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Rapport définitif - Rapport No. 396, Octobre 2021

Cas no 3361 (Chili) - Date de la plainte: 05-FÉVR.-19 - Clos

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Allégations: Discrimination antisyndicale dans un processus de négociation collective par le rejet pour illégalité de la décision de l’organisation plaignante de mettre fin à une grève et d’accepter la dernière offre de l’employeur

  1. 173. La plainte figure dans des communications de février 2019 (reçue le 28 mars 2019) et du 7 février 2020 du Syndicat du personnel de cabine de Lan Express - LATAM Chile (STCLE), appuyée par la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) et la Centrale unitaire des travailleurs du Chili (CUT).
  2. 174. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans des communications datées du 12 mars et du 3 août 2021.
  3. 175. Le Chili a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 176. L’organisation plaignante allègue une discrimination antisyndicale dans le cadre d’une négociation collective de la part de l’entreprise Transporte Aéreo SA ou Lan Express (ci après l’entreprise), qui a rejeté pour illégalité la décision de l’organisation plaignante de mettre fin à une grève et d’accepter la dernière offre de l’entreprise.
  2. 177. L’organisation plaignante affirme que: i) le 14 février 2018, le STCLE a lancé un processus de négociation collective, et l’entreprise a répondu le 24 février 2018; ii) un différend juridique a surgi à propos d’une clause du contrat – que l’entreprise voulait supprimer – établissant que tout travailleur qui adhère au syndicat deviendra bénéficiaire de l’instrument collectif, différend que la direction du travail et les tribunaux ont résolu en faveur du syndicat; iii) des négociations ont commencé à la table des négociations, qui n’ont pas abouti, et, après l’expiration des délais, l’entreprise a fait sa dernière offre le 23 mars 2018 (offre qui n’a été ni retirée ni rendue inopérante par l’entreprise); iv) après une médiation infructueuse de l’inspection du travail, la grève a commencé le 10 avril 2018; v) à ce moment-là, l’entreprise a fait une nouvelle offre, qui n’a pas été acceptée par l’assemblée du syndicat; vi) le 23 avril 2018, l’entreprise a alors lancé une campagne visant à encourager les grévistes à partir, dans le but de briser le syndicat et de les exclure du processus de négociation; vii) dans ce contexte, l’entreprise a refusé de rencontrer la commission syndicale chargée de la négociation et s’est uniquement engagée à promouvoir la réintégration individuelle des travailleurs; viii) devant le laps de temps écoulé et l’intransigeance de l’entreprise, l’assemblée du STCLE a décidé d’accepter la dernière offre de l’entreprise et de mettre fin à la grève – l’entreprise et l’inspection du travail en ont été informées le 25 avril 2018; ix) le 26 avril, l’entreprise a publié un communiqué indiquant que «malheureusement, la manière dont le syndicat aurait mis fin à la grève n’est pas conforme à la législation en vigueur, raison pour laquelle l’entreprise consulte la direction du travail pour qu’elle se prononce sur la légalité des actions du syndicat» et précisant que, entre-temps, l’entreprise ne pouvait pas considérer la grève comme terminée; x) la directrice du travail, en réponse à la consultation de l’entreprise, a convoqué les parties le 27 avril et a informé le syndicat qu’elle transmettrait la présentation de l’entreprise afin qu’il puisse donner son avis; xi) cependant, avant même que les arguments du syndicat ne soient entendus a été communiquée à ce dernier, dans l’après-midi du même jour, la note no 2044, datée du 27 avril 2018, signée par le chef du service juridique de la direction du travail, indiquant que, l’assemblée du syndicat ayant rejeté la dernière offre de l’entreprise, le syndicat n’a pas respecté l’obligation de mettre fin à la grève et que, par conséquent, son action est illégale et la grève doit être comprise comme se poursuivant. Cette décision administrative soulignait que, selon le Code du travail, les principales modalités juridiques de la fin de la négociation collective réglementée sont la signature de la convention collective par les deux parties et le droit à la réintégration individuelle de chaque travailleur pendant la grève aux conditions figurant dans la dernière offre de l’employeur; et xii) par cette action, l’autorité administrative, en violation du principe d’une procédure régulière, s’est immiscée dans la négociation collective, en décidant que, bien que le syndicat ait décidé de mettre fin à la grève, celle-ci se poursuivait (ce qui, selon l’organisation plaignante, était dans l’intérêt de l’entreprise).
  3. 178. L’organisation plaignante indique que cette décision de l’autorité administrative a contraint le syndicat à saisir les tribunaux: i) une action en protection constitutionnelle a été déposée contre la direction du travail, qui a été rejetée par la cour d’appel le 4 juillet 2018, décision confirmée par la Cour suprême, pour une question de forme (il a été considéré que la protection serait donnée par le juge du travail); ii) à cet égard, une action a été déposée pour qu’un juge du travail se prononce sur la légalité de la décision de mettre fin à la grève et de signer la dernière offre de l’entreprise et, le 25 septembre 2018, la première Chambre du tribunal du travail de Santiago a rejeté la demande en développant une analyse grammaticale de la législation, considérant qu’il n’existait pas de règle expresse autorisant un syndicat à accepter la dernière offre de l’entreprise une fois la grève approuvée, cet arrêt a fait l’objet d’un recours en annulation devant la Cour d’appel de Santiago; et iii) dans ces conditions, l’acte administratif attaqué a continué à produire des effets, de sorte qu’il n’a pas été possible de mettre fin à la grève (le syndicat a demandé aux travailleurs syndiqués de se réintégrer afin d’éviter un grave préjudice économique, mais trois dirigeants syndicaux sont demeurés en situation de grève et sans salaire (pendant neuf mois, à compter de la date de dépôt de la plainte), avec pour conséquence la perte de leur couverture médicale du fait de la dette accumulée auprès de la compagnie d’assurance privée, ainsi que des difficultés pour exercer leur activité syndicale, l’entreprise leur ayant rendu difficile l’accès à leurs lieux de travail habituels pour rencontrer les membres du syndicat).
  4. 179. L’organisation plaignante considère que ces actions de l’entreprise et la décision administrative contestée entravent le processus de négociation collective et ont pour effet que les syndicats évitent d’user de leur droit de grève. Elle considère qu’il s’agit d’actes antisyndicaux discriminatoires qui visent à favoriser l’embauche individuelle (d’un petit groupe de travailleurs, pour avoir levé la grève plus tôt et pour lesquels l’entreprise a considéré que la dernière offre n’avait pas expiré) au détriment de la négociation collective (l’entreprise n’a pas permis au syndicat d’accepter la dernière offre et n’a pas non plus proposé les termes de l’offre aux travailleurs syndiqués qui se sont retirés de la grève ultérieurement). L’organisation plaignante considère donc que les actions des autorités à l’appui de la position de l’entreprise étaient contraires à l’obligation de l’État de promouvoir la négociation collective. L’organisation plaignante demande que son droit de mettre fin à la grève soit reconnu, que les actions alléguées soient considérées comme constituant une pratique antisyndicale, qu’il soit permis aux trois dirigeants syndicaux contraints de rester en grève d’être réintégrés, et que ces derniers perçoivent leurs salaires impayés.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 180. Par une communication datée du 12 mars 2021, le gouvernement a envoyé en réponse les observations de la directrice du travail, qui indique que: i) la plainte porte sur une requête en jugement déclaratoire que l’organisation plaignante a formée contre l’entreprise en vue de déterminer que la cessation de la grève ordonnée par le syndicat le 25 avril 2018 était légale; ii) la première Chambre du tribunal du travail de Santiago a rejeté la demande lors de l’instruction de l’affaire; iii) toutefois, le 2 juillet 2019, la Cour d’appel de Santiago a annulé le jugement attaqué et a rendu un jugement de remplacement admettant l’action en justice; iv) par la suite, l’entreprise a formé un recours en unification de la jurisprudence le 19 juillet 2019 devant la Cour suprême; v) la procédure a été suspendue en raison du dépôt d’une requête en inconstitutionnalité des articles 357 et 358 du Code du travail – une action qui a été rejetée par la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 2 mars 2020; et vi) la procédure suspendue a été reprise et, le 27 avril 2020, la Cour suprême a rendu un arrêt déclarant irrecevable le recours en unification de la jurisprudence déposé par l’entreprise défenderesse. Il convient également de noter que la Direction du travail n’était pas partie à la procédure judiciaire susmentionnée.
  2. 181. L’arrêt de la cour d’appel, qui a par conséquent tranché la question, a donné gain de cause au syndicat demandeur et a établi que: i) la fin de la grève convenue par le syndicat le 25 avril 2018 est légale; et ii) la dernière offre de l’employeur était en vigueur au moment où elle a été signée par le syndicat demandeur, de sorte qu’elle constitue l’instrument collectif applicable aux parties du 1er avril 2018 au 31 mars 2021 et s’applique également aux travailleurs qui ont été réintégrés individuellement (qui ont quitté la grève), une telle réintégration n’étant pas conforme à la loi. La cour d’appel a fait remarquer que l’on ne peut que conclure que, la grève étant un recours légal pour les travailleurs, ce droit n’appartient dans ce cas qu’au syndicat qui a donc toujours entre ses mains la décision de mettre fin à la grève et de reprendre le travail. Dans le même sens, la cour a conclu que la législation en vigueur (loi no 20.940) peut être comprise comme transférant l’exercice du droit de grève et ce qu’il implique, y compris sa cessation dans la procédure réglementée, au syndicat. En outre, la cour a considéré dans son avis que l’ensemble du processus de négociation collective repose sur la bonne foi des parties contractantes et que le fondement de ce type de procédure présuppose que ses participants évitent les comportements qui entravent l’entente entre eux, en vue d’une solution juste et pacifique. Dans ce contexte, la cour a considéré que l’autonomie collective devait prévaloir, autonomie qui s’est manifestée par la proposition de l’employeur (la dernière offre), laquelle ne peut être comprise comme ayant exclu ou perdu sa validité, puisque ses termes ont été respectés par les travailleurs qui ont décidé de se réintégrer individuellement et que la commission de négociation des travailleurs a exprimé son accord pour les accepter afin de mettre fin à la grève. La cour d’appel a considéré que la conclusion du processus collectif par un tel accord était conforme à une interprétation qui donne force au contrat collectif en tant qu’expression de la liberté syndicale et que la concordance des volontés concernant la dernière offre favorisait la solution du conflit et renforçait l’autonomie syndicale et collective.
  3. 182. Par une communication datée du 3 août 2021, le gouvernement a indiqué que la question principale à l’origine de la plainte avait été résolue dans le cadre des institutions du pays et qu’il n’avait pas d’autres informations à ajouter.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 183. Le comité note que la plainte allègue une discrimination antisyndicale dans un processus de négociation collective au cours duquel l’entreprise a rejeté pour illégalité la décision de l’organisation plaignante de mettre fin à une grève et d’accepter la dernière offre de l’entreprise. L’organisation plaignante demande que le droit du syndicat de mettre fin à la grève soit reconnu, qu’il soit permis aux trois dirigeants syndicaux demeurés en grève, en raison du refus de l’entreprise, d’être réintégrés et que ces derniers reçoivent la rémunération qu’ils ont cessé de percevoir.
  2. 184. Le comité note que, suite au dépôt de la plainte, les tribunaux ont tranché l’affaire en faveur du syndicat plaignant, estimant que: i) la fin de la grève convenue par le syndicat le 25 avril 2018 était légale; et ii) la dernière offre de l’employeur était en vigueur au moment où elle a été signée par le syndicat plaignant de sorte qu’elle constitue l’instrument collectif applicable.
  3. 185. Le comité note que, pour trancher la question, le tribunal décisionnaire – la cour d’appel – a conclu que, la grève étant un recours légal pour les travailleurs, ce droit est dévolu uniquement au syndicat, qui a donc toujours entre ses mains la décision de mettre fin à la grève et de reprendre le travail. Le comité note également que la cour a estimé que la conclusion du processus collectif par le biais d’un tel accord était conforme à une interprétation qui donne force au contrat collectif en tant qu’expression de la liberté syndicale, et que le concours des volontés sur la dernière offre favorisait la résolution du conflit et renforçait l’autonomie syndicale et collective.
  4. 186. Le comité prend bonne note de l’arrêt de la cour d’appel et observe que le droit des organisations de travailleurs d’organiser leurs activités inclut nécessairement la possibilité de décider de mettre fin aux actions collectives qu’elles ont initiées.
  5. 187. En outre, le comité note que les informations transmises ne précisent pas si les trois dirigeants syndicaux qui sont demeurés en grève, suite à la décision de l’entreprise de ne pas accepter la cessation de la grève par le syndicat, ont été réintégrés et s’ils ont été remboursés des rémunérations non perçues. Le comité veut croire qu’il en a été ainsi.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 188. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité veut croire que les trois dirigeants syndicaux qui étaient demeurés en grève, à la suite de la décision de l’entreprise de ne pas accepter la cessation de la grève par le syndicat, ont été réintégrés et ont été remboursés des rémunérations non perçues.
    • b) Le comité considère que le présent cas n’appelle pas un examen plus approfondi et qu’il est clos.
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