Jugement No 665 (TAOIT) - Tribunal administratif

CINQUANTE-SIXIEME SESSION ORDINAIRE

Affaire DUTTA

Jugement No 665

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF,

Vu la requż dirigżcontre l'Organisation mondiale de la santżOMS), formżpar M. Vijay Kumar Dutta le 13 aożt 1984, la rżnse de l'OMS du 24 octobre, la demande du requżnt du 3 novembre 1984 et les observations de l'OMS żon sujet datż du 11 janvier 1985 ainsi que les piżs qui y żient jointes, la rżique du requżnt du 28 janvier et la duplique de l'OMS en date du 6 mars 1985;

Vu l'article II, paragraphe 5, du Statut du Tribunal, les articles 530.2, 1040 et 1070 du Rżement du personnel et les dispositions II.9.240, 460 et 550 du Manuel de l'OMS;

Vu les piżs du dossier, d'où ressortent les faits suivants :

A. En novembre 1968, le requżnt, ressortissant indien, entra au service du Bureau rżonal de l'OMS pour le Sud-Est de l'Asie dżgnżar le sigle SEARO, żew Delhi. Il obtint une sże de contrats de durżdżrminż habituellement deux ans. Au moment des faits, il occupait un poste d'assistant de secrżriat au grade ND.4. Son rapport d'apprżation pour 1981, żbli le 2 aożt 1982, contenait des commentaires nżtifs de ses supżeurs hiżrchiques : ils le disaient lent, nżigent et montrant peu de bonne volontżLe requżnt nota ces objections. Le rapport pour 1982, signżar le supżeur direct le 7 septembre 1982, żit lui aussi mauvais et, bien qu'une certaine amżoration y fżt constatż il relevait qu'il en faudrait beaucoup plus encore. Le 24 septembre, ses supżeurs recommandżnt de ne pas renouveler le contrat żon expiration ża fin de 1982, ce que le Directeur rżonal accepta le 29 septembre. L'administrateur rżonal du personnel informa M. Dutta, par une note interne datżdu 30 septembre, que son engagement prendrait fin le 31 dżmbre en vertu de l'article 1040 du Rżement du personnel ("Fin des engagements temporaires"). Il demanda pourquoi et son chef direct lui dit verbalement le 5 octobre que c'żit parce que son travail ne donnait pas satisfaction. Une demande de rżsion de la dżsion fut rejetżet, le 26 novembre, il saisit le Comitżżonal d'enquż et d'appel. Dans son rapport signże 5 aożt 1983, la majoritżu comitżecommandait le rejet de l'appel, le Directeur rżonal accepta cette recommandation le 10 aożt et l'affaire fut transmise au Comitż'enquż et d'appel du siż qui, le 1er mai 1984, recommanda le licenciement. Enfin, par une lettre du 21 mai 1984, qui constitue la dżsion entreprise, le Directeur gżral informa le requżnt du rejet de son appel.

B. Le requżnt estime n'avoir pas eu de vżtable possibilitż'atteindre dans son travail le niveau requis. Il allże des vices de procżre lors de l'żblissement de ses rapports d'apprżation... Celui de 1981 est postżeur de dix-huit mois żelui de 1980, au mżis de l'article 530.2 du Rżement du personnel, qui veut que l'żluation soit faite "une fois par an au minimum". Le rapport pour 1982 a ż żborżar quelqu'un qui n'żit pas son supżeur direct et qui ne connaissait pas bien le travail du requżnt; aussi ne s'agissait-il pas d'un vżtable rapport au sens du Rżement. Il a ż rżgże maniż hâtive et prżturż avant la fin de la pżode couverte et trop tôt aprżle rapport pour 1981. Son travail avait ż jugżatisfaisant pendant treize ans et les rapports l'accusent faussement d'insuffisance Il est victime d'une machination rapidement montżcontre lui, qui prouve ż'żdence l'hostilitże ses supżeure. On s'est dżrrassże lui au mżis tant de l'article 1070 du Rżement du personnel et des dispositions II.9.460 et 550 du Manuel, qui dżrminent la procżre żuivre pour la rżliation de l'engagement en cas de travail non satisfaisant, que des principes de la justice naturelle. En particulier, l'OMS n'a pas donnża suite voulue par la disposition II.9.460.2 ża demande de rżfectation żn poste convenant mieux żes qualifications. Il allże un vice de procżre lors de la prżntation du rapport du comitżżonal. Sa famille et lui ont connu des difficultżfinanciżs et de dures żeuves morales. Il demande l'annulation de la dżsion de ne pas renouveler son engagement, sa rżtżation żompter du 19 janvier 1983, avec paiement de la totalitżu traitement et des autres prestations et sans prżdice de ses perspectives de carriż, des dommages s'żvant ż0.000 dollars des Etats-Unis pour tort matżel et moral, ainsi que ses dżns.

C. L'OMS rżnd que, lorsque le travail d'un agent au bżfice d'un contrat de durżdżrminżse rżle non satisfaisant, l'Organisation peut soit mettre fin aux services en vertu de l'article 1070 du Rżement du personnel, en donnant ż'intżssżn avertissement żit et en lui laissant le temps de s'amżorer, soit - ce qu'elle a fait en l'espż - se contenter de laisser le contrat arriver żxpiration en vertu de l'article 1040 du Rżement du personnel : elle doit alors donner un prżis de trois mois si le contrat est d'une annżou plus et, si le fonctionnaire le demande, lui faire part des raisons qui ont motivże non-renouvellement, ainsi que le veut la disposition II.9.240 du Manuel. Comme elle a appliquż'article 1040, l'OMS n'żit nullement tenue d'observer les dispositions de l'article 1070. Il n'y a pas non plus de vice qui justifierait l'annulation de la dżsion. S'il y a eu retard pour l'żblissement du rapport de 1982, c'est parce que la formule avait ż żrż Le rapport pour 1982 - qui ne concernait que les huit premiers mois de l'annż- a ż rżgżar un fonctionnaire dont le requżnt relevait pour l'exżtion de son travail; le comitżżonal n'a pas constatże violation des dispositions rżementaires żet żrd. L'administration n'a pas non plus tirżu dossier une conclusion erronż Durant ses annż d'emploi, ses żts de service ont souvent ż mżocres, quatre seulement de ses rapports żnt satisfaisants : il żit nżigent, indiffżnt et capable uniquement de tâches machinales. Il n'a ż maintenu en emploi que dans l'espoir qu'il s'amżorerait. Rien ne prouve l'existence d'une machination tendant żetarder l'żblissement du rapport pour 1981 afin de se dżrrasser de lui : c'est lui qui a profitżu retard et non pas l'Organisation. Usant de son pouvoir d'apprżation, l'administration. a dżdżu'une mutation du requżnt ne serait pas dans l'intżt de l'OMS. Les dżbżtions du comitżżonal ne sont nullement viciż. Mż si le Tribunal admettait la requż, la rżtżation ne serait pas żonseiller et le montant des dommages demandżst excessif.

D. Dans sa rżique, le requżnt s'attache żedresser plusieurs affirmations de la dżnderesse et rżnd dans le dżil aux arguments formulżdans la rżnse. L'OMS elle-mż a admis que le signataire du rapport pour 1982 n'żit pas son supżeur direct. L'żblissement de ce rapport n'aurait pas du commencer huit jours seulement aprżl'żboration du rapport pour 1981. En outre, comment peut-il że traitże façon aussi peu favorable alors que l'on admet une amżoration de son travail ? Celui-ci a ż jugżatisfaisant pendant des annż. Des supżeurs hostiles l'auraient pris en grippe et c'est l'article 1040 qui a ż appliqużarbitrairement et de mauvaise foi, au lieu du 1070. Il maintient ses conclusions. Faute de rżtżation, il demande le paiement, jusqu'ż'âge de soixante ans, du traitement et des autres prestations auxquelles il aurait eu droit s'il avait ż maintenu en fonctions.

E. Dans sa duplique, l'OMS examine de plus prżles faits et relż qu'elle a traitżes points pertinents dans sa rżnse. Elle dżloppe son argumentation ża lumiż de la rżique et prie żouveau le Tribunal de rejeter la demande en tant que mal fondż Elle s'żve en tout cas contre la demande de paiement de dommages żivalant ża totalitżu traitement et des prestations jusqu'ż'âge de la retraite, en faisant valoir que le litige ne porte que sur le renouvellement d'un contrat pour deux ans.

CONSIDERE :

Sur les conditions d'application de l'article 1040 du Rżement du personnel

1. Entrżu service de l'Organisation le 28 novembre 1968 le requżnt a ż reconduit rżliżment dans ses fonctions, la derniż fois en 1980 pour deux ans, soit jusqu'au 31 dżmbre 1982. Le 30 septembre 1982, il fut informżue son engagement cesserait le 31 dżmbre 1982 en vertu de l'article 1040 du Rżement du personnel.

Selon cette disposition, "en l'absence de toute offre et de toute acceptation de prolongation, les engagements temporaires, tant de durżdżrminżqu'żourt terme, prennent fin automatiquement lors de l'achżment de la pżode de service convenue". Le fonctionnaire engagżour une durżdżrminżd'une annżou plus doit że avisże l'expiration de son contrat au moins trois mois ż'avance.

La dżsion de renouveler ou non les rapports de service relż de la libre apprżation. Toutefois, bien que le texte rżementaire prżie l'expiration automatique de l'engagement en l'absence d'offre ou d'acceptation de prolongation, ladite dżsion n'żappe pas entiżment au contrôle du Tribunal. Au contraire, elle est susceptible d'że annulżsi elle est affectżd'un vice de forme ou de procżre, repose sur une erreur de fait ou de droit, omet de tenir compte de faits essentiels, est entachżde dżurnement de pouvoir ou tire du dossier des dżctions manifestement inexactes.

Sur les rapports entre l'article 1040 et l'article 1070 du Rżement du personnel

2. En l'espż, le refus de renouveler l'engagement du requżnt est motivżar le caractż non satisfaisant de son travail. Dżlors, le requżnt prżnd que son contrat ne pouvait prendre fin qu'aux conditions fixż par l'article 1070 du Rżement du personnel, cette disposition ayant prżsżnt trait ża rżliation des rapports de service d'un fonctionnaire qui ne s'acquitte pas de son travail de façon satisfaisante ou qui se rżle inapte żxercer des fonctions internationales. Autrement dit, le requżnt soutient que l'applicabilitże l'article 1070 exclut celle de l'article 1040.

Pour sa part, l'Organisation fait valoir qu'au cas où les prżsions des articles 1040 et 1070 sont żlement rżisż, il lui est loisible d'invoquer l'un ou l'autre de ces textes pour mettre fin ż'engagement. Aussi, dans le cas particulier, s'estime-t-elle en droit de ne pas renouveler le contrat du requżnt en vertu de l'article 1040, nonobstant la possibilitż'adopter la mż solution sur la base de l'article 1070.

Point n'est besoin de prendre parti entre ces deux maniżs de voir. Mż si on adopte celle de l'Organisation, c'est-żire si on applique l'article 1040, la dżsion attaqużest mal fondżpour les motifs suivants.

Sur l'application de l'article 1040 du Rżement du personnel en l'espż

3. L'article 530.2 du Rżement du personnel invite les supżeurs hiżrchiques żtablir des rapports pżodiques, "une fois par an au minimum", sur le travail, la conduite et les perspectives de rendement de leurs subordonnż Dans le cas du requżnt, le rapport pour 1980 a ż signżar ses chefs en janvier 1981, tandis que le rapport pour 1981 porte les dates des 24 juin, 2 aożt et 3 aożt 1982. Il s'est donc żulżlus de douze mois depuis la rżction du rapport pour 1980 jusqu'żelle du rapport pour 1981, c'est-żire qu'en ce qui concerne celui-ci, l'Organisation n'a pas respectże dżi maximum d'une annżfixżar l'article 530.2. Quant ża procżre d'żblissement du rapport pour 1982, elle a commencże 16 aożt 1982 et s'est terminżle mois suivant. Ainsi, quelques semaines seulement sżrent la mise au point du rapport pour 1981 et la prżration du rapport pour 1982.

Dans ces conditions, la dżsion attaqużne tient pas compte qu'entre les deux derniers rapports d'apprżation, le requżnt n'a pas eu le temps de dżntrer l'existence des aptitudes qui lui żient contestż. Ainsi, elle omet de prendre en. considżtion un fait essentiel et tire du dossier des dżctions manifestement inexactes. Par consżent, elle est entachżde vices qu'il appartient au Tribunal de retenir.

Il est dżlors inutile de se prononcer sur les autres moyens soulevżpar le requżnt, soit en particulier l'absence d'apprżation de son supżeur direct, le silence opposż ses demandes de transfert, les irrżlaritżde la procżre suivie par le Comitżżonal d'enquż et d'appel, le parti pris des signataires des derniers rapports, la contradiction entre la dżsion de supprimer l'augmentation de traitement et celle de ne pas renouveler l'engagement

Sur le sort de la requż

4. Il ressort des dżloppements prżdents que la requż est bien fondżsur principe. Toutefois, le requżnt ayant quittż'Organisation depuis plus de deux ans, la rżtżation qu'il sollicite est inopportuns. En revanche, il a droit żne indemnitżn raison du dommage qu'il subit. Eu żrd aux circonstances du cas particulier, notamment ża durżet au caractż temporaire des rapports de service du requżnt, la somme alloużest fixżż0.000 dollars des Etats-Unis d'Amżque. Il s'y ajoute un montant de 2.000 dollars accordż titre de dżns.

Sur la procżre orale

5. La procżre orale requise est superflue. Non seulement le requżnt s'est expliqużbondamment dans ses mżires, mais les personnes dont il propose l'audition en tant que tżins se sont exprimż dans des documents qui figurent au dossier.

Par ces motifs,

DECIDE :

L'Organisation est invitżżayer au requżnt :

1. La somme de 10.000 dollars des Etas-Unis d'Amżque żitre d'indemnitż

2. La somme de 2.000 dollars des Etats-Unis d'Amżque żitre de dżns.

Ainsi jugżar M. Andrżrisel, Prżdent du Tribunal, M. Jacques Ducoux, Vice-prżdent, et le trżhonorable Lord Devlin, Juge, lesquels ont apposżeur signature au bas des prżntes, ainsi que nous, Allan Gardner, Greffier.

Prononcż Genż, en audience publique, le 19 juin 1985.

Andrżrisel
Jacques Ducoux
Devlin
A.B. Gardner

Mise żour par PFR. Approuvżpar CC. Derniż modification: 7 juillet 2000.