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Rapport intérimaire - Rapport No. 183, Juin 1978

Cas no 763 (Uruguay) - Date de la plainte: 03-JUIL.-73 - Clos

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  • PLAINTE CONCERNANT L'OBSERVATION PAR L'URUGUAY DE LA CONVENTION (no 87) SUR LA LIBERTE SYNDICALE ET LA PROTECTION DU DROIT SYNDICAL, 1948, ET DE LA CONVENTION (no 98) SUR LE DROIT D'ORGANISATION ET DE NEGOCIATION COLLECTIVE, 1949, PRESENTEE PAR PLUSIEURS DELEGUES A LA 61e SESSION (1976) DE LA CONFERENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL AU TITRE DE L'ARTICLE 26 DE LA CONSTITUTION DE L'OIT
    1. 6 Plusieurs organisations syndicales, dont la CMT et la FSM, ont présenté des allégations en violation de la liberté syndicale en Uruguay. En outre, trois délégués à la 61e session (juin 1976) de la Conférence internationale du Travail ont déposé, sur la base de l'article 26 de la Constitution de l'OIT, une plainte selon laquelle le gouvernement de l'Uruguay n'assurerait pas de manière satisfaisante l'exécution de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949. Ces instruments ont été ratifiés par l'Uruguay.
    2. 7 Le comité a examiné l'ensemble de cette affaire à diverses reprises. De plus, deux missions de contacts directs ont été effectuées (en juin-juillet 1975 et en avril 1977) dans le pays par un représentant du Directeur général. Le comité a traité ce cas pour la dernière fois en février 1978. Il a présenté à cette occasion des conclusions intérimaires qui figurent aux paragraphes 5 à 20 de son 179e rapport. Le Conseil d'administration a approuvé ce rapport à sa session de février-mars 1978 (204e session).
    3. 8 Sur recommandation du comité, le Conseil avait notamment prié le gouvernement d'envoyer des informations circonstanciées en particulier sur les syndicalistes cités en annexe au 179e rapport ainsi que sur l'évolution de l'élaboration de la nouvelle législation syndicale. De plus, afin de connaître plus précisément l'état de la question, il a invité le ministre du Travail - ou, en cas d'empêchement, son représentant à fournir oralement au comité, lors de sa session de mai 1978, des précisions sur l'évolution de la situation et les perspectives d'un rapide retour à une vie syndicale normale. Le Conseil a enfin invité les organisations plaignantes qui ont un statut consultatif auprès de l'OIT, à savoir la CMT et la FSM, à donner des informations orales lors de cette session.
    4. 9 Depuis lors, la FSM a présenté de nouvelles allégations par des télégrammes des 6 et 12 avril 1978. Ces communications ont été transmises au gouvernement pour observations.
    5. 10 Le gouvernement a fait parvenir des informations par des communications des 17 et 20 avril ainsi que 25 mai 1978.

A. Examens précédents du cas par le comité

A. Examens précédents du cas par le comité
  1. 11. En mai 1977, le comité avait constaté que la situation légale des syndicats n'avait pas changé depuis la première mission de contacts directs effectuée en Uruguay aux mois de juin et juillet 1975. Néanmoins, la situation de fait s'était modifiée: celle des syndicats affiliés à la Confédération générale des travailleurs de l'Uruguay (CGTU) s'était améliorée et ceux-ci avaient pu développer certaines activités internes (réunions, élections, etc.). En revanche, les syndicats membres de la Convention nationale des travailleurs (CNT) - dissoute par le gouvernement après le changement de régime intervenu en 1973 - semblaient être restés dans une large mesure sans activité; beaucoup de leurs dirigeants étaient détenus; avaient quitté le pays ou avaient été congédiés; les locaux de certains de ces syndicats étaient gardés par la police, fermés, placés sous le contrôle des autorités, etc. Quant aux activités dans le domaine des relations professionnelles, le degré de reconnaissance des syndicats de la CGTU et de leurs dirigeants dépendait des bonnes dispositions des employeurs ou des chefs des administrations publiques. Par contre, les syndicats affiliés à la CNT ne paraissaient pas être reconnus, ni dans le secteur privé, ni dans le secteur public.
  2. 12. Dans les informations qu'il avait communiquées au comité pour sa session de novembre 1977, le gouvernement s'était référé, comme il l'avait déjà fait précédemment, aux activités subversives auxquelles il avait dû faire face pour expliquer les mesures exceptionnelles adoptées. Le processus de régularisation dans le domaine syndical devait, selon lui, être analysé dans le cadre plus large de la normalisation politique et institutionnelle du pays. A cet égard, le comité avait souligné que si le respect de la liberté syndicale est étroitement lié au respect des libertés publiques en général, il importe sous cette réserve de distinguer la reconnaissance de la liberté syndicale de questions concernant l'évolution politique d'un pays. Il ne fallait pas confondre non plus l'exercice par les syndicats de leurs activités spécifiques, c'est-à-dire la défense et la promotion des intérêts professionnels des travailleurs, avec l'éventuelle poursuite de la part de certains de leurs membres d'autres activités, étrangères au domaine syndical. La responsabilité pénale que pourraient encourir ces personnes du fait de tels actes ne devrait en aucune façon entraîner des mesures équivalant à priver les syndicats eux-mêmes ou l'ensemble de leurs dirigeants de leurs possibilités d'action.
  3. 13. Le comité avait regretté qu'en dépit du temps écoulé, les organisations syndicales rencontrent toujours de sérieuses difficultés. Le maintien de graves divergences entre les conventions sur la liberté syndicale, d'une part, la législation et la pratique nationales, d'autre part, créait une situation très préoccupante. Il estimait urgent que le gouvernement permit le retour à une vie syndicale normale et levât les restrictions légales et de fait qui existaient à cet égard. L'adoption et la mise en oeuvre d'une nouvelle législation syndicale constituaient sans aucun doute des pas décisifs dans ce sens.
  4. 14. En février 1978 enfin, le comité avait noté la décision prise par le gouvernement à son plus haut niveau de légiférer sur le statut et le fonctionnement des associations professionnelles. Une commission avait été mise sur pied pour élaborer la législation appropriée. Le gouvernement soulignait qu'il avait décidé de légiférer dans un proche avenir et que le projet de loi syndicale serait communiqué à l'OIT. Il semblait toutefois que l'aboutissement de ce travail dépendrait des développements concernant la restructuration institutionnelle du pays (des élections nationales devaient avoir lieu en 1981 et des mesures à cette fin devaient être prises à partir de 1980). Le Conseil d'administration, sur recommandation du comité, avait noté les informations communiquées par le gouvernement, mais s'était déclaré préoccupé par le délai dans lequel pourrait être introduite la nouvelle législation syndicale qui avait été annoncée à diverses reprises et dont l'élaboration allait être entreprise. Il avait noté l'assurance donnée par le gouvernement que le projet de loi syndicale serait communiqué à l'OIT et avait signalé l'importance qu'il attache à la conformité de cette législation avec les conventions sur la liberté syndicale ratifiées par l'Uruguay.
  5. 15. A propos de la détention de syndicalistes, le représentant du Directeur général avait noté dans le rapport de sa seconde mission en Uruguay que le nombre des détenus pour des questions liées à des activités syndicales avait diminué. Le rapport contenait également des renseignements détaillés sur les faits spécifiques dont étaient accusés certains syndicalistes que ce dernier avait pu voir ou dont il avait pu examiner le dossier. Le comité avait constatée que certaines de ces personnes avaient été arrêtées pour des questions qui pouvaient être considérées comme liées à des activités syndicales. Dans les autres cas, les informations obtenues, bien qu'incomplètes, permettaient de penser que les actions pénales engagées visaient en premier lieu des activités de type politique que le gouvernement jugeait dangereuses pour la sécurité et l'ordre publics; le représentant du Directeur général précisait toutefois que certaines des accusations étaient liées à des activités de la CNT, dissoute par le gouvernement en 1973.
  6. 16. En novembre 1977, le comité avait observé qu'aucun jugement n'avait été prononcé à l'égard de ces personnes depuis la dernière visite en Uruguay du représentant du Directeur général, alors que l'incarcération de beaucoup de celles-ci se prolongeait depuis de longs mois, voire depuis des années. Le représentant du Directeur général avait d'ailleurs constaté dès sa première mission dans le pays que les phases d'enquête et d'instruction semblaient empreintes d'une assez grande lenteur. Le comité avait exprimé sa préoccupation devant la persistance d'une telle situation. En effet, si le fait d'exercer une activité syndicale ou de détenir un mandat syndical n'implique aucune immunité vis-à-vis du droit pénal ordinaire, la détention prolongée de syndicalistes sans qu'ils soient jugés promptement peut constituer une sérieuse entrave à l'exercice des droits syndicaux.
  7. 17. Dans son 179e rapport, le comité avait de nouveau relevé qu'aucun jugement n'était intervenu à l'égard des syndicalistes poursuivis devant les juridictions militaires. Sur ses recommandations, le Conseil d'administration avait, à sa session de février-mars 1978, noté les renseignements communiqués par le gouvernement sur la libération provisoire d'un certain nombre de syndicalistes, mais regretté que ce dernier n'eût pas envoyé de nouvelles informations sur la plupart des syndicalistes cités précédemment par le comité. Il avait de nouveau exprimé sa préoccupation devant les lenteurs de la procédure judiciaire à l'égard des nombreux syndicalistes encore détenus.
  8. B. Communications reçues avant la session du comité
  9. 18. La FSM se réfère, dans ses communications des 6 et 12 avril 1978, à la situation de MM. Luis Iguini Ferreira et Ricardo Vilaro, dirigeants de la CNT. Le premier, membre du Conseil général de la FSM, est détenu à la prison La Paloma et soumis, selon le plaignant, à des tortures inhumaines malgré sa santé délicate. Le second, dirigeant de la Fédération des professeurs de l'enseignement secondaire, a été mis en liberté par décision judiciaire le 7 avril 1978, mais il fut immédiatement détenu à nouveau par les forces de la marine de guerre. La FSM demande que des mesures soient prises pour protéger la vie et garantir la sécurité de ces personnes, pour que soit respecté le droit de M. Iguini de se défendre devant un tribunal impartial et pour que les décisions judiciaires soient appliquées.
  10. 19. Le gouvernement fournit, dans sa lettre du 17 avril 1978, des informations sur tous les syndicalistes qui étaient cités en annexe au 179e rapport. Il en ressort que la plupart de ceux-ci font toujours l'objet de poursuites devant les juridictions militaires; certains, comme cela avait déjà été mentionné antérieurement, se trouvent en liberté provisoire. D'autres personnes citées par les plaignants ne figurent pas, selon le gouvernement, sur les registres des poursuites.
  11. 20. Quelques-unes ont été jugées et condamnées par les juridictions militaires pour un ou plusieurs des délits suivants: association subversive, assistance à une telle association, atteinte à la Constitution, atteinte à l'honneur des forces armées. Il s'agit de: Barrios Ramos, Raúl Nestor (condamné à six ans de prison; un appel a été introduit devant le Tribunal militaire suprême), Fassano Mertens, Carlos Ignacio (condamné à cinq ans et six mois de prison; un appel a également été introduit devant cette juridiction), Lanza Perdomo, Alcides Martin (condamné à trois ans de prison), Raymundo Piaggio, Marcos Liber (condamné en première instance à huit ans de prison), Rubio Bruno, Enrique Vicente (condamné mais libéré compte tenu de la durée de la détention préventive; l'affaire est en instance devant le Tribunal militaire suprême).
  12. 21. Le gouvernement répète que Santana Coronel, Dario, et Vina, Beltrán Pablo Camilo, ont été libérés. Il indique en outre que Acosta Baladon, Ricardo Mario et Soria Carlos sont en liberté. Quant à Santos Suarez, Julio César, il a bénéficié d'un non-lieu et a été mis en liberté définitive.
  13. 22. La communication du gouvernement en date du 25 mai 1978, enfin, traite des cas de MM. Iguini et Vilaro, pour lesquels des allégations ont été récemment présentées'; elle indique que l'un et l'autre sont poursuivis devant les juridictions militaires.
  14. 23. Par ailleurs, le gouvernement a indiqué, dans sa communication du 20 avril 1978, que le groupe de travail d'experts chargés de préparer l'avant-projet de loi sur les associations professionnelles a rempli la première des tâches qui lui avaient été confiées par résolution ministérielle, à savoir l'élaboration des lignes de force dudit avant-projet. Ce premier travail a été soumis à l'examen du pouvoir exécutif et approuvé par le Président de la République le 18 avril 1978. Le groupe de travail est ainsi en mesure de continuer sa mission. Le gouvernement joint à sa lettre une copie de ces idées de base de l'avant-projet; ce document est reproduit ci-dessous.
  15. Lignes de force du projet de loi sur la constitution des associations professionnelles
  16. I. Objectif. Réglementer la constitution des associations professionnelles.
  17. II. Concept. Les associations professionnelles sont des associations civiles tant de travailleurs que d'employeurs, constituées pour promouvoir, étudier, améliorer et défendre leurs intérêts respectifs dans le domaine du travail.
  18. III. Constitution. Les associations professionnelles pourront se constituer sans qu'une autorisation préalable soit requise, conformément aux dispositions de l'article 39 de la Constitution de la République.
  19. IV. Statuts. Leurs statuts devront contenir les garanties nécessaires au respect des principes suivants:
  20. a) l'activité de l'association devra être spécifiquement professionnelle, à l'exclusion des activités politiques, religieuses et de tout but de lucre;
  21. b) elle ne contreviendra pas à l'ordre juridique national;
  22. c) les décisions seront prises et les élections seront tenues dans des assemblées dûment constituées, par un vote secret et obligatoire;
  23. d) des garanties seront établies pour que les assemblées se tiennent librement et soient dûment convoquées;
  24. e) l'adhésion à l'association et la démission seront entièrement libres;
  25. f) seront garantis les contrôles convenables dans la gestion de l'association ainsi que l'exactitude dans l'administration du patrimoine et un rapport détaillé des comptes devra être établi à la clôture de chaque exercice.
  26. V. Enregistrement. Un bureau d'enregistrement des associations professionnelles sera créé au ministère du Travail et de la Sécurité sociale; l'inscription de celles-ci s'y effectuera obligatoirement. Cette inscription pourra seulement être refusée si l'association ne respecte pas les exigences de l'ordre institutionnel et légal, la spécificité professionnelle requise, les prescriptions du paragraphe précédent sur le contenu des statuts ou les conditions prévues pour la demande à cet effet.
  27. VI. Droits et obligations. Les associations professionnelles jouiront de tous les droits nécessaires à la réalisation de leurs objectifs et exécuteront toutes les obligations émanant de l'ordre institutionnel de la République.
  28. VII. Adhésion. Pour adhérer à l'association, il faut être citoyen ou avoir une résidence légale prouvée et exercer ses activités dans le domaine spécifique de l'association.
  29. VIII. Dirigeants. Pour être dirigeant ou agir pour l'association, il faut être majeur, jouir de la citoyenneté "naturelle ou légale" et pouvoir exercer les droits qui en découlent, faire une profession de foi démocratique et avoir une ancienneté de deux ans au moins dans l'association.
  30. IX. Dispositions communes à tous les affiliés. Tout affilié devra respectez dans ses activités au sein de ou pour l'association les dispositions de l'ordre légal de la République et les statuts.
  31. X. Suspension ou dissolution de l'association. Les associations professionnelles verront leurs activités suspendues ou seront dissoutes si elles ne respectent pas leurs objectifs, les principes qu'elles doivent suivre ou si elles contreviennent aux obligations qui sont imposées pour leur inscription au registre. La suspension ou la dissolution sera prononcée par le Tribunal d'appel du travail, sans préjudice des mesures qui peuvent être adoptées à titre de précaution en cas de nécessité.
  32. C. Déclarations faites au comité ses séances des 25 et 26 mai 1978
  33. 24. A la suite de l'invitation mentionnée au paragraphe 8 ci-dessus, le comité a entendu successivement, à ses séances des 25 et 26 mai 1978, des représentants des organisations plaignantes ainsi que du ministre du Travail de l'Uruguay.
  34. Déclarations des représentants de la CMT et de la FSM
  35. 25. Les représentants de la CMT et de la FSM ont fait une déclaration devant le comité; ils ont ensuite répondu aux questions posées par ce dernier. Parmi les informations ainsi fournies, le comité a relevé en particulier les renseignements résumés aux paragraphes suivants et relatifs aux commissions paritaires, à la législation syndicale, aux personnes arrêtées ou disparues, aux conditions de détention ainsi qu'aux garanties du droit de la défense.
  36. 26. Selon les représentants des organisations plaignantes, les directions d'entreprise et les travailleurs se sont mis d'accord dans 210 cas pour demander l'établissement d'une commission paritaire en vertu du décret du 15 février 1977. Le gouvernement a engagé la procédure à la suite de cette demande dans 37 cas seulement et a vérifié notamment si les travailleurs intéressés n'avaient pas appartenu à la CNT, ce qui les aurait disqualifiés. A ce jour, il n'y a que huit commissions paritaires qui ont été établies. Les plaignants considèrent ces commissions comme un moindre mal étant donné la paralysie de la vie syndicale en Uruguay actuellement. En principe, cependant, ils ne sont pas favorables à ces commissions parce qu'elles ont pour fonction d'éliminer les revendications, d'augmenter la productivité et la discipline, de favoriser la collusion avec la direction de l'entreprise; en outre, elles ne peuvent se constituer dans le secteur public. Dans la pratique, la participation des travailleurs au sein de ces organismes est très réduite.
  37. 27. Les plaignants estiment que la législation actuelle permettrait une vie syndicale normale car, par leur ratification, les conventions nos 87 et 98 sont incorporées à l'ordre juridique interne et ont prééminence sur les autres dispositions législatives. Néanmoins, ces conventions ne sont pas respectées. Le pays n'a aucun besoin d'une nouvelle législation en plus de ces conventions. D'ailleurs, la commission chargée d'élaborer les lignes de force de la future loi syndicale n'a consulté aucune organisation de travailleurs.
  38. 28. Les représentants de la CMT et de la FSM ont communiqué des listes de nombreuses personnes qui auraient été arrêtées ou seraient disparues et, notamment, de plusieurs centaines de dirigeants syndicaux. Le comité a demandé des précisions sur l'affiliation et les activités syndicales ou les fonctions syndicales de ces personnes.
  39. 29. En ce qui concerne les droits de la défense, les plaignants ont déclaré que, dans une première période, des avocats civils étaient en mesure d'exercer leur rôle dans la défense des détenus. Progressivement, la situation s'est détériorée et des obstacles ont été mis dans la pratique à l'exercice de leur profession, notamment à la possibilité de communiquer avec leurs clients. Par la suite, des avocats ont été arrêtés pour des accusations telles que la complicité avec les détenus; d'autres ont été menacés et ont quitté le pays. Ceux qui ont été libérés se sont vu interdire l'exercice de leur profession. Quant aux travailleurs détenus, ils se voient notifier, souvent après une longue incarcération, l'obligation de choisir un avocat dans les quarante huit heures. Sans contact avec l'extérieur, ils sont contraints d'accepter un avocat nommé d'office, pour que le procès ne soit pas encore retardé. A cet égard, un des représentants des organisations plaignantes, arrêté en 1973 puis en 1976, a décrit son cas personnel ainsi que les sévices dont il a été l'objet. Il a ajouté que tous les détenus étaient torturés.
  40. Déclarations des représentants du ministre du Travail
  41. 30. Ces représentants ont en premier lieu commenté les lignes de force de l'avant-projet de loi sur les associations professionnelles (communiqué par le gouvernement: voir paragraphe 23). Ils ont notamment souligné que cet avant-projet devrait être en conformité avec la Constitution nationale ainsi qu'avec les conventions internationales ratifiées par l'Uruguay qui ont dès lors force de loi dans le pays (sans qu'aucun autre acte législatif soit nécessaire à cet effet). En réponse à une question, ils ont précisé que c'est au pouvoir judiciaire qu'il appartient de décider dans chaque cas si ces instruments ont la primauté sur des lois nationales postérieures. Les représentants du ministre ont donné l'assurance que l'avant-projet de loi serait terminé dans un bref délai et qu'ils transmettraient au gouvernement le souhait du comité de prendre connaissance de ce texte dès avant son adoption.
  42. 31. Pour ce qui est en particulier de l'obligation, figurant parmi les lignes de force de cet avant-projet, pour les dirigeants des associations professionnelles de faire une profession de foi démocratique, les représentants ont précisé que toute décision administrative prise en cas de violation de cette profession de foi pourrait faire l'objet d'un recours devant les tribunaux administratifs et, le cas échéant, être annulée par ceux-ci. Ils ont indiqué que rien n'interdirait l'affiliation de ces associations à des organisations internationales de travailleurs. En réponse à une question du comité, ils ont déclaré qu'ils transmettraient au gouvernement la préoccupation du comité au sujet de l'absence, parmi ces lignes de force, d'une reconnaissance expresse du droit pour ces associations de se fédérer et de se confédérer au niveau national.
  43. 32. En attendant l'adoption de cette nouvelle législation, des commissions paritaires ont été, conformément au décret du 15 février 1977, autorisées et installées par les autorités du travail: dix sont en activité, huit autres sont sur le point de l'être et 32 sont en voie de formation; il faudra attendre un délai de quatre à cinq mois pour que le chiffre de 210 soit atteint. Ces commissions fonctionnent pleinement et de manière totalement indépendante. Elles permettent un dialogue entre les travailleurs et les employeurs sur un pied d'égalité, conformément aux voeux du gouvernement. Les deux parties y ont adopté des conventions collectives, notamment sur la productivité ou les congés, là où il n'existait pas de syndicat, car ces organismes n'ont pas pour but de concurrencer les syndicats. Les travailleurs sont consultés en toute liberté. Les commissions paritaires ont été créées à titre expérimental, mais elles pourraient être maintenues après l'adoption de la loi syndicale, car elles sont des organes de dialogue alors que les organisations de travailleurs ont un rôle revendicatif.
  44. 33. Les représentants du ministre du Travail ont signalé d'autre part que la question des détenus n'était pas de la compétence de leur ministère et que le gouvernement avait déjà répondu à ce propos. Ils ont affirmé néanmoins qu'aucun syndicaliste n'avait été arrêté pour des raisons syndicales et que si certains étaient incarcérés, c'était pour d'autres motifs. Les prisonniers sont bien traités comme ont pu le constater des savants étrangers qui ont fait récemment une visite dans le pays. Le comité a indiqué que seront transmises au gouvernement, pour faire l'objet de commentaires de sa part, les allégations des plaignants au sujet des travailleurs syndiqués détenus, des lenteurs de la procédure judiciaire, des garanties pour les droits de la défense ainsi que sur les mauvais traitements allégués de détenus.

D. Conclusions du comité

D. Conclusions du comité
  1. 34. Pour la première fois, le comité a invité et les autorités du pays intéressé et les organisations plaignantes à lui fournir oralement, au cours d'une de ses sessions, des informations détaillées sur une affaire. Les représentants du ministre du Travail, comme ceux de la CMT et de la FSM, ont commencé par faire une déclaration; ils ont ensuite répondu aux questions posées. Le comité tient à remercier les représentants du gouvernement ainsi que ceux des organisations plaignantes pour leur collaboration. Il estime que l'utilisation de cette procédure a été utile. Il désire souligner que celle-ci n'est en aucune façon destinée à porter un jugement à l'encontre d'un gouvernement, mais qu'elle vise à permettre un échange de vues qui contribue à la recherche des faits et à un meilleur respect des droits syndicaux.
  2. 35. Cet échange de vues a notamment porté sur les lignes de force de l'avant-projet de loi sur les associations professionnelles. Le comité estime que ce document contient des aspects positifs, comme le droit des associations professionnelles de se constituer sans autorisation préalable. Certaines des idées de base qui y sont contenues devraient cependant être précisées en tenant compte des normes des conventions sur la liberté syndicale. Sans analyser à ce stade ces lignes de force en détail, le comité veut insister spécialement sur les droits - prévus à l'article 5 de la convention no 87 - pour les organisations de travailleurs et d'employeurs de constituer des fédérations et confédérations ainsi que celui de s'y affilier. Il considère également que l'obligation imposée aux dirigeants des associations professionnelles de faire une "profession de foi démocratique", comme le prévoit le point 8 des lignes de force, pourrait conduire à des abus car une telle disposition ne fournit aucun critère précis sur lequel pourrait se fonder une décision judiciaire éventuelle si un dirigeant était accusé d'avoir manqué à sa déclaration.
  3. 36. Le comité note la déclaration selon laquelle cet avant-projet sera élaboré dans un bref délai. Il veut croire que celui-ci sera rédigé avant sa session de novembre 1978 et que, comme le gouvernement en avait précédemment donné l'assurance, une copie de ce texte en sera communiquée au BIT à l'intention du comité.
  4. 37. Pour ce qui est de la situation actuelle, le comité a relevé les lenteurs avec lesquelles sont instituées les commissions paritaires prévues par le décret du 15 février 1977. Bien que le comité considère, comme il l'a déjà signalé, que ces organes ne peuvent pas se substituer aux organisations syndicales, ils peuvent avoir un rôle utile à jouer dans le domaine des relations professionnelles. Aussi les représentants des travailleurs au sein de ces commissions devraient-ils être élus librement et ne pas pouvoir être écartés pour des raisons tenant à leur passé syndical. En outre, ces mécanismes devraient être étendus au secteur public.
  5. 38. Il ressort par ailleurs des informations communiquées par le gouvernement sur les syndicalistes détenus (cités en annexe au 179e rapport) que la plupart de ceux-ci attendent toujours de passer en jugement; néanmoins, quelques-uns ont été jugés et condamnés à des peines de prison (l'un d'eux a été libéré parce qu'il avait purgé sa peine en tenant compte du temps de détention préventive). D'autres se trouvent en liberté (dont un à la suite d'une ordonnance de non-lieu). Il existe certaines divergences entre les derniers renseignements fournis par le gouvernement et les informations que celui-ci avait transmises précédemment.
  6. 39. Le comité a relevé une fois encore avec préoccupation les lenteurs de la procédure judiciaire à l'égard des syndicalistes détenus. Il a constaté par exemple que, sur les dix-neuf personnes auxquelles le paragraphe 15 se réfère spécialement, quinze attendent encore, parfois depuis plusieurs années, d'être jugées, dont trois seulement en liberté provisoire.
  7. 40. Néanmoins, certains syndicalistes ont été jugés et condamnés pour des activités subversives. Le comité estime souhaitable de recevoir dans ces cas une copie des jugements avec leurs attendus qui ont été prononcés à l'égard des syndicalistes cités au paragraphe 20. En effet, comme il l'a rappelé antérieurement dans la présente affairez, il lui incombe de vérifier lui-même, sur la base de toutes les informations disponibles - et surtout du texte des jugements - si ces syndicalistes ont été condamnés pour des délits de droit commun ou pour des activités syndicales. Il se pourrait en effet que des actes légitimes au regard des principes de la liberté syndicale soient, à un moment donné, considérés comme illicites par une loi nationale, ou par les autorités chargées de l'appliquer.
  8. 41. En outre, le gouvernement n'a pas fourni des précisions suffisantes en réponse à l'allégation grave selon laquelle M. Ricardo Vilaro a été de nouveau détenu par les forces armées immédiatement après avoir été mis en liberté par décision judiciaire. D'autre part, les représentants de la CMT et de la FSM ont fait des déclarations sur les conditions de détention ainsi que sur les droits de la défense et ont présenté des listes de nombreuses personnes, notamment de dirigeants syndicaux, qui auraient été arrêtées ou seraient disparues. Le gouvernement recevra communication des noms des personnes pour lesquelles les plaignants ont donné des précisions quant à l'affiliation et aux activités syndicales ou aux fonctions syndicales.
  9. 42. Certaines allégations enfin font état de mauvais traitements qu'auraient subis même récemment (cas de M. Iguini) des syndicalistes détenus. Le comité a déjà exprimé, dans la présente affaire, sa forte réprobation pour toute mesure vexatoire ou tout sévices infligé à un détenue, et il a signalé au gouvernement l'importance qu'il y a à prendre toutes les mesures nécessaires, notamment à donner des instructions spécifiques et à appliquer des sanctions efficaces pour s'assurer qu'aucun détenu n'est soumis à de telles pratiques.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 43. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) au sujet de la législation annoncée sur les associations professionnelles:
    • i) de prier le gouvernement d'indiquer la date à laquelle il prévoit l'adoption et l'application du texte définitif de la loi;
    • ii) de noter que, selon les représentants du gouvernement, l'avant-projet de loi syndicale sera terminé dans un bref délai et d'exprimer l'espoir que le gouvernement pourra en communiquer une copie pour la prochaine session du comité, en novembre 1978;
    • b) au sujet des commissions paritaires prévues par un décret de 1977:
    • i) d'insister, comme il est dit au paragraphe 37, sur l'importance d'assurer la libre élection des travailleurs au sein de ces commissions;
    • ii) de prier le gouvernement de fournir des informations sur l'évolution de la situation concernant ces organismes;
    • c) au sujet des syndicalistes arrêtés:
    • i) de noter les dernières informations communiquées par le gouvernement;
    • ii) d'exprimer une fois encore sa préoccupation devant les lenteurs de la procédure judiciaire engagée à l'encontre de nombreux syndicalistes encore détenus;
    • iii) de demander au gouvernement de transmettre une copie des jugements avec leurs attendus qui ont été prononcés à l'égard des syndicalistes cités au paragraphe 20;
    • iv) de prier le gouvernement de communiquer ses observations sur les allégations (citées aux paragraphes 18 et 29) relatives aux mauvais traitements subis pendant la détention ainsi qu'aux obstacles concernant les droits de la défense et de fournir des informations détaillées sur le cas particulier (mentionné au paragraphe 18) de M. Ricardo Vilaro en précisant les motifs de sa nouvelle détention;
    • v) de prier également le gouvernement de communiquer des informations détaillées sur les syndicalistes figurant sur les listes déposées par les plaignants qui lui seront communiquées prochainement;
    • d) de prier le gouvernement d'envoyer les informations demandées ci-dessus pour le 10 octobre 1978 au plus tard;
    • e) de noter le présent rapport intérimaire.
      • Genève, 31 mai 1978. (Signé) Roberto AGO, Président.
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