Visualizar en: Inglés - Español
- 21. La plainte de la Confédération internationale des syndicats libres est exposée dans trois communications datées respectivement du 30 juillet et des 3 et 10 septembre 1959; la plainte de la Fédération syndicale mondiale est formulée dans deux communications datées du 4 juillet et du 15 août 1959.
- 22. Lorsqu'il a adopté le vingt-neuvième rapport du Comité, à sa 140ème session (Genève, novembre 1958), le Conseil d'administration a décidé qu'il établirait à l'avenir une distinction entre les cas urgents et ceux qui le sont moins, et qu'en ce qui concerne les premiers, il serait appelé à prendre des décisions immédiates sur les rapports qui lui sont soumis par le Comité. Comme critère général, mais non exclusif, le Conseil a adopté le principe que seraient considérés comme urgents les cas mettant en cause la vie ou la liberté d'individus; de même, seraient considérés comme urgents les cas où des conditions nouvelles affectent la liberté d'action d'un mouvement syndical dans son ensemble. Afin de faire en sorte que de tels cas soient traités avec la diligence nécessaire, le Conseil d'administration a décidé:
- a) que lors de la communication de la plainte au gouvernement, l'attention de celui-ci serait tout particulièrement attirée sur le fait que le cas appartient à la catégorie des cas considérés comme urgents par le Conseil d'administration, et qu'il serait invité, au nom du Conseil, à fournir, pour cette raison, une réponse particulièrement rapide en ce qui concerne les aspects urgents du cas;
- b) que les cas urgents seraient traités en priorité par le Comité;
- c) que le Comité, à chacune de ses sessions, devrait adopter aussitôt que possible, au cours de cette session, son rapport sur les cas urgents pour faciliter l'examen immédiat du rapport par le Conseil d'administration;
- d) que le Comité serait autorisé, dans les cas urgents, alors que le cas reste toujours en suspens, à faire les recommandations provisoires appropriées en vue de la protection des parties intéressées.
- 23. Comme les plaintes mentionnées au paragraphe 1 ci-dessus contiennent des allégations relatives à des questions où la vie humaine et la liberté de l'individu sont en jeu, elles ont été communiquées au gouvernement français les 28 juillet et 21 septembre 1959 conformément à la procédure d'urgence rappelée plus haut.
- 24. A sa réunion à Genève les 9 et 10 novembre 1959, le Comité, n'ayant pas encore reçu les observations du gouvernement français, a soumis au Conseil d'administration certaines conclusions dans son trente-huitième rapport, afin qu'elles soient examinées immédiatement par le Conseil à sa 143ème session (Genève, 17-20 novembre 1959) conformément à la procédure relative aux cas d'urgence. Le 16 novembre 1959, le gouvernement français a adressé ses observations, qui sont parvenues au Bureau le 17 novembre. Le Comité s'est réuni de nouveau le 19 novembre 1959 et a soumis au Conseil son quarante-deuxième rapport. Dans ces conditions, le Conseil d'administration n'a pas discuté les conclusions contenues dans le trente-huitième rapport du Comité ni pris de décision à leur égard, mais a adopté le quarante-deuxième rapport du Comité au paragraphe 7 duquel celui-ci déclarait qu'ayant procédé à un examen préliminaire de la réponse du gouvernement français et considérant comme nécessaire d'examiner de façon plus approfondie ladite réponse en même temps que certaines informations complémentaires qu'il se proposait de solliciter du gouvernement, il continuerait à considérer le cas comme un cas d'urgence et recommandait au Conseil d'administration de l'examiner de nouveau à sa prochaine session sur la base d'un rapport ultérieur du Comité. La demande du Comité au sujet de nouvelles informations sur certains aspects du cas a été transmise au gouvernement français par le Directeur général dans une lettre en date du 24 novembre 1959. Le gouvernement français a fourni de nouvelles informations dans une communication en date du 22 janvier 1960. En conséquence, le Comité est maintenant en mesure de reprendre son examen du cas et de présenter sur lui un rapport au Conseil d'administration.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- Allégations relatives à l'emprisonnement et au décès de M. Aïssat Idir, secrétaire général de l'Union des travailleurs algériens
- 25 Dans sa communication du 4 juillet 1959, la Fédération syndicale mondiale déclare que M. Aïssat Idir, secrétaire général de l'Union générale des travailleurs algériens, fut emprisonné en mai 1956 en raison de ses activités syndicales et transféré en mai 1957 à Alger où il fut interrogé et torturé avant d'être transféré dans d'autres camps pour être finalement détenu à la prison civile d'Alger en septembre 1958 sous l'accusation d'atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat français. Le 12 janvier 1959, déclare la F.S.M, il fut cité devant le tribunal militaire d'Alger, qui l'acquitta le 13 janvier. Malgré cela, il ne fut pas remis en liberté. L'organisation plaignante déclare qu'au cours des deux mois suivants, ni sa famille ni ses avocats ne purent entrer en rapport avec lui, toutes les autorisations de lui rendre visite ayant été refusées par les autorités françaises. Lorsque son avocat put enfin le voir, il constata que les jambes de son client portaient des brûlures qui lui avaient été faites au cours de tortures qu'il avait subies. L'organisation plaignante demanda alors l'intervention immédiate de l'O.I.T en se fondant sur le fait que la vie de M. Aïssat Idir était en danger.
- 26 Le 28 juillet 1959, la plainte de la F.S.M fut transmise par le Directeur général du B.I.T au gouvernement français, afin qu'il puisse formuler ses observations. Dans sa lettre, le Directeur général soulignait que, selon la procédure d'examen d'allégations relatives à la violation des droits syndicaux menaçant la vie ou la liberté individuelle - comme dans le cas présent - les plaintes sont classées dans la catégorie des cas que le Conseil d'administration considère comme urgents. Selon la procédure établie pour l'examen de cas de ce genre, le Directeur général a sollicité du gouvernement français une réponse dans des délais particulièrement brefs.
- 27 Le 30 juillet 1959, la Confédération internationale des syndicats libres informa le B.I.T que M. Aïssat Idir était décédé à l'hôpital militaire d'Alger dans des circonstances qui exigeaient une enquête impartiale. Cette communication fut renouvelée sous une forme encore plus pressante en date du 3 août, puis du 10 septembre 1959.
- 28 Dans sa communication du 3 août 1959, la C.I.S.L se réfère aux mêmes points que la Fédération syndicale mondiale en ce qui concerne les événements qui précédèrent l'acquittement de M. Aïssat Idir le 13 janvier 1959, et allègue également que l'intéressé est resté détenu après son acquittement et qu'aucun contact n'a pu être établi avec lui, que les autorités refusèrent de laisser pénétrer auprès de lui le secrétaire central de l'Union syndicale suisse à qui la C.I.S.L avait demandé de se rendre à Alger pour le voir. La C.I.S.L déclare que l'avocat de M. Aïssat Idir fut enfin informé par les autorités que son client avait été transféré à l'hôpital militaire d'Alger, différents motifs contradictoires étant avancés pour ce transfert --- qu'il avait essayé de se suicider en s'ouvrant une veine, qu'il avait mis le feu à son lit et qu'il avait contracté la tuberculose. Lorsque son avocat le vit, est-il allégué, il constata que M. Aïssat Idir avait de graves brûlures aux jambes, mais celui-ci nia avoir jamais essayé de se suicider. L'organisation plaignante déclare que toutes les demandes qu'elle a adressées au Président de la République et au premier ministre français pour obtenir la libération de M. Aïssat Idir et son transfert dans un hôpital de la métropole n'ont reçu aucune réponse. M. Aïssat Idir est décédé le 26 juillet 1959. Selon les plaignants, les autorités d'Alger ont déclaré que le lit de M. Aïssat Idir ayant pris feu, le 17 janvier 1959, celui-ci fut atteint de brûlures, et qu'il reconnut avoir mis le feu accidentellement à son lit; M. Aïssat Idir mourut malgré les efforts déployés par les médecins pour le sauver.
- 29 L'organisation plaignante poursuit en exposant d'autres événements postérieurs au décès de M. Aïssat Idir et se réfère à des déclarations faites par Me Rolin, son avocat, avocat à la Cour d'appel de Bruxelles, ministre d'Etat en Belgique et membre de la Cour permanente d'arbitrage. Selon les plaignants, Me Rolin a révélé qu'au début de 1957, M. Aïssat Idir a reconnu sous la torture qu'il avait fait partie du Comité national de la révolution algérienne, que l'aveu fut porté dans un dossier, puis retiré par les autorités quand elles constatèrent que l'accusé n'aurait pas pu être présent à des réunions de ce comité étant donné qu'il était alors en prison, les autorités refusèrent de présenter ce dossier lors du jugement et elles n'essayèrent pas de maintenir ce chef d'accusation. Les organisations plaignantes déclarent que le Délégué général de la France en Algérie n'a avancé aucune raison valable justifiant la détention en cellule de M. Aïssat Idir, ni fourni aucune explication sur le fait que plusieurs raisons différentes de son hospitalisation avaient été données; de même, l'envoi de M. Aïssat Idir dans un camp de filtrage le lendemain de son acquittement, la raison pour laquelle il fut envoyé dans un hôpital militaire au lieu d'un hôpital civil, comme cela se fait habituellement, et la raison pour laquelle on refusa de donner de ses nouvelles à sa famille, à qui fut également dénié le droit de venir le voir, n'ont jamais été éclaircis. L'organisation plaignante fait valoir que le Délégué général de la France en Algérie accepte la responsabilité entière de l'internement de M. Aïssat Idir après son acquittement, et qu'il justifie sa décision en se référant au « droit de l'administration d'ordonner l'internement d'une personne indépendamment des autorités judiciaires ». Cela signifie, selon les plaignants, que le gouvernement ne tient aucun compte des recommandations du Conseil d'administration; ils soutiennent que le cas tout entier se rapportant à l'Algérie devrait faire l'objet d'un nouvel examen.
- 30 Finalement, la C.I.S.L déclare qu'au vu du rapport du président de la Commission de sauvegarde, le procureur général de la République française a ouvert une instruction sur les causes de la mort de M. Aïssat Idir, et que le premier ministre a accepté que la Commission de sauvegarde fasse elle-même sa propre enquête. Selon les plaignants, ces mesures ne sont pas suffisantes. Ils affirment que la situation appelle une enquête indépendante, qui serait effectuée sous les auspices d'une organisation internationale «dont l'objectivité ne pourrait jamais être mise en doute ».
- 31 La F.S.M, dans une déclaration en date du 15 août 1959, demande au B.I.T d'établir une commission d'enquête internationale à laquelle participeraient toutes les organisations syndicales internationales, commission qui serait chargée d'enquêter en Algérie sur le décès de M. Aïssat Idir ainsi que sur le sort des autres syndicalistes qui sont emprisonnés ou internés et sur la situation du mouvement syndical.
- 32 Dans sa communication du 16 novembre 1959, le gouvernement français commence par déclarer que M. Aïssat Idir a fait, en mai 1956, l'objet d'une mesure d'internement administrative. Déféré à la justice militaire en 1958 pour atteinte à la sûreté de l'Etat, il a été acquitté de ce chef le 3 janvier 1959. Cependant, il est demeuré assigné à résidence dans un centre d'hébergement. A la suite - dit le gouvernement - de brûlures graves occasionnées accidentellement le 17 janvier 1959, Aïssat Idir a été immédiatement transporté à l'hôpital Maillot, où il est décédé le 28 juin 1959.
- 33 Le gouvernement déclare qu'au cours du premier semestre 1959, la C.I.S.L avait sollicité et obtenu l'autorisation de déléguer un observateur lors du procès d'Aïssat Idir, et que, par ailleurs, l'autorisation de rendre visite à Aïssat Idir fut donnée à M. Garrigues, représentant à Alger l'un de ses défenseurs, Me Rolin, et à M. Vust, délégué de la Croix-Rouge internationale.
- 34 Il faut ensuite rappeler, déclare le gouvernement, qu'afin de faire toute la lumière sur la mort d'Aïssat Idir, une information a été ouverte par le parquet d'Alger, et la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuelles a été chargée d'une enquête sur les circonstances de ce décès. Les conclusions du parquet d'Alger ne sont pas encore déposées, mais la Commission de sauvegarde a déjà remis son rapport. C'est notamment à partir du rapport de la Commission de sauvegarde, déclare le gouvernement, que les précisions suivantes peuvent être données sur les conditions dans lesquelles Aïssat Idir a été assigné à résidence et est décédé à l'hôpital Maillot des suites de l'accident qui lui est survenu.
- 35 Militant actif du Parti populaire algérien (P.P.A.), puis du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (M.T.L.D), Aïssat Idir, déclare le gouvernement, est signalé dès 1947 par la violente propagande antifrançaise à laquelle il se livre. En 1951, il est licencié, après douze ans de service, des Ateliers industriels de l'air, pour « propos, agissements, écrits incompatibles avec un emploi dans un établissement travaillant pour la Défense nationale». Il retrouve un emploi à la Caisse algérienne de compensation des allocations familiales du bâtiment et des travaux publics, dans le même temps que le Comité central du M.T.L.D fait de lui le responsable de la Commission centrale des affaires syndicales du parti. En février 1956, il fonde avec quelques autres, dont Ben Khedda (actuellement ministre des Affaires sociales au « G.P.R.A»), l'Union générale des travailleurs algériens (U.G.T.A), dont il devient le Secrétaire général.
- 36 Cependant, poursuit le gouvernement, les sentiments ou les attaches F.L.N des dirigeants de l'U.G.T.A conduisent bientôt les autorités à user à leur encontre de la loi sur les pouvoirs spéciaux: Aïssat Idir fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence et est dirigé sur le Centre d'hébergement de Berrouaghis. Par la suite, il devait être transféré successivement aux Centres de Saint-Leu, d'Arcole et enfin de Bossuet (30 août 1957). Alors qu'il était interné, Aïssat Idir fut désigné, au cours du premier congrès tenu par le F.L.N le 20 août 1956 dans la vallée de la Soummam, comme membre du Conseil national de la révolution algérienne (C.N.R.A). Au mois de février 1957, Aïssat Idir était conduit à Alger, où les services de police tenaient à l'interroger sur ce point. Mo Rolin a indiqué que cet interrogatoire aurait été accompagné de violences. Il ressort cependant du rapport de la Commission de sauvegarde, déclare le gouvernement, qu'Aïssat Idir n'a exprimé aucune doléance à ce sujet et qu'au contraire, l'interrogatoire a été orienté dans un sens favorable à l'intéressé. Lors de cet interrogatoire, étonné d'apprendre que son nom figure parmi les membres du C.N.R.A ainsi que parmi les membres du C.C.E, il supposa que cette inscription avait été faite d'office en raison de son rôle à l'U.G.T.A sans qu'il y ait eu de sa part adhésion volontaire.
- 37 Dans le courant de 1958, des poursuites furent décidées pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat et association de malfaiteurs contre plusieurs des dirigeants de l'U.G.T.A. Des charges suffisantes ayant été relevées, les intéressés - dont Aïssat Idir - sont mis à la disposition de l'autorité judiciaire. Le procès des militants syndicalistes de l'U.G.T.A venait au mois de janvier devant le Tribunal des forces armées d'Alger. Parmi les chefs d'inculpation, l'appartenance d'Aïssat Idir au C.N.R.A n'est pas mentionnée. Le tribunal n'aura pas à se prononcer sur ce point précis. A l'issue du procès, sont prononcés: dix condamnations, dix acquittements et une mise en liberté provisoire. Aïssat Idir, notamment, est acquitté.
- 38 Il n'en demeure pas moins sous l'effet de la mesure restrictive de liberté prise à son encontre par mesure administrative et antérieurement à son transfert sous main de justice. Il est donc dirigé sur le Centre de transit de Birtraria en attendant son retour sur le Centre d'hébergement de Bossuet.
- 39 La décision de ne pas libérer Aïssat Idir, déclare le gouvernement, a été pesée. Le gouvernement met en doute qu'il soit possible de libérer un homme que « l'organisation extérieure de la rébellion » avait inscrit sur la liste des membres du C.N.R.A, même si cette désignation avait été faite sans son accord préalable. La même décision, prise en application de la loi sur les pouvoirs spéciaux, a été appliquée aux neuf autres syndicalistes acquittés lors du même procès; leurs dossiers et leurs intentions vérifiés, huit ont été finalement libérés et le dernier assigné à résidence à son domicile.
- 40 Le gouvernement déclare que c'est au Centre de Birtraria, le 17 janvier, quatre jours après son arrivée au camp, qu'Aïssat Idir a été victime de l'accident dont les suites devaient être mortelles. Il a été brûlé aux jambes par l'incendie de sa literie. Le gouvernement déclare que l'allégation selon laquelle il aurait été torturé ne repose sur aucun fait et il ressort, sur ce point capital, du rapport de la Commission de sauvegarde, que celle-ci a acquis la certitude que pendant les quatre jours qu'Aïssat Idir a passés dans ce camp, il n'a subi aucun mauvais traitement et n'a, d'ailleurs, été soumis à aucun interrogatoire. Quant aux causes des très graves brûlures qu'il a subies, le gouvernement déclare qu'elles ne sont imputables, d'après les résultats de l'enquête extrêmement minutieuse menée par la Commission de sauvegarde, qu'à une imprudence de sa part. Immédiatement après l'accident, poursuit le gouvernement, Aïssat Idir a été transporté à l'hôpital Maillot, où il a été soigné avec un grand dévouement. En effet, si le traitement par greffes qui avait échoué en mars donnait satisfaction aux mois de mai et juin, des suppurations locales affectèrent le malade au début de juillet et son état général déclina de façon inquiétante. Un collapsus brutal l'emporta le 27 juillet sans que le traitement appliqué soit suivi d'effet. Les médecins militaires français, déclare le gouvernement, ont conscience d'avoir mis en oeuvre tous les moyens dont ils disposaient pour sauver la vie de l'intéressé, mais il s'est agi d'une brûlure assez grave pour laquelle le traitement habituel est resté inefficace en raison d'une infection à laquelle l'organisme n'a pas su normalement résister; celle-ci a été la cause déterminante du décès d'Aïssat Idir et elle n'a pu être jugulée, malgré l'utilisation de la presque totalité, et à forte dose, des antibiotiques connus, associés à une réanimation soigneuse, qui a comporté notamment l'utilisation de près de vingt-cinq litres de sang.
- 41 A la suite de ce décès, le substitut du procureur général près la Cour d'appel d'Alger a demandé l'autopsie du défunt. Quatre médecins légistes, un professeur de faculté, deux médecins civils et un médecin militaire ont pratiqué l'autopsie demandée, qui n'a révélé aucune anomalie et qui a conclu au décès par suite de l'infection des brûlures dont Aïssat Idir avait été victime.
- 42 A sa réunion de novembre 1959, le Comité a décidé d'inviter le gouvernement à fournir de nouvelles informations sur certains aspects des allégations analysées ci-dessus. Plus précisément, ayant pris note des déclarations du gouvernement selon lesquelles M. Aïssat Idir n'avait pas été libéré après son acquittement en raison du fait que son nom figurait sur la liste des membres du Comité national de la révolution algérienne, même si cette désignation avait été faite sans son accord préalable, et selon lesquelles les pouvoirs spéciaux qui permettent aux autorités administratives de recourir à des mesures restrictives de liberté individuelle étaient appliqués à l'encontre des personnes qui se plaçaient délibérément en dehors de la légalité, le Comité demandait des informations quant aux raisons précises pour lesquelles M. Aïssat Idir avait été maintenu en détention après son acquittement. Notant également la déclaration du gouvernement selon laquelle, pour faire toute la lumière sur la mort de M. Aïssat Idir, le procureur général d'Alger avait ouvert une instruction dont les conclusions n'étaient pas encore déposées, le Comité demandait que des informations sur ces conclusions lui soient envoyées dès que celles-ci seraient disponibles. En outre, le Comité demandait s'il serait possible de fournir ces informations sur le point de savoir si des sanctions étaient envisagées dans le cas où l'on déterminerait des responsabilités à l'égard du décès de M. Aïssat Idir et si l'on avait l'intention d'octroyer une forme quelconque d'indemnisation aux personnes à charge et à la famille de M. Aïssat Idir. Le Comité demandait également des informations plus détaillées sur les conclusions de la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels et si possible un exemplaire du rapport de cette Commission. Le. Comité indiquait d'autre part qu'il serait reconnaissant au gouvernement français de toute information quant aux précautions qui ont pu être prises en vue de garantir que des faits analogues à ceux qui sont allégués dans le présent cas no se reproduiront pas.
- 43 Cette demande d'informations complémentaires a été adressée par le Directeur général au gouvernement français par une lettre en date du 24 novembre 1959. Le gouvernement a fait parvenir de nouvelles observations dans une communication en date du 22 janvier 1960.
- 44 Dans cette communication du 22 janvier, le gouvernement déclare que M. Aïssat Idir, bien qu'acquitté, n'en restait pas moins sous l'effet de la mesure restrictive de liberté prise à son encontre antérieurement à son transfert sous main de justice. La décision de ne pas suspendre cette mesure a été prise par le Délégué général en Algérie après un examen personnel et approfondi du cas posé par M. Aïssat Idir. Cette décision s'est fondée essentiellement sur la prise en considération des risques que pouvait comporter la libération de M. Aïssat Idir, soit qu'il rejoigne, aussitôt libéré, l'organisation extérieure de la rébellion, soit au contraire qu'il soit victime de la part de celle-ci de mesures de représailles.
- 45 En ce qui concerne la demande d'information du Comité sur les conclusions de l'instruction ouverte par le procureur général d'Alger, le gouvernement déclare qu'en vertu des dispositions formelles du nouveau Code de procédure pénale qui prescrivent le secret des procédures d'enquête et d'instruction, la publication totale ou partielle de ces procédures est interdite. Selon le gouvernement, l'information a été conduite selon les règles normales de la procédure par un juge d'instruction saisi sur réquisitoire du procureur général près la Cour d'appel d'Alger. Cette procédure a été close par un non-lieu; il est ainsi établi, déclare le gouvernement, qu'aucune responsabilité d'ordre civil ou pénal n'a été engagée à l'occasion du décès d'Idir.
- 46 Au sujet de la demande du Comité concernant les conclusions de la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels, le gouvernement déclare que les enquêtes de cet organisme sont conduites sur l'initiative et à l'intention du seul gouvernement français; les rapports communiqués au gouvernement à la suite de cette enquête ne sont donc pas rendus publics. Par déférence pour le Comité, toutefois, le gouvernement déclare qu'il a paru possible d'indiquer la substance des principales conclusions de la Commission.
- 47 Le gouvernement fait connaître qu'il ressort du rapport de la Commission que les interrogatoires de M. Aïssat Idir n'ont jamais été assortis de violences et que c'est quatre jours après son arrivée au centre d'hébergement qu'il fut victime de l'accident dont les suites devaient être mortelles. La Commission a acquis la certitude que pendant ces quatre jours il n'avait subi aucun mauvais traitement et n'a été soumis à aucun interrogatoire. Elle indique qu'on admet en général que c'est sans doute volontairement que M. Aïssat Idir a mis le feu à sa couverture, peut-être dans l'intention de se causer quelque blessure légère, peut-être aussi dans le dessein de provoquer un incident qui aurait appelé sur lui l'attention des autorités.
- 48 La Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels conclut que «les très graves brûlures subies par M. Aïssat Idir le 17 janvier sont dues à une imprudence de sa part ».
- 49 Le Comité note que le gouvernement, tout en acceptant d'indiquer la substance des principales conclusions de la Commission de sauvegarde, souligne que les enquêtes de cet organisme sont conduites sur l'initiative et à l'intention du seul gouvernement français et que ses rapports au gouvernement ne sont pas rendus publics; il déclare également qu'il n'est pas en mesure de donner des détails quelconques sur l'information conduite à la demande du procureur général d'Alger.
- 50 Le Comité reconnaît qu'il appartient au gouvernement français de décider s'il est ou non disposé à communiquer les conclusions d'une enquête menée pour sa propre information. Il considère, toutefois, que, lorsqu'un gouvernement n'est pas prêt à communiquer le texte intégral des conclusions d'une telle enquête, il appartient au Comité d'examiner le poids qu'il convient d'attribuer, en tant que moyen de preuve, à un résumé des principales conclusions d'une telle enquête, lorsque celles-ci, en raison du fait que le gouvernement n'a pas fait connaître le texte intégral du rapport, sont séparées de leur contexte et ne sont pas accompagnées d'un exposé complet des éléments sur lesquels elles sont fondées. Il s'agit là d'une question de preuve qui doit être étudiée à la lumière de principes d'application universels et qui ne met nullement en cause l'intégrité, la capacité, l'impartialité et les hautes qualifications des membres éminents de la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels, qui est ainsi composée: M. Maurice Patin (président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, membre du Conseil constitutionnel), président; M. Damour (conseiller à la Cour de cassation); M. Daure (recteur de l'Université de Caen) ; M. Combaldieu (avocat général près la Cour d'appel de Paris); M. André François-Poncet (ambassadeur de France); M. Grevisse (maître des requêtes au Conseil d'Etat); M. Paul Haag (préfet honoraire de la Seine), M. Ledoux (conseiller à la Cour de cassation); M. Meignie (ancien bâtonnier de l'ordre des avocats à la Cour d'appel de Douai); M. Jean Molierac (avocat à la Cour d'appel de Bordeaux, ancien président de la conférence des bâtonniers); M. Marcel Oudinot (conseiller d'Etat honoraire); M. Charles Richet (président d'honneur de la Fédération internationale libre des déportés et internés de la Résistance, membre de l'Académie de médecine); M. Roger de Segogne (ancien président du Conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation); M. Robert de Vernejoul (président du Conseil national de l'ordre des médecins); M. Voizard (Conseiller d'Etat); le général d'armée Henri Zeller (ancien gouverneur militaire de Paris).
- 51 A cet égard, le Comité note que le Tribunal administratif des Nations Unies et le Tribunal administratif du B.I.T ont eu à considérer des problèmes analogues. Le Tribunal administratif des Nations Unies, dans le cas Robinson contre Secrétaire général des Nations Unies, a déclaré que, s'il ne pouvait obliger le Secrétaire général à produire certaines informations, «lorsque, de sa propre initiative, le défenseur ne communique pas ces renseignements et ces moyens de preuve... le Tribunal ne peut faire autrement que de statuer sans avoir été saisi de ces renseignements et de ces moyens de preuve. Le requérant ne peut supporter des conséquences dommageables du fait que le défendeur considère certains renseignements comme confidentiels et que ne lui est pas offerte la possibilité de connaître la raison [de la décision prise contre lui] ou de la discuter ». De même, le Tribunal administratif du B.I.T, dans le cas McIntire contre le Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, a émis l'opinion que «l'existence d'un document secret concernant le requérant, dont le contenu lui est inconnu et contre lequel il est par conséquent impuissant à se défendre, vicie évidemment l'application équitable du Statut [du personnel] au requérant et porte atteinte non seulement à l'intérêt du personnel tout entier, mais à celui de la justice elle-même».
- 52 Bien que le Comité de la liberté syndicale ne soit en rien un tribunal, il considère que les circonstances sont suffisamment analogues pour que le même principe général soit appliqué à ses travaux et que, quoiqu'il ne lui soit pas possible de demander au gouvernement de lui communiquer le rapport résultant d'une enquête entreprise par ce gouvernement pour sa propre information, un gouvernement qui n'est pas disposé à communiquer le texte intégral d'un tel rapport ne saurait attendre du Comité qu'il accepte des extraits des conclusions de ce rapport comme constituant une preuve suffisante alors que le Comité n'a pas pleinement connaissance des circonstances dans lesquelles le rapport a été établi, de la possibilité qu'ont eue les auteurs dudit rapport de vérifier les faits et des réserves que le rapport pourrait ou non contenir.
- 53 Dans ces conditions, le Comité estime que la version des circonstances du décès de M. Aïssat Idir, donnée par les plaignants, qui ne fournissent pas de preuves décisives mais allèguent qu'ils n'ont pas eu la possibilité de vérifier tous les faits, et l'exposé des faits fourni par le gouvernement, qui se fonde sur des enquêtes faites à sa demande mais qui n'est pas en mesure de fournir au Comité tous les éléments sur lesquels se basent les conclusions acceptées par le gouvernement, ne concordent pas et soulèvent une question de fait sur laquelle le Comité se trouve dans l'impossibilité de se prononcer.
- 54 Le Comité considère cependant qu'il doit appeler l'attention sur le fait qu'Aïssat Idir ne serait pas mort dans ces circonstances s'il n'avait pas été maintenu en détention après son acquittement par un tribunal compétent.
- 55 Dans de nombreux cas antérieurs dont le Comité a été saisi, où il était allégué que des dirigeants ou des membres de syndicats avaient été l'objet de mesures de détention préventive, le Comité s'est montré d'avis que les mesures de détention peuvent impliquer une grave ingérence dans les activités syndicales, qui semblerait devoir être justifiée par J'existence d'une crise sérieuse et qui pourrait donner lieu à des critiques, à moins qu'elle ne soit accompagnée de garanties juridiques appropriées mises en application dans un délai raisonnable; il a déclaré en outre que chaque gouvernement devrait veiller à assurer le respect des droits de l'homme et, spécialement, du droit de toute personne emprisonnée à recevoir un jugement dans le plus bref délai possible. C'est sur la base de ce principe que le Comité, lorsqu'il a examiné le cas relatif à l'Algérie dans son vingt-septième rapport, avait recommandé au Conseil d'administration d'appeler l'attention du gouvernement français sur l'importance qu'il attache à ce que, lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels, que le gouvernement considère comme étant étrangers à leurs activités syndicales, les personnes en question soient jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
- 56 Le Comité considère, en outre, qu'une situation de fait d'où il résulte qu'une telle personne est maintenue en détention après son acquittement par le tribunal compétent n'est pas compatible avec le principe énoncé ci-dessus.
- 57 Le Comité a demandé au gouvernement d'indiquer si des sanctions sont envisagées contre toute personne dont la responsabilité à l'égard de la mort de M. Aïssat Idir aurait été prouvée et si, étant donné les circonstances du cas, on a l'intention d'octroyer une forme quelconque d'indemnisation aux personnes à charge et à la famille de M. Aïssat Idir. En l'absence d'éléments permettant au Comité d'aboutir en pleine connaissance de cause à une conclusion sur la question, le Comité considère qu'il doit se borner à noter la déclaration du gouvernement selon laquelle aucune responsabilité d'ordre civil ou pénal n'a été engagée à l'occasion du d&ès de M. Aïssat Idir.
- 58 Dans ces conditions, le Comité, sans se prononcer sur les différentes versions données par les plaignants et par le gouvernement au sujet de la mort de M. Aïssat Idir, recommande au Conseil d'administration:
- a) d'attirer de nouveau l'attention du gouvernement français sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel les syndicalistes accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement estime être étrangers à leurs activités syndicales doivent être, comme toute autre personne, jugés promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
- b) d'exprimer l'opinion qu'une situation permettant que de telles personnes soient maintenues en détention après avoir été acquittées par le tribunal compétent n'est pas compatible avec le principe rappelé plus haut.
- Allégations relatives à l'emprisonnement de M. Ali Yayia Madjid, M. Rabah Djermane et d'autres syndicalistes
- 59 Outre ces allégations détaillées concernant la détention et le décès de M. Aïssat Idir, la C.I.S.L formule des allégations relatives à la détention de nombreux autres dirigeants syndicaux.
- 60 Dans sa communication du 3 août 1959, la C.I.S.L donne la liste, avec les noms et les fonctions syndicales des intéressés, de dirigeants syndicaux dont elle indique qu'ils étaient maintenus en état d'arrestation depuis deux ou trois ans et qu'ils l'étaient encore en juin 1959. La liste contient trente-six noms et la C.I.S.L prétend qu'elle est loin d'être complète. La F.S.M déclare, dans sa communication du 15 août 1959, que de nombreux syndicalistes ont été emprisonnés ou internés dans des camps de concentration; certains l'auraient été durant plus de quatre ans, sans même avoir fait l'objet de poursuites ou être passés en jugement, ou même après que les juges d'instruction eurent prononcé un non-lieu ou que les tribunaux les eurent acquittés.
- 61 Dans une communication du 10 septembre 1959, la C.I.S.L donne des renseignements complémentaires concernant certaines des personnes qui figurent sur sa liste.
- 62 L'organisation plaignante déclare que M. Ali Yayia Madjid, secrétaire national de l'U.G.T.A, qui avait été arrêté le 23 mai 1956, et qui a été emprisonné depuis lors dans divers camps, est en danger de mort. Après plus de trois années de détention, indique l'organisation plaignante, cette personne n'a jamais été inculpée; elle est toujours détenue au camp Paul-Cazelles, dont les conditions climatiques et sanitaires sont si déplorables que la Croix-rouge internationale et la Commission internationale contre le régime concentrationnaire en avaient demandé la fermeture aux autorités françaises, qui s'y étaient engagées en 1957, mais n'ont jamais tenu leur promesse.
- 63 Les plaignants déclarent que, selon les rapports de l'U.G.T.A, une autre personne mentionnée sur la liste, M. Rabah Djermane, secrétaire national de l'U.G.T.A, détenu dans le même camp, a été touché à l'estomac par une balle tirée par un soldat français en mars 1957. Il est allégué que, dans un autre camp, les soldats français ont battu, à peu près à la même époque, des syndicalistes et d'autres détenus et ont tiré sur certains d'entre eux, dont plusieurs ont été grièvement blessés et admis dans des hôpitaux militaires, mais que l'on est sans nouvelles d'eux depuis lors.
- 64 Dans une lettre du 21 septembre 1959, le Directeur général a transmis au gouvernement français la communication du 10 septembre 1959 de la C.I.S.L, en attirant son attention sur le fait que ce cas entre dans la catégorie de ceux que le Conseil d'administration considère comme urgents et en lui demandant, en conséquence, de répondre rapidement, conformément à la procédure prévue pour l'examen des cas de ce genre. Dans sa communication du 16 novembre 1959, le gouvernement a fourni des observations sur les questions faisant l'objet des allégations.
- 65 En ce qui concerne l'arrestation et l'internement d'Ali Yayia, ancien adjoint d'Aïssat Idir, le gouvernement donne les précisions suivantes:
- 66 Le comportement d'Ali Yayia durant sa détention au centre d'hébergement de Paul-Cazelles où il était assigné à résidence a donné lieu au début du mois d'août à l'ouverture d'une information judiciaire, et l'intéressé a lui-même été inculpé à la fin du mois de septembre de coups et blessures volontaires et d'atteinte à la sûreté de l'Etat.
- 67 En août 1959, déclare le gouvernement, une enquête effectuée au centre d'hébergement de Paul-Cazelles établissait l'existence dans ce centre d'une cellule F.L.N qui tentait par tous les moyens d'assurer son influence sur les hébergés, ayant notamment érigé un pseudo-tribunal qui administrait aux hébergés réfractaires à la discipline de l'organisation des peines variées allant jusqu'aux sévices corporels. L'un des chefs de cette organisation était Ali Yayia Abdelmadjid, dirigeant actif de l'U.G.T.A assigné à résidence pour activités subversives au profit de la rébellion. Le gouvernement déclare que de nombreux témoignages d'hébergés établirent clairement le rôle joué par Ali Yayia, et que ce dernier lui-même reconnut avoir exercé des sévices sur certains de ses coreligionnaires.
- 68 Une information était alors ouverte au parquet de Blida contre Ali Yayia et vingt-sept autres assignés à résidence, pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat et coups et blessures volontaires, à la suite de laquelle Ali Yayia était inculpé le 24 septembre 1959.
- 69 Le gouvernement déclare que les griefs exprimés par la C.I.S.L selon lesquels les mesures prises à l'encontre de l'U.G.T.A et de ses principaux responsables en 1956 constitueraient autant d'atteintes aux conventions sur la liberté syndicale ratifiées par la France sont ceux-là même qui avaient fait l'objet de sa part d'une première plainte en 1957. Dans ces conditions, les arguments présentés à l'époque par le gouvernement français conservent aujourd'hui toute leur valeur et il ne peut lui être demandé que de s'y référer à nouveau. Toutefois, sur la question des assignations à résidence, par décision administrative, et celle des centres d'hébergement, le gouvernement français a tenu à apporter les précisions suivantes:
- 70 En ce qui concerne le premier point, le gouvernement déclare que l'application des procédures pénales de droit commun à la répression des menées antinationales en Algérie, a dû être complétée par le recours à des mesures restrictives de liberté prises à l'initiative des autorités administratives, telles que l'interdiction de séjour et l'assignation à résidence. La mise en application de telles mesures procède des pouvoirs spéciaux dont les autorités chargées du maintien de l'ordre dans les départements d'Algérie ont été investies en vertu de la loi du 16 mars 1956 délibérée et votée par le Parlement français, puis reconduite à plusieurs reprises. Ces pouvoirs, déclare le gouvernement, sont appliqués, sans distinction de personne, à l'encontre de tous ceux qui, quelles que soient leur qualité ou leur fonction, se sont placés délibérément hors de la légalité.
- 71 En ce qui concerne les centres d'hébergement, le gouvernement déclare que ces centres rassemblent toutes les personnes ayant fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence. Le cas de chaque assigné fait l'objet d'un examen périodique par une commission spéciale placée sous la présidence d'un magistrat de l'ordre judiciaire et siégeant auprès du délégué général du gouvernement en Algérie. Les hébergés sont placés sous un régime qui n'a rien de comparable avec le régime pénitentiaire: ils reçoivent courrier et visites, ils ont la faculté de suivre des cours et disposent d'une bibliothèque organisée dans chaque centre lis sont soumis à des contrôles médicaux fréquents et réguliers et en aucun cas no sont assujettis au travail obligatoire: certains d'entre eux participent sur leur demande aux services communs des centres (infirmerie, comptabilité) et reçoivent à ce titre une rémunération.
- 72 Le gouvernement poursuit en indiquant qu'un centre hospitalier antituberculeux de cent lits a été installé à Beni-Messous; il ne reçoit que des assignés à résidence et certains d'entre eux y sont suivis et soignés, qui auparavant n'avaient jamais été traités. Les centres d'hébergement sont régulièrement visités par les membres de la Commission de sauvegarde ainsi que par des représentants de la Croix-rouge internationale.
- 73 A leur libération, déclare le gouvernement, les hébergés sont généralement réintégrés dans leur ancien emploi sur intervention de leur commandant de centre, les autorités locales et les officiers des sections administratives spécialisées collaborent également à leur reclassement professionnel.
- 74 En conclusion, le gouvernement expliquait que le centre d'hébergement de Paul-Cazelles était, jusqu'en 1957, un camp provisoire sous tente et, comme tel, était destiné à disparaître, mais l'année suivante, les installations provisoires furent remplacées par des constructions préfabriquées, les aménagements collectifs nécessaires furent successivement réalisés (eau, électricité, installations sanitaires, etc.) et le centre demeura à son emplacement initial.
- 75 Lorsqu'il a examiné ce cas à sa réunion du 19 novembre 1959, le Comité, notant la déclaration du gouvernement selon laquelle le cas de toute personne assignée à résidence forcée fait l'objet d'un examen périodique par une commission spéciale, a prié le gouvernement de préciser à combien de reprises cet examen a abouti à la libération de personnes figurant sur la liste des trente-six dirigeants syndicaux établie par le plaignant. Le Comité désirait également savoir si les autorités appliquent leurs pouvoirs spéciaux en tenant compte, comme la réponse du gouvernement semblait l'indiquer, des opinions ou de l'affiliation des dirigeants syndicaux. En ce qui concerne ceux des syndicalistes qui figurent sur la liste fournie par les plaignants et qui n'ont pas été libérés, le Comité a demandé au gouvernement de préciser s'il a l'intention de prendre des mesures garantissant qu'ils seront jugés dans un proche avenir par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. Ayant pris note des allégations selon lesquelles M. Rabah Djermane, secrétaire national de l'U.G.T.A, détenu dans le camp Paul-Cazelles, a été touché à l'estomac par une balle tirée par un soldat français, en mars 1957, et selon laquelle, dans un autre camp, les soldats français ont battu, à peu près à la même époque, des syndicalistes et autres détenus et ont tiré sur certains d'entre eux, dont plusieurs ont été gravement blessés et dont on est sans nouvelles depuis lors, le Comité a prié le gouvernement de fournir des observations sur ces allégations. Enfin, le Comité a demandé au gouvernement de fournir d'urgence les informations sollicitées par le Conseil d'administration lors de son adoption du paragraphe 293 c) du vingt-septième rapport du Comité à sa 137ème session (octobre-novembre 1957), et au sujet desquelles des rappels ont été formulés dans les vingt-huitième et trente-cinquième rapports du Comité, approuvés respectivement par le Conseil d'administration à sa 138ème session (mars 1958) et à sa 142ème session (mai-juin 1959).
- 76 Le gouvernement a fourni de nouvelles informations dans une communication en date du 22 janvier 1960.
- 77 En ce qui concerne la question de l'examen périodique du cas des personnes qui ont été assignées à résidence forcée, le gouvernement déclare que la Commission d'examen, siégeant auprès du Délégué général du gouvernement, apprécie l'opportunité des délibérations qu'elle propose, après examen complet du dossier des intéressés et au seul vu des faits qui leur sont reprochés, sans considération de leur qualité de militant ou dirigeant syndical.
- 78 Au sujet de l'application des pouvoirs spéciaux permettant aux autorités de prendre des mesures susceptibles de restreindre la liberté individuelle, le gouvernement déclare que les autorités centrales ou locales, investies du pouvoir de prononcer l'assignation à résidence par décision administrative, s'inspirent de tous les éléments nécessaires à leur complète information. En raison de son caractère de gravité, toute mesure individuelle restrictive de liberté doit être prise en parfaite connaissance de cause et tenir compte de tous les faits qui peuvent éclairer l'autorité responsable sur l'opportunité et la durée de la mesure prise au regard des seules exigences de l'ordre et de la sécurité publiques. Ainsi, ajoute le gouvernement, l'appartenance à une organisation syndicale n'est jamais considérée comme une circonstance atténuante ou aggravante. Pour apprécier la durée maximum d'application de chaque mesure individuelle d'assignation à résidence, il est uniquement tenu compte des nécessités de l'ordre public et de la sécurité des personnes et des biens.
- 79 Le gouvernement déclare que le cas de chaque assigné fait l'objet d'un examen périodique par une commission spéciale placée sous la présidence d'un magistrat. La procédure ainsi instituée peut aboutir à la libération de l'assigné, à son inculpation pour atteinte à la sécurité de l'Etat ou à son maintien dans un centre d'hébergement. Ainsi, continue le gouvernement, les syndicalistes qui avaient fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence ont été, soit libérés après examen de leur dossier par la Commission centrale d'examen des assignations à résidence, soit placés sous mandat de dépôt sous l'inculpation d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat, soit maintenus dans un centre d'hébergement sur avis de la Commission qui procède à intervalles réguliers à l'examen de leur dossier.
- 80 En outre, le gouvernement explique, dans sa dernière réponse, que la Commission d'examen siégeant auprès du délégué général peut recommander la libération de l'assigné et, d'autre part, que tous les cas font l'objet d'un examen périodique par une commission spéciale placée sous la présidence d'un magistrat. Il en résulte, déclare le gouvernement, que « les syndicalistes qui avaient fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence ont été soit libérés après examen de leur dossier par la Commission centrale d'examen des assignations à résidence, soit placés sous mandat de dépôt sous l'inculpation d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat, soit maintenus dans un centre d'hébergement sur avis de la Commission qui procède, à intervalles réguliers, à l'examen de leur dossier».
- 81 En ce qui concerne les allégations relatives au coup de feu tiré sur M. Rabah Djermane et aux sévices qui auraient été infligés à d'autres militants syndicaux, le gouvernement déclare que les informations recueillies sur ce point ne permettent pas de penser que les intéressés aient fait l'objet du traitement dont il est fait mention.
- 82 Le Comité estime que cette réponse ne satisfait pas pleinement sa demande spécifique d'information, compte tenu des principes qui figurent au paragraphe 55 ci-dessus; le Comité avait, en effet, demandé à combien de reprises l'examen périodique des cas avait abouti à la libération des personnes figurant sur la liste des trente-six dirigeants syndicaux établie par les plaignants. Le gouvernement n'indique pas, non plus, s'il a l'intention de prendre des mesures garantissant que les personnes encore en détention seront jugées dans un proche avenir par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. Enfin, le gouvernement ne répond pas à la demande faite par le Conseil d'administration lorsqu'il a adopté le paragraphe 293 c) du vingt-septième rapport du Comité, par lequel il décidait (à l'égard des personnes dont il était allégué, dans les plaintes alors examinées, qu'elles étaient en détention)
- ... d'appeler l'attention du gouvernement de la France sur l'importance qu'il attache à ce que, lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étant étrangers à leurs activités syndicales, les personnes en question soient jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante; d'exprimer le voeu que le gouvernement tiendra compte de ce principe et lui fera connaître, en temps utile, les procédures légales ou judiciaires qui auront pu être suivies dans le cas de celles des personnes mentionnées par les plaignants qui sont encore internées, et le résultat de telles procédures.
- 83 Enfin, en ce qui concerne les allégations relatives au coup de feu tiré sur M. Rabah Djermane et aux sévices qui auraient été infligés à d'autres détenus, allégations au sujet desquelles le Comité avait demandé des informations à sa dernière session, le gouvernement se borne à répondre que les informations recueillies « ne permettent pas de penser que les intéressés aient fait l'objet du traitement dont il est fait mention ».
- 84 Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de demander au gouvernement de fournir d'urgence une réponse concernant la situation actuelle, à la lumière des principes énoncés au paragraphe 55 ci-dessus, de ceux des syndicalistes dont il est allégué qu'ils ont été détenus et qui peuvent se trouver encore en détention, y compris particulièrement M. Ali Yayia Madjid, M. Rabah Djermane et les autres personnes énumérées dans la communication de la C.I.S.L en date du 3 août 1959; de demander également au gouvernement de fournir des informations au Conseil d'administration sur les résultats des procédures légales ou judiciaires qui ont été engagées à cet égard ou qui pourront l'être;
- b) de demander au gouvernement de préciser à combien de reprises l'application de la procédure d'examen périodique du cas des personnes assignées à résidence forcée a abouti à la libération de personnes figurant sur la liste des trente-six dirigeants syndicaux établie par les plaignants et d'indiquer le nom de celles d'entre elles qui ont pu être libérées;
- c) de prier le gouvernement français de fournir d'urgence les informations qui lui ont été demandées par le Conseil d'administration lorsqu'il a adopté le paragraphe 293 c) du vingt-septième rapport du Comité, à sa 137ème session (octobre-novembre 1957) et au sujet desquelles des rappels ont été formulés à l'adresse du gouvernement dans les vingt-huitième et trente-cinquième rapports du Comité, adoptés respectivement par le Conseil d'administration à sa 138ème session (mars 1958) et à sa 142ème session (mai-juin 1959);
- d) de demander au gouvernement de fournir des informations plus détaillées sur les enquêtes qui ont été faites sur le coup de feu dont aurait été victime M. Rabah Djermane et sur les sévices qui auraient été infligés à d'autres militants syndicaux, comme il a été indiqué au paragraphe 63 ci-dessus, et sur les résultats de telles enquêtes.
- Allégations relatives au retrait de la représentativité de certaines organisations syndicales
- 85 Dans sa communication en date du 10 septembre 1959, la Confédération internationale des syndicats libres se réfère aux allégations examinées par le Comité aux paragraphes 252 à 266 de son vingt-septième rapport, relatifs au retrait de la représentativité, en 1956, à un certain nombre de fédérations syndicales algériennes. Les allégations présentes du plaignant ont plus spécialement trait au cas de l'une de ces fédérations: l'Union générale des travailleurs algériens. Le plaignant allègue que dans la réponse qu'il a soumise au Comité, lorsque celui-ci a examiné le cas dans son vingt-septième rapport, le gouvernement français a cherché à justifier cette mesure et à minimiser sa portée.
- 86 Le plaignant déclare que, selon les informations fournies par le gouvernement français en 1957, un arrêté du 22 décembre 1956 a attribué le statut représentatif à quatre fédérations, en excluant l'U.G.T.A, l'Union générale des syndicats algériens (U.G.S.A.) et l'Union syndicale des travailleurs algériens (U.S.T.A.). (La situation de l'U.G.S.A. a déjà fait l'objet d'une circulaire du 6 octobre 1956 et du décret no 56-276 du 26 novembre 1956). Selon le plaignant, il est nécessaire, pour connaître véritablement la question en ce qui concerne l'U.G.T.A, de considérer les événements qui se sont produits au début de 1956.
- 87 Le plaignant déclare que l'U.G.T.A a été fondée le 26 février 1956 et s'est vu conférer le caractère représentatif vingt jours plus tard; elle a obtenu 72 pour cent des voix aux élections des membres du Conseil de discipline de la R.D.T.A. (Tramways algériens). Elle a présenté ensuite des candidats aux élections du comité d'entreprise de la R.D.T.A. Le scrutin a eu lieu le 30 avril 1956. Le plaignant allègue que les urnes ont été scellées sans que les voix aient été décomptées et qu'au cours d'une réunion de l'ancien comité d'entreprise, le 14 mai 1956, la direction des tramways a simplement déclaré, en guise d'explication de l'annulation du scrutin, que les élections avaient été suspendues pour trois mois et que le mandat des délégués sortants était prorogé pour la même durée. A l'appui de cette déclaration, ajoute le plaignant, la direction n'a produit aucune instruction écrite du Bureau du Gouverneur général et la protestation des délégués a été inscrite au procès-verbal de la réunion. De l'avis du plaignant, le caractère arbitraire de cette mesure ressort du fait que le gouvernement lui-même ne mentionne aucun texte officiel antérieur au 6 octobre 1956, soit plusieurs mois après les événements allégués ci-dessus. A cette date, ajoute le plaignant, les dirigeants de l'U.G.T.A avaient été arrêtés, ses ressources avaient été confisquées, ses locaux occupés par l'armée et son journal saisi et interdit, de sorte qu'en pratique, elle ne pouvait plus fonctionner ni engager de procédure contre les mesures administratives prises contre elle.
- 88 Le plaignant poursuit en déclarant qu'au cours du procès de M. Aïssat Idir et d'autres chefs syndicaux, on a tenté de prouver que l'U.G.T.A était une organisation subversive, mais le ministère public lui-même a dû reconnaître qu'elle était légale. Aux yeux du plaignant, le rejet de l'accusation d'« association de malfaiteurs » contre M. Aïssat Mir, secrétaire général de l'U.G.T.A, réfute l'argument du gouvernement selon lequel les mesures administratives prises contre l'U.G.T.A sont justifiées par le fait que celle-ci est une ramification du F.L.N et qu'en conséquence, ses activités sont illégales.
- 89 Au sujet de la déclaration du Comité, au paragraphe 266 de son vingt-septième rapport, selon laquelle il apparaît que les organisations auxquelles a été retirée la représentativité ont eu «une activité politique d'une portée dépassant celle qui s'attache normalement aux activités professionnelles des syndicats », l'organisation plaignante exprime l'opinion qu'il n'y a pas contradiction entre les termes de la résolution concernant l'indépendance du mouvement syndical, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1952, à sa 35ème session - dont le Comité fait état dans le paragraphe mentionné - et le droit, sinon le devoir, d'un syndicat de se prononcer occasionnellement sur des questions politiques influençant directement les intérêts de ses membres. L'U.G.T.A, déclare l'organisation plaignante, a agi en faveur de l'indépendance algérienne, étant convaincue que seule l'indépendance politique permettrait de mettre fin à l'exploitation économique et sociale contre laquelle elle est en train de lutter.
- 90 Enfin, affirme l'organisation plaignante, les recommandations figurant au paragraphe 265 du vingt-septième rapport du Comité devraient être réexaminées, parce qu'elles sont restées sans effet, puisque aucune procédure offrant toutes garanties d'impartialité n'a été établie pour restituer à l'U.G.T.A la possibilité de rentrer en possession de ses locaux, de ses archives et des fonds qui lui ont été confisqués, de telle manière qu'elle puisse exercer librement son activité en tant qu'organisation dotée du statut représentatif.
- 91 Le gouvernement déclare que l'U.G.T.A, l'U.G.S.A. et l'U.S.T.A n'ont jamais été dissoutes et qu'elles restent licites, étant donné que leurs statuts sont pleinement conformes aux prescriptions légales. Selon ces statuts, en effet, les trois fédérations sont constituées dans le cadre des lois et institutions et elles doivent s'interdire toute discussion politique ou religieuse. Le gouvernement ajoute que les conditions de la représentativité sont définies par la loi du 11 février 1950, dans les perspectives de cette loi, et que le fait qu'un syndicat n'est pas reconnu comme représentatif ne fait pas obstacle au libre exercice des droits syndicaux.
- 92 Alors que la question même du retrait de la représentativité aux trois organisations en question a été examinée par le Comité dans les paragraphes 252 à 266 de son vingt-septième rapport, l'organisation plaignante, dans les cas présents, soulève un certain nombre de points nouveaux sur lesquels le Comité ne s'est jamais prononcé et au sujet desquels le gouvernement n'a pas fait d'observation. Ainsi, outre l'affirmation que les recommandations formulées dans le vingt-septième rapport du Comité ont été sans effet, l'organisation plaignante mentionne (voir paragraphe 79 ci-dessus) les événements de 1956 (antérieurs au retrait de la représentativité) liés à l'élection des représentants syndicaux auprès de certains organismes, de même que la confiscation des fonds de l'U.G.T.A. En conséquence, avant de poursuivre l'examen de ces allégations, le Comité a décidé de demander au gouvernement de formuler ses observations sur les points en cause.
- Allégations concernant la saisie et l'interdiction de publications syndicales
- 93 L'organisation plaignante mentionne d'abord le fait que lorsque le Comité a examiné des allégations de même nature, aux paragraphes 276 à 280, les observations du gouvernement et les considérations présentées par le Comité se sont bornées à l'examen du cas du Travailleur algérien, organe de l'U.G.S.A. Les plaignants s'intéressent maintenant à l'allégation relative à la saisie et à l'interdiction de l'Ouvrier algérien, organe de l'U.G.T.A. Ils déclarent que l'une des principales accusations formulées contre M. Aïssat Idir était qu'en tant qu'éditeur responsable, il avait signé des articles en faveur de l'indépendance algérienne et de la lutte engagée par le F.L.N, mais que son acquittement prononcé par le Tribunal militaire démontre que ses articles n'ont pas été considérés comme répréhensibles; au surplus, M. Aïssat Idir était, lors du procès, le seul syndicaliste qui n'était pas accusé d'être membre du F.L.N. Dans ces conditions, conclut l'organisation plaignante, les raisons ayant provoqué la saisie et l'interdiction du journal ont été reconnues comme non motivées et cette mesure a constitué une violation d'un droit syndical, le droit de publication de l'organisation intéressée.
- 94 Le gouvernement déclare que la plupart des numéros du journal ont été confisqués sur l'ordre des autorités administratives locales, ces mesures étant justifiées par la nature et le contenu des articles: appels répétés à la violence et à la grève insurrectionnelle, diffusion des consignes de la rébellion, imputations injurieuses à l'adresse d'administrateurs et de fonctionnaires, et, plus fréquemment encore, publicité accordée dans les colonnes de cette publication à des actes qui mettent gravement en danger l'ordre public et la sécurité des personnes et des biens.
- 95 Il est vrai, comme l'indiquent les plaignants, que le seul cas considéré en détail par le Comité dans son vingt-septième rapport était celui du Travailleur algérien, organe de l'U.G.S.A. Seule une brève mention a été faite de la confiscation de l'Ouvrier algérien à plusieurs reprises. Le Comité a abouti aux conclusions indiquées aux paragraphes 278, 279 et 280 de son vingt-septième rapport après avoir considéré les raisons de son interdiction données par le gouvernement - ces raisons étant, à bien des égards, sensiblement pareilles à celles qui sont données dans le cas dont il s'agit actuellement. Cependant, dans les cas du Travailleur algérien, les arguments du gouvernement étaient étayés par un certain nombre d'extraits de numéros de ce journal, qui représentaient un facteur matériel ayant permis au Comité de former son jugement sur la question, comme cela s'était passé précédemment dans un cas au sujet duquel le Comité avait dû se prononcer sur des questions semblables. Avant de formuler ses conclusions dans le présent cas, le Comité a décidé de demander au gouvernement de fournir des extraits des numéros de l'Ouvrier algérien qui ont été interdits, compte tenu de ses observations mentionnées au paragraphe 94 ci-dessus.
- Allégations relatives aux restrictions apportées à l'activité de dirigeants syndicalistes
- 96 Dans la plainte dont le Comité est saisi, la Confédération internationale des syndicats libres borne ses allégations à un seul exemple. Il est prétendu que M. Delouvrier, Délégué général français, dans une déclaration faite le 7 août 1959, a dit qu'il avait reçu de nombreuses requêtes de personnes désireuses de faire visite à M. Aïssat Idir à l'hôpital Maillot, mais qu'il les avait filtrées et avait refusé en particulier d'autoriser la visite d'un représentant de la C.I.S.L, dont l'attitude avait été particulièrement violente. Il s'agissait, déclare l'organisation plaignante, de M. Bernasconi, secrétaire général de l'Union syndicale suisse, délégué par l'organisation plaignante pour entrer en contact avec M. Aïssat Idir. L'organisation plaignante déclare que ce fait constitue une violation du droit pour les organisations syndicales nationales de rester librement en contact avec les organisations internationales auxquelles elles sont affiliées.
- 97 Dans sa communication datée du 16 novembre 1959, le gouvernement déclare que la C.I.S.L avait été autorisée, au début de 1959, à envoyer un observateur au procès d'Aïssat Idir et que l'autorisation de rendre visite à celui-ci avait été accordée à M. Garrigues, représentant à Alger de Me Rolin, avocat de la défense, ainsi qu'à M. Vust, délégué de la Croix-Rouge internationale. Le gouvernement ne fait cependant aucune mention du cas de Bernasconi ni de la déclaration qui aurait été faite en ce qui le concerne par M. Delouvrier, le 7 août 1959. Dans ces conditions, le Comité a décidé de demander au gouvernement de formuler ses observations sur cet aspect de la question.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 98. Compte tenu de cet ensemble de circonstances, le Comité, sans se prononcer pour autant sur les versions différentes qui ont été données par les plaignants et par le gouvernement de la mort de M. Aïssat Idir, recommande au Conseil d'administration:
- a) d'attirer une fois encore l'attention du gouvernement français sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel les syndicalistes accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement estime être étrangers à leurs activités syndicales doivent être, comme toute autre personne, jugés promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
- b) d'exprimer l'opinion qu'une situation permettant que soient maintenues en détention de telles personnes après avoir été acquittées par le tribunal compétent n'est pas compatible avec le principe rappelé plus haut;
- c) de demander au gouvernement de fournir une réponse rapide en ce qui concerne la situation, à la lumière des principes énoncés plus haut, de ceux des syndicalistes dont on allègue qu'ils auraient été détenus et qui se trouvent peut-être encore en détention, y compris, en particulier, M. Ali Yayia Madjid et M. Rabah Djermane, de même que les autres personnes mentionnées dans la communication du 3 août 1959 de la C.I.S.L; de demander au gouvernement de fournir également des informations au Conseil d'administration quant aux résultats des procédures judiciaires en cours ou envisagées à cet égard;
- d) de demander au gouvernement de dire en combien d'occasions l'application de la procédure d'examen périodique des cas de personnes assignées à résidence a abouti à la libération de personnes figurant dans la liste des trente-six militants syndicalistes désignés par les plaignants et de donner les noms de ceux d'entre eux qui auraient été libérés;
- e) de demander au gouvernement français de fournir d'urgence les informations qui lui ont été demandées par le Conseil d'administration quand celui-ci a adopté le paragraphe 293 c) du vingt-septième rapport du Comité, à sa 137ème session (octobre-novembre 1957), et au sujet desquelles des rappels ont été adressés au gouvernement dans le vingt-huitième et le trente-cinquième rapport du Comité, adoptés par le Conseil d'administration à sa 138ème session (mars 1958) et à sa 142ème session (mai-juin 1959), respectivement;
- f) de demander au gouvernement de fournir des informations détaillées au sujet des enquêtes faites en ce qui concerne les allégations relatives au coup de feu qu'aurait reçu M. Rabah Djermane et aux mauvais traitements subis par d'autres syndicalistes dont il est question au paragraphe 63 ci-dessus, et au sujet des résultats de ces enquêtes;
- g) de prendre note du présent rapport intérimaire du Comité à l'égard des allégations relatives au retrait de la représentativité de certaines organisations syndicales, à la saisie et à l'interdiction de publications syndicales et aux restrictions à l'activité des dirigeants syndicalistes, au sujet desquelles le Comité a demandé au gouvernement de fournir des informations complémentaires, étant entendu que le Comité soumettra un autre rapport à cet égard lorsqu'il aura reçu ces informations.