Jugement n° 4844
Décision
1. La décision du Secrétaire général du 31 août 2021 ainsi que la décision du 28 novembre 2019 sont annulées. 2. Interpol versera au requérant une indemnité pour tort moral de 5 000 euros. 3. Elle lui versera également la somme de 7 000 euros à titre de dépens. 4. Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Synthèse
Le requérant conteste la décision de supprimer son poste.
Mots-clés du jugement
Mots-clés
Requête admise; Suppression de poste; Réorganisation
Considérant 2
Extrait:
Dans son mémoire en réponse, l’Organisation demande au Tribunal d’ordonner la jonction de ces deux requêtes aux motifs que les deux recours internes que le requérant avait introduits à l’encontre des décisions initiales […] ont fait l’objet d’une jonction ordonnée par la Commission mixte de recours, que le lien qui unit les deux requêtes serait «indéfectible» et qu’une telle jonction lui permettrait de réaliser des économies dans les frais de gestion que représente chaque affaire examinée séparément par le Tribunal. Le requérant déclare s’opposer fermement à cette demande de jonction en faisant notamment valoir qu’en «favoris[ant] une jonction économique des affaires devant le Tribunal», l’Organisation violerait ses propres règles en matière de jonction des recours internes, ralentirait les procédures de recours et aggraverait les conditions d’exercice du droit de recours, administratif et contentieux, y portant ainsi atteinte. Le Tribunal rappelle sa jurisprudence selon laquelle, en principe, le critère déterminant pour joindre des requêtes est qu’elles soulèvent des questions de droit ou de fait identiques ou similaires et il n’est pas suffisant qu’elles s’inscrivent dans la même série d’événements (voir le jugement 4753, au considérant 6). Il a précisé récemment que le coût des jugements est une considération inopérante à cet égard (voir le jugement 4822, au considérant 3). En l’espèce, le Tribunal admet qu’un certain lien existe entre la décision de suppression du poste du requérant […] et celle de résilier son engagement du fait qu’il n’a pas été possible de procéder à sa réaffectation par suite de ladite suppression. Néanmoins, les décisions en question sont de nature distincte, s’inscrivent dans un contexte juridique qui leur est en partie propre et soulèvent des questions de fond différentes. Il convient, en outre, d’observer qu’il n’y a pas d’interdépendance totale entre les deux décisions, étant donné qu’une mesure de suppression de poste peut ensuite être suivie d’une décision de réaffectation, ce qui conduirait à un tout autre résultat qu’une résiliation d’engagement. Il importe peu à cet égard que la Commission mixte de recours ait considéré, dans le cadre de ses propres prérogatives, qu’il y avait lieu de joindre les deux recours internes qui lui étaient soumis. Pour ces raisons, le Tribunal n’ordonnera pas la jonction de ces deux requêtes au regard de la jurisprudence précitée.
Référence(s)
ILOAT Judgment(s): 4753, 4822
Mots-clés
Jonction; Considérations financières
Considérant 3
Extrait:
En vertu d’une jurisprudence constante du Tribunal, une décision relative à la restructuration des services d’une organisation internationale, telle qu’une suppression de poste, relève du pouvoir d’appréciation du chef exécutif de celle-ci et ne peut faire l’objet, en conséquence, que d’un contrôle restreint. Il appartient cependant au Tribunal de vérifier si cette décision a été prise dans le respect des règles de compétence, de forme et de procédure, si elle ne repose pas sur une erreur de fait ou de droit, si elle n’est pas entachée de détournement de pouvoir et si son auteur n’a pas omis de tenir compte de faits essentiels ou tiré du dossier des conclusions manifestement erronées (voir, par exemple, les jugements 4139, au considérant 2, 4099, au considérant 3, 3582, au considérant 6, 2933, au considérant 10, 2510, au considérant 10, et 1131, au considérant 5).
Référence(s)
ILOAT Judgment(s): 1131, 2510, 2933, 3582, 4099, 4139
Mots-clés
Suppression de poste; Réorganisation; Pouvoir d'appréciation; Rôle du Tribunal
Considérants 4, 6 et 7
Extrait:
Le requérant soutient que la décision de supprimer son poste, qui relevait de la compétence du Secrétaire général, a été prise par la directrice de la gestion des ressources humaines, qui ne disposait d’aucune délégation de pouvoir à cet effet. […] Il est vrai qu’aucune disposition du Manuel du personnel ne détermine expressément l’autorité compétente pour décider, en amont d’une résiliation d’engagement, la suppression de poste susceptible de l’entraîner. Toutefois, il relève de l’évidence que cette autorité ne peut, en l’absence de délégation de pouvoir expresse en la matière, être que le Secrétaire général lui-même, en vertu des pouvoirs généraux que celui-ci tient de sa qualité de chef exécutif de l’Organisation. […] En l’espèce, force est donc de constater qu’Interpol n’a pas été en mesure de produire devant le Tribunal la délégation de pouvoir dont aurait pu se prévaloir la directrice de la gestion des ressources humaines à l’effet de prendre la décision [contestée]. Il découle de ce qui précède que la décision de la directrice de la gestion des ressources humaines […] et, par voie de conséquence, la décision [attaquée], doivent être annulées pour ce motif.
Mots-clés
Délégation de pouvoir
Considérants 6 et 8
Extrait:
La défenderesse soutient […] que la distinction entre la décision de suppression de poste et celle, postérieure, de la résiliation d’engagement par suite de cette suppression serait artificielle. […] Mais […] il s’agit là de décisions distinctes, dont l’une n’est pas la conséquence nécessaire de l’autre et qui, en principe, n’interviennent d’ailleurs pas simultanément. […] Dans la mesure où la décision de suppression de poste n’entraîne pas, par elle-même, la résiliation d’engagement, le Tribunal n’allouera pas de dommages-intérêts pour tort matériel à raison de cette annulation.
Mots-clés
Suppression de poste; Licenciement
Considérant 11
Extrait:
Enfin, le requérant se plaint du fait que la procédure de recours interne aurait duré dix-neuf mois, ce qui serait «totalement excessif» au regard des circonstances de l’espèce. […] Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie du Tribunal, d’une part, le caractère déraisonnable du délai d’examen d’un recours interne doit être apprécié à la lumière des circonstances propres à chaque affaire et, d’autre part, le montant de la réparation susceptible d’être accordée à ce titre dépendra normalement, en principe, de deux facteurs essentiels, à savoir la durée du retard et les conséquences de celui-ci pour le fonctionnaire concerné (voir, par exemple, les jugements 4727, au considérant 14, 4684, au considérant 12, 4635, au considérant 8, 4173, au considérant 12, et 3160, au considérant 17). En l’espèce, le Tribunal constate qu’il s’est écoulé un délai de dix neuf mois entre le dépôt du premier recours du requérant, […], et la notification de la décision du Secrétaire général statuant sur celui-ci […]. Au regard de la nature de la décision contestée, qui était susceptible de mettre en cause le maintien même de la relation d’emploi entre le requérant et l’Organisation, un tel délai doit être regardé, dans l’absolu, comme excessif. Mais, le Tribunal relève à cet égard que: – l’Organisation a établi que la pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement qui avaient été imposées par les autorités françaises avaient eu pour effet de substantiellement ralentir, du moins dans un premier temps, l’examen des recours internes par la Commission mixte de recours, laquelle doit, notamment, suivre une procédure collégiale et contradictoire; – la Commission mixte de recours avait, en cours d’instruction, estimé nécessaire de réclamer à l’Organisation des informations supplémentaires; – des écrits additionnels ont été communiqués par les parties à la Commission en cours de procédure; – l’examen du recours a été retardé par divers incidents de procédure; – le Secrétaire général, après avoir reçu l’avis de la Commission, a estimé nécessaire de procéder à des vérifications complémentaires […]; – les éléments d’information complémentaires recueillis ont été communiqués au requérant […] et un délai d’un mois lui a été accordé pour réagir. Dans ces conditions, le Tribunal estime que le délai dans lequel a été rendue la décision attaquée […] n’est pas de nature à justifier l’attribution d’une indemnité à ce titre.
Référence(s)
ILOAT Judgment(s): 3160, 4173, 4635, 4684, 4727
Mots-clés
Tort moral; Retard dans la procédure interne
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