Une œuvre inachevée? Harmoniser la directive sur le travail de plateforme avec “l’acquis social” européen et international
Résumé
En plus de mettre à l’épreuve les modèles internationaux, régionaux et nationaux de classification des statuts d’emploi, les plateformes numériques de travail ouvrent la voie à des stratégies et approches nouvelles en termes de gestion algorithmique, de surveillance numérique, de travail à distance et d’externalisation transfrontalière, qui sont de plus en plus adoptées dans les secteurs plus conventionnels de l’économie. L’évolution de l’économie des plateformes est donc cruciale car elle permet de tester la résilience des normes de travail en vigueur, tout en fournissant de précieuses informations sur les réformes nécessaires pour garantir leur pertinence et sur les questions liées à la représentation et à la mobilisation de l’intérêt collectif dans des marchés du travail en mutation rapide.
Ce document s’efforce d’explorer les principales dimensions réglementaires nouvelles du travail sur plateforme. Il replace les défis associés au travail sur plateforme dans leur contexte comme l’expression de caractéristiques consolidées qui, au cours des décennies écoulées, ont transformé le marché du travail: la non-standardisation et la déréglementation des relations de travail. Ensuite, le document examine la définition du champ d’application personnel comme un défi majeur auquel sont confrontées presque toutes les tentatives de régulation du travail sur plateforme. Il le fait principalement en examinant les fonctions et les mécanismes d’un dispositif juridique appelé “présomption de relation de travail”, qui est actuellement pris en compte par la proposition de directive sur le travail via une plateforme de l’UE comme un outil essentiel pour aborder les questions complexes liées à la classification du statut professionnel qui ont entouré l’économie à la demande (“gig economy”) depuis son émergence. Le document propose après cela une cartographie conceptuelle des divers instruments réglementaires de l’UE (ceux qui existent et ceux qui sont en cours d’élaboration législative) qui, ensemble, définiront la mosaïque juridique des droits du travail applicables au phénomène hétérogène du travail sur plateforme dans les années à venir.
Le document indique que les développements réglementaires récents reflètent un attachement durable au modèle dichotomique opposant subordination et autonomie. Même lorsque la directive de l’UE sur le travail via une plateforme aura été adoptée, les relations de travail dans ce domaine ne seront pas entièrement réglementées par ses dispositions et d’autres directives et instruments en vigueur continueront de fournir (et, dans certains cas, à ne pas fournir) des réponses à diverses questions juridiques (telles que le concept du temps de travail, le respect de la vie privée au travail, et l’information et la consultation des travailleurs et de leurs représentants) qui sont essentielles pour les droits et les moyens de subsistance des travailleurs qui fournissent leur travail via des plateformes numériques. Le document analyse les interactions, les chevauchements et les tensions entre les instruments réglementaires de l’UE, en identifie les forces et les faiblesses, ainsi que les éventuels domaines dans lesquels on peut enrichir voire réformer la législation. En vue d’améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes, les législateurs doivent repenser les rigidités traditionnelles associées au paradigme de la subordination.
Introduction
Les plateformes numériques de travail sont au centre des débats sur l’avenir du travail1 en raison de leur rôle crucial dans l’avancée de l’usage des technologies pour la médiation et l’organisation du travail2. L’automatisation des fonctions organisationnelles et de l’intermédiation du travail, élargissant le réservoir de travailleurs disponibles au-delà des frontières géographiques ou des entreprises, a radicalement transformé les modèles d’entreprise, les emplois et la manière dont le travail est organisé et négocié, remettant en question la pertinence et l’efficacité des méthodes en vigueur pour garantir de bonnes conditions de travail (au du moins décentes) et des revenus suffisants3. En plus de mettre à l’épreuve les modèles internationaux, régionaux et nationaux de classification du statut de l’emploi, les plateformes numériques de travail ouvrent la voie à des stratégies et approches nouvelles en termes de gestion algorithmique, de surveillance numérique, de travail à distance et d’externalisation transfrontalière qui sont de plus en plus adoptées dans les secteurs plus conventionnels de l’économie.
L’évolution de l’économie des plateformes est donc cruciale car elle permet de tester la résilience des normes de travail en vigueur, et fournit des informations utiles concernant les réformes nécessaires pour garantir leur pertinence et sur les aspects de représentation et de mobilisation de l’intérêt collectif inhérents à la mutation rapide des marchés du travail. Cependant, jusqu’à présent, la réglementation des nombreuses dimensions importantes des plateformes de travail numériques est à la traîne. Pour l’essentiel, les interventions réglementaires sont apparues comme une conséquence et en lien avec un certain nombre de stratégies contentieuses réussies, principalement lancées par les syndicats et les organisations de travailleurs. Cela s’est souvent produit de manière désordonnée et fragmentaire, avec des victoires devant les tribunaux étouffées par les modifications contractuelles introduites de manière unilatérale par les plateformes (par exemple, par l’introduction de “clauses de substitution” pour faire échec aux conclusions relatives au statut professionnel)4. Ce n’est que récemment, et grâce à cette évolution de la jurisprudence des tribunaux, que certains législateurs nationaux et, au niveau supranational, l’UE ont commencé à s’intéresser à la question.
Au niveau national, la réglementation a souvent approché le phénomène de manière étroite, fragmentaire et empirique, en se focalisant généralement sur les formes de travail spécifiques fournies par les plateformes (par exemple, coursiers, chauffeurs de VTC) plutôt que de manière holistique5. En revanche, la directive de l’UE, dont le projet a été proposé par la Commission en 2021 et qui fait actuellement l’objet de négociations interinstitutionnelles, aspire à une action plus complète dans le domaine car elle introduit plusieurs droits et protections s’appliquant en principe à tous ceux qui travaillent par l’intermédiaire d’une plateforme de travail numérique, quels que soient le secteur d’activité et la forme du travail sur plateforme.
Cependant, ce document de travail soutient l’idée que même cette approche pourrait ne pas être en mesure de régir le phénomène du “travail sur plateforme” au sens large. Non seulement, sa couverture risque d’être trop étroite mais la directive proposée tend également à négliger d’importants aspects, tels que la réglementation de la durée du travail ou l’accès à la négociation collective, les laissant à d’autres instruments de l’UE qui pourraient ne pas être dûment mis à jour ni suffisamment intégrés aux règles plus adaptées incluses dans la proposition.
Ce document vise à explorer les principales dimensions réglementaires émergentes du travail sur plateforme. Il est organisé de la manière suivante. La prochaine section replace les défis liés au travail sur plateforme dans leur contexte, comme l’expression de caractéristiques consolidées qui, au fil des décennies écoulées, ont transformé le marché du travail: la non-standardisation et la déréglementation des relations de travail. Ensuite, le document étudie la définition du champ d’application personnel en tant que défi majeur auquel sont confrontées presque toutes les tentatives de réglementation du travail sur plateforme. Il le fait d’abord en examinant les fonctions et les mécanismes d’un dispositif juridique appelé “présomption de relation de travail”, qui est actuellement pris en compte par la proposition de directive sur le travail via une plateforme de l’UE comme un outil essentiel pour traiter, et à bien des égards écarter, les questions complexes liées à la classification des statuts d’emploi qui ont entouré l’économie à la demande depuis son émergence. Le document propose ensuite une cartographie conceptuelle des divers instruments réglementaires de l’UE (ceux qui existent et ceux qui sont en cours d’élaboration législative) qui, ensemble, définiront la mosaïque juridique des droits du travail applicables au phénomène hétérogène du travail sur plateforme dans les années à venir.
Le document indique que, même après l’adoption de la directive de l’UE sur le travail via une plateforme, les relations de travail dans ce domaine ne seront pas entièrement réglementées par ses dispositions et que d’autres directives et instruments en vigueur continueront de fournir (et, dans certains cas, à ne pas fournir) des réponses à diverses questions juridiques (telles que le concept du temps de travail, le respect de la vie privée au travail, et l’information et la consultation des travailleurs et de leurs représentants) qui sont essentielles pour les droits et les moyens de subsistance des travailleurs qui fournissent leur travail par l’intermédiaire de plateformes numériques. Le document analyse les interactions, les chevauchements et les tensions entre les instruments réglementaires de l’UE, en identifie les forces et les faiblesses et les éventuels domaines dans lesquels on peut enrichir voire réformer la législation.
Sommes-nous prêts pour la prochaine "pandémie de précarité”?
Le travail de plateforme n’est pas apparu comme un simple sous-produit de la grande disponibilité des appareils connectés, de l’évolution de l’appétit des consommateurs et des fonds de capital-risque aux poches profondes. Pour cerner les implications de cette tendance à la plateformisation ou à l’ubérisation des relations de travail, on ne peut qu’examiner les facteurs et les conditions préexistants qui ont permis son avènement. Ils peuvent être identifiés dans l’inefficacité de certains domaines des cadres nationaux et supranationaux du droit du travail et, plus généralement, dans le déclin progressif de la qualité et de la sécurité des marchés du travail6. Ces tendances sont souvent le résultat direct d'une préférence institutionnelle pour la flexibilisation et la déréglementation des systèmes de protection de l’emploi qui, pendant la majeure partie des trente dernières années, ont conduit à une re-marchandisation progressive du travail7.
Ce constat nous incite à situer les travailleurs des plateformes au sein des groupes surpeuplés de travailleurs atypiques qui passent à travers les mailles du filet des acquis sociaux au niveau national et européen en raison de leurs structures et rigidités institutionnelles anciennes8. Dans quasiment toutes les juridictions, les travailleurs doivent encore passer un “test de subordination” afin de bénéficier de tous les droits liés à l’emploi, illustrant un modèle réglementaire qui a été conçu pour le monde du travail tel qu’il existait avant le travail précaire et le travail numérique. Toutefois, la plupart des formes de travail discontinu, fragmenté et à distance, qui constituent une part grandissante des modalités de travail d’aujourd’hui, peuvent échapper à la notion classique d’emploi subordonné. Et ce problème a été exacerbé par l’essor de l’économie des plateformes.
En outre, nous soutenons que l’exclusion de vastes catégories de travailleurs du bénéfice des normes du travail décent va au-delà la définition étroite de “qui est un travailleur”. Même si ces formes précaires de travail étaient placées sous la protection normative d’une relation d’emploi, le corpus existant de normes du travail ne suffirait pas à rééquilibrer et compenser correctement le pouvoir contractuel, économique et de contrôle sans précédent des employeurs. Dans de nombreux cas, c’est le reflet d’une conception très institutionnelle de certains volets fondamentaux des instruments internationaux, européens et nationaux du droit du travail qui, selon nous, se sont pas adaptés aux modèles émergents dans lesquels les travailleurs sont géographiquement dispersés, les lieux de travail morcelés, les processus économiques menés par l’intermédiaire d’une infrastructure numérique et où le travail consiste en une série de tâches continues mais inconstantes9.
Une notion fragmentée du travailleur
Les plateformes numériques de travail ont ouvert le marché du travail à de nouveaux modèles d’entreprise “agiles”, avec une notion reconfigurée de l’entreprise et une forte dépendance aux pratiques d’externalisation, et elles ont remplacé les formes traditionnelles d’attribution des tâches et de contrôle des performances par des moyens plus subtils de surveillance numérique et de gestion algorithmique10. De ce fait, il existe un décalage grandissant entre ces formes de travail et les normes et types juridiques qui sont traditionnellement ancrés dans les notions de subordination verticale, hiérarchique et rigide. Cela aboutit alors à une inapplicabilité progressive des normes d’emploi traditionnelles.
D'un point de vue juridique, la réussite des plateformes pour “échapper” à leurs responsabilités en tant qu’employeurs repose principalement sur deux facteurs. Premièrement, leur modèle économique est basé sur la distanciation contractuelle entre les travaillleurs et leur donneur d’ordres (employeur) par laquelle les plateformes embauchent de manière prédominante des travailleurs indépendants et établissent des relations contractuelles avec des intermédiaires et des sous-traitants11. Deuxièmement, les plateformes sont passées maîtres dans l’art de modifier les conditions contractuelles ou d’ajuster légèrement leur modèle d’affaires pour masquer la subordination et atténuer l’impact des décisions de justice et des ordonnances administratives. Cette évolution alarmante démontre avec éclat que, même après être passés sous les fourches caudines des droits du travail sui generis au niveau national12, les travailleurs organisés en plateforme sont loin d’avoir obtenu une authentique amélioration de leurs conditions de travail13.
Le point de départ de la cartographie conceptuelle proposée dans ce document est donc que, pour améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes, les législateurs doivent repenser les rigidités traditionnelles associées au paradigme de la subordination14. Même l’introduction d’une présomption d’emploi assez large, comme le propose la proposition de directive de l’UE sur le travail de plateforme, ne résoudra pas la totalité des problèmes de toutes sortes liées au statut de “travailleur”. La raison en est, selon nous, que cette évolution réglementaire reflète un attachement persistant au modèle dichotomique opposant la subordination (ou direction ou contrôle) à l’autonomie.
Par une présomption légale, les travailleurs peuvent certainement obtenir une simplification des procédures pour revendiquer la classification appropriée de leur relation de travail en appliquant le principe bien établi de la primauté des faits, comme le prescript la recommandation (no 198) de l’OIT sur la relation de travail de 200615. Cependant, un élargissement supplémentaire et plus cohérent de la couverture de la protection de l’emploi peut être crucial pour éviter une segmentation accrue du marché du travail16. Par exemple, comme nous le verrons dans la prochaine section, la directive proposée par la Commission européenne envisage que les travailleurs qui ne peuvent pas prouver l’existence d’un certain degré de contrôle de la part de la plateforme ne pourront pas invoquer la présomption de relation de travail, même s’ils continueront de jouir d’un ensemble limité de droits (essentiellement les droits à la transparence et à l’information liés à la gestion via des algorithmes). Les conséquences indésirées de cette approche fragmentaire ne sont pas anodines17.
Dans le passé, la réglementation incohérente des nouvelles formes de travail a contribué à la consolidation d’alternatives à bas coût aux dépens de formes d’emploi plus stables et mieux protégées, justifiée par la nécessité d’abaisser les barrières à la création d’emplois et de développer des modalités flexibles. De plus, il convient de noter que la fragmentation de la protection du travail n’apparaît pas seulement comme le résultat d’un choix politique et réglementaire délibéré mais aussi d’une évolution concomitante qui a récemment redéfini le champ d’application personnel de certains droits du travail. On peut se référer aux lignes directrices de 2022 de la Commission sur l’application des règles de la concurrence à la négociation collective et aux travailleurs indépendants, dans lesquelles la Commission européenne reconnaît le droit à la négociation collective pour un grand nombre de travailleurs indépendants (sans salariés)18. Si cette initiative est indubitablement une reconnaissance institutionnelle positive du droit à la négociation collective pour les travailleurs indépendants sans salariés (ou solos), elle porte aussi le risque d’accroître encore la fragmentation parmi les travailleurs des plateformes.
Par exemple, certains travailleurs sur plateforme peuvent avoir l’occasion de négocier collectivement leurs conditions de travail, tout en ayant du mal à accéder aux normes du travail individuelles, à moins de pouvoir prouver que la plateforme exerce le niveau de contrôle nécessaire pour déclencher la présomption de relation de travail telle que définie par la directive.
Dans le même temps, de nouveaux paradigmes se dessinent lentement dans les décisions de justice. En effet, le contentieux stratégique s’est progressivement élargi au-delà de la question classique de la classification appropriée de la relation de travail. Des plaintes ont été déposées devant les tribunaux en matière de durée du travail, discrimination, santé et sécurité, vie privée et protection des données personnelles19. Là encore, si l’interprétation extensive de ces normes du travail reflète une tendance positive au changement, elle contribue à la fragmentation des protections des travailleurs applicables aux formes atypiques d’emploi et aux travailleurs des plateformes. Sans une réforme réglementaire cohérente, les solutions judiciaires ont une portée limitée.
Dans l’Union européenne, une action législative visant à harmoniser et, parallèlement, à étendre la portée des droits du travail est rendue nécessaire, non seulement par la précarité pressante et la fragmentation accrue du marché du travail, mais également par les normes internationales du travail. La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT (CEACR) a de manière répétée désigné plusieurs législations nationales qui n’incluaient pas les travailleurs occasionnels, les laissant sans protection. De la même manière, les organes de contrôle de l’OIT ont fait part de leur préoccupation quant à l’exclusion des travailleurs atypiques du champ d’application personnel de la législation nationale sur le travail et l’emploi qui fait obstacle à l’application des Principes et droits fondamentaux au travail (liberté d’association et reconnaissance effective du droit de négociation collective; élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire; abolition effective du travail des enfants; élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession; et un milieu de travail sûr et salubre)20.
L'exercice effectif des droits du travail
Garantir l’accès formel à la protection du travail aux personnes travaillant dans des formes atypiques d’emploi est une première étape indispensable. Cependant, cela ne signifie pas en soi que les normes du travail soient effectivement mises en œuvre et respectées. Une nouvelle fois, la gravité des lacunes réglementaires (et d’interprétation) est accentuée dans le contexte de l’économie de plateforme. Quand le Conseil d’administration de l’OIT procède à une analyse des lacunes normatives en matière de travail décent dans l’économie des plateformes, il identifie un nombre inquiétant d’éléments concernant les conditions de travail dans l’économie des plateformes qui ne sont pas réglementés de manière appropriée. Il s’agit notamment des pratiques non discriminatoires, de l’application des normes du travail, de la sécurité de l’emploi, de salaires décents, de la durée du travail, de la protection des données personnelles et, plus généralement, de la gestion algorithmique21.
Cela n’est guère surprenant puisque le travail sur plateforme correspond mal aux concepts et paradigmes normatifs qui ont été conçus à une époque où le travail s’effectuait hors ligne. Il suffit de penser à la Directive 2003/88/CE sur l’aménagement de la durée du travail qui ne clarifie pas de quelle manière comptabiliser le temps séparant deux tâches qui, par conséquent, reste le plus souvent non rémunéré. Un autre exemple intéressant est l’exercice des droits d’information et de consultation inscrits dans les directives 2002/14/CE et 98/59/CE et de la directive 2009/38/CE sur les comités d’entreprise européens. Ces instruments s’appuient sur les notions “d’institution” et de “procédure” qui risquent de perdre leur sens quand le travail n’est plus fourni dans un environnement physique donné et que les actifs des entreprises, tels que les données et les algorithmes, sont essentiellement intangibles.
A ces directives “historiques”, les législateurs de l’UE ont ajouté une deuxième génération de normes du travail, dont certaines sont encore en cours d’élaboration, conçues alors que la vague de nouveaux défis posés par l’économie numérique avait déjà fait surface. Il s’agit notamment de la Directive 2019/1152/UE sur les conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’UE (DTPCT), du Règlement général sur la protection des données (RGPD), de la loi sur l’intelligence artificielle et du projet de directive sur le travail de plateforme lui-même. Toutefois, si ces instruments tentent de réguler certains aspects des formes modernes et flexibles de travail, nous estimons qu’ils ignorent certaines spécificités essentielles du travail sur plateforme. Ils ne comblent que partiellement les failles existantes dans le cadre réglementaire et ne fournissent pas d’outils suffisamment pointus pour améliorer les conditions de travail dans l’économie des plateformes. Ce constat nous incite à nous concentrer sur les lacunes et insuffisances plus structurelles qui empêchent les travailleurs des plateformes, ainsi que des légions de travailleurs atypiques, de bénéficier de bonnes conditions de travail (ou au moins de conditions décentes).
Les rédacteurs de la directive sur le travail via les plateformes semblent conscients du fait que le texte législatif ne traite qu’une partie seulement des vulnérabilités vécues par les travailleurs sur plateforme. Ils y ont inclus plusieurs références croisées plaçant la directive dans une mosaïque complexe d’outils réglementaires, admettant de manière implicite son insuffisance. Une lecture thématique et combinée de l'ancienne et de la nouvelle législation est donc nécessaire pour mesurer l’ampleur des “carences en matière de protection”22. Nous pensons que cet exercice exploratoire est essentiel pour faire le point sur le présent et nous projeter de manière constructive. En plus de fournir une image des failles et des solutions offertes par le cadre juridique existant (et émergent) de l’UE, cette approche promet de renforcer l’efficacité de la directive proposée qui ne peut être lue de manière isolée. Dans le même temps, elle a pour but de réduire la commodité corrosive du paradigme des plateformes, qui représente une franche invitation à saper les conditions de travail dans les entreprises concurrentes23. En outre, nous pensons que les enseignements tirés du cas du travail sur plateforme devraient utilisés pour définir et mettre en œuvre des mesures politiques et réglementaires rigoureuses afin de prévenir la prochaine pandémie de précarité, au moment où le virus de modèles d’affaires irresponsables et non durables pourrait infecter divers secteurs économiques.
La présomption légale de relation de travail: un outil mais pas une panacée
Les employeurs exploitant des plateformes ont déployé des efforts soutenus afin d’obscurcir le statut d’emploi de leur main-d’œuvre en recourant à des dispositifs contractuels, parfois entièrement fictifs (par exemple, en utilisant des “clauses de substitution”) et en déployant des innovations technologiques destinées à déjouer les tests de statut d’emploi mis en place (par exemple, la possibilité de passer d’une application à l’autre étant un indicateur de l’existence d’une vaste “base de clients”, parallèlement à l’absence “d’intégration” dans une entreprise particulière ou de la prise d’un “risque d’entreprise”). Par conséquent, il est peu surprenant qu’un volume important de décisions de justice ait rapidement émergé, en Europe mais également à l’échelle internationale24, autour de la question du statut professionnel des travailleurs de l’économie à la demande. Il n’est pas non plus étonnant que les personnes qui plaident pour une régulation équitable du travail sur plateforme aient identifié l’introduction d’une “présomption de relation de travail” comme une solution possible et pratique à cette épineuse question, qui présenterait le double avantage d’accroître la sécurité juridique et de réduire les litiges (et les frais de contentieux, en particulier pour des travailleurs qui, le plus souvent, ont des revenus faibles voire très faibles).
Cette section explore brièvement les caractéristiques typiques des “présomptions d’emploi”, puis évalue la présomption figurant actuellement dans la proposition de directive de de l’UE sur l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, ainsi que la formulation, rédigée différemment, proposée par le Parlement européen en février 202325. Elle montre que, selon leur formulation spécifique, les “présomptions de relation de travail” peuvent être utiles pour clarifier le statut professionnel des travailleurs à la demande (et des travailleurs au sens large) et contribuent à s’assurer que le travail via une plateforme répond aux normes minimales que nous associons au concept de travail décent. Elle met néanmoins en garde contre l’idée que les présomptions peuvent être une panacée ou une solution miracle, capables à elles seules de résoudre des questions de classification complexes et des tensions qui, en fin de compte, sont intimement liées au concept (et à la définition juridique) du travail qui détermine le champ d’application personnel des droits du travail.
Présomptions légales d’emploi – typologies et fonctions
Les présomptions d’emploi, définies au sens large comme des doctrines juridiques fondées sur la loi ou créées par le juge, établissant qu’une relation de travail non spécifiée est une relation de travail juridiquement pertinente (généralement subordonnée), ne sont pas rares dans un certain nombre de systèmes juridiques. Kullman rapporte que, “si la majorité des États membres de l’UE — c’est-à-dire 17 — n’ont pas ou plus de présomption légale concernant la relation de travail”, les dix autres États membres de l’UE qui ont une présomption légale soit réglementent des présomptions générales largement applicables à tous les types de relations de travail (Croatie, Espagne, Estonie, Grèce, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovénie), soit inscrivent des présomptions applicables à des catégories de travailleurs ou des secteurs particuliers (Belgique, France)26.
Le système de l’OIT considère l’existence et l’utilité de ces dispositifs, expressément mentionnés dans la recommandation no 198 comme de possible outils pour “faciliter la détermination de l’existence d’une relation de travail” et décrits comme “établissant une présomption légale d’existence d’une relation de travail lorsqu’on est en présence d’un ou plusieurs indices pertinents”.
Selon leur formulation et leur conception exactes, les présomptions légales peuvent servir plusieurs finalités et opérer de différentes manières, avec différents degrés d’efficacité dans l’accomplissement de leur fonction première qui est de faciliter la détermination de l’existence d’une relation de travail. D’un point de vue abstrait, il existe différents types de présomptions. Elles peuvent être absolues, c’est-à-dire non réfutables — très rares dans le domaine du droit du travail mais plus courantes dans d’autres domaines tels que le droit de la famille et le droit pénal — ou simples/relatives, habituellement réfutables par l’autre partie. Certaines présomptions peuvent être générales (par exemple, “les relations de travail sont présumées (…) être exécutées dans les liens d’un contrat de travail”27) tandis que d’autres peuvent être spécifiques (par exemple, certaines professions (notamment le journalisme, le mannequinat et les métiers du spectacle28) ou certaines formes de travail (par exemple, les coursiers de livraison par l’intermédiaire d’une plateforme29) sont généralement exercées par des travailleurs bénéficiant d’un statut professionnel protégé. Les présomptions peuvent aussi être conditionnelles dans le sens où elles s’appliquent si et quand certains indices sont présents (par exemple, dans le système belge), ou génériques, c’est-à-dire qu’elles s’appliquent à certaines professions nonobstant la présence de tels indices.
Le premier effet d’une présomption réfutable est d’établir qu’une personne (par exemple, une personne qui travaille, pour utiliser des termes neutres) a un certain statut professionnel jusqu’à ce qu’un autre statut soit prouvé par l’autre partie (par exemple, l’employeur ou le donneur d’ordres). En ce sens, les présomptions ont pour effet secondaire de déplacer la charge de la preuve vers l’employeur même si, en théorie et en pratique, la “présomption” et “la charge de la preuve” sont des institutions et des dispositifs juridiques distincts. Dans la plupart des systèmes, ce déplacement se fait automatiquement en raison de la présomption légale (c’est-à-dire sans que le travailleur ait à établir des faits particuliers) — le simple fait de revendiquer le statut de journaliste salarié sur la base de la présomption est normalement suffisant. Mais dans les systèmes où la présomption fonctionne seulement après que le travailleur a établi, même seulement prima facie, la présence de certains critères ou indices, par exemple dans le cas de la “présomption” belge évoquée plus haut, la présomption opère en réalité comme un mécanisme de renversement de la charge de la preuve, conditionné par le fait que le plaignant réussisse à établir certains faits élémentaires dont le juge s’assure qu’ils correspondent à la définition légale de la relation de travail.
De manière générale, les présomptions réfutables générales (c’est-à-dire celles qui s’appliquent à plus d’un type ou forme de travail) et inconditionnelles (c’est-à-dire celles qui ne sont pas soumises au respect de certains critères) sont plus efficaces que les présomptions conditionnelles et spécifiques à un secteur/emploi. Le niveau de preuve attendu de l’employeur présumé pour renverser la présomption peut également varier d’un système à l’autre. En règle générale, les systèmes dans lesquels l’employeur peut s’acquitter de la charge de la preuve associée à la réfutation sur la base de seuils plus exigeants (tels que la “prépondérance des probabilités”, par opposition à des preuves “suffisantes à première vue” — “au-delà du doute raisonnable” n’étant généralement pas une option dans un contentieux civil) seront plus efficaces pour protéger les travailleurs grâce à une présomption de statut. Un point tout aussi important, qui sera développé ultérieurement: l’efficacité des présomptions légales dépendra aussi en grande partie de la portée des définitions juridiques des concepts de “travailleur”, “relation de travail” ou “salarié” qui sont présumés. Globalement, plus le concept de “travailleur” est étroit, plus il sera aisé pour un donneur d’ordres de renverser la charge de la preuve en affirmant que la personne ne répond pas, en fin de compte, aux tests et critères rigoureux utilisés pour définir la catégorie de “travailleur” (ou de “salarié”).
Ainsi, si les présomptions peuvent s’avérer des dispositifs juridiques utiles lorsqu’on cherche à clarifier le statut professionnel des travailleurs en général, et des travailleurs des plateformes en particulier, le diable ne se cache pas seulement dans le détail de la manière dont elles sont précisément conçues et formulées mais également dans l’écosystème des règles de procédure et des définitions de fond qui entourent leur fonctionnement. Cela est particulièrement vrai pour les règles qui définissent la charge de la preuve durant la réfutation et pour le concept de “travailleur” auquel, finalement, la présomption sera soumise au stade de la réfutation.
La ou les définitions européennes de la présomption d’emploi dans l’économie à la demande
L'UE a adopté tardivement des présomptions légales dans ses directives sur le droit du travail, dans une large mesure parce que, comme indiqué ci-dessous, les présomptions peuvent avoir des implications procédurales importantes bien que secondaires. Elle est donc mal à l’aise avec le principe “d’autonomie procédurale” (un principe général du droit communautaire selon lequel les États membres sont libres d’établir leurs propres règles nationales de procédure pour régir l’exercice du droit, sous réserve uniquement de garantir que les voies de recours pour les droits communautaires soient équivalentes à celles en vigueur pour les droits nationaux et, en fin de compte, et qu’elles soient efficaces pour les faire respecter (principes “d’équivalence” et “d’efficacité”). Cependant, même avant la proposition faite par la Commission d’une directive sur le travail de plateforme, l'UE avait déployé l’usage des présomptions dans le contexte de l’emploi avec l’adoption de la directive 2019/1152 sur les conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne, en particulier ses articles 11 et 15. Cette directive a des répercussions considérables sur les droits des travailleurs des plateformes qui sont expressément mentionnés dans le paragraphe 8 de son préambule (sous réserve qu’ils ne soient pas “réellement indépendants”).
Ces deux dispositions contiennent deux types de présomption différents, avec des finalités et des fonctions distinctes. L’article 11 demande aux États membres qui autorisent le recours à des “contrats à la demande ou à des contrats de travail similaires” (par exemple, contrats zéro heure) d’adopter des mesures pour éviter les “pratiques abusives”; par exemple, des mesures limitant le recours et la durée de ces contrats ou de “présomption réfragable de l’existence d’un contrat de travail comprenant un minimum d’heures payées sur la base de la moyenne d’heures travaillées pendant une période donnée”. L’article 15 introduit une présomption qui constitue en fait une sanction pour les employeurs qui ne se conforment pas aux exigences d’information prévues par les autres dispositions de la directive (adoptée en remplacement de la directive 91/533 sur l’obligation d’informer les travailleurs des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail). Il demande aussi aux États membres de veiller à ce que, lorsqu’un travailleur n’a pas reçu dans le délai prescript tout ou partie des documents visés à l’article 5(1) ou à l’article 6, “le travailleur bénéficie de présomptions favorables définies par l’État membre, que les employeurs ont la possibilité de réfuter”. Le paragraphe 39 du préambule de la directive explique précisément que “parmi les présomptions favorables en cas d’informations manquantes pourrait figurer le fait que le travailleur se trouve dans une relation de travail à durée indéterminée, qu’il n’y a pas de période d’essai et que le travailleur occupe un poste à temps plein”.
Bien qu’il ne s’agisse pas de “présomptions de statut”, ces deux présomptions ont pour effet d’introduire, par la loi, un contrat de travail ou une relation de travail là où n’existe pas nécessairement de contrat, y compris dans les circonstances où le statut professionnel du travailleur n’est pas clair. Comme indiqué plus haut, ces présomptions s’appliqueraient aux travailleurs des plateformes pour autant qu’ils ne soient pas de vrais indépendants, même si leur application devra inévitablement s’accompagner d’une qualification du statut professionnel des travailleurs concernés (nous estimons que cela faciliterait la détermination d’un statut d’emploi chaque fois que les travailleurs auront l’occasion de les activer).
La proposition de directive de la Commission sur le travail de plateforme
La présomption légale de l’existence d’une relation de travail établie par l’article 4 de la proposition faite par la Commission en 2021 de directive sur le travail de plateforme est indubitablement celle qui a attiré le plus l’attention des commentateurs et des experts30 . Un “instrument bienvenu” mais qui, dans sa “formulation actuelle… risque d’être peu utile au mieux, voire contreproductive dans certains cas”31. La présomption contenue dans la proposition initiale a été sensiblement modifiée voire remaniée par le rapport du Parlement européen adopté en février 202332. Cette section analyse les deux formulations, leurs mérites et leurs pièges potentiels, tout en constatant que les négociations interinstitutionnelles (dites “trilogues”) sont toujours en cours et que la formulation finale de cette disposition cruciale est, pour le moment, loin d’être claire.
Dans la directive proposée à l’origine par la Commission, l’article 4 était chargé de définir les conditions dans lesquelles la “relation contractuelle entre une plateforme de travail numérique qui contrôle … l’exécution d’un travail et une personne exécutant un travail par l’intermédiaire de cette plateforme est juridiquement présumée être une relation de travail”. L’article 4(2) définit cinq critères et prévoit que la présomption s’applique si au moins deux d’entre eux sont remplis. Les critères tournent globalement autour de l’idée de “contrôle de l’exécution d’un travail” et semblent découler des notions de “contrôle” et de “subordination”. Les cinq critères sont les suivants: (a) déterminer effectivement le niveau de rémunération, ou en fixer les plafonds; (b) exiger de la personne exécutant un travail via une plateforme qu’elle respecte des règles impératives spécifiques en matière d’apparence, de conduite à l’égard du destinataire du service ou d’exécution du service; (c) superviser l’exécution du travail ou vérifier la qualité des résultats du travail, notamment par voie électronique; (d) limiter effectivement, notamment au moyen de sanctions, la liberté de la personne exécutant un travail via une plateforme d’organiser son travail, en particulier sa liberté de choisir son horaire de travail ou ses périodes d’absence, d’accepter ou de refuser des tâches ou de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants; et (e) limiter effectivement la possibilité de la personne exécutant un travail via une plateforme de se constituer une clientèle ou d’exécuter un travail pour un tiers.
Au grand dam des défenseurs des travailleurs et des syndicats, cette présomption n’a pas été conçue pour fonctionner “ipso jure” (c’est-à-dire automatiquement et en vertu de la loi) mais pouvait seulement “s’appliquer dans toutes les procédures administratives et judiciaires pertinentes”, nécessitant effectivement une évaluation judiciaire ou administrative de la présence ou non des critères. L’article 3 stipule que, pour s’assurer de l’existence d’une relation de travail, les décisionnaires sont guidés “en premier lieu par les faits relatifs à l’exécution effective d’un travail”; il établit en fait un principe de primauté des faits sur le formalisme contractuel, sans aucun doute une approche positive et protectrice des travailleurs.
Dans la proposition initiale, la présomption de l’article 4 était supposée agir de concert avec l’article 5, ce dernier introduisant la possibilité pour les employeurs de réfuter la présomption chaque fois que “la plateforme de travail numérique affirme que la relation contractuelle en question n’est pas une relation de travail au sens du droit, des conventions collectives ou de la pratique en vigueur dans l’État membre en question, eu égard à la jurisprudence de la Cour de Justice”. L’article 5 ne précisait pas quelle charge de la preuve devait être acquittée pour que la réfutation aboutisse, mais plaçait résolument la charge de la preuve sur “la plateforme de travail numérique”. L’article 5 offrait également la possibilité pour la personne qui exécute un travail via une plateforme d’affirmer que la relation contractuelle avec la plateforme n’est pas une relation de travail.
L'approche retenue dans la proposition de la Commission a fait l’objet de nombreuses critiques. De Stefano a souligné que les cinq indicateurs contenus dans l’article 4 étaient tous liés aux concepts de subordination et de contrôle et que, dans la plupart des juridictions, chacun d’entre eux (et certainement les critères (b), (c) et (d)) pourrait à lui seul (c’est-à-dire sans qu’il soit besoin que d’autres critères soient remplis) être utilisé pour classer une relation de travail comme une relation de subordination33. On peut aussi soutenir que le fait de limiter la présomption aux relations qui présentent déjà de forts indices de subordination et de contrôle sur l’exécution du travail n’est pas particulièrement utile, car ces critères devraient normalement aider les travailleurs à faire valoir leur statut de travailleur à part entière, en audience plénière, dans la plupart des juridictions. Cette limite tient en partie au fait que la proposition ne précisait pas (et, sur la base du principe de “l’autonomie procédurale”, ne pouvait sans doute pas) spécifier une charge de la preuve moins lourde pour que la présomption s’applique (par exemple une évaluation à première vue) par rapport à la charge de la preuve normale déployée dans les affaires d’emploi (habituellement la “prépondérance des probabilités”). Il est également clair que ces listes de critères prêtent elles-mêmes le flanc à des tentatives souvent peu sophistiquées, mais pour le moins efficaces et fructueuses, de la part des plateformes de les contourner par le recours à des clauses hautement improbables (mais pas nécessairement farfelues), telles que des “clauses de substitution” formulées de manière floue pour passer outre des critères tels que le critère (d) ou l’autorisation tacite ou explicite d’utiliser des plateformes multiples pour passer outre le critère (e). En ce sens, comme l’a souligné De Stefano, ces articles de la proposition de directive de la Commission ne résisteront sans doute pas à l’épreuve du temps.
Les propositions du Parlement européen
La proposition du Parlement européen s’écarte assez radicalement de l’approche du texte de la Commission, le plus visible étant la suppression pure et simple de tous les critères contenus dans l’article 4(2), l’article 4(1) stipulant simplement que “la relation contractuelle entre une plateforme de travail numérique et une personne exécutant un travail par l’intermédiaire de cette plateforme est légalement présumée être une relation de travail et, par conséquent, les plateformes de travail numériques sont présumées être des employeurs”. En revanche, l’article 5 offre toujours la possibilité aux plateformes de travail numériques employeuses de renverser la présomption “en apportant la preuve que la personne qui exécute un travail via une plateforme est un véritable indépendant” quand elles peuvent démontrer l’existence des deux critères énoncés dans les nouveaux points (a) et (b) de l’article 5(3). Le premier prévoit que ce pourrait être quand “la personne qui exécute un travail via une plateforme n’est ni contrôlée ni dirigée par la plateforme de travail numérique pour ce qui est de l’exécution du travail, aussi bien en vertu du contrat d’exécution du travail que dans les faits”; et le second s’applique quand “la personne qui exécute un travail via une plateforme exerce habituellement une activité commerciale, professionnelle ou industrielle de manière indépendante qui est de la même nature que celle associée au travail exécuté”.
Les amendements du PE à l’article 5 ont ensuite défini les indicateurs que les tribunaux et les décideurs doivent prendre en considération lorsqu’ils établissent “le contrôle et la direction” au titre de l’article 5(3) (a). Il s’agit de: (a) la fixation effective du niveau de rémunération, la fixation du montant maximal de celle-ci ou le versement périodique de la rémunération; (b) la détermination effective des conditions de travail ou le contrôle de celles-ci, notamment la limitation des horaires de travail et de la durée du temps de travail, ou l’imposition de l’exécution du travail, notamment par des sanctions ou des mesures incitatives, la restriction de l’accès au travail ou le recours à des systèmes de notation à des fins de contrôle et de sanction ainsi que d’affectation du travail; (c) l’interdiction effective faite à la personne qui exécute un travail via une plateforme de nouer des contacts commerciaux avec des clients potentiels, notamment en contrôlant ou en limitant la communication entre la personne qui exécute le travail via la plateforme et le destinataire des biens ou des services pendant ou après l’exécution du travail; (d) le suivi ou la supervision de la personne qui exécute un travail via une plateforme pendant qu’elle effectue ce travail; (e) l’obligation imposée à la personne qui exécute un travail via une plateforme de respecter des règles spécifiques en matière d’apparence, de comportement à l’égard du destinataire du service ou d’exécution du travail; (f) la limitation effective du recours à des sous-traitants ou à des remplaçants pour exécuter le travail; (g) la limitation effective de la possibilité, pour la personne qui exécute un travail via une plateforme, d’exécuter un travail pour un tiers, notamment pour des concurrents des plateformes de travail numériques; (h) la limitation de la liberté de choix de la personne qui exécute un travail via une plateforme en ce qui concerne la protection sociale, l’assurance accident, le régime de retraite ou d’autres formes d’assurance, notamment sous la menace de conséquences défavorables.
Si cette liste d’indicateurs est une réminiscence de celle présentée dans l’article 4 de la proposition de la Commission, l’approche du PE s’écarte nettement de celle adoptée par la Commission à l’origine. Premièrement, en déplaçant les critères vers la phase de “réfutation” de la procédure, elle place en fait la charge supplémentaire de les respecter sur la plateforme employeuse en la retirant du travailleur qui invoque une classification erronée. Deuxièmement, les indicateurs contenus dans l’article 5 sont suffisamment souples pour permettre raisonnablement à un large éventail de personnes travaillant via des plateformes de revendiquer un certain degré de contrôle et de direction exercé par la plateforme sur leur travail (voir l’utilisation des termes tels que “effectivement” ou l’accent mis sur le “suivi” au côté du concept plus évident de “supervision”). Troisièmement, ces indicateurs ne s’appliquent pas simultanément mais séparément, si bien qu’un travailleur pourrait en fin de compte faire valoir qu’il ou elle était sous le contrôle ou la direction de la plateforme, simplement en affirmant que l’un d’entre eux s’applique à la manière dont son travail est effectué. Enfin, les employeurs de plateforme sont soumis à la charge cumulée de démontrer que les points (a) et (b) de l’article 5(3) s’appliquent tous les deux; c’est-à-dire que le travailleur en question n’est ni sous leur contrôle ni sous leur direction mais qu’il est habituellement engagé dans une profession, une activité commerciale ou industrielle indépendante.
Certes, même cette approche différente prête le flanc à la critique de fournir une liste de cases que les employeurs pourraient tenter de cocher simplement en remaniant les accords contractuels et en introduisant des clauses fictives ou des dispositifs de contournement. Mais, dans l’ensemble, cet exercice s’avérerait beaucoup plus exigeant que celui qu’ils auraient à réaliser dans le cadre de la proposition originelle de la Commission.
Les présomptions légales et “l’ingrédient manquant”: le concept de travailleur
La sous-section précédente offrait une évaluation de la présomption légale et de la règle de réfutation telles que formulées dans la proposition de directive initialement proposée par la Commission par rapport au texte alternatif présenté par le Parlement européen. Elle a conclu que, tout compte fait, l’approche adoptée par le PE (une présomption non qualifiée et une règle de réfutation qualifiée) est susceptible d’être plus protectrice des travailleurs que celle choisie par la Commission (une présomption qualifiée avec des critères cumulatifs et une règle de réfutation non qualifiée).
Il est cependant utile de noter que la bienveillance de ces dispositifs procéduraux à l’égard des travailleurs, sans doute importante, dépend en fin de compte fortement de la définition matérielle de la relation de travail qui sous-tend leur fonctionnement. Au final, faute d’introduire une présomption de relation de travail absolue et irréfragable, toute formulation de présomption de relation de travail devra être examinée par l’autorité administrative ou judiciaire compétente. Sa tâche consistera, à un moment donné, à vérifier et à confirmer que le travailleur indépendant /salarié présumé est, en fait et en droit, un travailleur indépendant /salarié; c’est-à-dire qu’il ou elle répond aux critères objectifs utilisés dans cette juridiction pour déterminer si le travailler relève du champ d’application personnel de la législation du travail.
Les règles de présomption peuvent certainement établir ou faciliter la confirmation prima facie qu’un travailleur ayant un statut douteux ou complexe doit être couvert par le droit du travail. Mais en fin de compte cette évaluation sera examinée et appréciée au regard de la définition standard du travailleur applicable dans le contexte. Plus la définition du travailleur/salarié est étroite, plus il est improbable qu’un décisionnaire confirme qu’une personne travaillant dans une relation qui s’écarte des canons et critères classiques déterminant cette définition est effectivement salariée ou qu’elle est dans une relation de travail. A l’inverse, plus ce concept est large, plus les chances sont grandes que le juge finisse par confirmer que la présomption s’applique. Par analogie avec le domaine de la classification zoologique, on pourrait dire qu’il est tout à fait possible d’introduire une présomption que les dauphins sont en réalité des chimpanzés. Mais tant que nous retenons un concept du chimpanzé auquel nous sommes tous intuitivement habitués, il est très improbable, voire impossible, qu’un examinateur raisonnable de cette présomption confirme cette évaluation. Si toutefois la catégorie “chimpanzé” se voyait remplacée par un concept plus large (par exemple, “mammifère” ou “animal”), alors la présomption aurait toutes les chances d’être approuvée par la plupart des décisionnaires raisonnables.
C’est peut-être là que réside la plus grande faille de toutes les présomptions discutées dans cette section. Le champ d’application personnel de la proposition de directive sur le travail de plateforme (celle de la Commission comme celle du PE) reste fortement marqué par la définition du “travailleur de plateforme” comme “toute personne exécutant un travail via une plateforme qui a un contrat de travail ou une relation de travail au sens du droit, des conventions collectives ou de la pratique en vigueur dans les États membres, eu égard à la jurisprudence de la Cour de Justice (article 2(1)(4)) de la proposition de la Commission. Même dans l’hypothèse où la Cour de Justice (CJUE) adopte une approche légèrement plus généreuse dans sa formulation de la notion de “travailleur” que celle de plusieurs États membres, la présomption devra, en fin de compte, être évaluée entre le marteau des définitions nationales du travailleur et l’enclume de la jurisprudence de la CJUE. Cette dernière reste globalement ancrée dans les concepts de subordination et de contrôle, qui pourraient ne pas correspondre à plusieurs types de travail fournis via les plateformes. On a clairement l’impression que, si certaines formes de travail, par exemple celles qui sont couramment associées à la livraison de nourriture ou au transport urbain, peuvent plus facilement correspondre aux définitions habituelles du travailleur, basées sur le contrôle et la subordination, d’autres types, en particulier ceux qui sont effectués uniquement en ligne (par opposition à “sur place” — notons que la proposition de directive prétend réglementer les deux), risquent d’être moins à l’aise avec des concepts étroits et traditionnels. C’est le cas, même quand les personnes impliquées dans ces formes de travail peuvent très bien exécuter un travail à titre purement ou principalement personnel et gagner leur vie, en tout ou partie, grâce à ce travail.
Il s’agit peut-être d’une lacune qui n’a pas reçu l’attention qu’elle mérite en dépit de proposition de directive qui, par le nombre limité de droits qu’elle introduit (essentiellement ceux figurant au chapitre III), englobe un champ d’application plus large que celui défini par la notion de “travailleur des plateformes”. Ce champ d’application élargi découle du rattachement de ces droits à la catégorie plus large de “personne exécutant un travail de plateforme”, définie par l’article 2(1)(3) comme “tout individu exécutant un travail via une plateforme, indépendamment de la qualification contractuelle de la relation entre cet individu et la plateforme de travail numérique par les parties concernées (souligné par les auteurs).
Bien que la jurisprudence la plus récente de la Cour de Justice évoque une lente évolution vers une interprétation plus large des notions de travail et de profession34 , il est juste de dire que cela reste le talon d’Achille de ce domaine du droit du travail et de la procédure. En fin de compte, une présomption sera toujours moins efficace si le concept de relation de travail auquel elle se réfère est étroit et pas assez inclusif. Un concept de relation de travail qui englobe une idée élargie du “travail personnel” pourrait à bien des égards atténuer, voire éliminer, ce type de lacune35. Il convient de noter que les lignes directrices de 2022 de la Commission, relatives à l’application du droit de la concurrence de l’Union aux conventions collectives concernant les conditions de travail des travailleurs indépendants sans salaries36, qui s’appliquent aussi aux travailleurs indépendants sur plateforme répondant au champ d’application personnel de ces lignes directrices, ont fait appel à la notion de “travail personnel”. Les lignes directrices sont censées s’appliquer à toute “personne qui n’a pas de contrat de travail ou qui ne se trouve pas dans une relation de travail et qui dépend principalement de son travail personnel pour la fourniture des services concernés” (souligné par les auteurs). Par conséquent, les exemples de champs d’application plus étendus ne manqueraient si l’UE décidait, un jour, d’élargir sa définition du “travailleur”.
Pistes juridiques pour améliorer les emplois temporaires, peu rémunérateurs et imprévisibles de l’économie à la demande
L'intégration des travailleurs des plateformes dans le champ de protection du droit du travail est une étape nécessaire et fondamentale sans aucun doute, mais elle n’est pas suffisante en soi pour garantir des conditions de travail décentes. Permettre aux travailleurs d’accéder aux droits liés à l’emploi, par exemple au moyen de la présomption d’emploi, leur confère une reconnaissance formelle leur permettant de demander l’application de la législation du travail nationale et européenne. Cependant, la jouissance pratique de ces droits peut être singulièrement entravée par les difficultés liées à la transposition de normes du travail conçues à l’ère prénumérique à l’économie des plateformes, puis à leur mise en œuvre.
Plusieurs difficultés dans l’application des cadres en vigueur en matière de droit du travail aux travailleurs des plateformes viennent du modèle d’affaires prédominant dans l’économie de plateforme qui est centré sur la décomposition structurelle, la fragmentation et la réorganisation des processus économiques et productifs traditionnels. En d’autres termes, les plateformes sont les principaux artisans et accélérateurs de la désintégration de l’entreprise telle qu’on la concevait traditionnellement37. De manière concomitante, la dimension spatiale traditionnelle du travail a été déconstruite. Dans l’économie conventionnelle, les notions d’environnement de travail, d’établissement et d’entreprise correspondaient à des espaces physiques où l’employeur a l’obligation de veiller à ce que ses employés puissent faire valoir leurs droits que le cadre juridique leur confère. Dans le cadre de l’économie de plateforme, au contraire, les espaces de travail virtuels et une main-d’œuvre plus dispersée prédominent, ce qui rend l’application des normes du travail assez délicate, surtout celles qui sont ancrées dans une notion de l’entreprise en tant que réalité relativement statique et concrète.
Toutefois, la dimension “spatiale” n’est certainement pas la seule à être déconstruite. L’élément “temporel” est également bouleversé car le travail de plateforme aggrave la dimension “travail à la demande” des marchés du travail actuels. Cela correspond à un retour aux formes les plus précaires du travail occasionnel38 et rappelle un modèle de production basé sur l’intermédiation de la main-d’œuvre et des prestataires de travail personnel à leur compte dépossédés de leurs droits39. L’extrême fragmentation du travail en “périodes disjointes”40(“tâches”), organisées sur la base du “si et quand” et rémunérées à la carte, est déterminante dans le fait de priver le travail d’une vaste panoplie de protections de l'emploi et, dans le contexte de risques (par exemple, une baisse de la demande) et de coûts commerciaux (liés aux équipements, à l’énergie, à la formation, à l’acquisition de clients) qui sont reportés sur ces travailleurs41.
Les principales sources de frustration, pour les travailleurs des plateformes sur site et en ligne, sont les suivantes: imprévisibilité des horaires, caractère éphémère des missions, manque de transparence dans les modèles de gestion et risque qu’une relation de travail se termine effectivement par le simple fait qu’un algorithme ne propose plus d’offres “d’emploi”. Ce problème a un effet d’entraînement, qui aboutit à de faibles niveaux de revenu et de piètres conditions de sécurité et de santé. Pris dans un cercle vicieux, les travailleurs ne peuvent rien planifier avec un degré d’anticipation fiable et sont contraints d'être en concurrence les uns avec les autres pour décrocher un grand nombre de “boulots” bien payés en satisfaisant les systèmes opaques basés sur des algorithmes déployés par les entreprises. Cette version antagoniste des engagements professionnels amplifie les risques psychosociaux et expose les travailleurs au sous-emploi ou au surmenage42, parfois lié à des solutions telles que l’ouverture de comptes sur plusieurs plateformes (un facteur sur lequel peuvent s’appuyer les entreprises de plateforme, et éventuellement certains tribunaux, pour affaiblir l’application de la présomption de relation de travail dans sa formulation actuelle).
Enfin, la difficulté d’assigner les responsabilités et les obligations de l’employeur au niveau approprié représente un défi de taille pour l’application efficace du corpus de droit du travail national et européen en vigueur. Plus encore que le travail sur plateforme, le travail collaboratif incarne le carburant numérique que les plateformes de travail utilisent pour leurs pratiques d’externalisation et de sous-traitance43 . Au sein des entreprises décomposées, il existe de nombreuses relations contractuelles pour la fourniture de main-d’œuvre, pourtant on observe une tendance réelle: aucune entité n’assume l’intégralité des responsabilités d’un employeur. Selon un concept emprunté à Weill, la “colle organisationnelle” qui fait tenir le processus économique ensemble ne réside pas dans les structures traditionnelles de l’entreprise mais dans la gestion algorithmique44. Les outils et les pratiques de gestion algorithmique (GA) permettent en fait de superviser, de diriger et d’intégrer les processus de travail au-delà des frontières des entreprises traditionnelles. Bien évidemment, le cadre juridique de l’UE ne possède pas (encore) les dispositions adéquates pour aborder et réguler un changement aussi perturbateur. Les pratiques de contrôle excessif et de gestion omniprésente restent donc largement non réglementées, sans obligation claire de rendre des comptes.
Dans cette section, nous présentons quelques-unes de ces lacunes en matière de protection. Nous examinons plusieurs domaines politiques (droits collectifs, temps de travail, transparence et prévisibilité des conditions de travail et gestion algorithmique) dans le but d’étudier les défis posés par les cadres en place et les éventuelles réponses qu’ils peuvent offrir.
Redéfinir l’espace d’exercice des droits collectifs des travailleurs dans une économie des plateformes “déspatialisée”
Les droits collectifs des travailleurs jouent un rôle crucial pour contrebalancer le fort pouvoir économique de l’employeur et promouvoir la démocratie sur le lieu de travail. Ces droits comprennent la négociation collective ainsi que l’information, la consultation et, dans les systèmes les plus avancés, la participation des employés aux choix de gestion et aux changements de fond relatifs à l’organisation du travail. Il existe une certaine complémentarité entre les droits à l’information et la consultation et la négociation collective, dans la mesure où, comme le mentionnent explicitement les instruments législatifs de l’UE, les pratiques d’information et de consultation doivent avoir lieu “en vue de parvenir à un accord” entre la direction et les travailleurs.
Selon l'évolution récente de l’élaboration des politiques dans l’UE, les travailleurs des plateformes devraient pouvoir bénéficier pleinement de ces droits. Comme nous l’avons mentionné dans la section précédente, les lignes directrices de 2022 sur la négociation collective pour les travailleurs indépendants solos indiquent clairement que les pratiques de négociation collective parmi les véritables “travailleurs indépendants sans salariés travaillant par l’intermédiaire de plateformes de travail numériques” sont compatibles avec le droit européen (de la concurrence). De plus, la proposition de directive sur le travail de plateforme inclut les droits à l’information et la consultation parmi les normes minimales à reconnaître en faveur des travailleurs des plateformes, aussi longtemps qu’ils sont dans une relation de travail. En principe, les travailleurs des plateformes bénéficient donc des droits collectifs liés au travail. Cependant, peuvent-ils les exercer efficacement?
Les droits à l’information et la consultation sont l’un des aspects les plus réglementés du droit du travail européen45. Les premières normes ont été adoptées à la fin des années 1970 et portaient sur des événements spécifiques tels que les restructurations d’entreprise ou les licenciements collectifs (aujourd’hui directive 98/59/CE), ainsi que les transferts d’entreprise (aujourd’hui directive 2001/23/CE)46.
Ces directives visaient à établir des normes minimales afin de réduire les effets néfastes de la réorganisation des entreprises sur les conditions de travail47. Une deuxième vague de réglementation a suivi dans les années 1990 et 2000 et a abouti à l’adoption d’une directive établissant un cadre général pour les droits à l’information et la consultation (2002/14/CE) et d’une autre sur les conseils d’entreprise européens (aujourd’hui 2009/38/CE)48. Contrairement aux instruments antérieurs, ces normes ne concernaient pas des épisodes particuliers de la vie des entreprises; elles envisageaient plutôt les droits d’information et de consultation comme partie intégrante de la gestion régulière des entreprises. Dans ce cadre bien défini, les travailleurs de l’UE et leurs représentants disposent de droits relativement étendus en matière d’information et de consultation par la direction, à condition de respecter une certaine taille d’entreprise et des exigences quantitatives en termes de main-d’œuvre49.
Bien que la proposition de directive ne fasse explicitement référence qu’à la directive 2002/14/CE50, en principe tous les acquis européens existant en matière de droits à l’information et la consultation s’appliquent également aux travailleurs des plateformes, au moins à ceux qui sont dans une relation de travail. En plus des droits déjà inscrits dans le droit de l’UE, l’article 9 de la proposition de la Commission exige des plateformes qu’elles informent et consultent les représentants des travailleurs (ou, en l’absence de ceux-ci, les travailleurs eux-mêmes) “sur les décisions susceptibles d’entraîner l’introduction ou des modifications substantielles de systèmes de surveillance et de prise de décisions automatisés”. De plus, l’article 15 demande aux États membres de veiller à ce que les “plateformes numériques procurent aux personnes exécutant un travail via une plateforme de se contacter, de communiquer entre elles et d’être contactées par les représentants de personnes exécutant un travail via une plateforme, par l’intermédiaire de l’infrastructure numérique des plateformes de travail numériques ou de moyens efficaces similaires”.
Cependant, la directive proposée ne prend en compte ni ne reconnaît que l’exercice de ces droits peut être bien moins simple qu’il n’y paraît à première vue. En effet, la bonne mise en œuvre des pratiques d’information et de consultation nécessite l’identification du “locus”, ou unité, dont les représentants des travailleurs tirent leur légitimité représentative et obtiennent leur mandate de négociation et ce locus peut être difficile à définir dans le contexte du travail de plateforme. Pour identifier cet espace, les directives en vigueur de l’UE mentionnées ci-dessus reposent sur les concepts “d’établissements”51 et “d’entreprises”52, auxquels des exigences de dimension sont ensuite appliquées. Élaborés dans un environnement prénumérique, ces concepts impliquent des caractéristiques spatiales et organisationnelles identifiables, tandis qu’ils font également référence à un monde dans lequel le lieu de travail n’avait pas encore été terriblement affecté par les tendances à l’externalisation et où l’on pouvait supposer à juste titre que toutes les personnes (ou la plupart d’entre elles) travaillant dans le même “espace” avaient le même employeur53.
Le terme “établissement” a été défini par la Cour de Justice comme “l’unité à laquelle les travailleurs (…) sont affectés pour exercer leur tâche”54. Cette unité a pour caractéristique d’être une entité distincte présentant une certaine permanence et stabilité qui est affectée à l’exécution d’une ou plusieurs tâches déterminées et qui dispose de moyens techniques et d’une certaine structure organisationnelle permettant l’accomplissement de ces taches55. Parallèlement, la Cour a précisé qu’il n’était pas nécessaire de disposer d’un service d’embauche ou de licenciement56, et que l’autonomie juridique, économique, financière ou technologique n’était pas non plus décisive57.
En l’absence d’exigences administratives et opérationnelles strictes, le pouvoir discrétionnaire de la direction pour définir les limites des établissements de la société est assez grand, ce qui plutôt problématique dans l’optique de garantir l’efficacité des droits collectifs des travailleurs. Le risque que l’employeur organise son entreprise en une multitude d’unités dans le but de maintenir la taille de l’établissement sous les seuils dimensionnels définis par les directives est déjà présent dans l’économie conventionnelle58. Le danger est amplifié de manière exponentielle dans l’économie de plateforme, où la structure de l’entreprise est, en tout ou partie, située dans un écosystème numérique, l’organisation de l’entreprise est fluide, et où il n’y a pas de lieu de travail physique59.
Il est donc nécessaire de redéfinir l’espace dans lequel exercer les pratiques d’information et de consultation et les droits collectifs qui y sont associés60. Cela peut être relativement aisé pour les plateformes sur site (telles que celles qui fournissent des services de livraison de nourriture, de soins, d’aide à domicile ou de messagerie) où, même en l’absence de locaux directement identifiables, l’exécution du travail a une dimension spatiale tangible61. Ce n’est pas un hasard si une étude empirique récente sur les conditions de travail des livreurs de repas à Madrid a montré que les travailleurs considèrent la rue comme leur véritable lieu de travail62. La notion “d’établissement” peut donc être réinterprétée selon des critères géographiques et topographiques, en termes de villes ou de quartiers spécifiques63. Cela ne serait pas une totale nouveauté dans les systèmes juridiques européens. Comme l’a souligné Donini, la Cour de cassation italienne a jugé que le lieu de référence pour l’exercice des droits collectifs des représentants de commerce en porte-à-porte est la zone territoriale dans laquelle ils exercent leurs activités64. De plus, ces formes de représentation territoriales semblent bien adaptées pour donner une voix aux travailleurs qui sont actifs sur plus d’une plateforme à la fois65.
Pour le travail à la demande en ligne, la situation est toutefois plus complexe. Pour commencer, il peut être plus difficile pour ces travailleurs d’activer la présomption d’une relation de travail prévue à l’article 4 de la proposition de directive de la Commission. Comme nous l’avons discuté auparavant, le renversement de la charge de la preuve repose sur un ensemble de critères ancrés dans la notion traditionnelle de contrôle qui ne concorde pas bien avec le type de surveillance plus subtil (mais pas moins omniprésent) effectué par les plateformes de microtâches. Cela peut vouloir dire que les travailleurs devront recourir à des moyens plus indirects pour affirmer leurs droits collectifs, par exemple en faisant appel à la portée universelle que la convention no 98 de l’OIT de 1949 confère au droit de négociation collective66. Ils peuvent également bénéficier des lignes directrices 2022 récemment adoptées, tout en sachant qu’il s’agit d’un instrument non contraignant dont l'efficacité peut être limitée.
De plus, contrairement au cas du travail de plateforme sur site, l’élément de territorialité dans l’exécution du travail perd totalement de sa pertinence quand le travail est entièrement exécuté en ligne. L’un des moyens permettant de surmonter l’absence d’environnement tangible pourrait être de lier l’exercice des droits collectifs à des espaces (numériques) identifiés au sein de l’architecture (numérique) de la plateforme67. La façon dont ces “espaces” sont définis dépend de la nature de la plateforme. Pour les plateformes de travail collaboratif qui exigent des travailleurs un certain niveau de spécialisation (par exemple, PeoplePerHour or Fiverr qui fournissent des services de traduction, conception graphique, production musicale, programmation, photographie ou marketing numérique), le locus pour l’élection des délégués syndicaux et des représentants des travailleurs pourrait peut-être se situer au sein des différentes typologies des services proposés sur les marchés numériques. Cette approche permettrait à l’organe représentatif de s’appuyer sur les compétences communes et l’identité professionnelle des travailleurs68. En effet, on pourrait affirmer que, en se focalisant sur la vente de différents types de produits (ou plutôt du travail utilisé pour effectuer une tâche), ces plateformes sont organisées dans ce qui, dans un monde hors ligne, correspondrait à différents services, unités et, en fin de compte, établissements. En fonction de la taille de la plateforme, des critères géographiques basés sur le lieu de résidence du travailleur pourraient aussi s’appliquer pour donner une voix aux expressions d’intérêts et aux revendications locales69.
La détermination d’un espace pour la représentation des travailleurs peut s’avérer encore plus difficile dans le cas des plateformes de travail collaboratif centrées sur des microtâches qui ne requièrent pas de compétences ou qualifications particulières70. Ces plateformes fonctionnent en découpant les travaux et les projets en micro-activités, qui ne durent souvent que quelques minutes, qui sont ensuite réintégrées par la plateforme pour fournir un résultat spécifique71. Au cours d’une session de travail unique, les travailleurs exécutent des tâches simples mais diverses, ce qui rend presque impossible de les rattacher à un segment ou un service particulier de la plateforme72.
En l’absence de lien organisationnel détectable avec un espace, même virtuel, il serait possible d’interpréter la notion “d’établissement” comme englobant la totalité de la main-d’œuvre qui fournit du travail au marché numérique. Sinon, les syndicats devraient avoir la liberté de définir un lieu adéquat pour la représentation des travailleurs, destiné à permettre l’exercice efficace des pratiques d’information et de consultation. Un exemple pionnier intéressant, venu de “l’ancien temps”, se trouve dans l’accord-cadre de 2002 sur le télétravail dans lequel les partenaires sociaux européens, en définissant les conditions permettant aux télétravailleurs de créer des organes représentant les travailleurs, précisaient que “l’établissement auquel le télétravailleur sera rattaché afin d'exercer ses droits collectifs est précisé au départ”73.
Les difficultés rencontrées pour déterminer l’espace destiné à l’exercice des droits collectifs du travail s’étendent au-delà de la notion ambiguë “d’établissement”. Comme mentionné plus haut dans cette section, l’acquis européen lie également l’exercice des droits à l’information et la consultation et la notion juridique “d’entreprise”. Cette notion n’est pas seulement liée à la réalité dimensionnelle du lieu où s’exercent ces droits mais elle coïncide souvent aussi avec l’entité juridique dont les représentants agissent en tant qu’homologues des représentants des travailleurs dans les pratiques d’information et de consultation.
Le défi pour la mise en œuvre effective des droits collectifs des travailleurs réside ici dans l’interprétation de la notion “d’entreprise” qui prévaut actuellement dans le domaine du droit du travail. Cette interprétation coïncide encore avec le concept de personne morale établi et reconnu par le droit des sociétés: en général, toute personne morale, ou même toute personne physique, exerçant un métier ou une activité commerciale. Cela implique que le système juridique de l’UE ne dispose pas d’un concept juridique qui englobe la “galaxie économique” résultant des pratiques d’externalisation généralisées, rendues possibles par les plateformes de travail numériques74, par lesquelles les entreprises conventionnelles externalisent des activités non essentielles vers des plateformes qui à leur tour, les sous-traitent à d’autres entreprises sous forme de projets ou de (micro)tâches à des prestataires individuels75. Il en ressort une contradiction: alors que le droit européen englobe la réalité microéconomique des prestataires de services individuels sans investissement en capital dans le concept “d’entreprise”76, il ne parvient pas à saisir toute l’étendue des entités économiques (nettement plus influentes) qui dépendent fortement de la main-d’œuvre externalisée pour fonctionner et dominer le marché77. Ces puissants acteurs économiques peuvent donc échapper discrètement à une part considérable des responsabilités habituellement associées à l’employeur78, notamment les obligations en matière d’information et de consultation.
Nous soutenons l’idée que les effets transformateurs de l’économie des plateformes invitent à un recentrage sur le tableau d’ensemble pour s’assurer que les conséquences des tendances à la fragmentation sont traitées de manière appropriée, tout en réinterprétant la notion “d’entreprise”. Comme le souligne Weil, alors que les entreprises sont déconstruites et formellement réduites, les principaux acteurs du monde des affaires continuent d’exercer un contrôle strict sur la productivité des entreprises satellites par des méthodes de surveillance et de contrôle qui, dans l’économie de plateforme, sont renforcées par la gestion algorithmique79. Les plateformes ont ainsi acquis un pouvoir de plus en plus envahissant sur le marché du travail, qui se manifeste par la capacité à fixer les salaires sur la base de considérations tarifaires conventionnelles80.
Si aucune initiative appropriée n’est prise, l’extrême fragmentation causée par les chaînes complexes de sous-traitance sapera l’efficacité des pratiques d’information et de consultation, même si les seuils quantitatifs fixés par les directives de l’UE sont atteints. Cette nouvelle dynamique du marché du travail nécessite donc un effort de réinterprétation pour s’assurer que la portée des droits à l’information, ainsi que l’identification et la composition de la “contrepartie managériale” dans les pratiques d’information et de consultation, reflètent la centralisation progressive du pouvoir économique et de négociation dans les mains de quelques acteurs du monde des affaires.
Plusieurs pistes peuvent être explorées à cet égard. En s’inspirant de la conception de Hassel et Sieker de l’entreprise comme un “nœud de contrats”, une notion réinterprétée de “l’entreprise” pourrait englober les pressions économiques et de négociation qui se manifestent dans l’ensemble du réseau de sous-traitance régi par les plateformes numériques de travail (ou qui passe par elles)81. Une autre approche, suggérée par Weil dans sa recherche de la “colle organisationnelle” qui définit les limites de l’entreprise moderne, consiste à examiner les normes détaillées de la chaîne d’approvisionnement et les accords de franchise82.
Sinon, un autre indicateur pertinent pour situer le réseau de pouvoir économique et contractuel pourrait être de suivre le fil de la gestion algorithmique utilisée pour attribuer, diriger et évaluer les performances83. Enfin, on pourrait s’inspirer du droit sur la concurrence dans lequel, pour évaluer les distorsions de marché, la Commission européenne et la Cour de Justice ont élargi la notion “d’entreprise” pour inclure “les liens organiques et fonctionnels entre les entreprises”84. Bien qu’une approche similaire doive encore être consolidée dans le domaine du droit du travail, une avancée récente s’est produite avec l’affaire Ellinika, dans laquelle la Cour a reconnu que, si une entreprise dépend des décisions économiques d’une autre, son autonomie d’entité organique distincte peut ne pas être réelle85.
Il ne s’agit là que de quelques-unes des possibilités disponibles, et nous sommes conscients que certaines sont plus réalistes que d’autres, mais nous estimons qu’il est primordial de convaincre les institutions charges d’élaborer les politiques d’entreprendre des efforts de réinterprétation novateurs similaires. Cette refonte du concept d’entreprise est essentielle pour s’assurer que le champ d’application et l’efficacité des droits collectifs des travailleurs correspondent au pouvoir réel exercé sur le marché du travail par les puissants employeurs de l’économie des plateformes en plein essor.
Temps de garde, d’attente et de déplacement (non rémunérés)
L'une des règles fondamentales du travail sur plateforme prévoit que les travailleurs ne sont “engagés” (et rémunérés) par la plateforme que s’ils acceptent une mission après s’être connectés à l’application. Les implications de ce modèle sont diverses86. L’une des principales conséquences de cette “séparation artificielle du concept d’exécution de celui de rémunération” est l’importance démesurée des temps de garde, d’attente et de déplacement non rémunérés et la nécessité absolue de travailler de longues heures pour gagner sa vie décemment87. Le volume de temps non payé passé à attendre ou à obtenir des tâches est comparable au temps consacré à la réalisation des tâches elles-mêmes88. Les travailleurs en ligne passent environ un tiers de leur temps de travail effectif sans être rémunérés89. Les formules hyperflexibles sont également courantes dans les domaines traditionnels tels que les soins, le nettoyage, l’assistance à la clientèle, l’enseignement supérieur et la logistique, reflétant le même type de division temporelle que celle constatée dans l’économie à la demande.
La Directive sur l’aménagement du temps de travail (DATT)90 peut offrir d’importants garde-fous mais elle présente aussi des limites qui doivent être prises en compte. Elle définit le temps de travail comme “toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de ses activités ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales” (article 2(1))91. La CJUE a interprété cette notion de manière intentionnellement extensive comme une notion “unitaire” englobant toutes les unités de temps, y compris les périodes “non productives”, pendant lesquelles les travailleurs travaillent ou se mettent à la disposition d’un employeur susceptibles de les appeler à fournir des services appropriés dans un bref délai92. Les principales dispositions de la DATT fixent des périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire, des pauses journalières et un congé annuel, ainsi que la durée maximale du travail hebdomadaire et de nuit93. Le manque d’espace ne nous permet pas de nous attarder sur la discussion tant attendue du choix de la base juridique de la directive. Il suffit de remarquer que le choix d’un fondement juridique lié aux conditions de travail plutôt qu’à la santé et la sécurité (article 153(2) du TFUE) aurait permis d’inclure un plus grand nombre de questions liées au temps de travail, à savoir les “horaires de travail courts ou variables ou les travailleurs”, ainsi que le contrôle des horaires de travail et, sans doute, la rémunération94. L’application des dispositions relatives au temps de travail ne répond pas entièrement aux risques et à la précarité que connaissent les formes de travail atypiques, pas plus qu’elle ne freine leur utilisation, du fait de la formulation même des dispositions et de la prévalence de clauses dérogatoires.
Trois principaux éléments critiques sont à peine pris en compte par la DATT: (a) le temps de garde; (b) le temps d’attente et (c) le temps de déplacement. Ces questions sont omniprésentes dans le travail de plateforme95.
Le temps de garde (ou d’astreinte) a été au cœur de plusieurs arrêts rendus par la CJUE bien avant l’avènement du travail de plateforme. Précisément, quand le temps d’astreinte est passé sur le lieu de travail, généralement compris comme “tout lieu où le travailleur est tenu d’exercer une activité suivant les instructions de l’employeur, y compris quand ce lieu n’est pas le lieu où il ou elle exerce habituellement ses fonctions professionnelles”96, même si le travailleurs ne réalise pas des activités “productives” dans l’intérêt de l’employeur, cela n’entraîne pas automatiquement la comptabilisation de ce temps en temps de repos. Un aspect qui mérite l’attention concerne la tendance à surmonter la centralité de ce qu’on appelle le “test de localisation”97, autrefois considéré comme un facteur déterminant pour faire la distinction entre temps de travail et périodes de repos dans le cas des travailleurs à la demande. L’un des principaux critères utilisés par la CJUE, qui conçoit le temps de manière qualitative plutôt que simplement quantitative98, pour identifier ces unités de temps est la restriction plus ou moins importante des possibilités qu’a le travailleur de se livrer à d’autres activités ou de se reposer99. Le fait de se trouver en dehors des locaux de la société tout en étant “à la disposition de l’employeur” compte dans le temps de travail si la liberté des travailleurs de vaquer à des activités sociales ou personnelles est considérablement restreinte100. C’est le cas pour de nombreux travailleurs des plateformes qui sont dissuadés de se livrer à d’autres activités, y compris de loisirs, parce qu’ils doivent se tenir prêts à recevoir un appel et qui, de ce fait, vérifient constamment les notifications de l’application. La clause générale des “contraintes” a été complétée par des références à leur caractère “objectif” et “significatif” dans un arrêt récent de la CJUE qui a partiellement déplacé la démarcation binaire et stricte définie dans ses décisions précédentes101, ouvrant la voie à des interprétations alternatives justifiées au regard des besoins d’organisation. En l’absence de telles contraintes, seul le temps lié à la prestation de travail effectuée pendant cette période constitue du “temps de travail”. De plus, la CJUE a estimé que la DATT ne s’oppose pas à ce qu’une loi nationale, une convention collective ou une décision de l’employeur traitent différemment ces périodes durant lesquelles un travail est concrètement effectué et celles pendant lesquelles aucun travail effectif n’est réalisé (les unes et les autres devant être considérées comme du temps de travail) sur le plan de la rémunération102.
Un décalage flagrant apparaît entre le modèle économique adopté par la plupart des plateformes, axé sur la prise en compte du seul temps passé à se connecter ou à exécuter la tâche demandée103, et la manière dont le temps passé dans l’intérêt de l’employeur est pris en compte dans jurisprudence de la CJUE. Le fait qu’un travailleur, après s’être connecté, attende un appel ou passe du temps à parcourir les appels d’offres lancés par des clients potentiels en vue de sélectionner les options les plus rémunératrices est loin de pouvoir être assimilé à du temps de repos et ne peut être considéré comme une “troisième catégorie” de temps, entre temps de travail et repos.
L'architecture même du modèle d’affaires des plateformes repose sur la disponibilité permanente “implicite” et l’offre excédentaire de main-d’œuvre. Associé à des accords de prix à la pièce (liés à la production) et à des outils de ludification, ce modèle est à l’origine de la compression des niveaux de rémunération. Il va sans dire que si les travailleurs subissent de telles contraintes qu’ils ne peuvent gérer librement leur temps ni poursuivre leur propre intérêt, même quand leurs services professionnels ne sont pas requis, ce temps doit être classé comme du temps de travail. Affirmer que les travailleurs des plateformes pourraient réaliser d’autres activités parallèles, au profit de plateformes concurrentes, quand leurs services ne sont pas sollicités reviendrait à exacerber le paradoxe d’une interprétation de la notion de temps de travail qui entérine le caractère erratique des dispositifs des plateformes, mettant ainsi en péril l’objectif premier de protection de la DATT. Il est vrai que le temps d’attente représente un choix cornélien pour les travailleurs des plateformes en ligne et hors ligne. En utilisant un minimum de temps de repos, ils peuvent voir leurs revenus chuter ou être pénalisés par les algorithmes alimentés par des indicateurs tels que la constance et la disponibilité. En s’engageant à exécuter davantage de prestations pour des concurrents, ils intensifient leurs risques psychosociaux et réduisent leurs chances d’être reclassés en cas de plainte devant les juridictions où la présence de clauses de non-exclusivité et de substitution est utilisée pour faire échec au facteur “travail personnel”104.
Qu’en est-il du temps de déplacement? Les travailleurs de plateforme hors ligne en font constamment l’expérience: ils doivent atteindre un “point d’accès” où ils peuvent se connecter pour desservir une certaine zone urbaine sans “garantie d’obtenir une activité rémunérée après avoir investi du temps pour se rendre au travail”105. Dans un arrêt portant sur le trajet effectué du domicile du travailleur vers le premier client et du dernier client vers le domicile par un travailleur itinérant sans lieu de travail fixe106, la CJUE a déclaré que le temps de déplacement compte lui aussi comme temps de travail dans la mesure où le travailleur est tenu d’être physiquement présent en un lieu déterminé par l’employeur et d’être disponible pour effectuer le travail. En l’absence d’un lieu de travail fixe ou habituel, le déplacement est considéré comme techniquement indispensable à la prestation de service107. Si la position pragmatique de la CJUE est prometteuse du point de vue des travailleurs des plateformes, il convient d’ajouter que, aux fins de la DATT, qualifier le temps de déplacement comme temps de travail n’entraîne pas qu’il doive être rémunéré108, une prérogative qui relève entièrement de la plateforme employeuse109.
Autre principe général affirmé par la jurisprudence de la CJUE, les employeurs ont l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer le temps de travail journalier effectué par chaque travailleur110. Il est frappant de constater que, dans des environnements hautement surveillés et constamment contrôlés, on dispose de très peu d’informations sur le nombre d’heures travaillées, une situation qui ne fait qu’exacerber les asymétries d’information à l’avantage des sociétés de plateforme. De surcroît, l’un des inconvénients majeurs de la DATT est que, malgré l’interprétation peu à peu élargie de son champ d’application matériel, elle reste totalement muette sur la méthode de rémunération du temps passé à travailler. Ce vide béant dans la réglementation du temps apparaît également dans le cadre de l’une des toutes premières ordonnances motivées de la CJUE sur l’organisation d’une entreprise qui correspondait parfaitement à celle d’un grand opérateur de plateforme111. Cependant, la CJUE n’a fourni aucune réponse à la question de savoir comment mesurer le temps de travail des travailleurs auxquels on autorise le “multi-hébergement”, à savoir se rendre disponibles sur plusieurs plateformes concurrentes en même temps. La faisabilité du multitâche nominal n'est plus à démontrer. Malgré cela, aucune indication n’a été donnée quant au traitement économique de ce patchwork d’engagements, qui est voué à avoir des répercussions négatives sur les conditions sanitaires et de sécurité.
Autre point faible de la directive sur l’aménagement du temps de travail, elle fixe uniquement de limites supérieures, conformément à l’esprit de la toute première convention (no 1) de l’OIT, 1919. Néanmoins, le temps de travail s’entend au sens étroit, et non comme partie intégrante des conditions de travail mais plutôt comme l’un des moyens de promouvoir la sécurité et la santé des travailleurs. Cette notion peut produire des conséquences inattendues. Les travailleurs des plateformes peuvent voir l’agrément économique de ne pas être couverts par les dispositions relatives au temps de travail et s’exploiter eux-mêmes pour accroître leur rémunération. Dans un cercle vicieux, cette incitation perverse peut pousser nombre d’entre eux vers une fausse classification de leur statut, ce qui rend la catégorie des travailleurs indépendants plus attrayante avec des effets néfastes pour les individus et la société. Tout compte fait, la DATT sert de parfaite illustration des cas où elle ne parvient pas à atteindre ses objectifs “d’humanisation“ dans le domaine du travail de plateforme. C’est dans ce cadre que l’organisation du travail devrait être adaptée pour répondre aux besoins des travailleurs en tant qu’êtres humains mais la DATT n’est pas près de réussir à imposer un tel résultat.
Des horaires opaques et imprévisibles
L'une des principales sources de précarité temporelle pour les travailleurs occasionnels est l’imprévisibilité de leur future charge de travail, accentuée par l’intense degré de contrôle exercé par l’employeur sur l’ensemble du processus de travail112. En raison de la combinaison de modèles d’affaires hyperflexibles et d’une stratégie de l’offre excédentaire, les travailleurs sont en proie à une “pénurie d’heures”113. L’architecture interne étant “conçue pour garder (ou ayant pour effet de garder) le travailleur en appétit pour le prochain poste”114, les règles actuelles régissant le temps de travail risquent de n’être une arme émoussée. En fait, la précarité temporelle affecte particulièrement les travailleurs handicapés et les travailleurs vulnérables115. Jusqu’à une période récente, l’acquis social ne contenait guère d’éléments permettant d’assurer un minimum d’heures de travail aux travailleurs pour éviter le gaspillage de temps et favoriser la prévisibilité, la clarté et l’équilibre entre les sphères professionnelle et privée.
Les résultats obtenus devant la CJUE par l’invocation des principes de non-discrimination sont maigres. Dans une affaire portée par un travailleur “à la demande” dans le secteur du commerce de détail (embauché sur la base d’un contrat zéro heure, avec le droit de refuser des missions), la Cour a jugé qu’il n’existait pas de “travailleur à temps plein comparable” dans l’entreprise pour les besoins de l’évaluation prévue par l’accord-cadre sur le travail à temps partiel116. La justification était que tous les travailleurs à temps plein avaient des horaires fixes et étaient tenus d’accepter le travail sans possibilité de refus, comme le stipulaient leurs contrats117. Un raisonnement analogue serait fatal dans les situations où le modèle d’entreprise du commerce de gros repose sur des “effectifs allégés”, opérant presque exclusivement par l’intermédiaire de travailleurs indépendants. Ce type de structure d’entreprise rendrait complexe et fastidieuse tout activité de comparaison. Une interprétation stricte de la notion de travailleur à temps plein comparable écarterait ainsi l’application du principe d’égalité, qui est l’un des remèdes possibles à la dangereuse imprévisibilité des dispositifs d'intermittence118. Sans surprise, le «sauf-conduit” délivré par l’absence de travailleurs classiques comparables constitue une nouvelle incitation à ne pas investir dans la construction de modèles d’entreprise plus solides.
La discontinuité temporelle, plutôt que l’autonomie réelle, a été utilisée devant les tribunaux pour réfuter les arguments selon lesquels les travailleurs des plateformes seraient en fait des salariés. Pourtant, c’est précisément la sujétion à des horaires très irréguliers, également utilisée par les plateformes pour discipliner les travailleurs119, qui devrait être appréciée comme un indicateur fort de subordination, compris comme une sujétion technique envers une partie contractante qui exerce discrétionnairement ses prérogatives de direction et de contrôle120. L’imprévisibilité organisationnelle et le caractère éphémère des contrats ne peuvent pas porter préjudice aux travailleurs à dessein, ni ces questions être utilisées comme une arme en termes de renonciation aux droits fondamentaux121. Il s’agit là d’une autre incongruité du cadre juridique actuel qui n’a pas vraiment les moyens de gérer les accords atypiques.
Des réponses convaincantes aux lacunes présentées ci-dessus pourraient venir de la mise en œuvre du principe 5 (le droit à un traitement égal et équitable concernant les conditions de travail et la prévention de relations de travail conduisant à des conditions de travail précaires) et du principe 7 (le droit à l’information concernant les conditions d’emploi et la protection en cas de licenciement) du Socle européen des droits sociaux122. En n’appliquant que partiellement ces principes, les dispositions détaillées de la directive relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles (DCTTP) dans l’UE représentent une avancée par rapport à l’excès de flexibilité à sens unique qui a “rendu les relations de travail instables et de plus en plus imprévisibles”123.
Les deux principaux objectifs de la directive sont d’assurer la “souveraineté temporelle” des travailleurs sur le processus de travail et d’éviter le sous-emploi involontaire. Grâce à ses fondements juridiques (Article 153(2) et article 153(1), point (b) du TFUE), la DCTTP repose sur une notion large de prévisibilité qui englobe des questions telles que le nombre d’heures rémunérées garanti, la rémunération des heures supplémentaires, les heures et les jours de référence pendant lesquels le travailleur peut être tenu de travailler, les délais et périodes de préavis minimums pour révoquer la disponibilité ou, du côté de l’employeur, pour annuler une mission124.
On peut affirmer sans crainte que la DCTTP intègre et fait progresser le système mis en place par la DATT, en s’attaquant à des questions importantes qui n’avaient pas été traitées et en offrant des garanties fiables à tous les travailleurs qui ont des horaires de travail courts, incertains ou variables. La raison d'être de la DCTTP est que la condition préalable à l’amélioration des conditions de travail et à la réduction de la précarité est de fournir aux travailleurs des informations précises. Il s'agit d’un changement de paradigme réglementaire puisque la directive aborde les conditions de travail avec une approche plus pragmatique et complète. D’une part, elle actualise et élargit la liste des informations à partager et renforce les délais; d’autre part, elle couvre expressément les travailleurs atypiques et occasionnels, en calibrant son objectif en fonction de la capacité à (pré)déterminer les horaires et à organiser la vie personnelle125.
En ce qui concerne l’OIT, un instrument comparable est proposé par la convention (no 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011, qui accorde aux travailleurs domestiques le droit d’être “informés de leurs conditions d’emploi d’une manière appropriée, vérifiable et facilement compréhensible, de préférence, lorsque cela est possible, au moyen d’un contrat écrit conformément à la législation nationale ou aux conventions collectives” (article 6). Ces informations portent entre autres sur le date de commencement de l’emploi et sa durée (en cas de contrat à durée déterminée), la rémunération, son mode de calcul et la périodicité des paiements, la durée normale de travail, le congé annuel payé et les périodes de repos journalier et hebdomadaire126.
Pour revenir au cœur du problème, tous les travailleurs “qui sont liés par un contrat de travail ou une relation de travail au sens du droit, des conventions collectives ou de la pratique en vigueur dans chaque État membre, en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice” entrent dans le champ d’application de la DCTTP (article 1). Pour autant qu’ils remplissent les critères (larges et ciblés) fixés par la CJUE, les travailleurs domestiques, les travailleurs à la demande, les travailleurs intermittents, les travailleurs effectuant un travail basé sur des «chèques», les travailleurs des plateformes, les stagiaires et les apprentis entrent dans le champ d’application de la DCTTP et bénéficient d'un ensemble de droits minimaux127, à l’exclusion de ceux dont la durée de travail prédéterminée et effectuée est égale en moyenne à un maximum de trois heures par semaine au cours d’une période de référence de quatre semaines consécutives (cette disposition pourrait avoir un impact négatif sur les travailleurs de plateforme qui connaissent des périodes de pics et de creux). Cependant, cette définition “hybride” du travailleur qui se démarque de la définition “statique” sans atteindre la grande ambition proposée dans d’autres versions de la directive128, ouvre la voie à un rôle plus important de la CJUE à laquelle on pourrait demander de procéder à un exercice de cadrage au cas par cas. Puisque la DCTTP intègre le principe selon lequel le fond prévaut sur la forme, elle pourrait être décisive pour intégrer dans le champ de l’acquis social européen plus de travailleurs que ceux qui sont protégés par la législation nationale du travail129. Les tribunaux nationaux ont commencé à se montrer sensibles à cette possibilité dans le contexte du contentieux relatif au statut professionnel.
Les emplois atypiques de la “deuxième génération” sont les bénéficiaires idéaux des dispositions de protection prévues par la DCTTP. La directive fixe les droits à l’information relative à l’organisation et le nombre d’heures payées garanti. Les travailleurs doivent être informés des modalités de rémunération des heures travaillées supplémentaires, de la date à laquelle débute leur mission et du délai dans lequel une tâche peut être annulée (article 4). Quand le rythme de travail est “entièrement ou majoritairement imprévisible”, les dispositions de la directive définissent une période de disponibilité claire. Deux conditions doivent être remplies: (a) le travail s’effectue durant des heures et des jours de référence prédéterminés; et (b) les travailleurs sont prévenus d’une tâche dans un délai de prévenance raisonnable. Dès lors que l’une des deux conditions n’est pas remplie, le travailleur a le droit de refuser une tâche sans s’exposer à des conséquences fâcheuses. En outre, il a droit à une compensation si l’annulation de la tâche convenue intervient après l’expiration des délais convenus (article 10). Selon l’article 12, les travailleurs ont le droit de demander de passer à une forme d’emploi comportant des conditions de travail plus prévisibles et plus sûres (et l’employeur à l’obligation de répondre). Toutefois, cela ne signifie pas qu’il existe une obligation de “convertir” le contrat qui découle de la DCTTP.
Ces exigences minimales visent à prévenir les abus dans les secteurs volatils de l’économie. Les engagements simultanés avec plusieurs employeurs sont autorisés; c’est-à-dire que le travailleur ne sera pas soumis à un traitement défavorable pour cette raison et les clauses d’incompatibilité doivent être limitées (article 9). La finalité de cette interdiction est louable: elle vise à prévenir les situations figées dans lesquelles les travailleurs sont liés à un employeur unique et privés de la possibilité d’occuper un emploi parallèle auprès d’autres employeurs. Cependant ces concessions sont controversées130. D’une part, plusieurs plateformes insèrent des clauses de non-exclusivité — qui restent souvent cantonnées à la lettre des contrats — afin de renforcer leur argumentaire relatif à la soi-disant autonomie des travailleurs. D’autre part, la légitimation de la pratique du cumul des postes aboutit à une intensification accrue du travail. Les travailleurs acceptent d’effectuer plusieurs tâches, missions et projets parce qu’ils n’ont pas le choix s’ils veulent toucher un niveau de rémunération convenable. Le choix (in)volontaire des travailleurs ne devrait pas trouver d’encouragement technique ni de tolérance dans le droit.
La directive prévoit un ensemble de règles destinées à prévenir et à lutter contre les pratiques abusives. Il peut s’agir de limitations sur le recours et la durée des contrats à la demande ou des contrats de travail similaires — conformément aux dispositions similaires figurant dans l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée131 — ou de l’introduction d’une présomption réfragable de l’existence d’un contrat ou d’une relation de travail comprenant un minimum d’heures payées calculé sur la base de la moyenne d’heures travaillées pendant une période donnée (article 11)132. Bien que ces dispositions visent à normaliser le travail occasionnel à nouveau, elles reproduisent “certains des paradoxes de la politique actuelle de l’UE en matière d'emploi”133, en échangeant un niveau raisonnable de prévisibilité pour les travailleurs contre de grandes marges de flexibilité pour les employeurs. Cette approche de compromis risque d’aboutir à une normalisation et à une promotion excessive du travail atypique, dépeint comme un dommage collatéral découlant de la nécessité d’assurer l’adaptabilité du marché du travail en période d’incertitude.
Surveillance généralisée, évaluations arbitraires et gestion erratique
Quand vient le moment d’attribuer la responsabilité des conditions de travail dégradées dans le travail de plateforme, il faut pointer du doigt les structures organisationnelles qui reposent sur un mélange de gestion algorithmique (GA) et de surveillance humaine134. Les plateformes sont unanimement reconnues comme le berceau des systèmes de contrôle et de prise de décision automatisés généralisés135. Alors que les tribunaux ont été submergés par des campagnes de contentieux lié au statut professionnel des travailleurs, les caractéristiques les plus risquées du travail de plateforme sont devenues un modèle largement répandu136. Progressivement, les emplois traditionnels des industries ordinaires ont été exposés à des pratiques de ressources humaines qui sont réalisées ou au moins assistées par des instruments numériques et des logiciels137. Indéniablement, le travail à distance favorisé par la pandémie a contribué à normaliser l’utilisation d’équipements de surveillance et d’outils de suivi de la productivité.
L'opacité de la gestion algorithmique est fortement corrélée aux difficultés d’assurer une classification appropriée des travailleurs des plateformes: les pratiques basées sur les données masquent et renforcent les prérogatives de la direction. Les juges invités à évaluer les circonstances factuelles de la relation de travail ont eu du mal à comprendre les intrications de ces nouveaux modèles d’organisation pour l’exercice de la direction et du contrôle et à les faire correspondre aux catégories juridiques et jurisprudentielles classiques. Ce n’est que récemment qu’ils se sont familiarisés avec les répercussions générales des systèmes de GA sur le statut et les conditions de travail.
Toutefois, ce savoir accumulé n’est pas pleinement exploité dans le projet de directive sur le travail de plateforme. Bien que le contrôle sur l’exécution du travail soit l’élément déclencheur de la présomption réfutable de relation de travail (article 4(2)), et que la prise en compte de l’utilisation d’algorithmes soit indiquée pour l’application du principe de la primauté des faits (article 3(2)), on ne trouve aucune référence explicite aux systèmes de GA dans la liste des cinq indicateurs soutenant le processus dans le cadre duquel le contrôle s’effectue. Presque tous les critères, tels que la détermination de la rémunération, la publication d’instructions sur la manière de se conduire, la supervision de l’exécution du travail et la limitation de la capacité à organiser son travail, peuvent être remplis par les systèmes de GA. L’absence d’une telle mention montre que l’intégration entre les chapitres II et III de la proposition de directive sur le travail de plateforme est loin d’être parfaite.
Les travailleurs des plateformes peuvent ne pas comprendre les conséquences de leur conduite et se retrouver aux prises avec des clients versatiles. Dans les situations incertaines, ils souffrent “d’insécurité algorithmique” (la vulnérabilité et la peur découlant de l’utilisation par les plateformes des évaluations émises par les clients pour noter les travailleurs et des algorithmes qui amplifient les répercussions de ces notes)138. Les travailleurs doivent deviner les indicateurs de mesure pris en compte par le système de classement interne en se conformant constamment à un code de conduite implicite qui réduit leur autodétermination139. Ils ont peu, voire pas, de possibilités d’influencer la logique des systèmes de GA, en plus d'être conscients de la surveillance constante et du risque de sanctions arbitraires140 qui affectent leurs perspectives de carrière et leurs revenus potentiels. Les travailleurs des plateformes finissent débordés, impuissants et stressés et, en fin de compte, sont moins satisfaits de leur travail141. Parallèlement, l’absence de statut professionnel, exacerbée par la rareté de l’application des limites canoniques de fond et de procédure aux pouvoirs des employeurs, rend la soumission à la gestion algorithmique encore plus préjudiciable et dangereuse142. Les travailleurs sont découragés ou empêchés d’exercer leurs droits collectifs et ont un accès limité aux droits fondamentaux de créer et d’adhérer à des organisations qui promeuvent le dialogue social143. En outre, plusieurs enquêtes et jugements ont établi la manière dont les notes internes sont utilisées pour résilier les comptes des travailleurs quand ils tombent au-dessous d’un certain seuil en raison de causes indépendantes de leur volonté et en dépit des normes internationales144.
La directive proposée sur le travail de plateforme est le premier instrument de l’UE qui traite directement des pratiques organisationnelles basées sur les données. Il est louable que les dispositions garantissant l’équité, la transparence et la responsabilité en matière de gestion algorithmique dans le contexte du travail de plateforme couvrent tous les travailleurs, quel que soit leur statut contractuel ou professionnel. Le texte présenté par la Commission en décembre 2021 a étendu le champ d’application du chapitre sur la gestion algorithmique aux “personnes qui travaillent par l’intermédiaire des plateformes … qui n’ont pas de relation de travail, c’est-à-dire les vrais travailleurs indépendants”. Pourtant, ces garanties ne dépassent pas les frontières de l’économie à la demande, limitant ainsi l’impact de ce projet ambitieux. Dans les secteurs conventionnels, des légions de travailleurs sont désormais gérées par des systèmes numériques qui, en tout ou partie, assument des fonctions managériales. Les droits d'information et d’accès consacrés par la directive sur le travail de plateforme proposée ne leur sont pas accessibles, sauf s’ils sont organisés par l’intermédiaire d’une “plateforme de travail numérique” telle que définie par l’article 2 de la directive proposée (l’accent étant mis sur le rôle des “moyens électroniques, tels qu’un site web ou une application mobile)145. Un acquis historique pourrait se transformer en une victoire à la Pyrrhus.
Les nouvelles règles portant sur la gestion algorithmique visent à réduire les asymétries d’information entre les plateformes et les travailleurs146. Elles consolident les principes universels de l’équité procédurale et la transparence des décisions managériales. Concrètement, elles pourraient améliorer les conditions de travail en comblant le déficit de responsabilité documenté dans une multitude d’études147, en plus de faciliter l’accès à des éléments de preuve à utiliser devant les tribunaux pour démontrer l’existence d’un “contrôle” rigoureux exercé par les entreprises de plateforme.
La directive sur le travail de plateforme cible les “systèmes de surveillance automatisés” utilisés pour contrôler, superviser et évaluer les travailleurs des plateformes, ainsi que les “systèmes de prise de décision automatisés” mis en place pour “prendre ou appuyer des décisions qui ont une incidence significative sur les conditions de travail de travailleurs des plateformes”. Selon l’article 6, les travailleurs des plateformes doivent être informés de l’existence ou de l’intention d’adopter ces pratiques, des catégories d’action surveillées, des décisions prises ou appuyées par ces systèmes, des principaux paramètres pris en compte et leurs poids relatifs, et des motifs des décisions qui ont une incidence importante, telles que la restriction, la suspension ou la résiliation de leur compte. Il convient de noter que les informations pertinentes doivent être mises à la disposition des représentants des travailleurs ou des autorités à leur demande. Les vrais travailleurs indépendants sont exclus de ce droit collectif à l’information et la consultation et, en principe, peuvent s’en remettre à l’article 5 du règlement P2B148 selon lequel ils ont le droit de connaître, grâce aux conditions générales, “les principaux paramètres déterminant le classement et les raisons justifiant l’importance relative de ces paramètres principaux par rapport aux autres paramètres”.
Nous avons déjà souligné la contradiction liée au fait de concevoir un modèle sectoriel de garanties pour une tendance qui balaie rapidement la totalité du marché du travail, laissant les travailleurs vulnérables particulièrement exposés à ses dangers. Il convient d’ajouter à cela la relation ambivalente entre la directive sur le travail de plateforme et le RGPD. La première est nettement moins détaillée ou contextualisée mais son champ d’application matériel est légèrement plus large que le second. Conformément à l’article 22 du RGPD (le droit d’obtenir une intervention humaine, d’exprimer son point de vue et de contester une décision), le mécanisme de recours de la directive sur le travail de plateforme inclut une évaluation humaine des décisions importantes à la demande de la personne concernée et un réexamen de la décision si l’explication obtenue n’est pas convaincante ou que les travailleurs considèrent que leurs droits ont été bafoués.
Les dispositions de la directive sur le travail de plateforme évitent partiellement l’écueil d’une stricte focalisation sur la seule prise de décision automatisée (article 22 du RGPD), qui est également apparu dans la jurisprudence149, en incluant les décisions qui sont simplement appuyées par des systèmes de prise de décision automatisés. La directive introduit aussi “le droit d’obtenir une explication” pour les décisions liées aux tâches, aux revenus, au temps de travail, à la promotion, au statut et à la restriction, la suspension ou la résiliation de leur compte (article 8). Malgré cela, le contrôle et la gestion automatisés, dont l’adoption n’est jamais remise en question dans la directive sur le travail de plateforme, sont considérés comme des fonctions inhérentes (ou peut-être inévitables) du modèle économique des plateformes. Les droits à l’information et la consultation n’équivalent pas non plus aux modèles de codétermination les plus exigeants en vigueur dans de nombreux pays de l’UE, où les représentants des travailleurs doivent être effectivement associés aux processus d’adoption des technologies150.
Cependant, une initiative réglementaire concomitante de l’UE, appelée loi sur l’Intelligence artificielle (IA)151, jette le doute sur la volonté d’élever un rempart contre la prolifération indue de systèmes de prise de décision automatisés toxiques. Les systèmes d’IA adoptés dans le contexte de “l’emploi, la gestion des travailleurs et l’accès au travail indépendant” (point 4, annexe III) sont considérés comme posant “un risque élevé pour la santé et la sécurité ou les droits fondamentaux des personnes”. Ils doivent faire l’objet d’une procédure d’évaluation de leur conformité avant leur mise sur le marché ou leur mise en service (chapitre 2). Cette procédure implique la création, la mise en œuvre, la documentation et la maintenance d’un système de gestion des risques tout au long de la vie du système d’IA152.
Le patchwork d’instruments qui en résulte ouvre un champ de mines “constitutionnel” au niveau supranational. Étant donné que sa base juridique est destinée à promouvoir l’harmonisation maximale, il est de plus en plus à craindre que la loi sur l’IA bouleverse les règles nationales sur l’adoption et le déploiement des technologies au travail, y compris les nouvelles règles proposées dans le cadre du travail de plateforme. L’article 20 de la directive proposée sur le travail via une plateforme permet aux États membres d’appliquer ou d’introduire des lois, réglementations, dispositions administratives ou conventions collectives plus favorables aux travailleurs des plateformes, conformément à l'article 88 du RGPD sur la possibilité d’adopter “des règles plus spécifiques” pour assurer la protection des données personnelles des employés au travail. Si la loi sur l’IA devait être approuvée dans sa formulation actuelle, les dispositions les plus strictes pourraient être considérées comme des obstacles exorbitants à la libre prestation des services liés à l’IA au sein de l’UE. L’une des solutions mobilisables serait de retirer les systèmes d’IA utilisés dans les milieux de travail de la loi sur l’IA afin d’éviter les tensions avec les règles actuelles de contrôle et de protection des données personnelles.
Les limites du cadre européen hypertrophié et l’incertitude soulevée par des modèles qui se chevauchent en partie rendent le paysage très instable et les droits difficilement opposables. En raison de leur champ d’application singulier, les dispositions relatives à la GA qui figurent dans la directive sur le travail de plateforme pourraient être facilement contournées et, plus encore, elles sont peu contraignantes. Au niveau national, la situation est encore plus complexe en raison de la coexistence conflictuelle entre les lois nationales de transposition du RGPD en matière de collecte et de traitement des données personnelles153, les cadres liés au travail régissant l’adoption et le déploiement des technologies au travail et la fonction de contrôle dispersée entre les tribunaux du travail et les autorités chargées de la protection des données.
Compte tenu de l’importance des enjeux, ce dont nous avons besoin au premier chef, c’est d’un instrument supranational complet, ou au moins européen, qui réglemente la protection des données sur le lieu de travail154 et l’utilisation des technologies pour exercer les fonctions de contrôle et de prise de décision au travail. Un modèle à l’échelle européenne permettrait de réduire les coûts liés à la mise en conformité et d’éviter l’arbitrage réglementaire. Empruntant la technique adoptée pour identifier les cinq facteurs de test déclenchant la présomption de relation de travail, une sélection de coutumes et de règles nationales pourrait être intégrée et harmonisée au niveau de l’UE, minimisant ainsi le risque de rejet.
Les technologies ne doivent être introduites sur le lieu de travail qu’à l’issue d’un processus multipartite qui implique les personnes concernées par ces outils, et pas seulement les fournisseurs et les installateurs.
Dans certains domaines essentiels, les décisions ne doivent pas être laissées à la gestion algorithmique155. Les caractéristiques uniques des relations professionnelles, y compris l’accès inégal à l’information et les déséquilibres préétablis en matière de pouvoir contractuel, exigent au contraire des réglementations plus spécialisées.
Compte tenu des risques et des difficultés considérables présentés par la gestion algorithmique, une approche plus ciblée doit être élaborée. Il existe plusieurs bonnes raisons de le faire, notamment l’occasion de coconcevoir, d’actualiser et d’affiner les pratiques qui ne sont pas dysfonctionnelles ni susceptibles d’être déjouées. Les syndicats et les représentants des travailleurs doivent se servir du pouvoir institutionnel pour cogérer la mise en place des technologies au travail et pour négocier les activités, les décisions et les indicateurs de mesure qui sont contrôlés ou pris en compte par les outils de GA. De nombreuses expériences pionnières témoignent du fait qu’un dialogue social fructueux sur les technologies est bénéfique tant pour les travailleurs que pour les entreprises156. L’exploitation du potentiel inoffensif de la transformation numérique est une opportunité à ne pas sacrifier sur l’autel du déterminisme technologique.
Conclusion
Ce document propose une analyse critique des propositions de directive de l’UE sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes et d’autres instruments toujours en cours de négociation législative qui, s’ils sont adoptés, seraient la première tentative supranationale de réglementer le phénomène désormais bien établi du travail de plateforme. Notre objectif était de mettre en correspondance la proposition de directive sur le travail de plateforme avec “l’acquis social” européen et international.
Le document commence par appréhender le travail de plateforme en tant qu’expression d’un phénomène plus vaste, celui du travail précaire et atypique. En fait, l’essentiel des défis et des “lacunes de protection” que nous avons identifiés s’appliquent aussi à un éventail de plus en plus large de travailleurs qui ont des caractéristiques communes avec les travailleurs des plateformes. Les formules de travail occasionnel et les modalités de travail à distance en sont deux exemples importants. Nous prétendons que ces phénomènes se renforcent mutuellement et nous espérons que, en mettant en lumière les principaux avantages et limites du cadre juridique de l’UE réglementant les conditions de travail dans l’économie des plateformes, notre travail pourra contribuer à orienter la recherche et, de façon plus urgente, les programmes politiques visant à établir un avenir du travail plus équitable et davantage centré sur les travailleurs.
Plutôt que d’analyser les propositions de directive de manière systématique (un type d’enquête déjà mené par plusieurs autres experts)157, le document a analysé de quelle manière certaines de ses dispositions (par exemple, celles qui définissent son champ d’application, celles qui introduisent une présomption légale de statut, celles qui définissent les concepts d’espace de travail et de lieu de travail et donc le concept d’entité employeuse, ainsi que les règles relatives à la surveillance et au contrôle) interagissent avec les dispositions contenues dans d’autres instruments de l’UE (la DCTTP, la DATT et le RGPD pour citer les plus importants), produisant à la fois des chevauchements mais aussi, et c’est essentiel, des “vides juridiques” et des lacunes en matière de protection.
Dans l’ensemble, nous ne saurions nier que la directive proposée, si elle est adoptée, introduira un certain nombre de nouveaux dispositifs de protection qui, mis en œuvre de manière appropriée, entraîneront des améliorations tangibles pour les travailleurs des plateformes. A certains égards, cet instrument pourrait même offrir un cadre de référence des droits et des protections, notamment dans les domaines de la surveillance numérique et du contrôle algorithmique qui, bien adapté, serait bénéfique pour tous les travailleurs et pas seulement les personnes qui travaillent par l’intermédiaire de plateformes.
Par ailleurs, il est également clair que la directive proposée risque de ne pas répondre aux préoccupations (en évolution constante) que la gestion algorithmique et le travail de plateforme font naître chez les travailleurs. En dehors des suggestions de réforme plus spécifiques analysées dans les sections précédentes, ce rapport indique que — pour que cette directive atteigne ses objectifs de protection — il conviendrait d’adapter d’autres instruments en vigueur aux défis réglementaires posés par le travail de plateforme et les formes atypiques d’emploi158.
Ce document de travail suggère également que la directive proposée sur le travail de plateforme devrait se charger elle-même de fournir aux autorités nationales responsables de sa mise en œuvre, ainsi qu’aux tribunaux nationaux et européens, une série de principes directeurs pour les aider à coordonner et concilier plusieurs sources éparpillées contenues dans les divers instruments qui n’ont pas été conçus pour “dialoguer entre eux”. A cet égard, les références apparemment aléatoires aux instruments tels que la DATT, la DCTTP, la directive sur l’information et la consultation et le RGPD ne parviennent pas à donner “un fil conducteur” et à fournir un écosystème cohérent de règles régissant le travail de plateforme dans son intégralité.
Il est encore plus important de veiller à ce qu’un tel instrument soit réellement “à l’épreuve du temps”, au moins en ce qui concerne la question récurrente de la typologie des travailleurs (et du concept de travailleur) auxquels il est censé s’appliquer. En la matière, des suggestions particulières ont été faites dans ce document qui, selon nous, correspondent parfaitement aux principes de la Garantie universelle du travail proposée par la Commission mondiale sur l’avenir du travail de l’OIT qui stipule que “les principes et droits fondamentaux au travail sont applicables à tous les travailleurs, quel que soit leur régime contractuel ou leur statut professionnel …”159.
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Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier Maria-Helena André pour ses commentaires judicieux sur la version initiale de ce document, ainsi que Calvin Allen pour son excellente révision linguistique.