Jugement n° 4400
Décision
1. Il n’y a pas lieu de statuer sur la première requête. 2. La deuxième requête est rejetée.
Synthèse
Le requérant, ancien fonctionnaire du BIT, conteste les décisions du Directeur général de lui infliger une réprimande, de rapporter sa nomination à un poste de directeur ainsi que la décision de nommer un tiers à ce poste et, in fine, de le renvoyer avec préavis.
Mots-clés du jugement
Mots-clés
Licenciement; Sanction disciplinaire; Requête rejetée; Vie privée; Sanction pénale
Considérant 7
Extrait:
Les deux requêtes successivement introduites par le requérant dans les conditions ci-dessus exposées tendent fondamentalement aux mêmes fins, reposent essentiellement sur les mêmes faits et sont fondées sur une argumentation en grande partie commune. Il y a donc lieu de les joindre pour qu’elles fassent l’objet d’un même jugement.
Mots-clés
Jonction
Considérant 9
Extrait:
Le requérant a sollicité, dans sa première requête, l’organisation d’un débat oral, qui aurait comporté notamment l’audition de certains témoins. Dans la mesure où, comme il vient d’être dit, il n’y a pas lieu de statuer sur la requête en cause, cette demande, qui n’a pas été réitérée dans la deuxième requête, est elle-même devenue sans objet. Eu égard à l’abondance et au contenu très explicite des écritures et des pièces produites par les parties, le Tribunal s’estime, au demeurant, pleinement éclairé sur l’affaire et ne juge donc pas nécessaire d’organiser un tel débat oral.
Mots-clés
Débat oral
Considérant 10
Extrait:
[S]’il résulte certes d’une jurisprudence constante du Tribunal que le chef exécutif d’une organisation internationale est tenu, lorsqu’il statue sur un recours interne par une décision qui s’écarte, au détriment du fonctionnaire concerné, des recommandations formulées par l’organe de recours, d’exposer de manière adéquate les motifs pour lesquels il a estimé ne pas devoir suivre celles-ci (voir, par exemple, les jugements 2339, au considérant 5, 3208, au considérant 11, ou 4062, au considérant 3), il ne saurait cependant être exigé qu’une telle décision se prononce sur l’ensemble des points soulevés dans l’avis de l’organe de recours.
Référence(s)
Jugement(s) TAOIT: 2339, 3208, 4062
Mots-clés
Motivation; Motivation de la décision finale
Considérant 19
Extrait:
Le paragraphe 44 des Normes de conduite de la fonction publique internationale, relatif à la «[c]onduite privée» des fonctionnaires, qui dispose notamment que «les actes qui sont généralement des infractions du droit pénal interne sont normalement aussi considérés comme des violations des normes de conduite de la fonction publique internationale», précise auparavant qu’«[u]ne condamnation par un tribunal national est, non pas toujours mais généralement, considérée comme la preuve convaincante qu’un fonctionnaire international a commis l’acte pour lequel il était poursuivi». Faisant valoir que le principe, posé dans cette dernière phrase, du caractère probant des jugements rendus par les tribunaux nationaux ne vaut, aux termes de celle-ci, que «généralement» et «non pas toujours», le requérant soutient que l’OIT se trouvait, en l’espèce, dans une hypothèse où il lui appartenait de faire jouer cette exception plutôt que de tenir pour acquise la matérialité des faits qui lui étaient reprochés. Mais il est notoire que la restriction qui a été ainsi apportée au principe en cause lors de l’adoption de ces dispositions avait pour seul objet, dans l’esprit des auteurs de celles-ci, de réserver le cas des jugements rendus dans des États où la justice n’offre pas les garanties d’indépendance et d’équité procédurale requises. Dans la mesure où le système judiciaire français satisfait sans nul doute, pour sa part, à cette exigence, c’est donc à bon droit que l’Organisation, à laquelle il n’appartient évidemment pas d’apprécier le bien-fondé d’un jugement rendu par une juridiction nationale et qui n’a d’ailleurs aucun moyen de se livrer par elle-même à des investigations concernant des agissements de la nature de ceux visés en l’espèce, s’est fondée sur le jugement du Tribunal correctionnel pour considérer que les faits reprochés au requérant étaient établis.
Mots-clés
Preuve; Droit national; Conduite; Procédure disciplinaire; Sanction pénale
Considérant 24
Extrait:
[I]l convient de rappeler que, si les organisations internationales ne sauraient certes s’immiscer dans la vie privée des membres de leur personnel, ces derniers n’en doivent pas moins se conformer, y compris dans leur comportement personnel, aux exigences inhérentes à leur statut de fonctionnaire international. Ce principe est notamment posé par le paragraphe 42 des Normes de conduite de la fonction publique internationale, qui mentionne expressément que «[l]e fonctionnaire ne doit [...] pas perdre de vue que la manière dont il se conduit et les activités qu’il mène en dehors de son lieu de travail, même si elles sont sans rapport avec l’exercice de ses fonctions, peuvent nuire au prestige et aux intérêts de l’organisation». S’agissant des fonctionnaires du BIT, ce principe s’impose également, en particulier, en vertu de l’article 1.2 du Statut du personnel, qui dispose que «[l]es membres du personnel doivent, en toutes circonstances, conformer leur conduite à leur statut de fonctionnaire international» et qu’«[i]ls doivent s’abstenir de tout acte [...] qui puisse porter atteinte à la dignité de leurs fonctions». Le Tribunal a du reste maintes fois rappelé, dans sa jurisprudence, que certains comportements d’ordre privé pouvaient valablement faire l’objet, pour ces raisons, d’une procédure disciplinaire (voir, par exemple, les jugements 1584, au considérant 9, 2944, aux considérants 44 à 49, ou 3602, au considérant 13). Au surplus, il convient de relever que, dans la mesure où les faits incriminés étaient en l’espèce constitutifs d’une infraction pénale, ceux-ci ne sauraient être considérés, par définition, comme revêtant un caractère purement privé.
Référence(s)
Jugement(s) TAOIT: 1584, 2944, 3602
Mots-clés
Conduite; Procédure disciplinaire; Vie privée
Considérant 25
Extrait:
[L]e Tribunal estime que les actes reprochés au requérant étaient bien de nature à porter atteinte à la dignité de ses fonctions, ainsi qu’au prestige et aux intérêts de l’Organisation. Le fait de se livrer à des violences conjugales, ce qui constitue un comportement non seulement pénalement répréhensible mais profondément réprouvé par la société, méconnaît en effet manifestement les exigences de rigueur morale et de bienséance que tout fonctionnaire international est astreint à respecter. Les actes en cause portaient donc atteinte, par nature, à la dignité du statut du requérant et des fonctions qu’il exerçait. En outre, l’éventuelle publicité donnée à de tels actes était susceptible de nuire à la réputation et à l’image de l’Organisation, alors surtout que le requérant occupait, au sein de celle-ci, des fonctions de niveau élevé. Ce risque était d’autant plus grand que l’OIT a notamment vocation, au titre des missions qui lui sont confiées par la communauté internationale, à promouvoir le respect de l’égalité professionnelle entre les genres et à lutter contre les violences faites aux femmes dans le monde du travail, et qu’il eût évidemment été fort embarrassant pour le BIT, dans le contexte de la poursuite de ces objectifs, qu’il paraisse tolérer qu’un de ses fonctionnaires se livre lui-même à des violences à l’égard de son épouse. Les faits incriminés étaient donc également de nature à porter atteinte au prestige et aux intérêts de l’Organisation. À cet égard, il y a lieu de souligner que la circonstance que la condamnation prononcée par le Tribunal correctionnel à l’encontre du requérant ait été dispensée d’inscription au bulletin no 2 du casier judiciaire ne suffisait nullement, en pratique, à exclure que des tiers pussent néanmoins acquérir connaissance de l’existence de cette condamnation.
Mots-clés
Intérêt de l'organisation; Violence conjugale
Considérant 28
Extrait:
[C]omme le Tribunal a déjà eu l’occasion de l’affirmer à maintes reprises, le principe non bis in idem, qui interdit seulement de prononcer des sanctions disciplinaires supplémentaires à raison de faits ayant déjà donné lieu à une telle sanction, n’empêche pas qu’il puisse être tiré à la fois des conséquences disciplinaires et non disciplinaires des mêmes faits. Ce principe ne s’oppose ainsi nullement à ce que des mesures de différents ordres, répondant chacune aux intérêts de l’organisation concernée dans le domaine où elle intervient, soient prises en considération d’un même acte ou d’un même comportement d’un fonctionnaire (voir notamment les jugements 3126, au considérant 17, 3184, au considérant 7, ou 3725, au considérant 9).
Référence(s)
Jugement(s) TAOIT: 3126, 3184, 3725
Mots-clés
Non bis in idem
Considérant 29
Extrait:
Selon la jurisprudence du Tribunal, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire au sein d’une organisation internationale dispose d’un pouvoir d’appréciation quant au choix de la sanction infligée à l’un de ses fonctionnaires à raison d’une faute commise par ce dernier. Sa décision doit cependant, dans tous les cas, respecter le principe de proportionnalité qui s’impose en la matière (voir notamment les jugements 3640, au considérant 29, 3927, au considérant 13, et 3944, au considérant 12).
Référence(s)
Jugement(s) TAOIT: 3640, 3927, 3944
Mots-clés
Proportionnalité; Sanction disciplinaire; Pouvoir d'appréciation
Considérant 31
Extrait:
[L]e Tribunal estime qu’une organisation internationale est en droit de demander à ses fonctionnaires de l’informer de l’existence d’éventuelles condamnations pénales prononcées à leur encontre et que ces derniers sont tenus, en application de leurs devoirs de loyauté et d’intégrité, de répondre en toute sincérité à de telles demandes.
Mots-clés
Obligation d'information; Obligations du fonctionnaire; Devoir de loyauté; Sanction pénale
Considérant 31
Extrait:
[I]l y a lieu de considérer que le Directeur général était fondé à sanctionner le requérant à raison des manquements aux devoirs de loyauté et d’intégrité ressortant de ce comportement. Le Tribunal ne peut en effet que renvoyer, à ce sujet, à sa jurisprudence selon laquelle «[l]a confiance, la loyauté et l’honnêteté sont à la base même de la relation entre le fonctionnaire et son employeur; quiconque ose y porter atteinte le fait à ses risques» (voir les jugements 1764, au considérant 14, et 2602, au considérant 20).
Référence(s)
Jugement(s) TAOIT: 1764, 2602
Mots-clés
Honnêteté; Devoir de loyauté
Considérant 20
Extrait:
[O]n ne saurait reprocher à une organisation internationale d’écarter la valeur probante du témoignage d’une personne contraire aux accusations portées par cette même personne devant la justice nationale.
Mots-clés
Preuve; Témoignage
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