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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 335, Novembre 2004

Cas no 2257 (Canada) - Date de la plainte: 18-MARS -03 - Clos

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  • du droit d’association contre les ingérences
  • des employeurs, l’entrave à la négociation collective, le non-respect du droit des cadres québécois de négocier collectivement leurs conditions de travail et l’absence de mécanismes de règlement des différends à défaut du droit
  • de grève.
    1. 412 La plainte est contenue dans une communication du 18 mars 2003, envoyée par la Confédération nationale des cadres du Québec (CNCQ), l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (ACSCQ), l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux (ACSSSS) et l’Association des directeurs et directrices de succursale de la Société des alcools du Québec (ADDS/SAQ).
    2. 413 Le gouvernement du Canada a transmis la réponse du gouvernement du Québec, par une communication datée du 23 avril 2004.
    3. 414 Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Il n’a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 415. Dans leur communication du 18 mars 2003, les organisations plaignantes allèguent qu’elles ne jouissent pas d’une protection législative adéquate du droit d’association contre les ingérences des employeurs, qu’elles ne peuvent négocier collectivement les conditions de travail des cadres québécois, qu’elles ne disposent pas d’un mécanisme de règlement des différends du travail en l’absence du droit de recourir à la grève, et que l’exclusion des cadres du régime général du droit du travail collectif du Québec est fondamentalement discriminatoire. Elles décrivent l’historique de leurs démarches infructueuses, depuis 1977, pour faire reconnaître ces droits (cf. annexe).
  2. Le statut des organisations plaignantes
  3. 416. La Confédération nationale des cadres du Québec (CNCQ) est un regroupement de 18 associations de cadres représentant près de 6 500 employés des secteurs municipal, public et parapublic au Québec. Fondée en 1992, cette confédération poursuivait et poursuit toujours les buts suivants: remplacer le régime consultatif mis en place par le gouvernement du Québec par un véritable régime de négociation collective; couvrir tous les employés-cadres du Québec, y compris les cadres œuvrant dans les entreprises privées et non plus seulement les cadres du secteur parapublic; amener le gouvernement du Québec à adopter une législation spécifique ou, à défaut, amender le Code du travail pour mettre fin à l’exclusion des cadres.
  4. 417. L’Association des directeurs et directrices de succursale de la SAQ (ADDS/SAQ) est une association de personnes ayant été constituée en 1977 et qui regroupe aujourd’hui plus de 350 directeurs de succursale de la Société des alcools (SAQ) répartis sur l’ensemble du territoire du Québec. Ses membres sont des cadres de premier niveau en ce que les membres du personnel dont ils ont la direction sont tous des salariés syndiqués. L’ADDS/SAQ a notamment comme mission de protéger et d’améliorer les conditions de travail de ses membres. Elle est reconnue à titre de représentante sur une base purement volontaire par la Société des alcools du Québec (SAQ) en ce qui concerne les relations de travail de tous les directeurs et directrices de succursale de la SAQ. Aux termes d’un Protocole d’entente signé en août 2000, la SAQ doit, avant de déterminer ou modifier les conditions de travail des membres de l’ADDS/SAQ, consulter cette dernière. Enfin, la SAQ accepte, par le biais de ce Protocole d’entente, de prélever la cotisation exigée de l’ADDS/SAQ sur le traitement de tous les directeurs et directrices de succursale. L’ADDS/SAQ bénéficie donc d’une reconnaissance volontaire de la part de l’employeur, la SAQ, reconnaissance lui donnant le privilège d’être consultée mais non celui de négocier collectivement pour l’ensemble de ses membres.
  5. 418. L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (ACSCQ) est une association de personnes fondée en 1997 et regroupant aujourd’hui près de 220 membres répartis entre les casinos de Hull et de Montréal. Les membres de ces associations occupent des fonctions de chefs de table et sont donc à ce titre des cadres de premier niveau, le personnel dont ils ont la direction étant syndiqué. L’ACSCQ a pour rôle de représenter ses membres et de promouvoir auprès de l’employeur, la Société des casinos du Québec (SCQ), leurs intérêts économiques, sociaux et professionnels. A cette fin, l’ACSCQ et la SCQ ont signé en mai 1998 un premier Protocole d’entente visant à reconnaître l’ACSCQ en tant que représentante de ses membres, aux fins de relations de travail. L’ACSCQ bénéficie donc à ce titre du droit d’être consultée par les représentants de l’employeur, préalablement à la détermination ou à la modification des conditions de travail. La SCQ accepte pour sa part de prélever les cotisations des membres sur leur traitement et de libérer avec solde des représentants de l’ACSCQ afin qu’ils participent à des rencontres avec les représentants de l’employeur.
  6. 419. L’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux (ACSSSS) est une association de personnes fondée en 1973 et représente les quelque 1 600 gestionnaires des services publics dirigeant les services dispensés dans les établissements de santé et de services sociaux du Québec. Les membres (environ 1 000), regroupés sur une base volontaire, sont chargés de l’organisation et de la coordination des ressources humaines, financières et informationnelles de ces établissements. Les membres de l’ACSSSS sont des employés des établissements qui les embauchent. A ce titre l’ACSSSS œuvre donc dans le domaine parapublic. Elle est reconnue par le gouvernement du Québec à titre de représentante de ses membres lesquels sont qualifiés, au point de vue administratif, de cadres supérieurs. Cependant, considérant leurs tâches et le fonctionnement hiérarchique des établissements, ces cadres doivent être considérés comme étant dans les faits de niveau intermédiaire. Cette reconnaissance qui découle de l’adoption par le gouvernement du Québec d’un décret n’est pas assimilable aux bénéfices pouvant découler de l’application d’une loi ou d’une réglementation d’ordre général reconnaissant les associations de travailleurs et favorisant l’exercice de leur liberté syndicale. En effet, le gouvernement du Québec a adopté ce décret en tant qu’employeur. Il s’agit d’un acte de nature civile et non de l’exercice du pouvoir public. Comme le gouvernement ne peut s’exprimer que par décret, il lui fallait donc en adopter un pour reconnaître formellement l’ACSSSS comme interlocuteur. Par contre, aucune loi ou règlement ne force le gouvernement à reconnaître cette association et celui-ci pourrait unilatéralement, à tout moment, lui retirer la reconnaissance. Cette association ne se retrouve donc pas, à cet égard, dans une meilleure position que les deux autres associations plaignantes ci-dessus décrites.
  7. Le statut des membres des organisations plaignantes
  8. 420. Les membres des associations parties à la présente plainte sont tous des cadres de premier niveau ou de niveau intermédiaire. A ce titre, ils jouissent de l’exercice de certains pouvoirs de gestion à l’égard d’individus généralement non cadres. Cependant, quoique pouvant être consultés ou même prendre part à certaines discussions concernant les grandes orientations politiques et administratives de leur organisme ou société, ces cadres n’assument pas de responsabilités décisionnelles à cet égard.
  9. 421. Les associations plaignantes jouissent toutes d’une forme de reconnaissance par leurs employeurs respectifs ou leur ministère de tutelle. A ce titre, elles sont en théorie consultées dans le cadre de l’élaboration ou de la modification par les employeurs des conditions de travail de leurs membres. Toutefois, même s’il comporte une obligation de consultation, ce niveau de consultation est tributaire de la bonne foi de l’employeur car aucune sanction ne s’applique lorsque cette obligation n’est pas remplie. Dans le meilleur des cas, il ne s’agit que d’un rôle de consultant joué par les associations et qui démontre les limites de leur pouvoir. Il ne s’agit aucunement d’une reconnaissance aux fins d’une réelle négociation collective des conditions de travail des membres des associations, mais bien d’un simple droit d’être consulté. L’employeur demeure donc le seul et unique maître d’œuvre dans l’établissement des conditions de travail des cadres.
  10. 422. Quoique la présente plainte conteste le régime législatif et réglementaire général applicable dans la province de Québec en matière de reconnaissance et de garantie du droit à la négociation collective, il faut préciser que les employeurs concernés par la plainte relèvent soit du domaine gouvernemental parapublic (comme pour l’ACSSSS) ou sont des sociétés d’Etat indépendantes d’un contrôle gouvernemental direct mais néanmoins reliées à l’appareil étatique. Dans aucun cas, cependant, les membres des associations plaignantes ne sont, au sens de la loi, des fonctionnaires du gouvernement de la province de Québec.
  11. Le cadre juridique général
  12. 423. Les rapports collectifs du travail au Québec sont régis par le Code du travail (L.R.Q., c. C-27). Même ci ce Code a été amendé à plusieurs reprises, y compris en l’an 2000, le législateur a maintenu l’exclusion des cadres de la juridiction du Code du travail. Tous les cadres québécois sont touchés par cette exclusion, pas seulement ceux représentés par les associations plaignantes. Ce Code instaure et aménage l’ensemble du processus entourant l’implantation d’un syndicat chez un employeur par le biais de l’octroi d’un certificat d’accréditation et donne au syndicat ainsi accrédité les outils nécessaires à la négociation collective et à la conclusion d’une convention collective. Le Code prohibe et sanctionne les entraves au droit d’association et au droit à la négociation collective des travailleurs visés.
  13. 424. Toutefois, le champ d’application du Code du travail est indûment restreint en raison de la définition limitative de «salarié» qui y est contenue. En effet, l’article 3 du Code du travail prévoit que: «Tout salarié a droit d’appartenir à une association de salariés de son choix et de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration.» Le terme «salarié» est défini comme suit à l’article 1 l) du Code du travail: «"Salarié" – Une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération; cependant, ce mot ne comprend pas: 1) une personne qui, au jugement du commissaire du travail, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés;». Les notions de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés furent interprétées largement par les tribunaux avec pour conséquence de ranger dans la catégorie des cadres non syndicalisables un nombre important de travailleurs qui ont par ailleurs toutes les qualités et l’intérêt requis pour négocier collectivement leurs conditions de travail. Par conséquent, le cadre, du moment où il est qualifié aux yeux du commissaire du travail de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés, est exclu du champ d’application du Code.
  14. 425. L’inclusion des cadres dans le Code du travail actuel constituerait, certes, une amélioration par rapport à la situation actuelle, mais il importe de mentionner que cela ne satisferait pas aux exigences des conventions internationales du travail qui ne se contentent pas d’un droit théorique mais exigent aussi des conditions concrètes facilitant l’exercice de ces droits. En effet, le Code du travail a retenu, par le biais de l’accréditation, une reconnaissance de la représentativité syndicale limitée à l’aire d’une entreprise et non d’un secteur d’activités. Dès lors, même si leur nombre global n’est pas négligeable, les cadres restant peu nombreux par rapport aux autres salariés d’une même entreprise n’arriveraient généralement pas à s’organiser dans des syndicats ou associations d’entreprise. Quand ils réussissent à se regrouper, c’est essentiellement dans des branches d’activité, en vue de négociations sectorielles.
  15. Les points en litige
  16. 426. S’agissant des mécanismes de règlement des différends, la CNCQ et les associations de cadres qui la composent réclament au gouvernement du Québec qu’il permette la création de syndicats distincts pour cette catégorie de travailleurs (différents de ceux des employés sous leur charge) de façon à limiter les conflits d’intérêts engendrés par l’appartenance à des mêmes organisations syndicales, et le remplacement du droit de grève par un mécanisme de médiation et d’arbitrage exécutoire établi d’un commun accord et jouissant de la confiance des intéressés. Est également contestée l’absence de toute protection législative des associations de cadres et de leurs membres contre l’ingérence ou l’intimidation de la part des employeurs, protection pourtant assurée aux autres associations de salariés au Québec.
  17. 427. En ce qui concerne les formes de reconnaissance consenties aux cadres, les organisations plaignantes soulignent qu’elles sont très précaires, pouvant être retirées unilatéralement à tout moment, les membres des associations ci-dessus mentionnées ne bénéficiant d’aucune protection contre toute pression ou tentative d’ingérence de la part de l’employeur. Ainsi, outre le droit d’être reconnues aux fins de la négociation collective et le droit de bénéficier des mécanismes de résolution de conflits, il est primordial pour les membres des associations de cadres plaignantes de pouvoir être protégés contre les manœuvres d’ingérence et d’intimidation effectuées par les employeurs. De nombreux exemples démontrent leur vulnérabilité devant les intrusions des employeurs dans leurs activités:
  18. a) Pour l’ADDS/SAQ
  19. A diverses occasions, ces quatre dernières années, l’employeur, la SAQ, a modifié les conditions de travail de ses directeurs et directrices de succursale sans même consulter au préalable l’ADDS/SAQ tel que le prévoit le Protocole d’entente (horaires de travail modifiés unilatéralement; élimination du surtemps; règles de vacances restrictives; rémunération, etc.). En outre, il y a eu diverses tentatives cherchant à diminuer le temps de libération alloué aux membres de l’ADDS/SAQ pour s’occuper des activités de leur organisation. Une décision arbitrale récente a démontré la faiblesse du Protocole d’entente conclu avec l’employeur; l’arbitre reconnaissant que le droit d’appel accordé à un directeur ne peut s’appliquer à une clause de ses conditions de travail à moins que celui-ci ne soit une mesure disciplinaire de l’employeur.
  20. b) Pour l’ACSCQ
  21. L’ACSCQ bénéficie, au même titre que l’ADDS/SAQ, du seul droit d’être consultée et non de celui d’être partie à une négociation en tant que représentante de ses membres. De la même façon, l’ACSCQ est reconnue sur une base strictement volontaire par l’employeur qui peut donc à tout moment et unilatéralement décider d’ignorer cette dernière. Par ailleurs, les membres de cette association ne bénéficient d’aucune forme de protection contre l’ingérence ou des représailles pouvant être exercées à leur égard par leur employeur en raison de leurs activités de nature syndicale: demandes de libérations refusées; refus d’inclure l’ACSCQ dans les discussions entourant le renouvellement de l’assurance collective, l’employeur préférant nommer comme représentant de ses cadres un dirigeant de l’entreprise; mention d’un supérieur comme quoi «un officier de l’association ne peut être désigné pour faire le travail de son supérieur hiérarchique de façon intérimaire»; employeurs qui consultent directement les cadres sur leurs conditions de travail, reniant de ce fait la reconnaissance de leur association.
  22. c) Pour l’ACSSSS
  23. L’ACSSSS bénéficie du droit d’être consultée avant que ne soit déterminées ou modifiées les politiques de gestion établissant les conditions de travail de ses membres. Ce rôle consultatif ne permet donc pas à l’ACSSSS de négocier collectivement les conditions de travail de ses membres. A l’instar des membres des autres associations, ceux de l’ACSSSS ne bénéficient d’aucune forme de protection contre des gestes d’ingérence ou d’intimidation qui pourraient être posés à leur égard. Les cadres supérieurs de la santé et des services sociaux se retrouvent donc, dans le cadre de l’exercice de leur liberté syndicale, dans une situation tout aussi précaire que les membres des autres associations; ce qui a d’ailleurs amené ponctuellement des conflits dont les quelques exemples ci-dessous:
  24. – conditions de travail modifiées sans consultation préalable;
  25. – lors de consultation, celle-ci s’effectue dans un délai très court, par téléphone, etc., ne permettant pas des échanges s’apparentant même de loin à de la négociation;
  26. – employeurs locaux décourageant des cadres d’adhérer à une association les représentant;
  27. – employeurs locaux refusant de prélever les cotisations;
  28. – employeurs et associations d’employeurs qui consultent directement les cadres sur leurs conditions de travail, passant outre de ce fait à la reconnaissance de leur association;
  29. – financement par le gouvernement du Québec de l’instance chargée de représenter les cadres en matière d’assurances et de retraite; suspension du financement (mars et avril 1994) pour amener le regroupement à abandonner les poursuites entreprises contre le gouvernement;
  30. – double récupération discriminatoire (loi 102) pour les cadres dont les associations n’auraient pas renoncé à leurs poursuites contre le gouvernement (lettre du 18 mai du secrétaire associé aux politiques du personnel et aux relations de travail);
  31. – seules les associations signataires de l’«entente» de 1994 ont le droit de participer à l’administration des régimes assurés et donc d’assumer leurs responsabilités de représenter leurs membres auprès du gouvernement;
  32. – dévalorisation de l’intérêt de faire partie de l’association et d’y payer les cotisations («Pourquoi payer pour de la consultation?» «Pourquoi cotiser s’il n’y a pas de négociation collective?»);
  33. – tous autres gestes qui, s’ils étaient posés à l’égard des «salariés» non cadres, seraient punissables en vertu du Code du travail.
  34. 428. Les organisations plaignantes soulignent également les nombreuses modifications aux conditions de travail effectuées sans que les associations aient été consultées ou l’utilisation de processus biaisés de consultation directe des membres par téléphone ou courriel. Ceci illustre que le mode de reconnaissance actuellement donné aux associations est nettement insuffisant et ne permet pas la discussion et la négociation collective réelle.
  35. 429. S’agissant du droit syndical, en décembre 2001, la Cour suprême du Canada rendait jugement dans l’affaire Dunmore c. Ontario dans lequel la Cour était appelée à se prononcer sur la légalité d’une disposition législative de la province de l’Ontario qui excluait du régime légal des relations de travail les travailleurs agricoles. La Cour suprême, après avoir statué que l’exclusion des travailleurs agricoles des bénéfices d’une loi instaurant un régime collectif de relations du travail porte atteinte à la liberté d’association et viole le paragraphe 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés, conclut au surplus que cette violation n’est pas justifiable dans une société libre et démocratique et que la disposition législative limitant le droit des travailleurs agricoles à la liberté d’association est en conséquence inconstitutionnelle. Le Comité de la liberté syndicale du BIT a statué dans le même sens concernant cette affaire (cas no 1900, 308e rapport, paragr. 139-194) et a rappelé les mêmes principes en rapport avec les directeurs d’école de la province de l’Ontario (cas no 1951, 311e rapport, paragr. 170-234).
  36. 430. Au vu des éléments de preuve fournis, les organisations plaignantes demandent au comité de conclure que la législation québécoise en la matière n’est pas conforme aux normes et principes de la liberté syndicale en ce qu’elle ne permet pas aux cadres de constituer de véritables syndicats, ne leur octroie pas un réel droit de négociation collective accompagné d’un mécanisme de règlement des différends compensant l’interdiction de grève, et ne les protège pas adéquatement contre les actes d’ingérence et de domination des employeurs. Les organisations plaignantes précisent qu’elles ne s’opposeraient pas à une législation interdisant aux cadres de s’affilier à des syndicats représentant des travailleurs non cadres, à condition qu’elles jouissent des mêmes droits que ces autres syndicats, c’est-à-dire pouvoir se regrouper dans leurs propres syndicats et conclure des conventions collectives. Elles soulignent enfin qu’elles sont ouvertes à une intervention du comité permettant de mettre les parties en présence dans une logique de négociations permettant de régler le différend, avant même les recommandations formelles du comité.
  37. B. Réponse du gouvernement
  38. 431. Dans sa communication du 23 avril 2004, le gouvernement du Québec soutient en substance: que les dispositions législatives régissant les associations plaignantes et les mécanismes qui leur sont applicables sont conformes aux conventions nos 87 et 98; que les cadres, bien qu’ils soient exclus du régime général du Code du travail, bénéficient néanmoins d’un régime structuré leur permettant d’exercer leur liberté syndicale, à savoir la reconnaissance de leur droit d’association et la détermination de leurs conditions de travail; qu’ils bénéficient d’une protection adéquate contre les actes de domination et d’ingérence des employeurs; et que la nécessité d’un mécanisme particulier de règlement des différends ne se fait pas sentir pour les cadres concernés.
  39. Le cadre juridique
  40. 432. Les règles régissant les relations du travail collectives sont contenues dans le Code du travail (ci-après «le Code»), dont l’article 3 dispose que «Tout salarié a le droit d’appartenir à une association de salariés de son choix et de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration.» Le champ d’application du Code est délimité par la définition du mot «salarié», qui ne vise pas «une personne … employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés». Un employé ne sera donc pas considéré comme un salarié au sens du Code du travail s’il exerce des fonctions de gérance ou s’il représente l’employeur dans ses relations avec ses salariés. Les éléments constitutifs du pouvoir de gérance sont, entre autres, ceux d’assigner le travail, d’en contrôler l’exécution, d’en surveiller l’élaboration et d’en évaluer le résultat. Cette distinction existe dans la législation du travail depuis soixante ans, comme dans les autres juridictions canadienne et provinciales, ainsi qu’ailleurs en Amérique du Nord.
  41. 433. Sur le plan du droit interne, le Québec a adopté en 1975 la Charte des droits et libertés de la personne qui stipule à l’article 3 que: «toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles … la liberté d’association». La liberté d’association est donc consacrée au rang de liberté fondamentale et est également protégée par la Constitution canadienne à l’article 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés.
  42. Interprétation judiciaire
  43. 434. Le droit d’association bénéficie d’une interprétation large par les tribunaux. La Cour suprême du Canada a appliqué en plusieurs occasions ces principes au domaine des relations de travail. Elle a précisé en 1999 dans l’arrêt Delisle que le fait qu’un groupe de travailleurs soit exclu de l’application d’une loi régissant les rapports collectifs de travail ne constitue pas nécessairement une violation de la liberté d’association prévue par la Charte canadienne, la protection conférée par la liberté d’association existant en dehors de tout cadre législatif; dans cet arrêt, la Cour a considéré qu’un groupe de travailleurs n’avait pas été empêché de former une association de salariés malgré son exclusion du régime législatif, puisqu’une organisation avait été mise sur pied. A cet égard, la situation des cadres concernés par la présente plainte est semblable puisque les associations et la CNCQ existent, et sont dans les faits les représentants des cadres dans leurs relations professionnelles avec les employeurs concernés.
  44. 435. Quant à l’argument des associations plaignantes fondé sur l’arrêt Dunmore c. Ontario, le gouvernement souligne que ce jugement concernait des travailleurs agricoles exclus de la loi ontarienne régissant les rapports collectifs. Ces travailleurs ont établi qu’ils étaient en fait dans l’impossibilité de constituer une association puisqu’ils étaient dispersés géographiquement et avaient peu de ressources pour se regrouper sans la protection de l’Etat. C’est dans ce contexte précis que la Cour suprême a conclu qu’il y avait, dans ces circonstances, une violation du droit d’association protégé par la Charte canadienne car les travailleurs ne pouvaient former une association sans une protection minimale de la loi. L’arrêt Dunmore ne saurait donc s’appliquer aux cadres en l’espèce puisque ceux-ci ne sont pas des travailleurs isolés et démunis, incapables de bénéficier d’un regroupement pour défendre leurs intérêts. Bien qu’ils soient exclus du Code, les cadres québécois sont effectivement capables de se regrouper afin de défendre leurs intérêts, et sont représentés par des associations dûment constituées, regroupées en Confédération. La liberté d’association garantie par la Charte canadienne leur est donc pleinement accordée. Par ailleurs, il n’existe pas en droit interne québécois de législation ou de réglementation interdisant la création d’association de cadres; au contraire, la loi sur les syndicats professionnels du Québec fournit un encadrement juridique pour la constitution d’associations.
  45. Les employeurs et les associations en cause
  46. 436. Le Réseau de la santé et des services sociaux du Québec compte 228 000 salariés syndiqués: il s’agit d’un secteur parapublic décentralisé qui est composé de 468 établissements et de 18 organismes qui sont tous des employeurs distincts. L’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux (ACSSSS) regroupe les «cadres supérieurs» tels que définis au Règlement sur certaines conditions de travail applicables aux cadres des régies régionales et des établissements de santé et de services sociaux (ci-après le «Règlement consolidé»). Les cadres supérieurs sont au nombre de 1 574, dont 895 membres de l’ACSSSS. Selon l’article 3 du Règlement consolidé, le cadre supérieur est «un cadre nommé par le conseil d’administration d’un employeur dont le poste est déterminé à un niveau d’encadrement supérieur en fonction des tâches prévues pour ce poste au plan d’organisation de cet employeur et dont la classe d’évaluation est conforme aux modalités de classification établies par le ministre». En fait, les cadres supérieurs de la santé et des services sociaux exercent des fonctions de directeur dans tous les secteurs d’activités du réseau de la santé; ils ont des responsabilités pour la planification, l’affectation, le contrôle et l’évaluation du travail, et prennent des décisions concernant la gestion de l’ensemble de leurs ressources humaines, financières et matérielles, engageant la responsabilité de leur employeur. La mission de l’ACSSSS est le maintien et le développement des conditions de travail des cadres supérieurs du réseau de la santé et les services sociaux; elle représente les cadres supérieurs dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs conditions de travail, met à la disposition de ses membres des services d’assistance individuelle et de défense professionnelle et les assiste dans l’exercice des droits et des recours qui découlent de leur statut et de leurs conditions de travail, y compris devant les instances juridictionnelles ou d’arbitrage appropriées.
  47. 437. La Société des alcools du Québec (SAQ) est une société d’Etat à vocation commerciale qui compte plus de 6 000 employés et 398 succursales réparties dans toutes les régions du Québec, dont 355 directeurs sont membres de l’Association des directeurs et des directrices de succursale de la SAQ (ADDS/SAQ). Selon le Manuel des conditions de travail des directeurs et directrices de succursale, le directeur: «… sous la responsabilité du directeur régional, (…) planifie, organise et contrôle les activités reliées à l’exploitation d’un point de vente de la SAQ de façon à offrir un service de haute qualité à la clientèle par l’application des programmes commerciaux et l’utilisation optimale des ressources mises à sa disposition dans le but de maximiser les ventes et la rentabilité de sa succursale, en tenant compte des normes et politiques de l’entreprise et des particularités de son environnement». Les directeurs de succursale tiennent des rôles de commerçant, d’entrepreneur et de gestionnaire et représentent l’employeur à plusieurs niveaux: ils sont chargés du recrutement et peuvent imposer des mesures disciplinaires; ils représentent l’employeur dans l’interprétation de la convention collective, dans les actes d’administration, et au sein de la communauté d’affaires de leur région; ils sont responsables des sommes d’argent provenant des ventes de la succursale et de l’approvisionnement; ils doivent préparer le budget de leur succursale et veiller à sa mise en œuvre. L’ADDS/SAQ regroupe 355 membres et est reconnue en vertu de la loi sur les syndicats professionnels. Sa Constitution lui donne pour but «de promouvoir le bien-être général du personnel des directeurs de succursale de la SAQ, leurs intérêts financiers, sociaux, moraux et intellectuels. Tout en rendant compte de l’importance des fonctions exercées par ces personnes dans la société, cette association cherche à obtenir par des moyens légitimes, les meilleures conditions de travail possible pour ses membres.» La Constitution de l’ADDS/SAQ a été intégrée au Manuel des conditions de travail des directeurs et directrices de succursale. Pour ce faire, l’ADDS/SAQ, s’engage auprès de ses membres «à s’assurer que toute décision et politique, favorisant le bien-être et la compétence de ses membres, soit respectée intégralement et uniformément; à s’assurer que l’entreprise développe leurs compétences en tant que groupe pour mieux faire face aux changements et aux orientations; à prendre une part active dans les orientations et les décisions de l’entreprise tout en gardant son autonomie; à être le lien direct entre ses membres et la direction de la SAQ». L’ADDS/SAQ défend les intérêts de ses membres dans la détermination des conditions de travail et dans les politiques de gestion de l’entreprise et représente individuellement les directeurs de succursale dans les situations de litige.
  48. 438. La Société des casinos du Québec (SCQ) est une filiale de la Société des loteries du Québec. Elle exploite trois casinos situés à Montréal, Hull et Pointe-au-Pic et compte plus de 3 500 employés. Les membres de l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (ACSCQ), exclusivement des «chefs de table», ont des fonctions de contrôle, de supervision et d’évaluation des employés syndiqués. L’ACSCQ compte 135 membres à Montréal et 38 à Hull. Sa mission est de représenter ses membres auprès de l’employeur afin de promouvoir et de défendre leurs intérêts économiques, sociaux et professionnels, à veiller en particulier au respect des conditions de travail régissant ses membres, à promouvoir le perfectionnement et la formation individuelle ou de groupe, à étudier les améliorations à apporter aux conditions de travail et à veiller à ce que l’employeur respecte les dispositions relatives aux conditions d’emploi du personnel.
  49. 439. Les cadres représentés par les associations plaignantes constituent donc un groupe restreint d’employés qui détiennent, chacun dans leur domaine, un pouvoir de gérance qui consiste à assigner, contrôler, surveiller et évaluer le travail de travailleurs syndiqués. Ils représentent l’employeur de diverses façons, certains d’entre eux ayant même le pouvoir d’embaucher et de congédier le personnel. C’est pour cette raison qu’ils ne sont pas couverts par le Code du travail.
  50. La reconnaissance légale et institutionnelle
  51. des associations
  52. 440. Les associations concernées sont constituées en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels (ci-après, «la Loi»), dont l’article 6 dispose que les associations ainsi constituées ont pour objet «l’étude, la défense et le développement des intérêts économiques, sociaux et moraux de leurs membres». Un des objectifs premiers de cette loi, adoptée en 1924, était de conférer aux syndicats un statut juridique clair. Possédant ainsi la personnalité juridique, les associations concernées jouissent de droits et privilèges pour la réalisation de leurs objets. L’article 9 précise qu’elles peuvent ester en justice et peuvent «passer avec tous autres syndicats, sociétés, entreprises ou personnes les contrats ou conventions relatives à la poursuite de leur objet et spécialement ceux visant les conditions collectives de travail». L’article 20 prévoit en outre que «les syndicats, constitués ou non en vertu de la présente loi, les unions et fédérations de syndicats peuvent se constituer en confédération» et l’article 21 que ces confédérations jouissent de tous les droits et pouvoirs conférés par cette loi aux syndicats professionnels. Les trois associations concernées ont pu bénéficier de cette disposition par leur appartenance à la Confédération nationale des cadres du Québec, constituée en vertu de cette loi.
  53. 441. Outre leur reconnaissance légale, les associations concernées jouissent d’une reconnaissance institutionnelle formelle par les employeurs, aux termes de Protocoles d’ententes ou de décrets gouvernementaux:
  54. – l’ACSSSS est reconnue depuis 1980 par décret comme «représentante, pour fins de relations de travail» des employés qu’elle représente, et l’article 3 du Règlement consolidé mentionne nommément l’ACSSSS dans la définition de l’expression «association de cadres»;
  55. – la Société des alcools du Québec reconnaît l’ADDS/SAQ et a signé avec cette dernière un Protocole d’entente concernant sa reconnaissance comme la représentante pour les fins de relations de travail de tous les directeurs et directrices de succursale de la SAQ, Protocole qui est intégré au Manuel des conditions de travail des directeurs et directrices de succursales de la SAQ;
  56. – la Société des casinos reconnaît l’ACSCQ depuis 1997 et a signé en 2001 deux Protocoles d’entente visant sa reconnaissance (l’un pour le casino de Montréal, l’autre pour celui de Hull) disposant que «l’ACSCQ est reconnue comme représentant les chefs de table qui sont membres de l’association, aux fins de relations de travail».
  57. 442. Pour chacune des associations concernées, cette reconnaissance institutionnelle emporte des effets concrets. Le premier, et le plus important, est de formaliser leur qualité de représentant unique des cadres auprès des employeurs, tant pour la détermination des conditions de travail que la défense des intérêts individuels des cadres en cas de conflit soumis à l’arbitrage de griefs. En outre, les instruments de reconnaissance prévoient la perception à la source des cotisations des membres. Le gouvernement donne les précisions suivantes pour chacune des associations.
  58. 443. Les actes de reconnaissance de l’ACSSSS disposent que celle-ci sera obligatoirement consultée préalablement à la détermination ou à la modification des conditions de travail des cadres supérieurs qu’elle représente. Les actes concernent aussi les politiques locales de gestion; plus précisément, l’article 6 du Règlement consolidé énonce que chaque employeur du réseau de la santé a l’obligation formelle de consulter les cadres et leurs représentants préalablement à la détermination de ces politiques locales. Lorsqu’une mésentente entre un cadre et son employeur concernant l’interprétation ou l’application du Règlement consolidé est soumise à un arbitre, le cadre peut être accompagné d’un représentant de son association; la décision de l’arbitre est finale et exécutoire et lie le cadre et l’employeur. Le Règlement consolidé prévoit aussi des dispositions spécifiques sur le prélèvement de la cotisation professionnelle par l’employeur.
  59. 444. Quant à l’ADDS/SAQ, le Protocole d’entente dispose que celle-ci sera consultée par la SAQ «préalablement à la détermination ou à la modification des conditions de travail des directeurs et directrices de succursale» qu’elle représente. Cette disposition est intégrée au Manuel des conditions de travail, qui établit le droit du cadre d’être accompagné d’un représentant de son association s’il est convoqué à une rencontre ayant trait à l’imposition de mesures correctives par l’employeur. Le Protocole dispose que la SAQ doit prélever la cotisation régulière en faveur de l’ADDS/SAQ sur le traitement de tous les directeurs. Au-delà de ce qui est prévu au Protocole, la SAQ remet tous les vingt-huit jours à l’association la liste des directeurs et directrices de succursale. Le manuel dispose également que l’ADDS/SAQ sera préalablement informée en cas de changement technologique dans l’entreprise.
  60. 445. S’agissant de l’ACSCQ, les Protocoles d’entente applicables disposent que celle-ci sera consultée «préalablement à la détermination ou à la modification des conditions de travail des chefs de table des casinos», et que la Société des casinos prélève et verse la cotisation selon le taux prévu et communiqué par l’ACSCQ.
  61. 446. Le gouvernement en conclut que, même si le Code ne s’applique pas aux cadres, ces derniers peuvent compter sur des associations légalement constituées en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels, certaines depuis plusieurs décennies, pour faire valoir leurs intérêts. Elles sont regroupées au sein de la Confédération nationale des cadres du Québec. Elles sont reconnues par leurs employeurs respectifs par un mécanisme formel qui leur est commun, aux termes de Protocoles d’entente ou d’un décret. Cette reconnaissance, jamais démentie depuis l’acte initial, leur confère un statut d’interlocuteur unique dans la représentation de leurs membres, notamment quant à la détermination des conditions de travail. La capacité des associations à représenter les intérêts individuels des cadres est même prévue par règlement dans le cas de l’ACSSSS et de l’ADDS/SAQ. En outre, les mécanismes de reconnaissance prévoient le prélèvement à la source des cotisations, ce qui procure un financement stable et fiable aux associations.
  62. 447. S’agissant du respect de la convention no 87, le gouvernement déclare que la distinction opérée dans ce cas à l’égard des cadres est conforme à la position du Comité de la liberté syndicale qui a déclaré qu’il n’est pas «nécessairement incompatible avec l’article 2 de la convention de dénier au personnel de direction ou d’encadrement le droit d’appartenir aux mêmes syndicats que les autres travailleurs» [voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 1996, quatrième édition, paragr. 231] puisqu’elle respecte leur droit effectif de créer leurs propres associations de cadres. La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations mentionne également qu’une disposition qui interdirait à des «cadres de s’affilier à des syndicats représentant les autres travailleurs n’est pas nécessairement incompatible avec la convention, pourvu qu’ils aient le droit de constituer leurs propres organisations, et que le droit d’y appartenir soit restreint aux personnes exerçant des fonctions de direction ou de prise de décisions de haut niveau». Le gouvernement du Québec soumet donc qu’il respecte les dispositions de la convention no 87 à cet égard. L’existence des associations des cadres est assortie de l’exercice effectif de cette liberté d’association puisqu’elles sont également les porte-parole de leurs membres dans leurs rapports collectifs en vue de l’établissement de leurs conditions de travail. Le gouvernement donne ensuite des renseignements détaillés sur le processus de détermination des conditions de travail et sur les résultats concrets de ces processus dans les divers secteurs concernés.
  63. Les conditions de travail des cadres du Réseau
  64. de la santé et des services sociaux
  65. 448. Le ministère tient avec les représentants des établissements du réseau et ceux de l’ACSSSS des échanges sur les conditions de travail des cadres depuis la fin des années soixante-dix, époque où aucune condition de travail n’était consignée par règlement et où les consultations portaient sur l’ensemble des matières (les employés du réseau de la santé du Québec ne sont pas des fonctionnaires au sens de la loi sur la fonction publique, mais font cependant partie du secteur parapublic). Depuis 1983, le ministre de la Santé et des Services sociaux est habilité par la loi à réglementer les conditions de travail des cadres du réseau, et tous les règlements pertinents d’ordre public consacrent le caractère obligatoire des conditions de travail en précisant les droits et les obligations des parties; ces dispositions sont intégrées dans le Règlement consolidé. Les actes de reconnaissance, en plus de reconnaître officiellement l’ACSSSS, établissent un mécanisme de consultation obligatoire et préalable à la détermination ou à la modification des conditions de travail. Afin de structurer formellement ce processus, on a établi des comités consultatifs de relations professionnelles (CCRP) dont le mandat et la composition sont précisés par le Règlement consolidé: «Deux comités consultatifs de relations professionnelles sont institués pour discuter des problèmes d’interprétation et d’application des conditions de travail, des projets de modifications de ces conditions de travail ainsi que de tout autre sujet connexe. … ces deux comités sont composés de représentants d’associations d’employeurs et du ministre: le premier incluant des représentants de l’ACSSSS et le second des représentants de l’Association des gestionnaires des établissements de santé et des services sociaux Inc. et de l’ACSSSS. Ils peuvent être convoqués à la demande de l’une ou l’autre des parties.» Lorsque les projets de révision envisagés sont importants et visent à apporter des modifications significatives aux conditions de travail existantes ou à introduire un nouveau régime de travail, les réunions des CCRP sont plus fréquentes et plus régulières tant que les consultations ne sont pas finalisées, les pourparlers pouvant parfois s’échelonner sur plusieurs mois. Avant de fixer une réunion d’un CCRP, la Direction du personnel d’encadrement du ministère communique avec les représentants des associations pour s’assurer de leur disponibilité. Tous les intervenants participent à l’établissement de l’ordre du jour; les hypothèses de modification des conditions de travail et la documentation sont transmises dans les jours précédant la réunion aux représentants des cadres et des employeurs afin de leur permettre d’en prendre connaissance et de préparer leurs commentaires. Les projets de révision des conditions de travail peuvent être proposés par les représentants de toutes les parties. Les premiers règlements sur les conditions de travail, qui datent de 1983, portaient sur des conditions de travail jugées essentielles, comme les mesures de stabilité d’emploi en cas d’abolition de poste et la procédure de recours en cas de fin d’engagement. La mise en place du processus de réglementation a contribué à multiplier et à formaliser les échanges entre le gouvernement, les associations représentant les établissements et celles du personnel d’encadrement. Ce large processus évolutif a permis de constituer un régime général complet de conditions de travail pour les cadres du réseau de la santé, en consultation constante avec leurs associations, dont l’ACSSSS.
  66. 449. Le résultat global de ces pourparlers tenus depuis plus de vingt ans est une imposante réglementation, qui comprend les volets suivants (par ailleurs offerts à l’ensemble des cadres et aux syndiqués des autres secteurs public et parapublic): relations professionnelles; cotisations professionnelles de l’association; politiques locales de gestion; rémunération; assurances collectives; droits parentaux; congé à traitement différé; préretraite progressive; développement; mesures de stabilité d’emploi en cas d’abolition de poste; mesures de fin d’engagement; recours concernant l’assurance salaire, l’interprétation et l’application de conditions de travail et les ruptures du lien d’emploi. Les différents règlements issus du processus de consultation sont alors adoptés et intégrés dans le Règlement consolidé. De plus, le Règlement consolidé des cadres prévoit aussi que chaque employeur (468 établissements et 18 organismes) doit adopter des politiques locales de gestion après consultation des représentants de ses cadres. Ces politiques portent sur les sujets suivants: dotation des postes de cadre; évaluation du rendement; formation et développement; dossier du cadre; vacances annuelles; congés sociaux et congés fériés; congés sans solde, pour affaires professionnelles et pour charge publique; compensation des heures supplémentaires lors de situations exceptionnelles; mécanisme de recours sur l’application de ces politiques de gestion. Cette section particulière du Règlement consolidé établit aussi des paramètres pour guider l’employeur dans la détermination de certaines politiques de gestion et des dispositions concernant la violence en milieu de travail, le harcèlement sexuel et la discrimination. Le Règlement consolidé, en constante évolution, constitue le corpus du processus établi entre les employeurs et les cadres, l’ensemble des conditions de travail convenues et obligatoires, et fournit l’encadrement pour l’établissement des politiques de gestion.
  67. Les conditions de travail des cadres de la Société
  68. des alcools du Québec
  69. 450. Le processus de détermination des conditions de travail à la Société des alcools du Québec est moins complexe que celui du réseau de la santé car il concerne un nombre de personnes beaucoup plus restreint, mais il n’en est pas moins rigoureux. Conformément au Protocole d’entente et au Manuel des conditions de travail, les représentants de haut niveau de la SAQ rencontrent les représentants de l’ADDS/SAQ sur une base trimestrielle, afin de discuter des orientations d’entreprise et des dossiers modifiant les conditions de travail des directeurs de succursale. Tous les trois mois, l’ADDS/SAQ soumet au vice-président des ventes les sujets qu’elle souhaite aborder au cours de la rencontre. La direction de la SAQ prépare l’ordre du jour (sur la base des sujets proposés par l’ADDS/SAQ et la SAQ) et le transmet aux participants quelques jours avant la rencontre. En outre, l’ADDS/SAQ peut à tout moment communiquer avec le directeur des ventes; elle le fait notamment pour des dossiers courants de gestion concernant des directeurs ou des modifications aux procédures de gestion. Ainsi, au cours de la dernière année, l’ADDS/SAQ a pu faire inscrire à l’ordre du jour les dossiers suivants: rémunération et régime de retraite des cadres; santé psychologique au travail; conciliation travail-famille; et beaucoup d’autres sujets qui ont été traités lors des réunions, à la demande de l’ADDS/SAQ ou de la SAQ.
  70. 451. Sur le plan des résultats, la pratique d’entreprise à la SAQ fait en sorte que les cadres bénéficient au moins des mêmes conditions de travail que les employés syndiqués. Le Manuel des conditions de travail couvre une vaste gamme de matières: définition des statuts de directeurs de succursale (régulier et à l’essai); normes d’éthique professionnelle; principes de rémunération et révision annuelle des salaires; règles salariales, régimes d’intéressement et bonification; classification des postes et des succursales; primes et avantages sociaux liés à l’emploi; horaires de travail; allocations diverses; vacances et congés, jours fériés et chômés; régime de protection du revenu; régime de retraite; règles de dotation et de mobilité interne; évaluation du rendement; mesures disciplinaires et administratives; et reconnaissance de l’ADDS/SAQ. Certaines conditions de travail des cadres diffèrent des conventions collectives signées avec les salariés, par exemple: les salariés ont opté pour des indexations identiques à celles des employés de la fonction publique, alors que les cadres ont choisi un programme prévoyant une indexation moindre, mais avec une possibilité de bonification; les cadres ont monnayé 13 jours de congé maladie payés contre une contribution additionnelle de la SAQ à leur programme d’assurances collectives, alors que les salariés ont préféré conserver la possibilité de cumuler des crédits maladie.
  71. 452. En réponse aux allégations plus précises de la plainte de l’ADDS/SAQ, le gouvernement indique que la SAQ a suivi la procédure de consultation prévue, et les échanges subséquents ont permis des ajustements aux propositions faites. Ainsi, tenant compte des demandes de l’ADDS/SAQ, l’employeur a intégré la valeur du temps supplémentaire au salaire des directeurs de succursale; l’ADDS/SAQ ayant fait observer qu’un groupe de directeurs assignés à un projet spécial n’avait pas bénéficié dudit calcul, il a été convenu de porter l’ajustement à 3,87 pour cent du salaire de base alors qu’il avait été calculé originalement à 3,37 pour cent. L’ADDS/SAQ allègue aussi que la SAQ a modifié la structure de rémunération des directeurs et directrices de succursale sans consultation. Pourtant, le document intitulé «Nouvelle politique salariale de l’ADDS/SAQ» déposé en 2002 lors des rencontres trimestrielles démontre que le sujet de la révision de la structure salariale a été abordé. Le processus de consultation s’est poursuivi lors de l’élaboration et la mise en œuvre de la politique salariale, et le représentant de la SAQ a discuté avec l’ADDS/SAQ de tous les dossiers des directeurs de succursale qui demandaient une révision de leur traitement. Le document de l’ADDS/SAQ sur la Nouvelle politique salariale mentionne que les «principaux objectifs de l’ADDS/SAQ ont été atteints» dans ce dossier, et fait aussi état de gains majeurs. Enfin, la SAQ n’a procédé à aucune modification d’horaire pour les directeurs de succursale. Quant aux vacances, aucune modification n’a été apportée au Manuel des conditions de travail: le nombre de semaines de vacances annuelles n’a pas été modifié, si ce n’est que les vacances sont limitées à un maximum de trois semaines consécutives, en application du Manuel des conditions de travail. En somme, l’ensemble du processus convenu entre la SAQ et l’ADDS/SAQ constitue un véritable mécanisme formel d’échanges où sont discutées, modifiées et bonifiées les conditions de travail et les pratiques de gestion des directeurs de succursale.
  72. Les conditions de travail des cadres de la Société
  73. des casinos du Québec
  74. 453. La Société des casinos du Québec et l’ACSCQ sont convenues à l’article 1b) des Protocoles d’entente applicables «de se rencontrer en comité conjoint à la demande de l’une ou l’autre des parties aux fins de discussions et d’échanges sur les préoccupations des parties». De fait, des réunions formelles ont lieu environ tous les deux mois avec l’une et l’autre des sections (Montréal ou Hull). Les ordres du jour concernent les conditions de travail et d’autres sujets tels les problèmes dans le fonctionnement régulier avec les autres niveaux de l’organisation. Les représentants de l’employeur peuvent rencontrer les représentants de l’ACSCQ sur demande, avec une fréquence variable. S’agissant des résultats de ce processus, le Manuel de l’employé contient les conditions générales de travail des chefs de table ainsi que les politiques en vigueur au casino de Montréal: aménagement du temps de travail; rémunération; congés; absences pour maladie; évaluation du rendement; mécanismes de dotation des emplois; formation et développement; santé et sécurité au travail; régimes collectifs d’assurance et de retraite (un document similaire est en préparation pour le casino de Hull). Un des dossiers les plus litigieux concerne les horaires de travail: une dizaine de rencontres a été nécessaire pour convenir d’un règlement approprié; le processus a porté fruit puisqu’un important projet pilote de réaménagement des horaires de travail sera mis en œuvre. Celui-ci pourrait voir le jour dans d’autres secteurs, si les résultats sont probants. Les conditions des cadres de la Société des casinos du Québec sont supérieures à celles des employés syndiqués en termes de rémunération globale et de conditions de travail. Bien que le processus établi entre la Société des casinos du Québec et l’ACSCQ soit récent, il constitue une base formelle et respectée par les parties, qui assure la discussion permanente et l’amélioration des conditions d’emploi.
  75. 454. Le gouvernement en conclut que les mécanismes d’élaboration des conditions de travail des cadres concernés sont adéquats et ont généré des résultats probants. L’adhésion des associations aux résultats obtenus confirme la crédibilité de ces mécanismes, les associations pouvant désormais se prévaloir auprès de leurs membres d’un ensemble de conditions de travail qui se compare avantageusement aux conventions collectives du secteur public. L’amélioration des conditions de travail des cadres vient notamment du fait qu’ils bénéficient des avantages déjà accordés aux salariés syndiqués et qu’ils jouissent d’une position privilégiée dans leur organisation respective. Les mécanismes existants permettent l’obtention de conditions de travail avantageuses; ils constituent des processus structurés, obligatoires et permanents, élaborés en collaboration avec la direction des associations et adaptés aux conditions propres à l’organisation du travail de chaque secteur d’activité. L’ensemble de ces processus de relations professionnelles a démontré par son évolution une souplesse dans l’innovation et la recherche de solutions qui en garantissent l’efficacité pour l’avenir.
  76. Protection contre les actes d’ingérence
  77. et l’intimidation des employeurs
  78. 455. Le gouvernement soumet à cet égard que les mécanismes dont disposent les cadres leur accordent une protection adéquate. En effet, il existe un recours contre l’ingérence ou l’intimidation à l’article 425 du Code criminel qui dispose: «Est coupable d’une infraction … quiconque, étant un employeur ou l’agent d’un employeur, injustement et sans autorisation légitime …: a) refuse d’employer ou congédie une personne pour la seule raison que la personne est membre d’un syndicat … ou d’une association …; b) cherche par l’intimidation, par la menace de la perte d’une situation ou d’un emploi, ou en causant la perte réelle d’une situation ou d’un emploi, ou par la menace ou l’imposition d’une peine pécuniaire, à contraindre des ouvriers ou employés de s’abstenir d’être membres d’un syndicat ouvrier ou d’une association ou alliance à laquelle ils ont légitimement droit d’appartenir …». Le Code criminel prévoit à cet égard: «… une amende maximale de 2 000 dollars et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces peines». Le gouvernement soumet donc qu’il respecte les dispositions de la convention no 98 sur la protection contre l’ingérence et l’intimidation des employeurs, puisque les associations concernées bénéficient d’une protection législative en ce sens.
  79. Mécanisme de règlement des différends
  80. 456. Les associations contestent enfin la position du gouvernement de refuser à leurs cadres le droit de bénéficier de mécanismes adéquats de résolution des conflits en cas d’échec des négociations. Plus spécifiquement, elles soutiennent que le gouvernement du Québec devrait notamment prévoir un mécanisme de règlement des différends qui leur soit spécifique et comportant en dernier recours un arbitrage exécutoire. Le gouvernement a déjà mentionné que les conditions de travail des cadres étaient déterminées à la suite d’un processus formellement reconnu entre les parties, qui oblige l’employeur à consulter les représentants des associations dûment constituées et reconnues et à mettre en place des comités. Les résultats indiqués témoignent de l’efficacité de ce processus puisque les conditions de travail consignées dans les divers règlements ou Protocoles d’ententes sont comparables par nature à des conventions collectives. Le processus fonctionne bien et ne semble pas soulever de problèmes majeurs, principalement en raison du fait que les parties sont en constante recherche de solutions pour la détermination ou l’amélioration des conditions de travail. Si les cadres souhaitent améliorer leur sort, ils peuvent se servir de leur position stratégique dans leur organisation respective. Etant les représentants des employeurs auprès des salariés, ils bénéficient d’une ligne directe de discussion avec les plus hautes autorités de leur organisation et peuvent ainsi aisément recourir à leur pouvoir de revendication, de pression et d’influence pour résoudre les conflits. De plus, les associations peuvent convenir de solutions aux éventuels différends lors des consultations. Ce double canal procure aux cadres de ces associations un mécanisme adéquat de défense de leurs intérêts économiques et sociaux.
  81. 457. Le gouvernement affirme en conclusion que ce système dualiste de relations du travail, de même nature que celui existant au Canada et en Amérique du Nord, assure aux associations concernées l’exercice de leur liberté syndicale. Elles disposent de garanties législatives quant à leur reconnaissance et à la protection contre l’ingérence ou l’intimidation de la part des employeurs, garanties conjuguées à des mécanismes formels de détermination des conditions de travail de leurs membres. En conséquence, le gouvernement soumet qu’il respecte ses obligations internationales, découlant des conventions nos 87 et 98. Il joint à son argumentaire une importante documentation, ainsi que les textes législatifs, réglementaires et contractuels applicables, fondant sa position.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 458. Le comité note que le présent cas concerne le régime de travail collectif des cadres aux termes de la législation du travail du Québec. Les organisations plaignantes allèguent: que le Code du travail exclut les cadres de son champ d’application, leur interdisant ainsi de se constituer en syndicats; qu’elles ne peuvent véritablement négocier collectivement les conditions de travail de leurs membres et ne disposent pas d’un mécanisme de règlement des différends du travail en l’absence du droit de recourir à la grève; et que les cadres ne bénéficient pas d’une protection législative adéquate du droit d’association contre les ingérences des employeurs. Le gouvernement fait valoir pour sa part que les dispositions législatives régissant les associations plaignantes et les mécanismes qui leur sont applicables sont conformes aux conventions nos 87 et 98; que les cadres, bien qu’ils soient exclus du régime général du Code du travail, bénéficient néanmoins d’un régime structuré leur permettant d’exercer leur liberté syndicale, à savoir la reconnaissance de leur droit d’association et la détermination de leurs conditions de travail; qu’ils bénéficient d’une protection adéquate contre les actes de domination et d’ingérence des employeurs; et que la nécessité d’un mécanisme particulier de règlement des différends ne se fait pas sentir pour les cadres concernés.
  2. 459. S’agissant de l’exclusion des cadres du champ d’application du Code du travail, le comité note que la définition restrictive du terme «salarié» empêche effectivement les cadres de constituer des syndicats au sens du Code, avec tous les droits stricts qui en découlent notamment celui de négocier des conventions collectives dans le cadre du Code. Tout en notant que les cadres peuvent constituer des associations qui jouissent de prérogatives non négligeables (voir ci-après), le comité rappelle que les seules exclusions permises par la convention no 87 concernent les forces armées et la police, et souligne que cette exclusion doit être définie de façon restrictive. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 219-222.]
  3. 460. Notant par ailleurs que la jurisprudence nationale a donné une interprétation extensive de la notion de cadre, le comité rappelle qu’il n’est pas nécessairement incompatible avec les dispositions de l’article 2 de la convention de dénier au personnel de direction ou d’encadrement le droit d’appartenir aux mêmes syndicats que les autres travailleurs, mais seulement à deux conditions: premièrement, qu’ils aient le droit de créer leur propres organisations pour la défense de leurs intérêts et, deuxièmement, que ces catégories de personnel ne soient pas définies en termes si larges que les organisations des autres travailleurs de l’entreprise ou de la branche d’activité risquent de s’en trouver affaiblies, en les privant d’une proportion substantielle de leurs membres effectifs ou potentiels. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 231.]
  4. 461. Le comité note également que le plus haut tribunal du pays a statué, en rapport avec une exclusion visant les travailleurs agricoles dans la province de l’Ontario, que cette exclusion portait atteinte à la liberté d’association et que cette violation n’était pas justifiable dans une société libre et démocratique en regard de la Charte canadienne des droits et libertés (Dunmore c. Ontario, 2001 C.S.C. 94). Le comité note aussi que la Cour suprême mentionne dans cet arrêt les articles 2 et 10 de la convention no 87 en rapport avec les expressions «sans distinction d’aucune sorte» et «toute organisation de travailleurs» (J. Bastarrache, paragr. 27) ainsi que la décision du comité dans le cas no 1900 (308e rapport, paragr. 139-194) où ce principe était en cause. Quant à l’arrêt Delisle, le comité note que ce jugement de la Cour suprême concernait des policiers (Gendarmerie royale du Canada), catégorie de travailleurs dont l’exclusion est permise par la convention no 87.
  5. 462. Le comité note également que les démarches effectuées par les associations de cadres québécois en vue de la reconnaissance de leurs droits syndicaux dans le cadre du Code du travail durent depuis plus de vingt-cinq ans, sans résultats tangibles, et que le dialogue qui a pu exister est maintenant au point mort.
  6. 463. Au vu de tous ces éléments, le comité demande au gouvernement d’amender les dispositions pertinentes du Code du travail du Québec afin que les cadres jouissent du droit de bénéficier du régime général de droit du travail collectif et de constituer des associations jouissant des mêmes droits, prérogatives et voies de recours que les autres «associations de salariés».
  7. 464. Les conclusions du comité concernant les autres aspects de la plainte découlent, mutatis mutandis, de la conclusion ci-dessus.
  8. 465. S’agissant de la reconnaissance des associations et de leurs droits de négociation collective, le comité note que, dans le cadre du régime actuel, les associations plaignantes jouissent d’une réelle forme de reconnaissance par leurs employeurs respectifs et participent à l’élaboration des conditions de travail de leurs membres. Ces dispositions d’ordre contractuel constituent donc un embryon de reconnaissance juridique, non consacrée toutefois dans un texte législatif. Les exemples donnés par les associations plaignantes démontrent que la reconnaissance est précaire, variable selon les employeurs et les établissements de travail, et que les conditions de travail ne sont pas codifiées dans de véritables conventions collectives assorties des droits et garanties qui vont de pair. Cette précarité et l’incertitude qui en découle sur le plan des relations professionnelles sont dues à l’absence d’une véritable reconnaissance juridique des cadres comme «salariés» et de leurs associations, au sens du Code du travail, avec tous les droits afférents.
  9. 466. S’agissant du règlement des différends collectifs, en raison de leur exclusion du Code du travail, les cadres ne bénéficient pas des mécanismes et recours généraux établis par le Code (conciliation; arbitrage; grève). Le comité rappelle à cet égard que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir leurs intérêts économiques et sociaux. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 475.] Ce droit peut être restreint, voire interdit: dans la fonction publique, uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat; dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 526.] Il ressort des éléments de preuve soumis que les membres des associations plaignantes ne sont pas fonctionnaires et que les fonctions des membres d’au moins deux des associations plaignantes ne sauraient entrer dans la définition restrictive des services essentiels: les chefs de table des casinos, membres de l’ACSCQ, et les directeurs de succursale de la SAQ, membres de l’ADDS/SAQ. La situation des membres de l’ACSSSS est différente à ce titre étant donné que certains d’entre eux exercent leurs fonctions dans les services hospitaliers, dont le comité a reconnu qu’ils pouvaient être considérés comme des services essentiels. En conséquence, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures voulues pour faire en sorte que les cadres concernés jouissent, comme les autres travailleurs, de mécanismes de négociation collective et de règlement des différends conformes aux principes de la liberté syndicale.
  10. 467. En ce qui concerne les mesures de protection contre les actes d’ingérence et de contrôle par l’employeur, il ressort des allégations que cette protection laisse à désirer: tentatives de restreindre les facilités accordées pour s’occuper des activités des associations; demandes de libération refusées; consultation directe de cadres en outrepassant leurs associations; employeurs locaux décourageant des cadres d’adhérer aux associations; refus de prélever les cotisations; traitement différencié dans le choix des associations admises à participer paritairement à l’administration des régimes d’assurance. De l’avis du comité, toutes ces actions ne peuvent avoir pour effet, en dernière analyse, que d’amener les membres actuels et potentiels des associations à s’interroger sur l’utilité d’y adhérer, puisque la négociation collective et ses incidents ne sont pas encadrés par le Code et qu’il n’existe pas de véritable protection juridique contre des actes qui seraient punissables aux termes du Code s’ils étaient posés contre des salariés couverts par le régime collectif général de relations professionnelles. Les dispositions du Code criminel mentionnées par le gouvernement à cet égard ne sont pas appliquées par une juridiction spécialisée (tel un commissaire du travail ou un tribunal du travail) et n’offrent pas le même degré de protection étant donné le fardeau et le degré de preuve nécessaires. En conséquence, le comité demande au gouvernement d’amender la législation et de prendre les mesures voulues pour faire en sorte que les cadres concernés jouissent, comme les autres travailleurs visés par le Code du travail, de recours et de mécanismes de protection contre les actes d’ingérence et de domination des employeurs, conformément aux principes de la liberté syndicale.
  11. 468. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation sur tous les aspects mentionnés ci-dessus, et notamment des mesures prises pour mettre la législation en conformité avec les principes de la liberté syndicale.
  12. 469. Le comité attire l’attention de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs du présent cas.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 470. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande au gouvernement d’amender le Code du travail du Québec afin que les cadres aient le droit de bénéficier du régime général de droit du travail collectif et de constituer des organisations jouissant des mêmes droits, prérogatives et voies de recours que les autres organisations de travailleurs, notamment en ce qui concerne les mécanismes de négociation collective et de règlement des différends et la protection contre les actes de domination et d’ingérence des employeurs, le tout conformément aux principes de la liberté syndicale.
    • b) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation sur tous les aspects mentionnés ci-dessus et notamment des mesures prises pour mettre la législation en conformité avec les principes de la liberté syndicale.
    • c) Le comité attire l’attention de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs du présent cas.

Z. Annexe

Z. Annexe
  • Historique des démarches des cadres
  • auprès du gouvernement du Québec
  • Août 1977: Création de la Conférence des associations de cadres des secteurs public et parapublic. Demande d’une législation particulière reconnaissant aux cadres les libertés syndicales et protégeant ceux qui les exercent.
  • Début des années quatre-vingt: Au lieu de reconnaître aux cadres le droit à la négociation collective comme à ses autres employés, le gouvernement reconnaît par différents décrets les associations représentatives des cadres de la fonction publique, des établissements scolaires et des établissements de la santé et des services sociaux. Le gouvernement s’engage par ces décrets à consulter les associations de cadres ainsi reconnues avant de modifier leurs conditions de travail. Par la suite, des entreprises d’Etat font de même à l’égard de leurs propres cadres: SAQ, Hydro-Québec, etc.
    1. 1992: Des associations de cadres du secteur parapublic (donc excluant les cadres de la fonction publique) font le bilan du régime alternatif à la négociation collective et concluent à la nécessité:
      • - de remplacer le régime consultatif par un véritable régime de négociation collective;
      • - de couvrir tous les employés-cadres du Québec, y compris les cadres œuvrant dans les entreprises privées et non plus seulement les cadres du secteur parapublic;
      • - pour le gouvernement du Québec, d’adopter une législation spécifique ou, à défaut, d’amender le Code du travail pour mettre fin à l’exclusion des cadres.
    2. Les associations fondent alors la Confédération nationale des cadres du Québec, et en décembre de la même année transmettent au Premier ministre d’alors une requête réclamant de nouveau l’octroi aux cadres des libertés syndicales.
    3. 1993: Le gouvernement expose sa politique: pas question d’octroyer le droit à la négociation collective aux cadres ni même d’en étudier la possibilité.
    4. 21 mars 1994: A la veille des élections législatives québécoises, la confédération demande aux trois partis politiques de se prononcer sur sa requête, soit octroyer à l’ensemble des cadres du Québec les libertés syndicales: le parti au pouvoir réitère la position du gouvernement; pour le Parti québécois: «la demande de la CNCQ lui paraissait plus que raisonnable et un futur gouvernement formé par ce parti s’engageait à traiter la question des libertés syndicales des cadres en priorité»; l’autre parti en lice n’a pas répondu.
  • Juin 1994: La Confédération internationale des cadres (dont fait partie la CNCQ) a saisi formellement la 81e Conférence internationale du Travail de la non-conformité de la législation québécoise du travail avec les conventions nos 87 et 98 s’agissant des cadres.
  • Novembre 1994: La CNCQ rappelle à la nouvelle ministre du Travail les engagements de son parti. La ministre du Travail est aussi informée que la CNCQ et certains de ses affiliés envisagent de déposer deux plaintes auprès de l’OIT: la première portant sur le refus du gouvernement de donner aux cadres accès à la négociation collective; la seconde portant sur des gestes de domination et d’ingérence posés par le Conseil du Trésor en 1993-94.
    1. 1995: La CNCQ rencontre la ministre du Travail et lui soumet un projet de loi visant à amender le Code du travail pour mettre fin à l’exclusion des cadres. La ministre demande au Conseil consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTMO) un avis sur la proposition de la CNCQ.
  • Février 1996: La CNCQ est reçue par le CCTMO.
    1. Eté 1996: Le nouveau ministre du Travail reçoit un avis unanime favorable des représentants syndicaux au CCTMO sur la proposition soumise par la CNCQ.
    2. 1998: Le ministre propose de créer un comité d’étude sur les libertés syndicales des cadres. La CNCQ réagit favorablement mais suggère que le comité fasse appel aux ressources du BIT. Le comité finalement n’est pas créé.
  • Juin 1999: A Genève, le représentant du gouvernement du Canada, lors de la discussion générale de la Commission des normes de l’OIT à laquelle il participe, reconnaît que la législation interne au Canada – comme au Québec – n’est pas conforme. S’exprimant sur la convention no 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective, le représentant canadien admet d’abord que les seuls groupes pour lesquels une exclusion est permise par ladite convention sont les forces armées et de police ainsi que les hauts fonctionnaires. Il reconnaît en conséquence que tous les autres salariés «must have access to statutory machinery providing for collective bargaining». Au Canada, reconnaît-il aussi, il existe plusieurs juridictions qui excluent du droit à la négociation collective des groupes salariés autres que ceux dont l’exclusion est permise par la convention no 98. Même si ces exclus ne se voient pas formellement interdire l’accès à la négociation collective volontaire, «the fact that they were not covered by a statutory regime had been interpreted by the ILO as being non-compliance with convention no 98». Les organisations affiliées renouvellent leurs démarches auprès du nouveau Premier ministre.
    1. 21 juin 1999: La CNCQ expédie une mise en demeure à la ministre de la Justice, préalable à la plainte au BIT (demande renouvelée de respecter les conventions internationales du travail et autres instruments internationaux sur les libertés syndicales).
    2. 2000: La ministre du Travail, après plusieurs demandes de la CNCQ, finit par rencontrer ses représentants.
    3. 2001-02: Le ministre du Travail refuse d’inviter les représentants de la CNCQ à comparaître devant les commissions parlementaires chargées d’étudier les projets de loi visant à amender le Code du travail. Il n’est pas question des libertés syndicales des cadres dans ces projets de loi.
  • Depuis, le dialogue, déjà anémique, s’est tari complètement.
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