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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 211, Novembre 1981

Cas no 1046 (Chili) - Date de la plainte: 11-MAI -81 - Clos

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  1. 305. Par une communication en date du 11 mai 1981, la Coordinadora nacional sindical (CNS) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux au Chili. La Confédération internationale des syndicats libres a déclaré dans une lettre du 17 juin 1981, à laquelle elle a joint en annexe, le texte de la plainte de la CNS, donner son plein appui aux allégations formulées. Pour sa part, le gouvernement a fourni ses observations dans une communication du 24 septembre 1981.
  2. 306. Le Chili n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 307. La CNS allègue en premier lieu que le gouvernement a interdit à neuf organisations syndicales dotées de la personnalité juridique de réaliser une assemblée de travailleurs le 1er mai, alors que ces organisations avaient satisfait à toutes les obligations prévues par la législation du travail. Ainsi, elles avaient sollicité l'autorisation du commissaire de police compétent. Cependant, dès le 23 avril, les autorités policières avaient averti l'administrateur du local où devait se réunir l'assemblée que tout type de réunion ou de manifestation était interdit et qu'en conséquence il devait s'abstenir de céder l'usage du local. Le ministre de l'intérieur avait en outre déclaré publiquement qu'il réprimerait toute réunion célébrée à l'occasion du 1er mai en marge de celle convoquée par le gouvernement lui-même.
  2. 308. Cette déclaration devait, selon la CNS, se concrétiser puisque les forces policières et les agents de la Centrale nationale de renseignements réprimèrent violemment les travailleurs qui s'étaient regroupés aux portes de la salle où devait se tenir l'assemblée. Les dirigeants de la CNS demandèrent alors aux travailleurs de se retirer pacifiquement.
  3. 309. Pourtant, selon l'organisation plaignante, 141 personnes furent arrêtées le 1er mai dans l'agglomération de Santiago. Dans d'autres régions du pays également (Valparaiso, Concepción, Iquique), les assemblées convoquées par les syndicats furent interdites et 84 personnes arrêtées. Au moment de l'envoi de la plainte, 15 personnes dont les noms sont mentionnés dans la communication étaient encore détenues par la Centrale nationale de renseignements.
  4. 310. Le 6 mai 1981, poursuit la CNS, le ministère de l'Intérieur décida l'assignation à résidence de 12 travailleurs et étudiants qui étaient détenus depuis le 1er mai, dans divers endroits isolés de l'extrême sud du pays. Ces personnes doivent résider dans ces lieux pendant trois mois.
  5. 311. En outre, le président de la Fédération nationale textile, Fernando Bobadilla, a été arrêté le 1er mai par des agents de la Centrale nationale de renseignements alors qu'il revenait du siège de l'Association nationale des employés du secteur public. Il fut, selon l'organisation plaignante, soumis à des tortures psychologiques en vue d'obtenir des informations au sujet de la Coordinadora nacional sindical. L'intéressé a présenté par la suite un "recours de protection" à la Cour d'appel de Santiago dans lequel il décrit en détail l'interrogatoire qu'il a subi.
  6. 312. La plainte se réfère ensuite aux agressions que la police en uniforme aurait portées aux travailleurs des mines de la zone d'El Teniente à Rancagua. Elle mentionne en particulier des incidents qui se sont produits les 6, 7, 8 et 9 mai lors de manifestations pacifiques. Au cours d'une de ces manifestations, 27 personnes furent arrêtées dont 12 travailleurs de la mine et 15 femmes et adolescents. Deux travailleurs eurent les bras cassés des suites de mauvais traitements. En outre, le 11 mai, alors que les épouses de mineurs protestaient contre ces arrestations en tapant sur des marmites vides, la police a pénétré avec violence dans les immeubles en lançant des grenades lacrymogènes et a procédé à l'arrestation de quelques mères de famille qui furent, par la suite, laissées en liberté.
  7. 313. Enfin, la CNS mentionne la situation de 1.000 paysans indiens mapuches organisés dans une coopérative de Lumaco, dont le gouvernement a pris le contrôle. Les paysans se trouveraient en danger de perdre leurs terres en raison de la mauvaise administration des fonctionnaires du gouvernement. Leurs dirigeants ont été incarcérés après qu'ils eurent dénoncé les abus commis contre la population indigène. La CNS ajoute que ces paysans sont en outre organisés au sein d'un syndicat de la coopérative.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 314. Pour ce qui est de la célébration du 1er mai, le gouvernement nie qu'il y ait eu une interdiction générale des réunions. Il précise que toutes les organisations ont pu se réunir librement dans leurs locaux pour examiner leurs problèmes, et ceci s'est réalisé sur tout le territoire national. La réunion qui fait l'objet de la plainte était une réunion publique dans un théâtre, en dehors d'un siège syndical, et sans autorisation préalable de la police. Le gouvernement rappelle que, le pays se trouvant en état d'urgence, une telle autorisation doit être obtenue avant de réaliser une réunion publique.
  2. 315. Le gouvernement ajoute que les détentions n'ont pas été opérées massivement et que, si certaines personnes ont été arrêtées, il s'est agi de mesures destinées à éviter une atteinte à l'ordre public mais, en aucune manière, en raison de célébrations à caractère syndical effectuées dans les sièges des organisations. De la liste fournie par les plaignants, le gouvernement a pu retrouver des informations sur sept personnes qui se trouvent détenues dans une prison publique. Elles sont poursuivies pour infraction à la loi sur la sécurité de l'Etat et au décret no 77 "portant dissolution des partis politiques et interdisant les activités en faveur de doctrines comportant un concept de l'homme et de la société qui portent atteinte à la dignité de l'être humain et aux valeurs de liberté et du christianisme qui font partie de la tradition nationale". Ces personnes étaient membres d'une cellule de propagande de ces partis politiques. Le procès intenté à leur encontre est actuellement en première instance et on attend le rapport du ministère public. Une fois le jugement prononcé, les inculpés pourront faire appel en cas de condamnation. Il apparaît donc clairement, selon le gouvernement, que le motif de la détention n'a pas été la célébration du 1er mai ni des faits liés à la liberté syndicale. Ils ne sont pas non plus détenus, comme l'affirmaient faussement les plaignants, dans des lieux secrets.
  3. 316. Quart aux mesures d'assignation à résidence, le gouvernement rappelle qu'il s'agit là d'un droit dont dispose le Président de la République en vertu de la Constitution approuvée par référendum le 11 septembre 1980. Ce droit présidentiel de caractère transitoire est utilisé quand se produisent des actes de violence qui portent atteinte à l'ordre public ou qu'il existe un danger de perturbation de la paix interne. Il a été appliqué dans un nombre restreint de cas et à l'encontre d'agitateurs récidivistes. Les intéressés peuvent en outre présenter un recours de "réexamen" devant l'autorité. Le gouvernement réaffirme, que cette mesure exceptionnelle n'a jamais été utilisée pour réprimer l'exercice des droits syndicaux.
  4. 317. Au sujet de l'arrestation de M. Fernando Bobadilla, le gouvernement remarque qu'aux termes de l'article 21 de la Constitution toute personne détenue en infraction à la législation ou menacée de façon illégale dans son droit à la liberté personnelle et à la sécurité individuelle peut recourir devant les tribunaux judiciaires pour demander l'adoption de mesures en vue de rétablir, l'application du droit et assurer sa protection. C'est ce qui est arrivé dans le cas d'espèce où M. Bobadilla a présenté un recours de protection préventif devant la Cour d'appel de Santiago. L'intéressé se trouve en liberté, conclut le gouvernement sur ce point.
  5. 318. Les actions policières menées dans le cadre de la grève d'El Teniente étaient destinées à maintenir l'ordre et la tranquillité publics auxquels prétendaient porter atteinte des activistes politiques étrangers à la mine. Aucun travailleur ni dirigeant syndical de la mine n'a été détenu pour sa participation à la grève légale.
  6. 319. Les allégations concernant les paysans indiens de la coopérative de Lumaco ont trait, selon le gouvernement, à la gestion financière d'une entreprise agricole régie par la loi générale des coopératives. Le gouvernement ajoute que le Comité de la liberté syndicale n'a pas compétence pour se prononcer sur la gestion économique d'une entreprise et qu'aucune infraction n'a été commise à la législation du travail. Il s'agit donc d'une affaire qui n'a, selon le gouvernement, aucune relation avec la liberté syndicale.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 320. La plainte de la CNS concerne essentiellement des événements qui se sont déroulés à l'occasion de la célébration du 1er mai 1981. D'autres allégations ont trait à des incidents survenus lors d'une grève aux mines de cuivre de la zone de cuivre d'El Teniente et dans une coopérative agricole de paysans indigènes.
  2. 321. Le comité observe qu'il est saisi depuis cinq années consécutives d'allégations concernant des entraves apportées à la célébration du 1er mai au Chili. Il doit souligner à cet égard, comme il l'a fait à plusieurs reprises dans le cadre du cas no 823 relatif au Chili, que la tenue de réunions publiques et la présentation de revendications d'ordre social et économique sont des manifestations traditionnelles de l'action syndicale à l'occasion du 1er mai. Les syndicats devraient avoir le droit d'organiser librement les réunions qu'ils désirent pour célébrer la fête du travail pourvu que l'ordre public soit respecté. Dans le cas d'espèce, une autorisation de tenir la réunion avait été demandée et les syndicats organisateurs avaient prévu de se réunir dans un local fermé. Il ne semble donc pas que des troubles particuliers de l'ordre public étaient à craindre.
  3. 322. En outre, les incidents survenus le 1er mai ont abouti à des mesures d'arrestation et d'assignation à résidence. Il ressert notamment de la réponse du gouvernement que sept personnes qui avaient été arrêtées selon les plaignants le 1er mai sont à l'heure actuelle encore détenues et poursuivies devant les tribunaux. D'autres personnes ont été assignées à résidence dans des lieux éloignés, décision prise en dehors de toute procédure judiciaire. A cet égard, le comité tient à rappeler l'importance qu'il attache au droit pour toute personne inculpée de bénéficier des garanties d'une procédure judiciaire. Dans ces conditions, le comité doit souligner, comme il a déjà eu l'occasion de l'affirmer dans des affaires relatives au Chili, que les personnes arrêtées lors d'une manifestation organisée par un syndicat - ce qui semble être le cas de celle ayant fait l'objet des allégations - devraient être soit relâchées soit, dans le cas où elles sont accusées de délit, jugées dans les délais normaux par des tribunaux impartiaux et indépendants. Le comité souhaiterait être tenu informé des résultats des actions judiciaires intentées contre les sept personnes en cause.
  4. 323. Pour ce qui est de l'arrestation de M. Fernando Bobadilla, dirigeant syndical très connu au Chili, le comité doit rappeler que l'arrestation d'un syndicaliste contre lequel aucun chef d'inculpation n'est retenu entraîne des restrictions à la liberté syndicale. Les gouvernements devraient prendre des dispositions afin que des instructions appropriées soient données pour prévenir le risque que comportent, pour les activités syndicales, de telles arrestations. Il est certain par ailleurs que des mesures de ce type peuvent entraîner un climat d'intimidation et de crainte empêchant le déroulement normal des activités syndicales.
  5. 324. Au sujet des allégations concernant les interventions policières lors de la grève d'El Teniente, le comité, tout en notant que, selon le gouvernement, les mesures d'arrestation ont été prises à l'encontre d'agitateurs extérieurs à la mine, constate que, selon des informations détaillées fournies dans les plaintes, la police serait intervenue fréquemment au cours du conflit et aurait procédé à l'arrestation de mineurs et de femmes de grévistes. Le comité tient à souligner à cet égard que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique dans des cas de mouvement de grève que dans des situations présentant un caractère de gravité et où l'ordre public serait sérieusement menacé.
  6. 325. Enfin, le comité note, à propos des allégations concernant la coopérative de Lumaco, que, selon le gouvernement, cette affaire n'a rien à voir avec la liberté syndicale. Le comité relève cependant que les dirigeants des paysans indigènes qui, selon les plaignants, ont été arrêtés - ce que le gouvernement n'a pas démenti - étaient intervenus pour défendre les intérêts économiques des paysans au ministère de l'Economie et des Finances et qu'ils étaient organisés au sein d'un syndicat. Ils avaient donc exercé avant leur arrestation une fonction de représentation des travailleurs. Le comité exprime l'espoir qu'une solution pourra être trouvée rapidement dans cette affaire et qu'aucune sanction définitive ne sera prise à l'encontre des dirigeants paysans pour des motifs liés aux fonctions de représentation qu'ils ont exercées.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 326. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver les conclusions suivantes:
    • Le comité rappelle que les syndicats devraient avoir le droit d'organiser librement les réunions qu'ils désirent pour célébrer le 1er mai, pourvu que l'ordre public soit respecté.
    • Notant que des personnes arrêtées le 1er mai sont encore détenues et que d'autres ont été assignées à résidence dans des lieux éloignés, le comité tient à rappeler l'importance qu'il attache au droit pour toute personne inculpée de bénéficier des garanties d'une procédure judiciaire. Il souligne également que les personnes arrêtées lors d'une manifestation organisée par un syndicat devraient être soit relâchées soit, dans le cas où elles sont accusées de délit, jugées dans les délais normaux par des tribunaux impartiaux et indépendants. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé des résultats des actions judiciaires intentées à l'encontre des sept personnes mentionnées dans sa communication.
    • Au sujet de l'arrestation de M. Bobadilla, le comité signale que l'arrestation de syndicalistes contre lesquels aucun chef d'inculpation n'est retenu entraîne des restrictions à la liberté syndicale. De telles mesures peuvent provoquer en outre un climat d'intimidation et de crainte empêchant le déroulement normal des activités syndicales.
    • Pour ce qui est des interventions policières lors de la grève d'El Teniente, le comité estime que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique dans les cas de mouvement de grève que dans des situations présentant un caractère de gravité et où l'ordre public serait sérieusement menacé.
    • Enfin, le comité exprime l'espoir qu'une solution pourra être rapidement trouvée dans le cas de la coopérative de Lumaco et qu'aucune sanction définitive ne sera prise à l'encontre des dirigeants paysans pour des motifs liés aux fonctions de représentation qu'ils ont exercées.
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