ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards
NORMLEX Page d'accueil > Profils par pays >  > Commentaires

Observation (CEACR) - adoptée 2022, publiée 111ème session CIT (2023)

Convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957 - Cambodge (Ratification: 1999)

Autre commentaire sur C105

Observation
  1. 2023
  2. 2022
  3. 2018
  4. 2017
  5. 2014

Afficher en : Anglais - EspagnolTout voir

Article 1 a) de la convention. Peines comportant une obligation de travail sanctionnant l’expression de certaines opinions politiques ou la manifestation d’une opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi. Notant qu’en vertu de l’article 68 de la loi sur les prisons de 2011, les peines d’emprisonnement s’accompagnent d’une obligation de travail, la commission a précédemment fait référence à plusieurs dispositions de la législation nationale prévoyant des peines de prison pour certaines activités qui relèvent du champ d’application de l’article 1 a) de la convention et qui ont donc une incidence sur l’application de cette dernière. La commission a noté avec une profonde préoccupation que des membres du parti de l’opposition, des représentants d’organisations non gouvernementales, des syndicalistes et des défenseurs des droits de l’homme avaient été arrêtés et fait l’objet de poursuites. De plus, elle a déploré l’emprisonnement (assorti de travail pénitentiaire obligatoire) de plusieurs membres du Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), dissous en novembre 2017.
La commission a prié le gouvernement de revoir les dispositions de la législation nationale ci-après et l’a instamment prié de s’assurer qu’aucune peine impliquant une obligation de travail ne peut être imposée en application de ces dispositions pour sanctionner des personnes qui expriment certaines opinions politiques ou manifestent leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi:
  • i)l’article 42 de la loi sur les partis politiques dans sa teneur modifiée en 2017 en vertu duquel plusieurs infractions relatives à l’administration ou à la gestion d’un parti politique qui a été dissous, dont les activités ont été suspendues par une décision de justice ou dont l’enregistrement a été refusé, sont passibles de peines pouvant s’élever à une année de prison;
  • ii)les articles 494 et 495 ayant trait à l’incitation au trouble de la sécurité publique par des discours, des écrits, des images ou toute autre communication audiovisuelle en public ou pour le public, l’article 522 relatif à la publication de commentaires visant à exercer une coercition illégale sur les autorités judiciaires et l’article 523 sur le discrédit des décisions de justice, du Code pénal de 2009;
  • iii)les articles 305 à 309 concernant les délits de diffamation et d’injure;
  • iv)les dispositions du Code pénal relatives aux délits d’insulte au Roi et de critique du Roi (articles 445 et 427bis introduits en 2018).
Le gouvernement indique dans son rapport que la législation nationale garantit la liberté des citoyens de s’exprimer pacifiquement et de faire de la politique. Le gouvernement affirme que tout citoyen peut librement soutenir un parti politique sans subir de discrimination, sauf en cas de commission d’infractions pénales et souligne qu’il n’a pas le pouvoir de dissoudre un parti politique, seule la Cour suprême y étant habilitée. En outre, il indique que l’article 42 de la loi sur les partis politiques dans sa teneur modifiée définit précisément la peine encourue par toute personne qui «continue d’administrer ou de diriger un parti politique qui a été définitivement dissous par la Cour suprême». Le gouvernement ajoute que, en application du Code pénal, critiquer les communications et les décisions de la Cour dans le but de causer des troubles ou de mettre en danger les institutions du gouvernement cambodgien, et ne pas respecter une décision de la Cour sont considérés comme des infractions pénales. En ce qui concerne la loi sur la cybercriminalité, le gouvernement indique que l’adoption du projet de loi a été reportée en raison de la pandémie de COVID-19 et les discussions à son propos sont toujours en cours.
La commission note que, dans ses observations finales de 2022, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies s’est déclaré préoccupé par: i) la violation persistante de la liberté d’expression, y compris des informations selon lesquelles de nombreux médias ont été fermés, des sites Web critiques envers le gouvernement ont été bloqués, et des actions pénales et civiles ont été intentées contre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme; ii) l’arrestation et le placement en détention de manifestants; iii) la dissolution du CNRP en 2017 et de trois autres partis d’opposition en 2021; iv) les menaces, le harcèlement, les arrestations arbitraires et les procès collectifs que subissent des membres de l’opposition; et v) l’absence persistante d’un pouvoir judiciaire indépendant et impartial (CCPR/C/KHM/CO/3, paragr. 20, 32, 34, 36 et 38). À cet égard, la commission prend également note des informations contenues dans le communiqué de presse du 29 juin 2022 émanant de plusieurs experts des Nations Unies selon lesquelles au moins 43 personnes liées au CNRP ont été condamnées en juin 2022 lors d’un procès collectif pour complot et incitation à des peines allant jusqu’à huit ans de prison. Les experts des Nations Unies ont souligné l’existence de failles judiciaires dans ces procès politiques, de même que le manque de preuves concrètes pour soutenir les accusations.
En outre, la commission note que dans leur déclaration du 24 août 2021 des experts des Nations Unies en matière de droits de l’homme ont fait part de leur inquiétude au sujet des articles 494 et 495 du Code pénal qui sont systématiquement employés pour cibler les défenseurs des droits de l’homme et les condamner. Par ailleurs, dans un communiqué de presse du 6 octobre 2021, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Cambodge a mis en exergue l’intolérance à l’égard des critiques publiées sur le Web concernant la riposte des autorités à la pandémie de COVID-19 qui a conduit à des arrestations et des poursuites; 25 défenseurs des droits de l’homme ont été arrêtés, 9 personnalités politiques de l’opposition ont été condamnées à des peines allant jusqu’à 25 ans de prison et 50 cas de harcèlement de journalistes ont été signalés en 2021.
La commission déplore vivement le recours constant aux dispositions de la législation nationale pour arrêter, poursuivre et condamner des défenseurs des droits de l’homme, des membres de l’opposition et des journalistes qui expriment des opinions politiques ou manifestent leur opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi, ce qui conduit à l’imposition de peines de prison impliquant du travail pénitentiaire obligatoire. La commission rappelle que bien que certaines condamnations aient été prononcées en application des lois de l’État, elles peuvent relever du champ d’application de la convention et ainsi lui être contraires dès lors qu’elles permettent de contraindre au travail des personnes ayant ou exprimant des opinions politiques ou idéologiques. La commission souligne que la législation peut apporter certaines limites à l’exercice des droits et libertés d’expression, qui doivent être acceptées comme étant un moyen normal de prévenir les abus (par exemple pour assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui ou de répondre aux justes exigences de l’ordre public). Toutefois, ces limites doivent satisfaire à des normes strictes d’examen quant à leur justification et leur portée, et les infractions prévues par la législation dans ce but ne doivent pas être définies en des termes si larges ou appliquées par le pouvoir judiciaire de manière à donner lieu à l’imposition de peines impliquant du travail obligatoire en tant que sanction pour l’expression de certaines opinions politiques ou idéologiques (l’Étude d’ensemble de 2012 sur les conventions fondamentales, paragr. 302 à 304).
La commission prie instamment et fermement le gouvernement de prendre des mesures immédiates et efficaces pour s’assurer qu’aucune sanction pénale impliquant ‘une obligation de travail, notamment du travail pénitentiaire obligatoire, ne peut être imposée aux personnes qui expriment certaines opinions politiques ou manifestent leur opposition idéologique au système établi, dont les membres de l’opposition, les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes. Elle le prie instamment de revoir la formulation de l’article 42 de la loi sur les partis politiques, de même que les articles 445, 437bis, 494, 495, 522 et 523 du Code pénal, soit en limitant clairement la portée de ces dispositions à des situations impliquant un recours à la violence ou une incitation à la violence, soit en supprimant les peines comportant du travail obligatoire de façon à s’assurer que l’ application de ces dispositions dans la pratique n’aboutit pas à la violation la convention. La commission prie également le gouvernement de former les organes chargés de l’application de la loi en ce sens. Elle le prie une nouvelle fois de communiquer le texte des amendements de 2018 au Code pénal qui incriminent la formulation de critiques à l’égard du Roi et de fournir des informations sur l’application dans la pratique des dispositions du Code pénal et de la loi sur les partis politiques susmentionnées, notamment sur les faits qui ont donné lieu à des condamnations et la nature des peines appliquées. La commission exprime le ferme espoir que le projet de loi sur la cybercriminalité sera rédigé et appliqué en tenant compte des principes évoqués ci-dessus et des obligations qui incombent au gouvernement au titre de la convention.
Article 1 d). Punition pour avoir participé à des grèves. La commission a précédemment noté que d’après les observations de la Confédération syndicale internationale (CSI), Van Narong et Pel Voeun, deux membres de la Confédération du travail du Cambodge (CTC), avaient été condamnés à des peines de prison pour des charges de délit mineur et de dénonciation calomnieuse, en application des articles 311 et 312 du Code pénal, après avoir participé à une manifestation pour protester contre le licenciement de deux membres syndicaux et déposé plainte contre deux travailleurs pour des actes de violence. Elle a aussi noté que quatre dirigeants de la Fédération syndicale de l’amitié des travailleurs avaient été arrêtés et poursuivis pour avoir organisé une grève illégale, entravé la circulation et troublé l’ordre public. La commission a prié le gouvernement d’indiquer les dispositions légales et les arguments de fait sur la base desquels ces personnes avaient été arrêtées et poursuivies.
Le gouvernement indique que Van Narong et Pel Voeun ont été condamnés pour délit mineur et dénonciation calomnieuse, et que leurs allégations de violence étaient fictives. Quant à l’arrestation des quatre dirigeants de la Fédération syndicale de l’amitié des travailleurs et aux poursuites intentées contre eux, le gouvernement indique qu’il tiendra la commission informée de l’évolution de cette affaire. Il souligne également que les personnes sont poursuivies pour les délits qu’elles ont commis et que les membres des syndicats ne jouissent d’aucun privilège ni d’aucune impunité.
La commission note que dans un communiqué de presse du 5 janvier 2022, plusieurs experts des Nations Unies en matière de droits de l’homme ont fait référence à l’arrestation et à la détention d’au moins 29 dirigeants et militants syndicaux de casinos lors d’une grève. Neuf personnes ont déjà été inculpées d’incitation à commettre un crime au titre des articles 494 et 495 du Code pénal et sont toujours en détention tandis que les autres ont été libérées. La commission note également les inquiétudes exprimées par des experts des droits de l’homme des Nations Unies dans un communiqué de presse du 16 février 2022 au sujet des mesures adoptées dans le contexte de la pandémie de COVID-19 utilisées pour imposer des restrictions à des travailleurs faisant légalement et pacifiquement grève. Selon les experts, de telles restrictions sont injustifiées, inutiles et disproportionnées.
La commission prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que l’application des dispositions législatives ne conduit pas dans la pratique à l’imposition de peines impliquant une obligation de travail (comme du travail pénitentiaire obligatoire) à des travailleurs pour le simple fait d’organiser des grèves ou d’y participer pacifiquement, conformément à l’article 1 d) de la convention. La commission prie le gouvernement de communiquer des informations sur les progrès réalisés en ce sens et de fournir une copie de la décision de justice relative aux quatre dirigeants susmentionnés de la Fédération syndicale de l’amitié des travailleurs.
Compte tenu de la situation décrite ci-dessus, la commission ne peut que constater l’absence de progrès en ce qui concerne la protection de la liberté d’expression au Cambodge et le fait que les opposants politiques, les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et les militants des médias sociaux qui expriment leur opposition ou des critiques à l’égard des autorités sont condamnés et emprisonnés en vertu de diverses dispositions de la législation nationale, notamment du Code pénal. La commission déplore vivement que les dispositions de la législation nationale, y compris du Code pénal, continuent à être utilisées pour poursuivre et condamner des personnes qui expriment des opinions politiques ou manifestent une opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi, ce qui entraîne l’imposition de peines de prison impliquant du travail pénitentiaire obligatoire. La commission considère que ce cas répond aux critères établis au paragraphe 114 de son rapport général pour être appelé devant la Conférence.
[Le gouvernement est prié de fournir des données complètes à la Conférence à sa 111e session et de répondre de manière complète aux présents commentaires en 2023.]
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer