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Informe definitivo - Informe núm. 6, 1953

Caso núm. 50 (Türkiye) - Fecha de presentación de la queja:: 01-DIC-51 - Cerrado

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A. Analyse de la plainte

A. Analyse de la plainte
  1. 814. Le plaignant allègue que la législation en vigueur en Turquie porte atteinte aux droits syndicaux. Les diverses allégations peuvent être groupées comme suit.
    • Restriction au droit d'association de certaines catégories de travailleurs
  2. 815. L'article 1 du Code du travail de 1936 et l'article 2 de la loi sur les syndicats n'autorisent pas les travailleurs non manuels à former des syndicats ; la deuxième de ces lois ne s'applique pas non plus aux propriétaires et aux employés de petites entreprises. La loi de 1938 sur les associations, modifiée en 1946, interdit aux personnes recevant un traitement ou un salaire de l'Etat, des administrations locales ou des municipalités ou d'institutions dépendant de l'Etat, de constituer des associations en rapport avec l'occupation qu'elles exercent. Ces dispositions établissent une discrimination à l'égard de diverses catégories de travailleurs, contrairement aux termes de l'article 2 de la convention (no 87) sur la liberté d'association et la protection du droit syndical.
    • Restriction au droit des syndicats de former des fédérations
  3. 816. Le droit des syndicats de créer des fédérations est étroitement limité. Pour créer une fédération, la loi sur les syndicats exige l'accord des deux tiers des membres des syndicats intéressés. La loi sur les associations limite à 120 livres turques par an le montant des cotisations qu'un syndicat peut verser à une fédération dont il est membre, et il est allégué que, d'après les syndicats intéressés, cette somme est inférieure au montant nécessaire pour le fonctionnement de la fédération.
    • Affiliation des syndicats à des organisations internationales
  4. 817. La loi de 1947 sur les syndicats fait dépendre l'affiliation d'un syndicat à une organisation internationale de l'assentiment du Conseil des ministres contrairement aux termes de l'article 5 de la convention no 87.
    • Contrôle exercé par le gouvernement sur les syndicats
  5. 818. Sous réserve des dispositions des articles 28, 29, 31 et 32 de la loi sur les associations, la loi sur les syndicats prévoit que tout syndicat sera soumis au contrôle du ministère du Travail. En vertu de ces dispositions de la loi sur les associations, les procès-verbaux, les registres et la comptabilité des syndicats peuvent faire l'objet d'inspections et d'enquêtes de la part du gouvernement. La police peut pénétrer à tout moment dans les locaux syndicaux sur l'ordre écrit des autorités compétentes. Les représentants des pouvoirs publics peuvent assister à toutes les assemblées générales. Pour appuyer ces diverses allégations, le plaignant indique que, d'après le rapport de la mission du B.I.T en Turquie en 1949, « en pratique, ce sont les inspecteurs du travail qui procèdent a la surveillance des associations professionnelles. Depuis janvier 1948, les 74 syndicats de travailleurs et d'employeurs ont fait l'objet de 132 inspections. Dans les centres industriels, cette inspection a lieu tous les mois, ailleurs moins fréquemment. Les inspecteurs du travail assistent à toutes les réunions des syndicats et soumettent un rapport sur les travaux auxquels elles donnent lieu à leurs supérieurs qui peuvent attirer l'attention des autorités compétentes sur toutes activités non conformes à la loi. Le ministère public est chargé, le cas échéant, des poursuites pénales devant les tribunaux». En outre, le rapport souligne, d'après le plaignant, que l'un des objectifs principaux de cette inspection est « de tenir les autorités au courant des activités internes des associations». Ces dispositions et ces pratiques seraient donc, d'après le plaignant, contraires à l'article 3 de la convention no 87.
    • Restrictions quant à l'élaboration des statuts syndicaux
  6. 819. Le principe selon lequel les syndicats ont le droit d'élaborer leurs propres statuts est violé par une disposition de la loi de 1947 sur les syndicats qui prévoit que les syndicats et les associations de travailleurs doivent adapter leurs statuts aux dispositions de cette loi.
    • Interdiction du droit de grève ; non-participation des syndicats à la procédure d'arbitrage
  7. 820. Le droit de grève n'existe pas en Turquie. Le Code du travail prévoit la conciliation et l'arbitrage obligatoires et les syndicats ne prennent pas part à la procédure d'arbitrage. L'article 7 de la loi de 1947 sur les syndicats stipule que, si des membres du conseil d'administration ou des fonctionnaires responsables de syndicats incitent à la grève, ou en cas de tentative de grève, «les syndicats peuvent, par décision du tribunal, être suspendus pendant une période variant de trois mois à un an ou définitivement supprimés, sans préjudice de l'application des dispositions pénales lorsqu'il y aura lieu. Les juges d'instruction ou le tribunal peuvent, à toutes les phases de l'instruction ou du jugement, interdire dans ces cas l'activité du syndicat, même avant le jugement ; le Procureur général de la République peut aussi demander au tribunal ou aux juges de prononcer cette interdiction. Les membres du conseil d'administration d'un syndicat supprimé par jugement, ainsi que les personnes qui sont impliquées dans les tentatives de tels actes ou dans la participation à ces actes, ne peuvent, pendant une année, devenir membres d'un syndicat ».

B. Analyse de la réponse du gouvernement

B. Analyse de la réponse du gouvernement
  1. 821. Dans sa réponse du 12 septembre 1952, le gouvernement fait valoir les arguments suivants.
    • Restrictions au droit d'association de certaines catégories de travailleurs
  2. 822. Bien que la loi de 1947 sur les syndicats ne s'applique pas aux travailleurs exclusivement non manuels et que ceux-ci ne soient pas couverts par la définition du terme « travailleur» dans le sens de l'article 1 du Code du travail de 1946, cette catégorie de travailleurs n'est pas privée des droits syndicaux. L'article 70 de la Constitution garantit la liberté d'association à tous les citoyens, qu'il s'agisse de travailleurs ou d'employeurs. Toutes personnes ont le droit de constituer des associations à toutes fins qu'elles jugent utiles, sauf si elles poursuivent certains buts qui ne sont pas du ressort des syndicats ; elles peuvent, par conséquent, former des associations en vue de défendre et de promouvoir leurs intérêts communs dans le domaine économique et social. Aucune disposition de la législation turque n'interdit aux travailleurs non manuels de former des associations conformément au Code civil, associations qui peuvent avoir le caractère de syndicats. La loi sur les syndicats ne concerne que les associations formées par des travailleurs manuels ou par des personnes dont le travail est manuel et intellectuel à la fois, et elle accorde certains pouvoirs à ces associations, dont elle limite l'activité sur certains points, dans l'intérêt de l'ordre public. Les associations de travailleurs non manuels ne sont pas comprises dans le champ d'application de cette loi mais elles ont le caractère de syndicats dans le sens de la convention no 87. Le Code civil les autorise à conclure des conventions collectives. Il s'ensuit qu'elles peuvent participer à la procédure de conciliation et qu'il ne leur est pas interdit de signer des accords d'arbitrage avec les employeurs ou de recourir à la procédure d'arbitrage volontaire en vue de régler les différends. Pour autant qu'il s'agit des travailleurs non manuels, le gouvernement conclut qu'en fait ils jouissent d'une pleine liberté d'association et que la différence juridique entre leur situation et celle des autres travailleurs est d'ordre purement technique. Une tendance se manifeste actuellement en vue d'étendre aux associations de travailleurs non manuels le champ d'application de la loi de 1947 sur les syndicats ; c'est ainsi que la loi sur les journalistes prévoit que les syndicats de journalistes seront régis par la loi de 1947. Enfin, le gouvernement envisage d'amender la loi de 1947 afin d'élargir la définition du terme « syndicat » de manière à couvrir également les organisations de travailleurs non manuels.
  3. 823. Les personnes dont le salaire ou le traitement émarge au budget de l'Etat ou au budget des administrations locales, des municipalités ou des établissements d'Etat, se voient interdire, par l'article 12 de la loi sur les associations, de « former des associations en rapport avec la nature de leur emploi ou avec la dénomination de la profession qu'elles exercent». Cette disposition n'empêche pas les travailleurs de constituer des organisations ayant le caractère de syndicats en vue de défendre leurs intérêts économiques et professionnels. Le gouvernement fournit une liste de 97 organisations de cette nature qui existent en fait dans les chemins de fer de l'Etat et l'administration des monopoles d'Etat, ainsi que dans d'autres entreprises d'Etat. Les fonctionnaires publics ne peuvent pas créer des associations en rapport avec la profession qu'ils exercent, puisque leur statut est régi par le droit public et non par un contrat d'emploi. Le gouvernement signale toutefois une tendance favorable à l'abrogation de l'article 12 de la loi sur les associations et à l'extension de la liberté d'association aux fonctionnaires publics.
  4. 824. La loi de 1947 sur les syndicats ne s'applique pas aux petites entreprises. Mais l'article 70 de la Constitution reconnaît la liberté d'association à tous les citoyens. En fait, il existe de nombreuses associations constituées par des employés de petites entreprises en vue de défendre leurs intérêts communs. Le gouvernement étudie la question de l'extension du champ d'application de la loi sur les syndicats à cette catégorie de personnes.
    • Restrictions au droit des syndicats de former des fédérations
  5. 825. La disposition d'après laquelle les deux tiers au moins des membres d'un syndicat doivent donner leur approbation à l'affiliation du syndicat à une fédération ne constitue pas une restriction, mais établit une procédure visant à assurer que la majorité ne soit pas dominée par une minorité. Cette disposition n'est pas contraire à la convention no 87.
  6. 826. Les associations ne peuvent pas payer plus de 120 livres turques par an aux fédérations. Toutefois, les membres individuels des syndicats peuvent verser des cotisations supplémentaires aux fédérations. En pratique, il est fait 'usage de ce double système de versement des cotisations aux fédérations.
    • Affiliation des syndicats à des organisations internationales
  7. 827. Il est vrai que l'affiliation d'un syndicat à une organisation internationale exige le consentement du Conseil des ministres. Cette règle vise à protéger la liberté d'association ; elle vise notamment à protéger le mouvement syndical turc, qui se trouve au premier stade de son développement, contre « les tendances politiques et idéologiques qui prévalent » à l'étranger dans certaines organisations internationales. Le gouvernement indique que, lorsque le projet de la convention no 87 a été examiné à San-Franscisco, le gouvernement du Brésil a présenté un amendement à l'article 5, tendant à accorder aux gouvernements le droit d'imposer aux syndicats l'obligation d'obtenir le consentement du gouvernement avant de s'ailier à une organisation internationale, mais cet amendement fut considéré comme superflu et fut retiré, compte tenu des dispositions de l'article 8, d'après lequel les syndicats sont tenus de respecter la légalité. En Turquie, le droit de s'affilier à une organisation internationale n'est pas refusé aux syndicats ; la procédure prévue implique que ce droit leur est reconnu mais son exercice est subordonné au respect de la loi nationale. Jusqu'ici aucune demande d'un syndicat turc visant à obtenir le consentement pour l'affiliation à une organisation internationale n'a fait l'objet d'un refus.
    • Contrôle exercé par le gouvernement sur les syndicats
  8. 828. Le contrôle exercé par le gouvernement sur les syndicats a exclusivement pour but d'empêcher certaines infractions, telles qu'une gestion frauduleuse des fonds par les dirigeants, et ne porte que sur un petit nombre de points. En réalité, le contrôle de la gestion des syndicats est exercé par les assemblées générales. Le droit du gouvernement d'exercer un contrôle aux termes de l'article Il de la loi sur les syndicats, droit dont il est fait usage de manière conforme à l'article 8 de la convention no 87, ne fournit pas au gouvernement l'occasion d'utiliser ce contrôle de manière à porter atteinte a la liberté syndicale. Si des inspecteurs du travail assistent aux assemblées générales, ce n'est habituellement que sur l'invitation des syndicats, qui désirent les tenir au courant de leurs problèmes.
    • Restrictions quant à l'élaboration des statuts syndicaux
  9. 829. Le gouvernement se réfère simplement à l'allégation d'après laquelle la loi de 1947 sur les syndicats exige que ceux-ci mettent leurs statuts en conformité avec la loi ; il ne présente toutefois pas d'observations sur la valeur de cette allégation.
    • Interdiction du droit de grève ; non-participation des syndicats à la procédure d'arbitrage
  10. 830. D'après le gouvernement, la convention no 87 ne comporte aucun principe selon lequel il devrait être mis fin à l'interdiction des grèves. Toutefois, le gouvernement a préparé un projet de loi reconnaissant le droit des travailleurs de se mettre en grève pour des raisons non politiques «dans le cadre d'un régime de conciliation obligatoire et d'arbitrage volontaire ». Lorsque ce projet sera adopté, les dispositions pénales en matière de grève qui sont contenues dans la loi sur les syndicats «seront automatiquement abrogées ».
  11. 831. En ce qui concerne l'allégation du plaignant d'après laquelle les syndicats ne prennent aucune part à la procédure d'arbitrage dans le cas de différends professionnels, le gouvernement estime que la source de cette information se trouve dans le rapport de la mission du B.I.T e. Turquie en 1949 ; il signale qu'en 1950, après la publication de ce rapport, la loi a été amendée et que les syndicats ont maintenant le droit de prendre part aux différents stades de la procédure de conciliation et d'arbitrage en matière de différends du travail, s'ils comptent parmi leurs membres la majorité des travailleurs employés dans l'entreprise intéressée.
  12. 832. Le gouvernement indique enfin que la ratification de la convention no 98, qui porte sur l'application des principes du droit d'organisation et de négociation collective, témoigne de l'importance qu'il attache à la liberté syndicale. Lorsque les réformes législatives envisagées seront intervenues, la liberté d'association en Turquie «trouvera un champ d'application encore plus large qu'auparavant ».

C. Conclusions

C. Conclusions
  1. 833. Lés plaignants aussi bien que le gouvernement se réfèrent expressément aux dispositions de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Bien que la Turquie n'ait pas ratifié cette convention et qu'elle ne soit donc pas juridiquement liée par ses dispositions, le Comité, étant donné le fait que, sur plusieurs des points débattus, le gouvernement compare la législation nationale avec les termes de la convention, a estimé qu'il serait indiqué de tenir compte des principes établis dans cette convention au cours de l'examen des différents aspects de ce cas.
    • Allégations relatives à des restrictions au droit d'association de certaines catégories de travailleurs
  2. 834. Les plaignants allèguent que des restrictions sont apportées au droit d'association des travailleurs non manuels, des employés des petites entreprises et des travailleurs au service de l'Etat.
    • Travailleurs non manuels et employés des petites entreprises
  3. 835. Les plaignants allèguent, sans donner plus de précisions, qu'il ressort de l'article 1 du Code du Travail de 1936 et de l'article 2 de la loi de 1947 sur les syndicats, que les travailleurs non manuels ne peuvent pas former d'associations et que les employés des petites entreprises sont également exclus du champ d'application de la loi de 1947. Le gouvernement admet que la loi de 1947 ne se réfère qu'aux «travailleurs », tels qu'ils sont définis à l'article 1 du Code de 1936 - c'est-à-dire à ceux dont le travail est exclusivement manuel ou en partie manuel et en partie intellectuel - et que, par conséquent, cette loi ne s'applique pas aux travailleurs non manuels, pas plus qu'elle ne s'applique aux employés des petites entreprises. Le gouvernement indique toutefois que, si ces catégories de travailleurs sont exclues du champ d'application de la loi de 1947, cela ne signifie pas que le droit d'association leur est refusé ; il signale que l'article 70 de la Constitution turque accorde à toutes les personnes le droit de former des associations, quels que soient leurs buts, à l'exception de certains objectifs mentionnés dans la loi. En effet, l'article 70 de la Constitution prévoit que les droits de réunion et d'association font partie des droits et libertés des citoyens turcs. Cependant, l'article 79 de la Constitution prévoit que « les limites fixées aux droits ... de se réunir, de s'associer sont déterminées par des lois». Les buts en vue desquels les citoyens ne peuvent pas s'associer sont énumérés dans l'article 9 de la loi de 1938 sur les associations, amendée par la loi 4919 de 1948, qui interdit les associations ayant pour but de saper l'intégrité territoriale et l'unité politique et nationale de l'Etat, les associations confessionnelles, les sectes et ordres religieux, les associations organisées sur la base ou au nom de la famille, de la communauté religieuse ou de la race, les associations clandestines ou les associations ayant des buts secrets, les organisations politiques ayant un but ou une dénomination régionaliste. Le gouvernement indique que ces restrictions n'empêchent en rien les travailleurs non manuels ou les employés des petites entreprises d'exercer le droit d'association que garantit l'article 70 de la Constitution, et cela en vue de défendre et de promouvoir leurs intérêts communs dans le domaine économique et social. Ce droit leur est aussi reconnu par la loi de 1938 sur les associations et par le Code civil. Le gouvernement indique que, conformément à ces lois, les employés dont il s'agit ont formé des associations au sens de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, en vue de défendre les droits et les intérêts de leurs membres. Ces associations ont le caractère de syndicats, bien qu'elles ne soient pas comprises dans la définition du terme « syndicat » au sens de la loi de 1947 sur les syndicats.
  4. 836. Il est nécessaire d'examiner si le fait qu'ils sont exclus du champ d'application de la loi de 1947 place les travailleurs non manuels, les employés des petites entreprises et les organisations qu'ils peuvent former dans une situation tellement désavantageuse par rapport aux autres travailleurs que cela équivaudrait à une restriction de leur droit syndical.
  5. 837. La loi de 1947 autorise expressément les « syndicats» à conclure des conventions collectives au nom de leurs membres. Cependant, les associations de travailleurs non manuels et les associations d'employés des petites entreprises peuvent également conclure des conventions collectives conformément aux articles 316 et 317 du Code civil. Il semble donc que ces associations jouissent du droit de négociation collective.
  6. 838. Toutefois, la loi de 1947 accorde expressément d'autres pouvoirs aux « syndicats », notamment en ce qui concerne la procédure d'arbitrage, l'assistance juridique et la représentation des membres dans les affaires résultant d'une convention collective, l'établissement de caisses d'assistance mutuelle, la représentation auprès d'organisations formées conformément à la loi sur l'assurance des travailleurs (administration) et à d'autres lois, la constitution de sociétés coopératives, etc. Le gouvernement admet implicitement que les « syndicats » constitués aux termes de la loi de 1947 ont plus de pouvoirs que les autres associations de salariés. En ce qui concerne l'arbitrage, le gouvernement indique qu'« aucune disposition légale n'interdit aux travailleurs non manuels de conclure avec leurs employeurs des accords d'arbitrage et de recourir à la procédure d'arbitrage volontaire, en vue de régler, conformément aux dispositions du Code civil, les différends du travail qui pourraient se produire». De plus, ils peuvent participer à une procédure de conciliation « puisqu'ils ont le droit de conclure des conventions collectives ». Mais le droit de soumettre leur avis, de faire des suggestions aux organismes d'arbitrage et de s'adresser à ces organismes «dans le cas où les employeurs ou les organisations d'employeurs s'unissent contre les travailleurs qui cherchent des emplois, en vue d'abaisser les salaires» constitue un droit plus particulier, qui est réservé aux « syndicats» aux termes de la loi de 1947. Comme les autres pouvoirs accordés aux syndicats, ainsi qu'il a été mentionné ci-dessus, ne sont pas reconnus aux associations des travailleurs exclus du champ d'application de la loi de 1947, il semble en résulter pour celles-ci un certain désavantage ; le gouvernement indique en effet que, « si les associations créées par des travailleurs non manuels (ou des employés de petites entreprises) n'ont pas le droit d'exercer les mêmes activités que les syndicats, il s'agit là d'une question en relation ... avec la mesure dans laquelle la législation du travail en vigueur est applicable aux travailleurs non manuels, mais qui ne concerne pas leurs droits syndicaux».
  7. 839. Le gouvernement déclare toutefois qu'il envisage l'amendement de la loi de 1947 sur les syndicats afin d'élargir la notion de «syndicat » de manière à étendre le champ d'application aux associations constituées aussi bien par les travailleurs manuels que par les travailleurs non manuels, de même que par les employés des petites entreprises.
  8. 840. En résumé, il semble; donc que les travailleurs non manuels et les employés des petites entreprises ont en fait le droit de constituer des associations de caractère syndical pour la défense de leurs intérêts économiques et pour la fixation de leurs salaires et de leurs conditions de travail par voie de conventions collectives, mais que ces associations peuvent être désavantagées dans une certaine mesure à d'autres points de vue par rapport aux syndicats qui sont déjà couverts par la loi de 1947 ; la modification de cette loi est toutefois envisagée.
    • Travailleurs au service de l'Etat
  9. 841. Les plaignants allèguent et le gouvernement admet que l'article 12 de la loi de 1938 sur les associations interdit aux personnes émargeant au budget de l'Etat ou au budget des administrations locales, des municipalités ou des établissements d'Etat, de constituer « des associations en rapport avec la nature de leur emploi ou avec la dénomination de l'occupation qu'elles exercent ».
  10. 842. Toutefois, le gouvernement indique que cette disposition n'empêche aucune catégorie de travailleurs de constituer des organisations ayant le caractère de syndicats et visant à protéger leurs intérêts économiques et professionnels ; il donne une liste de 97 organisations qui ont été ainsi constituées.
  11. 843. D'après la loi actuelle, qui apporte dans ce cas une restriction à l'effet de l'article 70 de la Constitution, restriction autorisée par l'article 79 de la Constitution, il n'est pas permis aux fonctionnaires publics de constituer des associations en rapport avec leur emploi parce qu'ils relèvent du droit public et qu'ils ne sont pas régis, comme les « travailleurs », par des contrats d'emploi.
  12. 844. Il semble donc qu'il ne serait en réalité donné effet à l'article 12 de la loi sur les associations qu'en ce qui concerne les fonctionnaires publics dans le sens étroit du terme, c'est-à-dire à l'exclusion des travailleurs manuels au service de l'Etat.
  13. 845. De plus, le gouvernement déclare « qu'une tendance se fait jour d'abroger l'article 12 de la loi sur les associations qui établit cette restriction », et que la politique du gouvernement actuel «prévoit l'éventualité d'une réforme tendant à admettre également les fonctionnaires publics au bénéfice de la liberté syndicale ».
    • Allégations relatives à des restrictions au droit des syndicats de former des fédérations
  14. 846. Ces allégations ont trait en premier lieu à la disposition de la loi qui exige le consentement de la majorité des membres du syndicat avant la constitution d'une fédération et, en second lieu, aux limites imposées au montant des cotisations qui peuvent être versées par les syndicats aux fédérations.
    • Allégation relative au consentement des membres des syndicats pour la constitution des fédérations
  15. 847. Les plaignants allèguent et le gouvernement admet que la loi exige le consentement des deux tiers des membres des syndicats désireux de constituer une fédération ou de s'y affilier (article 8 de la loi de 1947 sur les syndicats). Les plaignants allèguent que cette règle limite le droit des syndicats de constituer librement des fédérations, alors que le gouvernement soutient que la disposition en questionne restreint nullement ce droit, mais constitue une règle de procédure - visant à assurer que la majorité ne sera pas dominée par la minorité ; le gouvernement conclut que cette règle n'est pas contraire à la convention no 87.
  16. 848. Le principe normalement suivi dans les pays où existe une tradition syndicale est que le gouvernement laisse aux organisations intéressées le soin d'établir les règles relatives à leur affiliation à des fédérations. Ces règles exigent normalement le consentement, soit d'une majorité simple, soit d'une majorité déterminée dont elles fixent la proportion. Ainsi, le gouvernement a donné la sanction législative à une règle qui est compatible avec celles que, dans d'autres pays, un nombre considérable de syndicats se donnent de leur plein gré.
  17. 849. Tenant compte du fait que le mouvement syndical turc se trouve, ainsi que l'indique le gouvernement, au premier stade de son développement, le Comité estime qu'à ce stade cette règle n'est pas déraisonnable et ne constitue pas, en pratique, une restriction injustifiée au droit de former des fédérations.
    • Allégation relative au financement des fédérations
  18. 850. Les plaignants allèguent et le gouvernement admet que chaque syndicat ne peut pas verser plus de 120 livres turques par an comme cotisation à une fédération. Le gouvernement indique que rien n'interdit aux membres individuels des syndicats de verser des cotisations supplémentaires à la fédération, et qu'en fait certaines fédérations ont eu recours à ce double système de cotisations.
  19. 851. Alors que cette règle peut sembler contraire au principe généralement accepté d'après lequel les organisations de travailleurs devraient avoir le droit d'organiser leur gestion et leur activité ainsi que celles des fédérations qu'elles constituent, les effets de cette règle semblent être tempérés en pratique par l'expédient auquel il est possible de recourir et qui consiste à percevoir des cotisations des membres individuels des syndicats.
    • Allégation relative à l'affiliation à des organisations internationales
  20. 852. Les plaignants allèguent et le gouvernement admet que l'affiliation d'un syndicat à une organisation internationale exige le consentement préalable du Conseil des ministres. Le gouvernement soutient que l'article 8 de la convention no 87 prévoit que, lorsque les syndicats exercent des droits reconnus par la convention, y compris le droit de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs, ils sont tenus de respecter la légalité ; le gouvernement soutient à ce sujet que c'est en raison de l'adoption de l'article 8 que, lors de la Conférence de San-Francisco, le gouvernement brésilien retira un amendement à la convention, amendement qui aurait fait dépendre une telle affiliation de l'approbation du gouvernement et que, par conséquent, la règle établie par la loi turque constitue, non pas une interdiction, mais la reconnaissance du droit des syndicats de s'affilier à des organisations internationales.
  21. 853. Il ressort toutefois clairement du rapport de la Commission des relations professionnelles à la Conférence de San-Francisco qu'il n'était pas dans l'intention de la Conférence que la législation nationale soit de nature à porter atteinte ou à être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la convention, y compris la garantie du droit des organisations de travailleurs de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs.
  22. 854. Le Comité est d'avis que la disposition législative exigeant l'autorisation du Conseil des ministres pourra être considérée comme incompatible avec le principe de l'affiliation libre et volontaire des syndicats à des organisations internationales, mais, prenant note de la déclaration du gouvernement d'après laquelle aucune demande d'autorisation n'a fait l'objet d'un refus, il estime qu'en pratique il n'y a pas eu atteinte aux droits syndicaux. Le Comité tient également compte du fait que des discussions sont actuellement en cours entre des représentants des organisations de travailleurs turcs et des représentants de la C.I.S.L, en vue de leur affiliation éventuelle à cette organisation internationale de travailleurs.
    • Allégation relative au contrôle exercé par le gouvernement sur les syndicats
  23. 855. Les plaignants déclarent et le gouvernement admet que le droit du gouvernement de contrôler les syndicats a sa source dans l'article 1 de la loi de 1947 sur les syndicats, qui prévoit que « sous réserve des dispositions des articles 28, 29, 31 et 32 de la loi sur les associations, les syndicats sont soumis au contrôle du ministère du Travail ».
  24. 856. Les dispositions de la loi de 1938 sur les associations sont les suivantes:
    • 28. Les transactions, les registres et les comptes des associations peuvent à tout moment faire l'objet d'inspections et d'enquêtes de la part des autorités locales.
    • 29. Les autorités de la police sont autorisées à pénétrer à tout moment au siège central et dans tous les autres locaux des associations, à condition qu'elles aient un ordre écrit émis à cet effet par la plus haute autorité administrative de la localité ; la police est tenue de présenter cet ordre à la demande des intéressés.
    • ......................................................................................................................................................
    • 31. Les autorités locales peuvent envoyer un commissaire du gouvernement pour assister aux assemblées générales des associations lorsqu'elles le jugent nécessaire.
    • 32. L'exécution d'une décision de dissolution d'une association sera effectuée sous le contrôle d'un commissaire du gouvernement.
  25. 857. Les plaignants, aussi bien que le gouvernement, se réfèrent expressément à la convention no 87. Alors que les plaignants soutiennent que ces dispositions sont contraires au principe qu'énonce l'article 3 de cette convention et d'après lequel les organisations de travailleurs devraient avoir le droit d'organiser leur gestion et leur activité et les autorités publiques devraient s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal, le gouvernement déclare que ce contrôle a uniquement pour but d'éviter certains abus tels qu'une gestion frauduleuse des fonds par les dirigeants syndicaux, et ne porte que sur un nombre limité de points. Le gouvernement se réfère également à la disposition de l'article 8 de la convention no 87, d'après lequel les syndicats sont tenus de respecter la légalité, et déclare que les pouvoirs qui lui sont accordés ne peuvent être utilisés de manière à porter atteinte à la liberté syndicale. Le gouvernement ajoute que les inspecteurs du travail assistent généralement aux assemblées sur l'invitation des syndicaux eux-mêmes.
  26. 858. En tenant compte du principe d'après lequel les organisations de travailleurs devraient avoir le droit d'organiser leur gestion et leur activité, le Comité estime que l'exercice d'un contrôle par le gouvernement, aux termes des dispositions précitées de la loi sur les associations, pourrait empêcher les organisations intéressées de jouir de leurs droits syndicaux. Les plaignants ne mentionnent pas de cas dans lesquels ces dispositions auraient été appliquées, si ce n'est qu'ils indiquent que, conformément au rapport de la mission du B.I.T en Turquie en 1949, 74 organisations de travailleurs et d'employeurs ont fait l'objet d'inspections par des inspecteurs du travail au cours d'une période de douze mois environ, depuis le mois de janvier 1948 jusqu'au moment où la mission s'est rendue en Turquie. Le gouvernement déclare qu'en pratique le contrôle n'est exercé que sur un nombre limité de points et uniquement pour empêcher des abus tels que la gestion frauduleuse de fonds. Enfin, en ce qui concerne le seul grief au sujet duquel les plaignants fournissent un exposé détaillé, le gouvernement soutient que les inspecteurs du travail assistent généralement aux assemblées sur l'invitation des syndicats eux-mêmes.
  27. 859. En se fondant sur les éléments qui lui ont été présentés, le Comité estime que le gouvernement n'a appliqué en pratique les dispositions incriminées de la loi sur les associations que dans la mesure lui permettant de s'assurer que certaines infractions, telles que la gestion frauduleuse de fonds, ne se produisent pas, et cela à une époque où le mouvement syndical se trouve encore au premier stade de son développement ; dans ces conditions, le Comité considère qu'il n'a pas été fait usage de ces dispositions de manière à porter atteinte en pratique à l'exercice des droits syndicaux.
    • Allégation d'après laquelle les statuts des syndicats devraient être mis en conformité avec la loi de 1947 sur les syndicats
  28. 860. Les plaignants déclarent que la disposition de la loi de 1947, d'après laquelle les syndicats doivent mettre leurs statuts en conformité avec cette loi, constitue une atteinte au principe selon lequel les syndicats devraient être libres d'élaborer leurs statuts et règlements. Les plaignants ne précisent pas comment cette disposition serait appliquée de manière à porter atteinte à la liberté syndicale, et le gouvernement ne présente pas d'observations détaillées sur cette allégation.
  29. 861. Dans ces conditions, le Comité estime que l'allégation est trop vague pour permettre un examen de cet aspect du cas et recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi.
    • Allégations d'après lesquelles le droit de grève ne serait pas reconnu et les syndicats ne participeraient pas à la procédure d'arbitrage
  30. 862. Les plaignants allèguent que le droit de grève n'est pas reconnu, que l'incitation à la grève par des dirigeants syndicaux peut entraîner des sanctions individuelles aussi bien que la suspension ou la dissolution du syndicat, et que les syndicats ne participent pas a la procédure de conciliation et d'arbitrage obligatoire.
  31. 863. Le gouvernement soutient que la convention no 87 n'implique en rien le principe d'après lequel les grèves ne pourraient pas être interdites. Toutefois, le gouvernement déclare qu'un projet de loi a été préparé en vue de reconnaître le droit de grève à des fins non politiques, dans le cadre de la conciliation obligatoire, mais de l'arbitrage volontaire ; le gouvernement ajoute que les dispositions relatives à la grève qui figurent dans la loi du travail et la loi sur les syndicats seront abrogées lorsque ce projet aura été adopté ; le gouvernement déclare également que, depuis 1950, la législation a été amendée et accorde aux syndicats représentant la majorité des travailleurs intéressés le droit de participer à la procédure de conciliation et d'arbitrage dams des cas de différends collectifs du travail.
  32. 864. Alors qu'il est certain que la convention no 87 ne traite pas du droit de grève, le Comité estime que ce droit est généralement accordé aux travailleurs et à leurs organisations comme faisant partie de leur droit de défendre les intérêts communs en matière économique et sociale, et cela bien que des restrictions partielles et temporaires en limitent fréquemment l'exercice, pour permettre le recours à des procédures de conciliation et d'arbitrage, auxquelles les organisations participent à tous les stades.
  33. 865. Le gouvernement a précisé que les organisations de travailleurs représentant la majorité des travailleurs intéressés participent maintenant à la procédure de conciliation et d'arbitrage, et qu'une nouvelle législation est en voie d'adoption, afin d'autoriser le droit de grève à des fins non politiques « dans le cadre de la conciliation obligatoire et de l'arbitrage volontaire ».
  34. 866. Considérant le cas dans son ensemble, il est apparu au Comité que, sur la base de l'analyse qui précède, de grands progrès ont été accomplis en Turquie au cours des dernières années dams le domaine des relations professionnelles et que la situation en est arrivée à un stade plus avancé que l'on ne pourrait à première vue penser si l'on ne tenait compte que des dispositions législatives en vigueur dans les différents domaines considérés. Le Comité a noté à ce sujet qu'alors que la loi actuelle sur les syndicats ne traite pas de la question des droits syndicaux de certaines catégories de travailleurs, la législation générale accorde déjà à ces catégories un certain nombre de droits importants et que le gouvernement a exprimé son intention d'étendre le champ d'application de la loi sur les syndicats à la plupart des catégories qui ne sont pas déjà couvertes par cette loi ; le Comité a noté également que, par cet amendement ainsi que par d'autres amendements qu'il envisage d'apporter à la législation, notamment en matière de conciliation, d'arbitrage et de grèves, le gouvernement a exprimé l'intention d'accorder de plus larges libertés à l'avenir. Le Comité a noté en plus que les dispositions législatives exigeant le consente ment des deux tiers des membres d'une organisation à l'affiliation de celle-ci à une fédération, et les dispositions relatives au financement des fédérations, ne semblent pas avoir en fait apporté des obstacles sérieux à la formation et au fonctionnement des fédérations, et que les pouvoirs de contrôle que la loi de 1938 sur les associations permet aux autorités d'exercer sur les syndicats ne semblent pas être utilisés en pratique de manière à restreindre l'exercice des droits syndicaux, mais seulement pour autant que le gouvernement a jugé nécessaire de s'assurer que certaines infractions, telles que la gestion frauduleuse de fonds, ne se produisent pas.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 867. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • i) de noter que, si la situation actuelle en ce qui concerne l'exercice du droit d'organisation et le fonctionnement des syndicats en Turquie présente en droit certaines anomalies - anomalies explicables si l'on tient compte du développement récent des syndicats en Turquie, mais auxquelles il serait désirable de mettre fin en apportant des amendements à la législation actuelle-, les travailleurs et leurs organisations jouissent en pratique de droits syndicaux importants, conformément aux principes généralement admis en cette matière ;
    • ii) de noter avec satisfaction les mesures déjà prises ou envisagées par le gouvernement turc afin de mettre fin à de telles anomalies en amendant la législation en matière syndicale ;
    • iii) de noter avec satisfaction la ratification, par le gouvernement turc, de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, et de suggérer au gouvernement qu'il pourrait examiner la législation actuelle ment en vigueur en matière syndicale en tenant compte des principes établis dams la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, en vue d'envisager la possibilité de ratifier cette convention ;
    • iv) de noter que des discussions sont actuellement en cours entre des organisations professionnelles internationales et les organisations professionnelles turques en vue de l'affiliation de celles-ci à ces organisations internationales, et de demander au gouvernement turc de bien vouloir le tenir informé des résultats de ces discussions ;
    • v) de décider que l'ensemble du cas n'appelle pas un examen plus approfondi.
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