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Rapport intérimaire - Rapport No. 194, Juin 1979

Cas no 900 (Espagne) - Date de la plainte: 14-FÉVR.-78 - Clos

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  1. 238. Par une communication en date du 14 février 1978, l'Union générale des travailleurs (UGT) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux en Espagne. L'UGT a envoyé des informations complémentaires le 12 avril 1978. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication du 2 mai 1979. En outre, le Syndicat unitaire a présenté une autre plainte dans une communication du 30 avril 1979, pour laquelle le gouvernement n'a pas encore envoyé d'observation.
  2. 239. L'Espagne a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 240. L'UGT explique dans sa plainte qu'en vertu de la législation promulguée pendant et immédiatement après la guerre civile (1936-1939), elle avait été déclarée illégale et ses biens avaient été confisqués et remis à la Délégation nationale des syndicats de la Phalange espagnole traditionaliste et des Juntes d'offensive nationale syndicaliste.
  2. 241. Le 28 avril 1977, poursuit l'organisation plaignante, l'UGT et d'autres organisations syndicales interdites en 1939 furent légalisées. En outre, la nouvelle loi sur le droit d'association syndicale abrogea la législation antérieure. En conséquence, selon l'UGT, la cause qui était à l'origine de la confiscation des biens ayant disparu, ceux-ci devraient être restitués à leurs légitimes propriétaires on en dépit des demandes répétées adressées en ce sens au gouvernement, celui-ci n'a pas répondu.
  3. 242. L'UGT ajoute que, pendant le régime franquiste, l'Organisation syndicale officielle a accumulé un énorme patrimoine financé par la cotisation syndicale prélevée obligatoirement sur les salaires des travailleurs. Ce patrimoine passa à l'Administration institutionnelle de services socioprofessionnels (AISS), organisme qui se substitua à l'Organisation syndicale officielle. Actuellement, selon l'UGT, un processus de transfert du patrimoine à l'Etat est en cours.
  4. 243. Dans sa communication du 12 avril 1978, l'UGT indique que le ministère du Travail a élaboré, en accord avec le ministère des Finances, un nouveau projet de décret royal sur le transfert des biens de l'AISS. L'organisation plaignante rappelle que l'AISS est un organisme autonome qui dispose des biens ayant appartenu à l'organisation syndicale. Le projet de décret royal supprimerait l'AISS et ses biens seraient incorporés au domaine public ou au patrimoine de l'Etat. L'UGT estime qu'il s'agit d'une tentative de déposséder les organisations syndicales des biens qui devraient leur être restitués, ce qui, selon elle, est contraire à la convention no 87 et aux opinions émises par le Comité de la liberté syndicale dans des cas antérieurs concernant divers pays.
  5. 244. L'UGT remarque que, bien qu'elle ait été déclarée illégale, elle a continué à exister depuis la guerre civile jusqu'à aujourd'hui comme le prouvent les persécutions qu'ont subies ses dirigeants et le fait d'avoir maintenu son affiliation à la Confédération internationale des syndicats libres et d'avoir adhéré à la Confédération européenne des syndicats. De ce fait, selon elle, on ne peut parler de dissolution et l'UGT s'étant succédé à elle-même, les biens qu'elle détenait devraient lui revenir. En annexe à sa communication, l'UGT fournit divers documents, dont le texte de la législation promulguée perdant et après la guerre civile au sujet de la confiscation des biens de centrales syndicales ainsi qu'un inventaire actualisé des biens immobiliers confisqués à l'UGT et qui seraient actuellement confiés à l'AISS.
  6. 245. La plainte du Syndicat unitaire se réfère également au problème de la dévolution des biens de l'organisation syndicale. Le Syndicat unitaire allègue en outre qu'il ferait l'objet d'une discrimination de la part du gouvernement car celui-ci ne lui a pas cédé de locaux pour son usage comme il l'a fait pour d'autres syndicats.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 246. Dans sa communication du 2 mai 1979, le gouvernement remarque que la plainte de l'UGT soulève deux questions entièrement différentes. La première concerne la demande de restitution par l'UGT des biens confisqués en 1936. La seconde a trait à la revendication du patrimoine accumulé par l'Organisation syndicale depuis sa création jusqu'en 1977
  2. 247. Le gouvernement déclare que le patrimoine confisqué à l'UGT et attribué à l'Organisation syndicale constitue une partie infime des biens dont disposait celle-ci en 1977. Pour le gouvernement, s'il s'agissait seulement de demander la restitution des biens confisqués, il ne serait pas nécessaire de les réclamer auprès du gouvernement. Il appartiendrait à l'organisation intéressée d'agir devant les tribunaux judiciaires en présentant un inventaire des biens revendiqués et la preuve de leur propriété et en exposant les motifs qui pourraient entraîner une suspension des délais de prescription prévus pour la recevabilité de telles actions. Les tribunaux judiciaires se prononceraient alors sur cette question malgré la complexité juridique et économique de l'affaire.
  3. 248. Cependant, poursuit le gouvernement, le problème est encore beaucoup plus complexe dans la mesure où la revendication porte non pas seulement sur les biens confisqués mais sur le patrimoine de l'Organisation syndicale. En outre, il n'est que partiellement vrai d'affirmer que ce patrimoine a été financé par la contribution, obligatoire des travailleurs. Enfin, le gouvernement indique que la revendication de ce patrimoine est formulée conjointement par l'UGT et d'autres centrales syndicales légalement reconnues à une date encore récente, parmi lesquelles celle qui est considérée comme la plus représentative après les dernières élections organisées dans les entreprises.
  4. 249. En se référant aux principes énoncés par le Comité de la liberté syndicale, le gouvernement déclare qu'il convient de déterminer si les centrales syndicales actuelles succèdent à l'Organisation syndicale il est douteux, pour le gouvernement, que ces centrales puissent être considérées comme succédant à une organisation non démocratique dans laquelle les travailleurs espagnols étaient obligatoirement incorporés. De plus, elles ne poursuivent évidemment pas les mêmes buts que l'ancienne organisation syndicale.
  5. 250. Le gouvernement remarque en outre que l'Organisation syndicale regroupait à la fois des employeurs et des travailleurs et qu'elle remplissait des fonctions qui, dans les pays démocratiques, relèvent de l'Etat. C'est précisément pour cette raison que le patrimoine de l'Organisation syndicale a été constitué, pour une bonne part, par des donations de l'Etat, de corporations locales et de personnes privées, en plus des contributions syndicales qui étaient versées à la fois par les travailleurs et les employeurs.
  6. 251. Il convient d'inclure dans le patrimoine de l'Organisation syndicale, précise le gouvernement, outre la quantité considérable de bâtiments des sièges centraux, provinciaux et locaux, toute une série de biens, en particulier trois cités résidentielles de vacances, de nombreux hôtels et résidences de repos, des installations sportives, des hôpitaux et cliniques, des garderies d'enfants, des institutions de formation professionnelle, des émetteurs de radio, des revues et des journaux ainsi que des exploitations agricoles. Etant donné la variété de cet inventaire, il est difficile de déterminer actuellement les parts respectives de la contribution syndicale obligatoire qui ont été destinées, d'une part, à la mise en oeuvre des buts poursuivis par les centrales syndicales actuelles et, d'autre part, à la satisfaction des objectifs relevant de l'Etat.
  7. 252. L'origine du patrimoine est multiple et hétérogène. On peut distinguer schématiquement trois catégories différentes:
    • - les biens confisqués aux centrales syndicales existant en 1936, principalement l'UGT et la Confédération nationale du travail (CNT). Ils constitueraient, d'après le gouvernement, une faible part du patrimoine global et il ne serait pas possible d'accepter des revendications sur ces biens de la part d'autres centrales syndicales créées par la suite et légalisées récemment, quelle que soit leur représentativité;
    • - les biens provenant de donations ou de cessions de l'Etat, d'entreprises ou d'organismes publics, d'administrations locales ou de personnes physiques ou morales privées. Ces biens, qui sont très nombreux, ont été affectés la plupart du temps, à des fins concrètes et déterminées, si bien qu'ils présentent un caractère de cession conditionnelle. Leur propriété est difficile à préciser;
    • - les biens acquis grâce aux ressources provenant de la cotisation syndicale versée obligatoirement par les employeurs et les travailleurs (y compris ceux qui ne sont pas actuellement syndiqués).
  8. 253. Toutes ces raisons ont amené le gouvernement espagnol à adopter une série de mesures tout à fait provisoires qui tendent à éviter toute discrimination en matière syndicale et à assurer que, dans la mesure du possible, chaque bien soit assigné aux finalités pour lesquelles il a été acquis. Conformément à ces critères, les biens immobiliers de l'Organisation syndicale sont utilisés actuellement à diverses fins. Trois situations différentes doivent être distinguées:
    • - les biens d'utilisation commune par l'administration et les différentes centrales syndicales légalement reconnues: il s'agit en particulier de salles de réunions. Le gouvernement précise que l'administration n'a fait aucune difficulté pour que les centrales utilisent ces locaux;
    • - les biens utilisés à des fins spécifiquement syndicales. Le gouvernement explique qu'on a récemment procédé à la cession de l'usage de différents locaux et biens à diverses centrales syndicales pour une durée d'un an. Il a en particulier été jugé utile de conserver les fins syndicales auxquelles avaient été affectés ces immeubles, sans qu'il soit préjugé d'exclusions d'aucun type que ce soit. Le système de cession adopté présente un caractère ouvert et a été mis en oeuvre avec les centrales qui sortirent majoritaires des récentes élections. L'administration publique et les centrales syndicales doivent rechercher, dans un délai d'un an, une formule juridique de cession définitive, ce qui n'exclut pas l'utilisation de la voie parlementaire pour l'adoption de décisions définitives en temps opportun;
    • - les biens utilisés par l'administration du travail, au bénéfice de l'ensemble des travailleurs. Cette utilisation présente un caractère provisoire jusqu'à ce que soit résolu, de façon définitive, le problème de l'attribution du patrimoine aux différents organismes et institutions concernés. Certains de ces biens sont affectés à des organismes autonomes dans lesquels les centrales syndicales sont représentées.
  9. 254. En conclusion, le gouvernement réaffirme sa volonté de fournir au comité tous les éclaircissements qui seraient nécessaires dans cette affaire très complexe.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 255. Le comité note que la présente affaire porte sur le problème de la dévolution des biens confisqués à l'UGT et de ceux de l'Organisation syndicale officielle espagnole aujourd'hui dissoute. En examinant ce cas, le comité est pleinement conscient de l'extrême complexité des questions qui y sont soulevées. Cette complexité tient en particulier à deux facteurs; d'une part, la diversité de l'origine des ressources dont disposait l'Organisation syndicale et, d'autre part, la nature des fonctions qui lui étaient assignées.
  2. 256. Pour ce qui est des ressources de l'Organisation syndicale, il convient d'établir une distinction entre les biens qu'elle a reçus immédiatement après la guerre civile à la suite des mesures de confiscation prises notamment à l'encontre de certaines organisations syndicales et les revenus dont elle a disposé par la suite au cours de son existence. En effet, après la fin de la guerre civile, une loi du 23 septembre 1939 disposa que les biens de différents organismes syndicaux déclarés hors la loi en 1937 devenaient la propriété de la Phalange espagnole traditionaliste et des Juntes d'offensive nationale syndicaliste et chargea la délégation nationale de cette dernière de les utiliser pour subvenir aux dépenses de la Délégation nationale des syndicats.
  3. 257. Cependant, les organisations syndicales déclarées hors la loi en 1937 ont été maintenues en existence après la guerre civile par leurs dirigeants à l'étranger, ont continué à participer au mouvement syndical international et ont maintenu leur présence en Espagne en menant certaines activités dans la clandestinité. En 1977, ces organisations ont été à nouveau reconnues officiellement en Espagne et elles y exercent maintenant légalement leurs activités. De ce fait, l'UGT a demandé au gouvernement la restitution des biens dont elle avait été dépossédée en 1939 et a établi à cette fin un inventaire actualisé du patrimoine confisqué selon elle, le gouvernement n'a pas encore donné de réponses à ce sujet. Ce dernier, dans sa communication, indique qu'une telle demande relève de la compétence des tribunaux judiciaires.
  4. 258. Dans les cas concernant la liquidation des fonds et biens syndicaux qu'il a eu à connaître, le comité s'est inspiré du critère selon lequel, en cas de dissolution d'une organisation, ses biens devraient être répartis en définitive entre les membres de l'organisation dissoute ou transférés à l'organisation qui lui succède. Le comité a également précisé qu'il fallait entendre par cette expression l'organisation ou les organisations qui poursuivent les buts pour lesquels les syndicats dissous se sont constitués et les poursuivent dans le même esprit.
  5. 259. Le comité reconnaît qu'il existe des difficultés particulières dans le présent cas, notamment en raison de la longue période de temps qui s'est écoulée depuis que l'UGT a été proscrite. En revanche, le problème de la succession ne se pose pas puisque l'UGT existe toujours. Le comité espère que des négociations entre le gouvernement et l'organisation concernée permettront d'aboutir rapidement à un accord acceptable pour les intéressés et conforme aux principes de la liberté syndicale.
  6. 260. Les biens confisqués ne constitueraient toutefois, selon le gouvernement, qu'une faible partie du patrimoine de l'Organisation syndicale instituée après la guerre civile. La question de la dévolution des autres biens acquis par l'organisation syndicale semble soulever des problèmes encore plus complexes. En effet, celle-ci a disposé tout au long de son existence d'importantes ressources provenant de donations ou de cessions de l'Etat ou d'organismes publics ou privés ainsi que de contributions obligatoires versées par les travailleurs et par les employeurs. Ces ressources ont été affectées à différentes fonctions, dont certaines, en particulier dans des domaines tels que la santé, le placement et la formation professionnelle, relèvent normalement de la compétence de l'Etat ou d'organismes publics et non d'organisations syndicales.
  7. 261. Le comité note à cet égard que le gouvernement a procédé à une affectation provisoire de certains biens de l'Organisation syndicale. Il note en particulier avec intérêt que le gouvernement a été guidé dans cette décision par le principe de l'assignation des biens aux finalités pour lesquelles ceux-ci avaient été acquis et que, dans ce cadre, l'usage de certains locaux a été réservé aux organisations syndicales représentatives. Le comité note en outre que l'administration publique et les centrales syndicales doivent rechercher dans un délai d'un an une formule juridique de cession définitive des biens dont elles disposent actuellement, ce qui n'exclut pas l'utilisation de la voie parlementaire pour l'adoption de décisions définitives A temps opportun. Le comité ne peut qu'encourager le recours à la consultation des organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs dans la recherche d'une solution définitive aux problèmes posés. Le comité note enfin la déclaration du gouvernement selon laquelle une partie du patrimoine a été provisoirement attribuée à l'administration du travail au bénéfice de l'ensemble des travailleurs en attendant une solution définitive sur la propriété et l'affectation de ces biens.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 262. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) au sujet du problème de la dévolution des biens confisqués à l'UGT et attribués à l"'Organisation syndicale" officielle créée en 1940, d'exprimer l'espoir que des négociations entre le gouvernement et l'organisation concernée permettront d'aboutir rapidement à un accord acceptable pour les intéressés et conforme aux principes de la liberté syndicale;
    • b) au sujet du problème de la dévolution des autres biens de l"'Organisation syndicale" instituée après la guerre civile,
    • i) de noter les informations fournies par le gouvernement sur l'origine et l'affectation des ressources de l "'Organisation syndicale" pendant son existence;
    • ii) de noter avec intérêt que l'usage de certains locaux a été réservé aux organisations syndicales représentatives;
    • iii) de noter également que l'administration publique et les centrales syndicales doivent rechercher, dans un délai d'un an, une formule juridique de cession définitive de ces biens, ce qui n'exclut pas l'utilisation de la voie parlementaire pour l'adoption de décisions définitives en temps opportun;
    • c) de prier le gouvernement de continuer à fournir des informations sur l'évolution de la situation et, en particulier, sur tout accord qui interviendrait entre les intéressés;
    • d) de prendre note du présent rapport intérimaire.
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