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Rapport définitif - Rapport No. 392, Octobre 2020

Cas no 3348 (Canada) - Date de la plainte: 15-FÉVR.-19 - Clos

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Allégations: L’organisation plaignante allègue qu’en promulguant le projet de loi C-89, loi prévoyant la reprise et le maintien des services postaux, le gouvernement du Canada a interrompu la négociation collective entre le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et la Société canadienne des postes, et a soumis le différend à un processus de médiation obligatoire, suivi d’un arbitrage obligatoire et contraignant, portant ainsi atteinte aux droits fondamentaux d’organisation, de négociation collective et de liberté syndicale des travailleurs

  1. 309. La plainte figure dans deux communications en date du 7 février 2019 et une communication en date du 25 mars 2019, transmises par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP). Le Congrès du travail du Canada (CTC) a appuyé la plainte dans une communication en date du 15 février 2019.
  2. 310. Le gouvernement du Canada a fait part de ses observations concernant les allégations dans des communications en date du 19 juillet 2019, du 14 janvier 2020 et du 11 septembre 2020.
  3. 311. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 312. Dans sa première communication en date du 7 février 2019, l’organisation plaignante allègue que le gouvernement du Canada a violé les conventions nos 87 et 98 en promulguant le projet de loi C-89, loi prévoyant la reprise et le maintien des services postaux.
  2. 313. Selon l’organisation plaignante, en promulguant le projet de loi C-89, le gouvernement a interrompu la négociation collective entre le STTP et la Société canadienne des postes (ci après «la Société»), privant les membres du STTP du droit de grève et renvoyant le différend à une médiation obligatoire, suivie d’un arbitrage obligatoire et contraignant.
  3. 314. L’organisation plaignante explique que le STTP représente plus de 50 000 membres, la majorité d’entre eux étant employés par la Société en tant que facteurs, courriers des services postaux, commis des postes, préposés à la manutention du courrier, expéditeurs des dépêches, techniciens, mécaniciens, électriciens, techniciens en électronique et facteurs ruraux et suburbains. Au sein de l’organisation syndicale, l’unité de négociation de l’exploitation postale urbaine (unité urbaine) représente plus de 43 000 membres, et l’unité de négociation des factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) représente plus de 9 300 membres.
  4. 315. Selon l’organisation plaignante, conformément au Code canadien du travail, le STTP a transmis à la Société un avis de négociation des conventions collectives de l’unité urbaine et de l’unité des FFRS le 14 novembre 2017, et le syndicat et l’entreprise ont entamé des négociations de plusieurs mois dès le 24 novembre 2017. La convention collective pour l’unité des FFRS venait à échéance le 31 décembre 2017 et celle pour l’unité urbaine expirait le 31 janvier 2018.
  5. 316. L’organisation plaignante affirme que le 29 juin 2018, ou aux alentours de cette date, conformément au Code du travail, le syndicat a fait une demande de conciliation pour faire pression sur l’entreprise afin qu’elle négocie de bonne foi. La ministre du Travail a désigné des conciliateurs en juillet 2018. Face à l’intransigeance persistante de l’entreprise lors des négociations et conformément au Code du travail, en août et septembre 2018, le syndicat a organisé un scrutin démocratique dans tout le pays pour statuer sur la conduite d’une grève. Les membres du STTP se sont majoritairement prononcés en faveur d’une action de grève si elle s’avérait nécessaire pour faire pression sur l’entreprise afin qu’elle transige et conclue une convention collective satisfaisant leurs besoins collectifs et leurs objectifs communs sur le lieu de travail. Sur la totalité des votes exprimés, 95,9 pour cent des membres de l’unité des FFRS et 93,8 pour cent des membres de l’unité urbaine se sont prononcés en faveur d’une grève.
  6. 317. Le 5 septembre 2018, la ministre du Travail a nommé deux médiateurs pour aider les parties. Le 7 septembre 2018, pour la première fois et après des mois de négociation, l’entreprise a présenté au syndicat des offres générales sur les questions négociées qui, du point de vue de l’organisation plaignante, étaient loin d’établir des conditions de travail équitables pour les travailleurs des postes.
  7. 318. L’organisation plaignante indique que, le 19 septembre 2018, le syndicat a pris l’initiative de conclure un accord sur les services essentiels avec la Société en vue de garantir la sécurité des animaux vivants, ainsi que le traitement et la distribution des chèques de pension de retraite et des prestations d’aide sociale aux retraités et aux personnes à revenu modeste en cas d’interruption des services postaux. Conformément à l’accord, les membres du STTP acceptaient de s’occuper des animaux vivants, comme des abeilles et des poussins, et de les distribuer bénévolement, au même titre que les chèques de pension de retraite et les prestations d’aide sociale émanant des autorités fédérales, provinciales et municipales.
  8. 319. Dès le 26 septembre 2018, le STTP avait rempli toutes les conditions légales pour faire grève. L’organisation plaignante affirme que, le processus de médiation n’ayant abouti à aucun accord, il était évident pour le syndicat que ses membres devaient exercer leur droit fondamental de faire grève pour encourager la tenue de véritables négociations. Le 16 octobre 2018, le syndicat a émis un préavis de grève de soixante-douze heures pour signifier à l’entreprise et au public que les travailleurs des postes entameraient des grèves tournantes comme les y autorisait le Code du travail.
  9. 320. Du 22 octobre au 27 novembre 2018, les travailleurs des postes ont mené des grèves tournantes en différents lieux du pays. L’organisation plaignante indique qu’aucune grève n’a duré plus de deux jours ouvrables consécutifs et, le 1er novembre 2018, le STTP a appliqué une interdiction des heures supplémentaires dans tout le pays. Pendant tout ce temps, les travailleurs des postes ont distribué les chèques aux membres du public les plus vulnérables, dont des citoyens âgés, des personnes à revenu modeste et d’autres bénéficiaires de chèques de pension de retraite et de prestations d’aide sociale. L’organisation plaignante estime que les grèves tournantes offraient un moyen essentiel aux travailleurs postaux de dénoncer le traitement que leur réservait la Société, de communiquer leurs revendications professionnelles à leur communauté respective et de faire preuve de solidarité les uns avec les autres. Elle explique que, compte tenu de la réaction de l’entreprise lors des négociations, les travailleurs des postes ont décidé que certains points essentiels, comme la sécurité et la santé des facteurs, ne pourraient être réglés qu’en recourant à une action de grève.
  10. 321. Le 24 octobre 2018, la ministre du Travail a désigné un médiateur spécial pour aider les parties alors qu’elles négociaient pendant la grève. Le 7 novembre 2018, conformément au code, la ministre du Travail a prolongé son mandat de médiation de quatre jours, soit jusqu’au 10 novembre 2018.
  11. 322. Le 8 novembre 2018, le Premier ministre canadien a déclaré aux médias que son gouvernement pourrait bientôt recourir à toutes les options à sa disposition pour mettre un terme au différend si les parties ne parvenaient pas à rapprocher leurs points de vue. Selon l’organisation plaignante, il était évident que le gouvernement imposerait le retour au travail par voie législative. Le 14 novembre 2018, la Société a fait une offre indiquant qu’elle expirerait le 18 novembre 2018 à minuit. Le 17 novembre 2018, le syndicat a présenté une offre globale en réponse à la proposition de l’entreprise du 14 novembre. Le 18 novembre 2018, le syndicat a transmis un projet de convention pour accompagner son offre que l’entreprise a refusée le 19 novembre 2018. Elle a également retiré son offre du 14 novembre et a plutôt suggéré une période de temporisation accompagnée d’un arbitrage obligatoire. Elle a aussi offert jusqu’à 1 000 dollars canadiens à tous les employés qui abandonneraient leur droit fondamental de faire grève pendant la période des vacances et des achats pour les fêtes de fin d’année. Le 20 novembre 2018, la ministre du Travail a indiqué publiquement que le gouvernement présenterait une loi de retour au travail si les parties ne parvenaient pas à un accord dans les jours suivants.
  12. 323. Le 22 novembre 2018, le projet de loi C-89, loi prévoyant la reprise et le maintien des services postaux, a été déposé. Lors de la présentation de cette loi de retour au travail, la ministre du Travail a déclaré que le gouvernement avait des responsabilités à l’égard des entreprises canadiennes et que les grèves avaient provoqué des retards dans la livraison des lettres et des colis quelques jours à peine avant une hausse prévue de millions de colis supplémentaires liés aux achats en ligne effectués à l’occasion du Black Friday et du Cyber Monday. La ministre a également ajouté que les Canadiens âgés, les personnes handicapées, les individus à revenu modeste, de même que les Canadiens vivant dans des zones rurales et éloignées et dans les régions du nord, qui dépendent de la livraison physique du courrier, notamment les peuples autochtones, sont touchés de façon disproportionnée par les grèves des services postaux. Le gouvernement a présenté une motion pour accélérer l’adoption du projet de loi qui, selon l’organisation plaignante, réduisait considérablement le temps prévu pour l’examen du projet et les débats en découlant. Le même jour, le 22 novembre 2018, le syndicat a envoyé une proposition à l’entreprise et au médiateur pour tenter de concilier les points de vue des deux parties. Toutefois, malgré les efforts du médiateur au cours des jours qui ont suivi, l’entreprise a refusé de négocier avec le syndicat. Compte tenu de l’adoption imminente du projet de loi C-89, l’entreprise n’a même pas répondu à la proposition du STTP ni fait de contre-proposition.
  13. 324. L’organisation plaignante indique que le projet de loi C-89 a été déposé par le Sénat le 24 novembre 2018. Les sénateurs n’ont pas siégé le dimanche 25 novembre 2018. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 26 novembre 2018, soit à peine quatre jours après son dépôt. La loi est entrée en vigueur le 27 novembre 2018.
  14. 325. Selon l’organisation plaignante, la loi viole la liberté syndicale et la liberté d’expression des travailleurs des postes et compromet l’intégrité essentielle du processus de négociation collective en obligeant les membres du STTP à reprendre le travail et en interdisant tout autre arrêt de travail pendant une période où il est légalement possible de faire grève (à savoir la période précédant la mise en place d’une nouvelle convention collective). La loi interdit de faire grève alors qu’aucun service essentiel n’était concerné, que les parties avaient conclu un accord sur les services essentiels et que les grèves tournantes n’avaient entraîné qu’un minimum de préjudices pour le public. En outre, elle restreint le discours des responsables du STTP et les oblige à demander aux travailleurs des postes qu’ils reprennent le travail et à s’assurer que leurs membres respectent la loi sur le retour au travail.
  15. 326. L’organisation plaignante indique que la loi remplace le droit de grève par un processus d’arbitrage qui est injuste et inapproprié pour les raisons suivantes: i) il limite fortement le droit des parties de choisir leur propre arbitre, mutuellement acceptable, puisque les parties ne peuvent proposer chacune que trois personnes qu’elles estiment qualifiées, et il revient au ministre de choisir l’arbitre s’il n’y a aucun nom en commun; ii) il empêche les parties de définir les points litigieux à soumettre au processus de médiation-arbitrage et confère ce pouvoir au ministre; iii) il limite fortement le droit des parties de définir un processus d’arbitrage mutuellement acceptable et confère ce pouvoir à un médiateur-arbitre; iv) il limite à un maximum de quatorze jours le droit des parties d’entamer un processus de médiation pour une durée de leur choix; et v) la loi prévoit des infractions graves et de fortes amendes pouvant aller jusqu’à 50 000 dollars canadiens par jour pour les responsables du STTP et jusqu’à 100 000 dollars canadiens par jour pour le STTP en cas de violation des dispositions de la loi. L’organisation plaignante souligne que de telles infractions et sanctions découragent l’exercice de droits fondamentaux comme la liberté syndicale et le droit d’organisation, les individus préférant se taire plutôt que de risquer des poursuites en justice. L’organisation plaignante fait référence aux précédentes conclusions du comité relatives à des problèmes similaires liés aux services postaux du Canada. Pour l’organisation plaignante, les travailleurs des postes n’étant pas des agents de la fonction publique et leur travail ne constituant pas un service essentiel, conformément à la définition qu’en donnent le droit interne et le droit international, il n’est en aucun cas justifié de faire obstacle à leurs libertés fondamentales.
  16. 327. Selon l’organisation plaignante, le gouvernement justifie principalement la violation des droits fondamentaux des membres du STTP par les effets des grèves sur l’économie, surtout à l’approche des fêtes de fin d’année. Elle rappelle que non seulement le STTP n’a organisé que des grèves limitées et tournantes, mais aussi qu’il a mis en place et respecté des protocoles de service minimal pour veiller à la livraison des animaux vivants et garantir la distribution des prestations d’aide sociale aux groupes vulnérables de la population. Elle rappelle à cet égard que, dans le cas no 2894, le comité a exprimé sa préoccupation face à la décision du gouvernement d’imposer la reprise du travail par voie législative, attendu que le protocole de service minimal a été négocié «dans le but exprès d’éviter que la grève n’ait des répercussions négatives sur des tiers et de veiller à ce que les besoins fondamentaux des usagers en situation précaire soient respectés en cas de grève». L’organisation plaignante estime par conséquent que des préoccupations à l’égard des populations vulnérables ne devraient pas justifier de violations des droits des travailleurs.
  17. 328. L’organisation plaignante indique que le gouvernement du Canada a déjà violé à différentes reprises les droits fondamentaux des travailleurs des postes. Depuis 1978, sur les 13 cycles de négociation avec le STTP, le gouvernement fédéral a imposé un retour au travail par voie législative à six reprises (1978, 1987, 1991, 1997, 2011 et 2018). Dans la plupart des cas, une plainte a été présentée au comité qui n’a eu de cesse d’identifier la violation des droits des travailleurs et de formuler des recommandations que le gouvernement a continuellement choisi d’ignorer. En 2015, le cas no 2894 a également été présenté à un tribunal national qui a estimé à l’époque que le projet de loi de retour au travail C-6 était inconstitutionnel et violait les droits des travailleurs tels que garantis par la Charte canadienne des droits et des libertés.
  18. 329. L’organisation plaignante allègue que nombre des problèmes sérieux que le STTP essaie de résoudre au cours du cycle de négociation dont il est question trouvent en réalité leur origine dans des conventions collectives négatives imposées par la menace d’un arbitrage forcé. Elle estime que ce comportement systématique du gouvernement canadien a contribué à la détérioration des relations entre le syndicat et l’entreprise et a affaibli l’application du principe de négociation volontaire. Alors qu’il est devenu habituel de recourir à la voie législative pour imposer la reprise du travail, l’entreprise ressent peu de pression à négocier de bonne foi et peut compter sur l’intervention du gouvernement pour supprimer les droits des travailleurs et imposer un arbitrage forcé et contraignant. L’organisation plaignante pense que c’est à nouveau ce qui s’est produit dans ce cas. Elle est convaincue que la Société n’avait aucunement l’intention de parvenir à un accord et a explicitement demandé un arbitrage contraignant; face au refus du STTP, le gouvernement le lui a imposé à peine cinq jours plus tard en promulguant le projet de loi C-89.
  19. 330. Selon l’organisation plaignante, la violation constante de la liberté syndicale et du droit d’organisation et de négociation collective des travailleurs est d’autant plus inquiétante à la lumière de la récente ratification du Canada de la convention no 98. Elle en conclut que le refus du gouvernement de respecter les droits fondamentaux des travailleurs, malgré son engagement formel et renouvelé à les protéger et les recommandations répétées du Bureau international du Travail (BIT), constitue non seulement une menace pour les travailleurs au Canada, mais aussi pour le système international fondé sur les droits et le respect du droit.
  20. 331. Dans sa seconde communication en date du 7 février 2019, l’organisation plaignante allègue que les taux d’accidents invalidants dans les services postaux canadiens sont les plus élevés du secteur fédéral. Elle précise que depuis que la loi est entrée en vigueur, les travailleurs urbains des postes ont travaillé des milliers d’heures supplémentaires obligatoires, les facteurs ruraux et suburbains – dont les deux tiers sont des femmes – ont travaillé environ 250 000 heures sans rémunération et au moins 315 accidents invalidants ont eu lieu. L’organisation plaignante indique aussi que d’autres syndicats, des militants syndicaux et des citoyens concernés ont manifesté leur opposition à cette loi de retour au travail dans plus de 27 villes du pays. Alors que ces manifestations étaient pacifiques, six personnes ont été arrêtées à Halifax, le 2 décembre 2018, pour avoir participé à un piquet de grève devant un bureau de Postes Canada. Ces militants syndicaux, qui ne sont pas membres du STTP, ont tous été accusés d’entrave à la police et de méfait.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 332. Dans une communication en date du 19 juillet 2019, le gouvernement, rappelant les allégations de l’organisation plaignante pour qui la promulgation du projet de loi C-89, loi prévoyant la reprise et le maintien des services postaux, viole les conventions nos 87 et 98, récuse respectueusement cette qualification et demande au comité de rejeter la plainte.
  2. 333. Le gouvernement affirme qu’il est profondément attaché à la libre négociation collective et au règlement positif des différends du travail en tant que fondements de relations industrielles solides. C’est sur ces principes que se base la partie I du Code canadien du travail qui établit un cadre pour la négociation collective, propose la médiation et la conciliation pour aider à résoudre des conflits de négociation et définit les droits et les obligations lors de grèves et de lock-out. De plus, la Charte canadienne des droits et des libertés garantit la liberté syndicale qui, selon l’interprétation de la Cour suprême du Canada, inclut le droit de participer à un véritable processus de négociation collective, y compris le droit de faire grève.
  3. 334. Le gouvernement indique que les activités du Service fédéral de médiation et conciliation (SFMC) sont un bon exemple de son attachement au règlement positif des différends du travail. Grâce aux efforts du SFMC, la grande majorité des conflits survenant dans le secteur privé sous réglementation fédérale sont réglés grâce à la médiation ou à la conciliation sans que cela n’entraîne d’arrêts de travail. Au cours de l’exercice 2017-18, des médiateurs et des conciliateurs ont fourni un appui considérable aux parties lors de 245 différends liés à des négociations collectives, les aidant à trouver un terrain d’entente et à négocier de nouvelles conventions collectives. Quatre-vingt-quatorze pour cent de ces cas ont été résolus sans provoquer de grève. Un tel succès est conforme aux récents résultats puisque, de 2006 07 à 2017-18, environ 3 455 conventions collectives ont été négociées en application de la partie I du code, n’entraînant que 89 mouvements de grève. Conscient de l’importance du SFMC, le gouvernement s’est engagé, dans le cadre du budget 2019, à accroître ses capacités en augmentant son financement d’un million de dollars canadiens par an de 2019-20 à 2023 24. Dans les rares cas où des grèves ont lieu, le service fédéral continue d’assister les parties alors qu’elles tentent de parvenir à une solution négociée.
  4. 335. Pour ce qui est des relations industrielles dans les secteurs relevant de la compétence fédérale, le gouvernement explique que la partie I du Code du travail constitue le cadre législatif qui régit les relations de travail et la négociation collective entre les employeurs du secteur privé assujettis à la compétence fédérale et les syndicats. En 2018, 22 000 entreprises relevant de la partie I du code employaient environ 972 000 personnes (soit 6,2 pour cent de tous les salariés canadiens). Environ 34 pour cent de ces travailleurs étaient syndiqués. Même si la partie I du code ne s’applique qu’à une faible proportion de la main-d’œuvre du Canada, le rôle essentiel des infrastructures et des autres industries du secteur privé relevant de la compétence fédérale, ainsi que de certaines société d’État (dont la Société), revêt une importance économique et sociale considérable pour le pays.
  5. 336. Le gouvernement indique par ailleurs que la ministre du Travail est responsable devant le Parlement de la mise en œuvre du Code canadien du travail. La mission du SFMC, chargé de l’application des dispositions du code relatives à la résolution des conflits, est d’encourager les syndicats et les employeurs à entretenir des relations harmonieuses en leur apportant son concours pour négocier des conventions collectives et les reconduire, et pour gérer les relations professionnelles découlant de la mise en œuvre des accords. Enfin, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) est un tribunal quasi judiciaire, indépendant et représentatif, mis en place en vertu de l’article 9 du code. Le CCRI a pour mandat de favoriser l’établissement et le maintien d’un climat de relations du travail harmonieuses dans les secteurs relevant de la compétence fédérale. Pour s’acquitter de son mandat, il fournit divers services de règlement des différends. Il tranche objectivement des affaires lorsque cela est nécessaire, mais veille aussi à offrir des services de médiation à toutes les étapes d’une instance.
  6. 337. La partie I du code définit un cadre général pour la négociation collective dans les industries relevant de la compétence fédérale, prévoyant notamment que: i) le CCRI accorde des droits de négociation exclusifs aux syndicats (aussi appelés «agents négociateurs») lorsqu’ils peuvent prouver qu’ils ont l’appui de la majorité des salariés; ii) les employeurs et les agents négociateurs ont l’obligation de négocier de bonne foi; iii) les grèves et lock-out sont interdits tant qu’une convention est en vigueur; iv) le processus de négociation débute lorsque l’une des parties donne un avis de négociation à l’autre afin d’entamer la négociation pour le renouvellement d’une convention collective; v) lorsque les négociations sont dans une impasse, les parties peuvent transmettre un avis de différend au ministre du Travail qui peut nommer un conciliateur impartial pour aider les parties à résoudre leurs différends; vi) le processus de conciliation dure soixante jours et peut être prolongé d’un commun accord entre les parties; vii) aucune grève ni aucun lock-out ne peut avoir légalement lieu avant qu’un avis de négociation ait été donné, que le processus de conciliation ait eu lieu, qu’une période de temporisation de vingt et un jours se soit écoulée depuis la fin du processus de conciliation, qu’un vote pour statuer sur la conduite d’une grève ait été organisé et qu’un préavis de grève ou de lock-out de soixante-douze heures ait été donné; viii) le ministre peut renvoyer des questions précises au CCRI; et ix) à tout moment, le ministre peut nommer un médiateur, que ce soit à la demande des parties ou de sa propre initiative; la désignation d’un médiateur n’influence pas l’acquisition des droits de grève ou de lock-out.
  7. 338. En ce qui concerne le rôle et la mission de la Société, le gouvernement indique que le Canada est le deuxième plus grand pays du monde, avec une superficie totale de 9 984 670 kilomètres carrés et compte plus de 37 millions d’habitants. Bien que la majorité vive en milieu urbain, près de 9 millions de Canadiens vivent dans des régions rurales et éloignées, réparties sur 9,5 millions de kilomètres carrés, soit environ 95 pour cent du territoire canadien. La Société fournit des services postaux à tous les Canadiens des zones rurales et urbaines d’une manière sûre et financièrement autonome. Elle a été établie par la loi sur la Société canadienne des postes, et le gouvernement du Canada en est le seul actionnaire. Il s’agit d’une société d’État placée sous l’autorité du ministre des Services publics et de l’Approvisionnement et de l’Accessibilité. C’est en réalité un groupe de trois sociétés, à savoir Postes Canada (le service postal exclusif du Canada), Purolator Holdings Limited (le plus grand service intégré de fret et de colis du Canada) et le groupe SCI (une société de services pour les chaînes d’approvisionnement). Postes Canada est de loin la plus importante des trois entités, générant plus de 77 pour cent des revenus de la Société et employant un peu moins de 80 pour cent de sa main-d’œuvre. Le gouvernement précise que les arrêts de travail dont il est question dans sa réponse n’ont eu lieu qu’au sein de Postes Canada.
  8. 339. Postes Canada livre près de 8,3 milliards de lettres, colis et messages par an à plus de 16,2 millions d’usagers. Nombre d’entre eux résident dans des régions rurales et du nord du pays où aucune autre entreprise de livraison ne se rend. Compte tenu de sa mission, il est attendu de Postes Canada qu’elle s’assure que les colis et paquets d’autres sociétés de livraison parviennent aux Canadiens de ces régions en fournissant un service de livraison du «dernier kilomètre», depuis les centres de distribution centraux jusqu’à ces régions reculées. Postes Canada est également le service de livraison de colis le plus important et le plus abordable du Canada. Son service de colis met les Canadiens en contact avec des milliers de petites, moyennes et grandes entreprises par l’intermédiaire de sites Web et de plateformes de commerce électronique.
  9. 340. Selon le gouvernement, au Canada, les services postaux offrent l’un des moyens les plus commodes et les moins coûteux utilisés par les personnes âgées, les Canadiens à revenu modeste et les personnes handicapées pour accéder à des services sur lesquels ils comptent. Postes Canada est également un moyen essentiel pour les Canadiens qui vivent dans des régions rurales et éloignées de recevoir des biens, comme des médicaments délivrés sur ordonnance. En outre, les petites et moyennes entreprises (PME) comptent beaucoup sur les services de distribution de lettres et de courriers publicitaires de Postes Canada pour entrer en contact et servir leurs clients et usagers (par exemple, pour envoyer et recevoir des factures et des paiements).
  10. 341. En ce qui concerne les relations entre la Société et le syndicat, le gouvernement indique que la Société est l’un des plus grands employeurs du Canada, comptant environ 64 000 salariés. Une majorité de la main-d’œuvre de Postes Canada est syndiquée et plusieurs syndicats représentent différentes catégories de travailleurs. La plus importante de ces organisations syndicales est le STTP qui représente deux unités de négociation: l’unité de négociation de l’exploitation postale urbaine (unité urbaine) et l’unité de négociation des factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS). L’unité urbaine représente environ 42 000 membres employés dans des centres de tri postal et des bureaux de poste et en tant que facteurs dans des zones urbaines. L’unité des FFRS représente 8 500 membres qui travaillent en tant que facteurs dans des zones rurales et suburbaines. Les membres du STTP sont employés par l’entité Postes Canada de la Société.
  11. 342. Le gouvernement donne ensuite un aperçu des relations, de longue date et houleuses, entre la Société et le STTP en matière de négociation collective qui ont souvent été à l’origine de grèves. Le STTP a commencé à représenter les employés de Postes Canada en janvier 1975. Le gouvernement du Canada a fourni une aide considérable aux parties au cours de ces quarante-quatre années de négociation collective, en établissant de multiples commissions de conciliation et en nommant nombre de conciliateurs et de médiateurs pour aider les parties à parvenir à des accords collectifs mutuellement acceptables. Tout au long de cette période, les différents ministres du Travail ont aussi souvent pris directement contact avec les parties pour les encourager à régler leurs différends. Toutefois, une profonde méfiance réciproque s’est instaurée au fil du temps entre le STTP et la Société, nuisant ainsi aux négociations. L’histoire démontre que les parties ont été incapables de conclure des conventions collectives et ont échoué à maintes reprises à les renouveler sans l’intervention du gouvernement.
  12. 343. Tout en réaffirmant son attachement à la libre négociation collective en tant que fondement de relations industrielles solides, le gouvernement affirme que la Société et le STTP ont été soutenus et encouragés de façon appuyée tout au long des négociations collectives de 2017 18. Que ce soit avant le début du cycle, au cours de celui-ci ou lors des arrêts de travail, la ministre du Travail était présente et les parties ont bénéficié de centaines d’heures de médiation et de conciliation.
  13. 344. En 2016, les parties ont accepté de participer à des réunions de développement relationnel (aussi connues sous le nom «sessions de médiation préventive») avec le SFMC en dehors du cycle normal de négociation collective pour essayer d’améliorer leurs relations. Ces réunions ont été l’une des rares occasions en quarante-quatre ans de relations antagonistes entre les parties où elles ont accepté de se rencontrer en dehors du cycle de négociation. Pour le gouvernement, ces réunions montrent aussi qu’il respecte les recommandations que le Comité de la liberté syndicale a formulées dans le cas no 2894 alors que «le comité accueill[ait] favorablement l’information selon laquelle le gouvernement [...] s’est engagé à contacter les parties pour leur proposer des services préventifs de médiation en temps opportun». Les médiateurs désignés par le Programme de développement relationnel dans le cadre du SFMC ont donc organisé des sessions avec les parties de 2016 jusqu’à la fin de 2017. Malheureusement, ces réunions n’ont pas permis d’établir des relations plus amicales entre les parties lors du cycle de négociation de 2017-18.
  14. 345. Le cycle de négociation collective de 2017-18 entre la Société et les deux unités de négociation du STTP a débuté lorsque ce dernier a transmis à la Société un avis de négociation collective en novembre 2017. Peu de temps après, le STTP a demandé à la ministre du Travail de fournir un service de médiation qui a débuté en janvier 2018. Les conventions collectives entre la Société et l’unité des FFRS et l’unité urbaine ont expiré respectivement le 31 décembre 2017 et le 31 janvier 2018.
  15. 346. Les parties ont campé sur leur position et peu de progrès tangibles ont été accomplis à la table des négociations. Le 29 juin 2018, le STTP a alors envoyé un avis de différend à la ministre du Travail. Répondant rapidement à cette demande, la ministre a nommé des conciliateurs le 9 juillet. Ils ont travaillé pendant soixante jours avec les parties, mais, à nouveau, peu de progrès notables ont été accomplis au cours de leur mandat.
  16. 347. La période de conciliation achevée, une période de temporisation de vingt et un jours a débuté le 4 septembre 2018. Une fois encore, la ministre a nommé des médiateurs pour aider les parties à conclure un accord au cours de cette période. Elle a également rencontré personnellement des représentants du syndicat et de l’employeur pour tenter d’induire des changements positifs à la table des négociations. Au cours de la période de temporisation, le STTP a organisé un vote pour statuer sur la conduite d’une grève. Les résultats ont été publiés le 11 septembre, indiquant que 93,8 pour cent des membres de l’unité urbaine et 95,9 pour cent de l’unité des FFRS étaient favorables à la grève.
  17. 348. Malgré tous les efforts des médiateurs pour encourager les parties à négocier de nouvelles conventions collectives sans recourir à la grève, elles ne sont pas parvenues à s’accorder. Le 16 octobre 2018, le STTP a prévenu qu’il entamerait des grèves ciblées et tournantes dès le 22 octobre 2018. Ces grèves ont en effet débuté le 22 octobre 2018. Au cours des cinq semaines qui ont suivi, des mouvements de grève ont eu lieu dans plusieurs grandes et petites villes du Canada, impliquant notamment plusieurs fermetures du plus grand centre de traitement de la Société à Toronto. Le STTP a aussi appliqué une interdiction des heures supplémentaires à partir du 1er novembre, encourageant ses membres à refuser de travailler au-delà de huit heures par jour et de quarante heures par semaine. Entre-temps, les retards commençaient à s’accumuler dans les principaux dépôts et centres de tri et, le 16 novembre 2018, la Société a prié des services postaux de pays étrangers de cesser d’acheminer des lettres et des colis vers le Canada.
  18. 349. Le 24 octobre 2018, la ministre du Travail a nommé un médiateur spécial pour travailler avec les parties et les aider à négocier de nouvelles conventions collectives et ainsi mettre un terme à la grève. À la fin de son premier mandat, le médiateur spécial a indiqué qu’aucun progrès significatif n’avait été accompli lors des négociations. Malgré tout, le gouvernement indique avoir renommé le médiateur spécial à deux reprises (les 7 et 20 novembre 2018), souhaitant faire tout ce qui était en son pouvoir pour aider les parties à parvenir à une résolution négociée de leur conflit lié à la négociation collective. Pendant cette période, la ministre est également personnellement intervenue auprès des parties et leur a demandé de recourir à un arbitrage volontaire pour résoudre leurs différends, à nouveau en vain.
  19. 350. Le 22 novembre 2018, le gouvernement a présenté le projet de loi C-89 à la Chambre des communes. Lors de discours et d’apparitions publiques, différents ministres du gouvernement ont répété qu’ils regrettaient d’avoir à présenter cette loi et ont une fois encore encouragé les parties à négocier la fin du mouvement de grève pour ne pas avoir à promulguer le projet de loi. Les grèves se sont poursuivies et les parties n’ont en aucun cas progressé. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 26 novembre 2018 et les parties ont donc été priées de reprendre les services postaux le 27 novembre 2018.
  20. 351. Le gouvernement souligne qu’il a tout fait pour éviter de recourir à la voie législative. Cette solution n’a été envisagée qu’après avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour que les parties parviennent à un accord négocié et alors qu’aucun progrès ne semblait poindre à la table des négociations. Par ailleurs, les cinq semaines de grève avaient causé d’importants préjudices économiques et sociaux qu’une poursuite du mouvement ne pouvait qu’aggraver. Il estime que la loi offre aux parties une façon neutre et impartiale de résoudre leurs différends par la médiation et, si nécessaire, l’arbitrage, en s’appuyant sur des principes directeurs équilibrés tout en mettant un terme aux préjudices économiques et sociaux causés par la grève. Le gouvernement regrette d’avoir dû intervenir, mais il est convaincu que cette loi modérée était nécessaire et justifiée.
  21. 352. En ce qui concerne les incidences économiques de l’arrêt de travail, le gouvernement prend acte du commentaire du Comité de la liberté syndicale du BIT dans le cas no 2894 selon lequel «les considérations économiques ne devraient pas être invoquées pour justifier des restrictions au droit de grève». Toutefois, il estime que, lorsque les négociations se trouvent dans une impasse apparemment insurmontable malgré plus d’un mois de grève, les gouvernements et le comité seraient négligents s’ils ne tenaient pas compte du préjudice économique réel que les grèves causent aux tiers, et s’ils n’accordaient pas à ces considérations au moins un certain poids dans l’examen de la décision d’intervenir.
  22. 353. Sur la base d’une analyse de son ministère des Finances, le gouvernement explique que l’évolution de l’économie vers un contexte où clients et fournisseurs peuvent conclure des affaires tout en étant séparés par de grandes distances entraîne une plus grande dépendance à l’égard des «industries de réseau» telles que les services numériques, les services financiers et la logistique, y compris les services de courrier et de transport de colis. Toute contrainte sur les services vitaux pour le commerce mine la fiabilité des engagements vendeur-client. Ces engagements sont à la base du bon fonctionnement d’une économie de marché. Lorsque les services de la Société, qui a le mandat exclusif de distribuer le courrier et qui est un acteur important sur le marché canadien de la livraison des colis, sont fortement interrompus ou totalement à l’arrêt, l’activité commerciale subit une pression importante.
  23. 354. Selon le gouvernement, la Société estime que ses volumes de colis intérieurs représentent environ 50 pour cent du marché intérieur canadien des colis et environ 70 pour cent du marché intérieur canadien du commerce électronique. Des grèves affectant l’usine de traitement des colis de Mississauga Gateway, qui traite les deux tiers des colis canadiens, ont conduit la Société à suspendre les garanties de délai de livraison à partir du 13 novembre 2018. Elles n’ont été rétablies que le 20 décembre 2018, soit vingt-trois jours après que les parties ont été tenues de reprendre les services postaux en vertu de la loi. De nouvelles grèves tournantes pendant la période des fêtes auraient continué à faire grimper ce retard. En particulier dans le contexte des achats de la période des fêtes, la capacité des transporteurs concurrents à prendre en charge la livraison de colis supplémentaires était très limitée. Le gouvernement rappelle qu’un détaillant, par exemple, a indiqué qu’il prévoyait d’expédier plus d’un million de commandes pendant la période des fêtes, mais qu’il ne pourrait pas y parvenir sans un service fiable de la Société, et qu’un autre employeur important a confirmé ce fait en déclarant qu’aucune entreprise ne saurait remplacer la Société à court terme.
  24. 355. En raison de la part importante de la Société dans la livraison des colis au Canada, le gouvernement indique que la grève a eu un impact conséquent sur la demande liée au commerce électronique, les principaux points de vente ayant enregistré 20 à 30 pour cent de commandes en moins que l’année précédente. D’autres entreprises ont fait état d’annulations de commandes en raison des incertitudes pesant sur les livraisons. De nombreuses entreprises dépendent des ventes du «Black Friday» (23 novembre) au début du mois de janvier pour survivre, certaines d’entre elles réalisant jusqu’à 40 pour cent de leur chiffre d’affaires annuel durant cette période. Lorsque des entreprises perdent des ventes à cette période en raison des incertitudes liées à la grève, il est peu probable que ces ventes soient rattrapées plus tard, car l’événement (par exemple, les ventes du Black Friday et du Cyber Monday) ou l’occasion (par exemple, la période de Noël) sera passé. Il est donc plus probable que les pertes subies par des tiers soient permanentes pendant cette période.
  25. 356. Le gouvernement déclare que ces impacts sur la demande, et la crainte des employeurs de subir de nouvelles répercussions au fil des grèves, ont conduit à une réduction des embauches saisonnières et/ou des heures de travail, notamment dans de nombreuses entreprises de commerce électronique. Un détaillant a indiqué que 800 travailleurs ont été directement touchés par les arrêts de travail soit par une réduction saisonnière de 50 pour cent des effectifs, soit par une réduction des heures de travail. Un autre grand détaillant en ligne a fait savoir que les grèves avaient entraîné un important chômage technique et que l’entreprise avait été contrainte de mettre en place des congés volontaires et obligatoires pour les employés. Outre les questions d’embauche, les détaillants ont indiqué que les arrêts de travail avaient entraîné des coûts supplémentaires importants, notamment en incitant les employés à venir chercher leurs marchandises en magasin. Ces premiers indicateurs se sont confirmés, puisqu’un grand détaillant canadien a fait état d’une baisse de 50 pour cent de son bénéfice net au cours de son troisième trimestre se terminant le 29 décembre 2018, en grande partie à cause des grèves à la Société.
  26. 357. Outre ces grands détaillants, l’arrêt de travail a également touché les petites et microentreprises, telles que celles qui fabriquent et vendent des produits sur les marchés en ligne. Bien qu’il soit plus difficile d’obtenir des données sur ces entreprises/entrepreneurs, il est probable que les répercussions de l’arrêt de travail aient été plus graves pour ces derniers; leurs marges de profit étant minces, cela réduit les chances de trouver d’autres modes d’expédition ou d’absorber des coûts plus élevés.
  27. 358. Le gouvernement fait savoir qu’un autre secteur touché concerne les entreprises qui produisent du courrier de marketing direct (par exemple, des prospectus). En 2017, la Société a distribué 4,8 milliards de pièces de courrier de marketing direct, dont 75 pour cent étaient des envois de proximité. Les grèves ont affecté négativement la capacité de la Société à garantir la livraison de ces envois en temps voulu, ce qui a conduit certains annonceurs à réaffecter des fonds (par exemple, pour les annonces dans les journaux), entraînant des licenciements dans les entreprises de publipostage. Le gouvernement estime que, si les grèves s’étaient poursuivies ou étendues, les entreprises qui conçoivent et/ou impriment des publipostages auraient pu être contraintes de procéder à des licenciements temporaires beaucoup plus massifs.
  28. 359. Enfin, le gouvernement indique que les cinq semaines de grève ont entravé les transactions financières de nombreuses entreprises. Les grandes entreprises des secteurs de la finance, des télécommunications et des services publics figurent parmi les 20 premiers clients courrier de la Société, en partie en raison du volume important de transactions financières avec leur clientèle de détail. Un sondage mené en 2016 auprès de 1 202 petites, moyennes et grandes entreprises sur les besoins et les perceptions des Canadiens en matière de poste a montré que pratiquement toutes les entreprises canadiennes dépendent encore de la Société pour les envois de courrier importants ou à délai de livraison critique. Le sondage a révélé que les PME des régions rurales sont plus dépendantes des services postaux, car les coûts des autres services de messagerie sont plus élevés ou leurs services ne sont pas disponibles. Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, plus de la moitié des PME continuent à dépendre des chèques et des factures papier.
  29. 360. En ce qui concerne les répercussions sociales de l’arrêt de travail, le gouvernement du Canada reconnaît le protocole d’accord conclu entre la Société et le STTP pour assurer la livraison des chèques fédéraux et provinciaux de prestations socio-économiques et de pension ainsi que des animaux vivants (par exemple, les poussins et les abeilles). Le gouvernement avait connaissance de ce protocole d’accord avant le début des grèves. Il fait valoir néanmoins que, malgré le protocole d’accord, les arrêts de travail ont eu des répercussions sociales prononcées, qui n’auraient fait que s’aggraver si les grèves avaient continué.
  30. 361. Le gouvernement indique que les Canadiens handicapés, les personnes âgées, les personnes à faible revenu et à faible niveau éducatif et les peuples autochtones dépendent davantage du service postal pour les communications personnelles, les transactions et la livraison de colis, en partie parce qu’ils ont moins accès à l’Internet en raison de leurs moyens financiers limités et/ou du fait qu’ils vivent dans des régions rurales, éloignées et septentrionales. Les coûts des alternatives postales, telles que les entreprises de messagerie, peuvent être prohibitifs pour ces groupes, en particulier dans les zones rurales et éloignées, ou totalement inaccessibles dans les zones septentrionales éloignées, où la Société reste la seule option.
  31. 362. Le gouvernement souligne que les grèves ont également eu de graves répercussions sur plusieurs organismes de bienfaisance qui fournissent une aide et des services essentiels à ces Canadiens vulnérables. Selon une enquête de l’Association of Fundraising Professionals (AFP), de nombreuses organisations caritatives reçoivent plus de la moitié de leurs dons annuels pendant les trois derniers mois de l’année. Une autre enquête de l’AFP a montré que quatre Canadiens sur dix préfèrent faire des dons en recevant des formulaires envoyés via la Société par les organisations caritatives. Pendant et après les cinq semaines de grève, les organisations caritatives qui assument des fonctions sociales essentielles (par exemple, la gestion de refuges pour sans-abri, des banques alimentaires, des soupes populaires et l’aide aux nouveaux immigrants) ont fait savoir que les dons avaient diminué.
  32. 363. À titre d’exemple, une organisation caritative nationale, qui est le plus grand fournisseur non gouvernemental direct de services sociaux aux Canadiens, a indiqué le 23 novembre 2018 qu’elle avait reçu 40 pour cent de dons par courrier en moins qu’à la même époque l’année précédente. Le 20 décembre 2018, un organisme de bienfaisance d’Ottawa qui gère des refuges pour sans-abri a signalé une diminution des dons d’environ 150 000 dollars canadiens par rapport à la période des fêtes de 2017-18. Enfin, une autre organisation caritative, qui gère la plus grande banque alimentaire de l’île de Vancouver, a signalé le 20 novembre 2018 qu’elle avait enregistré une baisse de 23 pour cent des dons par rapport à la même période en 2017. Le gouvernement souligne que ces exemples ne portent que sur les organismes de bienfaisance dont les pertes ont été signalées dans les médias nationaux, et estime que beaucoup plus d’organismes, et donc beaucoup plus de services importants pour les Canadiens vulnérables, ont probablement été touchés par les grèves.
  33. 364. Selon le gouvernement, près de 9 millions de Canadiens vivent dans des régions rurales et éloignées, où l’accès à Internet est plus limité et/ou de moins bonne qualité, ce qui limite l’accès aux documents exigés. Les personnes âgées et les personnes à faible revenu et ayant un faible niveau éducatif sont plus nombreuses dans ces régions. Un peu moins de la moitié (48,2 pour cent) de la population autochtone totale du Canada vit dans des régions rurales ou éloignées, ce qui représente près de 2,5 pour cent de la population totale du Canada. Les Canadiens vivant dans le nord dépendent davantage des services de livraison de colis que les autres Canadiens, recevant environ le double de la moyenne des colis par habitant au Canada en 2017. Dans une lettre adressée au journal Toronto Star le 22 novembre 2018, une citoyenne inquiète a évoqué l’impact négatif des grèves sur son travail qui consiste à envoyer des fournitures indispensables dans des abris, des soupes populaires, des garderies et des écoles au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest. Elle a expliqué que, si la perturbation du courrier constitue une gêne pour de nombreux Canadiens, «c’est une situation impossible pour les habitants des communautés isolées du nord du Canada qui doivent compter sur la Société pour toutes leurs livraisons».
  34. 365. Le gouvernement indique qu’en 2012 près de 2 millions de Canadiens ont fait état de handicaps moteurs. Quarante-cinq pour cent d’entre eux sont des personnes âgées, et les femmes sont légèrement surreprésentées à tous les âges, d’environ deux points de pourcentage. Ce groupe a tendance à avoir des revenus nettement inférieurs à ceux des personnes non handicapées (25 pour cent de moins pour les hommes), est 21 pour cent moins susceptible d’avoir Internet à la maison et 25 pour cent moins susceptible d’effectuer des transactions en ligne. Les personnes handicapées sont plus enclines à considérer la livraison du courrier comme essentielle que les Canadiens ne connaissant pas de problème de mobilité, par une marge de 20 pour cent. À l’exception des zones rurales, les Canadiens ayant un niveau éducatif et un revenu plus faibles sont 27 pour cent moins susceptibles d’être connectés à l’Internet à domicile et 37 pour cent moins susceptibles d’effectuer des transactions en ligne par rapport aux autres Canadiens. Avec un accès moindre à Internet, au téléphone ou au téléphone portable, ce groupe est 17 pour cent plus susceptible que les autres Canadiens de considérer le courrier postal comme essentiel. Globalement, 13 pour cent des ménages canadiens n’ont pas accès à Internet, selon les données de 2015.
  35. 366. Le gouvernement explique que la loi a ordonné la fin immédiate des arrêts de travail en cours et a exigé la reprise et le maintien des services postaux le lendemain de son adoption. Elle a prolongé les conventions collectives des deux unités de négociation à compter du jour de leur expiration jusqu’au jour où de nouvelles conventions collectives sont établies. La période des arrêts de travail a été exclue de la prolongation des conventions collectives. La législation a interdit tout nouvel arrêt de travail jusqu’à l’établissement de nouvelles conventions collectives. Elle interdisait également à l’employeur de licencier ou de discipliner un employé pour avoir participé à une grève. Elle prévoyait également des amendes applicables à toute personne ou partie qui contreviendrait à l’une de ses dispositions, et interdisait expressément l’emprisonnement de toute personne en défaut de paiement d’une telle amende. La loi autorisait tout employé ayant fait l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’un licenciement pendant la période des arrêts de travail exclus de l’extension des conventions collectives à soumettre le cas, pour règlement définitif, à un arbitre choisi par l’employeur et par le syndicat. Si l’employeur et le syndicat ne parvenaient pas à s’entendre, le cas était renvoyé à un arbitre nommé par le ministre à la demande de l’une ou l’autre des parties.
  36. 367. Sur la question de la médiation-arbitrage, la loi a lancé un processus neutre et objectif pour résoudre les questions en suspens entre les parties. Chaque partie a eu la possibilité de participer à la sélection du médiateur-arbitre en proposant au ministre, dans les quarante huit heures suivant l’entrée en vigueur de la loi, les noms de trois personnes qu’elle souhaiterait voir intervenir comme médiateur-arbitre. Si les deux parties proposaient la même personne, la législation exigeait que le ministre nomme cette personne. Si les parties ne proposaient pas la même personne ou si une partie ne proposait aucun nom, le ministre nommait le médiateur-arbitre après avoir demandé consultation du président du CCRI afin de garantir l’impartialité. Quelle que soit la manière dont le médiateur-arbitre était choisi, la législation exigeait qu’il ou elle tente de résoudre les problèmes par la médiation pendant sept jours. Cette période de médiation pouvait être prolongée jusqu’à sept jours supplémentaires si les parties en convenaient. En cas d’échec de la médiation, le médiateur-arbitre était tenu d’arbitrer toutes les questions en suspens selon un modèle d’arbitrage de son choix, qu’il s’agisse d’un arbitrage traditionnel ou du choix d’une offre finale. Le médiateur-arbitre était tenu de résoudre toutes les questions en suspens, de faire rapport au ministre sur la résolution de chaque question et de fournir des copies de ce rapport aux parties dans les quatre-vingt dix jours suivant sa nomination. La loi exigeait également que les parties remboursent au gouvernement, à parts égales, tous les coûts liés à la nomination du médiateur-arbitre et à l’exercice des fonctions du médiateur-arbitre en vertu de la loi.
  37. 368. Si le médiateur-arbitre était tenu de régler les questions en suspens par voie d’arbitrage, ses décisions devaient être guidées par certains principes énoncés dans la législation. Ces principes reflétaient les intérêts des deux parties et incluaient la nécessité: i) de veiller à la protection de la santé et de la sécurité des employés; ii) de faire en sorte que les employés reçoivent un salaire égal pour l’exécution d’un travail de valeur égale; iii) d’assurer un traitement juste des employés temporaires, à temps partiel ou occupant une autre forme d’emploi atypique par rapport aux employés occupant un emploi à temps plein permanent; iv) d’assurer la viabilité financière de l’employeur; v) de créer une culture de relations patronales-syndicales axées sur la collaboration; et vi) de faire en sorte que l’employeur fournisse des services de grande qualité à un prix raisonnable pour les Canadiens.
  38. 369. La législation prévoyait que le lendemain du jour où le médiateur-arbitre soumettait son rapport final au ministre, les nouvelles conventions collectives devaient devenir contraignantes pour les parties. Ces conventions collectives devaient inclure tout accord négocié par les parties avant ou après le début du processus de médiation-arbitrage, ainsi que toute décision prise par le médiateur-arbitre ou toute offre finale choisie par celui-ci. Rien dans la législation n’interdisait aux parties de négocier indépendamment de nouvelles conventions collectives. En fait, la législation stipule expressément que les parties sont libres de conclure de nouvelles conventions collectives à tout moment avant que le médiateur arbitre ne fasse rapport au ministre. Si les parties réussissaient à le faire, le processus de médiation-arbitrage prendrait fin et les parties poursuivraient leur relation dans le cadre de ces conventions collectives. La législation était également explicite sur le fait qu’elle ne devait pas être interprétée de manière à limiter les droits des parties à modifier toute disposition des nouvelles conventions collectives conformément à la partie I du code.
  39. 370. Rappelant les conclusions du comité concernant le projet de loi C-6, loi prévoyant la reprise et le maintien des services postaux, qui a été promulgué en 2011 par un gouvernement canadien précédent (cas no 2894), le gouvernement soutient qu’il existe des différences importantes entre le projet de loi C-6 et la loi actuelle.
  40. 371. Dans le cas du projet de loi C-6, le gouvernement a annoncé son intention de présenter une loi sur la reprise du travail le 15 juin 2011, un jour après que les membres du STTP ont été mis en lock-out par la Société après huit jours de grève. D’autre part, le gouvernement souligne que la loi actuelle n’a été adoptée qu’après que les grèves se sont poursuivies pendant plus de quatre semaines, après avoir épuisé toutes les possibilités de promouvoir un règlement négocié et après que le préjudice économique et social causé par les grèves a été plus prononcé et a été susceptible de s’aggraver. Le gouvernement indique que les préjudices réels et potentiels ont également été plus graves qu’en 2011, puisque les arrêts de travail de 2018 se sont produits pendant la période des vacances, lorsque de nombreuses entreprises réalisent jusqu’à 40 pour cent de leur chiffre d’affaires annuel, et que les organisations caritatives et à but non lucratif comptent sur la Société pour contacter les donateurs et recevoir des dons.
  41. 372. Selon le gouvernement, le projet de loi C-6 exigeait également que la ministre du Travail nomme un arbitre qu’elle juge approprié, sans recours aux parties ou à toute autre personne, alors que la loi actuelle permettait à la Société et au STTP de soumettre chacun le nom de trois personnes qu’ils souhaitaient voir intervenir comme médiateur-arbitre. Si les deux parties soumettaient le même nom, la loi exigeait de la ministre qu’elle choisisse cette personne comme médiateur-arbitre. Si les parties ne soumettaient pas le même nom, la ministre était tenue de consulter le président du CCRI, une partie indépendante et neutre, avant de nommer un médiateur-arbitre. Le gouvernement déclare que ce mécanisme a été conçu pour garantir un processus de médiation et/ou d’arbitrage impartial, et que rien dans la loi n’interdisait aux parties de déterminer conjointement un médiateur-arbitre approprié et de soumettre chacune le nom de cette personne à la ministre.
  42. 373. Le gouvernement rappelle que le projet de loi C-6 imposait l’arbitrage immédiatement, sans médiation préalable, ce qui diffère de la possibilité supplémentaire de parvenir à un règlement volontaire par la médiation que la loi offrait en prévoyant jusqu’à quatorze jours supplémentaires de médiation. De plus, alors que le projet de loi C-6 prévoyait la résolution des questions en suspens par un arbitrage contraignant par sélection de l’offre finale, la loi actuelle permettait au médiateur-arbitre indépendant de choisir la méthode d’arbitrage la plus appropriée pour résoudre toute question en suspens en litige entre les parties, et rien dans la loi ne lui interdisait de déterminer la méthode d’arbitrage en consultation avec les parties.
  43. 374. Le gouvernement rappelle en outre que, même s’il a soumis les questions en suspens à l’arbitrage obligatoire, le projet de loi C-6 prescrivait expressément à la fois la durée de la nouvelle convention des parties et les augmentations salariales maximales à y inclure, et ces dispositions devaient être inaltérables par les parties jusqu’à l’expiration de cette convention collective. Pour sa part, la loi actuelle ne prescrivait pas les augmentations salariales maximales, la durée ou toute autre condition des nouvelles conventions collectives des parties, car elle permettait aux parties de négocier ou de présenter des observations auprès du médiateur-arbitre afin d’établir chaque condition des nouvelles conventions collectives.
  44. 375. En ce qui concerne les principes énoncés pour guider les décisions arbitrales, le gouvernement indique que le projet de loi C-6 mettait l’accent sur «la nécessité d’établir des conditions d’emploi qui soient compatibles avec celles de secteurs postaux comparables et qui fourniront à la Société la souplesse nécessaire à sa viabilité économique et sa compétitivité à court et à long terme, au maintien de la santé et de la sécurité de ses travailleurs et à la viabilité de son régime de pension». Ce faisant, l’arbitre devait tenir compte du fait des éléments suivants; «a) le ratio de solvabilité du régime de retraite ne doit pas diminuer en conséquence directe de la nouvelle convention collective; et b) la Société doit, sans recourir à des augmentations indues des tarifs postaux, fonctionner efficacement, améliorer la productivité et respecter des normes de service acceptables». Le gouvernement fait valoir que, d’autre part, la loi actuelle énonce des principes directeurs qui obligent le médiateur-arbitre à examiner les questions importantes à la fois pour l’employeur (par exemple, assurer sa viabilité financière) et pour le syndicat (par exemple, veiller à ce que les travailleurs reçoivent un salaire égal pour un travail de valeur égale), et pour leur relation de négociation (par exemple, créer une culture de relations travailleurs-employeur axée sur la collaboration).
  45. 376. Même si le gouvernement réaffirme son soutien au droit des syndicats de soumettre des plaintes au Comité de la liberté syndicale du BIT, il déclare qu’il est en désaccord avec les affirmations contenues dans ce cas. Alors que l’organisation plaignante affirme que tout préjudice causé au public par les grèves tournantes a été minime, le gouvernement indique qu’il n’a pas envisagé d’introduire une législation sur la reprise du travail jusqu’à ce qu’il devienne évident que les négociations étaient dans une impasse totale et que la grève avait des répercussions négatives graves sur les tiers. Le gouvernement estime qu’il a la responsabilité d’agir lorsque tous les autres moyens de résoudre le conflit ont été épuisés, qu’il n’y a aucune attente d’un règlement négocié dans un avenir prévisible et que les arrêts de travail causent un préjudice économique et social important à des tiers. Il souligne que tout indique, tant de la part des parties que du médiateur spécial, que l’on pouvait s’attendre à ce que les arrêts de travail se poursuivent indéfiniment, les parties n’ayant pas pu se mettre d’accord et négocier la fin de l’arrêt de travail.
  46. 377. Le gouvernement du Canada déclare également qu’il désapprouve l’argument selon lequel la loi contraint et muselle le discours des fonctionnaires du STTP. Il rappelle que la réalisation de l’objectif législatif de la loi exigeait la fin des arrêts de travail et la reprise de l’ensemble des services postaux le lendemain de la sanction royale. Pour parvenir à mettre fin aux grèves et à la reprise des services postaux complets, la loi exigeait que les fonctionnaires du STTP informent les membres que la loi les obligeait à reprendre et/ou à poursuivre leur travail à ce moment-là. Si les employés sont tenus de retourner au travail, la loi ne leur interdisait pas d’exprimer librement leurs opinions en se consacrant à d’autres activités communément associées aux grèves, telles que les manifestations, la distribution de tracts et d’autres mesures de sensibilisation aux questions relatives au processus de négociation collective.
  47. 378. Quant à l’allégation selon laquelle le droit des parties de choisir leur propre arbitre, mutuellement acceptable, est sévèrement restreint, le gouvernement du Canada la considère comme une mauvaise interprétation de l’article 8 de la loi. Il rappelle que rien dans la loi ne saurait être interprété comme empêchant les parties de choisir conjointement un médiateur arbitre approprié et de soumettre le nom de cette personne au ministre et que sa préférence aurait été que les parties choisissent un médiateur-arbitre de cette façon. Le gouvernement fait valoir que la législation prévoit une autre méthode impartiale de sélection d’un médiateur-arbitre en raison de l’animosité persistante entre les parties et de la forte possibilité qu’elles ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un médiateur-arbitre approprié. Lorsque les parties n’ont pas soumis de noms correspondants, la ministre a demandé l’avis du président du CCRI indépendant et a nommé une médiatrice-arbitre neutre, hautement qualifiée et très expérimentée pour aider les parties à conclure des conventions collectives équitables.
  48. 379. Le gouvernement indique également son désaccord avec la lecture de l’article 9 de la loi faite par l’organisation plaignante et son argument selon lequel les parties ne peuvent pas définir les questions en litige lors de la médiation-arbitrage. Il fait valoir que cette disposition ne prévoyait pas que la ministre du Travail soit chargée de définir les questions en litige entre les parties. Néanmoins, le gouvernement rappelle qu’il a reconnu l’interprétation de cette clause par le STTP et que, le 15 janvier 2019 ou vers cette date, la ministre a précisé que l’intention de la loi était de permettre au médiateur-arbitre de définir les questions en litige en consultation avec les parties, après quoi les questions en litige ont été définies par les parties.
  49. 380. En réponse à l’allégation selon laquelle le droit des parties de choisir un processus d’arbitrage mutuellement acceptable est sévèrement limité, puisque la médiatrice-arbitre a le plein pouvoir d’imposer un processus de sélection de l’offre finale, le gouvernement indique que, vers le 22 janvier 2019, la médiatrice-arbitre a consulté les parties sur la forme d’arbitrage qu’elles préfèrent. Il rappelle que les parties ont convenu qu’elles préféraient l’arbitrage d’intérêt traditionnel et que le médiateur-arbitre a choisi cette méthode pour résoudre les questions en suspens.
  50. 381. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la loi limite le droit des parties à s’engager dans une médiation pour une période de temps de leur choix, le gouvernement rappelle que plus d’un an de soutien à l’établissement de relations, à la médiation et à la conciliation a été fourni aux parties et que ces services auraient pu être prolongés presqu’indéfiniment si les parties l’avaient souhaité. Même après le dépôt du projet de loi C-89, le médiateur spécial a continué à travailler avec les parties pour tenter de résoudre les questions en suspens et éviter la nécessité de la législation. Bien que toutes ces tentatives aient échoué, le gouvernement déclare qu’il a continué à croire à une solution par la médiation, et la loi a donc exigé un minimum de sept jours de médiation (avec possibilité d’extension à quatorze jours) avant le recours à l’arbitrage. Selon le gouvernement, la loi donne toujours la priorité à un règlement négocié en précisant que, si les parties sont en mesure de négocier un accord en dehors du processus d’arbitrage, cet accord prend pleinement effet et le processus d’arbitrage prend fin. En outre, les principes directeurs énoncés dans la loi incluent des questions importantes pour les deux parties et encouragent réellement les parties à parvenir à une solution par la médiation.
  51. 382. En ce qui concerne l’effet dissuasif présumé résultant de l’application des dispositions de la loi, le gouvernement indique que la plupart des lois du Parlement qui exigent ou interdisent une action spécifique énoncent les conséquences en cas de non-respect, et fait valoir qu’il est naturel que la loi comprenne des mesures visant à encourager les deux parties à se conformer à la législation. Il rappelle que la loi comporte plusieurs interdictions sur la conduite de l’employeur (par exemple, sanctionner ou licencier un employé pour avoir participé aux grèves), qui étaient également passibles des mêmes amendes. Selon le gouvernement, outre le fait qu’elles découragent les parties de violer ses dispositions, les sanctions prévues par la loi n’ont eu aucun impact sur la liberté d’expression ou la liberté syndicale. Comme en témoignent les communiqués publics du STTP critiquant la loi, la Société et le gouvernement du Canada, ces mesures de conformité n’ont clairement pas eu pour effet de réduire au silence le syndicat ou ses représentants.
  52. 383. En conclusion, le gouvernement du Canada réitère son engagement envers les principes de l’OIT énoncés dans les conventions nos 87 et 98. Selon lui, il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour encourager la libre négociation collective et aider les parties à résoudre leurs différends et n’a pas promulgué de loi de retour au travail jusqu’à ce qu’il devienne évident qu’une telle mesure était nécessaire pour mettre fin à l’impasse des négociations et au préjudice important et permanent causé aux tiers. Il souligne que la législation qu’il a promulguée garantit un processus neutre et objectif pour résoudre les questions en suspens entre les parties. Le gouvernement veut croire que les preuves fournies dans sa réponse aideront le comité à comprendre l’ensemble des circonstances qui ont rendu nécessaire la législation de retour au travail et demande respectueusement que le comité rejette la plainte.
  53. 384. En réponse à la deuxième communication de l’organisation plaignante, le gouvernement signale que le STTP fait valoir à tort un lien entre la loi et l’arrestation de six personnes par les forces de l’ordre locales pour avoir causé des perturbations (par exemple, pour méfait, intrusion et entrave à l’action des agents de police) dans les installations de la Société après l’adoption du projet de loi. Le gouvernement souligne que leurs arrestations ont été effectuées en vertu d’aucune disposition de la loi.
  54. 385. Dans sa communication en date du 14 janvier 2020, le gouvernement fait le point sur l’état d’avancement de l’arbitrage et indique que, le 18 novembre 2019, la médiatrice-arbitre a demandé une nouvelle prolongation de son mandat d’arbitrage jusqu’au 20 juin 2020. Cette prolongation a été accordée par la ministre du Travail le 17 décembre 2019.
  55. 386. Dans sa communication datée du 11 septembre 2020, le gouvernement informe que la médiatrice-arbitre a rendu sa décision le 11 juin 2020 et en fournit une copie. Cette décision constitue les conventions collectives révisées entre le STTP et la Société, en vigueur à partir de la date de la décision jusqu’au 31 janvier 2022. Le gouvernement indique que la médiatrice-arbitre a favorisé la position du STTP sur 14 questions et celle de la Société sur 9 questions, et que 11 autres questions ont fait l’objet d’un accord à l’amiable entre les parties. Il considère donc que la décision de la médiatrice-arbitre soutient sa position selon laquelle la procédure de règlement des différends prévue par la loi était neutre, objective et orientée vers la conclusion de conventions collectives équitables pour les deux parties.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 387. Le comité note que, dans le présent cas, l’organisation plaignante allègue que, en promulguant la loi prévoyant la reprise et le maintien des services postaux (projet de loi C 89), le gouvernement du Canada a interrompu la négociation collective entre le STTP et la Société, et a soumis le différend à un processus de médiation obligatoire, suivi d’un arbitrage obligatoire et contraignant, portant ainsi atteinte aux droits fondamentaux d’organisation, de négociation collective et de liberté syndicale des travailleurs.
  2. 388. Le comité prend note de la chronologie des événements selon les informations fournies par le gouvernement et l’organisation plaignante, à savoir: le STTP a transmis à la Société un avis de négociation le 14 novembre 2017. Le syndicat et l’entreprise ont entamé des négociations de plusieurs mois dès le 24 novembre 2017. La convention collective pour l’unité des FFRS venait à échéance le 31 décembre 2017 et celle pour l’unité urbaine expirait le 31 janvier 2018. Vers le 29 juin 2018, le syndicat a fait une demande de conciliation. La ministre du Travail a désigné des conciliateurs en juillet 2018. En août et septembre 2018, le syndicat a organisé un scrutin démocratique dans tout le pays pour statuer sur la conduite d’une grève; 95,9 pour cent des membres de l’unité des FFRS et 93,8 pour cent des membres de l’unité urbaine se sont prononcés en faveur d’une grève. Le 5 septembre 2018, la ministre du Travail a nommé deux médiateurs pour aider les parties. Le 7 septembre 2018, pour la première fois et après des mois de négociation, l’entreprise a présenté au syndicat des offres générales sur les points négociés. Le 19 septembre 2018, le syndicat a pris l’initiative de conclure un accord sur les services essentiels avec la Société. Dès le 26 septembre 2018, le STTP avait rempli toutes les conditions légales pour faire grève. Le 16 octobre 2018, le syndicat a émis un préavis de grève de soixante-douze heures pour signifier à l’entreprise et au public que les travailleurs des postes entameraient des grèves tournantes. Du 22 octobre au 27 novembre 2018, les travailleurs des postes ont mené des grèves tournantes en différents lieux du pays. Le 24 octobre 2018, la ministre du Travail a désigné un médiateur spécial pour aider les parties alors qu’elles négociaient pendant la grève. Le 7 novembre 2018, son mandat de médiation a été prolongé de quatre jours. Le 8 novembre 2018, le Premier ministre canadien a déclaré aux médias que son gouvernement pourrait bientôt recourir à toutes les options à sa disposition pour mettre un terme au différend. Le 14 novembre 2018, la Société a fait une offre. Le 17 novembre 2018, le syndicat a présenté une offre globale en réponse à la proposition de l’entreprise. Le 20 novembre 2018, la ministre du Travail a indiqué publiquement que le gouvernement présenterait une loi de retour au travail. Le 22 novembre 2018, le projet de loi C-89 a été déposé. Le même jour, le syndicat a transmis une offre à l’entreprise et aux médiateurs, mais l’entreprise a refusé de négocier. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 26 novembre 2018 et la loi est entrée en vigueur le 27 novembre 2018.
  3. 389. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, en faisant adopter le projet de loi C 89, le gouvernement du Canada a violé les conventions nos 87 et 98. Elle ajoute que de telles grèves auraient autrement été légales, qu’aucun service essentiel n’était concerné, que les parties avaient conclu un accord sur les services essentiels, que les grèves tournantes n’avaient entraîné qu’un minimum de préjudices pour le public et que la loi prévoit des infractions graves et de fortes amendes.
  4. 390. Le comité prend également note que l’organisation plaignante allègue que la loi remplace le droit de grève en imposant une procédure d’arbitrage qui: i) limite fortement le droit des parties de choisir leur propre arbitre, mutuellement acceptable, puisque les parties ne peuvent proposer chacune que trois personnes qu’elles estiment qualifiées, et il revient au ministre de choisir l’arbitre s’il n’y a aucun nom en commun; ii) empêche les parties de définir les points litigieux à soumettre au processus de médiation-arbitrage et confère ce pouvoir au ministre; iii) limite fortement le droit des parties de définir un processus d’arbitrage mutuellement acceptable et confère ce pouvoir à un médiateur-arbitre; et iv) limite à maximum quatorze jours le droit des parties d’entamer un processus de médiation pour une durée de leur choix.
  5. 391. Le comité note que le gouvernement récuse la manière dont l’organisation plaignante a qualifié la loi et demande que la plainte soit rejetée. Il prend note, d’après les informations générales fournies par le gouvernement, que: i) les activités du SFMC sont un bel exemple de son attachement au règlement positif des différends du travail; ii) Postes Canada, une société d’État soumise à la législation fédérale sur les relations industrielles, est un moyen essentiel pour les personnes âgées ou handicapées ou qui vivent dans des régions rurales et éloignées de se procurer des produits et des biens de première nécessité, tels que des médicaments délivrés sur ordonnance, et de recevoir les chèques de pension de retraite ou les prestations d’aide sociale ou d’autres aides publiques envoyés par la poste par les autorités fédérales, provinciales et territoriales; iii) les relations, de longue date et houleuses, entre Postes Canada et le STTP en matière de négociation collective ont souvent été à l’origine de grèves; et iv) le gouvernement réitère son attachement aux principes de l’OIT en matière de liberté syndicale et de droit de négociation collective.
  6. 392. Le comité note en outre que le gouvernement explique que: i) il n’a eu recours à la voie législative qu’après avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour que les parties parviennent à un accord négocié et alors qu’aucun progrès ne semblait poindre à la table des négociations; ii) le mouvement de grève causait un préjudice économique réel à des tiers, car la pression importante qu’il faisait peser sur les activités des entreprises avait des répercussions directes sur les travailleurs, comme des licenciements, des réductions du temps de travail ou des réductions saisonnières des effectifs; iii) malgré le protocole convenu entre les parties, les arrêts de travail avaient des effets considérables sur les organismes de bienfaisance, dont un grand nombre reçoivent la moitié de leurs donations annuelles au cours des trois derniers mois de l’année, et sur les personnes vulnérables, comme les personnes âgées, handicapées ou qui vivent dans des régions rurales et reculées, les populations autochtones et les personnes à revenu modeste et peu instruites qui dépendent davantage des services postaux pour leurs communications personnelles, leurs transactions et la livraison de leurs colis; et iv) la loi offrait aux parties une façon neutre et impartiale de résoudre leurs différends par la médiation et, si nécessaire, l’arbitrage en s’appuyant sur des principes directeurs équilibrés, sans leur interdire de négocier par ailleurs de nouvelles conventions collectives.
  7. 393. Le comité note en outre que le gouvernement signale que: i) si la loi exige que les salariés retournent au travail, elle ne leur interdit pas d’exprimer librement leurs opinions en se livrant à d’autres activités communément associées aux grèves; ii) rien dans la loi n’empêche les parties de choisir ensemble un médiateur-arbitre; iii) les points litigieux ont été définis par les parties; iv) après avoir consulté les parties sur la forme de l’arbitrage, la médiatrice-arbitre a choisi l’arbitrage de différends traditionnel, qui était leur méthode préférée; v) si les parties parviennent à négocier un accord en dehors du processus d’arbitrage, cet accord prend pleinement effet et le processus d’arbitrage prend fin; et vi) les mêmes amendes s’appliquent aux deux parties et ne sont là que pour les dissuader de violer les dispositions de la loi.
  8. 394. Le comité rappelle qu’il a déjà été appelé à examiner l’adoption d’une législation de retour au travail par le gouvernement du Canada dans le cas no 2894. À cette occasion, il avait demandé au gouvernement de mettre tout en œuvre à l’avenir pour éviter de recourir à la législation sur le retour au travail dans le secteur postal et de n’intervenir que pour veiller au respect de tout protocole d’accord sur le service minimum.
  9. 395. En ce qui concerne la loi qui ordonne aux travailleurs des postes de reprendre le travail et qui a mis fin au mouvement de grève, le comité rappelle une fois de plus qu’il a toujours reconnu aux travailleurs et à leurs organisations le droit de grève comme moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux, et le droit de grève peut être restreint, voire interdit: 1) dans la fonction publique uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’État; ou 2) dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 752 et 830.] À cet égard, le comité rappelle qu’il considère que les services postaux ne constituent pas des services essentiels au sens strict du terme. [Voir Compilation, paragr. 842.]
  10. 396. En outre, le comité a déjà été saisi de plaintes concernant le maintien obligatoire des services postaux au détriment du droit de grève dûment exercé. À ces occasions, dont trois cas concernant le Canada, le comité a conclu qu’il serait difficile d’admettre que l’arrêt de tels services est susceptible d’engendrer des conséquences caractérisant les services essentiels au sens strict du terme. [Voir cas no 1451 (Canada), 268e rapport, paragr. 98; cas no 1985 (Canada), 316e rapport, paragr. 321; et cas no 2894 (Canada), 367e rapport, paragr. 336.] Bien qu’il ait toujours été sensible au fait que l’interruption prolongée des services postaux est susceptible d’affecter des tiers totalement étrangers aux différends opposant les parties et qu’elle peut par exemple avoir de graves répercussions pour les entreprises et affecter directement les individus (en particulier les allocataires des indemnités chômage ou d’aide sociale et les personnes âgées qui dépendent du versement de leur pension de retraite), le comité a néanmoins considéré que, quoi qu’il en soit, pour aussi regrettables que soient ces conséquences, elles ne sauraient justifier une limitation des droits fondamentaux à la négociation collective, à moins qu’elles n’atteignent une telle gravité qu’elles mettent en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. [Voir Compilation, paragr. 851.]
  11. 397. Toutefois, le comité rappelle qu’il a estimé qu’un service minimum pourrait être approprié comme solution de rechange possible dans les situations où une limitation importante ou une interdiction totale de la grève n’apparaît pas justifiée et où, sans remettre en cause le droit de grève de la plus grande partie des travailleurs, il pourrait être envisagé d’assurer la satisfaction des besoins de base des usagers. [Voir Compilation, paragr. 867.] Le comité se félicite des mesures prises par les parties au conflit pour adopter un protocole de service minimal concernant le traitement et la distribution des chèques de nature socio économique et la livraison d’animaux vivants. Tout en prenant également note que le gouvernement indique que la grève prolongée risquait par ailleurs d’avoir des effets négatifs importants sur des tiers, comme les personnes âgées, les populations autochtones ou les personnes handicapées, qui dépendent davantage de la poste à cause de leurs moyens financiers limités ou qui vivent dans des zones rurales et reculées, le comité estime que, plutôt que d’imposer purement et simplement la reprise du travail, le gouvernement aurait pu demander aux parties de modifier le protocole de service minimal pour veiller à ce que les besoins fondamentaux des groupes concernés puissent être satisfaits.
  12. 398. En ce qui concerne la longue liste d’exemples fournis par le gouvernement où le mouvement de grève a provoqué ou aurait pu provoquer un préjudice économique réel (contrats entre vendeurs et clients, demandes générées par le commerce électronique, courrier de vente directe, volume important de transactions financières, etc.), le comité rappelle que des considérations économiques ne devraient pas être invoquées pour justifier des restrictions au droit de grève; toutefois, en cas de paralysie d’un service non essentiel au sens strict du terme dans un secteur de très haute importance dans le pays, une fois encore, l’imposition d’un service minimum peut se justifier. [Voir Compilation, paragr. 791 et 868.]
  13. 399. Le comité observe les efforts considérables du gouvernement pour soutenir et encourager les parties à résoudre leur différend, notamment en prévoyant le concours de conciliateurs, de médiateurs et d’un médiateur spécial qui ont rencontré les parties à de nombreuses occasions, y consacrant des centaines d’heures, et les interventions personnelles de la ministre du Travail pour parvenir à la conclusion d’un accord négocié. Le comité prend note de l’indication du gouvernement selon laquelle, le 11 juin 2020, la médiatrice-arbitre a rendu sa décision, qui constitue les conventions collectives révisées entre les parties, en vigueur à partir de la date de la décision jusqu’au 31 janvier 2022. Il note que le gouvernement souligne que sa position selon laquelle la procédure de règlement des différends prévue par la loi était neutre, objective et équitable est soutenue par la décision de la médiatrice-arbitre qui a favorisé la position du STTP sur 14 questions et la position de la Société sur 9 points, tandis que les 11 autres questions ont fait l’objet d’un accord à l’amiable entre les parties.
  14. 400. Le comité rappelle que l’arbitrage obligatoire pour mettre fin à un conflit collectif du travail est acceptable soit s’il intervient à la demande des deux parties au conflit, soit dans les cas où la grève peut être limitée, voire interdite, à savoir dans les cas de conflit dans la fonction publique à l’égard des fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État ou dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption risquerait de mettre en danger dans tout ou partie de la population la vie, la santé ou la sécurité de la personne. Il estime qu’un système d’arbitrage obligatoire par les autorités du travail, lorsqu’un différend n’a pas été réglé par d’autres moyens, peut avoir pour résultat de restreindre considérablement le droit des organisations de travailleurs d’organiser leur activité et risque même d’imposer une interdiction absolue de la grève, contrairement aux principes de la liberté syndicale. [Voir Compilation, paragr. 816 et 822.] Gardant à l’esprit la conclusion de la médiatrice-arbitre selon laquelle les parties n’étaient pas éloignées sur de nombreuses questions et reconnaissant les nombreuses initiatives prises par le gouvernement, le comité invite donc le gouvernement à continuer à faire de son mieux pour éviter de recourir à la législation sur le retour au travail dans le secteur postal et à n’intervenir que pour veiller au respect de tout protocole d’accord sur le service minimal en tenant compte des considérations ci-dessus.
  15. 401. En ce qui concerne le processus de désignation du médiateur-arbitre, tout en rappelant que, en cas de médiation et d’arbitrage de conflits collectifs, l’essentiel réside dans le fait que tous les membres des organes chargés de telles fonctions doivent non seulement être strictement impartiaux, mais doivent apparaître comme tels aussi bien aux employeurs qu’aux travailleurs, afin que la confiance dont ils jouissent de la part des deux parties et dont dépend le succès de l’action, même s’il s’agit d’arbitrage obligatoire, soit maintenue [voir Compilation, paragr. 858], le comité prend dûment note que le gouvernement indique que les parties ont eu la possibilité de participer au choix du médiateur-arbitre mais, n’ayant pas proposé la même personne, la ministre a procédé à sa désignation après avoir demandé l’avis du président du CCRI pour garantir l’impartialité.
  16. 402. En outre, le comité comprend que, comme le souligne le gouvernement, la loi n’empêchait en aucune manière l’employeur et le syndicat de conclure de nouvelles conventions collectives à tout moment avant la soumission du rapport de la médiatrice-arbitre à la ministre. Le comité salue donc l’engagement du gouvernement à privilégier la libre négociation collective en tant que meilleur moyen de parvenir à une convention collective, ainsi que la volonté et les efforts dont il a fait preuve après l’adoption de la loi pour encourager les parties à reprendre les négociations par la médiation et à parvenir à un accord mutuellement acceptable. Le comité note en outre que le gouvernement souligne l’équité et la neutralité de la décision de la médiatrice-arbitre, y compris le fait que 11 des 34 points de décision ont été convenus à l’amiable par les parties.
  17. 403. Plus généralement, le comité note avec intérêt l’indication du gouvernement selon laquelle, de 2016 à la fin 2017, les parties ont participé à des sessions de médiation préventive organisées dans le cadre du Programme de développement relationnel du SFMC en dehors du cycle normal de négociation collective pour améliorer leurs relations. Bien que ces sessions n’aient pas permis d’établir des relations plus amicales dans le secteur postal, il accueille favorablement l’engagement du gouvernement en faveur du règlement constructif des conflits du travail et sa décision de renforcer les capacités du SFMC en augmentant son financement d’un million de dollars canadiens par an de 2019-20 à 2023-24. Dans ce cadre, il encourage le gouvernement à continuer à faire participer les parties afin qu’elles puissent convenir, en dehors du cadre de tout conflit, des méthodes de règlement de celui-ci. Le comité est fermement convaincu qu’un tel système pourrait grandement contribuer à améliorer le climat des relations industrielles dans le secteur et à favoriser la résolution des conflits à la satisfaction de toutes les parties concernées.
  18. 404. Enfin, le comité prend note que l’organisation plaignante allègue que des militants syndicaux, qui ne sont pas membres du STTP, ont été poursuivis pour entrave à la police et méfait à la suite de manifestations pacifiques pour protester contre cette loi sur le retour au travail. Toutefois, il note aussi les observations du gouvernement selon lesquelles les six personnes en question ont été arrêtées par les forces de l’ordre locales pour diverses infractions (par exemple, méfait, intrusion et entrave à l’action des agents de police) commises dans des locaux de Postes Canada après l’adoption du projet de loi sans que ces mesures ne soient liées à des dispositions de la loi. Compte tenu du manque d’informations détaillées de la part de l’organisation plaignante quant à la nature de ces arrestations, le comité veut croire qu’elles n’étaient pas dues au simple fait d’avoir organisé ou participé à une grève pacifique et ne poursuivra pas son examen de ces allégations.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 405. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité invite le gouvernement à continuer à faire de son mieux pour éviter de recourir à la législation sur le retour au travail dans le secteur postal et à n’intervenir que pour veiller au respect de tout protocole d’accord sur le service minimal en tenant compte des considérations formulées dans ses conclusions.
    • b) Accueillant favorablement l’engagement du gouvernement en faveur du règlement constructif des conflits du travail et sa décision de renforcer les capacités du SFMC en augmentant son financement, le comité l’encourage à continuer à faire participer les parties afin qu’elles puissent convenir, en dehors du cadre de tout conflit, des méthodes de règlement de celui-ci.
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