Les femmes dans l'aviation
Assurer des emplois de qualité et favoriser le recrutement et le maintien en poste
Préface
L'évolution de la situation des femmes dans le monde du travail a été lente dans un certain nombre de secteurs, y compris dans l'aviation civile, où l'on constate des disparités évidentes entre les hommes et les femmes dans diverses professions. Le développement rapide du secteur offre l'occasion de définir un programme qui contribue activement à changer la donne en termes d’égalité des sexes. Toutefois, plusieurs défis doivent être relevés pour éviter à l'avenir la simple reproduction des anciens schémas discriminatoires des femmes dans l'aviation civile. Ce document de travail constitue une introduction à l’étude de certains de ces défis et recense les perspectives pour l'avenir du travail décent et durable dans le secteur de l’aviation.
Ce document a été élaboré à partir d'une combinaison inédite de contributions provenant du secteur privé et des travailleurs et s'appuie sur des informations et des données fournies par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Les gouvernements, les travailleurs, les employeurs et les organisations internationales ont tous un rôle important à jouer dans la détermination, la promotion et la mise en œuvre d’orientations stratégiques favorables à l'égalité hommes-femmes. Le choix de celles-ci dépendra de l'évolution du contexte, l'égalité des sexes étant un objectif en constante évolution.
Le présent document comprend des informations sur certains des problèmes que rencontrent actuellement les femmes dans l'aviation civile. Il aborde des questions relatives à l'emploi, à la carrière des femmes et aux principales possibilités et difficultés en matière de travail décent dans l’aviation, sous l’angle de l’égalité entre hommes et femmes au niveau sectoriel. L’étude dresse également une liste des moyens permettant d'accélérer la réalisation de l'égalité des sexes. J'espère que ce document contribuera à encourager la discussion sur la promotion de la diversité, à favoriser le recrutement de femmes dans ce secteur ainsi qu'à les maintenir en poste.
L'Organisation internationale du travail (OIT) est l'institution spécialisée des Nations unies chargée de donner aux hommes et aux femmes de meilleures chances d’obtenir un travail décent et productif dans des conditions de liberté, de dignité, de sécurité économique et d'équité. En 2019, la 108e session de la Conférence internationale du travail a adopté, à une écrasante majorité, la nouvelle et révolutionnaire convention (n° 190) sur la violence et le harcèlement, 2019, et la recommandation (n° 206) sur la violence et le harcèlement, 2019, qui l'accompagne. Pour la première fois, la violence et le harcèlement dans le monde du travail font l’objet de normes internationales du travail à part entière.
Le Département des politiques sectorielles du BIT (SECTOR) œuvre en faveur du travail décent en aidant les mandants tripartites de l'Organisation - gouvernements, employeurs et travailleurs - à saisir les opportunités et à relever les défis dans 22 secteurs économiques et sociaux différents, y compris l'aviation civile. Les documents de travail publiés par SECTOR visent à diffuser la recherche sur des questions thématiques d'actualité auprès des décideurs politiques, des administrateurs, des partenaires sociaux, de la société civile, de la communauté des chercheurs et des médias. Leur objectif principal est d’alimenter un débat éclairé sur la meilleure façon d'aborder les questions sectorielles dans le cadre de l'agenda global pour le plein emploi productif et le travail décent pour tous, un objectif inscrit dans la Déclaration de l'OIT de 2008 sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, la Déclaration du centenaire de l'OIT de 2019 pour l'avenir du travail et le Programme de développement durable à l’horizon 2030.
Alette van Leur
Directrice
Département des politiques sectorielles
Remerciements
Ce document a été rédigé par David Seligson de Seligson Global Consulting, avec l’appui technique de l'Association du transport aérien international (Tim Colehan et Jane Hoskisson), l'Organisation de l'aviation civile internationale (Sainarayan Ananthanarayan, Thilly De Bodt et Glenda Newton), la Fédération internationale des associations de pilotes de ligne (Sebastián Currás Barrios), la Fédération internationale des associations de contrôleurs de la circulation aérienne (Sverre Ivar Elsbak, Christopher Gilgen et Helena Sjöström) et la Fédération internationale des ouvriers du transport (Nuria Belenguer, Claire Clarke et Gabriel Mocho Rodríguez).
Ce travail a également bénéficié des précieuses contributions et observations formulées par le Service des questions de genre, de l'égalité, de la diversité et de l'inclusion (Shauna Olney, Emanuela Pozzan et Irini Proios Torras) et du Département des politiques sectorielles (Alejandra Cruz Ross, Alette van Leur et Brandt Wagner). Mark Johnson était chargé d’éditer la version finale du présent document. Ivón García a apporté un précieux soutien sur le plan administratif et de la mise en page. Les vues et opinions exprimées dans le présent document sont celles de l'auteur et ne reflètent pas celles de l'Organisation internationale du travail.
Les femmes dans l'aviation
1.1 Les pionnières
La première femme pilote, Elise Raymonde de Laroche, une Française, a obtenu sa licence en 1910, sept ans seulement après le premier vol historique des frères Wright1. Les femmes pilotes ont éprouvé le besoin de créer un réseau et, en 1929, elles ont fondé une organisation qui se voulait ouverte à toutes les femmes titulaires d'une licence de pilote. Au total, 99 femmes pilotes ont répondu à l'appel et donné naissance à l'organisation qui prendrait plus tard le nom de "Ninety-Nines". La première présidente, Amelia Earhart, fut élue en 19312.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des femmes pilotes ont été recrutées aux États-Unis (Women Airforce Service Pilots ou WASP) et en Union soviétique (588e régiment de bombardiers de nuit); alors qu'aux États-Unis, les femmes étaient cantonnées aux vols de convoyage, en Union soviétique, elles effectuaient des vols de combat. Les pilotes de la WASP ne touchaient que deux tiers du salaire perçu par les hommes pour un travail de valeur égale. Bien que 90 pour cent des femmes pilotes souhaitaient rester dans l'armée après la guerre, les pilotes de sexe masculin ont protesté contre l'attribution du statut de militaire et d'ancien combattant aux femmes. Après la guerre, la WASP a été démantelée et les femmes pilotes ont dû chercher d'autres débouchés professionnels3. Il a fallu attendre 1973 pour que les femmes soient autorisées à s'engager dans la marine des États-Unis en tant que pilotes, et 1976 pour qu'elles puissent à nouveau intégrer l'armée de l'air américaine. En 1973, la première femme pilote est recrutée par une grande compagnie aérienne (bien que Dan Air, au Royaume-Uni, recrutait déjà des femmes pilotes depuis 1965)4. En 1995, une femme astronaute pilote pour la première fois une navette spatiale5.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, un grand nombre de femmes aux États-Unis ont travaillé en tant que contrôleuses de la circulation aérienne et agents de communications aériennes, pour remplacer les hommes partis à la guerre. Fin 1942, les femmes représentaient environ 40 pour cent des contrôleurs en formation. Cependant, la plupart d'entre elles ont dû quitter leur emploi après la guerre, les hommes étant revenus pour "récupérer" leurs anciens emplois6. En Amérique latine, la première femme contrôleur aérien, Amelia Lara Faría, a commencé à travailler en 19627.
1.2 Problématiques actuelles
L'aviation civile est souvent décrite comme l'industrie de la liberté – archétype d’une industrie mondialisée. Le personnel employé dans un avion traverse la plupart du temps des frontières à chaque journée de travail et les équipages des compagnies aériennes peuvent être composés de ressortissants de plusieurs nationalités. Dans le même temps, la ségrégation entre hommes et femmes reste très présente dans les professions de l'aviation civile. Les pilotes sont majoritairement des hommes, et le métier de pilote a toujours été associé à la figure de l’homme8. La plupart des mécaniciens sont également des hommes, tandis que le personnel de cabine est en grande partie composé de femmes.
Au cours des deux dernières décennies, les disparités entre les sexes sur l’ensemble du marché du travail n’ont pas été comblées. Environ 70 pour cent des femmes préféreraient exercer un travail rémunéré, mais ce n’est le cas que pour 45 pour cent d’entre elles9. Au total, 1,3 milliard de femmes ont un emploi, contre 2 milliards d'hommes. Les mères subissent une triple peine: leur niveau d'emploi est inférieur à celui des femmes sans enfant, leurs salaires sont plus bas et leur taux de participation aux postes de direction et d'encadrement est faible10.
L'aviation civile était un secteur très réglementé jusqu'en 1978, date à laquelle, à l'instar des États-Unis, de nombreux pays ont commencé à libéraliser ce marché. S’en est ensuivie une réorganisation du secteur: de nouveaux modèles commerciaux ont vu le jour, une baisse des prix s’est instaurée durablement et le trafic de passagers et de marchandises a continué de croître. Le nombre global d’emplois dans l'aviation civile a également augmenté, bien que dans de nombreux cas les conditions de travail se soient détériorées11.
Le nombre mondial de passagers aériens a doublé entre 2005 et 2017, pour passer de 1,97 à 3,98 milliards12. Le taux composé de croissance annuelle jusqu'en 2037 devrait s’élever à 3,5 pour cent, ce qui donnerait un total de 8,2 milliards de passagers en 203713. Toutefois, le taux de croissance dépendra de la poursuite de la libéralisation du marché et de la disponibilité de main-d'œuvre qualifiée14. D'autres facteurs auront également une incidence, à savoir les politiques en matière de changements climatiques et le rythme de la croissance économique.
Le secteur de l'aviation civile devra probablement recruter davantage de pilotes pour parvenir au taux de croissance attendu 15 (voir le tableau 1). Le fait que les femmes soient sous-représentées aux postes de pilotes et d’agents chargés de l’entretien, la réparation ou la révision des appareils, tient largement aux idées préconçues selon lesquelles elles n'auraient pas les capacités nécessaires pour piloter ou réparer un avion, et au manque d'incitation à faire carrière dans l'aviation16.
Selon une étude de la Banque mondiale, 17 pays disposent de lois empêchant les femmes d'accéder au secteur des transports, notamment à certaines professions de l'aviation civile17. Par exemple, la Fédération de Russie a récemment amendé une loi qui contenait une liste dressée par le gouvernement de 456 emplois exclusivement masculins jugés néfastes pour la santé des femmes. À partir de janvier 2021, les femmes pourront devenir pilotes et conductrices de métro, de camion ou de train. L'amendement ne comportait toutefois aucune modification concernant une centaine d'emplois, y compris mécanicien aéronautique18.
Il est désormais largement reconnu que la diversité hommes-femmes est source d'innovation et enrichit les entreprises et les lieux de travail d'une variété de compétences. La recherche sur l’explication des différences entre les représentations véhiculées au sujet des hommes et des femmes dans les professions de l'aviation civile peut aider les compagnies à élaborer des stratégies de recrutement et définir des conditions de travail qui attirent davantage de femmes vers le secteur, ainsi qu'à mettre en œuvre des formations axées sur des modes de communication et de direction plus inclusifs. La recherche peut également contribuer à lutter contre les comportements et les préjugés qui nuisent à l'égalité hommes-femmes19.
Emploi dans l'aviation civile
2.1 Prévisions et chiffres
Le transport aérien représente 3,5 pour cent du produit intérieur brut mondial. Il emploie environ 10 millions de personnes dans le monde, et l'on estime que chaque emploi dans ce secteur crée six emplois dans d'autres secteurs. Sur les 10 millions de personnes engagées dans l'aviation civile, 2,7 millions travaillent pour des compagnies aériennes (équipage de conduite ou de cabine, services en escale, enregistrement, formation, maintenance, cadres); 0,2 million travaillent dans les services de navigation aérienne (contrôleurs de la circulation aérienne, cadres); 0,5 million travaillent pour des exploitants d’aéroports; 5,6 millions occupent d'autres emplois dans les aéroports (vente au détail, location de voitures, transitaires, douanes, immigration); et 1,2 million travaillent dans l'aéronautique civile (ingénieurs et concepteurs d'aéronefs civils, de moteurs et de composants)20. Les données disponibles ne sont pas ventilées par sexe.
Dans l'Union européenne, en 2013, sur les 1,4 million de personnes employées dans le groupe sectoriel du transport aérien, 0,4 million étaient salariées dans le transport aérien et 1 million, dans les activités auxiliaires. Le nombre d'emplois a légèrement diminué au cours de la période 2000-13, malgré la forte croissance du trafic aérien. De nombreuses compagnies ont externalisé des fonctions non essentielles, en particulier les services d’assistance en escale. Dans ce cas, les travailleurs concernés ne figurent plus parmi les employés du transport aérien, mais relèvent des "activités de service connexes au transport aérien"21. Dans l'Union européenne, 40 pour cent des personnes employées dans le transport aérien de passagers étaient des femmes, contre 23 pour cent pour le transport de marchandises. Environ 26 pour cent des personnes engagées dans l'exploitation et la manutention aéroportuaires étaient des femmes22. Aux États-Unis, 42,9 pour cent des 635 000 employés du transport aérien en 2018 étaient des femmes23.
L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) estime que la circulation aérienne devrait doubler d'ici à 2034. Cela signifie qu'en 2037, l'aviation civile aura besoin d'environ deux fois plus de pilotes, de contrôleurs aériens, de techniciens de maintenance et de personnels de cabine.
Tableau 1: Prévisions de l'OACI relatives au personnel de l'aviation civile
Total 2017 |
Total 2037 |
Nouveau total* 2037 |
|
---|---|---|---|
Pilotes |
359 337 |
720 156 |
554 304 |
Contrôleurs du trafic aérien |
85 829 |
161 647 |
106 800 |
Techniciens de maintenance |
443 276 |
869 732 |
665 990 |
Equipage de cabine |
565 163 |
1 185 548 |
923 179 |
TOTAL |
1 453 605 |
2 937 083 |
2 250 273 |
* On estime que le taux de départ pour les pilotes, les techniciens de maintenance et l’équipage de cabine s’élève à 3 %, et à 2 % pour les contrôleurs du trafic aérien.
Source : OACI, Prévisions relatives au personnel aéronautique.
Pour répondre à la demande en matière de personnel d'encadrement, six universités se sont regroupées pour proposer une formation à entre 120 et 240 diplômés par an dans le cadre d'un programme sur la gestion de l'aviation civile24. Toutefois, l'Association européenne des navigants techniques (ECA) conteste l’idée d’une pénurie de pilotes, actuelle ou future. L'ECA estime que 15 pour cent des pilotes en Europe sont au chômage et souligne que nombre d'entre eux n’acceptent pas les offres d’emploi des compagnies aériennes après avoir obtenu leur licence parce qu'ils trouvent les conditions de travail plus intéressantes dans d'autres secteurs. De nombreux pilotes sont surmenés et ne reprennent pas le travail après des périodes d’épuisement professionnel ou de congé parental. Selon l'ECA, l'argument selon lequel on serait face à une pénurie de pilotes est couramment invoqué par les compagnies aériennes et les écoles d'aviation pour faire pression sur la réglementation applicable aux pilotes et leurs indemnités, et pour stimuler l’activité commerciale des écoles de pilotage25.
À long terme, l'automatisation et l'intelligence artificielle transformeront profondément nombre d’emplois dans le secteur de l'aviation. Certains seront protégés, mais pour beaucoup d'autres, comme le service à la clientèle et les activités comptables et juridiques, il est fort probable que l'utilisation des nouvelles technologies entraîne une réduction de la main-d'œuvre26. Il est difficile d’anticiper l’incidence qu’auront les nouvelles technologies sur les niveaux d'emploi et les perspectives du marché du travail dans l'aviation civile d’ici à 20 ou 30 ans27. Il a rarement été question des aspects sexospécifiques dans les discussions sur la technologie, de nombreux experts faisant valoir que "la technologie est neutre" et qu'elle permet de s’acquitter des tâches pour lesquelles elle est conçue28. Il n'en reste pas moins que certaines des professions de l'aviation civile les plus menacées par l'automatisation, telles que l'enregistrement dans les aéroports ou la manutention automatique des bagages29, sont souvent celles où les femmes sont le plus représentées30. De ce point de vue, l’évolution des technologies peut aggraver les difficultés existantes en matière d'inégalité entre hommes et femmes.
2.2 Profil des effectifs
Les relations entre hommes et femmes sont restées relativement inchangées dans le secteur de l'aviation civile31. L'organisation sociale dans les avions ("les hommes restent assis et les femmes se penchent pour servir") n'a pas beaucoup évolué32. Lorsqu'une petite compagnie aérienne a engagé une femme pilote en 1934, le syndicat des pilotes l'a obligée à quitter son emploi au bout de quelques mois33. Bien que des femmes aient exercé en tant que pilotes militaires pendant la Seconde Guerre mondiale, ce n'est qu'en 1973 que les grandes compagnies aériennes ont commencé à les embaucher comme pilotes de ligne34. En Australie, elles n'ont été autorisées à voler qu'en 1979, à la suite d'un long procès qui a débouché sur l'adoption d'une législation sur l'égalité des chances en matière d'emploi35.
Sur les 130 000 pilotes de ligne dans le monde au début des années 2010, environ 4 000 étaient des femmes (soit 3 pour cent), parmi lesquelles on ne comptait que 450 commandantes de bord36. Selon une autre source, le nombre de femmes pilotes en 2018 était de 7 409, soit 5,2 pour cent du nombre total de pilotes37. Aux États-Unis, 7,3 pour cent des pilotes de ligne actifs étaient des femmes en 2018, ce qui représente une augmentation par rapport au 6,2 pour cent de 2009. Toutefois, si l'on exclut les étudiants, cette part passe de 5,4 à 5,2 pour cent38. Au Royaume-Uni, 4,3 pour cent des pilotes étaient des femmes en 2013, néanmoins chez British Airways, le pourcentage était plus élevé (5,7 pour cent)39. En 2018, les grandes compagnies aériennes qui employaient le plus de femmes pilotes étaient United Airlines 40, avec 7,4 pour cent, et IndiGo, avec 13,9 pour cent41.
La prédominance masculine est encore plus marquée dans la profession de mécanicien aéronautique. En 2014, 2,5 pour cent des mécaniciens d'aéronefs certifiés aux États-Unis étaient des femmes. En outre, la part des femmes exerçant ce métier aux États-Unis n'a pas augmenté de manière significative au cours des deux dernières décennies du XXe siècle42. Le contraste avec les hôtesses de l'air est flagrant: le pourcentage de femmes dans cette profession s'élève à 80,943.
Encadré 1 : Des infirmières pour hôtesses de l'air
Ellen Church était titulaire d'une licence de pilote et infirmière, mais dans les années 1920, les femmes n'étaient pas autorisées à piloter des avions commerciaux. Elle a donc proposé que des infirmières servent à manger aux passagers, tout en contribuant à leur transmettre un sentiment de sécurité. Steven Stimpson, responsable chez Boeing Air Transport, apprécia particulièrement cette idée "car les jeunes hôtesses de l'air constitueraient un grand atout sur le plan du marketing et stimuleraient la vente de billets".
Sources : Hanlon, M.L., 2017. " Sexual hostility a mile high ", Hastings Women's Law Journal, 28(2), pp. 181-200 ; Baum, T., 2012. “Working the skies: Changing representations of gendered work in the airline industry, 1930–2011”, Tourism Management, 33(5), pp. 1185-1194.
Au cours des premières décennies de l'aviation commerciale, l’équipage de cabine était principalement composé de jeunes garçons ou d'hommes de petite taille (dans un souci d'économie de carburant). Le caractère masculin du personnel de cabine étant déterminé par des exigences techniques, il a été facile de remplacer les stewards par des femmes44.
La gestion de la circulation aérienne est généralement à dominante masculine, bien que dans une moindre mesure que les professions de pilote ou mécanicien. En Europe, c'est en Grèce que le pourcentage de femmes contrôleurs aériens est le plus élevé (52 pour cent), suivie par la Suède (39 pour cent) et l'Espagne (34 pour cent)45. Aux États-Unis, en 2011, environ 17 pour cent des contrôleurs du trafic aérien étaient des femmes46. Des femmes chargées de la circulation aérienne ont récemment été recrutées aux Émirats arabes unis 47 et en Arabie Saoudite48, tandis qu'aux Fidji 49 et au Canada (Montréal) 50, elles représentent un quart de la main-d'œuvre. À la tour de contrôle de l'aéroport international Sangster, à Montego Bay en Jamaïque, la majorité des contrôleurs aériens sont des femmes51.
2.3 Modalités d’emploi
Pendant de nombreuses années, le transport aérien a été très réglementé. Les emplois étaient relativement sûrs et les conditions d'emploi étaient bonnes, la négociation collective jouait un rôle important et les syndicats étaient reconnus52. La libéralisation du transport aérien, les nouvelles technologies et l'émergence de transporteurs à bas coûts ("low-cost") ont permis d’améliorer la rentabilité et de rendre les voyages en avion plus abordables. Cependant, les entreprises ont externalisé une grande partie de leurs activités internes et multiplié les solutions en libre-service. L'externalisation va souvent de pair avec une réduction des salaires, des prestations sociales et du taux de syndicalisation ainsi qu’avec une détérioration des conditions de travail. Cet évident « nivellement par le bas » sur le plan des normes du travail s’est également traduit par une augmentation du travail indépendant, du travail à durée déterminée, des contrats « zéro-heure » et des pratiques « pay-to-fly » (« payer pour voler »)53.
En général, les femmes occupent davantage les formes d'emploi atypiques que les hommes. La raison principale pour laquelle les femmes sont surreprésentées dans les emplois à temps partiel est fortement liée à leur rôle traditionnel de soutien familial, qui consiste à consacrer plus de temps à la garde d'enfants, aux soins de parents âgés et autres personnes dépendantes, ainsi qu'à d'autres tâches domestiques54. Les mesures et politiques qui tiennent compte de la problématique hommes-femmes sur le lieu de travail ne sont pas toujours appliquées aux entreprises prestataires. Une solution pour remédier à cela pourrait consister à inclure dans les contrats entre les entreprises et les sous-traitants des clauses portant sur le travail décent et les droits du travail, et en particulier sur l'égalité entre les hommes et les femmes.
Dans l'Union européenne, 6 à 8 pour cent des personnes employées dans le transport aérien ont un contrat à durée déterminée. Il en va de même pour le personnel d'exploitation et de manutention aéroportuaires. Environ 16 pour cent des salariés dans le transport aérien travaillent à temps partiel, les taux d'emploi à temps partiel étant plus élevés chez les femmes: en 2013, la proportion était de 34 pour cent pour les femmes, contre moins de 10 pour cent pour les hommes. Dans le domaine de l'exploitation et de la manutention aéroportuaires, ces chiffres s’élevaient respectivement à 23 et 7 pour cent55.
D'autres modalités de travail, telles que le travail intérimaire, le travail indépendant, le détachement de travailleurs et les contrats « zéro-heure », sont également monnaie courante dans le transport aérien en Union européenne. Les agences de travail intérimaire peuvent engager des travailleurs en tant qu'auto-entrepreneurs, auquel cas ces derniers ne sont pas couverts par la directive 2008/104/CE relative au travail intérimaire. Le caractère mobile du transport aérien complexifie d’autant plus la situation. Par exemple, un travailleur peut être employé par une agence de travail temporaire dans un État membre de l'Union européenne, l'entreprise utilisatrice peut être située dans un deuxième État membre, et le travailleur peut résider dans un troisième pays. Dans certains cas, la directive applicable n'est pas celle relative au travail intérimaire, mais la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services56.
Les pilotes sont parfois employés dans le cadre de systèmes complexes où une société unipersonnelle à leur nom vend ses services à des agences de travail temporaire, lesquelles les revendent ensuite à une compagnie aérienne. Ce type d'arrangement a également été remarqué par les autorités fiscales57. Travailler en tant qu'entrepreneur indépendant par l'intermédiaire d'une agence de travail temporaire prive les travailleurs de la protection garantie par la directive relative au travail intérimaire et peut également se traduire par l’impossibilité pour les travailleurs de bénéficier de la protection des employés en vertu de la législation nationale. Il arrive souvent que le travail indépendant occulte une véritable relation de travail58.
Encadré 2 : Évolution de la relation de travail et des pratiques en matière d'emploi
La réforme de l'économie chinoise dans les années 1980 a modifié la relation de travail en amorçant la sortie du système dominant de l'emploi à durée indéterminée pour passer à l'emploi à durée déterminée. Cette évolution a été renforcée par la loi sur le travail de 1995. Toutefois, les entreprises publiques, y compris les compagnies aériennes, recouraient encore largement aux contrats à durée indéterminée. Dans les années 2000, la demande de pilotes a augmenté mais le système de négociation ne permettait pas aux pilotes de tirer parti de la situation pour exiger des salaires plus élevés à leurs employeurs. De ce fait, en 2006, plus de 100 pilotes ont quitté leur emploi pour changer de compagnie. La loi sur le travail de 1995 interdit toute discrimination à l'encontre des travailleurs fondée sur le sexe, l'âge, l'origine ethnique ou les croyances religieuses. Ces règles ont été contournées avec l’embauche de travailleurs par l'intermédiaire d'agences, connues sous le nom de sociétés de placement de travailleurs (labour dispatching) en Chine. Par exemple, les hôtesses de l'air sont pour la plupart embauchées par l'intermédiaire d'agences afin d'éviter les problèmes de discrimination fondée sur l'âge.
Source : Li, K., 2010. “Practice and problems: The fixed-term employment contract in China”, The Japan Institute for Labour Policy and Training, “Labour Policy on Fixed-term Employment Contracts”, (8-9 mars).
L'externalisation, ou la sous-traitance de fonctions à une autre organisation indépendante, est de plus en plus répandue dans le secteur du transport aérien au sein de l'Union européenne. C'est notamment le cas de l'assistance en escale, de la sécurité, du nettoyage et de l'administration, bien que certains transporteurs sous-traitent aussi l’équipage de conduite et de cabine59. De nombreuses compagnies aériennes au sein de l'Union européenne opèrent depuis plusieurs bases, et l'équipage est souvent constitué dans un pays où le personnel ne vit pas. Par conséquent, les employés d'une même compagnie peuvent relever de juridictions différentes60.
Encadré 3 : Enregistrement des aéronefs
Une compagnie aérienne opérant depuis la Norvège a acquis un certificat de transporteur aérien en Irlande, bien qu'elle ne commercialise pas de vols en provenance ou à destination de l'Irlande. Ce faisant, la compagnie a contourné le régime réglementaire en vigueur dans un pays à forte tradition syndicale pour relever d’un autre, où les règles sont moins strictes à cet égard; elle a également pu accéder à l'accord "ciel ouvert" conclu entre l'Union européenne et les États-Unis, étant donné que la Norvège n'est pas membre de l'Union européenne mais que l'Irlande l'est.
Source : Harvey, G. et P. Turnbull, 2012. The development of the low cost model in the European civil aviation industry, Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF).
Dans le but de réduire les dépenses de personnel, certaines compagnies aériennes embauchent des équipages dans des pays où les salaires sont plus bas, souvent par le biais d'agences de travail temporaire61. Il est également arrivé que certaines compagnies aériennes refusent de reconnaître les syndicats62.
2.4 Formation et compétences
La plupart des professions dans l'aviation civile exigent des compétences spécialisées qui doivent être acquises moyennant une formation rigoureuse. La formation de pilote peut être coûteuse et, lorsqu’elle n'est pas couverte par les programmes de formation des grandes compagnies aériennes, elle doit être financée par l'étudiant. Aux États-Unis, au début des années 1990, près de 65 pour cent des étudiantes pilotes titulaires d'un certificat médical sont devenues des « pilotes sans restriction » (pilotes professionnelles), mais deux décennies plus tard, ce taux de conversion était passé en-dessous de 35 pour cent63. La plupart du temps, les candidats aux emplois de personnel de cabine sont également tenus de suivre des cours coûteux. Par exemple, une grande compagnie aérienne européenne à faible coût a confié le recrutement de son personnel de cabine à quatre agences de placement privées et le prix du cours de formation pouvait s’élever à 3 000 euros64. Dans d'autres cas, les compagnies aériennes financent la formation et peuvent parfois offrir un salaire de base pendant la période de formation. Certaines compagnies aériennes exigent que les candidats passent un test avant d'être officiellement embauchés, ce qui fait peser la charge du financement de la formation sur le demandeur d'emploi.
Les préjugés relatifs aux capacités et au comportement attendu des femmes et des hommes continuent encore d’exercer une influence sur la manière dont les membres du personnel acquièrent et utilisent leurs compétences, ainsi que sur l’idée qu’ils se font de leur travail. Une étude menée en Australie a montré que, bien que les femmes aient obtenu de meilleurs résultats que les hommes pendant les formations, les recrues, hommes et femmes, ont une opinion négative sur les aptitudes des femmes pilotes65. La formation et la gestion de l'équipage doivent en tout premier lieu tenir compte de l’incidence que l'interaction humaine peut avoir sur les prestations du personnel dans le but de réduire les différences entre hommes et femmes66. La gestion de la parité et de la diversité pourrait être intégrée dans la formation à la gestion des équipages afin d'améliorer la sécurité aérienne et la qualité des prestations dans des environnements mixtes67.
La réintégration des femmes dans la population active, la modernisation des infrastructures et les modifications de l’emploi liées aux nouvelles technologies ou à l'automatisation peuvent offrir des possibilités de formation aux femmes, quel que soit leur âge, et favoriser le maintien en poste des femmes dans le secteur. L'élaboration et la mise en œuvre d'initiatives et de programmes de formation devraient tenir compte du point de vue des travailleuses et en tirer parti dans le but de parvenir à un meilleur équilibre hommes-femmes dans la formation.
2.5 Salaires et prestations
De nombreux pays ont adopté des dispositions législatives prévoyant l’obligation de l’égalité de salaire pour un travail de valeur égale. Cependant, les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes demeurent profondément ancrés et se maintiennent autour de 18,8 pour cent au niveau mondial68. Afin de remédier à cette situation, des mesures supplémentaires, telles que la transparence salariale, sont mises en place69.
Les pilotes gagnent généralement beaucoup plus que le personnel de cabine. Par exemple, aux États-Unis, en 2018, le salaire annuel médian des pilotes et copilotes de ligne et des ingénieurs de vol était de 140 340 dollars US70, contre un salaire médian de 56 000 dollars US pour le personnel de cabine71. En Europe, le salaire annuel moyen d’un pilote était compris entre 49 323 euros (co-pilote) et 89 928 euros (commandant de bord formateur) en 2013, tandis que le salaire annuel moyen du personnel de cabine étaient compris entre 26 970 euros et 32 408 euros (formateur du personnel de cabine). Il convient de noter que le salaire des membres de l’équipage de cabine a diminué de 14 à 15 pour cent entre 2005 et 201372.
Les pilotes sont de plus en plus contraints de contribuer financièrement à la compagnie aérienne, ou de "payer pour voler", afin d'acquérir une expérience de vol. Les pilotes accumulent souvent des dettes liées aux frais de scolarité élevés des écoles de pilotage, mais ils peuvent être prêts à voler, même sans rémunération, pour acquérir de l'expérience et obtenir par la suite un emploi bien rémunéré73.
La ségrégation professionnelle a une incidence évidente sur l'écart de rémunération entre hommes et femmes dans l'aviation civile, étant donné que les pilotes sont en grande majorité des hommes, et que le personnel de cabine est surtout composé de femmes. Par exemple, chez British Airways, le salaire horaire médian déclaré des femmes est inférieur de 10 pour cent à celui des hommes, chez EasyJet, il est inférieur de 46 pour cent et chez Ryanair, le taux horaire médian des femmes est inférieur de 72 pour cent à celui des hommes74. Dans de nombreuses autres professions de l'aviation civile, on constate un écart salarial nettement moins tranché: par exemple, au sein de l'Autorité fédérale de l'aviation aux États-Unis, les femmes contrôleurs de la circulation aérienne et ingénieurs gagnent 96 à 103 pour cent du salaire des hommes et les femmes inspecteurs de la sécurité, 86 à 102 pour cent75.
Une grande partie des coûts du transport aérien, tels que le carburant, les redevances d'atterrissage et les services de navigation aérienne, ne sont pas directement sous le contrôle des compagnies aériennes. Les coûts salariaux sont par conséquent mis sous pression lorsque les compagnies aériennes font face à une demande variable en fonction de la conjoncture ou des fluctuations saisonnières. Certaines anciennes compagnies aériennes nationales ont créé des opérateurs à bas prix (par exemple Germanwings de Lufthansa) afin de réduire les coûts de main-d'œuvre. British Airways a mis en place une nouvelle catégorie d’employés au sein de la compagnie principale, dont les conditions d'emploi sont plus précaires. La plupart des compagnies aériennes à bas prix dégroupent les différents éléments du voyage aérien, ce qui signifie que le passager s’acquitte séparément du prix des sièges, des bagages, de la nourriture et des boissons. De ce fait, les revenus de l’équipage de cabine peuvent reposer en grande partie sur les ventes à bord76. Alors que l’équipage de cabine se compose en grande partie de femmes, on constate que les salaires de celles-ci sont non seulement plus bas, mais aussi souvent moins stables.
2.6 Temps de travail et équilibre entre vie professionnelle et vie privée
En raison des fortes variations saisonnières, certaines compagnies aériennes, notamment les transporteurs à bas prix, exploitent au maximum le temps de service autorisé de leur personnel pendant la saison haute, et le mettent au chômage technique pendant l'hiver77. C'est d’autant plus vrai pour les travailleurs employés par des agences de travail temporaire. Prendre des vacances d'été peut s'avérer presque impossible pour les pilotes recrutés par l'intermédiaire d'une agence78.
Les pilotes et l’équipage de cabine sont souvent amenés à passer beaucoup de temps loin de leur domicile, ce qui peut poser davantage de problèmes aux femmes qui assument souvent une part inégale des responsabilités familiales non rémunérées et se chargent également d'autres tâches domestiques. Un obstacle pour les femmes dans cette situation peut, par exemple, être le manque de flexibilité dans la prise de congés ou le choix des jours de congé. En outre, l'obligation d’assurer un nombre d'heures de vol donné pour conserver certaines qualifications peut défavoriser les femmes si elles doivent restreindre leur temps de vol en raison d'une grossesse, d'un congé maternité et d'un retour progressif à l’emploi79.
Maintenir un équilibre entre vie professionnelle et vie privée est particulièrement difficile pour les travailleurs migrants. Par exemple, ils peuvent se retrouver isolés de la communauté locale et ne pas disposer d'occasions suffisantes pour passer du temps avec leur famille et leurs amis. Des politiques de gestion de l'image trop strictes ou les différences avec la culture locale peuvent également mettre en péril leur sécurité d'emploi et empiéter sur la vie privée des travailleurs migrants. Le fort déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée dans les États du Golfe, en particulier, serait l'une des raisons principales pour lesquelles les travailleurs migrants quittent leur emploi80.
La carrière des femmes
3.1 Les étapes d’une carrière
De nombreux facteurs ont une incidence sur la décision des femmes de faire carrière dans l'aviation civile, d'intégrer ce secteur et d’y rester. Ces facteurs d'attraction et de dissuasion sont illustrés dans la figure suivante.
Figure 1: La carrière des femmes
Source : Turnbull, P., 2013. Promoting the employment of women in the transport sector: Obstacles and policy options, document de travail n° 298, Département des activités sectorielles, BIT, Genève.
3.2 Inciter les femmes à travailler dans l'aviation civile
Les femmes et les hommes peuvent être attirés par l'emploi dans l'aviation civile pour de nombreuses raisons. Ils peuvent connaître le secteur par leur famille ou leur communauté locale, ou avoir été orienté vers celui-ci à l'école. Ils peuvent également avoir été séduits par l'image prestigieuse de l'aviation. Cependant, il arrive souvent que les jeunes filles ne soient pas encouragées à faire carrière dans ce secteur, voire qu’elles en soient découragées, en raison de présupposés erronés selon lesquels la plupart des emplois concernés ne seraient pas destinés aux femmes, ou de préjugés selon lesquelles les filles ne seraient pas intéressées par ces emplois. Ce même type de raisons expliquent que les filles se dirigent moins vers des études dans les domaines des sciences, des technologies, de l'ingénierie et des mathématiques (STIM), ce qui limite les débouchés dans de nombreux métiers de l'aviation81.
Les femmes sont également susceptibles de remettre en question leur capacité à remplir les exigences physiques requises pour piloter un avion. Toutefois, le recours aux ordinateurs et aux technologies de "vol électrique" a fait disparaître l’idée selon laquelle les avions devaient être pilotés "physiquement". L’activité des pilotes se concentre désormais davantage sur la gestion des systèmes de l'aéronef82. Les accidents et les incidents dans le transport aérien sont scrupuleusement analysés pour en identifier les causes, et les études montrent que les taux d'accidents entre les hommes et les femmes pilotes sont équivalents. En outre, il ne semble pas y avoir de différence entre les hommes et les femmes sur le plan de la formation à la sécurité et la santé83.
Les professions liées à la réparation et à la révision des avions sont encore plus dominées par les hommes que les postes de pilote, mais il n’en a pas toujours été ainsi. En 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, 65 pour cent des travailleurs du secteur aéronautique aux États-Unis étaient des femmes. Bien qu'elles aient prouvé qu'elles pouvaient accomplir ces tâches aussi bien que les hommes, la plupart de celles-ci ne sont pas restées en poste après la guerre. Une étude récente a montré que le fait d'être mariée ou d'avoir un enfant n'avait pas d'incidence significative sur la décision d'entamer ou de poursuivre une carrière en tant que technicien de maintenance aéronautique. Les aspects les plus déterminants se sont avérés être le caractère adéquat de la carrière, la sécurité au travail, l'acceptation sociale, les possibilités de promotion et la perception de limites physiques84.
La figure suivante illustre les causes du faible niveau d’attrait des femmes pour l'aviation civile.
Figure 2: Causes du faible niveau d'attrait des femmes pour l'aviation civile
Source : adapté de Turnbull, 2013. op. cit.
La formation des pilotes est très onéreuse. Dans certains cas, le manque de ressources pour financer la formation au métier de pilote est un obstacle supplémentaire qui empêche les femmes de faire carrière dans ce métier85. Une étude lancée par le Congrès américain dans les années 1990 a recommandé la mise en place de programmes de financement pour aider les candidates à des postes de pilotes à prendre en charge le coût de la formation au pilotage et de la conversion, ce dont le secteur a pris l'initiative86. En outre, l’absence de modèles et le manque d’acceptation sociale de la part des organisations, des instructeurs de vol et des familles, tout comme les stéréotypes, représentent certains des principaux obstacles rencontrés par les femmes pendant la formation, qui les conduisent souvent à abandonner leurs études87.
Le métier de contrôleur de la circulation aérienne exige des compétences particulières et l'Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (EUROCONTROL) a mis au point un test spécifique: le "premier test européen de sélection des contrôleurs de la circulation aérienne" (FEAST), qui est utilisé par 50 organisations dans 40 pays pour recruter et sélectionner les contrôleurs de la circulation aérienne88. Cependant, le test fait l'objet de critiques car il favoriserait les jeunes hommes ayant une grande pratique des jeux vidéo; certains pays envisagent d'abandonner le test FEAST89.
3.3 Sélection et maintien en poste
Les décisions relatives au recrutement de personnel subissent l'influence des comportements sociétaux plus généraux et des politiques publiques et privées. La plupart des départs se produisent au cours des premiers mois de service, ce qui indique que la première expérience est cruciale et qu'un environnement hostile aux femmes est susceptible de les éloigner d'une profession ou d'un secteur. Le maintien en poste à long terme des femmes dépend de la façon dont elles sont traitées par leur employeur et leurs collègues. Les femmes sont souvent amenées à cesser de travailler lorsqu’elles endossent de nouvelles responsabilités familiales. Ces interruptions temporaires peuvent modifier leur parcours professionnel, voire mettre un terme à une carrière dans l'aviation90. Les responsabilités familiales, qui sont souvent réparties de manière inégale entre les femmes et les hommes, portent souvent atteinte à la carrière des femmes.
Encadré 4 : Initiative "Amy Johnson Flying"
EasyJet a lancé l'initiative "Amy Johnson Flying" en octobre 2015 dans le but de doubler le nombre de nouvelles femmes pilotes, pour le faire passer de 6 à 12 pour cent en deux ans. L'objectif de 12 pour cent a été atteint dès la première année et l'entreprise a fixé un nouvel objectif: parvenir à 20 pour cent d’ici à 2020. La compagnie aérienne garantit le prêt de six des nouvelles recrues féminines.
Sources: Choat, I., 2017. "Why airlines need more female pilots to take to the skies", The Guardian, 8 mars. ; EasyJet, sans date. “Amy Johnson Initiative: We want to help encourage more females to train as pilots”, EasyJet careers.
Les femmes travaillant dans l'aviation civile font face à différents types d'obstacles. Dans certains pays, la loi limite le temps de travail des femmes en interdisant le travail de nuit et en excluant les femmes d’un grand nombre d'opérations continues (24 heures sur 24 et 7 jours sur 7). D'autres difficultés peuvent avoir une composante sexospécifique, notamment les stéréotypes qui caractérisent certains emplois comme étant plus adaptés aux hommes, et d'autres, aux femmes. Ces dernières peuvent parfois être obligées de révéler leur statut marital ou le nombre d'enfants qu'elles ont, ou de se soumettre à un test de grossesse. D'autres obstacles peuvent être décrits comme étant aggravés par la variable du genre lorsqu'ils touchent hommes et femmes, mais que ces dernières en souffrent le plus. On pourrait citer en exemple l'inadéquation de l’offre en matière de garde d'enfants ou les modalités de travail non adaptées aux besoins des familles91.
A l'origine, le pilotage était associé à l’identité masculine et cela se traduisait parfois par des règles strictes. Par exemple, la Commission internationale de navigation aérienne (ICAN), organisation qui a précédé l'OACI, a interdit le poste de personnel navigant aux femmes au milieu des années 1920 et, pendant un certain temps, tous les pilotes et 75 pour cent du personnel au sol de British Airways devaient être membre de la Royal Air Force, de la réserve ou de la Force aérienne auxiliaire92.
La figure suivante montre les causes du faible taux de sélection des femmes dans l'aviation civile.
Figure 3: Causes du faible taux de sélection des femmes dans la plupart des emplois en aviation civile
Source : Adapté de Turnbull, 2013. op. cit.
De nombreux aspects ont une incidence sur le faible taux de maintien en poste des femmes dans l'aviation civile, y compris les écarts salariaux et l'accès inégal aux primes, la discrimination et le harcèlement sexuels, les conditions de travail dangereuses, l'attention insuffisante portée à la santé et au bien-être et les possibilités de formation limitées. En outre, les opérations continues (24 heures sur 24 et 7 jours sur 7), les horaires prolongés et le travail en équipe rendent difficile de concilier les engagements professionnels et familiaux93. Si certains travailleurs peuvent s'adapter rapidement au travail dans l'aviation civile, d'autres peuvent avoir besoin de plus de temps. Mais il est clair que si les femmes pouvaient s'inspirer de modèles, ou si elles étaient encouragées, il serait possible d’améliorer leur taux de maintien en poste94. Il faut également tenir compte du fait que les problèmes de recrutement et de maintien en poste des femmes pilotes peuvent freiner la croissance de l'aviation civile en limitant l'exploitation du plein potentiel des femmes95.
Encadré 5 : Les interruptions de carrière des femmes pilotes
« Trop de femmes pilotes sont contraintes de quitter leur métier de pilote de ligne lorsqu’il devient trop difficile de s’occuper de jeunes enfants et de voler. L'une des premières femmes officières pilote de ligne a récemment quitté sa compagnie aérienne car elle s'est vu refuser l’interruption momentanée de sa carrière à de nombreuses reprises. La seule explication donnée par l'entreprise était qu'aucun élément de justification ne permettait d’appuyer sa demande. Elle a des enfants en bas âge et son mari est également pilote commercial. La possibilité d’interrompre momentanément leur carrière contribuerait véritablement au maintien en poste des femmes pilotes. Les femmes pilotes ayant une famille sont très rares. La plupart d'entre elles retardent la maternité afin d'obtenir d'abord le titre de commandant avant de ne plus pouvoir le faire, ou n'ont tout simplement pas de famille. »
Note : Correspondance écrite de l'auteur avec S. Currás Barrios (Professional & Government Affairs Officer, IFALPA), 31 mai 2019.
De même, un environnement de travail hostile du fait du harcèlement et de la violence peut constituer un facteur de taille qui pousse les femmes à quitter le secteur de l'aviation. Une étude menée dans une compagnie aérienne internationale employant un grand nombre de femmes pilotes a montré que les premières femmes pilotes ont été victimes de harcèlement de la part de leurs collègues masculins, ce qui a entraîné des répercussions sur le long terme pour elles. Faute de pouvoir faire évoluer la culture, elles ont dû se conformer aux valeurs et pratiques masculines. L'étude a également révélé que les femmes pilotes rencontraient des problèmes liés à des comportements sexistes et à leur statut minoritaire, et subissaient de ce fait l’isolement, le poids des stéréotypes et une pression dans l’exercice de leurs fonctions96. Une autre étude menée aux États-Unis a mis en évidence que 80 pour cent des femmes pilotes interrogées éprouvaient des difficultés à travailler en tant que pilote en raison des résistances manifestées par les hommes, qui voient d'un mauvais œil l'entrée des femmes dans "leur" profession97.
La figure suivante illustre les causes du faible taux de maintien en poste des femmes dans l'aviation civile.
Figure 4: Causes du faible taux de maintien en poste des femmes dans l'aviation civile
Source : Adapté de Turnbull, 2013. op. cit.
3.4 Interruption, réintégration et progression personnelle
Au vu de la part importante des soins dans le milieu de vie qui revient encore aux femmes, les travailleuses de l'aviation civile peuvent être amenées à interrompre et reprendre plusieurs fois leurs fonctions et cela peut avoir des conséquences majeures sur la progression de leur carrière. Les interruptions ont généralement lieu lorsque les travailleurs assument de nouvelles responsabilités familiales, par exemple après une naissance ou une adoption. Elles peuvent également résulter des modalités d'emploi. Par exemple, les membres de l’équipage de cabine sont souvent recrutés dans le cadre d’un contrat à durée déterminée de deux ou trois ans, en particulier s'ils sont embauchés par l'intermédiaire d'une agence. Dans une grande compagnie aérienne asiatique, les membres féminins du personnel de cabine n’ont accès qu’à des contrats d’une durée de cinq ans, alors que le minimum requis pour devenir superviseur sont six ans d'expérience. Les travailleurs intérimaires dans l'aviation sont plus susceptibles de rester à des postes inférieurs dans l'organisation et ont moins de chances de cotiser à un régime de retraite. La plupart des raisons qui poussent les femmes à interrompre leur carrière dans l'aviation civile réduisent aussi les possibilités qu'elles réintègrent le secteur98.
La figure suivante illustre les principales causes d'interruption de la carrière d'une femme dans l'aviation civile.
Figure 5: Principales causes de l’interruption momentanée ou permanente de la carrière d'une femme dans l'aviation civile
Source : Adapté de Turnbull, 2013. op. cit.
Dans une enquête récente, 49 pour cent des femmes interrogées ont évoqué le manque de possibilités de progression dans l’emploi comme un obstacle majeur99. Le potentiel des femmes dans l'aviation civile demeure la plupart du temps inexploité. Il se peut que leurs carrières n’évoluent jamais parce qu'elles sont cantonnées à des rôles traditionnellement considérés comme étant adaptés aux femmes, et que les possibilités de formation et de carrière dont elles disposent sont plus limitées que celles des hommes. A titre d’exemple, il n'existe pas de plan de carrière établi pour passer d’un poste de membre de l'équipage de cabine à celui, mieux rémunéré, de membre de l'équipage de conduite, et il est extrêmement rare que les membres du personnel de cabine deviennent pilotes100.
Selon un rapport du BIT, à compétences et qualifications égales, il est probable que les femmes rencontrent davantage de difficultés que les hommes pour accéder aux postes de direction et aussi qu'elles soient victimes de l’idée reçue selon laquelle elles seraient moins à même que les hommes d'assumer des postes à responsabilité101. Cette étude regroupe un certain nombre de bonnes pratiques, y compris des informations détaillées, un modèle probabiliste concernant les possibilités de mettre en place une gouvernance plus inclusive et les obstacles en la matière, ainsi que des solutions permettant aux entreprises de tirer parti de la mixité102.
Encadré 6: Première femme commandant de bord au Japon
Ari Fuji voulait devenir pilote, mais elle ne faisait pas la taille requise pour être admise dans une école de pilotage au Japon. Elle a obtenu sa licence de pilote aux États-Unis et a été embauchée par une compagnie aérienne japonaise en tant que stagiaire en 1999. Elle s'est mariée un an après être devenue copilote. Mme Fuji a poursuivi sa carrière et est devenue commandante de bord en 2010. En plus de son travail en tant que commandante de bord, elle est également instructrice et estime avoir servi de modèle au Japon.
Source : Sit, J. et Y. Wakatsuki, 2019. "Meet Japan's first female commercial airline captain", CNN travel, 7 mai.
La figure suivante illustre les raisons pour lesquelles le potentiel des femmes est souvent peu exploité dans l’aviation civile.
Figure 6: Raisons pour lesquelles le potentiel des femmes est sous-exploité dans l'aviation civile
Source : Adapté de Turnbull, 2013. op. cit.
3.5 Image de l'aviation civile
Les premières décennies de l'aviation commerciale, des années 1920 aux années 1960, sont parfois appelées l’« âge d'or » de l’aviation. Les vols en avion jouissaient d'une réputation prestigieuse, tant pour l'élite qui pouvait se permettre de voyager en avion, que pour ceux qui leur fournissaient des services. Au fur et à mesure que le transport aérien est devenu un moyen de transport de masse, les nouveaux modèles commerciaux ont modifié l'environnement de travail et la relation d'emploi pour s'adapter aux changements qui ont profondément transformé le secteur103. Les pilotes n'étaient plus tant considérés comme des héros, mais plutôt comme des navigants aériens expérimentés, dotés de qualités masculines. Le métier d'hôtesse de l'air était considéré comme un travail de femme, et certaines compagnies aériennes réservaient aux femmes les emplois de personnel de cabine en classe affaires104.
Le rôle du personnel de cabine en matière de sécurité a toujours été sous-estimé, et un certain nombre de compagnies aériennes choisissent encore de mettre l'accent sur des aspects du travail tels que le "service féminin", son caractère "sexy et en forme" ou encore le "bar aérien"105. Les hôtesses de l'air sont souvent perçues comme des icônes publicitaires objectivées ou sexualisées. Leur exploitation en tant qu’objets (sexuels) dans la publicité a atteint son apogée au début des années 1970. En 1973, une organisation nommée Stewardesses for Women's Rights a été créée aux États-Unis pour lutter contre le sexisme et promouvoir le rôle des hôtesses de l'air en tant que professionnelles expérimentées106.
Pendant des décennies, une compagnie aérienne asiatique a embauché de jeunes hôtesses de l'air pour attirer les clients, ce qui a débouché sur des affaires d'abus sexuels qui ont été portées en justice107. Une autre compagnie aérienne en Asie a proposé que de jeunes hôtesses de l'air portent un bikini lors de ses vols inauguraux vers des plages, et publié un calendrier où les mêmes hôtesses posent en bikini108. Une compagnie aérienne européenne a diffusé une publicité mettant en scène un mannequin habillé en écolière, dont le titre était "les tarifs les plus craquants pour la rentrée des classes". L'autorité britannique de contrôle de la publicité a jugé la publicité inacceptable, car elle associait les adolescentes à un comportement sexuellement provocateur109.
Encadré 7 : Image de marque
L’équipage de cabine et les pilotes représentent, pour de nombreuses compagnies aériennes, le professionnalisme et le sens du devoir associés à une image de marque, à la stratégie y relative et à la réputation de ces compagnies. Cela explique que les entreprises imposent des politiques d'image et des codes vestimentaires stricts à leurs travailleurs. Ces politiques définissent certains types de comportement, l’utilisation d’uniformes (parfois conçus par des créateurs prestigieux), de collants, de chaussures, la visibilité des tatouages ou le recours à des couleurs particulières pour le vernis à ongles, le maquillage et le rouge à lèvres. Il peut arriver que le personnel de cabine consacre beaucoup d'argent et de temps à la préparation de chaque vol (par exemple, 90 minutes). Pourtant, de nombreuses entreprises ne commencent à rémunérer leurs employés qu'au moment du décollage.
Les préjugés liés au poids ou la surveillance excessive découlant des politiques en matière d'image peuvent entraîner des comportement discriminatoires et susciter chez les travailleurs, en particulier les femmes, des problèmes d’image de soi et une mauvaise estime de soi. Dans certaines campagnes de recrutement, la question du teint de la peau est centrale et l'acné, ou d'autres problèmes de peau, chez un travailleur peuvent l’empêcher d'« incarner » son professionnalisme. Dans d'autres cas, il arrive que des candidats aux postes de membre de l'équipage de cabine se soumettent à des opérations de chirurgie esthétique pour espérer décrocher un entretien. Par exemple, en République de Corée, il existe des forfaits spéciaux de chirurgie plastique destinés aux hôtesses de l'air, qui comprennent le remodelage du front, la chirurgie des paupières, la correction de l'arête nasale, le visage en V et le lissage de la peau.
Source : Premack, R., 2019. “Flight attendants in South Korea reveal why plastic surgery is becoming the norm to get a job”, Business Insider, 12 août.
Les uniformes des compagnies aériennes peuvent chercher à donner une vision réifiée du personnel de bord ou du personnel au sol. Les uniformes, bien que liés à l'image de marque et à la réputation de l'entreprise, sont parfois trop serrés ou faits dans un tissu inadéquat, ce qui nuit à la capacité du travailleur à servir les passagers. Les exigences peuvent également être différentes pour les hommes et les femmes, notamment en ce qui concerne le maquillage, les jupes110, les talons et les poils (jambes et visage)111. Une enquête récente a également montré à quel point la croyance selon laquelle les talons sont obligatoires dans la tenue de travail d'une femme est ancrée dans la plupart des entreprises japonaises ayant un contact direct avec les clients, y compris les compagnies aériennes112.
Très peu de femmes occupent des postes de direction dans l'aviation civile et le secteur évolue lentement113. L'image d'un secteur dominé par les hommes est d’autant plus renforcée lorsqu'on se penche sur l'équilibre entre les sexes dans ce que l’on estime être des emplois "très complexes" dans le secteur de l'aviation, notamment dans les conseils d'administration, aux postes de direction, aux postes opérationnels et financiers des compagnies aériennes. Mais de modestes progrès sont visibles. Par exemple, un certain nombre d'organisations internationales sont dirigées par des femmes, notamment l'OACI, le Conseil international des aéroports (ACI) et le Conseil mondial du tourisme et des voyages. L'Association internationale du transport aérien (IATA) a mis en place des offres de formation pour cadres et d'autres initiatives tout particulièrement destinées aux femmes, car les inégalités entre les sexes sont toujours présentes dans la haute direction, où les femmes occupent environ 4 pour cent des postes114.
Principaux défis et possibilités en matière de travail décent
4.1 Droits au travail: liberté syndicale
La convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, sont deux des huit conventions fondamentales de l'OIT, et les principes qui y sont énoncés figurent également dans la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, 1998. En adoptant la Déclaration de 1998, les États Membres de l'OIT ont reconnu qu'ils ont l'obligation, du seul fait de leur appartenance à l'Organisation, de respecter, promouvoir et réaliser certaines valeurs et certains principes fondamentaux, à savoir la liberté d'association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective115.
Plusieurs cas de violations de la liberté syndicale ont été signalés dans l'aviation civile, notamment au sein de compagnies aériennes à bas prix. Southwest Airlines, aux États-Unis, est souvent considérée comme la première compagnie aérienne à bas prix et elle a entretenu de bonnes relations avec les syndicats. Toutefois, nombre de nouvelles compagnies aériennes à bas prix se sont montrées réticentes à reconnaître les syndicats et à soutenir le partenariat social116. Par exemple, alors qu'une compagnie aérienne à bas prix a largement modifié sa flotte, elle a informé les pilotes qui devaient être à nouveau formés du fait qu'elle ne rembourserait pas les coûts de formation si elle était "contrainte d’entamer une négociation collective avec une association ou un syndicat de pilotes dans les 5 ans suivant le début de la formation de conversion". La compagnie a accusé certains pilotes d'intimidation après avoir encouragé d'autres pilotes à ne pas signer le contrat. Les pilotes ont gagné le procès117. Dans d'autres cas, le personnel recruté au niveau national ou local peut avoir accès à la liberté syndicale, mais pas les travailleurs migrants.
Les accords en matière de transport aérien, qui réglementent le droit aérien entre les États, peuvent comprendre des clauses qui donnent un moyen d’action aux syndicats. Par exemple, l'accord "ciel ouvert" entre l'Union européenne et les États-Unis comporte une référence aux droits du travail dans son article 17 bis: « Les parties reconnaissent l'importance de la dimension sociale de l'accord et les avantages qui découlent de l’application de normes du travail élevées à des marchés ouverts. Les opportunités créées par l’accord ne sont pas destinées à affaiblir les normes du travail ni les droits et principes sociaux contenus dans les législations respectives des parties »118.
4.2 Égalité et non-discrimination
Dans de nombreux pays, la loi interdit aux femmes de travailler la nuit ou d'accéder à certaines professions, contrevenant ainsi au principe d'égalité de traitement et de non-discrimination. Ces restrictions ont aggravé les inégalités entre les sexes en matière d'emploi, et leur suppression pourrait accroître le taux d’activité des femmes119. Lors de sa 98e session en 2009, la Conférence internationale du travail a souligné que le fait d’inclure les femmes dans le dialogue social constituait une étape cruciale dans l'éradication de la discrimination fondée sur le genre. Le dialogue social sur les questions de genre instauré au niveau des institutions a permis de faire des progrès importants en matière d'égalité des sexes120.
Il va de soi que l'aviation civile est couverte par les dispositions non-discriminatoires prévues dans le droit national. Les compagnies aériennes aux États-Unis disposaient auparavant de règles strictes concernant l'âge et le statut marital, qui ne s'appliquaient qu'aux hôtesses de l'air. La loi sur les droits civils de 1965 a conduit le personnel de cabine à remettre en question la légalité de ces règles et à faire valoir que les politiques des compagnies aériennes dont les normes différaient pour les femmes et les hommes portaient atteinte à leurs droits. Les compagnies aériennes ont répondu que le fait d'être jeune et célibataire constituait des qualifications professionnelles légitimes, les passagers ayant une préférence pour les jeunes femmes séduisantes. Les hôtesses de l'air ont gagné leur procès en 1968 et, en 1971, les contrats syndicaux ont été modifiés pour mettre fin aux règles discriminatoires121. Cependant, dans certains pays, l'apparence physique, l'âge, le statut marital et la grossesse peuvent encore avoir des conséquences négatives sur la sécurité de l'emploi des travailleuses de l'aviation, en fonction des politiques ou des pratiques des entreprises.
Encadré 8 : Définition de la surcharge pondérale en Inde
En 2014, le gouvernement indien a publié des critères médicaux applicable aux membres des équipages de cabine. Ces critères comprenaient un tableau des indices de masse corporelle (IMC) pour les hommes et les femmes, en fonction duquel les membres du personnel de cabine dont le poids serait supérieur à la normale devraient faire l'objet d'un examen et, dans le pire des cas, seraient déclarés inaptes. Pour les hommes, la fourchette normale de l'IMC se situe entre 18 et 25, pour une personne en surpoids, entre 25 et 29,9, et pour une personne obèse, au-delà de 30, tandis que pour les femmes, les fourchettes sont fixées respectivement à 18-22, 22-27 et 27 et plus.
Source : Bureau du directeur général de l'aviation civile, 2014. Prescriptions relatives à l'aviation civile, Section 7. Flight Crew Standards, Training and Licensing, Series C, Part II, Issue I, 5 mai 2014.
En Fédération de Russie, deux hôtesses de l'air ont poursuivi la compagnie aérienne russe qui les employait pour discrimination. Elles ont allégué que la compagnie les avait exclues des vols long-courriers bien rémunérés en raison de leur taille. Le tribunal a ordonné à l’entreprise de verser des indemnités et des dommages et intérêts aux deux femmes122.
La forme des cockpits d'avion pourrait tenir davantage compte des aspects propres à chaque sexe, tels que les caractéristiques physiques et les différences morphologiques entre hommes et femmes. Par exemple, il peut être difficile pour certaines personnes d’atteindre les commandes et de faire fonctionner efficacement certains appareils. La conception du cockpit pourrait tenir davantage compte des aspects propres à chaque sexe en vue de s’adapter aux pilotes dans leur diversité, y compris les femmes123.
4.3 Sécurité et santé au travail
Cette section ne vise pas à fournir une présentation complète sur les questions relatives à la sécurité et à la santé au travail dans l'aviation civile. Elle porte sur certains aspects du travail à bord des avions124.
4.3.1 Violence et harcèlement
Ces derniers temps, une grande attention a été portée à la violence et au harcèlement dans le monde du travail, notamment en raison de certaines manifestations et campagnes mondiales. Toutefois, le harcèlement sexuel au travail n’est interdit par la loi que dans 130 pays125. Les politiques énoncées dans de nombreuses conventions collectives et celles adoptées par les entreprises individuelles qui visent à éradiquer le harcèlement sexuel contribuent à combler ces lacunes législatives.
La violence que subissent les travailleurs du secteur des transports est l'un des principaux facteurs qui dissuadent des femmes de travailler et les poussent à quitter leur emploi dans ce secteur126. Les travailleurs de l'aviation civile, tant dans les services en escale que dans les services de cabine, sont en contact avec le public et peuvent être confrontés à la violence et au harcèlement provenant le plus souvent des passagers, mais aussi de collègues ou de superviseurs. La violence peut être d’ordre physique, psychologique ou sexuelle, et aller d'un environnement hostile à des insultes verbales, en passant par des intimidations et des agressions physiques. Certains travailleurs y sont particulièrement exposés, comme le personnel au sol qui doit répondre à des clients frustrés et l’équipage de cabine qui doit faire face à la dénommée « rage de l'air » 127 ou aux passagers sous l'emprise de l'alcool128.
Une enquête menée par la Fédération européenne des travailleurs des transports auprès des travailleuses des transports en Europe révèle que près de deux personnes interrogées sur trois ont récemment été victimes de violence et de harcèlement au travail. Six répondants sur dix n'ont pas signalé leur cas parce qu'ils estimaient que les plaintes n'étaient pas traitées convenablement129. Voici le témoignage d'une hôtesse de l'air: "Lorsqu'un passager commet des gestes inappropriés à mon égard, je me demande parfois si cela vaut la peine de faire intervenir les autorités sur le vol. (...) Il est facile de passer cette situation sous silence dans la mesure où l'on ne reverra probablement jamais cette personne. Si je travaillais dans un bureau où je voyais les mêmes personnes tous les jours, je chercherais peut-être à gérer la situation différemment"130.
D'après une enquête de l'Association of Flight Attendants-CWA, 68 pour cent des membres de l’équipage de cabine ont été victimes de harcèlement sexuel, et dans 18 pour cent des cas, il s’agissait de "harcèlement physique" (par exemple d'attouchements, d'actes indécents ou d'agressions physiques)131. Dans une autre enquête menée auprès de membres du personnel de cabine à Hong Kong, 27 pour cent d’entre eux ont répondu qu'ils avaient été harcelés sexuellement au cours de l'année écoulée, dans 59 pour cent des cas par des clients132. En 2018, une enquête australienne a révélé que les formes d'emploi atypiques aggravent d’autant plus la sous-déclaration des cas de violence et de harcèlement133.
Encadré 9 : Tribune libre dans le Washington Post
D’après Sara Nelson, présidente internationale de l'Association of Flight Attendants-CWA, AFL-CIO, "les membres du personnel de cabine, qui sont à 80 pour cent des femmes, sont constamment victimes de harcèlement et d'agressions sexuels. Il n'y a pas si longtemps, le secteur commercialisait l'image des "hôtesses de l'air", un emploi réservé aux femmes jeunes, célibataires et tout à fait raffinées, à qui on exigeait, jusqu'en 1993, de surveiller leurs poids. Notre syndicat a été créé pour faire entendre la voix des femmes et pour combattre la discrimination et la misogynie auxquelles elles sont exposées au travail. Nous avons défini nos carrières à la table des négociations, devant les tribunaux et au Capitole. Nous avons appris à nos concitoyens à reléguer le mot "hôtesse de l'air" aux livres d'histoire. Mais le secteur n'a jamais renié les stratégies de marketing mettant en scène des mini jupes et des petits shorts et les publicités qui affichaient des jeunes femmes prononçant des choses comme "Je suis Cheryl, envole-toi avec moi". Aujourd'hui encore, les passagers nous appellent par des noms d'animaux, nous tapent sur les fesses pour attirer notre attention, nous coincent à l’arrière de l’avion pour nous demander quelle est l’escale la plus "chaude", et nous font subir des situations qui ne sont pas dignes d’être décrites. Comme le reste de la société, les membres des personnels de cabine n'avaient aucune raison de croire que les signalements de cas de harcèlement sexuel subis au travail seraient pris au sérieux; on s'attendait plutôt à des licenciements ou à des représailles."
Source : Nelson, S., 2017. “The one best idea for ending sexual harassment”, Washington Post.
Pourquoi le harcèlement sexuel, en particulier à l’encontre du personnel de cabine majoritairement féminin, est-il si répandu dans l'aviation civile? L'une des raisons pourrait bien être la manière dont les compagnies aériennes, après la Seconde Guerre mondiale, ont commencé à mettre l'accent sur l'apparence physique des membres de l’équipage de cabine. Elles ont imposé des restrictions en matière d'âge et de poids, et le mariage signait la fin de la carrière d'une hôtesse de l'air. Les images que les compagnies aériennes utilisaient dans leur activités de marketing étaient souvent suggestives et sexuellement connotées. Ces pratiques ont toutes contribué à créer un environnement de travail en cabine hostile sur le plan sexuel134. Une grande compagnie aérienne à bas prix a publié en 2013 un calendrier montrant des femmes membres du personnel de cabine en bikini. Après que la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) a présenté une plainte auprès de l'entreprise, le PDG de celle-ci a formulé le commentaire suivant: "Nous prenons note de l'observation de l'ITF concernant le calendrier. Soyez assurés qu'elle nous a incité à élaborer un calendrier encore plus grand et de meilleure qualité pour l'année prochaine"135.
Les cas de harcèlement sexuel qui se produisent dans les aéroports relèvent de la législation du pays où se situe l'aéroport en question. Cela n’est pas si évident à déterminer lorsque ces situations ont lieu à bord d'un avion. La Convention de l'OACI relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs de 1963 (la Convention de Tokyo) s'applique aux infractions commises à bord d’un aéronef lorsque celui-ci ne relève de la juridiction d'aucun État. Le Protocole de Montréal, qui comprend des amendements majeurs à la Convention, a été adopté en 2014. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2020 et 22 instruments de ratification ou d'adhésion ont été déposés136. Le protocole devrait apporter plus de précisions concernant les aspects juridiques applicables au comportement des passagers indisciplinés. Toutefois, il existe de solides arguments pour distinguer le traitement des cas de violence et de harcèlement, en particulier le harcèlement sexuel, des mesures visant à prévenir les comportements indisciplinés des passagers, et pour que le harcèlement sexuel fasse l'objet d'un instrument international à part entière de l'OACI137, ou d'autres lignes directrices ou instruments au niveau sectoriel.
Encadré 10 : Premières normes internationales sur la violence et le harcèlement
En 2019, la 108e session de la Conférence internationale du travail a adopté, à une écrasante majorité, la nouvelle et révolutionnaire convention (n°190) sur la violence et le harcèlement, 2019. Pour la première fois, la violence et le harcèlement dans le monde du travail font l’objet de normes internationales du travail spécifiques de l'OIT. La Conférence a également adopté la recommandation (n° 206) sur la violence et le harcèlement, 2019 qui l'accompagne. La convention entrera en vigueur douze mois après avoir été ratifiée par deux États membres. Ces instruments contiennent les premières définitions reconnues au niveau international de la violence et du harcèlement dans le monde du travail.
Source : Olney, S., "Convention sur la violence et le harcèlement, 2019: Cinq questions clés", Genève, BIT.
4.3.2 Grossesse et questions relatives à la santé
La grossesse n'est pas une maladie, mais elle s'accompagne de changements physiologiques qui peuvent avoir une incidence sur les prestations d'un pilote138. Les vols en avion peuvent également présenter un risque pour le fœtus, notamment au cours des trois premiers mois. L'OACI a adopté des dispositions concernant la grossesse et le vol, qui servent de base à l'élaboration de réglementations nationales139. Toutefois, les réglementations mises en place varient considérablement d'un pays à un autre140. La grossesse peut entraîner une diminution des heures de vol effectuées par les travailleuses de l'aviation civile, mais l’adoption de mesures et de règles relatives au maintien en poste pourraient contribuer à garantir que cette interruption du temps de travail en vol ait le moins de répercussions possibles sur la carrière d'une femme pilote.
Par exemple, avant 1995, la grossesse constituait un motif d'expulsion dans une école aux États-Unis, à moins que la femme enceinte ne se soumette à un avortement dans le mois. Cette école a modifié son règlement pour autoriser les congés, sans que les femmes aient à présenter de nouvelle demande d'admission après leur congé141.
Encadré 11 : Une pilote enceinte au Canada
Au Canada, une femme pilote a été contrainte de prendre un congé sans solde en 1979 alors qu'elle était enceinte de son premier enfant. Elle a protesté et a convaincu le gouvernement de modifier la réglementation pour permettre aux pilotes enceintes de voler sous surveillance médicale. Quelques années plus tard, elle a pu voler jusqu’à son sixième mois de grossesse.
Source : OACI et IAWA, sans date, 70 Women Inspiring Generations of Aviation Professionals.
Aux débuts de l'aviation civile, les accidents constituaient un risque majeur pour la santé. En revanche, alors que les vols sont devenus plus sûrs, les effets cumulatifs de l'exposition aux dangers physiques et chimiques sont devenus une préoccupation croissante. Les membres des équipages de cabine contractent généralement plus d’infections des voies respiratoires supérieures que les personnes qui travaillent au sol. On pense que la qualité de l'air et l'inhalation des polluants de l'air en cabine entraînent une dégradation de la fonction pulmonaire. L'air sec en cabine et le manque de temps pour boire ou uriner peuvent être à l'origine d'infections récurrentes de la vessie chez les femmes membres du personnel de cabine142.
L'exposition aux rayonnements représente un risque sanitaire reconnu. Les passagers comme les membres de l'équipage sont exposés à des rayonnements de faible intensité. Pour les passagers, la dose moyenne provenant du rayonnement cosmique ne représente que 11 pour cent de l'exposition annuelle totale aux rayonnements provenant de toutes les sources naturelles143, mais pour le personnel de cabine, le risque est nettement plus élevé. La mauvaise qualité de l'air et l'exposition aux rayonnements peuvent être nocives pour les femmes enceintes, voire provoquer des fausses couches. Il a été avancé que les rayonnements pourraient être à l'origine de problèmes de fertilité chez les hôtesses de l'air144. Outre le rayonnement cosmique, le personnel de cabine peut être exposés à une cargaison radioactive145.
Une approche de la sécurité et de la santé tenant compte des considérations de genre doit traiter un certain nombre de questions sanitaires, y compris l'allaitement, la ménopause et les menstruations. Par exemple, il convient d’accorder une attention particulière aux pauses allaitement (en direct ou via un tire-lait) et de mettre à disposition des locaux dédiés. Certaines compagnies aériennes mettent également en place un système de roulement flexible pour les femmes enceintes et allaitantes, ainsi que pour les personnes qui assument la responsabilité principale de jeunes enfants146.
L'absence de toilettes et d'installations sanitaires pour les femmes figure également parmi les principaux facteurs qui dissuadent les femmes d'accéder à des emplois décents dans le secteur des transports et d'y rester. L'inadéquation ou l'absence totale d'installations sanitaires prive les travailleurs de leur dignité et peut être à l’origine d’une série de problèmes de santé, y compris de graves troubles sur le long terme. L'absence d'installations distinctes pour les femmes envoie un message clair sur la façon dont elles sont considérées dans le secteur, et augmente le risque de violence. Une femme marshaller au Brésil a livré le témoignage suivant: "Un jour, alors que j'utilisais les toilettes pour hommes, car il n'y avait pas de toilettes séparées pour les femmes, un collègue a ouvert la porte de l'extérieur. De nombreux collègues avaient accès aux clés des toilettes"147.
4.4 Sécurité sociale
Pendant plusieurs décennies, le métier d'hôtesse de l'air n'était pas considéré comme une carrière. Aux États-Unis, les hôtesses de l'air devaient démissionner au plus tard à l'âge de 32 ans, et les femmes était censées exercer cette profession uniquement jusqu'à ce qu'elles se marient et fondent une famille148.
Aujourd'hui, la plupart des entreprises qui recrutent au niveau national ont mis en place un plan de pension. Cependant, les travailleurs migrants et expatriés peuvent se retrouver dans une situation toute autre. Les lois sur la sécurité sociale, y compris la protection de la maternité, ne s’appliquent pas systématiquement aux travailleurs de l'aviation civile qui sont migrants, à temps partiel ou intérimaires. Les compagnies aériennes qui emploient un grand nombre de travailleurs migrants, et dont le taux de rotation est élevé (les travailleurs ne restent qu'entre trois et cinq ans), n'offrent généralement pas de plan de pension dans leur contrat de travail149.
4.5 Travailleurs migrants
Bon nombre des déficits en matière de travail décent décrits dans ce chapitre sont aggravés dans les pays accueillant un grand nombre de travailleurs migrants. Dans certains pays, la taille du secteur de l'aviation civile est disproportionnée par rapport à la population nationale. Par exemple, les populations combinées des Émirats arabes unis et du Qatar, soit quelque 12 millions de personnes, représentent environ 0,16 pour cent de la population mondiale150, alors que les trois principales compagnies aériennes de ces deux pays représentent 6 à 7 pour cent du total mondial des passagers-kilomètres payants151. Ces compagnies aériennes doivent donc recruter du personnel à l'étranger. Près de 90 pour cent des près de 20 000 employés de Qatar Airways sont des travailleurs migrants. Environ 80 pour cent du personnel de cabine est féminin, ce qui signifie que des milliers de jeunes femmes originaires de pays tels que l'Indonésie, l'Inde et la Roumanie travaillent et vivent au Qatar152. Cela peut entraîner un certain nombre de problèmes, car il peut arriver qu’une ethnie, un clan ou une religion particulière soit favorisé dans des environnements de travail mixtes sur le plan de l’origine ethnique. Pour les femmes, le cumul de ces différentes sources de discrimination peut avoir des effets encore plus néfastes.
En 2015, la Confédération syndicale internationale (CSI) et l'ITF ont déposé une plainte 153 au BIT alléguant que les femmes employées par Qatar Airways faisaient l’objet de discrimination directe et indirecte et que, par conséquent, le gouvernement du Qatar ne donnait pas effet à la convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958. Les pratiques discriminatoires dénoncées comprenaient le droit de la compagnie aérienne de mettre fin à l'emploi en cas de grossesse, des restrictions au mariage et un contrôle général de la vie privée des employées154. Le gouvernement du Qatar s'engage désormais à créer des comités mixtes au sein des entreprises, où employeurs et travailleurs seront représentés155.
L'égalité des sexes dans l'aviation civile: passer à la vitesse supérieure
5.1 Objectifs de développement durable
Sur les 17 objectifs de développement durable (ODD) définis dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030, quatre sont particulièrement pertinents en ce qui concerne les femmes au travail:
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Objectif 4: Assurer à tous une éducation équitable, inclusive et de qualité et des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie;
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Objectif 5: Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles;
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Objectif 8: Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous;
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Objectif 10: Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre.
Le Programme 2030 reconnaît que l'égalité des sexes n'est pas seulement un objectif en soi, mais aussi une condition préalable à l’avancement de l'ensemble des 17 ODD. Pour atteindre ces objectifs, il est nécessaire de disposer de données ventilées par sexe de bonne qualité156. Les cibles des ODD qui revêtent un intérêt particulier pour l'aviation civile comprennent les suivantes: 5.1 - Mettre fin, partout dans le monde, à toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles; 5.2 - Éliminer de la vie publique et de la vie privée toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles, y compris la traite et l’exploitation sexuelle et d’autres types d’exploitation; et 5.5 - Veiller à ce que les femmes participent pleinement et effectivement aux fonctions de direction à tous les niveaux de décision, dans la vie politique, économique et publique, et y accèdent sur un pied d’égalité.
5.2 L'OIT
Dans un premier temps, l'OIT avait adopté une approche protectionniste en ce qui concerne les droits des femmes, notamment dans le cadre de conventions telles que la convention (n° 3) sur la protection de la maternité, 1919, et la convention (n° 45) des travaux souterrains (femmes), 1935. Dans les années 1950, l'approche s’est concentrée sur l’égalité entre les hommes et les femmes, avec l'adoption de la convention (no 100) sur l'égalité de rémunération, 1951 , et de la convention (no. 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958157. L'exigence d'égalité entre les hommes et les femmes repose sur deux piliers: le principe d'équité fondé sur les droits et le principe d'efficacité économique. Le premier porte sur la discrimination à l'égard des femmes dans la vie professionnelle, sous l’angle des droits de l'homme et de la justice, tandis que le second met en avant que les femmes au travail jouent un rôle déterminant dans la croissance économique et la réduction de la pauvreté. L'émancipation économique des femmes produit un effet en cascade et a une forte incidence positive indirecte sur la nutrition, la santé et l'éducation des enfants, et elle contribue à réduire les taux de mortalité infantile et le recours au travail des enfants158.
Les conventions n° 100 et 111 comptent parmi les huit conventions fondamentales de l'OIT. La convention n° 111 exige l'élimination de toute discrimination et l'adoption de mesures proactives pour s'attaquer aux causes sous-jacentes des inégalités. Ces conventions, ainsi que la convention (n° 183) sur la protection de la maternité, 2000, la convention (n° 156) sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales, 1981, la convention (n° 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011, et la convention (n° 190) sur la violence et le harcèlement, 2019, sont des outils essentiels pour promouvoir l'égalité, la protection effective de la maternité et l'emploi des femmes, ainsi que la réduction des disparités entre les sexes dans le monde du travail159. Un Recueil de directives pratiques sur la violence au travail dans le secteur des services et les mesures visant à combattre ce phénomène a été publié par le BIT en 2003160.
La convention (n° 190) sur la violence et le harcèlement, 2019, et la recommandation (n° 206) sur la violence et le harcèlement, 2019, sont fondées sur une approche inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre. Il est reconnu dans le préambule de la convention que "la violence et le harcèlement fondés sur le genre touchent de manière disproportionnée les femmes et les filles", et qu'une "approche inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre, qui s’attaque aux causes sous-jacentes et aux facteurs de risque, y compris aux stéréotypes de genre, aux formes multiples et intersectionnelles de discrimination et aux rapports de pouvoir inégaux fondés sur le genre, est essentielle pour mettre fin à la violence et au harcèlement dans le monde du travail". Le domaine d’application de la convention ne se limite pas au lieu de travail, mais s'étend également au logement fourni par l'employeur et aux trajets entre le domicile et le lieu de travail. Elle reconnaît que la violence et le harcèlement peuvent impliquer des tiers, elle s'applique à tous les secteurs et protège les stagiaires, les personnes bénévoles et les demandeurs d'emploi, dans les économies formelle et informelle. Lorsqu'ils prennent des mesures pour prévenir la violence et le harcèlement dans le monde du travail, les Membres sont tenus d'identifier, "en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs concernées (...) les secteurs ou professions et les modalités de travail qui exposent davantage les travailleurs (...) à la violence et au harcèlement" (article 8). Les membres doivent également "garantir un accès aisé à des moyens de recours et de réparation appropriés et efficaces ainsi qu’à des mécanismes et procédures de signalement et de règlement des différends sûrs, équitables et efficaces" (article 10).
La convention est complétée par la recommandation n°206, qui fait référence aux "secteurs ou professions et modalités de travail qui peuvent être davantage susceptibles d'exposer à la violence et au harcèlement, comme le travail de nuit, le travail isolé, le secteur de la santé, l'hôtellerie et la restauration, les services sociaux, les services d'urgence, le travail domestique, les transports, l'éducation ou le secteur du divertissement" (paragraphe 9), et souligne qu’il est nécessaire de "protéger les travailleurs migrants, en particulier les travailleuses migrantes" (paragraphe 10). En ce qui concerne les données, la recommandation invite les Membres à "s’efforcer de collecter des données et de publier des statistiques sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail, ventilées par sexe, par forme de violence et de harcèlement et par secteur d’activité économique" (paragraphe 22).
5.3 L'OACI
L'Assemblée de l'OACI a adopté une résolution sur l'égalité des sexes en 2016. La Résolution A39-30, se référant à la Déclaration et au Programme d'action de Beijing 161 et à la réunion des dirigeantes et dirigeants mondiaux sur l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes: un appel à l’action, qui s'est tenue en 2015, prie instamment "les États (...) de coopérer avec l'Organisation en partageant les pratiques optimales et en travaillant en partenariat avec l'OACI dans des programmes et des projets visant à accroître le pool de femmes dans le secteur de l'aviation et à encourager les femmes à développer plus avant leur carrière en aviation". La résolution charge le Secrétaire général d'établir un Programme OACI pour l'égalité des sexes d'ici au milieu de 2017 et de rendre compte chaque année au Conseil de l'OACI162. Depuis l'adoption de la résolution, l'OACI a annoncé l'adoption de l'Initiative pour l'égalité des sexes dans le transport aérien, qui comprendra l'élaboration d'indicateurs sexospécifiques dans le transport aérien moyennant la collecte de statistiques sur la main-d'œuvre, en collaboration avec le BIT et l'UNESCO. L'initiative vise également à favoriser la collaboration avec des programmes et activités destinés à promouvoir l'égalité des sexes et à mettre en avant les femmes de talent au sein de la communauté aéronautique mondiale. En fournissant des statistiques et des prévisions, cette initiative a pour but d’aider les États à identifier les lacunes en matière de planification du personnel, de formation et d'égalité entre les sexes163. L'OACI a également fait des efforts de taille en vue d’accroître le nombre de femmes candidates à ses propres postes dans la catégorie professionnelle et à plus haut niveau164.
Encadré 12 : Sommet mondial sur l’égalité des sexes en aviation
En août 2018, l'OACI, en collaboration avec l'UNESCO, a organisé le Sommet mondial sur l’égalité des sexes en aviation. Le Sommet a adopté une Feuille de route pour le renforcement de l'égalité des sexes dans l'aviation, qui identifie quatre points d'action stratégiques pour les États et les parties prenantes du secteur:
1. Politique et plan d'action: élaborer une politique et des plans d'action dans le cadre de la législation nationale et de règlements privés, et faire preuve d'engagement au sommet.
2. Obstacles et facteurs favorables: éliminer ou atténuer les préjugés et les stéréotypes afin d'accroître le vivier de talents féminins; préparer les femmes aux postes de direction par la formation; favoriser le coaching et le mentorat en tenant compte des considérations de genre; et partager les meilleures pratiques.
3. Données: collecter, analyser et diffuser des données mondiales ventilées par sexe, et les utiliser au service de l'égalité des sexes.
4. Partenariats: forger des partenariats avec ONU Femmes (campagne HeForShe, plan d'action à l'échelle du système des Nations unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes), l'UNESCO (sur l'éducation et les STIM) et le secteur (bourses d'études et stages).
Le deuxième Sommet mondial sur l’égalité des sexes en aviation se tiendra en Espagne en 2020.
Sources : OACI, 2018 "Global Aviation Gender Summit Highlights" (Le Cap, 8-10 août) ; La Moncloa, 2019. “Spain will host second edition of Global Aviation Gender Summit in 2020”, 26 septembre.
Afin de remédier à l’éventuelle pénurie de professionnels de l'aviation qualifiés, l'OACI a lancé en 2009 l'initiative "Prochaine génération de professionnels de l'aviation" (NGAP), qui a depuis été élevée au rang de programme de l'OACI165. L'objectif de l'OACI est d'éliminer les obstacles à la participation des femmes et de permettre leur progression professionnelle dans l'aviation, ce qui nécessitera une stratégie active de sensibilisation afin d’attirer et de maintenir dans le secteur les filles et les femmes166. En collaboration avec l'Association internationale des femmes dans l'aviation (IAWA), l'OACI offre une bourse d'études annuelle en aviation pour une femme professionnelle dans ce domaine. Les candidates sélectionnées acquièrent de l’expérience professionnelle dans le domaine de l'aviation en travaillant et en contribuant à certains aspects du programme de travail de l'OACI au niveau international pendant une période de neuf mois.
Encadré 13 : Projet « Les rêves s'envolent »
L'OACI a soutenu un projet intitulé "Dreams Soar" (« les rêves s’envolent »), dans le cadre duquel la toute première femme pilote afghanoaméricaine, Shaesta Waiz, a effectué un vol autour du monde pour encourager davantage de jeunes femmes à devenir pilotes.
Pour plus d'informations, voir le site web Dreams Soar.
En collaboration avec l'UNESCO, l'OACI organise des ateliers pour les jeunes femmes afin de les encourager à envisager une carrière dans les domaines des STIM, en particulier dans l'ingénierie. Ces événements « Think Pink Hardhat » (Pensez au casque rose) se déroulent dans le monde entier167.
5.4 Partenaires sociaux
5.4.1 Dialogue social
Le dialogue social renforce la démocratie et la bonne gouvernance, et contribue à garantir la justice sociale. Il peut permettre d’instaurer la confiance entre les parties, de prévenir ou de résoudre les conflits et de réduire l'incertitude. Le dialogue social peut jouer un rôle crucial en favorisant un secteur productif, plus égalitaire et compétitif. La promotion du dialogue social est au cœur de la mission de l'OIT et peut contribuer à améliorer la situation des femmes dans l'aviation civile.
Il existe différents niveaux de dialogue social, le dialogue social au niveau sectoriel revêtant une importance particulière pour l'aviation civile. Cependant, la complexification croissante de la structure des compagnies d'aviation civile, la fragmentation des syndicats et les nouvelles réglementations, sont certains des facteurs pouvant avoir une incidence sur l'identité et la représentativité des partenaires sociaux du secteur.
L'Union européenne a créé en 2000 un comité du dialogue social dans l'aviation civile, qui couvre l’équipage de conduite, la gestion de la circulation aérienne et la manutention au sol. Il est composé de trois organisations de travailleurs et de six organisations d'employeurs et traite de questions telles que le temps de travail, la sécurité et la santé, et la formation. Il a adopté de nombreux avis, déclarations et outils168. Les travaux du comité portent actuellement sur la lutte contre la violence au travail, notamment la violence à l'égard des femmes et la violence imputable à des tiers169.
Après la libéralisation du secteur de l'aviation civile, la France a adopté une législation obligeant les partenaires sociaux à négocier des accords dans un délai de deux ans. En conséquence, Air France a négocié quatre conventions collectives, ainsi que des accords spécifiques sur certains sujets, y compris l'égalité des sexes170.
Les syndicats et les associations professionnelles qui comptent peu de femmes parmi leurs membres et dont la représentation des femmes au sein de la direction est encore plus faible sont moins susceptibles de donner la priorité aux questions qui les concernent. Les groupes ou comités composés de femmes y sont parfois parvenu moyennant un processus en deux étapes: il est plus probable que les questions relatives aux femmes soient incluses dans les négociations collectives et, par conséquent, les syndicats et associations peuvent obtenir un soutien pour la mise en place de politiques visant à résoudre des problèmes tels que les obstacles liés au genre, et de ce fait bénéficier à l'ensemble des membres171.
5.4.2 Syndicats
Les syndicats comptent davantage d'hommes que de femmes, tant au niveau des affiliés que des postes de direction. Par exemple, le taux de syndicalisation des femmes à la CSI est d’en moyenne 42 pour cent, mais on ne recense que 28 pour cent de femmes dans les plus hautes instances décisionnelles172. Au sein de l'ITF, une femme détient un poste parmi les neuf principaux titulaires de fonctions (président, secrétaire général et vice-présidents), lequel est réservé aux femmes. Sur les 11 présidents de section ou de département, deux sont des femmes (femmes et jeunes travailleurs et travailleuses)173. Le Comité exécutif de l'ITF est composé de 61 membres, dont 12 sont des femmes.
Le programme de travail de l'ITF pour les femmes se concentre sur deux thèmes prioritaires: mettre fin à la ségrégation professionnelle fondée sur le genre et renforcer le pouvoir des syndicats en vue d'éradiquer la violence contre les travailleuses des transports. Dans le cadre de ses travaux visant à mettre fin à la violence à l'égard des travailleuses des transports, l'ITF a mis au point un programme spécifique, le « programme mondial de l'ITF d’intervenantes auprès des femmes », afin d'apporter une réponse sur le lieu de travail à la violence faite aux femmes. L'ITF a collaboré avec les syndicats des transports de 11 pays pour élaborer ce programme, qui s'inspire du modèle initialement créé par le syndicat Unifor au Canada174. Les intervenantes auprès des femmes sont des militantes syndicales formées qui travaillent en bâtissant des alliances pour déraciner les causes profondes de la violence sexiste et assistent les femmes survivantes afin de les aider à conserver leur emploi dans le secteur des transports en leur fournissant des informations, un soutien et des conseils. En outre, l'ITF demande un accès sécurisé à des installations sanitaires décentes afin d'améliorer les conditions de sécurité et santé des travailleurs du transport dans le monde entier175.
La Fédération internationale des associations de pilotes de ligne (IFALPA) souligne l'importance de la résolution A39-30 de l'OACI. Elle s'engage à mettre à jour tous ses documents en employant une langue inclusive et recommande à toutes ses associations membres d'en faire de même176.
La Fédération internationale des associations de contrôleurs de la circulation aérienne (IFATCA) a mis en place un groupe de travail sur l'égalité, la diversité et l'éthique en vue de rédiger un plan d'égalité et de diversité pour l'organisation. Ce plan sera examiné à la conférence de l'IFATCA qui se tiendra à Singapour en mars 2020177.
5.4.3 Organisations d’employeurs et associations professionnelles
Les femmes sont sous-représentées au sein des organisations d'employeurs. Dans la plupart d'entre elles, le conseil d’administration est composé à moins de 10 pour cent de femmes, et seulement 8 pour cent d'entre elles disposent d’un conseil constitué à part égale d’hommes et de femmes178. L'association professionnelle du transport aérien, l'IATA, compte une femme parmi les 30 membres de son comité exécutif179.
Encadré 14 : La campagne 25by2025 de l’IATA
En septembre 2019, l'IATA a lancé une campagne à l'échelle du secteur visant à porter les chiffres en matière de diversité et d'inclusion dans l'ensemble du secteur à 25 pour cent, au minimum, d'ici 2025. L'initiative comprend également des objectifs à intégrer aux processus de gouvernance de l'IATA. Les progrès réalisés par les compagnies aériennes s’étant engagées volontairement dans cette initiative seront présentés chaque année à l'occasion du Sommet mondial du transport aérien de l'IATA.
L'IATA créera un forum pour partager les bonnes pratiques et les idées que les compagnies aériennes pourront utiliser et mettre en œuvre. La campagne 25by2025 fixe certains objectifs aux compagnies aériennes membres de l'IATA, notamment l'augmentation à 25 pour cent du nombre de femmes occupant des postes à responsabilité et des emplois où elles sont sous-représentées, tels que les pilotes et les techniciens. Elle appelle à la transparence en invitant les compagnies aériennes à rendre compte chaque année des principaux indicateurs de diversité. Sur les 219 compagnies aériennes membres de l’IATA, 59 avaient rejoint le programme en novembre 2019.
Source : IATA, 2019. “Improving gender balance by 2025”.
L'IATA décerne des prix annuels pour la diversité et l'inclusion. Parmi les trois prix, l'un est décerné à une femme qui occupe un poste de direction dans le secteur et sert de modèle, un autre à une femme de moins de 30 ans ayant commencé à progresser dans sa carrière et à faire preuve de leadership dans le secteur, et un dernier à une compagnie aérienne ayant favorisé la diversité et l’inclusion moyennant une action à cet égard180. Les considérations de genre sont néanmoins relativement récentes à l'IATA, qui a élaboré un rapport sur les bonnes pratiques en vue d'une publication en 2019181.
Le Conseil international des aéroports (ACI) défend les intérêts collectifs des aéroports du monde entier et des communautés qu'ils desservent, et se fait leur porte-parole. L'organisation est dirigée depuis 2008 par la directrice générale Angela Gittens. La plupart des efforts de l'ACI en matière de diversité se concentrent sur le financement de la formation professionnelle et du soutien à l’emploi, et comprennent une alliance avec l'IAWA par le biais d'un fonds réservé aux femmes dans le cadre du programme de diplôme en opérations aéroportuaires de l'ACI et du programme de direction exécutive des aéroports182.
5.4.4 Entreprises
De nombreuses entreprises s'efforcent d'attirer les femmes vers les carrières de l'aviation civile, de promouvoir la diversité, de lutter contre et prévenir le harcèlement. Par exemple, Airbus soutient des programmes visant à inciter les femmes à travailler dans l'aviation et GE Aviation a mis au point un programme stratégique intitulé "Cultivate", dont le but est de favoriser la présence de femmes ingénieurs dans l’aviation et de les maintenir dans l’emploi. Certaines compagnies aériennes, y compris British Airways, Virgin Atlantic et EasyJet, encouragent la diversité au sein de leur personnel dans le but de parvenir à l'égalité des sexes. Alaska Airlines organise un programme intitulé "Forum for Engaging Men, Advancing Women", dans le cadre duquel les dirigeants discutent de la manière dont les hommes peuvent soutenir et faire progresser les femmes sur le lieu de travail183. De nombreux leaders du secteur se sont prononcés contre le harcèlement sexuel en vol et des compagnies aériennes ont même banni des passagers ayant harcelé sexuellement des membres du personnel de cabine184. De nombreuses compagnies aériennes disposent de politiques contre le harcèlement et la discrimination, mais leur mise en œuvre n'est pas toujours uniforme. Les victimes de harcèlement s'abstiennent souvent de porter plainte par peur ou parce que porter l'affaire devant les tribunaux est laborieux et peut s’avérer coûteux185.
Encadré 15 : Image de marque des compagnies aériennes: égalité des conditions pour les femmes ?
La mise en place de conditions égales pour les femmes et les hommes dans l'aviation civile a été perturbée par la réactivité de certains clients à une image de marque qui mettait l'accent sur des "femmes minces et parfaites". Cette situation tient probablement à l’attitude des passagers qui découle d'une vision stéréotypée des femmes dans la société selon laquelle elles seraient ‘à leur service’ tout en étant rabaissées au statut d’objet sexuel. L'image de marque qui met en avant le lien entre apparence physique et soumission nuit à la promotion de la diversité et à l’intégration des femmes dans le monde de l'aviation civile. La situation est parfois aggravée par une application laxiste des politiques des compagnies aériennes concernant les passagers indisciplinés, la violence et le harcèlement sexuel.
L'image de marque des compagnies aériennes pourrait peut-être servir de levier pour la mise en place de conditions équitables pour les femmes, ce qui correspondrait mieux à la clientèle du secteur. De nombreuses compagnies aériennes attirent déjà l'attention sur les actions menées pour mettre en valeur l'égalité, les qualifications, la formation et l'expérience, plutôt que l'apparence. Par exemple, l'inclusion dans les brochures fournies à bord d'images montrant un personnel mixte et équilibré en termes de genre serait intéressante et adaptée aux clients des compagnies aériennes.
Conclusions
Il est évident que de nombreux progrès peuvent encore être réalisés pour que le secteur de l'aviation civile devienne plus égalitaire, moins discriminatoire, plus attirant et accessible aux femmes. Il ne s’agit pas uniquement de combler l'écart de rémunération entre les sexes, mais aussi de remédier à la ségrégation professionnelle des femmes au sein du secteur. Pour ce faire, des mesures doivent être adoptées avant et pendant l'éducation et la formation pour améliorer l'accès des femmes au secteur. Il ne fait aucun doute que nombre de mesures ont déjà été prises à cet égard. Au cours de la dernière décennie, de nombreuses compagnies aériennes ont lancé des programmes en matière d'égalité et de diversité qui contribuent à faire progresser l'égalité des sexes dans le secteur. Il est utile à cet égard de faire le point sur les bonnes pratiques déjà introduites par les têtes de file du secteur, à l'image de l'initiative 25by2025 de l'IATA.
Les sept principaux facteurs de transformation définis par le Groupe de haut niveau sur l'autonomisation économique des femmes du Secrétaire général des Nations unies constituent un cadre clair à cet égard et visent à:
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Combattre les normes défavorables et promouvoir des modèles inspirants,
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Garantir la protection juridique et réformer les lois et réglementations discriminatoires,
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Reconnaître, réduire et redistribuer les tâches et les soins non rémunérés,
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Constituer des actifs - numériques, financiers et immobiliers,
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Faire évoluer la culture et les pratiques des entreprises,
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Améliorer les pratiques du secteur public en matière d'emploi et de passation des marchés,
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Renforcer la visibilité, la voix collective et la représentation186.
Il est tout aussi important de mesurer les progrès réalisés en matière d'égalité des sexes. Les politiques relatives à la transparence salariale, y compris les exigences en matière de présentation des résultats et la protection du droit des travailleurs à partager les informations, peuvent mettre en lumière les différences de rémunération entre les hommes et les femmes et faciliter la correction. L'expérience a montré que l'action positive joue un rôle essentiel dans la lutte contre l'inégalité entre les sexes187.
La participation accrue des femmes dans l'aviation civile et l'élimination de toutes les formes de discrimination dépendent de la contribution active de toutes les parties prenantes: gouvernements, organisations internationales, en particulier le BIT et l'OACI, organisations d’employeurs et professionnelles, organisations de travailleurs et entreprises.