Compte rendu provisoire |
13 |
Quatre-vingt-huitième session, Genève, 2000 |
|
Dixième séance (spéciale)
Jeudi 8 juin 2000, 10 heures
Présidence de M. Flamarique
TABLE DES MATIÈRES
Réunion spéciale de haut niveau sur le VIH-SIDA dans le monde du travail.
Orateurs: Le Président, le Secrétaire général, Mme Makhalemele, M. Piot
Allocution de Son Excellence M. Sam Nujoma, Président de la République de Namibie.
Annexe: Déclaration de Son Excellence M. Sam Nujoma, Président de la République de Namibie, à l’occasion de la 88e session de la Conférence internationale du Travail.
Réunion spéciale de haut niveau sur le VIH-SIDA dans le monde du travail
Original espagnol: Le PRÉSIDENT — J’ai le grand honneur d’accueillir ce matin les participants à la Réunion spéciale de haut niveau sur le VIH-SIDA dans le monde du travail, qui va être ouverte en plénière ce matin. La Conférence a l’honneur d’accueillir son Excellence M. Sam Nujoma, Président de la République de Namibie.
Dirigeant politique de son pays, M. Nujoma s’est battu pour la liberté de son peuple et a connu d’énormes souffrances. Sa lutte pour la recherche de la justice en faveur de son peuple a fait de lui un acteur essentiel des Nations Unies. Les membres de l’Assemblée constituante l’ont élu à l’unanimité premier Président de la République de Namibie en 1990. Il a été réélu en 1994 à cette haute fonction. Tout au long de sa vie, il s’est efforcé de rechercher la paix, le progrès social et la liberté, ce qui lui a valu de nombreux prix et distinctions dans de nombreuses villes du monde. Son profil de grand homme d’Etat donne à notre réunion, au cours de laquelle nous allons aborder la question délicate du VIH-SIDA dans le monde du travail, un élan fondamental.
Nous allons commencer la réunion en regardant un film vidéo sur le VIH-SIDA sur le lieu de travail, intitulé: Le SIDA: Pour un vaccin social.
(Projection du film vidéo)
Original espagnol: Le PRÉSIDENT (M. FLAMARIQUE) — Je donne maintenant la parole au Secrétaire général, qui va nous présenter le thème de la réunion.
Original anglais: Le SECRÉTAIRE GÉNÉRAL (M.SOMAVIA) — Monsieur le Président de la Namibie, M.Peter Piot, Directeur exécutif du Programme commun des Nations Unies sur le SIDA (ONUSIDA), travailleurs, employeurs, représentants des gouvernements et vous tous qui venez d’autres organisations pour participer à cette importante discussion, je vous souhaite une cordiale bienvenue.
Je tiens particulièrement à saluer Mme Mercy Makhalemele, dont la présence ici est une source d’inspiration et d’espoir pour nous tous. Nous avons compris son message, et j’aimerais que le premier geste de notre assemblée soit de l’applaudir.
Monsieur le Président, je suis fort heureux que vous soyez aujourd’hui parmi nous comme invité spécial et orateur, avec votre équipe venue de Namibie à cette occasion, parce que vous représentez la relation exemplaire de la Namibie envers l’épidémie du VIH-SIDA.
La réunion de la Commission du travail et des affaires sociales de l’OUA (Windhoek, avril 1999) a demandé à l’OIT d’aider ses mandants tripartites africains à lutter contre le VIH-SIDA dans le monde du travail. Cette manifestation d’aujourd’hui et l’action qui suivra montrent que nous avons pris très au sérieux ce défi que vous nous avez lancé et que nous lui avons donné une portée mondiale. Monsieur le Président, vous nous avez montré le chemin, et votre présence ici symbolise l’engagement que nous voulons prendre sous votre conduite. Permettez-moi de saluer en vous le chef d’une lutte historique pour la libération de votre peuple de la domination et du colonialisme, lutte qui, nous le savons tous, continue aujourd’hui sous d’autres formes, mais dans le respect des valeurs que vous défendez depuis si longtemps, valeurs grâce auxquelles le monde de demain respectera l’autonomie et la diversité des peuples. Vous jouez depuis très longtemps un rôle clé dans cette lutte.
Cela me fait également chaud au cœur de voir cette salle remplie de gens qui militent pour la lutte contre le VIH-SIDA dans le monde du travail, d’hommes et de femmes qui veulent lutter contre ses conséquences humaines, économiques et sociales.
Le film que nous avons vu met en relief l’opportunité de cette discussion et nous invite à agir, à nous unir, à nous engager et, surtout, à ne pas nous en tenir aux paroles. Le moment est venu non seulement d’en parler dans le cadre de l’OIT, où il y a beaucoup à faire, mais surtout d’agir concrètement et de prendre des mesures propres à faire évoluer les choses sur le terrain.
L’épidémie est mondiale et ne connaît aucune barrière – ni de région ni de sexe, ni d’âge, ni de race, ni de classe. Son impact sur le travail et les travailleurs est énorme. L’OIT a réagi, mais de manière partielle et fragmentaire. Aujourd’hui, nous déclarons notre volonté de nous joindre à un partenariat global susceptible de faire bouger les choses. Ce matin, nous allons signer un accord avec l’ONUSIDA pour nous joindre à la famille des Nations Unies dans cette lutte.
Permettez-moi de mentionner certains domaines où l’OIT peut jouer un rôle utile. Prenez le cas d’une petite entreprise d’un pays hautement affecté, qui lutte pour maintenir sa compétitivité dans l’économie mondiale. Elle décide d’améliorer les compétences de sa petite équipe de travailleurs. Il y a dix ans, il aurait peut-être fallu embaucher cinq travailleurs qualifiés et investir dans ces travailleurs. Mais, en l’an 2000, il faut sans doute former dix personnes, parce que certaines d’entre elles, peut-être cinq, vont mourir du SIDA. Voilà ce qui se passe véritablement dans le monde du travail.
Il faut ajouter à cela l’absentéisme lié au SIDA, à la perte de productivité, les frais directs de santé et les coûts supplémentaires de recrutement. Pensez à une petite communauté villageoise et rurale où le BIT et nos partenaires sociaux essaieraient de lutter contre le travail des enfants. Ceux-ci sont peut-être au travail au lieu d’être à l’école parce que leurs parents sont en train de dépérir. Il n’y a peut-être pas d’adulte de cette famille qui soit capable de gagner sa vie. Prenez un pays en développement qui veut se doter d’un bon système de sécurité sociale. Il peut être incapable de prendre en charge les coûts liés aux prestations d’assurance maladie et à la pension de retraite. Prenez la question de l’égalité entre les sexes. Si les femmes n’ont pas leur mot à dire en matière économique et sociale, elles resteront très vulnérables à l’infection, et nous savons que c’est le cas aujourd’hui. Voilà donc quelques exemples des domaines sur lesquels nous pouvons réfléchir ensemble et voir dans quelle mesure nous pouvons nous rendre utiles et prendre part à cette lutte à l’échelle mondiale.
Dans la perspective de l’OIT, la discrimination dans le monde du travail est l’une des violations les plus graves des droits de l’homme pour ce qui est du VIH-SIDA. Les droits des personnes touchées par le SIDA, tel que le droit à la non-discrimination, une protection égale et l’égalité devant la loi, la protection de la vie privée, la liberté de circulation, le travail et la protection sociale sont des droits que l’OIT et que tout le monde ici chérissent. Mais, avant tout, le SIDA est un drame humain vécu quotidiennement par des millions de personnes dans le monde. Nous devons penser à elles et imaginer ce qu’elles ressentent. Le plus important que nous puissions faire est, à mon avis, de se rattacher au problème et d’être capable de le ressentir et de comprendre comment les personnes touchées ressentent leur propre réalité.
Dans notre réponse, nous devons nous assurer qu’en tant qu’individu et en tant qu’organisation nous mettons en pratique ce que nous prônons et nous devons mettre ces droits en pratique. Chacun d’entre nous doit examiner sa propre conscience, son comportement et ses attitudes sur le lieu de travail vis-à-vis de collègues vivant avec le SIDA. Ce n’est pas seulement une question de législation, de gouvernement ou d’employeur, mais c’est une question qui dépend de nous tous et qui dépend de notre propre réaction à la proximité du SIDA.
Notre engagement commence au sein de l’OIT. Aujourd’hui, j’ai approuvé une circulaire sur la politique du personnel à l’OIT face à l’infection par le VIH et au SIDA. Ce texte contient un message fort de soutien à l’égard des personnes affectées. Je veux que tout le personnel soit informé de ses droits et de la politique du Bureau, et je veux m’assurer que tous les membres du personnel puissent profiter des mesures de prévention et des possibilités de traitement. Avant tout, je veux m’assurer que nous avons tous une attitude de soutien.
Ce que l’OIT vous demande aujourd’hui est de nous indiquer la voie à suivre. Lors de la discussion qui aura lieu cet après-midi, je vous demanderai d’être ouverts, francs et perspicaces. Faites-nous part de vos points de vues. Nous avons présenté des idées dans le document dont nous allons discuter et nous souhaitons bénéficier de vos riches expériences personnelles et connaître vos attentes.
Cette manifestation spéciale est une possibilité de faire entendre votre voix sur le SIDA dans le monde du travail. Je suis persuadé qu’un millier de vois peut briser la culture du silence qui entoure parfois ce genre de questions.
Je vous remercie de votre présence et je vous remercie particulièrement Monsieur le Président Nujoma, car nous avons besoin d’une direction politique. Il ne s’agit pas seulement d’une question de statistiques mais de la vie des gens. Nous avons besoin de dirigeants comme vous qui nous rappelle que nous devons prendre des décisions politiques, et que ce sont des questions qui affectent la société et la qualité du monde dans lequel nous vivons. Vous avez montré cette autorité et votre présence ici nous amène tous à comprendre que nous devons agir dans chacune des régions sur cette question. Merci Monsieur le Président d’être parmi nous.
Original espagnol: Le PRÉSIDENT — Je remercie le Secrétaire général de sa déclaration.
A présent, je voudrais présenter l’orateur suivant, Mme Mercy Elizabeth Makhalemele, qui a fondé le Réseau national de femmes qui luttent contre le SIDA en Afrique du Sud et que nous avons déjà vue dans le film vidéo.
J’ai le plaisir de lui donner la parole.
Original anglais: Mme MAKHALEMELE (fondatrice du National Women’s Alive AIDS Network d’Afrique du Sud) — Je vous salue au nom des Makhalemeles.
D’après un dicton «nous sommes des tigres qui ne faisons pas de mal à l’humanité». Bien au contraire, nous faisons en sorte que l’humanité soit traitée de façon humaine.
Je représente une génération de jeunes femmes des townships victimes de l’impact économique et social du VIH-SIDA en Afrique du Sud, une génération qui se livre à la délinquance et qui comporte beaucoup d’auteurs de viols et de victimes de viols, une génération sous l’emprise de la drogue et de l’alcool, une génération qui n’est pas consciente des problèmes de l’environnement et des problèmes sociaux, une génération qui meurt en silence de cette pandémie, une génération qui est au chômage, qui ne participe pas à la production et qui est séropositive.
Je parle en connaissance de cause car mon époux et mon enfant sont morts du SIDA. J’en parle parce que je suis veuve et à la tête d’une famille monoparentale. Ma mère qui m’a élevée est au chômage. Pendant sept ans, j’ai travaillé dans le domaine de la lutte contre le VIH-SIDA de manière à la fois officielle et officieuse. Auparavant, j’ai été licenciée de mon emploi parce que j’ai décidé de dire à mon employeur que j’étais séropositive afin qu’il puisse réfléchir à ce qu’il fallait faire pour des employés tels que moi. C’était en 1993, cela n’a servi à rien et j’ai été tout simplement licenciée.
Oui, je veux en parler. Je veux en parler au nom des milliers de jeunes qui contractent le virus tous les jours. Il est étonnant de voir que, dans le contexte de la pandémie du SIDA, depuis tant d’années nous avons choisi de ne pas considérer le VIH-SIDA comme un facteur ayant des répercussions sur notre population active et sur notre milieu de travail, et qui aura un impact majeur sur la productivité et sur la situation économique des jeunes.
Je n’aime pas parler de statistiques car on en trouve dans tous les ouvrages. On sait que nous sommes extrêmement nombreux à être séropositifs. Personnellement, je préfère vous parler de ce que cette situation représente dans la réalité pour des gens comme moi, pas seulement pour moi mais pour nos familles.
Nous avons vu des mineurs. Un mineur est quand même un père, un père qui quitte son foyer pour aller travailler et au Kwazulu Natal, ma région d’origine, nous voyons des hommes, des pères qui rentrent chez eux pour mourir de la maladie. Les femmes doivent alors assurer la survie du ménage. Et dès lors que les pères sont morts, les jeunes enfant se retrouvent avec une mère analphabète, et pourtant ils doivent aller à l’école et manger tous les jours.
Les jeunes ont tendance à prendre des décisions qui ont un impact sur nos sociétés. Un jeune ira peut-être voler en se disant: «Mon père est mort, ma mère est analphabète, je dois vivre, il faut que je mange, et mes frères et sœurs doivent aller à l’école. Qui va leur permettre d’aller à l’école?».
Certains jeunes s’en vont. Ils partent à la recherche d’un emploi, surtout les jeunes filles, qui souvent deviennent des prostituées. Les gens se demandent souvent pourquoi les femmes s’adonnent à la prostitution, au commerce du sexe. Je leur réponds toujours: pourquoi ne leur demandez-vous pas? Vous constaterez peut-être qu’il y a d’autres raisons, des raisons telles que: oui, mon mari m’a transmis le SIDA. Je suis jeune. Je suis productive. Mais le monde choisit de ne pas tenir compte de mon potentiel de productivité. Il faut donc que je survive pour que mes enfants puissent aller à l’école. Comment faire? Mon père vient de mourir. Toutes ces lois n’existent qu’en théorie. Mais dans la pratique, elles sont inexistantes.
Pourquoi est-ce que je vous parle aujourd’hui alors que je ne devrais pas être en train de vous parler? Je ne devrais pas être en train de vous parler car je suis fatiguée de nous entendre, nous tous qui sommes séropositifs. Nous nous sommes exprimés. Nous avons contribué à l’élaboration de toutes sortes de mesures. Mais, dans notre vie pratique quotidienne, nous sommes accablés par la pauvreté et le chômage, pas nécessairement parce que nous ne sommes pas capables de travailler, mais parce que nous sommes porteurs de ce virus.
Il semblerait que personne ne veuille comprendre combien ce virus nuit véritablement à l’aptitude d’une personne à faire quelque chose. Travailler, ce n’est pas seulement savoir faire ou posséder quelque chose. Travailler, c’est une question de compétences. Si une personne dispose des qualités nécessaires, pourquoi l’empêcher de travailler?
J’aurais très bien pu transmettre le virus en me disant que je n’ai aucun soutien à attendre de personne. J’aurais pu me dire: «Vas-y , personne ne te connaît, use de tes charmes!» De toute façon, j’aurais pu infecter de nombreux pères de famille. J’ai choisi de ne pas le faire parce que je sais que, si je décide d’agir de manière égoïste en étant porteuse du virus, mon fils ne serait un problème ni pour les contribuables ni pour les gouvernements qui ne sont pas prêts à venir en aide aux enfants, ni pour les ministres qui siègent autour de tables sans arriver à aucune décision concernant les enfants.
J’ai l’habitude de dire que je regrette de venir d’un pays qui a de bonnes lois. L’Afrique du Sud a la meilleure charte des enfants, mais je me demande vraiment où cela va mener mon fils. Comme mon père est mort, j’ai dû aller vendredi prier le directeur de l’école de permettre à mon fils de continuer à étudier dans cette école alors que j’ai tant donné à mon pays et à l’humanité.
Il n’y a pas que moi. Il y a des centaines de gens comme moi qui vivent avec le virus. Nous allons mourir et lorsque nous mourrons nous ne figurerons nulle part, dans aucun dossier.
Hypothétiquement parlant, en Namibie, ce sont les soldats qui sont souvent le mieux traités. Lorsqu’une guerre éclate, vous saurez ainsi qu’il y a des gens qui sont prêts à défendre la population. En l’occurrence, vous avez une armée de malades du SIDA qui sont productifs, qui peuvent être productifs au sein de leurs propres entreprises, de leurs programmes de développement, de leurs organisations syndicales. Mais comment les garder parmi nous? Comment faire pour qu’ils demeurent productifs?
Comment puis-je rester productive? N’oubliez pas que dans deux ans, si la situation ne change pas, je serai morte et tout le monde m’aura oubliée. Ce n’est pas important. Comment faire pour attirer l’attention sur l’humanité? Avons-nous perdu notre humanité pour des raisons de politique? Peut-on rester indifférent lorsqu’un enfant, un frère, une sœur, un cousin, un collègue est en train de mourir du SIDA? Est-ce un problème d’argent? Non. J’ai travaillé sans argent. J’ai mis en œuvre des programmes sans argent. J’ai aidé la société sans argent. Dans notre township, nous faisons beaucoup de choses sans argent.
Pourquoi ne parvenons-nous donc pas à trouver l’argent nécessaire, à surveiller qu’il est bien réparti et à mettre sur pied de bons programmes bénéficiant de l’appui de la collectivité?
Je sais qu’un immense travail a été fait sur le VIH-SIDA. Mais en tant que jeune femme d’un township, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il n’y a pas les capacités nécessaires dans ces quartiers. Nos townships sont bien organisés mais des diplômés universitaires y sont au chômage. On voit des juristes, des chercheurs, des ingénieurs, des enseignants, des étudiants en sciences sociales et des médecins qui restent à la maison sans rien faire. Or, dans tous les documents disponibles, on vous dit que, dans les townships, les gens ne sont ni compétents ni capables. Je m’inscris en faux contre cette affirmation. J’ai moi-même géré des programmes et réussi à trouver des juristes, des ingénieurs, des diplômés universitaires qui m’ont aidée pour les questions techniques. Je ne me suis pas adressée à la ville. J’ai travaillé avec ces gens-là. Il existe donc des compétences au sein de nos collectivités.
En conclusion, nous autres, séropositifs, ne sommes pas restés passifs à attendre que les autorités viennent nous aider. Nous savions que nous avions les forces nécessaires, les compétences nécessaires. Lors du 12e Congrès mondial sur le SIDA, qui s’est tenu à Genève en 1998 sur le thème «Bridging the gap», j’ai rencontré une femme suisse, une Blanche. Je tiens à vous faire part de ce qu’a fait cette femme, car je travaille avec elle depuis décembre de l’année dernière. Elle a quitté son emploi en Suisse. Elle a pris un an de congé pour m’aider à acquérir des connaissances en gestion. Nous avons créé un groupe de soutien pour les femmes séropositives en Suisse. Nous sommes parvenues à mobiliser des ressources importantes. Ces femmes-là ont organisé des concerts caritatifs qui nous ont permis d’acheter du matériel. Aujourd’hui, je suis devant vous, Mesdames et Messieurs, mais la dernière fois que je suis venue en Suisse, je n’avais pas d’ordinateur. Je ne pouvais pas envoyer de courriers électroniques. Je ne pouvais pas communiquer avec les autres parce que je n’avais rien, tout cela parce que la formation des séropositifs n’est pas considérée comme quelque chose de réellement important. J’ai moi-même été privée de l’accès à la formation. Pendant les sept années que j’ai passées à travailler dans le domaine du VIH-SIDA, on aurait bien pu me donner une bourse, vu que je m’intéressais beaucoup aux études. Je ne suis pas sûre d’avoir encore le temps de faire des études pour devenir tout ce que j’ai voulu être.
Un programme de partenariat a été instauré entre les femmes suisses et les femmes sud-africaines. Il s’agissait de dépasser les différences liées à la culture, à la race, au sexe, pour parvenir à collaborer.
La question du VIH-SIDA relève des droits de l’homme. Mes droits ont été violés, les droits du peuple sud-africain ont été violés dans les townships, les droits de ceux qui vivent avec le VIH-SIDA sont violés. Pourtant, la population semble
ne pas comprendre que ce sont ses propres droits qui sont en jeu. Je peux être pauvre et souffrir de la faim, mais je garde ma dignité et je suis consciente de mes droits humains. Je crois qu’il est extrêmement important que tous ceux qui sont atteints du VIH-SIDA et travaillent pour le secteur privé ne se résignent pas. Ne renoncez pas, ne vous résignez pas. Si je vous parle ainsi, c’est parce que j’ai peur de mourir bientôt et de laisser mon enfant orphelin, qui devra travailler malgré son jeune âge pour pouvoir survivre.
Quand allons-nous intégrer le VIH-SIDA dans nos programmes? Nous n’avons pas besoin de lancer de nouveaux programmes; nous pouvons développer les acquis et faire en sorte que toutes les questions que nous examinons comportent un volet VIH-SIDA. C’est la seule solution. Je sais que c’est possible, je l’ai vu dans nos townships, où j’ai dû parler de tarifs d’électricité – parce que c’est une question prioritaire pour cette collectivité – et j’ai réussi à intégrer le VIH-SIDA dans la discussion sur l’électricité.
C’est la même chose pour l’eau. Si l’eau n’est pas propre et qu’il n’y a pas d’électricité, on ne peut pas faire bouillir l’eau pour la rendre potable. Or un séropositif qui boit de l’eau non purifiée attrape la diarrhée et risque de mourir.
Voilà quels sont les problèmes réels. Il ne s’agit pas seulement de documents à examiner et à adopter. Au bout du compte, c’est de moi qu’il s’agit, de mon prochain, de nos enfants, d’une nation tout entière, du monde tout entier.
Original anglais: M. PIOT (Directeur exécutif du Programme commun des Nations Unies sur le SIDA (ONUSIDA)) — Que dire après ce discours? Que puis-je ajouter pour vous décrire la réalité du SIDA, pour vous dire ce que nous devrions faire, nous ensemble, dans le monde? Rien en fait.
L’une des premières leçons que je peux en tirer – cela fait plus de quinze ans que je travaille sur le SIDA et avec des personnes qui ont le SIDA –, c’est une leçon d’humilité, d’humilité à propos de la condition humaine, d’humilité à propos de chacun d’entre nous, et ce que nous sommes, et ce que nous pouvons faire.
Autre leçon: j’ai appris que l’on peut vraiment faire bouger des montagnes, que l’on peut aussi s’attaquer à un problème aussi complexe que le SIDA, et cela grâce à la solidarité, lorsque ceux qui sont en haut et ceux qui sont en bas se retrouvent. Et c’est seulement ainsi que l’on peut endiguer l’épidémie et intégrer le SIDA et le VIH dans nos vies.
J’aimerais aussi vous rendre hommage, Monsieur le Président, pour la manière dont vous vous occupez du SIDA, pas seulement dans votre pays, la Namibie, mais sur tout le continent, parce qu’il est évident et limpide que sans des personnes de votre trempe, en Afrique et sur d’autres continents, nous n’avons pas la moindre chance de remporter cette bataille contre le SIDA.
Comme je le disais, c’est grâce aux efforts conjugués de chefs de file comme vous, de communautés et d’individus que nous parviendrons à emporter la bataille au cours des prochaines décennies. Pour l’ONUSIDA, c’est un véritable tournant parce que s’attaquer au SIDA dans le monde du travail, c’est un plus dans la lutte globale contre le SIDA.
Vous avez entendu beaucoup de chiffres, je ne vais pas vous en donner plus. Peu importe s’il y a 32, 34 ou 35 millions de personnes infectées, chaque personne souffrant du VIH est une personne de plus, et de trop, qui souffre de cette maladie.
J’aimerais quand-même vous rappeler que cette maladie était encore inconnue il y a vingt ans, mais que maintenant nous sommes en pleine épidémie, une épidémie qui, au total, a touché 50 millions de personnes, et cela est vraiment une bonne leçon de mondialisation. On comprend mieux ce qu’interdépendance veut dire en se penchant sur le SIDA qu’en se penchant sur un rapport des médias sur l’économie mondiale.
Dans de nombreux pays, le SIDA est aujourd’hui une crise sans précédent. C’est un problème mondial, ce n’est pas un problème africain, ce n’est pas un problème européen, ce n’est pas un problème occidental, ce n’est pas le problème des homosexuels ni celui de personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe, c’est un problème qui touche le monde entier, qui nous concerne tous.
On me demande souvent: «Est-ce que c’est seulement une autre maladie qui vient s’ajouter à la longue liste de maladies qui ont frappé l’humanité, et qui se développe surtout dans les pays les plus pauvres?» La réponse est non. C’est une maladie spéciale parce que contrairement à d’autres problèmes de santé, elle touche surtout les jeunes adultes, ce qui explique au moins un deux principes des principales conséquences du SIDA: économique d’une part avec la baisse de la productivité, et d’autre part l’augmentation considérable du nombre d’orphelins et la formation d’une génération entière de jeunes désociabilisés ainsi que l’augmentation du nombre de foyers qui dépendent d’enfants ou de jeunes adultes.
En outre, contrairement à la plupart des maladies infectieuses, le VIH touche aussi les personnes éduquées, compétentes, qualifiées, et pas seulement les pauvres; cela ne fait qu’ajouter à son incidence sur l’économie. Dans les pays les plus touchés, le SIDA, à lui tout seul, a réduit à néant les investissements qui avaient été faits, pendant des décennies, dans l’éducation et la mise en valeur des ressources humaines.
Par ailleurs, le SIDA est souvent considéré comme une maladie honteuse et cela entrave considérablement la lutte contre l’épidémie. C’est en outre totalement injuste à l’égard des personnes qui sont infectées par le VIH ou dont on pense qu’elles le sont. Aucun autre facteur dans le monde d’aujourd’hui ne sape systématiquement les acquis en matière de ressources humaines, d’éducation et de santé, qui sont le fruit de cinq décennies d’investissements.
Je voudrais vous donner un seul exemple de la manière dont le SIDA crée déjà des pénuries de main-d’œuvre qualifiée dans les secteurs privé et public. Par exemple, dans certains pays, plus de 30 pour cent des enseignants sont séropositifs, et dans une même année, le nombre de décès chez les enseignants est supérieur au nombre d’étudiants qui finissent leur formation d’enseignant.
Dans les pays où les ressources institutionnelles et humaines sont déjà limitées, il va être très difficile de reconstruire ces ressources, dans le secteur privé comme dans le secteur public, et il faut dès à présent en tenir compte dans notre planification.
Je vois encore des plans pour des secteurs entiers qui ont été conçus, me semble-t-il, dans un monde où le SIDA est ignoré. Rejetons cette idée naïve. Ne soyons plus aussi irresponsables!
Il y a quatre zones de priorités dans lesquelles l’OIT grâce au tripartisme est bien placé pour agir.
Tout d’abord, la prévention du VIH sur le lieu de travail et les soins aux personnes séropositives sur le lieu de travail. Le lieu de travail est une très bonne plate-forme, excellente pour atteindre les hommes. C’est le comportement sexuel des hommes qui est à l’origine de cette épidémie ce sont les hommes qui sont les plus difficiles à atteindre et ce sont les hommes qui ont le plus de mal à changer leur comportement sexuel, c’est pourquoi le lieu du travail est un excellent moyen de les atteindre.
On l’a déjà bien compris dans de nombreux lieux de travail dans le monde aujourd’hui. Par exemple, grâce aux programmes d’éducation collégiaux mis en œuvre par l’Organisation des syndicats tanzaniens, et par la société Levi-Strauss à la fois aux Etats-Unis, à Hong-kong et dans d’autres pays, des programmes complets d’information sur le SIDA, des services médicaux, la distribution de préservatifs sur le lieu de travail, la fourniture de conseils et l’aide aux travailleurs et à leur famille ont réduit les comportements à risques et encouragé la communication entre partenaires, sur des sujets sensibles. On peut citer par exemple Telepower: une grande société brésilienne de services collectifs et la Commission de la viande du Botswana.
De plus, des études portant sur le Zimbabwe ont montré que les entreprises qui appliquent ces programmes enregistrent moins d’absentéisme et récupèrent largement le coût de ces activités de prévention. Nous voyons ici que ces mesures sont économiquement rentables.
Deuxièmement, il faut absolument créer un environnement non discriminatoire sur le lieu de travail pour ceux qui sont touchés par le VIH.
Comme l’on fait remarquer le Directeur général et Mercy Makhalemele, cette stigmatisation et cette discrimination envers les personnes porteuses du virus sont, non seulement une violation des droits de l’homme, mais aussi un obstacle majeur. Cela ne permet pas la prévention du VIH et cela ne permet pas non plus de prendre des mesures pour s’attaquer à l’épidémie.
Je vais vous donner trois exemples de ce que l’on peut faire et de ce qui est fait.
Au niveau national, par exemple, de plus en plus de pays adoptent officiellement, par des textes législatifs des politiques concernant le lieu de travail comme par exemple les Philippines, qui ont été les premiers à lancer une loi sur le SIDA prenant en compte les droits des individus.
Deuxième exemple, le code relatif au SIDA et à l’emploi de la Communauté du développement de l’Afrique australe qui crée une norme régionale sur la manière d’aborder le SIDA sur le lieu de travail. Ce code sur les principes fondamentaux des droits de l’homme et sur les normes et directives régionales de l’OIT. Il s’agit du premier code intergouvernemental régional au monde, et il a déjà été adopté par le Botswana et le Zimbabwe. Ce code met l’accent sur la protection de la confidentialité, l’information des personnes qui donnent leur consentement et le devoir de garantir des lieux de travail sûrs. Il porte aussi sur le refus du dépistage à l’embauche et dans l’emploi sans le consentement exprès du travailleur.
Troisièmement au niveau mondial, le Global Business Council est un mécanisme qui permet aux dirigeants d’entreprise de faire pression sur leurs pairs pour les actions menées par les entreprises et pour faire respecter les codes de conduite.
En rompant le silence sur le SIDA et ne permettant aux collègues séropositifs de parler ouvertement de le leur état sur le lieu de travail, on introduit la réalité humaine sur le lieu de travail et on la retire des statistiques, de l’anonymat. De nombreuses entreprises ont adopté cette démarche originale.
A titre d’exemple, ESKOM, une entreprise d’électricité d’Afrique du Sud emploie des personnes séropositives en tant que telles pour mettre un visage sur la maladie, et à l’ONUSIDA, nous encourageons les entreprises, les syndicats et les services publics à employer des personnes souffrant du VIH pour que cette épidémie ne soit plus quelque chose de flou, de caché.
Notre troisième domaine c’est la protection des femmes et des jeunes. Le SIDA n’est pas neutre au niveau des sexes. Il touche plus lourdement encore les femmes et les enfants, et en particulier les fillettes. Les femmes et les jeunes filles paient un lourd tribut comme vous l’avez entendu dire par l’orateur précédent.
Je ne vais pas entrer dans le détail, mais pour beaucoup de femmes le lieu de travail est un lieu d’exploitation sexuelle. Sous l’angle du SIDA, cette exploitation sexuelle devient encore plus inacceptable et elle peut même être fatale.
De plus, le faible niveau d’éducation et la dépend
ance économique de certaines femmes ne fait que rajouter à la vulnérabilité des femmes au VIH. N’oublions pas que dans de nombreuses sociétés, les femmes sont infectées par leur mari. Il faut donc impérativement que l’on tienne compte aussi de la contribution des femmes aux programmes de développement et aux travaux de politique sociale pour diminuer la vulnérabilité des femmes au VIH.
J’ai été très heureux d’apprendre cette semaine, à New York, que le SIDA figurera en bonne place sur l’ordre du jour de la prochaine conférence sur les femmes, ce qui n’était pas le cas lors de la conférence de Beijing.
Il y a aussi le problème des enfants qui se retrouvent seuls. Il y a plus de 12 millions d’orphelins à cause du SIDA. Ce nombre devrait atteindre 42 millions en 2010. Trop, beaucoup trop d’enfants pour que leur famille élargie puisse les assimiler. Encore une fois, c’est très souvent la fille aînée qui est la plus défavorisée. Il nous faut absolument prendre des initiatives pour aider ces orphelins qui doivent s’occuper de leurs frères et sœurs. Il faut leur offrir une éducation et c’est devenu une des priorités pour l’UNICEF. Je crois que le Programme de l’OIT sur l’abolition du travail des enfants aura aussi un rôle très important à jouer pour atténuer les conséquences tragiques du SIDA.
Une autre catégorie de personnes qu’il faudra aussi protéger ce sont les travailleurs migrants, ces travailleurs oubliés. Le SIDA ne respecte pas les frontières, intérieures ou extérieures. Ceux qui doivent émigrer pour des raisons économiques doivent souvent abandonner des normes sociales bien ancrées et des filets de sécurité sociale.
N’oublions pas qu’une partie de ces migrants sont victimes de la traite, qu’il s’agisse de femmes ou de jeunes filles, pour l’industrie du sexe.
Il faut donc des programmes spéciaux de lutte contre le VIH pour répondre aux besoins des travailleurs migrants.
Nous avons entendu M. Somavia qui nous a parlé des plans de l’OIT. Je souhaite maintenant vous présenter cinq domaines d’action dans lesquels j’espère que l’OIT voudra bien prendre des mesures.
Premièrement, il faut que l’OIT, comme elle a commencé à le faire, continue à préconiser fermement et inlassablement la lutte contre le SIDA auprès de tous ses mandants.
Deuxièmement, elle doit intégrer la lutte contre le SIDA dans toutes ses activités. Aucune partie des programmes de l’OIT ne doit faire l’impasse sur la question du SIDA ni sur son incidence sur le lieu du travail et le monde du travail.
Troisièmement, il faut sensibiliser davantage le personnel au problème du SIDA. Comme l’a dit M. Somavia, nous devrions commencer chez nous. On ne le fait pas souvent, même dans le système des Nations Unies, et je le félicite d’avoir l’intention de renforcer les programmes de sensibilisation au SIDA à l’OIT dans le cadre d’une politique non discriminatoire.
Tout notre personnel doit être compétent en matière de SIDA et il faut aussi que nous nous assurions que dans notre système nous avons un environnement, un milieu qui aide les séropositifs.
Quatrièmement, il faut mettre en œuvre et soutenir un certain nombre d’activités spécifiques pour lutter contre le SIDA dans les domaines où l’OIT est particulièrement bien placée. On a évoqué par exemple la prévention sur le lieu de travail, le travail des enfants, les foyers dépendants d’enfants, les travailleurs migrants et les régimes de sécurité sociale.
Cinquièmement, je me réjouis à l’idée de travailler en étroite coordination avec un secrétariat coparrainant l’ONUSIDA, et cela tout d’abord par le biais de la participation des représentants du BIT et de ses bureaux extérieurs aux groupes thématiques sur le VIH-SIDA dans tous les pays, et aussi en organisant ses activités et en mobilisant des ressources dans le cadre des plans de travail intégrés sur le SIDA mis en œuvre par ces groupes thématiques.
Il y a beaucoup à faire en ce qui concerne le SIDA. Beaucoup de pays et de nombreux chefs d’Etat, notamment l’Afrique et l’Asie, ont déclaré que le SIDA était une catastrophe nationale contre laquelle il fallait se mobiliser. Le Président de la Namibie est l’un de ceux qui a donné l’exemple.
Les leaders politiques du monde entier se prononcent comme ils ne l’ont jamais fait sur cette question. De nouvelles ressources nationales et internationales sont mobilisées et consacrées à des programmes de prévention et de soins. Récemment le SIDA a été dénoncé comme une menace pour la sécurité de l’homme.
Le fait que le Conseil de sécurité des Nations Unies ait consacré un débat au SIDA en Afrique est un événement sans précédent. C’était la première fois qu’une question de santé était à l’Ordre du jour du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Sommet du Sud du Groupe des 77 qui s’est tenu à La Havane a reconnu que l’épidémie de SIDA était une menace pour le développement durable. Le SIDA est maintenant en tête de l’ordre du jour des Nations Unies comme l’indique le Secrétaire général dans son rapport à l’Assemblée du millénaire dans lequel il souligne que le SIDA est l’un des défis majeurs du siècle.
Toutefois, il faut maintenant traduire dans les faits ces engagements. Nous savons qu’il y a déjà eu des réussites – comme nous l’avons vu dans le film – en Ouganda, en Thaïlande, au Sénégal, en Zambie, aux Bahamas et au Brésil l’épidémie recule. Dans chacun de ces cas, c’est grâce à l’action de la collectivité. Il faut absolument mettre en place des mécanismes de soutien des séropositifs. Il faut les aider au niveau local pour leur permettre de faire leur travail. Je suis tout à fait d’accord sur le fait que ces capacités existent comme l’a indiqué MmeMercy Makhalemele.
L’ONUSIDA, le secrétariat et ses sept cosponsors se félicitent de l’initiative de l’OIT. Nous sommes donc particulièrement heureux de savoir qu’aujourd’hui nous allons signer un accord de coopération pour l’élaboration de mesures communes de politique et de programme pour lutter contre le VIH-SIDA. J’espère que ce sera la première étape vers un parrainage complet de l’OIT vis-à-vis de l’ONUSIDA. Si le BIT se joint à notre coalition mondiale cela confortera considérablement notre lutte contre cette épidémie.
Je vous lance un appel. J’aimerais que vous mettiez le SIDA au cœur de votre programme. J’attends beaucoup de l’engagement résolu de l’OIT dans la lutte contre le SIDA. Il ne saurait en être autrement car les enjeux sont trop importants. Nous devrions tous offrir un engagement sous réserve. Nos partenaires n’accepteront rien de moins venant de nous.
Original espagnol: LE PRÉSIDENT — J'ai maintenant l'honneur de donner la parole à M. Sam Nujoma, Président de la République de Namibie.
Allocution de Son Excellence M. Sam Nujoma, Président de la République de Namibie.
Original anglais: M. NUJOMA (Président de la République de Namibie) — Avant de commencer mon allocution, je voudrais vous dire que nous avons ample matière à réflexion après avoir entendu les propos de notre sœur d’Afrique du Sud, MmeMercy Elisabeth Makhalemele, à savoir que le SIDA est une maladie qui tue dans tous les pays du monde. En Namibie, nous en souffrons beaucoup. Il convient également de souligner le fait historique que le VIH-SIDA est une maladie qui n’est pas naturelle mais qui est due à l’homme. Les pays qui fabriquent des armes chimiques pour tuer des êtres humains sont connus et probablement représentés ici. Nous n’accusons personne mais j’aimerais lancer un appel aux travailleurs, employeurs, gouvernements, hommes politiques – au gouvernement ou dans l’opposition –, organisations non gouvernementales, qu’elles soient représentées ici ou non, et à tous les citoyens du monde pour qu’ils s’unissent; j’aimerais aussi demander à ceux qui fabriquent les armes chimiques de mettre à disposition l’argent nécessaire pour lutter contre ce fléau, non de manière individuelle mais collectivement; il appartiendra ensuite aux citoyens et aux ONG de faire de même.
Je me réjouis que nous soyons réunis ici pour assister à la signature d’un accord-cadre de coopération OIT/ONUSIDA dont j’espère qu’il ira ensuite aux Nations Unies, puis au Sommet du millénaire.
Nous voudrions tous que l’humanité puisse survivre. Tous les chefs d’Etat, y compris ceux qui ont fabriqué des armes chimiques, doivent se rencontrer à NewYork et s’engager eux, de même que leur gouvernement, à mettre à la disposition des scientifiques des ressources leur permettant de mener des recherches pour lutter contre cette maladie imputable à l’homme.
Il est regrettable que ceux qui ont le pouvoir d’utiliser les médias s’en servent pour affirmer que le VIH-SIDA vient du singe vert d’Afrique, ce qui est un mensonge. Il faut condamner et rejeter cette propagande.
Ceux qui produisent des armes chimiques destinées à être utilisées contre d’autres pays doivent mettre des ressources à la disposition de la lutte contre le SIDA. Nous ne condamnons personne, sinon nous-mêmes, l’humanité.
Je ne donnerai pas lecture de la déclaration* que j’ai préparée mais la mettrai à la disposition des délégués. Je voudrais annoncer que mon gouvernement est prêt à libérer des ressources et suis persuadé que d’autres Etats, Etats Membres des Nations Unies, mettront des ressources à la disposition des scientifiques pour qu’ils recherchent des traitements qui permettent de soigner les personnes infectées par le VIH ou, au moins, de ralentir la progression de la maladie.
Mon gouvernement mettra également des ressources à la disposition des ONG en Namibie, des groupements régionaux, de la SADC, de l’OUA et naturellement des Nations Unies parce que nous nous sommes engagés envers ces organisations régionales, continentales et internationales.
Une fois que les ressources seront disponibles, il faudra que les Etats qui produisent des armes chimiques meurtrières assurent le maintien de ces fonds au même niveau.
Original espagnol: Le PRÉSIDENT — Au nom de tous les participants et du bureau de la Conférence, je souhaite remercier Monsieur le Président Nujoma pour le grand honneur et le privilège qu’il nous a fait en nous permettant d’écouter son message dans lequel il a abordé des questions de la plus haute importance pour notre Réunion spéciale de haut niveau sur le VIH-SIDA dans le monde du travail.
Son message reflétait un degré très élevé d’engagement vis-à-vis des préoccupations de l’OIT sur cette question et son importance pour la recherche d’un travail décent.
Nous prenons note avec satisfaction des mesures qui ont été adoptées sur le plan international dans la lutte contre le VIH-SIDA. En ce sens, la résolution concernant le VIH-SIDA dans le contexte du monde du travail en Afrique, adoptée à la neuvième Réunion régionale africaine de l’OIT en décembre 1999 et la plate-forme d’action sur le VIH-SIDA dans le contexte du monde du travail en Afrique, adoptée en octobre 1999, constituent des exemples de la responsabilité importante qu’assume l’Organisation internationale du Travail dans cette lutte.
Je tiens à vous remercier une fois encore de nous avoir honorés de votre présence à cette Conférence. Je suis convaincu que votre message restera gravé dans la conscience de tous les orateurs qui interviendront dans la discussion d’aujourd’hui.
Nous allons maintenant assister à la signature de l’accord-cadre de coopération entre l’Organisation internationale du Travail et le programme ONUSIDA par le Directeur général du BIT et MonsieurPiot, Directeur exécutif du Programme commun des Nations Unies sur le SIDA (ONUSIDA).
(Signature de l’accord-cadre.)
(La séance est levée à 11 h 15.)
Déclaration de Son Excellence M. SAM NUJOMA, Président
de la République de Namibie,
à l’occasion de la 88e session de la Conférence internationale
du Travail
8 juin 2000, Genève
Monsieur le Président de la Conférence internationale du Travail, Monsieur le Directeur général du BIT, Messieurs les Ministres, Messieurs les membres du Corps diplomatique, Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de remercier le Directeur général du BIT, M.Juan Somavia, de m’avoir invité à prendre la parole devant cette 88e session de la Conférence internationale du Travail pour dire quelques mots de la pandémie du VIH-SIDA et de ses répercussions sociopolitiques et économiques. J’aurais aimé vous parler de choses plus gaies, mais vous me pardonnerez si je vous dis que, avant de nous réjouir, nous devons trouver des solutions aux tragédies, aux défis et aux problèmes auxquels notre monde est confronté.
La pandémie du VIH-SIDA fait partie de ces tragédies que vit l’humanité. Je dis bien l’humanité, car pas un seul Etat, pas une seule communauté n’y échappe. Certaines régions sont certes beaucoup plus touchées que d’autres, mais nous ne devons pas oublier qu’il s’agit d’une pandémie mondiale qui appelle des actions et une mobilisation à l’échelle mondiale.
On notera déjà que l’OIT a réitéré, lors de la session des affaires sociales et du travail de l’OUA, tenue à Windhoek l’année dernière, sa décision et sa volonté de prendre une part active à la lutte contre le VIH-SIDA. C’est aussi lors de cette session que l’OUA, l’organisation du continent africain, a fait de la lutte contre le VIH-SIDA l’une de ses priorités.
Ce fléau a complètement bouleversé l’éthique médicale et le secret médical. Il soulève de nombreuses questions morales et sociales dans toutes les sociétés. Je sais que les statistiques sont souvent ennuyeuses, mais dans ce cas elles illustrent parfaitement la gravité du danger, et montrent que l’infection du VIH-SIDA a déjà touché une grande partie de l’humanité un peu partout dans le monde.
Le VIH-SIDA est indubitablement le problème de santé le plus redoutable et le plus déconcertant auquel se trouve confrontée l’Afrique aujourd’hui. A l’échelle mondiale, il s’agit aussi de l’une des préoccupations les plus graves de notre temps sur le plan médical et social et dans le domaine de la santé. Les chiffres provenant de l’ONUSIDA et de l’OMS dressent un sombre tableau de la situation:
– Depuis que les premiers cas de VIH et de SIDA ont été déclarés il y a vingt ans environ, près de 50millions de personnes ont été infectées.
– Le Programme commun coparrainé des Nations Unies sur le VIH et le SIDA (ONUSIDA) et l’Organisation mondiale de la santé estiment que, d’ici à fin 1998, le nombre de personnes vivant avec le VIH-SIDA atteindra 33,4millions et le nombre de décès approximativement 2,5millions.
– Environ 95 pour cent de toutes les personnes infectées par le VIH vivent dans les pays du monde en voie de développement. Dans leur majorité, les victimes sont de jeunes adultes qui seraient à l’apogée de leurs années productives et de leur période de procréation, n’était la maladie qui les frappe.
– Le nombre total d’enfants vivant avec le VIH-SIDA s’élève à 1,2million.
– Dans les catégories d’âge supérieures à 15 ans, les femmes vivant avec le VIH et le SIDA représentent 43 pour cent de la totalité de la population infectée.
Permettez-moi de citer un passage de la publication du BIT intitulée Action contre le VIH et le SIDA en Afrique, où il est dit ce qui suit:
«En Afrique, le VIH-SIDA est probablement, à lui seul, le plus grand obstacle au progrès social et économique des pays qu’il ravage. Le SIDA n’est plus désormais seulement un problème de santé. Il constitue un problème de développement aux conséquences potentiellement redoutables. Les deux tiers au moins (22,5millions) de la population mondiale infectée par le VIH-SIDA vivent dans cette sous-région. Des pays comme le Botswana, la Namibie, le Swaziland et le Zimbabwe font partie des pays les plus durement touchés puisque 20 à 26 pour cent de leur population dans la tranche d’âge des 15 à 49ans vivent avec le VIH ou le SIDA. On estime que le SIDA sera la cause du décès de 2 millions d’Africains cette année. Selon l’équipe consultative multidisciplinaire du BIT pour l’Afrique orientale, le SIDA aurait remplacé le paludisme comme premier facteur de mortalité en Afrique.
De surcroît, le taux de progression des nouvelles infections ne cesse d’augmenter. En 1988, chaque fois que dix nouveaux cas sont diagnostiqués, neuf le sont sur des Africains, et au moins 95 pour cent de tous les enfants devenus orphelins pour cause de SIDA sont africains. Même les pays de la région subsaharienne, dont les taux d’infection étaient plus bas que ceux de leurs voisins quelques années auparavant, semblent combler cet écart. L’Afrique du Sud, qui était loin derrière les autres pays du continent à cet égard, représente à présent un sur sept des nouveaux cas d’infection signalés. Au Zimbabwe, deux seulement des 25sites de surveillance existants procédant à des dépistages anonymes sur des prélèvements sanguins faits sur des femmes enceintes ont obtenu des taux de séropositivité inférieurs à 10 pour cent. Les taux d’infection rapportés par les 23autres sites sont tous situés entre 20 et 50 pour cent.»
Ces statistiques dressent un sombre tableau de la situation. Le coût réel de cette pandémie est énorme non seulement en termes financiers, mais aussi et surtout en termes de souffrances humaines et de dérèglements sociaux.
Au début, la pandémie du VIH-SIDA était considérée comme un problème de santé seulement. Malheureusement, on a tout misé, au début, sur le traitement médical et la recherche de médicaments. Nous étions tous optimistes et nous avions placé tous nos espoirs dans la science, la technologie et la recherche, et nous espérions qu’un médicament ou un traitement médical efficace serait bientôt trouvé. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. On n’a toujours pas trouvé de remède. La plupart des traitements ont des effets secondaires importants et sont surtout extrêmement onéreux. Tout compte fait, nous n’avons fait que très très peu de progrès. La science et la technologie nous ont lâchés dans cette affaire. Ce qu’elles ont donné est soit inefficace, soit tellement onéreux que la grande majorité des personnes qui souffrent de cette maladie en est exclue.
Entre-temps, deux décennies sont passées, et nous devons accepter aujourd’hui l’idée que cette pandémie n’est pas seulement un problème de santé, mais aussi un problème de développement mondial. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il s’agit là du défi humanitaire le plus sérieux de notre époque.
Le VIH-SIDA est une maladie mortelle contagieuse, en sorte que c’est sur la croissance démographique et l’espérance de vie que son impact est le plus direct. Cette maladie tue aussi bien les personnes âgées que les jeunes, mais elle frappe plus particulièrement les personnes dans leurs premières années productives. S’agissant des adultes, elle tue les hommes comme les femmes, mais les femmes sont le groupe le plus vulnérable. Le plus triste c’est qu’elle tue aussi les enfants. Dans certains cas, la mortalité infantile, en particulier chez les moins de 2ans, a été multipliée par cinq au cours de ces dernières années.
L’espérance de vie à la naissance dans les 29 pays les plus touchés d’Afrique a baissé de 7ans en moyenne. Dans le pire des cas, elle a baissé de 20 ans.
Là où l’impact démographique a été le plus fort, il en résulte que la population se compose essentiellement des personnes les moins productives, à savoir les personnes âgées et les enfants. Tout cela montre que le VIH-SIDA est en train de réduire à néant les efforts que nous déployons pour prendre en charge nos parents âgés et pour assurer l’éducation de nos enfants. Comment pourrions-nous maintenir des systèmes de sécurité sociale capables d’assurer un niveau de vie décent aux personnes âgées si la population active diminue? Comment prévenir et éradiquer le travail des enfants si les orphelins sont les seuls membres vivants de la famille capables d’avoir des revenus et de veiller sur leurs grands-parents et leurs frères et sœurs?
Le livre de l’OIT sur le VIH-SIDA en Afrique indique également comment la pandémie affectera la taille de la population. «Les plus récentes projections de la Division de la population des Nations Unies pour 1988 ont pris en compte l’impact du SIDA dans 34 pays ayant une population supérieure à un million d’habitants et un taux d’infection par le VIH chez les adultes de 2 pour cent ou davantage en 1997. Deux autres pays, le Brésil et l’inde, ont aussi été inclus dans ces projections, quoique leurs taux d’infection soient inférieurs à 2 pour cent (on peut, en effet, déduire de la taille de leur population que le nombre de personnes infectées par le VIH est important même si les taux d’infection sont moins élevés). Parmi les 34 pays ayant un taux d’infection par le VIH de 2pourcent ou davantage, 29 sont en Afrique, 3 en Asie et 2 en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Ces projections font apparaître que l’impact du VIH-SIDA sur la taille de l’ensemble de la population et sur celle de la population active est statistiquement significatif. La population des vingt-neuf pays africains visés par cette étude était estimée à 441 millions au milieu de l’année 1995, c’est-à-dire inférieure de 5 millions environ à ce qu’aurait été ce chiffre en l’absence de SIDA. En 2015, la population totale de ces pays devrait atteindre 698millions, c’est-à-dire environ 61 millions de moins que prévu en l’absence du SIDA. A l’échelon national, on prévoit que les populations du Botswana, de la Namibie et du Zimbabwe seront inférieures d’environ 20 pour cent en 2015 à ce qu’elles auraient été en l’absence du SIDA. Les tailles de la population ne devraient toutefois pas décliner et les taux d’accroissement démographique resteront positifs en raison de taux de fécondité élevés.»
Parce qu’il réduit la taille des coupes sombres dans la population active dont il d
iminue non seulement les rangs mais élimine les éléments les plus qualifiés, le VIH-SIDA est une préoccupation fondamentale pour les entreprises, les syndicats et les responsables des orientations économiques. On peut illustrer clairement cet impact à l’aide d’un exemple fondé sur les données recueillies par l’OIT en Zambie. Quatre-vingt pour cent des personnes infectées étaient âgées de 20 à 49 ans. Autrement dit, le SIDA atteint et, en dernier ressort, tue la tranche de population la plus productive du secteur structuré, dont de nombreux travailleurs expérimentés et spécialisés occupant des postes de cols blancs comme de cols bleus.
En Zambie, par exemple, 96,8 pour cent de tous les décès survenus dans 10 entreprises ont frappé des travailleurs âgés de 15 à 40ans. Entre 1984 et 1992, la mortalité a quintuplé, la morbidité liée au SIDA représentant 56 pour cent des décès dans la catégorie des ouvriers non spécialisés, 71 pour cent des ouvriers des plus faibles niveaux de spécialisation, 57 pour cent des ouvriers moyennement spécialisés et 62 pour cent des cadres de direction.
Il ressort clairement de ces chiffres que le SIDA peut balayer l’ossature de toute entreprise et l’essentiel de la main-d’œuvre. Il abaisse la productivité tout en provoquant une augmentation des coûts de fonctionnement. Il décime les cadres et la main-d’œuvre qualifiée. A ce fléau s’ajoute la pénurie chronique de travailleurs qualifiés et de cadres dans les pays en développement, en sorte qu’il est très difficile de leur trouver des remplaçants.
Entre autres effets indirects, le VIH-SIDA entraîne un renchérissement des coûts (assurance, assistance médicale, pensions et une réduction de la productivité du fait du mauvais état de santé des travailleurs, des congés de maladie et de l’obligation pour les membres de la famille de s’occuper des malades et d’assister à leurs funérailles. Souvent, les malades du SIDA ne bénéficient pas d’une assurance maladie ni d’une assurance sur la vie.
L’impact sur le secteur informel est peut-être encore plus désastreux. Là, des familles entières dépendent de la marche des entreprises et, si un entrepreneur est victime du SIDA, son affaire s’écroule et les personnes qui en dépendaient sombrent dans la misère.
Examinons maintenant ce que le VIH-SIDA et ses effets nous réservent dans notre recherche de la prospérité, de la stabilité, de l’élimination de la pauvreté, du développement ou, en résumé, d’un niveau de vie décent pour tous.
Nous luttons, dans les pays en développement, pour fournir à nos peuples des services de base en matière de santé. Le fardeau supplémentaire du SIDA pèse d’un poids insupportable sur ces services.
Nous devons lutter contre des problèmes de chômage chroniques. La pandémie du SIDA nous prive de nos talents et empêche les entreprises de créer de nouveaux emplois.
Nous sommes paralysés sur le plan économique par le poids énorme de notre dette et de plus en plus de ressources doivent être consacrées à la lutte contre le VIH-SIDA. D’autres programmes pressants en matière de développement ne peuvent plus dès lors être mis en œuvre faute de financement. Nous luttons pour mettre en place des systèmes de protection sociale, même très rudimentaires, à l’intention des catégories vulnérables de notre société, mais le VIH-SIDA entraîne l’effondrement de ces systèmes fragiles.
La liste est presque sans fin. Le défi que pose le VIH-SIDA a, comme je l’ai dit précédemment, de multiples facettes se répercutant sur tous les aspects de la vie; il s’agit là d’une crise internationale qui affecte chaque Etat, chaque communauté, chaque société et, en définitive, chaque individu.
J’ai parlé de la pandémie du SIDA et de ses effets les plus évidents, notamment dans les pays en développement, et en particulier en Afrique. Je voudrais maintenant partager avec vous quelques idées au sujet des approches qui pourraient nous aider à gérer cette crise.
Pour moi, la discrimination contre les séropositifs et les malades du SIDA est inacceptable. Venant d’une région et d’un pays où la discrimination était de règle à l’époque coloniale, du temps de l’apartheid, nous jugeons cette pratique odieuse. Nous avons, dans mon pays, la Namibie, mis au point un code de bonne conduite concernant le VIH-SIDA sur le lieu de travail. Ce code interdit notamment la discrimination contre les victimes de ce fléau. Parallèlement, la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC) a mis au point un code et des directives destinés à prévenir la discrimination contre les victimes du VIH-SIDA. L’OIT, en tant que garant international des normes du travail et des droits de l’homme dans le monde du travail, devrait établir des normes pour prévenir les pratiques discriminatoires au travail. Cela pourrait prendre la forme d’une convention ou d’une recommandation.
Je suis parfaitement conscient des efforts qui sont faits sur le plan international pour assurer la paix sur notre planète. La guerre est inacceptable et tous les efforts en faveur de la paix doivent donc être vivement encouragés. Cela dit, si nous mettons en parallèle le capital financier et humain qui est consacré au maintien de la paix et celui qui est mobilisé pour combattre cette maladie meurtrière, qui a déjà fait des millions de victimes et cause des souffrances indescriptibles, nous constatons qu’il n’y a pas de comparaison possible. A l’avenir, nous devrons faire de la lutte contre le VIH-SIDA une des grandes priorités de nos efforts pour créer un monde meilleur pour nos enfants. Nous devons utiliser les ressources là où elles sont vraiment utiles pour les gens.
J’ai déjà mentionné la crise de la dette que nous connaissons. Là aussi, je suis conscient des efforts louables qui visent à réduire ou effacer ces dettes afin de permettre aux pays en développement de jouer le rôle qui leur revient, sur un pied d’égalité, sur un marché mondial de plus en plus globalisé. Le VIH-SIDA assombrit nos perspectives mais, si nous pouvions utiliser pour la lutte contre le SIDA les ressources que nous devons consacrer à la gestion de la dette, je crois que nous pourrions accomplir de réels progrès dans la lutte contre cette maladie.
Oui, la pandémie est aussi un problème de santé et le monde entier serait soulagé si des remèdes ou traitements efficaces étaient bientôt découverts. Encore faut-il que ceux qui souffrent du SIDA puissent y accéder. Je juge donc indispensable que nos efforts de recherche ne soient pas seulement renforcés mais aussi diversifiés. De plus, nous devons mettre au point des stratégies financières rendant les soins abordables dans les pays en développement.
Le VIH-SIDA est un fléau mondial qui a de multiples facettes et de nombreuses dimensions. Ce n’est donc pas un problème qui doit être traité seulement par les Etats ou par des organisations telles que l’Organisation mondiale de la santé ou l’Organisation internationale du Travail. C’est une question qui nous concerne tous. Nous devons donc associer à nos efforts les travailleurs, les employeurs et la société civile. Et c’est à cause de la nature multidimensionnelle du problème que je suis particulièrement heureux que l’OIT, organisation tripartite, se soit engagée à participer à la lutte contre la propagation du VIH-SIDA.
J’ai parlé de la menace que représente le VIH-SIDA pour nos services de santé et de protection sociale. Il est nécessaire que soient mis au point des systèmes fonctionnels, durables et abordables intégrant la lutte contre le VIH-SIDA. Les systèmes basés sur l’exclusivité sont à mon avis discriminatoires et inacceptables, et donc dépassés.
L’OIT est une institution unique en son genre à l’intérieur du système des Nations Unies. Elle est unique à cause de ses structures tripartites et du fait des valeurs qu’elle défend. C’est une organisation spécialisée centrée sur le monde du travail. Je me félicite que le travail décent soit au cœur de sa politique. Le travail décent et les éléments qui le sous-tendent sont également pertinents dans le cas du VIH-SIDA. Il n’est donc pas surprenant que l’OIT ait fait de la lutte contre ce fléau l’une de ses priorités. J’espère que l’OIT en tant qu’organisation internationale et à travers ses structures extérieures pourra jouer un rôle important en aidant à la mise en œuvre des politiques et des stratégies que nous avons élaborées.
Dans le cadre de l’objectif stratégique qui consiste à défendre et mettre au point des normes du travail claires, il faudrait promouvoir des pratiques non discriminatoires au travail vis-à-vis des victimes du VIH-SIDA. En vue de cet important objectif stratégique, il conviendrait d’établir des instruments normatifs et de définir des lignes directrices non seulement pour assurer le respect des droits fondamentaux de l’homme, mais aussi pour protéger les groupes vulnérables les plus durement frappés par le fléau, à savoir les femmes et les enfants. L’OIT pourrait, dans le cadre du suivi de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail, consacrer un chapitre spécial au VIH-SIDA dans son rapport global.
Le dialogue social a pour but de renforcer la démocratie et d’impliquer toutes les parties intéressées dans le processus de prise de décisions. C’est aussi à travers cet objectif que l’OIT peut inciter le monde des affaires, si dur et concurrentiel, à adopter des pratiques humaines et loyales. Je pense, en particulier, à la coopération avec les institutions de Bretton Woods. Je sais que la Banque mondiale prévoit déjà d’inscrire le VIH-SIDA à son ordre du jour. Mon sentiment est qu’il s’agit là d’une occasion en or pour promouvoir une coopération véritablement complémentaire entre l’OIT et la Banque mondiale. L’objectif stratégique de la promotion du dialogue social devrait aller de pair avec des campagnes de sensibilisation, dont l’importance est primordiale, en vue d’amener un changement des comportements sexuels, changement si nécessaire pour prévenir la propagation du virus.
Lorsque, dans le cadre de l’objectif stratégique de la protection sociale, nous envisageons d’éventuels programmes ou projets, il faut nous concentrer sur les groupes les plus vulnérables, tels que les femmes et les enfants. Nous devons également mettre au point des systèmes de sécurité sociale qui tiennent compte du VIH-SIDA. La collecte des données et les méthodes de recherche doivent être modifiées, de manière à prendre en compte et à traiter l’impact du VIH-SIDA sur la protection sociale.
Nous devons prendre conscience que le VIH-SIDA aggrave la pauvreté. L’OIT, à travers son objectif stratégique de promotion de l’emploi, doit mesurer les effets du VIH-SIDA sur la pauvreté, puis mettre en oeuvre des stratégies de promotion de l’emploi qui permettraient d’en atténuer les dommages. Nous devons, dans nos stratégies de l’emploi, nous fixer de nouvelles priorités qui tiennent compte de l’épidémie mondiale du VIH-SIDA.
J’ai l’espoir que les gens seront toujours plus nombreux à comprendre que «le SIDA est l’affaire de tous». Tel est le slogan de l’ONUSIDA, qui réunit sept organismes différents de la famille des Nations Unies, qui se sont coalisés avec un grand sens de la coopération. C’est avec grand plaisir que j’assiste aujourd’hui au premier pas de l’OIT en vue de faire partie de cette coalition.
A présent, le défi consiste à mobiliser l’ensemble des mandants et partenaires de l’OIT, depuis les militants syndicaux de base jusqu’aux ministres du travail et aux chefs d’Etat en passant par les entreprises, privées et publiques. Il est de notre devoir et de notre responsabilité de soutenir ce nouveau partenariat et de faire en sorte que tous les pays puissent bénéficier de l’expérience et de l’aide conjuguées de l’OIT et de l’ONUSIDA.
En conclusion, je félicite une fois encore l’OIT et le Directeur général d’avoir démontré leur souci de donner à notre village planétaire un visage humain. Sur ce visage, la pauvreté est un chancre qui doit être effacé. Sur ce visage, l’épidémie du VIH-SIDA a laissé une autre marque profonde et nous devons travailler de concert pour la soigner ou pour éviter qu’elle s’aggrave.
Ce fut un plaisir pour moi de vous faire part de mes idées, et je souhaite plein succès aux travaux de cette 88e session de la Conférence internationale du Travail.
Vive l’Organisation internationale du Travail!
No 13 — Vendredi 9 juin 2000
Mise à jour par HK. Approuvée par RH. Dernière modification: 9 juin 2000.