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Informe provisional - Informe núm. 304, Junio 1996

Caso núm. 1863 (Guinea) - Fecha de presentación de la queja:: 19-DIC-95 - Cerrado

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321. L'Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement de la Guinée dans une communication datée du 19 décembre 1995. Le 16 janvier 1996, l'USTG a fourni des informations complémentaires à l'appui de sa plainte. Le gouvernement a transmis ses observations dans une communication datée du 11 mars 1996.

  1. 321. L'Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement de la Guinée dans une communication datée du 19 décembre 1995. Le 16 janvier 1996, l'USTG a fourni des informations complémentaires à l'appui de sa plainte. Le gouvernement a transmis ses observations dans une communication datée du 11 mars 1996.
  2. 322. La Guinée a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 323. Dans sa plainte du 19 décembre 1995, l'USTG dénonce des violations des droits syndicaux qui seraient imputables au gouvernement de la Guinée et, en particulier, le refus du gouvernement de négocier avec les organisations d'enseignants, l'arrestation arbitraire de M. M'Bemba Soumah, secrétaire général du Syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée (SLECG), ainsi que celle de M. Souleymane Condé et d'autres responsables syndicaux, la mutation arbitraire de syndicalistes, des retenues sur salaires pour faits de grève et d'autres mesures d'intimidation à la suite d'un conflit du travail dans le secteur de l'enseignement.
  2. 324. L'USTG explique que l'inflation galopante en Guinée l'a conduite à demander en vain à partir du 12 avril 1994 une augmentation de salaire pour les enseignants et les chercheurs afin de maintenir leur pouvoir d'achat. Aucun accord satisfaisant n'ayant pu être obtenu, le SLECG a dû déposer un préavis de grève en date du 27 novembre 1995. La grève a débuté le lundi 18 décembre 1995 pour 72 heures. Réagissant à ce mouvement revendicatif, le gouvernement a, selon l'organisation plaignante, arrêté massivement les enseignants et les chercheurs sur toute l'étendue du territoire national. Celle-ci considère que ces actions arbitraires du gouvernement constituent une violation des articles 3, paragraphe 2, de la convention no 87, 4 de la convention no 98 et 5 de la convention no 154.
  3. 325. Dans une communication ultérieure datée du 16 janvier 1996, l'USTG transmet des informations et des preuves matérielles en complément et à l'appui de sa plainte. Elle indique que tout a commencé le 1er novembre 1995 lorsque le SLECG a déposé un mémorandum portant sur une demande de relèvement du salaire indiciaire des enseignants, qui était l'un des points de la plate-forme soumise par le syndicat depuis le 12 avril 1994. Ce point, en effet, n'avait pas fait l'objet de négociation. Le mémorandum du 1er novembre 1995 est joint à la communication de l'organisation plaignante qui y critique, entre autres, "la non-application correcte des statuts particuliers des enseignants du pré-universitaire, du supérieur et des chercheurs ... le retard dans le paiement des salaires, la désintégration de la recherche scientifique nationale avec une direction nationale sans siège et des cadres abandonnés à eux-mêmes, la destruction de la bibliothèque nationale dont d'importants fonds documentaires restent emballés dans des cartons", mais, surtout, le mémorandum se réfère à "l'élévation constante du coût de la vie et à l'endettement endémique des enseignants qui doivent prendre des hypothèques à des taux usuraires pour subvenir aux besoins de leurs familles". Le mémorandum revendique en conséquence "un réajustement du salaire indiciaire, du point indiciaire et l'instauration du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG)".
  4. 326. L'USTG communique également le texte du préavis de grève qui a été déposé le 27 novembre 1995 ainsi que le texte de l'avis de grève générale nationale des enseignants et chercheurs de 72 heures du 18 au 20 décembre 1995. L'avis de grève prévoit notamment dans ses considérants que la grève est déclenchée car "toutes les revendications contenues dans le mémorandum du 1er novembre 1995 ne sont pas satisfaites" et que "la lenteur des négociations n'est pas de nature à instaurer un véritable dialogue autour des principales revendications en vue de trouver des solutions rapides aux problèmes posés".
  5. 327. L'USTG poursuit en déclarant que, sur la demande des autorités de l'éducation, les responsables syndicaux du bureau national de la Fédération syndicale professionnelle de l'éducation (FSPE) (le syndicat rival représentant également les enseignants), affiliée à la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG), se sont désolidarisés de l'action syndicale et ont appelé sur les antennes de la radio et de la télévision leurs adhérents à agir de même. L'USTG ajoute qu'en dépit de cela la grève a été déclenchée et qu'elle a été suivie tant dans la capitale à Conakry qu'à l'intérieur du pays.
  6. 328. L'USTG reconnaît que Mme le ministre du Travail lui a adressé le 12 décembre 1995 une lettre invitant les centrales syndicales, la CNTG et l'USTG, à l'ouverture de négociations sur la question des salaires dans la fonction publique. L'USTG joint à sa communication une copie de la lettre dans laquelle Mme le ministre du Travail indique en particulier que "la question des salaires dans la fonction publique soulevée par le SLECG et par la FSPE avait été réservée pour une négociation élargie en raison de son incidence sur la vie de tous les fonctionnaires de l'Etat, dont notamment les enseignants" et que "la négociation commencera ... le vendredi 15 décembre 1995 à 9 heures".
  7. 329. L'USTG explique qu'elle a répondu à Mme le ministre du Travail, par une lettre qu'elle joint à sa communication, que seul le SLECG affilié à l'USTG et rédacteur du mémorandum devrait être autour de la table de négociation. L'USTG joint également la réponse de Mme le ministre du Travail, qui explique dans une lettre du 19 décembre 1995 que "pour son Département le consensus semblait acquis autour de la négociation salariale dans toute la fonction publique au niveau des centrales USTG et CNTG, seules centrales effectivement présentes dans le secteur de l'enseignement et dans le reste de la fonction publique". Elle poursuit en indiquant: "cette négociation fait suite au mémorandum du SLECG et aux négociations conduites respectivement avec le SLECG en 1994 et avec la FSPE en 1995 pour les points mis en réserve en vue d'une négociation spécifique élargie". Elle invite dans cette lettre à une large consultation des représentants des fonctionnaires autour de la même plate-forme revendicative et réaffirme sa disponibilité à débuter dès que possible la négociation à laquelle l'USTG est formellement conviée.
  8. 330. L'USTG allègue cependant que, parallèlement à cet échange de correspondance, Mme le ministre de l'Enseignement pré-universitaire et de la Formation professionnelle aurait décidé de faire échec à l'action syndicale du SLECG. En effet, le 18 décembre 1995, le secrétaire général du SLECG, M. Soumah, a été arrêté vers 21 heures 30 et détenu à la direction de la police judiciaire, de même qu'un autre responsable syndical enseignant, M. Condé. Ils ont été déférés à la prison civile de Conakry 48 heures plus tard. Suite à la solidarité de différents syndicats affiliés à l'USTG et à l'intervention de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), ces deux syndicalistes ont été libérés le 21 décembre 1995.
  9. 331. Toutefois, indique l'USTG, Mme le ministre de l'Enseignement pré-universitaire, dans un message radio daté du 20 décembre 1995, a demandé aux autorités locales d'utiliser les radios rurales pour, selon l'organisation plaignante, désinformer les enseignants de l'intérieur du pays et tenter de saborder le mouvement de grève.
  10. 332. L'USTG indique également que le 20 décembre 1995 le bureau national du SLECG a convoqué une assemblée générale pour discuter la suite à donner au mouvement de grève, mais que, selon elle, la police a dispersé des enseignants et des chercheurs à coups de grenades lacrymogènes et de matraques et arrêté six enseignants. Ils ont été conduits pour 48 heures à la direction de la police judiciaire puis déférés à la prison de Conakry, inculpés de participation à une réunion non autorisée et de violation de la liberté de travail du personnel du complexe scolaire de Donka. Jugés le 29 décembre par le tribunal correctionnel de Conakry, les six enseignants ont été condamnés à un an de prison avec sursis. Par ailleurs, le 28 décembre 1995, les enseignants Mamadou Cellou Diallo, du collège de Sangoya, et Mohamed Sankhou, du collège de Yimbaya, auraient été arrêtés, et le secrétaire général de l'Union syndicale du SLECG de Guéckédou en Guinée forestière, M. Frantoma Bereta, a été muté à Macenta sur décision du gouverneur de la province de N'Zérékore. L'organisation plaignante joint l'arrêté de mutation. Des retenues de salaires conformément aux heures et aux jours d'absence ont été prononcées à l'encontre des enseignants grévistes au lycée et au collège de Dubreka ainsi qu'à l'école élémentaire de Lansana Conté. Enfin, le 3 janvier 1996, le représentant du SLECG à Télimélé a été arrêté sur ordre du préfet de la localité et libéré trois jours plus tard sur pression et démarche de l'Organisation guinéenne des droits de l'homme (OGDH).

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 333. Dans une communication très détaillée datée du 11 mars 1996, le gouvernement explique que, depuis les négociations conduites en mai 1995 par la CNTG en faveur de tous les fonctionnaires, il a continué le dialogue avec les enseignants, dont les dirigeants syndicaux de la FSPE étaient alors à la pointe des revendications. Ainsi, sans particulièrement valoriser la notion de représentativité, le gouvernement a ouvert séparément des négociations collectives sur les conditions de travail et de vie des enseignants avec les deux organisations syndicales qui se partagent leurs voix, à savoir:
    • - le Syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée (SLECG/USTG) en 1993-94;
    • - la Fédération syndicale professionnelle de l'enseignement (FSPE/CNTG) durant les mois de mai à septembre 1995.
  2. 334. D'après le gouvernement, ces négociations ont amélioré la condition générale des enseignants au sein de la fonction publique nationale. Toutefois, à leur conclusion, les questions suivantes, en raison de leur impact sur la vie de tous les fonctionnaires, avaient été mises en réserve pour un examen plus large:
    • - SLECG: Salaires et logement
    • - FSPE: Salaires et allocations familiales.
  3. 335. Le gouvernement explique qu'au moment où il entamait les négociations avec la FSPE en mai 1995 le SLECG a immédiatement manifesté son intention de poursuivre la sienne propre autour des deux questions mises en réserve.
  4. 336. Le gouvernement poursuit en affirmant qu'il a conduit ces premières négociations sectorielles à leur terme en septembre 1995, et qu'en raison d'un calendrier national très chargé il projetait d'élargir le débat autour des questions mises en réserve après la session budgétaire de la première Assemblée nationale multipartite siégeant statutairement du 5 octobre au 5 décembre 1995. Il souhaitait pouvoir tenir compte de la position de tous les départements ministériels concernant leurs politiques et budgets sectoriels.
  5. 337. Le gouvernement affirme que le contexte général des négociations était marqué par des rencontres fréquentes entre le ministre du Travail et toutes les centrales syndicales et les syndicats sans considération de niveau de représentativité ni de protocole, ainsi que par la tenue de la première session de la Commission consultative du travail et des lois sociales où coexistent, pour une période transitoire de trois ans, quatre centrales syndicales de sensibilité et de niveau très différents de représentativité. Le gouvernement nie en conséquence avoir refusé de négocier avec les syndicats.
  6. 338. Puis, le gouvernement brosse un tableau chronologique de ses récents rapports avec le SLECG.
  7. 339. 22 octobre 1995: En dépit des conseils prodigués par Mme le ministre du Travail qui vient elle-même des rangs des syndicats et qui est chargée des relations avec eux, le SLECG a déposé une demande de poursuite de négociation auprès du ministère de l'Enseignement pré-universitaire et de la Formation professionnelle dont la titulaire était en mission hors du pays. Le ministre chargé de l'intérim de ce ministère a donc répondu qu'il souhaitait attendre la présence de la titulaire.
  8. 340. 3 novembre 1995: Mme le ministre du Travail, des Affaires sociales et de l'Emploi a reçu une ampliation de la lettre-mémorandum adressée le 1er novembre 1995 à Mme le ministre de l'Enseignement pré-universitaire et de la Formation professionnelle rentrée de mission le jour même. Mme le ministre du Travail a immédiatement décidé de l'inscription des points invoqués à l'ordre du jour de la prochaine session de la Commission consultative du travail et des lois sociales.
  9. 341. 27 novembre 1995: Nouveau dépôt d'un mémorandum et d'un préavis de grève au ministère de l'Enseignement pré-universitaire, dont la titulaire était partie en mission le 24 novembre. Ce préavis de grève, dont les ampliations avaient été diffusées en Guinée et à l'étranger et auprès des chaînes étrangères de radiodiffusion, avait été adressé également pour information au ministre intérimaire, lui-même chargé de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Culture.
  10. 342. 29 novembre 1995: Mme le ministre du Travail et de l'Enseignement supérieur reçoit une délégation du SLECG conduite par son secrétaire général, M. Louis M'Bemba Soumah. Elle recommande aux syndicalistes le respect des procédures de droit, notamment par le dépôt du préavis de grève auprès de Mme le ministre de l'Enseignement pré-universitaire et de la Formation professionnelle pour la poursuite d'objectifs syndicaux, une large représentation des départements et de tous les syndicats impliqués dans la négociation à ouvrir sur les salaires dans la Commission consultative du travail et des lois sociales.
  11. 343. 7 décembre 1995: Nouvelle réunion de Mme le ministre du Travail entourée de son cabinet, du Secrétaire général du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Culture et du chef de cabinet du ministère de l'Enseignement pré-universitaire et de la Formation professionnelle avec le bureau exécutif national du SLECG assisté du secrétaire général de l'USTG, destinée à confirmer les points retenus par la réunion interministérielle pour la négociation et les points spécifiques du logement et du siège de la Direction nationale de la recherche scientifique et technique. Il est ainsi notamment retenu:
    • - de saisir le ministre des Finances pour l'attribution prioritaire de logements administratifs destinés aux enseignants dans le parc géré par la Direction nationale du patrimoine bâti;
    • - d'ouvrir la négociation salariale dès que possible à l'ensemble des fonctionnaires et non aux seuls enseignants, conformément au cahier de doléances déposé par l'ensemble des centrales syndicales lors de la Fête du travail du 1er mai 1995. La date du 15 décembre 1995 est convenue pour entamer les négociations salariales avec les centrales CNTG et USTG, seules centrales présentes dans la fonction publique. Les points spécifiques relatifs à la condition des enseignants devront être notés pour une négociation particulière avec les départements ministériels intéressés;
    • - de poursuivre l'esprit de solidarité des syndicats par l'acceptation de l'action intersyndicale.
  12. 344. 13 décembre 1995: Le SLECG exprime verbalement au Secrétaire général du ministère du Travail son désir de négocier seul le salaire des enseignants, directement et non dans une participation syndicale élargie comme convenu le 7 décembre 1995. Celui-ci rétorque que toutes les parties ont déjà reçu signification de leur invitation.
  13. 345. 15 décembre 1995: l'absence de délégués de l'USTG pour débuter la négociation entraîne un report au 18 décembre à 9 heures. Par contre, une délégation du SLECG vient rencontrer Mme le ministre du Travail et réitère l'intention et la volonté du SLECG de négocier seul. En réponse, le gouvernement précise qu'en raison des engagements réciproques antérieurs convenus pour une négociation élargie sur les salaires de tous les fonctionnaires à mener avec les centrales syndicales présentes dans la fonction publique, cette demande n'est pas recevable d'autant que chacune des parties concernées a déjà reçu sa lettre d'invitation. Toutefois, si le SLECG convient avec sa centrale USTG d'avoir une représentation majoritaire en son sein, il n'y a aucun problème. Peu après cette rencontre, vers 12 heures 30, le SLECG dépose auprès de l'Inspection générale du travail son avis de grève générale de 72 heures sur toute l'étendue du territoire national allant du 18 au 20 décembre 1995, durée reconductible au besoin.
  14. 346. 18 décembre 1995: Aucun délégué de l'USTG ne se présente pour la négociation dont le début est encore reporté. La grève proclamée a effectivement lieu par endroits. Pour en préciser l'ampleur, les services de l'Inspection du travail sillonnent les établissements scolaires de Conakry de même que les autorités locales collectent des informations sur l'ampleur du mouvement dans le pays. Le constat général est que les villes de l'intérieur sont calmes et sans mouvement de perturbation dans la vie des écoles. Par contre, à Conakry on enregistre des perturbations dans certains établissements du primaire et du secondaire. Il est relevé notamment que des enseignants grévistes viennent perturber les cours et font évacuer les classes sous la menace ou en en empêchant le libre accès; que des élèves de certains collèges et lycées où le mouvement est amplifié ont utilisé différents véhicules pour joindre d'autres établissements qu'ils ont réussi à vider de leurs élèves à force de jets de pierres sur les édifices et de pétards éclatés provoquant par l'intrusion d'éléments extérieurs des dégâts matériels, des blessures physiques et de fortes émotions chez les jeunes enfants et leurs parents. Dans ce climat général de tension, le directeur d'une école primaire, devant la débandade de ses élèves, fait une crise cardiaque, tombe et meurt quelques instants après. En début d'après-midi, l'USTG répond à la lettre l'invitant à négocier, prise conformément aux termes des engagements convenus et réitérés lors de la réunion du 7 décembre 1995: elle affirme son soutien sans réserve à la position du SLECG de négocier seule, doublé du rejet de toute autre organisation syndicale à la négociation projetée. Le journal télévisé du soir présente un reportage saisissant sur le mouvement de grève, les perturbations des cours, les classes vidées, l'occupation des rues, le désordre dans la circulation ainsi qu'une interview de M. Louis M'Bemba Soumah prônant une réaction musclée de ses adhérents à l'obstruction gouvernementale au mouvement de grève dans les établissements d'enseignement, tous cycles confondus.
  15. 347. 19 décembre 1995: La grève du SLECG se poursuit. Toutefois, on note le retour au calme et le fonctionnement normal dans les établissements scolaires sur tout le territoire national. La négociation n'a toujours pas commencé dans l'attente des délégués de l'USTG. Mme le ministre du Travail adresse une nouvelle lettre d'invitation à la négociation à l'USTG. Le Conseil des ministres délibère de la grève et stigmatise "l'attitude des grévistes qui, en usant de leur droit de grève, ont utilisé la force pour perturber le travail dans les écoles, privant les autres enseignants de leur droit au travail".
  16. 348. 20 décembre 1995: Poursuite de la grève par le SLECG. Mme le ministre du Travail, constatant le refus manifeste et durable de l'USTG de participer aux négociations, décide de commencer celles-ci le 21 décembre 1995 avec la participation de toutes les centrales présentes dans la Commission consultative du travail et des lois sociales. Un député de l'opposition, déclarant agir sur sa propre initiative, vient s'informer auprès de Mme le ministre du Travail sur le refus de négocier du gouvernement ayant entraîné la grève: il constate qu'il n'en est pas ainsi et salue les efforts et la compréhension du gouvernement "qui ne peut pas donner ce qu'il n'a pas". Il exhorte Mme le ministre du Travail et son cabinet à tout entreprendre pour obtenir la libération de M. Louis M'Bemba Soumah, avant le début des négociations. Les émissions de la radio et de la télévision nationales diffusent la nuit une interview de Mme le ministre du Travail qui précise les points de droit relatifs à la grève, son impact sur les salaires et les questions relatives au maintien de l'ordre public. Cette interview annonce le début des négociations salariales pour le 21 décembre 1995 entre le gouvernement et les centrales syndicales présentes dans la Commission consultative du travail et des lois sociales.
  17. 349. 21 décembre 1995: A 8 heures 15, l'USTG dépose la liste de ses délégués pour les négociations salariales dans la fonction publique. A 9 heures, ouverture effective des négociations salariales par Mme le ministre du Travail. Le gouvernement est représenté par les ministères des Finances et de la Fonction publique. Les centrales syndicales suivantes: CNTG, ONSLG, UGTG et USTG participent effectivement à la rencontre.
  18. 350. S'agissant de l'interpellation de M. Louis M'Bemba Soumah, secrétaire général du SLECG, le gouvernement précise que le 19 décembre 1995 vers 9 heures M. Ibrahima Fofana, secrétaire général de l'USTG, a informé Mme le ministre du Travail de ce que M. Soumah avait été interpellé la veille vers 21 heures 30 à son domicile par les forces de police. Le secrétaire général de l'USTG a demandé à Mme le ministre de s'employer à obtenir immédiatement la libération de M. Soumah afin d'éviter des réactions sévères, lourdes de conséquences, de sa centrale. Mme le ministre a répondu que son département allait chercher à connaître les motifs et les circonstances de cette interpellation. Soucieuse de la promotion et de la protection des libertés syndicales, elle s'est engagée à entreprendre toutes les démarches susceptibles de déboucher sur la libération de M. Soumah. Elle a constaté aux termes de ces démarches que l'interpellation de M. Soumah, secrétaire général du SLECG, avait eu pour motif l'incitation à la violence, la perturbation de l'ordre public avec occupation de rue sans autorisation ayant entraîné des coups et blessures ainsi que des dégradations d'édifices publics scolaires. Ces démarches ayant été poursuivies sans relâche auprès des services de la police judiciaire et des tribunaux, elles ont abouti dans la journée du 21 décembre 1995 à la décision du Procureur de la République ordonnant la libération provisoire de M. Soumah. Dès le lendemain, M. Soumah a pris sa place dans la délégation de l'USTG participant aux négociations salariales dans la fonction publique.
  19. 351. Le gouvernement conclut sa communication en indiquant que cette relation très détaillée lui a paru utile pour apporter toute la lumière sur son prétendu refus de négocier avec les syndicats en général et avec le SLECG en particulier. Il a souligné que sa politique constante de dialogue et d'ouverture avec tous les partenaires sociaux sans aucune discrimination ni protocole visait à reconnaître et respecter la personnalité de chaque organisation s'efforçant d'assurer par là la justice, l'égalité et la loyauté. En retour, il a estimé nécessaire que soit reconnue l'importance de négociations sectorielles conduites simultanément ou successivement avec différentes organisations syndicales. Le gouvernement a affirmé qu'il ne pratiquait aucune intolérance et exclusion d'un partenaire dans le dialogue social et économique, qu'il s'employait à améliorer le contenu de ce dialogue pour le plus grand bien des Guinéens et des travailleurs. Il a assuré également que les libertés syndicales constituaient une conviction fortement enracinée et inébranlable de sa politique et rappelé que les conventions nos 87 et 98 de l'OIT avaient été ratifiées dès 1959, soit dans les six premiers mois de l'accession de la Guinée à l'indépendance. Selon lui, leurs dispositions inspirent celles de la Constitution et du Code du travail et il met tout en oeuvre pour les faire connaître et pour humaniser les pratiques administratives, policières et sécuritaires susceptibles de les restreindre. Pour le gouvernement, cependant, si le droit de grève est reconnu, protégé et pratiqué, son exercice n'exclut pas le droit de travailler normalement pour les travailleurs qui n'y adhèrent pas. Le respect dû au droit de grève a pour corollaire le respect d'autrui, notamment le respect de l'ordre public impliquant qu'aucun citoyen n'est au-dessus de la loi.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 352. Le comité note que le présent cas porte sur des allégations de répression antisyndicale lors d'un conflit du travail dans le secteur de l'éducation comportant des arrestations et des condamnations, la mutation d'un syndicaliste ainsi que des retenues sur salaires pour faits de grève.
  2. 353. Les versions des faits relatées par l'organisation plaignante et par le gouvernement concordent sur certains points, mais elles divergent sur d'autres. Ainsi, les uns et les autres confirment que des négociations collectives avaient eu lieu par secteur en 1994 et 1995. Cependant, l'organisation plaignante estime que la non-application correcte des statuts particuliers des enseignants, le retard dans le paiement des salaires, la désintégration de la recherche scientifique nationale et surtout l'élévation du coût de la vie l'ont conduite à réclamer un réajustement du salaire indiciaire et l'instauration du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) - questions déjà soulevées en avril 1994 - dans un mémorandum adressé au gouvernement le 1er novembre 1995. L'USTG explique que, le 27 novembre 1995, un préavis de grève générale de 72 heures pour la période du 18 au 20 décembre 1995 sur toute l'étendue du territoire national a été déposé, car toutes les revendications contenues dans le mémorandum du 1er novembre n'étaient pas satisfaites. L'organisation plaignante convient que l'autre organisation représentative des enseignants, la FSPE, affiliée à la CNTG, a refusé de faire grève et a appelé ses adhérents à agir de même. Le secrétaire général du SLECG, M. Soumah, a été détenu pendant 48 heures le jour même du début de la grève ainsi que M. Condé. En outre, plusieurs grévistes ont été condamnés à un an de prison avec sursis. Un syndicaliste a été muté et la police est intervenue pour disperser les enseignants et les chercheurs réunis en assemblée générale.
  3. 354. Le gouvernement reconnaît que l'USTG a bien envoyé un mémorandum de revendications le 1er novembre 1995. Toutefois, le gouvernement a souhaité que ce mémorandum ainsi que les revendications tant du SLECG affilié à l'organisation plaignante que de la FSPE, organisation rivale, soient examinés plus tard par la Commission consultative du travail et des lois sociales, car ils avaient été, selon lui, mis en réserve lors de précédentes négociations. Le gouvernement souligne qu'après le préavis de grève les parties étaient convenues d'ouvrir la négociation salariale le 15 décembre 1995 à l'ensemble des fonctionnaires et non aux seuls enseignants, conformément au cahier de doléances déposé par l'ensemble des centrales le 1er mai 1995. Toutefois, entre-temps, le SLECG affilié à l'USTG avait refusé de négocier en présence du syndicat rival. Le 15 décembre, le gouvernement avait insisté sur le respect des engagements réciproques antérieurs pour une négociation élargie sur les salaires de tous les fonctionnaires dans la fonction publique en présence de délégués du SLECG. Le gouvernement reconnaît que la grève a effectivement eu lieu par endroits à partir du 18 décembre. Il affirme que dans plusieurs établissements les enseignants grévistes ont porté violemment atteinte à la liberté du travail des non-grévistes. Le gouvernement regrette que les 19 et 20 décembre, malgré ses demandes, le SLECG se soit refusé à participer à des négociations. Il déclare que les négociations ont repris le 21 décembre entre lui et les centrales syndicales dans la Commission consultative du travail et des lois sociales.
  4. 355. Compte tenu des explications ainsi fournies tant par l'organisation plaignante que par le gouvernement, il apparaît que le gouvernement n'a pas refusé la négociation. Le point de divergence reposait essentiellement sur la question de savoir quelles organisations syndicales devaient participer à cette négociation. Il ne semble pas, de l'avis du comité, qu'il puisse être reproché au gouvernement d'avoir voulu associer à cette négociation les organisations syndicales représentatives dans le secteur, qu'elles aient ou non participé à la grève. Il semble bien en outre que les revendications portaient sur des questions (salaires notamment) dont il avait été décidé qu'elles étaient mises en réserve pour une négociation élargie à l'ensemble de la fonction publique. Quoi qu'il en soit, il semble bien que le SLECG ait fini par participer aux négociations puisque après sa libération son secrétaire général a pris place dans la délégation de l'USTG.
  5. 356. S'agissant de l'exercice du droit de grève, le comité observe que nul ne conteste que la grève a été lancée conformément à la procédure en vigueur. Le comité observe d'ailleurs que la grève n'a pas été interdite. Néanmoins, diverses mesures répressives ont été prises à l'encontre de dirigeants syndicaux et de grévistes. A cet égard, le comité rappelle qu'il a toujours reconnu aux travailleurs et à leurs organisations le droit de grève comme moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux et que, si les grèves purement politiques ne tombent pas dans le champ des principes de la liberté syndicale, les syndicats devraient avoir la possibilité de recourir à la grève en vue de critiquer la politique économique et sociale du gouvernement. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 474, 481 et 482.)
  6. 357. S'agissant de l'interpellation du secrétaire général du SLECG, M. Soumah, le gouvernement reconnaît qu'elle a eu lieu le 18 décembre. Le gouvernement explique cependant que, dès que Mme le ministre du Travail a eu connaissance de cette arrestation, elle s'est enquise des circonstances qui l'entouraient auprès des autorités compétentes qui ont déclaré qu'elle avait pour motif l'incitation à la violence, la perturbation de l'ordre public avec occupation de rue sans autorisation ayant entraîné des coups et blessures et des dégradations d'édifices publics. Mme le ministre du Travail a néanmoins entrepris toutes les démarches auprès de la police judiciaire et des tribunaux pour obtenir la libération de M. Soumah. Libéré le 21 décembre 1995, M. Soumah a pu participer aux négociations salariales dans la fonction publique à la tête de la délégation de l'USTG.
  7. 358. Le comité regrette vivement que le secrétaire général du SLECG ait été arrêté pendant trois jours à partir du premier jour de la grève, sa libération n'étant intervenue qu'après la fin du mouvement. Le gouvernement affirme que cette interpellation a eu pour origine l'incitation à la violence, à la perturbation de l'ordre public avec occupation de rue sans autorisation ayant entraîné des coups et blessures et dégradation d'édifices publics. Le comité relève, en outre, que selon les dires du gouvernement le procureur a prononcé la libération provisoire de M. Soumah. Ceci pourrait laisser supposer que les poursuites à son encontre n'ont pas été abandonnées. Le comité demande donc au gouvernement de fournir des informations sur l'évolution de la situation de M. Soumah.
  8. 359. Se bornant à déclarer que des grévistes ont violemment porté atteinte à la liberté du travail des non-grévistes et que des actes de violence ont été commis, le gouvernement ne formule aucun commentaire spécifique sur les autres allégations des plaignants, à savoir l'arrestation de M. Condé, responsable syndical, la dispersion par la police à coups de grenades lacrymogènes et de matraques d'enseignants et de chercheurs, la condamnation à un an de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Conatry de six enseignants, l'arrestation des enseignants Mamadou Cellou Diallo et Mohamed Sankhou, la détention pendant trois jours du représentant du SLECG à Telimelé, la mutation du secrétaire général de l'Union syndicale du SLECG de Gueckédéou, M. Frantoma Bereta à Macenta. Le comité exprime sa profonde préoccupation face à ces allégations extrêmement graves et demande au gouvernement de fournir ses commentaires et observations à cet égard.
  9. 360. Sur la question des arrestations des grévistes, le comité regrette l'arrestation, la détention et la condamnation alléguées des syndicalistes en décembre 1995 et janvier 1996. Il demande au gouvernement de fournir ses observations à cet égard, notamment en communiquant les textes des jugements prononcés à l'égard des six enseignants condamnés, en indiquant les motifs de l'arrestation de MM. Cellou Diallo, Mohamed Sankhou ainsi que du représentant du SLECG à Télimélé et leur situation actuelle.
  10. 361. S'agissant de l'intervention de la police pendant la grève, le comité rappelle au gouvernement que l'emploi de la police pour briser une grève constitue une atteinte aux droits syndicaux et que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique dans des cas de mouvements de grève que dans des situations présentant un caractère de gravité et où l'ordre public serait sérieusement menacé. (Voir op. cit., paragr. 579 et 580.) Le comité demande donc au gouvernement de diligenter une enquête indépendante, impartiale et approfondie en vue de déterminer la nature de l'action de la police ainsi que les responsabilités et de fournir des informations à cet égard.
  11. 362. S'agissant de la mutation d'un dirigeant du SLECG qui, selon l'organisation plaignante, avait participé à la grève, le comité rappelle que nul ne devrait faire l'objet de sanctions pour avoir déclenché ou tenté de déclencher une grève légitime. (Voir op. cit., paragr. 590.) Le comité demande au gouvernement de vérifier la véracité de l'allégation et de prendre les mesures nécessaires pour permettre à ce dirigeant du SLECG d'être réintégré dans son poste de travail.
  12. 363. Enfin, s'agissant de l'allégation relative à la déduction de salaire pour les jours de grève, le comité rappelle qu'une telle déduction ne soulève pas d'objection du point de vue des principes de la liberté syndicale. (Voir op. cit., paragr. 588.)

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 364. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Regrettant vivement que M. Soumah, secrétaire général du SLECG, ait été arrêté pendant toute la durée de la grève, le comité demande au gouvernement de fournir des informations sur l'évolution de sa situation.
    • b) Regrettant l'arrestation, la détention et la condamnation de syndicalistes grévistes en décembre 1995 et janvier 1996, le comité prie le gouvernement de fournir ses observations à cet égard, notamment en communiquant les textes des jugements prononcés par le tribunal de Conakry le 29 décembre 1995 à l'encontre des six enseignants condamnés et en indiquant les motifs de l'arrestation de MM. Mamadou Cellou Diallo, Mohamed Sankhou ainsi que du représentant du SLECG à Télimélé et leur situation actuelle.
    • c) Le comité, rappelant que l'intervention de la police pour briser une grève constitue une atteinte aux droits syndicaux et que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique dans des cas de mouvements de grève que dans des situations présentant un caractère de gravité et où l'ordre public serait sérieusement menacé, demande au gouvernement de diligenter une enquête indépendante, impartiale et approfondie en vue de déterminer la nature de l'action de la police ainsi que les responsabilités, et de le tenir informé à cet égard.
    • d) Enfin, s'agissant de la mutation d'un dirigeant syndical pour faits de grève, le comité demande au gouvernement de vérifier la véracité de l'allégation et de prendre les mesures nécessaires pour permettre à ce dirigeant du SLECG d'être réintégré dans son poste de travail.
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