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Rapport intérimaire - Rapport No. 198, Novembre 1979

Cas no 763 (Uruguay) - Date de la plainte: 03-JUIL.-73 - Clos

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  • PLAINTE CONCERNANT L'OBSERVATION PAR L'URUGUAY DE LA CONVENTION (no 87) SUR LA LIBERTE SYNDICALE ET LA PROTECTION DU DROIT SYNDICAL, 1948, ET DE LA CONVENTION (no 98) SUR LE DROIT D'ORGANISATION ET DE NEGOCIATION COLLECTIVE, 1949, PRESENTEE PAR PLUSIEURS DELEGUES A LA 61e SESSION (1976) DE LA CONFERENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL AU TITRE DE L'ARTICLE 26 DE LA CONSTITUTION DE L'OIT
    1. 5 Plusieurs organisations syndicales, dont la CMT et la FSM, ont présenté des allégations en violation de la liberté syndicale en Uruguay. En outre, trois délégués à la 61e session (juin 1976) de la Conférence internationale du Travail ont déposé, sur la base de l'article 26 de la Constitution de l'OIT, une plainte selon laquelle le gouvernement de l'Uruguay n'assurerait pas de manière satisfaisante l'exécution de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949. Ces instruments ont été ratifiés par l'Uruguay.
    2. 6 Le comité a examiné l'ensemble de cette affaire à diverses reprises. Il a présenté pour la dernière fois des conclusions intérimaires dans son 195e rapport, approuvé par le Conseil d'administration à sa session de mai-juin 1979 (210e session).
    3. 7 Peu avant et depuis ce dernier examen de l'affaire, le comité a reçu des organisations plaignantes de nouvelles communications: une lettre du 23 mai 1979 émanant de la Fédération syndicale mondiale et une lettre du 14 septembre 1979 émanant de la Convention nationale de travailleurs de l'Uruguay (CNT), envoyée de Zeist aux Pays-Bas. Le gouvernement a fait parvenir de nouvelles informations par des communications du 27 septembre et du 5 novembre 1979.

A. Examens précédents de l'affaire par le comité

A. Examens précédents de l'affaire par le comité
  1. 8. Depuis plusieurs années, le comité a été appelé à examiner de nombreuses plaintes portant sur divers aspects de la situation syndicale dans le pays. Il a souligné le caractère anormal de cette situation pour l'ensemble du mouvement syndical uruguayen depuis le changement de régime intervenu en juin 1973. Les syndicats ne peuvent pas en effet mener les activités qui leur sont propres car leur reconnaissance par les autorités et par les employeurs dépend d'un statut légal qui n'a pas encore été promulgué: ils ont une existence de fait et non de droit.
  2. 9. Le gouvernement s'est référé à plus d'une reprise aux activités subversives auxquelles il avait dû faire face, pour expliquer les mesures exceptionnelles adoptées notamment en matière syndicale. Le comité a rappelé à cet égard qu'il ne fallait pas confondre l'exercice par les syndicats de leurs activités spécifiques, c'est-à-dire la défense et la promotion des intérêts professionnels des travailleurs, avec l'éventuelle poursuite de la part de certains de leurs membres d'autres activités, étrangères au domaine syndical. La responsabilité pénale que pourraient encourir ces personnes du fait de tels actes ne devrait en aucune façon entraîner des mesures équivalant à priver les syndicats eux-mêmes, ou l'ensemble de leurs dirigeants, de leurs possibilités d'action. Le gouvernement a également déclaré que le processus de régularisation dans le domaine syndical devait être analysé dans le cadre plus large de la normalisation politique et institutionnelle du pays. A ce propos, le comité a souligné que si le respect de la liberté syndicale est étroitement lié au respect des libertés publiques en général, il importe, sous cette réserve, de distinguer la reconnaissance de la liberté syndicale des questions concernant l'évolution politique d'un pays: la législation sur les syndicats et la réforme des institutions politiques d'un pays sont deux choses distinctes.
  3. 10. Le comité a examiné l'avant-projet de loi sur les associations professionnelles dont le gouvernement lui avait communiqué le texte. Il a constaté que cet avant-projet contient des aspects positifs mais il a formulé des commentaires au sujet de plusieurs autres dispositions qui ne semblent pas compatibles avec certains principes de la liberté syndicale. Sur recommandation du comité, le Conseil d'administration, lors de sa session de mai-juin 1979, a noté la déclaration du gouvernement dont il ressortait que les commentaires en question seraient pris en considération dans la mise au point du texte définitif qui serait soumis au Conseil d'Etat et que le gouvernement procédait à des consultations sur ce projet avec les organisations de travailleurs et d'employeurs. Le Conseil d'administration a souligné l'importance qui s'attache à ce que la loi en projet soit promulguée très prochainement et que son texte définitif soit en pleine harmonie avec les normes des conventions nos 87 et 98 ratifiées par l'Uruguay. Il a prié le gouvernement d'indiquer la date à laquelle il prévoyait l'adoption et l'application du texte définitif de la loi et de fournir toutes autres informations sur les développements qui devraient intervenir dans ce domaine.
  4. 11. Le comité a d'autre part souligné sa préoccupation, spécialement dans la situation rappelée ci-dessus, à propos de la détention de nombreux syndicalistes (dont les noms, et souvent les fonctions syndicales, avaient été indiqués dans les plaintes). A plusieurs reprises, et notamment en mai 1979, le comité a indiqué en annexe à son rapport les renseignements fournis par le gouvernement sur les syndicalistes en question. A sa session de mai-juin 1979, le Conseil d'administration, sur recommandation du comité:
  5. 1) a noté les derniers renseignements communiqués par le gouvernement, notamment la libération de dix syndicalistes cités par les plaignants;
  6. 2) a noté aussi que tout récemment encore des syndicalistes tels que Rosario Pietraroia et Ruben Acacuso avaient été condamnés à de sévères peines de prison et regretté que le gouvernement n'eût pas fourni de renseignements plus complets - y compris les jugements rendus - sur les faits reprochés aux syndicalistes poursuivis ou condamnés pour des actes que le gouvernement considère comme dépassant le cadre des activités syndicales;
  7. 3) a prié le gouvernement de communiquer des informations détaillées sur le cas de M. Manuel Piñeiro Pena, dirigeant de l'UNTMRA, dont la libération était à l'étude après l'accomplissement de sa peine.

B. Dernières communications reçues

B. Dernières communications reçues
  1. 12. La FSM signale en premier lieu, dans sa lettre du 23 mai 1979, que le nombre des commissions paritaires en activité est très inférieur au nombre annoncé par le gouvernement en mai 1978 et que, actuellement, les autorités créent même des obstacles à leur installation. Le plaignant cite deux cas précis (l'entreprise textile "Aurora" et la "Banco comercial") et ajoute que dans certains cas les travailleurs qui demandent la constitution de telles commissions font l'objet de pressions et de persécutions.
  2. 13. La FSM déclare aussi que les locaux syndicaux, qui sont la propriété des organisations de travailleurs, sont fermés, privant ainsi les syndicats et l'ensemble de leurs dirigeants de leurs possibilités d'action, et que des organismes d'Etat s'y sont installés. La FSM cite les cas du Syndicat unique national de la construction et des activités annexes (SUNCA) dont le local serait devenu une caserne de la garde des grenadiers, de l'Union nationale des travailleurs des métaux et branches connexes (UNTMRA) dont le local serait le siège de la section no 12 de la police, de la Convention nationale de travailleurs (CNT) dont le local serait devenu le centre de la police féminine de Montevideo (son matériel étant utilisé par le département no 6 de la police), de la Fédération de la viande dont le commissaire de la section no 24 de la police de Montevideo aurait exprimé le désir d'obtenir le local, de la Fédération des instituteurs, du Syndicat des professeurs, dont les locaux seraient également devenus des dépendances paramilitaires.
  3. 14. La FSM souligne que toute activité syndicale a été supprimée il y a six ans, que l'expérience des commissions paritaires a été négative et que le gouvernement prétend lier les mesures à prendre en matière syndicale au processus de "reconstruction nationale". Elle insiste sur les destitutions continuelles sur la base de l'acte institutionnel no 7 (ainsi 40 fonctionnaires ont été licenciés en janvier 1979 à l'hôpital de Clínicas). Elle en conclut que cette politique dilatoire, dans l'attente de l'anéantissement de toute tentative de syndicalisme libre, rend illusoire la promesse de la liberté syndicale.
  4. 15. La FSM signale, d'autre part, que l'état de santé de Rosario Pietraroia et de Gerardo Cuesta est délicat. Elle répète que, contrairement aux déclarations du gouvernement, Oscar Tassino Atzú (dirigeant syndical de l'AUTE) a disparu après son arrestation le 19 juillet 1977, et elle cite des témoignages à cet égard. Le plaignant ajoute qu'Alicia Suárez est maintenue illégalement en prison après avoir purgé sa peine et que de nouvelles vagues d'arrestations, suivies de tortures, ont été effectuées en février et mars 1979; parmi les personnes détenues figurent notamment Héctor Giacobone (secrétaire de la Fédération de la viande), du secteur frigorifique, et César Gómez, du secteur bancaire. En conclusion, la FSM répète sa demande de constitution d'une commission d'enquête.
  5. 16. La CNT allègue, dans sa lettre du 14 septembre 1979, que la préfecture de police de Montevideo a notifié le 26 juillet 1979 à l'Association des employés de banque d'Uruguay (AEBU) que sa personnalité juridique était "sans effet", conformément au décret no 622/973 du 1er août 1973. Le plaignant joint une photocopie de cette notification et ajoute que la retenue à la source des cotisations syndicales des membres de l'AEBU a été supprimée. Il cite aussi une résolution du ministère de l'Intérieur (en date du 24 juillet 1978) en vertu de laquelle le président de l'AEBU devait, dans les 30 jours, présenter à la Direction nationale de l'information et des renseignements la liste des membres d'un nouveau comité directeur composé de personnes dépourvues d"'antécédents négatifs", afin que par la suite et sur requête les autorités autorisent la réalisation d'actes culturels et artistiques sous le contrôle de la direction nationale précitée.
  6. 17. La CNT allègue en outre que des pressions sont exercées sur les travailleurs même détenus pour qu'ils se regroupent au sein d'un courant syndical nationaliste. Les autorités auraient filmé les délégués à une réunion dans l'usine textile "Sadil" parce que ces derniers auraient refusé la participation de militaires à cette réunion. Le plaignant fait encore état de ses préoccupations à propos des conditions de détention des dirigeants syndicaux incarcérés (sous-alimentation, absence de soins médicaux et sanitaires adéquats, inexistence de médicaments, mauvais traitements et répression). Il cite en particulier le cas de Rosario Pietraroia qui a perdu un oeil faute d'avoir reçu les soins voulus.
  7. 18. Le gouvernement indique, dans sa lettre du 27 septembre 1979, qu'a pris fin la période au cours de laquelle les autorités ont reçu les suggestions des organisations de travailleurs et d'employeurs consultées sur l'avant-projet de loi relatif aux associations professionnelles. Les commentaires des organismes consultés ont été transmis au groupe d'experts qui avait rédigé le texte de l'avant-projet. Ces derniers procèdent actuellement à l'analyse des observations formulées ainsi que des commentaires des organes de contrôle de l'OIT. Une fois l'étude et l'adoption de l'avant-projet terminées, poursuit le gouvernement, ces experts remettront leur rapport final au pouvoir exécutif. Le gouvernement prendra une décision à cet égard et il a l'intention de soumettre le projet de loi définitif au Conseil d'Etat avant le 15 décembre 1979.
  8. 19. Le gouvernement indique, d'autre part, dans sa communication du 5 novembre 1979, que le pouvoir exécutif a l'intention de suggérer aux autorités législatives d'examiner rapidement l'avant-projet précité, ce qui pourrait, le cas échéant, se faire dans l'exposé des motifs. Le gouvernement fournit en outre des renseignements sur les personnes citées en annexe au 195e rapport; il en ressort en particulier que Manuel Piñeiro Pena et Alicia Dinorah Suarez Turcati ont été libérés. Il signale en outre qu'Héctor Agustín Giacobone Marrero et César Clelio Gómez Mello sont poursuivis devant les tribunaux militaires.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 20. Le comité prend note des informations communiquées par le gouvernement sur l'état des travaux préparatoires à l'adoption d'une loi sur les associations professionnelles. Il relève en particulier que les commentaires formulés par les organes de contrôle de l'OIT sont actuellement à l'examen, que le projet de loi définitif doit être soumis au Conseil d'Etat avant le 15 décembre 1979 et que le gouvernement suggérera à celui-ci de l'examiner rapidement. Le comité tient à répéter qu'après six ans de restrictions importantes aux activités syndicales, il est d'une urgence toute particulière de promulguer et de mettre en oeuvre une législation qui reconnaisse à tous les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, le droit de constituer des organisations professionnelles et à celles-ci de fonctionner et d'agir librement, conformément aux conventions sur la liberté syndicale.
  2. 21. Le gouvernement a d'autre part communiqué, au début de la session du comité, certains renseignements sur la situation des syndicalistes cités en annexe au 195e rapport. Le comité se propose d'examiner ces informations lors de sa prochaine session. Néanmoins, il note déjà la libération de Manuel Piñeiro Pena (voir paragraphe 11) et d'Alicia Dinorah Suarez Turcati (voir paragraphe 15). Il note également qu'Héctor Agustín Giacobone Marrero et César Clelio Gómez Mello (voir paragraphe 15) sont poursuivis devant les tribunaux militaires.
  3. 22. Les plaignants ont d'autre part présenté de nouvelles allégations, dont certaines récemment, auxquelles le gouvernement n'a pas encore répondu. Ces allégations portent spécialement sur les points suivants: a) attitude dilatoire des autorités à l'égard d'un retour à la liberté syndicale (y compris diverses pressions exercées sur les travailleurs, l'expérience négative des commissions paritaires et de nouveaux licenciements sur la base de l'acte institutionnel no 7); b) maintien de l'occupation de locaux syndicaux; c) mesures prises contre l'AEBU; d) conditions de détention et situation d'un certain nombre de syndicalistes arrêtés.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 23. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de noter la déclaration du gouvernement selon laquelle celui-ci se propose de soumettre le projet de loi sur les associations professionnelles au Conseil d'Etat avant le 15 décembre 1979, et de suggérer à celui-ci de l'examiner rapidement;
    • b) d'exprimer le ferme espoir que ce texte de loi, dans sa version définitive, sera en pleine conformité avec les conventions nos 87 et 98 ratifiées par l'Uruguay, d'insister pour qu'il soit adopté dans un très proche avenir et de prier le gouvernement de préciser la date à laquelle il est prévu de le promulguer;
    • c) de demander au gouvernement de communiquer le texte du projet dès qu'il aura été soumis au Conseil d'Etat et de fournir des informations sur tout développement intervenu;
    • d) de demander également à celui-ci de transmettre ses observations et des informations complémentaires sur les nouvelles allégations des plaignants, résumées au paragraphe 22;
    • e) de lui demander d'envoyer les informations demandées aux alinéas b) et d) qui précédent pour le 31 janvier 1980 au plus tard;
    • f) de noter que le comité procédera à un nouvel examen de l'ensemble de cette affaire à sa prochaine session et de prendre note, dans cette attente, de ce rapport intérimaire.
      • Genève, 9 novembre 1979. (Signé) Roberto AGO, Président.
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