Cependant, la direction de l’hôpital ouvrier no 2 aurait exploité une altercation verbale entre des dirigeants du syndicat et le chef du personnel de l’hôpital (destitué dans un premier temps puis innocenté et réintégré dans ses fonctions) pour engager contre huit membres de la direction du CASEGURAL des poursuites pénales qui sont encore en instance à ce jour et trahiraient selon l’organisation plaignante une volonté d’intimidation systématique.
- 278. Le comité note que le gouvernement fait mention dans sa réponse de l’accord conclu par les parties après la grève et fait plusieurs déclarations en ce qui concerne les poursuites pénales alléguées contre des dirigeants syndicaux du CASEGURAL: 1) le chef du personnel de l’hôpital ouvrier no 2, M. Juan Carlos Ayala, a porté plainte, en son nom propre et non pas en tant qu’agent de la Caisse nationale de santé, contre M. Freddy Puente Camacho et d’autres personnes pour des actes tendant à empêcher et gêner un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions et pour atteinte à la liberté du travail; 2) le gouvernement ne peut nier ou restreindre le droit d’un citoyen de demander devant l’autorité judiciaire l’application de la loi; 3) le 28 février 2008, la procureure de Cochabamba a décidé, après examen des éléments de preuve, d’inculper Freddy Puente Camacho, Wilma Alcocer Mayorga, Raúl Limachi Choque, María Rosalía Orellana Jiménez et José Maldonado Gremio pour les infractions prévues par les articles 161 (actes tendant à empêcher ou gêner un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions), 216 (atteinte à la santé publique), 234 (lock-out, grèves et débrayages illégaux) et 303 (atteinte à la liberté du travail) du Code pénal, ainsi que Jonny Calani, Marlene Ortiz Flores et Jeny Vilma Camacho Águila pour les infractions prévues par les articles 161 et 303 du Code pénal; 4) l’accusation s’est notamment fondée sur le fait que les actes tendant à empêcher, gêner ou limiter la liberté du travail, infractions prévues par les articles 161 et 303 du Code pénal, sont selon la doctrine des délits intentionnels consommés par le seul fait d’empêcher, gêner ou limiter l’exercice de l’activité professionnelle; 5) dans le cas à l’examen, les personnes inculpées ont imposé de façon illégale une grève générale au sein de la Caisse nationale de santé en vue d’écarter le chef du personnel de son travail et, ce faisant, ils ont perturbé et empêché le déroulement normal des activités qu’il effectue en sa qualité de fonctionnaire, portant atteinte à son droit fondamental au travail et se rendant coupable des infractions prévues par les articles 161 et 303 du Code pénal; 6) la procédure a été introduite le 13 juin 2008; l’audience de la procédure orale a été fixée au 15 décembre 2008 mais elle a dû être suspendue comme suite à la défection de l’avocat de la défense; une nouvelle audience fixée pour le 15 juin 2009 a elle aussi été suspendue, aucun des juges commis ne s’étant présenté; le 6 janvier 2010, l’audience a une fois encore été suspendue car la quatrième chambre du tribunal de première instance ne comptait pas de juge professionnel titulaire; 7) le pouvoir exécutif n’a aucune responsabilité dans ces suspensions d’audience; et 8) après intervention du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, les deux parties au litige sont parvenues à un accord, convenant que les jours de grève n’entraîneraient pas de retenue sur les salaires.
- 279. A cet égard, le comité de même que la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations estiment qu’aucun travailleur participant à une grève de façon pacifique ne devrait être passible de sanctions pénales ni, par conséquent, d’une peine d’emprisonnement. De telles sanctions ne sont envisageables que si des actes de violence contre des personnes ou des biens ou d’autres violations du droit commun prévues dans les dispositions légales sanctionnant de tels actes ont été commis pendant la grève. Le comité rappelle aussi que les principes de la liberté syndicale ne protègent pas les abus dans l’exercice du droit de grève qui constituent des actions de caractère délictueux. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 667.] Le comité souligne que, selon le gouvernement, les poursuites pénales contre les dirigeants syndicaux n’ont pas été engagées par l’hôpital ouvrier no 2 mais par le chef du personnel agissant en son nom propre et que le syndicat et l’employeur sont parvenus à un accord qui a mis fin au conflit. Dans ces circonstances, le comité attend du gouvernement qu’il communique le présent rapport et les principes mentionnés à l’autorité judiciaire compétente. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé sur ce point.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 280. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité demande au gouvernement: 1) de le tenir informé de la décision rendue en ce qui concerne Freddy Puente Camacho, Wilma Alcocer Mayorga, Raúl Limachi Choque, María Rosalía Orellana Jiménez, José Maldonado Gremio, Jonny Calani, Marlene Ortíz Flores et Jeny Vilma Camacho Águila, dirigeants syndicaux; et 2) de communiquer le présent rapport et les principes mentionnés à l’autorité judiciaire compétente.