Je suis heureux que ma deuxième intervention en tant que Directeur général du BIT ait pour motif la Journée internationale de la femme. J'ai décidé de présider la réunion d'aujourd'hui pour montrer la priorité que j'entends accorder aux préoccupations en matière de parité au BIT et pour montrer également que je suis engagé à titre personnel vis-à-vis de cette question.
Je suis un défenseur décidé de l'égalité entre les sexes, de la parité non seulement pour des raisons de principe, ce qui serait déjà plus que suffisant, mais également pour des raisons pratiques. Toute mon expérience dans le monde de la politique, dans celui de la diplomatie, dans la société civile, dans le monde académique, toute mon expérience m'a permis de constater toujours que, chaque fois que les femmes peuvent exercer des fonctions importantes, le résultat de leur action est toujours fort positif, concret. Donc, encourager la parité ce n'est pas quelque chose de bon seulement au plan politique, éthique, mais c'est également une mesure intelligente au plan de l'organisation, de l'agencement de la société et de la gestion.
Continuer d'affecter des ressources humaines et financières pour obtenir la parité entre hommes et femmes est un cercle vertueux pour l'OIT. Les fonctions et les responsabilités des hommes et des femmes façonnent le monde du travail, non seulement en ce qui concerne les rapports entre hommes et femmes dans l'emploi, mais également leurs rapports au plan du travail et de la vie. Les fonctions de production, de reproduction, de vie familiale, de vie communautaire, toutes ces fonctions ne sauraient s'entendre de façon correcte qu'en utilisant une optique de parité. Et on ne peut pas non plus mettre en place comme il faut des objectifs et les concerter à moins de se mettre d'accord sur un équilibre souhaitable entre les fonctions et les responsabilités des hommes et des femmes.
Je ne vais pas plaider ici pour la parité dans notre Organisation; c'est suffisamment évident et cela est impérieux. Il s'agit de principes moraux et éthiques qui s'appuient sur des considérations pragmatiques au plan du rendement et des résultats, et qui figurent dans les déclarations de principes et les programmes d'action adoptés par la communauté internationale aux conférences mondiales que l'on a tenues dans les années quatre-vingt, et particulièrement celles de Vienne, du Caire, de Beijing et de Copenhague. Il importe de souligner que ce consensus ne doit pas être limité à un secteur donné de la population ou à un groupe de pays donnés. Tant les gouvernements que les organisations du monde entier ont souscrit à ces programmes d'action internationaux. Certes, il y a la diversité, des caractéristiques fort diverses selon la région, selon le pays, il faut tenir compte des sensibilités en la matière, mais il faut également admettre qu'il s'agit là d'un problème mondial présent dans toutes les sociétés.
Il est tout aussi important de souligner que toute politique de parité doit favoriser dans toute la mesure possible les compétences professionnelles chez l'homme et chez la femme. L'égalité des sexes ne doit pas compromettre la qualité, mais il s'agit de faire tout ce que l'on peut pour garantir qu'il existe une égalité de chances et des règles du jeu qui soient les mêmes pour tous.
L'OIT a joué un rôle de premier plan dans la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes dans le monde du travail. Elle a participé activement aux conférences mondiales et a souligné l'apport énorme des femmes en tant que gardiennes de la famille, travailleuses au foyer et dans le secteur informel, élément fondamental de la main-d'œuvre rurale et proportion toujours plus grande des salariés du secteur moderne. On oublie trop souvent qu'une des données statistiques les plus importantes concernant les femmes et qui est citée dans le monde entier provient de l'OIT. Elle a été établie en 1975. Il s'agit en fait de la déclaration selon laquelle les femmes et les jeunes filles représentent la moitié de la population mondiale et un tiers de la population active officielle et effectuent près des deux tiers des heures de travail, alors qu'elles ne reçoivent qu'un dixième des revenus mondiaux et possèdent moins d'un centième de la propriété mondiale.
Il est donc impératif que l'OIT continue, en tant qu'organisation qui diffuse des connaissances, fournit des services et mène des activités de sensibilisation, de souligner les inégalités et les injustices et d'y remédier, de montrer la valeur réelle de l'apport des femmes à la subsistance et au bien-être de la famille grâce à leur travail au foyer, dans les campagnes, dans le secteur moderne et le secteur informel, de promouvoir des normes et des lois visant à régler les principaux problèmes de parité, et de renforcer son travail technique et opérationnel.
L'OIT peut se féliciter de ses réalisations dans le domaine des droits des femmes. On a pleinement reconnu le rôle mondial qu'elle a joué en établissant des normes conçues pour instaurer des conditions d'égalité entre les travailleuses et les travailleurs. J'évoque en particulier la convention no 100 sur l'égalité de rémunération, la convention no 111 concernant la discrimination et la convention no 156 sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales. L'OIT a été l'une des premières institutions spécialisées des Nations Unies à se lancer dans des recherches sérieuses sur les travailleuses et sur leur apport à l'économie. Elle a apporté des contributions importantes au plan du concept et de la pratique afin que l'on comprenne les fonctions multiples mais peu reconnues de la femme dans des domaines extrêmement variés au plan de l'activité. On a publié des livres fort connus de l'Organisation dans ce domaine.
Je reconnais et je loue les efforts sérieux accomplis ces dernières années pour que l'on mette au premier plan les questions de parité et qu'elles figurent parmi les principales préoccupations de l'Organisation, mais je dois quand même vous dire que j'ai l'intention d'accélérer le rythme et de renforcer l'engagement institutionnel vis-à-vis de cette politique. L'OIT, par rapport à d'autres organisations internationales, a pris du retard au regard de plusieurs indicateurs d'égalité entre hommes et femmes. En tant qu'organisation qui lutte pour la justice sociale et le bien-être des travailleurs, il est essentiel que l'OIT soit à l'avant-garde des efforts des Nations Unies en la matière. Nous devons être chefs de file et non retardataires. C'est pourquoi j'entends accorder un degré de priorité élevé à cette question afin que l'OIT se trouve parmi les organisations les plus progressistes en matière de parité.
On a déjà beaucoup fait dans cette Organisation en examinant la situation actuelle au regard de l'intégration des questions de parité dans les programmes, en identifiant les principales contraintes et les principaux obstacles qui gênent les avancées dans ce domaine, et en proposant une série de mesures qui devraient permettre d'intégrer les questions de parité dans toutes les activités de l'Organisation. A ce sujet, je tiens à faire l'éloge de la Conseillère spéciale pour les questions concernant les travailleuses et de son équipe pour les efforts impressionnants qu'elles ont déployés pour mettre en place une série de cellules de travail chargées d'examiner tous les aspects des questions d'égalité et de faire des recommandations concrètes et spécifiques pour intégrer ces questions dans toutes les activités de l'Organisation. Les membres de l'équipe de transition ont pu débattre avec ces personnes de leurs conclusions et recommandations, et j'espère bientôt recevoir ce rapport sous sa forme définitive.
Ce qu'il faut faire maintenant c'est, en nous appuyant sur ce qui a déjà été accompli, organiser les consultations voulues sur cette question et formuler une stratégie cohérente et intégrée afin d'incorporer les questions de parité à tous les niveaux de l'Organisation. En d'autres termes, il nous faut un plan d'action global qui contienne des principes, des objectifs et des méthodes de mise en œuvre. Ce plan doit être audacieux mais également réaliste; il doit donner lieu à un examen et à une évaluation, et j'ai l'intention de veiller à ce qu'un plan d'action de ce type soit mis en œuvre. Mais pour qu'il soit crédible et bénéficie d'un large appui, il doit être établi sur la base de consultations avec les organes directeurs de l'Organisation, avec les membres de la haute direction et les directeurs de programme ainsi qu'avec d'autres membres du personnel, au siège et dans les régions. La dernière circulaire sur la promotion de l'égalité de chances et de traitement en faveur des femmes au BIT a été publiée en 1993. Il est temps non seulement de l'actualiser mais également de mettre les questions de parité au centre des activités de l'Organisation. J'ai fait un premier pas dans ce sens dans les propositions de programme et de budget pour 2000-01 où je dis que la parité hommes-femmes et le développement doivent être des questions intersectorielles qui modulent les quatre objectifs stratégiques proposés.
Il ne peut y avoir de véritable changement dans une organisation que s'il y a un engagement ferme et soutenu au niveau décisionnel. Les efforts visant à intégrer la parité dans nos activités doivent pouvoir compter sur l'appui sans équivoque du Conseil d'administration, des mandants tripartites - individuellement et au niveau des groupes -, du Directeur général, de la haute direction et des directeurs de programme.
En ma qualité de Directeur général du BIT, je m'engage à favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes et à guider les efforts pour promouvoir un large consensus au sein de l'Organisation sur cet objectif. Cet engagement a bien des conséquences, mais je me limiterai à en mentionner seulement quelques-unes. En premier lieu, il s'agit d'intégrer la parité en en faisant un des étalons par rapport auxquels on mesurera les résultats obtenus. Il faudra donc mettre au point des indicateurs qualitatifs et quantitatifs réalistes qui nous permettent d'évaluer au fur et à mesure les progrès accomplis. Nos systèmes de contrôle et d'évaluation doivent être conçus de façon à tenir compte également de cette finalité. Cela signifie qu'il faudra débattre périodiquement des politiques en matière de parité au niveau des principaux organes directeurs de l'Organisation - la Conférence, le Conseil d'administration et l'équipe de direction. Cela signifie aussi que tous les directeurs de programme devront assumer des responsabilités dans ce domaine et rendre compte des résultats obtenus. Il faudra les stimuler comme il convient pour qu'ils accordent la priorité à l'intégration des questions d'égalité dans leurs travaux. Cela nécessitera une analyse des besoins financiers pour avancer dans ce domaine.
Pour obtenir les meilleurs résultats, l'effort d'intégration des questions de parité dans les programmes doit porter simultanément sur plusieurs fronts, afin que ses effets soient cumulés et se renforcent les uns les autres. Permettez-moi de désigner quelques domaines où il faudra renforcer les mesures déjà mises en œuvre. Pour être bref, je parlerai en fait des questions de représentation, de fond et de structure institutionnelle.
Au sujet de la représentation, il est important que l'on progresse vers un meilleur équilibre entre hommes et femmes dans les organes de décision et de délibération de l'Organisation ainsi qu'au sein du Bureau. Il est manifeste que les femmes sont insuffisamment représentées à la Conférence et au Conseil d'administration. Je tiens à inviter instamment les Etats Membres et les organisations d'employeurs et de travailleurs à faire un effort systématique pour inclure des femmes qualifiées et expérimentées dans leurs délégations à la Conférence, au Conseil d'administration et aux différents comités et commissions tripartites, dans les séminaires et dans les cours de formation. Je suis convaincu que ceci non seulement améliorera la qualité des débats, mais également servira à leur donner davantage de pertinence lorsque l'on traite des problèmes concrets que connaissent les travailleurs et les entreprises du monde entier dans les multiples aspects qui rattachent la production à la vie.
Il nous faut aussi faire beaucoup plus pour réaliser la parité au BIT. En 1980, les femmes représentaient 15 pour cent du personnel de la catégorie des services organiques. Cette proportion est passée à 23 pour cent en 1991, et elle est maintenant d'environ 31 pour cent. Malgré ces progrès, l'OIT fait partie des institutions qui enregistrent les moins bons résultats au sein du système des Nations Unies. Il faut remédier à cet état de choses. La réalité est encore bien pire en ce qui concerne les femmes aux postes de direction: à titre d'exemple, à la fin de 1997 il y avait seulement 10 pour cent de femmes au grade D2, 14 pour cent au grade D1 et 17 pour cent au grade P5. Je suis certain qu'on ne peut pas considérer ceci comme étant satisfaisant et je souhaite à ce sujet remercier le Groupe d'action pour l'égalité et le Syndicat qui se sont occupés de cette question et d'autres.
Il ne fait pas de doute qu'un meilleur équilibre entre les sexes parmi le personnel de la catégorie des services organiques au siège et dans les régions apportera une contribution importante à l'intégration des questions d'égalité dans les travaux de l'OIT. Mais cela en soi ne sera pas suffisant. Intégrer la parité dans le travail technique de l'OIT est une entreprise difficile et nécessitera des efforts intenses et prolongés. Cependant, je crois que, si nous réussissons dans cette entreprise, la tâche consistant à créer des conditions d'égalité dans l'Organisation deviendra nettement plus aisée. Ce que j'entends par intégrer la parité dans le travail technique signifie que l'Organisation sera sensible aux considérations de sexe en établissant ses travaux de recherche, ses travaux consultatifs et ses activités opérationnelles. Cela signifie que la dimension hommes-femmes de toute activité sera étudiée de façon systématique. Cela signifie, par exemple, que l'OIT doit prêter attention aux aspects relatifs à la parité dans ses travaux, concernant par exemple le secteur informel, les petites et moyennes entreprises, la collecte des données, la sécurité sociale, la promotion des organisations de travailleurs, la formation, les programmes de création d'emplois, et en proposant et en évaluant les normes. Le Bureau a déjà lancé un certain nombre de programmes majeurs qui traitent de la dimension hommes-femmes de façon sérieuse dans ces domaines. Le Programme international pour des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité pour les femmes n'en est qu'un exemple.
Je me rends compte que cette intégration des questions de parité n'est guère aisée à réaliser dans les domaines techniques. Il y a bien des façons de réaliser des progrès et il peut s'agir de sessions de sensibilisation aux problèmes spécifiques aux femmes à l'intention de tous les fonctionnaires, de la présence de spécialistes des questions d'égalité dans tous les départements techniques et les équipes multidisciplinaires, de cours spécialisés donnés par d'éminents spécialistes en la matière et d'un effort conscient déployé par les membres du personnel à toutes les étapes de la préparation d'un projet pour garder la dimension hommes-femmes présente au premier rang de leurs préoccupations. Appuyés par une politique qui récompense ces efforts et par les encouragements des directeurs de programme, des progrès considérables peuvent être réalisés dans ce domaine complexe.
Pour finir, j'aimerais également parler des arrangements institutionnels qui étayent l'effort d'intégration des questions d'égalité au sein de l'Organisation. J'ai l'intention de donner une plus grande place à l'unité FEMMES dans notre structure organique: elle me fera désormais directement rapport. Je crois également qu'il faut envisager de nouveaux moyens d'assurer une représentation efficace des préoccupations relatives à la parité dans les différents départements, bureaux régionaux, de zone et de correspondance, et dans les équipes multidisciplinaires. Le système actuel des points focaux a déjà donné de bons résultats mais pâtit encore d'un certain nombre d'insuffisances.
Je connais bien la réaction silencieuse, parfois instinctive, contre le changement dans ce domaine. Il y a une anxiété psychologique, profondément enracinée, en rapport avec le problème de la parité. J'en suis conscient et je devrai y répondre de façon appropriée. Cependant, j'espère que nous sommes tous d'accord sur le fait qu'à long terme un environnement propice à la parité au BIT est bon pour l'institution.
En guise de contribution à cette fin, j'ai accordé mon soutien à la création d'une crèche au BIT. Je suis convaincu que, si les locaux du BIT deviennent un espace plus favorable aux familles, cela signifiera que tant les hommes que les femmes pourront s'adonner à leur travail sans sacrifier ni l'efficacité, ni la mobilité vers le haut, ni la vie familiale. Ce serait une bonne chose pour tout le monde. Et ce n'est pas une question sur laquelle nous devrions avoir des hésitations.