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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 347, Juin 2007

Cas no 2537 (Türkiye) - Date de la plainte: 28-MARS -06 - Clos

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  1. 4. Dans des communications datées du 28 mars et du 12 mai 2006, Yapi-Yol Sen, une organisation d’agents de la fonction publique, a présenté au Bureau international du Travail une réclamation au titre de l’article 24 de la Constitution de l’OIT alléguant l’inexécution par le gouvernement de la Turquie de la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
  2. 5. A sa session de novembre 2006, le Conseil d’administration a déclaré cette réclamation recevable et a décidé de la renvoyer au Comité de la liberté syndicale pour examen (cas no 2537) [voir document GB.297/20/3].
  3. 6. Le gouvernement a envoyé ses commentaires sur ce cas dans une communication datée du 26 septembre 2006.
  4. 7. La Turquie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 8. Dans des communications datées du 28 mars et du 12 mai 2006, Yapi-Yol Sen allègue que le gouvernement de la Turquie a violé la convention no 87 en modifiant unilatéralement le système des branches d’activité dans lesquelles les syndicats des agents de la fonction publique peuvent être créés, de sorte que l’organisation plaignante a perdu automatiquement des membres et s’est trouvée confrontée à des difficultés financières.
  2. 9. L’organisation plaignante explique qu’elle est une organisation d’agents de la fonction publique régie par la loi no 4688 sur les syndicats de fonctionnaires. Dans le cadre de cette loi et du règlement relatif à la détermination des branches d’activité des organisations et organismes, la classification des branches d’activité dans lesquelles les syndicats d’agents de la fonction publique peuvent être organisés ne repose pas sur des critères objectifs. Par ailleurs, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale peut modifier unilatéralement la branche d’activité même si les activités exercées sur le lieu de travail n’ont pas changé. Par conséquent, aussi bien la loi no 4688 que le règlement sont contraires au droit des agents de la fonction publique de constituer les organisations de leur choix, conformément à l’article 2 de la convention no 87.
  3. 10. Avec la «loi sur la suppression de la Direction générale des services ruraux et les amendements apportés à certains codes» promulguée le 13 janvier 2005, la loi no 3202 du 9 mai 1985 sur l’organisation et les fonctions de la Direction générale des services ruraux a été remplacée par la loi sur les services destinés aux villages. En vertu de cette loi, la Direction générale des services ruraux a été supprimée et son personnel a été muté dans les directions des services destinés aux villages, qui ont été créés par les autorités locales essentiellement pour exercer les fonctions que les services ruraux exerçaient auparavant. Autrement dit, la seule différence est que l’institution qui les emploie a changé, leurs fonctions et obligations restant les mêmes.
  4. 11. Après leur mutation, les membres de l’organisation plaignante n’ont pas quitté le syndicat et ne se sont pas affiliés à d’autres syndicats. Cela n’a pas empêché le ministère du Travail et de la Sécurité sociale de modifier la branche d’activité dont relève le lieu de travail. Depuis cette décision du ministère, l’affiliation des membres a été considérée comme invalide, leurs cotisations ne sont plus prélevées et le système de prélèvement des cotisations est lui aussi considéré comme invalide. Par conséquent, le syndicat se trouve dans une situation financière difficile. L’organisation plaignante allègue que, ce faisant, le ministère s’est ingéré dans l’exercice de la liberté syndicale, en violation des articles 2 et 3 de la convention no 87 ratifiée par la Turquie, qui a force de loi dans le pays en vertu de l’article 90 de la Constitution.
  5. B. Réponse du gouvernement
  6. 12. Dans une communication datée du 26 septembre 2006, le gouvernement indique que l’article 4 de la loi no 4688 sur les syndicats de fonctionnaires dispose que les syndicats des agents de la fonction publique peuvent être créés sur la base des branches d’activité. L’article 5 énumère et indique les branches d’activité dans lesquelles les syndicats d’agents de la fonction publique doivent être créés. Dans ce même article, il est prévu que ce sont le ministère des Finances, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale et le Département du personnel de l’Etat qui déterminent ces branches, par le biais d’un règlement.
  7. 13. En vertu de l’article 16 de cette même loi, l’affiliation syndicale de ceux qui ont perdu leur statut d’agent de la fonction publique par démission ou licenciement, etc., et de ceux qui ont été mutés à un poste d’une autre branche d’activité est considérée comme ayant pris fin. Leurs fonctions au sein des organes syndicaux prennent elles aussi fin. Inutile d’ajouter que les agents de la fonction publique dont l’affiliation syndicale a pris fin dans une branche d’activité donnée en raison de leur mutation à une autre branche d’activité ont le droit de constituer un nouveau syndicat ou de s’affilier à tout syndicat d’agents de la fonction publique déjà créé dans cette dernière branche d’activité. L’article 14 stipule que les agents de la fonction publique ne peuvent s’affilier qu’aux syndicats créés dans la branche dans laquelle ils sont employés. Conformément à la loi no 4688, les cotisations syndicales sont prélevées à la source sur les salaires des membres des syndicats créés dans la branche dans laquelle opère l’institution publique concernée.
  8. 14. Lorsque la Direction générale des services ruraux a été supprimée et que son personnel a été muté dans les municipalités des provinces d’Istanbul et de Kocaeli et dans les administrations provinciales d’autres provinces, le nom de la Direction générale des services ruraux a été supprimé de la liste annexée au règlement mentionné ci-dessus en vertu d’un nouveau règlement daté du 2 août 2005 (Journal officiel no 25894). Cette direction a été incluse dans la branche d’activité dénommée «travaux publics, construction et services ruraux» avant d’être supprimée de la liste. Les membres de son personnel peuvent désormais s’affilier aux syndicats d’agents de la fonction publique créés dans la branche d’activité dont relèvent les gouvernements locaux qui les emploient.
  9. 15. Pour finir, le gouvernement note que les syndicats devraient respecter la loi du pays conformément à l’article 8 de la convention no 87 et que Yapi-Yol Sen a déposé plainte auprès de la deuxième chambre du Conseil d’Etat (cas no 2005/3145) contre le ministère du Travail et de la Sécurité sociale, et que l’affaire est en cours.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 16. Le comité observe que ce cas concerne des allégations selon lesquelles, à la suite d’une réorganisation administrative, l’organisation plaignante a perdu automatiquement les membres qui devaient être mutés dans une autre branche d’activité, même si leurs fonctions sont restées les mêmes, et a rencontré des difficultés financières du fait de la suppression automatique des cotisations syndicales et de la possibilité de retenir les cotisations à la source.
  2. 17. Le comité note que l’organisation plaignante et le gouvernement sont d’accord sur les faits se rapportant à ce cas. La suppression de la Direction générale des services ruraux et la mutation de son personnel dans les gouvernements locaux (plus précisément les municipalités des provinces d’Istanbul et de Kocaeli et les administrations provinciales d’autres provinces) ont entraîné la suppression automatique de l’affiliation à Yapi-Yol Sen des salariés ainsi mutés, même s’ils ont continué à exercer les mêmes fonctions dans le cadre d’une nouvelle autorité administrative (selon le gouvernement, ils ont été mutés de la branche d’activité dénommée «travaux publics, construction et services ruraux» vers la branche dont relèvent les gouvernements locaux). Les cotisations syndicales ne sont donc plus prélevées et le système de prélèvement de ces cotisations est considéré comme invalide, ce qui met le syndicat dans une situation financière difficile.
  3. 18. Le comité note que la situation décrite ci-dessus est le résultat des dispositions de la loi no 4688 sur les syndicats de fonctionnaires et en particulier: i) de l’article 4 qui prévoit que la création des syndicats des agents de la fonction publique ne peut se faire que sur la base des branches d’activité; de l’article 14 qui prévoit que les agents de la fonction publique ne peuvent s’affilier qu’aux syndicats des branches dans lesquelles ils sont employés; ii) de l’article 5 qui énumère les branches d’activité et précise que ce sont les ministères des Finances, du Travail et de la Sécurité sociale, et le Département du personnel de l’Etat qui déterminent ces branches sur la base de la réglementation en vigueur (règlement relatif à la détermination de la branche d’activité des organisations et organismes); et iii) de l’article 16 qui prévoit que l’affiliation et les fonctions syndicales des agents de la fonction publique mutés à un poste d’une autre branche sont considérées comme révoquées.
  4. 19. Le comité rappelle que les fonctionnaires doivent bénéficier, comme tous les travailleurs, sans distinction d’aucune sorte, du droit de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier, sans autorisation préalable, afin de promouvoir et de défendre leurs intérêts. Quant aux restrictions limitant l’affiliation de tous les agents de la fonction publique à un syndicat réservé à cette seule catégorie de travailleurs, on peut admettre que les organisations de base des agents de la fonction publique puissent être limitées à cette catégorie de travailleurs, à condition, toutefois, qu’il ne soit pas prévu simultanément que ces organisations doivent se limiter aux agents d’un ministère, département ou service particulier et que les organisations de base d’agents de la fonction publique puissent s’affilier librement aux fédérations et confédérations de leur choix. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 219 et 337.]
  5. 20. Le comité observe donc que le fait de prévoir que les organisations de base doivent se limiter aux agents de la fonction publique d’un département administratif donné, comme les autorités locales dans ce cas, permet au gouvernement de s’ingérer dans les activités d’un syndicat et de remettre en question son existence même et sa viabilité financière par une simple modification du département administratif dans lequel opèrent les agents de la fonction publique, entraînant ainsi la suppression automatique de l’affiliation des membres du syndicat et de la possibilité de retenir les cotisations à la source. Le comité note également avec préoccupation que, selon le gouvernement, la législation (art. 16 de la loi no 4688) aurait également pour effet que les fonctions des dirigeants syndicaux prendraient fin en cas de modification de la classification des branches d’activité. Le comité considère que de tels actes constituent non seulement une violation du droit des agents de la fonction publique de s’affilier à une organisation de leur choix, mais aussi une ingérence grave dans les activités syndicales, y compris le droit des syndicats d’élire leurs propres représentants et d’organiser leur gestion, en violation des articles 2 et 3 de la convention no 87.
  6. 21. Le comité observe également avec regret qu’il s’agit du deuxième cas concernant la Turquie dans lequel le ministère du Travail et de la Sécurité sociale modifie la classification des branches d’activité sur la base de critères contestables – qui s’appuient non pas sur la nature de l’activité exercée mais sur l’autorité dont relève le travail effectué –, ce qui a des conséquences très sérieuses pour les syndicats concernés (perte de membres et de droits de représentation). [Voir cas no 2126, 327e rapport, paragr. 805-847.] Le comité rappelle les conclusions et recommandations qu’il a formulées dans ce cas et regrette profondément cette ingérence unilatérale récurrente dans l’affiliation et les activités syndicales, en particulier par une détermination étroite des catégories de travailleurs qui peuvent se rassembler dans un même syndicat, ce qui pourrait entraîner une fragmentation excessive.
  7. 22. Le comité souligne que le droit des travailleurs, y compris des agents de la fonction publique, de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier est l’un des fondements de la liberté syndicale. Il rappelle également que la suppression de la possibilité de retenir les cotisations à la source, qui pourrait déboucher sur des difficultés financières pour les organisations syndicales, n’est pas propice à l’instauration de relations professionnelles harmonieuses et devrait donc être évitée. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 475.] Il souligne enfin que, compte tenu que les organisations de travailleurs ont le droit d’élire librement leurs représentants, le licenciement d’un dirigeant syndical ou le simple fait qu’il abandonne le travail qu’il avait dans une entreprise déterminée ne devrait pas avoir d’incidence en ce qui concerne sa situation et ses fonctions syndicales, sauf si les statuts du syndicat concerné en disposent autrement. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 411.]
  8. 23. Par conséquent, le comité demande au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que l’affiliation à Yapi-Yol Sen soit immédiatement rétablie et que la possibilité de retenir les cotisations à la source soit restaurée, et compte sur le tribunal, à la suite du recours interjeté par l’organisation plaignante dans le présent cas, pour tenir compte des principes de la liberté syndicale consacrés par la convention no 87 lorsqu’il rendra sa décision. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard et de lui communiquer toutes décisions du tribunal dès qu’elles auront été rendues.
  9. 24. Le comité demande également au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires dès que possible pour mettre sa législation en conformité avec la convention no 87, ratifiée par la Turquie, et en particulier: i) de modifier l’article 5 de la loi no 4688 sur les syndicats de fonctionnaires ainsi que le règlement relatif à la détermination des branches d’activité des organisations et organismes, qui détermine les branches d’activité dans lesquelles les syndicats des agents de la fonction publique peuvent être créés, afin que ces branches ne se limitent pas aux agents d’un ministère, département ou service particulier, y compris les gouvernements locaux; ii) de modifier le règlement du 2 août 2005 (qui modifie le règlement relatif à la détermination des branches d’activité des organisations et organismes) de manière à maintenir les membres de Yapi-Yol Sen concernés par cette plainte dans la branche d’activité dénommée «travaux publics, construction et services ruraux» en conformité avec la nature de leurs fonctions et leur volonté de rester affiliés à Yapi-Yol Sen; iii) de modifier l’article 16 de la loi no 4688 sur les syndicats de fonctionnaires de manière à ce que la mutation d’un dirigeant syndical dans une autre branche d’activité, son licenciement ou le simple fait qu’il abandonne son travail n’aient pas pour effet de mettre fin à ses fonctions syndicales. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à l’égard de tout ce qui précède.
  10. 25. Le comité rappelle que, en relation avec les questions traitées dans le présent cas, le gouvernement peut faire appel, s’il le souhaite, à l’assistance technique du Bureau.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 26. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires dès que possible pour mettre sa législation en conformité avec la convention no 87, ratifiée par la Turquie, et en particulier:
    • i) de modifier l’article 5 de la loi no 4688 sur les syndicats de fonctionnaires ainsi que le règlement relatif à la détermination des branches d’activité des organisations et organismes, qui détermine les branches d’activité dans lesquelles les syndicats des agents de la fonction publique peuvent être créés, afin que ces branches ne se limitent pas aux agents d’un ministère, département ou service particulier, y compris les gouvernements locaux;
    • ii) de modifier le règlement du 2 août 2005 (qui modifie le règlement relatif à la détermination des branches d’activité des organisations et organismes) de manière à maintenir les membres de Yapi-Yol Sen concernés par cette plainte dans la branche d’activité dénommée «travaux publics, construction et services ruraux» en conformité avec la nature de leurs fonctions et leur volonté de rester affiliés à Yapi-Yol Sen;
    • iii) de modifier l’article 16 de la loi no 4688 sur les syndicats de fonctionnaires de manière à ce que la mutation d’un dirigeant syndical dans une autre branche d’activité, son licenciement ou le simple fait qu’il abandonne son travail n’aient pas pour effet de mettre fin à ses fonctions syndicales.
      • Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à l’égard de tout ce qui précède.
    • b) Le comité demande au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que l’affiliation à Yapi-Yol Sen soit immédiatement rétablie et que la possibilité de retenir les cotisations à la source soit restaurée, et compte sur le tribunal, à la suite du recours interjeté par l’organisation plaignante dans le présent cas, pour tenir compte des principes de la liberté syndicale consacrés par la convention no 87 lorsqu’il rendra sa décision. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard et de lui communiquer toutes décisions du tribunal dès qu’elles auront été rendues.
    • c) Le comité rappelle que, en relation avec les questions traitées dans le présent cas, le gouvernement peut faire appel, s’il le souhaite, à l’assistance technique du Bureau.
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