Traduction du Greffe, seul le texte anglais fait foi.
QUARANTE-HUITIEME SESSION ORDINAIRE
Affaire GARCIA et MARQUEZ (No 2)
Jugement No 496
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF,
Vu la requête dirigée contre l'Organisation panaméricaine de la santé (PAHO) (Organisation mondiale de la santé) formée par les sieurs García, Juan César, et Márquez, Miguel, le 6 mai 1981, la réponse de l'Organisation en date du 1er juillet 1981, la réplique des requérants du 24 juillet 1981 et la duplique de la PAHO du 1er septembre 1981;
Considérant que les deux requêtes portent sur les mêmes questions et qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision;
Vu le mémoire en date du 27 juillet 1981, fourni à la demande du Tribunal par l'Association du personnel de la PAHO et le mémoire de l'Organisation du 1er septembre 1981 présentant ses observations sur le mémoire de l'association;
Vu les réponses à un questionnaire du Tribunal, fournies le 22 octobre 1981 par les requérants et le 28 octobre 1981 par l'Organisation, et les observations sur ces réponses communiquées le 25 novembre 1981 par l'Organisation et le 1er décembre 1981 par les requérants;
Vu les demandes d'intervention présentées par les personnes énumérées ci-après :
Mme Mercedes Alonso,
Mme Eleonor Ambler,
M. Juan Carlos Arietio,
Dr Micheline Beaudry-Darismé,
M. José Carlos Campagnaro,
Mme Libia Victoria Cerezo,
Mme Berta Chiari,
Mme Nélinda Cubile (précédemment Subiela),
Dr Miguel Dicancro,
Mme Sara Espínola,
Mme Josefina García,
Dr George Gillespie,
Mme Olinda Glorioso,
Mme Luz María Gluecksmann,
Mme Sylvia López-Calleja,
M. Benjamin Mejía,
Mme Maria de los Angeles Muñoz,
Mme Isabel O'Connell,
Mme Violeta Ortega
Mme Miguela Pérez Esandi,
Dr Julio César Perrone,
Mme Edith Quiñones,
Mme Patricia Rodrí1guez,
Dr Héctor Olivares Silva,
M. Arnaldo Trenchi,
Dr Maria del Carmen Troncoso,
M. Terrence Woods,
M. Francisco Zepeda,
et les observations de l'Organisation à cet égard, notamment les observations du 7 août et du 2 septembre 1981 au sujet de l'intervention du sieur Campagnaro;
Vu les articles II, paragraphe 5, VII, VIII et X, paragraphe 1, c) du Statut du Tribunal et 17, paragraphe 2, du Règlement du Tribunal et les articles 910, 920, 930, 1230 et 1240 du Règlement du personnel de la PAHO;
Après avoir procédé à l'examen des pièces du dossier, la procédure orale n'ayant été ni sollicitée par les parties ni ordonnée par le Tribunal;
Vu les pièces du dossier, d'où ressortent les faits suivants:
A. L'affaire remonte à 1978, alors que le sieur García était président et le sieur Màrquez vice-président d'un comité représentant le personnel de la PAHO et connu sous le nom de Comité du personnel. Il s'agit de fonctionnaires de grade P.5, le sieur García étant en poste à Washington et le sieur Márquez au Nicaragua. Les événements qui ont donné lieu à la première requête introduite par les requérants, dont la présente est une suite, sont résumés au paragraphe A du jugement No 408. Les requérants avaient saisi le Comité d'enquête et d'appel de la PAHO en octobre 1978, mais ils avaient acquis la conviction que cet organisme ne connaîtrait pas de leur cas et que le litige avait abouti à une impasse. Aussi avaient-ils retiré leur appel pour présenter le 17 mai 1979 leur première requête au Tribunal de céans. Dans le jugement No 408, le Tribunal a estimé qu'il n'y avait pas de motif valable de dessaisir le comité d'un appel dont rien ne l'empêchait de connaître, qu'une exception à la règle de l'épuisement des voies de droit interne ne se justifiait pas et que les requêtes devaient être rejetées de ce fait. Les requérants ont immédiatement saisi à nouveau le comité. Les intervenants étaient au nombre de 38. Les requérants alléguaient que l'administration leur avait refuse "individuellement et collectivement le droit d'association'' garanti par l'article 910 du Règlement du personnel* (*L'article 910 a la teneur suivante : "Dans tous les bureaux ou lieux d'affectation, le personnel a le droit de constituer une association officielle en vue de mettre sur pied des activités l'intéressant et de faire connaître ses propositions et son opinion au Bureau sur toute question concernant les principes et les conditions de travail applicables au personnel.") et qu'elle compromettrait leurs "possibilités de représenter les vues du personnel ... auprès de l'Organisation", ce qui est garanti par l'article 920 du Règlement du personnel*. (*L'article 920 a la teneur suivante : "Dans toutes les consultations qui portent sur les principes ou les conditions du travail applicables au personnel, les représentants-dûment élus du personnel sont reconnus par le Bureau comme exprimant les vues de la partie du personnel qui les a élus."). Dans son rapport daté du 8 décembre 1980, le comité avait conclu au rejet de l'appel, étant donné surtout que les réparations demandées n'étaient pas réalisables. Dans trois recommandations spéciales, toutefois, il avait tenté de bien faire comprendre à l'administration que le Règlement du personnel visait à conférer aux intéressés un "droit d'association qui ne saurait être limité" et proposait d'amender les textes de manière à définir clairement les divers éléments - pratiques ou touchant à la procédure - de la représentation, et d'établir conjointement un mécanisme officiel d'examen des doléances. Dans une lettre en date du 5 février 1981 notifiée aux requérants le 9 février, le Directeur a entériné la conclusion, mais non pas les recommandations. C'est la décision définitive attaquée devant le Tribunal de céans.
B. Les requérants font valoir qu'ils sont membres de l'Association du personnel et qu'ils l'ont toujours été au moment des faits, époque à laquelle ils étaient tous deux des représentants élus de leurs collègues. Les intervenants sont ou ont été membres ou responsables élus de ladite association. Les requérants retracent dans le détail l'historique récent des relations entre l'administration et l'association, affirmant que l'antagonisme entre les parties a commencé en 1976, alors qu'un membre du personnel avait disparu en Argentine et que l'association pressait le Directeur de procéder à des enquêtes. La question est résumée au paragraphe A du jugement No 408. Les requérants donnent également des détails sur la façon dont ils ont été traités qui, à leurs yeux, constitue des représailles dictées par leurs activités syndicales. Des mémoires contiennent aussi des renseignements sur les mesures prises à l'égard des intervenants et qui constitueraient également des représailles: non-renouvellement de nomination, transfert à d'autres lieux d'affectation, suppression du poste, appréciation défavorable et inéquitable du travail fourni, réduction des attributions, abaissement du statut et autres agissements propres à les harceler. Pour les requérants, l'administration leur a refusé par cette façon d'agir, à eux et au personnel en généra], l'exercice de la liberté d'association, d'assemblée et de représentation au mépris des articles 910 et 920 du Règlement du personnel ainsi que des principes universels du droit. A leur avis, il est évident que le Directeur a voulu discréditer les responsables syndicaux, diviser le personnel en poussant à la constitution d'associations dissidentes, imposer silence à l'Association du personnel en lui refusant des facilités de communication et "détruire, démoraliser et rabaisser" les responsables de l'association. A partir de 1978 et tout au long de 1979, des décisions d'administration du personnel défavorables aux représentants du personnel ont été prises en nombre sans précédent et les circonstances donnent à penser que ces mesures étaient liées aux activités syndicales. Le refus soudain, en 1978, de facilités de communication entre les représentants du personnel et leurs mandants a été une mesure arbitraire et punitive. L'usage de ces facilités n'a pas été rendu à l'association. Les requérants demandent donc des réparations qu'ils qualifient d'”individuelles et collectives": 1) que l'administration verse à l'Association du personnel les contributions retenues à tort depuis 1978; 2) qu'elle rembourse à l'association toutes les dépenses engagées pour l'envoi de télégrammes, de télex, etc... par le canal d'entreprises commerciales; 3) qu'elle verse 100.000 dollars des Etats-Unis de dommages-intérêts pour tort moral au personnel et à ses représentants, la somme devant être versée au Fonds de défense juridique de l'Association du personnel; 4) qu'elle paie 10.000 dollars des Etats-Unis à titre de dépens; 5) que le Comité d'enquête et d'appel soit constitué en un "comité d'examen des doléances"et 6) que le Tribunal accorde tout autre dédommagement qu'il jugera bon.
C. Dans sa réponse, l'Organisation soutient que les requêtes sont irrecevables. Le Tribunal ayant rejeté les requêtes originales, les requérants et les intervenants n'étaient pas habilités à s'adresser à nouveau à l'organisme interne d'appel, dont ils avaient méprisé la compétence, et ils sont donc forclos. Quant à savoir s'ils pouvaient rouvrir la procédure en alléguant des violations répétées de leurs droits, le Comité d'enquête et d'appel constate que la seule violation possible était constituée par la restriction qui aurait été mise à l'emploi de certaines facilités, mais il a omis de déterminer si pareille mesure pourrait constituer un cas d'inexécution du contrat d'emploi de membres du personnel. En fait, modifier la nature des facilités accordées à l'Association du personnel ne viole aucune obligation pourvu que le droit d'association ait été respecté et que les représentants du personnel se soient vu accorder suffisamment de temps libre. Il n'y a donc pas eu de manquement continu à une obligation, propre à rouvrir les délais pour recourir auprès du Comité d'enquête et d'appel. En outre, une fois qu'un appel a été introduit et rejeté, les mêmes faits ne peuvent pas donner lieu à une nouvelle action; les allégations concernent des événements datant de 1978 et de 1979; il y a donc forclusion pour tout appel fondé sur ces faits. De surcroîts, le moyen du sieur Márquez, qui voit dans son transfert une mesure punitive, est irrecevable faute d'épuisement des voies de recours internes. Quant aux interventions, la PAHO estime qu'elles sont toutes inadmissibles étant donné qu'aucun des intéressés ne peut se prévaloir d'une identité ou d'une similitude des faits qui serait de nature à créer un intérêt valable au sort des requêtes. En outre, certains d'entre eux se sont pourvus personnellement auprès du Tribunal de céans sur la base de la même série de faits et l'Organisation ne saurait être placée sous la menace d'une "double condamnation". Le recours d'un intervenant est pendant devant le Comité d'enquête et d'appel et son intervention doit être rejetée pour les motifs énoncés ci-dessus. Quelques intervenants ont démissionné de leur plein gré, si bien que leurs prétentions sont éteintes. Un autre intervenant a réglé tous ses litiges avec l'administration par la voie de la négociation lors de la cessation de ses services. D'autres n'ont avancé aucun motif à l'appui de leur demande. En tout état de cause, rien ne prouve l'existence d'un droit à intervenir et, pour pouvoir connaître des interventions, il y aurait lieu d'étudier de manière détaillée, dans chaque cas, les éléments d'appréciation relatifs aux faits. De plus, si les requêtes sont rejetées, les interventions doivent suivre le même sort : les griefs allégués par les intervenants ne sauraient constituer un motif d'action distincte. Sur le fond, l'Organisation soutient que la disparition d'un membre du personnel en Argentine sert ex post facto à justifier l'attitude "agressive" des représentants du personnel envers l'administration; en fait, toutes les mesures qui pouvaient avoir des chances de succès ont été prises pour enquêter sur l'affaire, y compris l'intervention du Directeur général de l'OMS et celle du Secrétaire général des Nations Unies. Depuis 1975, l'administration de la PAHO a fait des efforts très réels pour améliorer les relations avec le personnel et faciliter la tâche de l'Association du personnel. Il est vrai qu'en 1978 les relations se sont tendues à propos de l'emploi, par le comité, des services de communication et de reproduction de documents de la PAHO, et que de ce fait, et en raison du coût, l'administration a restreint et réglementé l'usage du téléphone, des télex et d'autres moyens de communication. Mais en 1979, les relations se sont améliorées et, le 13 août 1980, l'administration a autorisé l'usage de ces facilités pour une période d'essai de six mois. Les arrangements ont été reconduits le 17 avril 1981 pour une année, sous réserve d'un plafond pour le coût des impressions et des télex. Les membres du Comité du personnel ont également bénéficié de temps libre pour s'acquitter de leurs activités à l'association et les représentants du personnel ont créé des groupes de travail conjoints. La PAHO répète l'argumentation qu'elle avait avancée en réponse à la première requête des intéressés, à savoir que les transferts de fonctionnaires ont été décidés dans l'intérêt de l'Organisation; elle relève qu'à l'époque où les faits se sont produits, l'OMS et la PAHO étaient en train de revoir leurs programmes et leur structure, et que la réorganisation signifiait une décentralisation progressive, y compris le renforcement des bureaux extérieurs, et des coupes en ce qui concerne le personnel technique au siège. Aux allégations relatives au fait que les requérants n'avaient pas été autorisés, à titre de punition, à assister à certaines réunions scientifiques, la PAHO réplique que l'affectation aux diverses tâches relève du pouvoir discrétionnaire. Rien non plus ne soutient l'allégation du sieur Márquez, qui voudrait que sa mutation eût constitué une punition. Son affectation en qualité de représentant au Nicaragua avait augmenté ses responsabilités tout en reflétant les modifications apportées au programme de l'Organisation. Enfin, ainsi que le Comité d'enquête et d'appel l'a constaté, il n'y a pas de lien logique entre les réparations demandées et les faits allégués. Les arrangements en vertu desquels l'Association du personnel travaille sont une question administrative et ne relèvent pas de la procédure de recours. En tout état de cause, les raisons de la réduction des facilités accordées ont été expliquées. Le Statut du Tribunal ne prévoit pas l'octroi des réparations collectives demandées : les requérants ne concluent pas à l'annulation de telle ou telle décision individuelle ou à l'exécution de telle ou telle obligation les concernant. Il n'y a pas de disposition non plus qui prévoie l'octroi de dommages-intérêts à une association du personnel. En conséquence, l'Organisation demande au Tribunal de rejeter les requêtes et les interventions, ainsi que de refuser les réparations et les dépens demandés.
D. Dans leur réplique, les requérants soutiennent, à propos de la recevabilité, que l'affaire n'a pas été traitée quant au fond dans le jugement No 408. Le Tribunal a laissé aux requérants le soin de redresser la procédure en saisissant à nouveau le Comité d'enquête et d'appel et il a ainsi été remédié au vice de procédure. Le recours interne n'était pas tardif non plus : à l'origine, il avait été déposé dans le délai de soixante jours prescrit par le Règlement du personnel. Sur le fond, les requérants contestent la manière dont l'Organisation présente et interprète les faits. Les représentants du personnel ont agi avec le zèle voulu, sans agressivité, en insistant pour demander une enquête sur le sort du fonctionnaire qui avait disparu en Argentine. ce tableau que l'administration brosse des relations avec le personnel n'est pas fiable. Ses explications quant à la mutation du sieur Márquez ne sont pas convaincantes; la mesure administrative en sa défaveur a été prise sans rime ni raison, abstraction faite du désir de punir les représentants du personnel. De même, les facilités accordées à l'association lui ont été retirées à des fins punitives; les raisons financières sont erronées. Quant aux interventions, elles sont à la fois recevables et bien fondées. La situation des intervenants est analogue, en fait comme en droit, à celle des requérants. ces uns et les autres ont tous en commun l'appartenance à l'Association du personnel et c'est à ce titre que les intervenants ont eux aussi souffert de mesures administratives défavorables dictées par la partialité à leur détriment, au sens de l'article 1230 du Règlement du personnel. Tous les intervenants étaient membres du personnel et de l'Association du personnel au moment des faits; tous font valoir les torts qu'ils ont subis en raison du non-respect des droits que les articles 910 et 920 du Statut du personnel leur accordent; tous ont vu réduire leurs droits contractuels et tous ceux qui appartiennent encore au personnel ont un intérêt bien déterminé au sort de la requête. Les objections de l'Organisation aux interventions de divers groupes de personnes ne sont pas valides, pour les raisons exposées dans la réplique. Le Tribunal est invité non pas à examiner les circonstances propres à chacun des intervenants, mais bien à déterminer s'il y a eu violation des règles relatives à la liberté d'association. En fait, tout s'est déroulé selon le schéma classique d'un comportement antisyndical, tel qu'il a été décrit dans les mémoires originaux et pleinement corroboré par les preuves documentaires. Le Tribunal peut donc accorder les réparations collectives exposées sous 1), 2) et 3 du paragraphe B ci-dessus. L'article VII, paragraphe 2, du statut permet au Tribunal de connaître de requêtes "affectant toute une catégorie de fonctionnaires", et le Tribunal peut donc accorder une indemnité conformément à l'article VIII. Parler de menace de "double condamnation" n'est pas de mise : il y a suffisamment de sauvegardes pour empêcher que l'Organisation n'ait à payer une double indemnité.
E. Dans sa duplique, l'Organisation maintient que les requêtes sont irrecevables. Lorsque le Tribunal a rejeté les requêtes originales au motif que les requérants, sans excuse valable, n'avaient pas épuisé les procédures internes, les délais prévus par l'article 1230.8.3 du Règlement du personnel pour l'application de ces procédures ne se sont pas rouverts automatiquement. Quant aux interventions, étant donné qu'elles reposent sur l'appartenance à l'Association du personnel, les intéressés ne sauraient avoir droit à réparation sur la base de circonstances individuelles qu'il faudrait examiner à fond. Il ne peut pas y avoir un exposé "collectif" des faits; les faits exposés dans la requête ne concernent que la situation des requérants. Sur le fond, l'Organisation rejette l'idée d'une hostilité manifestée à l'égard des représentants du personnel à cause du cas d'un fonctionnaire qui a disparu en Argentine. L'amélioration des relations avec le personnel a été attestée par le Secrétaire général de la FAFI dans un rapport de décembre 1980. Les facilités accordées à l'Association du personnel ont été réduites en raison de l'usage excessif et parfois mal avisé qu'elle en faisait et, en tout état de cause, ces restrictions n'équivalaient pas à une atteinte au droit d'association. l'article 910 du Règlement du personnel signifie que l'administration ne doit pas entraver l'action des représentants du personnel dans l'exercice des fonctions qui leur incombent en cette qualité: il n'impose nullement à l'administration l'obligation de fournir des facilités, sauf peut-être une quantité raisonnable de temps libre. L'octroi de facilités relève du pouvoir d'appréciation et ne confère pas de droits à des individus. Il ne faut pas assimiler des accords portant sur ces facilités aux contrats d'emploi. L'administration rejette à nouveau, en donnant des explications complètes, l'allégation selon laquelle des représentants du personnel auraient été mutés, licenciés ou humiliés du fait de leurs activités syndicales. Quant à la réparation demandée, le Statut du Tribunal ne prévoit pas de réparation collective et l'octroi d'une indemnité à l'Association du personnel n'entrerait pas dans le cadre de l'article VIII. Le Statut ne prévoit pas non plus l'établissement d'un "comité d'examen des doléances". L'Organisation prie à nouveau le Tribunal de rejeter les requêtes en tant qu'irrecevables ou absolument non fondées.
F. Le Tribunal avait prié l'Association du personnel de la PAHO de dire si, à son avis, l'administration avait appliqué une politique tendant à frapper des membres du personnel en raison de leurs activités à l'association. Dans un mémoire en date du 27 juillet 1981, celle-ci répond qu'à ses yeux, tel a bien été le cas et que l'administration commit de sérieuses violations du droit d'association. A l'appui de sa thèse, elle cite un rapport détaillé sur une mission que la Fédération des associations de fonctionnaires internationaux avait envoyée à la PAHO en septembre 1979, de même que de nombreux autres éléments de preuve. Elle soutient que les relations avec le personnel se sont détériorées au moment où l'administration a réagi de façon inefficace à l'enlèvement d'un membre du personnel en Argentine, en 1976. Depuis lors, l'administration a adopté une attitude combative envers l'Association du personnel, en entravant systématiquement son fonctionnement. L'association donne de nombreux exemples de la politique répressive dont elle fait état, et cela sous quatre rubriques, à savoir la limitation des consultations entre le personnel et la Direction l'ingérence administrative dans les activités internes de l'association, y compris l'encouragement à la création d'un syndicat dissident au Centre panaméricain des zoonoses (CEPANZO) en Argentine, la constitution en 1979 d'un comité du personnel à sa dévotion et les restrictions en matière de tenue des réunions; le refus ou la limitation de certaines facilités, telles que bureaux, utilisation des télex et d'autres services de communication, et l'élimination de dirigeants syndicaux à la suite de mesures abusives de gestion du personnel, telles que mutations et non-renouvellements d'engagement sous prétexte d'une réorganisation de la PAHO, avec exemples à l'appui à propos de ce dernier point.
G. Dans un mémoire daté du 1er septembre 1981, également accompagné de nombreux éléments de preuve, la PAHO formule des observations au sujet du mémoire de l'Association du personnel. Elle nie fermement s'être fait une règle de frapper de sanctions des membres du personnel en raison de leurs activités syndicales. L'association s'est servie de la disparition d'un fonctionnaire en Argentine comme d'un prétexte pour présenter de nouvelles revendications, en dépit de tous les efforts pour améliorer les relations professionnelles. L'administration consulte les représentants du personnel sur toute une série de questions, dont elle donne des exemples. Elle ne s'est pas mêlée des affaires internes de l'association. En fait, l'Association du personnel n'a pas nécessairement le monopole de la représentation des fonctionnaires, qui peuvent adhérer à n'importe quel genre d'association pourvu que l'affiliation ne soit pas incompatible avec leur statut officiel. La création d'une association du personnel professionnel au CEPANZO n'a pas constitué une pratique déloyale en matière de travail. Le Comité du personnel a été dûment élu en 1979. Quant à la prétendue élimination de responsables syndicaux, le transfert d'un des représentants du personnel ne prive pas ses collègues des avantages de son action en qualité de dirigeant : un membre du personnel n'est pas à l'abri des incidents normaux du service tout simplement parce qu'il se trouve représenter le personnel et, en tout cas, il peut toujours continuer à exercer des activités syndicales en son nouveau lieu d'affectation. Les membres du personnel mentionnés par l'association n'ont pas tous été licenciés, contrairement à ce que l'on pourrait croire d'après le mémoire de l'association. La réorganisation des programmes et les contraintes budgétaires ont conduit à des réductions d'effectifs. Il n'y a eu ni éviction ni expulsion de dirigeants syndicaux pour les motifs allégués par l'association. Depuis 1973, indépendamment des fonctionnaires qui ont pris leur retraite ou ont démissionné, il n'a été mis fin aux services que d'un seul membre du Comité du personnel (la dame Beaudry-Darismé) et de nombreux représentants du personnel ont été promus ou ont participé à des cours de formation. Des années durant, les relations avec le personnel ont été difficiles, mais il n'est pas établi qu'il y ait eu tentative délibérée de bafouer le droit d'association.
H. Le Tribunal a adressé, le 25 septembre 1981, un questionnaire aux requérants et à l'organisation défenderesse et a demandé à chacune des parties de présenter ses observations sur la réponse de l'autre partie à ce questionnaire. Le Tribunal avait posé les questions suivantes :
1) Au moment où les facilités auraient été retirées soudainement, quelles étaient celles dont l'Association du personnel jouissait ? Lesquelles d'entre elles ont été retirées ?
2) Prière d'exposer comment et quand chacune des facilités retirées avait été instituée, en produisant et en identifiant toutes les pièces écrites - lettres, notes internes, mémoires, etc. - établissant son institution.
3) Prière d'indiquer comment et quand chacune de ces facilités a été retirée en produisant et en identifiant toutes les pièces écrites ainsi qu'il est dit ci-dessus.
4) Quelle est, à votre avis, la raison du retrait ? Si elle ne se dégage pas de la documentation écrite, prière de dire pourquoi vous croyez que c'est pour la raison que vous indiquez.
Chaque partie fut également invitée à formuler des commentaires sur les observations de l'autre en réponse au questionnaire. Il ressort des mémoires que les facilités dont bénéficiait l'association étaient notamment les services d'une secrétaire; la mise à sa disposition de locaux; l'octroi de congés administratifs pour les responsables de l'association; l'utilisation des services d'impression et de reproduction et des moyens de communication (téléphone, télex, etc.); et le versement d'une contribution annuelle de l'Organisation (dont le montant était à l'époque de 1.500 dollars des Etats-Unis). Ces facilités ont été accordées à l'association dès sa création et elles se sont développées par la suite en vertu, par exemple, d'un accord formel conclu en 1976. Un autre accord signé en 1978 n'a apparemment jamais été appliqué.
I. Selon les requérants, l'utilisation par l'Association du personnel des services d'impression et des moyens de communication a été entièrement supprimée. L'Organisation insiste sur le fait que le fonctionnement de l'association n'a pas été entravé, même s'il y a eu réduction ou restriction de certaines facilités. Les deux parties sont d'accord pour faire remonter les restrictions à l'époque de la 20e session de la Conférence. Selon l'Organisation, les mesures prises sont une conséquence du fait que l'association s'était adressée directement aux gouvernements au mépris de la pratique établie au sein des Nations Unies. Les requérants expliquent que ce que l'association a fait, c'est d'envoyer un télégramme à la Conférence et une lettre aux délégués à la Conférence et que la réaction de l'administration était disproportionnée, puisqu'elle empêchait les communications avec les membres du personnel des services extérieurs et avec les sections de l'association.
CONSIDERE :
Sur la recevabilité
1. En l'espèce, la procédure s'est ouverte le 31 octobre 1978 lorsque les requérants ont saisi le Comité d'enquête et d'appel en formulant pour l'essentiel les mêmes allégations que dans la présente requête. La suite de la procédure entamée devant le comité est résumée au paragraphe A du jugement No 408 du Tribunal. Le 17 mai 1979, estimant que le litige avait abouti à une "impasse", les requérants se sont pourvus devant le Tribunal de céans. Le 25 juillet 1979, leur représentant a écrit à la secrétaire du comité pour l'informer de la mesure prise par ses mandants, en ajoutant : "Nous dessaisissons donc le Comité de ladite affaire."
2. Lorsque la requête introduite dans ces circonstances est parvenue au Tribunal, l'Organisation a soulevé l'objection d'irrecevabilité, au motif que les dispositions de l'article VII, paragraphe 1er, du Statut du Tribunal, qui exigent l'épuisement de tous les moyens de recours internes, n'avaient pas été respectées. Les requérants ont soutenu que l'Organisation avait usé de manoeuvres pour retarder la décision du Comité". Le Tribunal a estimé que, même si l'attitude de l'Organisation "prête à la critique, elle n'autorise pas les requérants à renoncer à une décision du Comité d'enquête et d'appel". De ce fait, il a rejeté les requêtes par son jugement No 408. Les requérants ont alors "soumis à nouveau" l'affaire au comité. Celui-ci a accepté d'examiner l'appel et constaté que "la demande des intéressés ne peut pas être admise". Le Directeur s'est prononcé en conséquence le 5 février 1981 par la décision qui est maintenant attaquée devant le Tribunal. L'Organisation prétend que l'appel au comité était irrecevable et que, de ce fait, la requête au Tribunal l'est également. Elle se fonde sur deux motifs : en premier lieu, la requête précédente avait été rejetée par le Tribunal dans le jugement No 408; en second lieu, l'appel interjeté auprès du comité avait été retiré et tout nouveau recours à cet organisme serait tardif.
3. Le premier motif ne peut pas être retenu. L'appel avait été rejeté en tant qu'irrecevable. Cela n'empêche nullement la présentation d'un second appel si l'objection d'irrecevabilité peut être surmontée. L'Organisation soutient que la décision formelle du Tribunal disant simplement "les requêtes sont rejetées", sans ajouter une formule telle que "en tant qu'irrecevables", il faut admettre que les requêtes avaient été rejetées sur le fond quand bien même le Tribunal ne les avait pas examinées quant au fond. C'est une erreur. Même si l'on ne considère que le libellé de la décision, il est dit que les requêtes ont été rejetées "par ces motifs"; or les motifs ne concernent évidemment que la recevabilité.
4. Le second motif n'est pas admis non plus, encore qu'il soulève une question plus délicate. Il y a des circonstances qui autorisent une exception à la règle de l'épuisement des moyens de recours internes. Dans son jugement No 408, le Tribunal a déclaré qu'il eût été possible de déroger à ce principe "si l'intention de ne pas rendre de décision dans un délai normal [avait résulté] clairement de l'attitude du Comité d'enquête et d'appel". Le Tribunal a toutefois considéré que si le comité avait fait preuve d'une patience excessive envers l'Organisation, il n'avait pas manifesté une telle intention. Néanmoins, les requérants ne s'étaient pas pourvus à la légère et, cela étant, ils ne sauraient être contraints de choisir entre, d'une part, s'exposer au risque d'atermoiements injustifiés et inexcusables et, d'autre part, perdre toute possibilité d'obtenir satisfaction. Lorsque le comité est informé d'un recours direct au Tribunal et ne l'estime pas futile, il devrait en règle générale suspendre l'instance jusqu'à ce que le résultat de la requête soit connu. Pareils recours seront rares et il est peu probable que le retard porte préjudice à quiconque, à l'exception des requérants eux-mêmes. En l'espèce, les requérants n'avaient évidemment pas l'intention de renoncer à leur appel; ils voulaient en accélérer l'examen. Sur le plan de la procédure, ils ont commis une erreur en demandant le retrait, mais il s'agissait d'une situation sans précédent, à laquelle la passivité de l'Organisation avait contribué. En l'occurrence, il n'y a pas lieu d'opposer aux requérants une erreur de procédure.
Sur la forme de la procédure
5. Les requérants sont des membres du personnel de l'organisation défenderesse qui, au moment des faits, appartenaient au Comité de l'Association du personnel; le premier, le sieur García, en était le président (voir plus loin paragraphe 10). Il est dit dans le dossier qu'ils ont été tous deux victimes des mesures punitives dont il est question au paragraphe 16 ci-après. Cependant, ils ne demandent aucune réparation à ce titre. Leurs conclusions portent uniquement sur le fait que l'administration n'aurait pas applique les dispositions 910 et 920 du Règlement du personnel et qu'elle aurait enfreint le principe de la liberté d'association.
6. Ledit principe est accepté par l'Organisation et, selon l'article VIII du Statut du personnel (intitulé : "Relations avec le personnel"), le Directeur prend les dispositions nécessaires pour assurer la participation des membres du personnel à la discussion des mesures qui les intéressent; le Règlement du personnel donne effet à ce principe en prévoyant, notamment, que le personnel a le droit de constituer une association officielle en vue de mettre sur pied des activités l'intéressant et de faire connaître son opinion au Bureau sur toute question concernant les principes et les conditions de travail applicables au personnel, que les associations du personnel ont le droit de demander une cotisation volontaire à leurs membres et que le Bureau peut accorder une aide financière à ces associations pour leur permettre d'entreprendre des activités utiles au personnel, sous réserve que les membres de l'association contribuent eux-mêmes de façon importante à soutenir ces activités. Les droits conférés par ces dispositions doivent être rapprochés de ceux qui découlent du principe général; par souci de concision, tous seront désignés ci-après par l'expression "droit d'association". Par chaque contrat d'engagement, l'Organisation accepte, en tant qu'élément des termes du contrat, l'obligation de ne pas porter atteinte au droit d'association. En conséquence, toute décision de l'Organisation qui entraîne une violation de ce droit peut être attaquée par tout titulaire d'un tel contrat. Les requérants sont dans ce cas.
7. Conformément à l'article X 1.c) du Statut du Tribunal et à l'article 17.2 de son Règlement, toute personne ayant accès au Tribunal, aux termes de l'article II du Statut, peut demander à intervenir dans une affaire en faisant valoir qu'elle est titulaire de droits susceptibles d'être affectés par le jugement qui doit être rendu. L'Association du personnel, en sa qualité d'association officielle créée en application de la disposition 910 du Règlement du personnel, demande à intervenir en tant que "personne morale". Point n'est besoin de décider si l'association possède ou non la personnalité morale. Si l'on admet qu'elle la possède, il ne s'agit pas d'une personne ayant un contrat d'engagement à l'Organisation, de sorte qu'elle n'a pas accès au Tribunal aux termes de l'article II. L'intervention n'est pas recevable.
8. Vingt-huit personnes ont présenté une demande d'intervention. Selon le dossier, plus de la moitié des intervenants auraient fait l'objet de mesures punitives analogues à celles qui auraient frappé les requérants. Cependant, comme ceux-ci ne demandent aucune réparation du fait de ces mesures, les interventions ne sont pas pertinentes. En effet, l'intervenant doit être titulaire d'un droit susceptible d'être affecté "par le jugement qui doit être rendu"; aucune conclusion n'étant déposée à ce sujet, aucun jugement ne sera rendu et la possibilité que, dans les considérants conduisant au jugement, certaines constatations se dégagent, qui seraient utiles à une personne désireuse d'intervenir, ne justifient pas l'intervention. Il est en conséquence inutile d'examiner les objections soulevées par l'Organisation à l'encontre de certains intervenants, motif pris qu'ils ont présenté une réclamation individuelle en raison des mesures punitives alléguées.
9. Mais comme c'est une atteinte au droit d'association qui constitue le manquement allégué et qu'il s'agit d'un droit dont tout membre du personnel bénéficie, il est manifeste que tout fonctionnaire est titulaire d'un droit susceptible d'être affecté par le jugement qui doit être rendu. Il n'y a donc aucune nécessité, pour un membre du personnel, de présenter un motif supplémentaire à intervenir. Cependant, l'Organisation argue qu'un certain nombre des intervenants avaient démissionné ou cessé d'une autre façon d'appartenir au personnel au moment de leur intervention; les intéressés doivent avancer un motif particulier pour intervenir.
Sur l'historique de la question
10. L'Organisation a son siège à Washington et des bureaux "sur le terrain", notamment dans les capitales des pays d'Amérique du Sud dans lesquels elle est à l'oeuvre. L'Association du personnel a son centre à Washington et des sections dans d'autres capitales. Le Comité (qui sera qualifié de Comité du personnel) de l'Association du personnel est élu exclusivement par les membres en poste au siège. En 1976, les relations entre le Directeur et l'Association du personnel - ou, ainsi que le Directeur s'exprimerait, le Comité du personnel - commencèrent à se détériorer. Cette année, un membre du personnel fut enlevé; le Comité du personnel estima que le Directeur manquait d'énergie en pressant les gouvernements d'Etats membres à intervenir. Le Directeur estima que le Comité du personnel, qui avait été élu à une grosse majorité mais uniquement du personnel du siège, n'était pas représentatif. En juillet 1977, puis en juillet 1978, le Directeur prit la parole à diverses réunions dans les services extérieurs, durant lesquelles il critiqua le Comité du personnel. Le 17 juillet 1978, il rompit formellement ses attaches avec l'Association du personnel.
11. Selon les requérants, il s'employait à briser l'association en encourageant la formation de sections séparées et d'associations distinctes pour la catégorie professionnelle et pour celle des services généraux. Les requérants qualifient ces activités du Directeur de manoeuvres de division et de tentative élitiste. Ils voient en elles une violation de leur droit d'association : ils se trompent à cet égard. Le Directeur est en droit d'avoir ses idées quant à la forme d'association la plus utile pour l'Organisation. Il ne peut recourir ni aux menaces ni aux incitations pour imposer ses vues aux membres du personnel. Mais le principe de la liberté d'association ne l'oblige pas à garder le silence à ce sujet, pas plus que la loyauté qu'il attend de ses subordonnés n'empêche des critiques mûrement pesées de l'administration. Manifestement, ce sont des domaines dans lesquels, pour assurer le maintien de bonnes relations, les deux parties doivent agir avec une grande circonspection. Mais le Tribunal n'a pas à intervenir en la matière.
Sur les conclusions
12. Les requérants soutiennent que le Directeur a commis diverses violations du droit d'association, qu'ils groupent sous quatre rubriques. Le Tribunal examinera les allégations sous chacune d'entre elles pour décider tout d'abord de la mesure dans laquelle elles appellent l'examen des faits.
13. D'après la première allégation, "le Directeur a discrédité publiquement les dirigeants du personnel en les traitant de fanatiques, d'incompétents et de personnes qui n'étaient pas représentatives de leurs mandants". La seule chose qui ressorte du dossier, c'est qu'à l'occasion d'assemblées du personnel, le Directeur a dit que le Comité du personnel au siège ne représentait qu'une minorité bruyante, et qu'il a qualifié certains de ses membres de "brebis galeuses". Le Tribunal n'a pas à voir si ces observations sont judicieuses ou non. La liberté syndicale n'exige pas que les représentants d'une association soient à l'abri de toute critique. Point n'est besoin de poursuivre l'examen de cette allégation.
14. Selon la deuxième allégation, "le Directeur s'est vigoureusement employé à susciter des scissions dans l'Association du personnel" par exemple en poussant les fonctionnaires du cadre organique à former des associations distinctes. Il est manifeste que le Directeur a approuvé la formation d'une association distincte pour le cadre organique au CEPANZO et qu'il en a encouragé la constitution ailleurs. Rien n'indique, cependant, qu'il ait entravé la liberté de choix des membres du personnel et il n'est donc pas établi qu'il ait enfreint la liberté d'association. Aussi n'est-il pas nécessaire d'examiner cette allégation plus avant.
15. D'après la troisième allégation, "le Directeur a supprimé l'usage de moyens de communication propres à faciliter le fonctionnement de l'Association du personnel dont celle-ci avait disposé dès sa création". Des allégations analogues dans d'autres parties du dossier font état du retrait d'autres sortes de facilités. Or elles avaient toutes été accordées en vertu d'accords, exprès ou implicites, conclus habituellement après consultation entre l'administration et l'association. Il n'est pas contesté qu'en septembre 1978 ou aux environs de cette date, le Directeur avait décidé de retirer ou de réduire pu de modifier plusieurs facilités importantes. L'Organisation soutient qu'il s'agit uniquement de privilèges que l'administration est libre de retirer à son gré et que, par conséquent, son action en la matière échappe à la censure du Tribunal. Ce point soulève une question importante, qui sera examinée séparément.
16. Selon la quatrième allégation, il y avait "un plan d'ensemble orchestré tout en haut de l'Organisation et visant certaines personnes en vue de les punir pour une activité collective : l'exercice de la liberté syndicale et es requérants dressent la liste de vingt-deux cas de fonctionnaires qui, en raison de leurs activités en faveur du personnel, auraient été punis par le licenciement, une mutation forcée ou d'autres mesures analogues. De telles mesures, si elles sont établies, constitueraient certainement une violation du droit d'association. Mais elles établiraient également un flagrant détournement de pouvoir, pour lequel les intéressés pourraient obtenir réparation. L'Organisation objecte qu'elle ne saurait être tenue de réfuter une allégation de nature générale présentée sous cette forme. Cette objection est admise.
Sur le retrait de certaines facilités : le principe
17. Le Tribunal n'admet pas l'affirmation de l'Organisation selon laquelle l'octroi de facilités à l'Association du personnel serait un privilège qui puisse être retiré au gré de l'administration. Dans une certaine mesure, l'association existe parce qu'il est dans l'intérêt de l'Organisation qu'il y en ait une. S'il ne s'agissait que d'une création du personnel, l'Organisation pourrait ne pas s'en occuper et elle n'aurait pas sa place dans le Statut du personnel. L'Organisation fournit des facilités non pas par pure bienveillance, mais parce qu'il est dans son intérêt bien compris que les fonctions dont l'association s'acquitte soient remplies pleinement, de manière compétente. C'est l'intérêt de l'Organisation qui doit présider à l'octroi de facilités; de même, celles-ci ne doivent être retirées en tout ou en partie que si l'intérêt de l'Organisation en exige le retrait.
18. Certes, le Tribunal n'a pas à s'occuper de la moindre réclamation de l'Association du personnel relative à l'inexécution d'accords conclus pour la fourniture de certains services. Ces accords portent effet dans le domaine des relations de travail, dans lequel le Tribunal n'intervient pas. Les allégations selon lesquelles l'administration violerait le droit d'association sont les seules qui relèvent du Tribunal, et des violations des obligations en matière de relations professionnelles, si elles sont suffisamment graves, peuvent être invoquées à l'appui de telles allégations. Dans les deux paragraphes qui suivent, le Tribunal examine dans quelles circonstances il peut s'occuper de manquements de ce genre.
19. En premier lieu, le retrait complet des facilités pourrait équivaloir à une violation du droit d'association. L'Organisation ayant autorisé et encouragé, dans son intérêt, l'Association du personnel à croire qu'elle pourrait compter sur la fourniture de certains services, dont l'association est venue à dépendre pour son existence même, ne saurait, sans une modification du Statut, les retirer ou les restreindre au point de paralyser les travaux de l'association. De même, on pourrait constater qu'il serait impossible de maintenir le contact entre les membres de l'association si ses responsables étaient totalement privés de congé administratif. En l'espèce, les éléments de preuve ne suffisent pas à établir une violation de ce genre.
20. En second lieu, le retrait de facilités pourrait violer le droit d'association, indépendamment de l'ampleur du retrait, s'il était conçu pour contraindre l'association à agir d'une manière que l'administration approuve ou pour la punir d'avoir agi d'une façon qu'elle désapprouve. Ce serait attenter à cette liberté et à cette indépendance qui sont un élément essentiel du droit d'association. Les requérants allèguent que tel était l'objectif du Directeur lorsqu'il a soudainement retiré les facilités en 1978; aussi le Tribunal examinera-t-il les circonstances pour voir si cette allégation est fondée.
Sur le retrait de certaines facilités : la question
21. Si certaines des facilités essentielles avaient été accordées à l'Association du personnel, dès sa création, sans avoir été convenues formellement, d'autres, plus nombreuses et comprenant la plupart de celles qui entrent en ligne de compte en l'espèce, faisaient l'objet d'accords écrits conclus à la suite de consultations entre l'association et l'administration. Deux de ces accords, passés en juin 1976 et en mars 1978 respectivement, datent du mandat du Dr Acuña; il est donc loisible de considérer qu'ils expriment sa façon de concevoir les besoins de l'association au moment de leur conclusion. Le premier d'entre eux spécifiait notamment la durée des congés administratifs et imposait à l'administration la charge de fournir les services d'une secrétaire à plein temps de grade G.5. Le second, daté du 9 mars 1978, autorisait l'Association du personnel à utiliser les moyens de communication de l'Organisation pour les télex, les télégrammes et le courrier, les frais étant supportés par l'Organisation. En règle générale, les appels téléphoniques interurbains devaient être facturés à l'association; il était dit que la contribution en espèces de l'Organisation, qui avait été portée en 1976 de 750 à 1.500 dollars des Etats-Unis par année, devait en partie couvrir ce genre de dépenses.
22. Ces accords prévoyaient la possibilité d'une révision de leurs termes. Pour ce qui est des points qui relèvent de la compétence du Tribunal, le Directeur pouvait décider (sous réserve sans doute d'un préavis raisonnable, question qu'il est inutile d'aborder en l'espèce) de supprimer ou de modifier l'une quelconque de leurs dispositions, non pas arbitrairement mais bien s'il estimait que les intérêts de l'Organisation l'exigeaient. Le 26 octobre 1978, le sieur del Cid, agissant au nom
du Directeur, envoya au président du Comité du personnel une lettre dans laquelle il énumérait les privilèges que l'administration était disposée à accorder au comité pour l'exercice de ses activités. La liste de ces privilèges marquait une réduction très sensible des facilités convenues auparavant. Ainsi, l'Organisation remplaçait la fourniture des services d'une secrétaire à plein temps de grade G.5 par l'obligation de payer 50 pour cent du coût d'un poste G.4, ramenait la contribution en espèces à 750 dollars des Etats-Unis par année, restreignait à la valeur de 250 dollars par an l'usage des télex et des télégrammes, limitait à 500 dollars par année le coût des impressions et des travaux de reproduction alors qu'aucune limitation n'était prévue précédemment, et diminuait substantiellement la durée des congés administratifs.
23. Selon les requérants, le Directeur n'avait pas le droit de faire envoyer cette lettre, laquelle constituait un détournement de pouvoir en ce sens que les mesures :
a) n'avaient pas été prises dans l'intérêt de l'Organisation mais constituaient des représailles contre l'Association du personnel en raison du comportement de ses dirigeants, que le Directeur voulait punir;
b) avaient été arrêtées sans consultations appropriées avec le Comité du personnel et, par conséquent, sans que le Directeur ait pleinement connu et compris les faits pertinents.
Sur le retrait de certaines facilités : les circonstances
24. Par une lettre adressée le 11 mai 1978 au Comité du personnel, l'administration fit un effort notable pour établir des procédures de consultation propres à assurer des relations constructives et harmonieuses. Il devait y avoir des réunions mensuelles, dont la première était prévue le 17 mai, les autres devant avoir lieu par la suite le premier mercredi de chaque mois. Toutefois, les requérants soutiennent que ladite réunion et d'autres, analogues, tenues à un niveau assez bas, étaient dépourvues d'efficacité, l'administration ne prenant pas les décisions qui s'imposaient; on ne faisait que répéter les mêmes choses. Pour ce motif, le sieur García refusa le 17 août de rencontrer le chef du personnel. Le 29 août, le sieur Muldoon écrivit au sieur García, lui disant que son attitude était des plus regrettables et proposant une rencontre en vue de discuter de questions à propos desquelles un accord était en suspens ou des décisions devaient être appliquées. Rien dans le dossier ne donne à penser que les questions en suspens comprenaient une révision des accords relatifs aux facilités. Le 30 août, le sieur García répondit que le dialogue au niveau administratif était stérile "étant donné qu'il apparaît que même les décisions les plus élémentaires incombent au Directeur". Il disait également que "l'administration ne saurait, d'une part, poursuivre ses attaques contre le droit d'association et contre les représentants du personnel et, de l'autre, chercher à promouvoir le dialogue en privé". Il s'agit là d'une référence aux allocutions que le Directeur, ainsi qu'il est dit au paragraphe 10 ci-dessus, avait recommencé à prononcer en juillet 1978. A peu près à ce moment, le personnel interrompit sa participation à tous les organismes mixtes administration/personnel.
25. Le 9 août, l'Association du personnel avait été informée, à son grand étonnement, qu'elle devait quitter les locaux qui lui étaient attribués dans le bâtiment principal, où elle disposait non seulement d'un bureau, mais aussi d'un salon du personnel et d'une cafétéria. Les locaux avaient été prévus à son intention lors de la construction du bâtiment en 1964 et elle en avait eu la jouissance depuis lors. Elle devait déménager dans un bâtiment qui faisait bien partie du "complexe", mais qui était situé de l'autre côté d'une rue très passante. Il ressort du dossier que ce déménagement avait été "étudié minutieusement à plusieurs reprises", mais aucune indication à cet effet n'avait été donnée à l'Association du personnel. Le soin fut laissé à l'un des subordonnés du sieur Muldoon (chef de l'administration) de dire au sieur García que les locaux devaient être libérés "aussitôt que possible" pour être utilisés "à d'autres fins prioritaires". De ce fait et en raison du ressentiment éprouvé par le Comité du personnel devant les attaques déclenchées contre lui par le Directeur dans ses allocutions devant le personnel des bureaux extérieurs en juillet et en août, les relations entre l'administration et le comité se détériorèrent rapidement durant ce dernier mois. Le 11 août, le sieur García écrivit au Directeur pour lui dire que le comité avait été frappé et indigné par la façon déformée dont il avait présenté les choses dans ses déclarations. Le comité invita le président de la Fédération des associations de fonctionnaires internationaux à se rendre à Washington pour étudier la situation; l'administration l'autorisa à prendre la parole devant le personnel, une heure de congé administratif étant accordée à cette occasion. Un échange de télex eut lieu entre le Comité du personnel et le Dr Mahler, Directeur général de l'OMS. Dans son télex, le Comité du personnel énumérait plusieurs des doléances au sujet desquelles des détails ont déjà été mentionnés et demandait au Directeur général d'user de son autorité morale en faveur de la liberté d'association, que le Comité du personnel défendrait "au besoin par des arrêts de travail dans tout l'hémisphère". Le Directeur général répondit le 24 août qu'il était profondément choqué par cette communication et par les menaces qu'elle contenait, qu'il déplorait toute mesure entraînant des communications à des gouvernements et qu'il n'avait aucune preuve d'une violation du droit d'association. Il apparaît que, le 22 août également, le Comité du personnel avait envoyé au gouvernement de la France, du Royaume-Uni et des Bahamas des télex contenant des citations de celui qu'il avait adressé au Dr Mahler.
26. A diverses reprises durant le mois d'août, le personnel constata que les moyens de communication n'étaient pas mis à sa disposition ainsi qu'il avait été convenu. Le 7 septembre, le sieur García écrivit au sieur Muldoon pour demander si c'était sur ses instructions que l'usage des moyens disponibles en matière de courrier, de télex et d'impression faisait l'objet d'une censure préalable. La lettre demeura sans réponse.
27. La 20e Conférence sanitaire panaméricaine devait se tenir pendant la seconde moitié de septembre et réunir les délégués des trente-deux Etats membres de la PAHO. Le Dr Acuña briguait sa réélection au poste de Directeur. L'un des autres candidats était le sieur Dicancro, fonctionnaire uruguayen de la PAHO présenté par le gouvernement de l'Uruguay. Il semble clair qu'a la fin d'août au plus tard, le Comité du personnel avait décidé de présenter à la Conférence, s'il le pouvait, ses arguments en matière de relations professionnelles. Dans sa lettre du 29 août, mentionnée au paragraphe 24 ci-dessus, le sieur Muldoon avait protesté contre "des publications et des déclarations récentes faites par le Comité du personnel au sujet de ses différends avec l'administration" et dit que "vos communications aux gouvernements d'Etats membres sur ces questions d'ordre interne sont absolument inadmissibles". Le 31 août, le sieur Dicancro s'était joint aux autres candidats d'opposition pour envoyer aux trente-deux Etats membres un télégramme faisant part de "leurs profondes préoccupations au sujet des conséquences de la confrontation entre les autorités et le personnel" et proposant une garantie de "respect mutuel entre les autorités et le personnel sur la base du strict respect du Statut et du Règlement du personnel".
28. Le 7 septembre, l'Association du personnel tint une assemblée au cours de laquelle elle adopta deux résolutions. Dans la première, elle chargeait le Comité du personnel de prier la Conférence d'”enquêter sur les mesures administratives qui paraissent violer le Règlement du personnel". Dans la seconde, elle demandait au Directeur "de mettre un terme à son ingérence dans le domaine du droit d'association et de cesser de harceler le Comité du personnel", ainsi que de rétablir les facilités dans les vingt-quatre heures; le Comité du personnel était saisi d'une liste de quatorze points à négocier par l'entremise d'une "commission de médiation" qu'il créerait de concert avec l'administration. La seconde résolution a également été examinée lors d'une autre assemblée de l'Association du personnel, le 12 septembre; il fut alors décidé en outre que, faute de réponse du Directeur au 15 septembre, le Comité du personnel organiserait une journée de protestation et demanderait à la FAFI de prier tous ses membres de s'y joindre. Le 15 septembre, le sieur Muldoon écrivit au sieur García une lettre conciliante dans laquelle il disait, tout en déplorant le ton enflammé des résolutions, que l'administration serait prête, après la Conférence, à discuter les points devant être négociés et qu'elle se féliciterait de toute "information en retour" qui pourrait lui être fournie. Si cela visait à apaiser le personnel, il était trop tard. Le 21 septembre, le président de la FAFI télégraphia aux membres de la fédération qu'il pouvait témoigner personnellement de pressions inacceptables et de violations du droit d'association du personnel, en leur demandant d'envoyer des télégrammes pour appuyer la protestation. La journée de protestation eut lieu le 26 septembre et fut marquée par la tenue de séminaires sur la liberté syndicale et des sujets analogues. Deux télex furent envoyés au sujet de la protestation au Président de la Conférence, l'un par le Comité du personnel au siège et l'autre par celui de la section VI, qui faisaient état de la protestation et du soutien qu'elle avait reçu, et demandaient instamment à la Conférence d'examiner les accusations d'irrégularités portées contre le Directeur.
29. Au moment de cet envoi, la Conférence avait été ouverte. A la troisième séance plénière le 25 septembre, pendant la discussion sur l'adoption de l'ordre du jour, la délégation uruguayenne proposa l'inscription d'une question relative aux prétendues irrégularités administratives imputées au Directeur. Le sieur Gonzalez, de l'Uruguay, dit que sa délégation avait reçu un document intitulé "Hechos que Preocupan al Personal", c'est-à-dire faits qui préoccupent le personnel. Le document portait, dans le coin gauche, le cachet de la PAHO et les mots "Official business SC28", cote qui faisait référence au 28e Comité du personnel, qui était alors en fonction. Le Directeur, qui avait parlé précédemment du déclenchement d'une campagne d'affirmations mensongères, contesta avec la plus grande énergie le caractère officiel du document. Après débat, il fut convenu que la question ne serait pas inscrite à l'ordre du jour mais qu'elle serait étudiée lors d'une séance privée des chefs de délégations. La séance privée se tint à l'issue de la troisième séance plénière et se termina par l'expression de l'entière confiance des participants envers le Directeur. Le 27 septembre, le sieur Acuña fut réélu Directeur par 18 voix contre 14.
30. Le 5 octobre, le Directeur annonça son élection dans un bulletin adressé au personnel. Il disait que la préparation d'une définition plus claire de la base des consultations avec le personnel et la mise au point de mécanismes efficaces étaient au nombre des questions appelant une attention immédiate et qu'il prierait le sieur del Cid, Directeur adjoint, de rencontrer les membres correspondants du personnel pour étudier ce point. Le 12 octobre, le sieur del Cid envoya une invitation au Comité du personnel, qui l'accepta, et une réunion fut organisée pour le 16 octobre.
31. Le 12 octobre également, le Directeur nomma un comité ad hoc de quatre membres du personnel, qu'il désigna "pour examiner les faits et les circonstances découlant des événements qui ont eu lieu avant et pendant la Conférence" à propos de "l'inexécution par des membres du personnel" de leurs obligations aux termes du Statut et du Règlement du personnel. Une demande d'adjoindre à cet organisme des membres désignés par le personnel fut rejetée, de même qu'une protestation contre le fait que les accusation de non-respect des règlements étaient traitées autrement qu'il n'était prévu dans les dispositions statutaires. Toutefois, les seules questions précises que le comité paraît avoir examinées sont, premièrement, la préparation et l'envoi du document "Hechos que Preocupan al Personal" produit par la délégation uruguayenne (voir le paragraphe 29 ci-dessus), à propos duquel il ne dégagea aucune conclusion, et, deuxièmement, le comportement du sieur Dicancro dans ses "contacts avec des gouvernements aux fins d'influer sur certaines mesures officielles qui devaient être prises à la Conférence". Ces "contacts" sont vraisemblablement constitués par le télégramme, envoyé conjointement par divers candidats, dont il est question au paragraphe 27 ci-dessus. A ce propos, le comité exprima l'avis que les mesures prises par le sieur Dicancro "ont à tout le moins jeté un certain discrédit sur l'Organisation et en ont diminué le prestige", effet qui peut avoir été contrebalancé par l'expression de la confiance témoignée au Directeur. Le Tribunal a déjà exprimé ses vues au sujet du télégramme dans son jugement No 427 et ne voit aucune raison de les modifier. Le rapport a apparemment été achevé en décembre; un exemplaire a été remis au Comité du personnel, qui l'a rejeté.
32. Le 16 octobre, le Directeur, sans attendre le rapport du comité ad hoc sur les activités du sieur Dicancro, a écrit à celui-ci pour lui dire qu'il entendait le licencier pour faute grave. Sur ce point, le Tribunal a considéré dans son jugement No 427 (paragraphe 12), que "l'accusation de faute grave est si dénuée de sens et l'insistance mise par le Directeur, avant d'avoir entendu la défense de l'accusé, à s'en servir comme motif de renvoi est si manifeste que le ressentiment fournit la seule explication possible".
33. La réunion entre le sieur del Cid et le Comité du personnel le 16 octobre s'ouvrit par une revendication du comité, que le sieur del Cid accepta de transmettre à l'administration, a savoir que les facilités qui avaient été retirées devraient être "rétablies sur le champ et qu'immédiatement après des discussions devraient commencer quant aux modalités détaillées d'utilisation de ces facilités et à toute limitation qui pourrait être convenue". Les parties se rencontrèrent de nouveau le 24 octobre et le sieur del Cid déclara que la revendication était rejetée. Un débat s'engagea sur les différentes facilités et il fut convenu en fin de compte que chaque partie présenterait le lendemain une proposition écrite, les deux propositions devant être examinées en vue d'aboutir à des décisions. A la prochaine réunion, le 26 octobre, le sieur del Cid produisit la lettre portant cette date qui est résumée au paragraphe 22 ci-dessus et dit que la question était définitivement réglée et ne pouvait faire l'objet d'une discussion. Les participants parlèrent longuement du ton de la lettre et la réunion se termina par une déclaration du sieur García constatant : "nous sommes revenus à zéro".
Sur le retrait de certaines facilités : conclusion
34. Dans les limites indiquées aux paragraphes 17 à 20 ci-dessus, le Directeur dispose de la plus large discrétion pour déterminer l'étendue des facilités que l'Organisation offre à l'Association du personnel et pour leur apporter de temps à autre les modifications qu'il estime opportunes. Ces modifications ne doivent pas être négociées et convenues; il serait erroné d'inférer de l'emploi de ces termes dans le dossier que le Directeur ne peut pas agir unilatéralement. Comme il se doit dans toutes ses décisions, il ne saurait agir sans prendre en considération tous les faits pertinents, ce qu'il ne peut guère faire sans s'enquérir des vues de l'Association du personnel. Mais après les avoir examinées, c'est lui, et lui seul, qui décide. Toutefois, lorsque des changements abrupts, draconiens et étendus sont opérés, tels que ceux dont il est question dans la lettre du 26 octobre, le Tribunal s'attendra normalement à être informé des raisons qui les ont motivés. Tel sera surtout le cas lorsqu'il apparaît que les changements sont le fait d'une décision personnelle du Directeur et qu'ils modifient des arrangements que le Directeur lui-même avait approuvés, six mois plus tôt seulement, pour certains d'entre eux.
35. Dans ses écritures, l'Organisation donne deux raisons des changements étendus qui ont été imposés. La première, c'est le coût excessif que, dit-elle, elle devait supporter. Le Tribunal n'estime pas convaincant cet argument; aucun chiffre n'est mentionné et la question, ainsi que l'on peut s'y attendre, n'est pas de celles qui aient jamais été discutées au cours du dialogue auquel le Comité du personnel était invité à participer. La seconde, c'est l'utilisation du télex pour faire part de doléances à des gouvernements d'Etats membres. Mais il est évident qu'à cet égard, c'est en réalité la communication en soi et non pas l'usage du moyen qui soulève des objections. Il n'est pas nécessaire que le Tribunal détermine si l'Association du personnel a agi correctement ou incorrectement en portant Directement ses doléances à la connaissance de ces gouvernements; quoi qu'il en soit, il est forcément légitime, pour l'Organisation, de déclarer qu'elle ne fournit pas de facilités à cette fin. Cependant, encore qu'il y ait eu un certain nombre de communications ou de tentatives de communications, l'Organisation ne mentionne dans le dossier qu'un seul exemple d'usage du télex, à savoir la communication du 22 août mentionnée au paragraphe 25 ci-dessus. Il n'est guère possible de voir là une justification d'une réduction de toute la gamme des facilités offertes.
36. En l'espèce, il est inutile que le Tribunal détermine si la décision du 26 octobre a été prise compte tenu ou non de tous les faits pertinents. Il suffit de dire que l'absence de tout élément d'appréciation à l'appui de la décision éveille le soupçon que celle-ci a été arrêtée pour des motifs incorrects et que l'examen des événements qui l'ont suscité, et qui ont déjà été exposés, le confirme amplement. Le Directeur souhaitait se débarrasser d'un comité qu'il estimait ne pas être représentatif. Il a tenté d'y parvenir par la persuasion. Les résolutions du 7 septembre doivent finalement l'avoir convaincu, s'il ne l'avait pas été auparavant, qu'il avait échoué. La décision du 26 octobre peut uniquement apparaître comme une tentative de recourir à la coercition après l'échec de la persuasion ou comme l'expression du ressentiment né de l'échec. De ce fait, elle constitue un abus de pouvoir.
37. Telles sont les considérations appelées par la décision générale de procéder à des réductions des facilités. L'une de ces réductions a été attaquée en tant qu'entraînant une violation du droit d'association. Il s'agit de l'obligation faite au comité - qui voit là à juste titre une forme de censure - de soumettre à l'inspection de l'administration toutes les communications adressées à l'Association du personnel ou envoyées par elle. Cette condition, qui était encore en vigueur en juin 1981, a été justifiée par le sieur del Cid au motif que "des informations de fait transmises par l'Association du personnel appellent une discussion entre les parties lorsqu'il y a des doutes quant à leur exactitude". Voilà qui, depuis des temps immémoriaux, a toujours été l'excuse type de la censure; jamais on ne prétend qu'elle aurait pour objet de supprimer la vérité : on entend simplement veiller à ce que seule la vérité soit dite. La liberté d'association est réduite à néant si les communications entre les membres ne sont autorisées que sous contrôle. Une restriction qui serait injustifiée si elle visait les communications par la parole, l'écrit ou tout autre moyen que l'association pourrait trouver n'est pas justifiée tout simplement parce que les instruments nécessaires sont fournis par l'administration.
Sur les réparations
38. Aux termes de l'article VIII du Statut, "le Tribunal, s'il reconnaît le bien-fondé de la requête, ordonne l'annulation de la décision contestée ou l'exécution de l'obligation invoquée. Si cette annulation ou exécution n'est pas possible, ou opportune, le Tribunal attribue à l'intéressé une indemnité pour le préjudice souffert". Si le Tribunal devait ordonner l'annulation de la décision, il s'ensuivrait que les arrangements existant avant août 1978 seraient réputés être restés en vigueur. Or, sous réserve de deux exceptions formulées au paragraphe 40 ci-après, le Tribunal n'estime pas la mesure opportune. En effet, il pourrait être jugé nécessaire de donner un caractère plus strict à certains de ces arrangements, surtout ceux qui ne prévoyaient aucune limitation de l'usage des facilités. Si, après la Conférence, le Directeur avait réexaminé la situation dans l'esprit manifesté dans la lettre du sieur Muldoon, en date du 15 septembre (voir le paragraphe 28 ci-dessus), un certain nombre des changements apportés par la lettre du 26 octobre auraient pu être faits de manière correcte. Si le Directeur a laissé son ressentiment prévaloir sur l'esprit de la lettre susmentionnée, l'Association du personnel ne saurait éluder toute responsabilité quant aux circonstances qui ont nourri ledit ressentiment. En outre, les arrangements relatifs aux facilités ne sont pas restés figés depuis le 26 octobre. Les discussions se sont poursuivies et des modifications ont été opérées, en partie à la suite de l'intervention de la FAFI. Dans un communiqué sur la situation à la PAHO, publié le 4 décembre 1980, la FAFI "notait avec satisfaction une évolution positive des relations entre le personnel et la direction grâce au rétablissement d'un dialogue ouvert et franc". Il ne serait certainement pas souhaitable que le Tribunal tente maintenant de restaurer le statu quo.
39. Pour des raisons analogues, le Tribunal n'ordonnera pas, en l'espèce, le versement d'une indemnité au lieu et place de l'annulation. Les requérants se sont contentés de demander en termes généraux le remboursement de toutes les dépenses engagées pour l'envoi, hors de l'Organisation, de télégrammes, etc. par le canal d'entreprises commerciales. C'est une demande qui n'est pas acceptable.
40. Les exceptions à la présente conclusion concernent deux points : en premier lieu, la violation du droit d'association dont il est question au paragraphe 37 ci-dessus et, en second lieu, la contribution en espèces qui, le Tribunal l'a noté, avait pour principal objet de payer des frais non couverts par les facilités fournies, par exemple le coût des appels téléphoniques interurbains. Le montant de la contribution en espèces était fixé à 1.500 dollars des Etats-Unis pour les trois ans. Etant donné qu'en octobre 1978 les facilités ont été réduites sensiblement, le Tribunal ne peut voir dans la réduction sans explication de la contribution en espèces qu'une diminution arbitraire, sans lien avec les besoins de l'association ou les intérêts de l'Organisation. Il ordonne donc à l'Organisation ce verser à l'Association du personnel 2.250 dollars des Etats-Unis à titre de compensation.
41. Les autres conclusions des requérants sont rejetées. Il est inutile de s'arrêter sur l'une ou l'autre d'entre elles, sauf en ce qui concerne la demande de 10.000 dollars des Etats-Unis à titre de dépens. Tout juriste doit savoir que seule l'inobservation des stipulations du contrat d'engagement ou des dispositions du Statut du personnel relève de la compétence du Tribunal. La majeure partie - de beaucoup - des écritures des requérants concernent la présentation de ce que l'on appelle "class action", ainsi que de la thèse des requérants dans une controverse qui échappe manifestement à la compétence du Tribunal. Il n'y a aucune raison d'en faire supporter le coût à l'Organisation. Les requérants ayant toutefois réussi à établir un important principe, ils recevront 4.000 dollars des Etats-Unis à titre de dépens.
Par ces motifs :
DECIDE :
1) Le Directeur supprimera l'obligation de soumettre au préalable à l'administration, pour discussion et correction, les communications à transmettre au moyen des facilités de l'Organisation.
2) L'Organisation versera à l'Association du personnel, en vertu du paragraphe 40 ci-dessus, la somme de 2.250 dollars des Etats-Unis.
3) L'Organisation paiera aux requérants, en vertu du paragraphe 41 ci-dessus, le montant de 4.000 dollars des Etats-Unis à titre de dépens.
4) Toutes les autres conclusions des requérants sont rejetées.
5) Les interventions des personnes qui étaient membres du personnel au moment de la demande sont admises.
Ainsi jugé par M. André Grisel, Président, M. Jacques Ducoux, Vice-président, et le très honorable Lord Devlin, P.C., Juge, lesquels ont apposé leur signature au bas des présentes, ainsi que nous, Allan Gardner, Greffier du Tribunal.
Prononcé à Genève, en audience publique, le 3 juin 1982.
(signé)
André Grisel
J. Ducoux
Devlin
A.B. Gardner