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Déclaration de M. Michel Hansenne
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Au vu des incidents qui avaient émaillé l'année dernière la discussion et l'adoption de la convention sur le travail à domicile, j'avais indiqué que le moment me semblait venu de procéder à une nouvelle analyse de la fonction normative de l'OIT et que j'en ferai le thème de mon rapport à la Conférence de 1997. Car la fonction normative de l'OIT a toujours été et continue d'être à mes yeux la colonne vertébrale de notre Organisation. Elle soutient et commande l'ensemble de nos activités. C'est elle qui décidera de la place de notre Organisation dans le siècle qui vient, car c'est à travers elle que l'OIT pourra apporter sa contribution la plus significative à un système économique mondial fondé sur la libéralisation des échanges et un multilatéralisme authentique. Sans son renforcement, les promesses de progrès de l'économie mondiale risquent d'être mises en péril ou de rester lettre morte pour trop de travailleurs.
Ce renforcement n'est pas l'affaire du Directeur général ni de quelques-uns. C'est donc à la Conférence internationale du Travail de s'en assurer, car quel autre organe au sein du système des Nations Unies peut prétendre être aussi représentatif que votre assemblée, qui combine universalité et tripartisme?
Je voudrais donc vous dire en quelques mots de quelle manière, dans les contraintes sévères de ce débat, vous pouvez au mieux contribuer au progrès de ces réflexions.
Le rapport contient dans sa deuxième partie un ensemble de propositions concrètes destinées à améliorer la production normative de l'OIT et à s'assurer que ses instruments répondent aux besoins de nos constituants et exercent une influence vérifiable sur la réalisation de nos objectifs de progrès social. Ces propositions répondent à des diagnostics parfois anciens de mes prédécesseurs, ainsi qu'à des demandes et des critiques exprimées à de nombreuses reprises par plusieurs mandants. Pour dépasser ces constats, nous nous sommes efforcés de considérer le processus de production normative dans sa globalité pour tenir compte des liens d'interdépendance entre les effets et les causes, et apporter ainsi des réponses cohérentes et viables. J'espère que cette démarche recevra l'appui de la Conférence afin que le Conseil d'Administration puisse examiner ensuite de manière plus approfondie chacune des pistes proposées.
Il m'a paru également qu'il était temps de faire le point sur les trois ans de débats qui ont eu lieu au Conseil d'administration et dans ses diverses enceintes au sujet de la dimension sociale de la libéralisation des échanges, et d'en tirer quelques conclusions.
Nous avons reçu deux messages importants. D'abord celui du Sommet mondial sur le développement social à Copenhague en 1995. Ensuite, plus récemment, celui des ministres du Commerce réunis pour la première Conférence ministérielle de l'OMC à Singapour. Leur déclaration finale renouvelle l'engagement des Etats Membres d'observer les normes du travail fondamentales internationalement reconnues, souligne que la croissance économique favorisée par le développement des échanges contribue à leur promotion, rejette l'utilisation protectionniste qui pourrait en être faite et rappelle clairement le rôle premier de l'OIT dans la définition et la mise en œuvre de ces normes. Il ne m'appartient évidemment pas d'interpréter ce que signifie cette déclaration pour l'OMC -- si ce n'est pour réaffirmer à son directeur général que le BIT est tout à fait ouvert à l'idée de poursuivre la collaboration à laquelle nous avons été invités.
En ce qui nous concerne, nous devons prendre ces invitations claires et répétées avec tout le sérieux qu'elles méritent, et en tirer toutes les conséquences. Il ne s'agit du reste pas de modifier le mandat de notre Organisation, mais simplement de l'exercer pleinement pour atteindre ses objectifs et répondre aux attentes placées en elle.
La première partie du rapport fait donc le point sur plusieurs propositions qui ont déjà fait l'objet de débats approfondis au Conseil et permis d'esquisser la base d'une solution qui pourrait être acceptable par toutes les parties intéressées. Il s'agit bien sûr du projet de déclaration solennelle destinée à réaffirmer le respect universel des droits fondamentaux des travailleurs par tous les Membres de l'OIT, que les conventions correspondantes aient été ratifiées ou non. Il doit être très clair que cette déclaration ne vise pas à soumettre les Etats Membres à des obligations auxquelles ils n'ont pas souscrit, mais simplement à renouveler leur engagement envers certains principes essentiels inhérents aux valeurs de l'OIT, qu'ils ont acceptés en devenant volontairement Membres de notre Organisation. J'espère donc de tout cur que votre assemblée pourra, à l'issue d'un débat approfondi sur cette question absolument essentielle, appuyer l'action engagée de telle sorte qu'elle puisse être appelée à en consacrer solennellement le résultat dès 1998, l'année du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Quelques mots pour conclure au sujet d'une autre idée qui a déjà suscité de nombreux commentaires publics et donné lieu à des interprétations divergentes, dont certaines sont diamétralement opposées à mes intentions. Je veux évidemment parler du «label social global».
Qu'on s'y intéresse ou qu'on feigne de les ignorer, les initiatives unilatérales auxquelles mon rapport fait référence existent et se multiplient. Généreuses dans leurs principes, elles peuvent manquer de transparence dans leurs modalités et s'avérer hasardeuses dans leurs résultats. La proposition que j'avance vise donc à renforcer le cadre multilatéral et volontaire que constitue l'OIT, dans lequel l'ensemble des pays, et en particulier les pays en développement, ne sont pas des enjeux passifs mais des partenaires actifs dont la voix et les intérêts sont dûment pris en compte.
C'est à ces pays de dire s'ils veulent choisir un tel système et, le cas échéant, contribuer à préciser ses modalités, qui restent entièrement à discuter et à élaborer. Je tiens à souligner à cet égard qu'un système de ce genre n'a strictement rien à voir avec la clause sociale puisque, contrairement aux clauses sociales qui subordonnent la libre circulation des marchandises et des services -- et donc leur accès aux marchés nationaux -- au respect de certaines normes sociales, un tel système vise uniquement à donner une information sans introduire aucune restriction en ce sens ni affecter la liberté de chacun.
Il doit être parfaitement clair qu'il s'agit là d'une réflexion à très long terme et que nous ne proposons pas des solutions toutes faites, mais plutôt une démarche. S'il me paraissait essentiel que l'OIT ne soit pas absente d'un débat aussi crucial pour l'avenir du multilatéralisme, il me semble tout aussi important que cette réflexion ne polarise votre attention, au point d'occulter les autres propositions concrètes qui appellent une action plus immédiate.
Voilà les quelques remarques que je voulais partager avec vous. Je vous souhaite un débat fructueux et une bonne Conférence.