Quelle place pour les mutuelles de santé et assurances-maladie à base communautaire dans les systèmes de protection sociale en santé? Revue d’expériences
Résumé exécutif
La protection sociale en santé est un droit humain ancré dans le droit à la sécurité sociale et le droit à la santé consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966). Un ensemble d’instruments juridiques, parmi lesquels les normes de l’OIT 1, matérialisent ce droit fondamental et fournissent un cadre flexible pour l’expansion progressive de tout type de système de protection sociale fondé sur la solidarité sociale.
Elle participe aujourd’hui à l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030 et en particulier les indicateurs 1.3 et 3.8 sur la protection sociale universelle et la couverture sanitaire universelle (CSU) qui est une priorité partagée au niveau mondial. Outre la disponibilité d’un système de soins de qualité, la CSU s’appuie sur des stratégies de protection sociale en santé, basées sur les valeurs de solidarité et de justice sociale. Ces stratégies visent à délier la demande de soins de sa contrainte financière et permettre ainsi à toute personne d’avoir accès aux services de santé quelles que soient ses ressources, en cas de maladie, d’accident ou de handicap.
Les systèmes de protection sociale en santé sont en permanente évolution et il existe aujourd’hui une variété d’arrangements institutionnels, administratifs et financiers. Les normes internationales en protection sociale en santé sont basées sur les résultats et ne sont pas de nature prescriptive concernant les arrangements institutionnels et administratifs que chaque État choisit pour la mise en œuvre de ces garanties, à condition qu’ils respectent certains principes de base, notamment la mise en place de droits aux prestations garantis par l’État, la solidarité dans le financement et une large mutualisation du risque. La convention phare (n° 102) sur la sécurité sociale (norme minimum), 1952, mondialement reconnue comme une référence pour la conception de systèmes, est ainsi conçue autour de l’idée que ceux-ci sont flexibles et qu’il n’existe pas de modèle unique.
Au niveau global, le rôle des mutuelles tend à se concentrer sur la couverture complémentaire ou supplémentaire au régime de base de couverture santé et seule une faible proportion de pays utilise les mutuelles et assurance à base communautaire dans l’architecture de leur régime de couverture santé de base. Ce document de travail examine ces différentes expériences pays où les mutuelles et les assurances-maladie à base communautaire (AMBC) ont un rôle dans la couverture santé de base au sein du système national de protection sociale. Malgré une littérature abondante sur les mutuelles et les AMBC, la description des modalités opérationnelles d’intégration de celles-ci au sein des architectures des systèmes nationaux de protection sociale en santé (PSS) reste peu documentée, et le périmètre des définitions varie largement, rendant les comparaisons peu aisées.
En effet, les termes «mutuelle de santé» et «assurance-maladie à base communautaire» sont souvent utilisés de façon interchangeable dans la littérature. Pourtant, ils désignent souvent des réalités très différentes. Ces deux termes ont ainsi tendance à rassembler un ensemble hétérogène d’organisations issues de l’économie sociale et solidaire, de programmes nationaux voire de processus de décentralisation de régimes publics, qui ne répondent pas tous à des caractéristiques communes et communément entendues de la mutualité. Dans le cadre du présent document de travail, le terme mutuelle de santé est donc entendu au sens très large reflétant cette diversité, et une proposition de typologie plus précise y est également proposée.
Ce travail s’appuie sur une revue de portée
Il ressort de cette analyse comparative que l’implication des mutuelles/AMBC au sein des régimes nationaux de PSS est le fruit d’un processus historique propre à chaque pays concerné, est très dynamique dans le temps et il y a une grande variabilité dans les cadres conceptuels et légaux qui les encadrent.
Dans les pays où les mutuelles/AMBC se sont développées en l’absence d’un système national de protection sociale en santé organisé, elles ont fréquemment permis d’améliorer l’utilisation des soins de santé et la protection financière de leurs bénéficiaires. En revanche, elles n’ont pas permis une extension significative de la couverture de la population et ont rencontré des problèmes de viabilité financière liés entre autres à la faible mutualisation des fonds.
Les expériences qui ont eu du succès sur le plan de l’extension de la couverture sont celles dans lesquelles:
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dès le début, un système national de PSS a donné lieu à la création de mécanismes communautaires pour assurer sa mise en œuvre au niveau local de façon intégrée (Rwanda, Laos, Tanzanie);
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l’institution nationale de PSS a absorbé les mutuelles ou AMBC qui préexistaient à la création du système national de PSS (Cambodge, Ghana); et
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le régime de PSS a délégué certaines fonctions de gestion, en général à des mutuelles ou AMBC qui préexistaient au système de PSS (France, Belgique, Japon, Uruguay, Colombie, Allemagne, Côte d’Ivoire, Maroc).
Dans plusieurs pays, le rôle des mutuelles au sein des systèmes de PSS a évolué entre ces différents modèles, qui peuvent être ainsi vus comme un continuum dans certains pays. A l’inverse, certains cas n’entrent pas encore dans ces catégories, lorsque le système est en cours de construction, à l’image du Burkina Faso.
Là où la délégation de gestion à proprement parler a eu lieu:
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elle concerne principalement les fonctions de front office, le back office (conception des paramètres du régime, mutualisation des fonds et des risques) restant une fonction régalienne; et
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elle a été facilitée par une architecture claire du système de PSS avec financements publics et adhésion obligatoire et une professionnalisation des acteurs.
L’option d’intégrer les mutuelles dans la mise en œuvre de la stratégie nationale pour la couverture santé universelle nécessite d’organiser un cadre favorable (voir ci-après).
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Lorsqu’il y a délégation de gestion, celle-ci doit nécessairement reposer sur un conventionnement entre le gestionnaire de l’l’assurance-maladie et la mutuelle afin de fixer clairement les objectifs de la délégation, le mandat de la mutuelle et les modalités opératoires. Les exemples observés en France, au Maroc, au Mali et en Côte d’Ivoire montrent que ces conventions imposent également des contraintes techniques aux mutuelles afin de garantir leur capacité à remplir leurs fonctions.
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La délégation de gestion doit intervenir dans un cadre politique et réglementaire clair. Le rôle de l’État est important. Il lui appartient d’animer un dialogue national avec toutes les parties prenantes afin de définir les principes fondamentaux de l’assurance-maladie puis de mettre en place les mesures de contrôle et de régulation.
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Dans les pays où les systèmes de protection sociale en santé sont émergents, les partenaires extérieurs et les ONG nationales influencent souvent les options nationales avec une orientation vers l’assurance-maladie à base communautaire. Celle-ci répond en effet aux préoccupations de résultats à court terme des programmes d’appui au développement. Pourtant, la construction d’une protection sociale en santé durable demande un investissement à long terme.
Introduction
La protection sociale en santé est un droit humain ancré dans le droit à la sécurité sociale et le droit à la santé consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966). Un ensemble d’instruments juridiques, parmi lesquels les normes de l’OIT, matérialisent ce droit fondamental et fournissent un cadre flexible pour l’expansion progressive de tout type de système de protection sociale fondé sur la solidarité sociale.
Elle participe aujourd’hui à l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030 et en particulier les indicateurs 1.3 et 3.8 sur la protection sociale universelle et la couverture sanitaire universelle (CSU), qui est une priorité partagée au niveau mondial. Outre la disponibilité d’un système de soins de qualité, la CSU s’appuie sur des stratégies de protection sociale en santé, basées sur les valeurs de solidarité et de justice sociale. Ces stratégies visent à délier la demande de soins de sa contrainte financière et permettre ainsi à toute personne d’avoir accès aux services de santé quelles que soient ses ressources, en cas de maladie, d’accident ou de handicap.
Les normes internationales en protection sociale en santé sont basées sur les résultats et ne sont pas de nature prescriptive concernant les arrangements institutionnels et administratifs que chaque État choisit pour la mise en œuvre de ces garanties, à condition qu’ils respectent certains principes clés, notamment la mise en place de droits aux prestations garantis par l’État, la solidarité dans le financement et une large mutualisation du risque. Ces normes reconnaissent le fait que tout système doit être adapté aux circonstances nationales afin d’être acceptable et efficace et que les pays peuvent recourir à des approches différentes afin de parvenir à atteindre l’objectif de protection universelle moyennant la combinaison optimale de divers arrangements institutionnels et sources de financement. Les pays qui ont atteint une couverture universelle en matière de protection sociale en santé (PSS) combinent en général une variété de sources de financement et de mécanismes institutionnels. La convention phare (n°102) sur la sécurité sociale (norme minimum), 1952, mondialement reconnue comme une référence pour la conception de systèmes, est ainsi conçue autour de l’idée que ceux-ci sont flexibles et qu’il n’existe pas de modèle unique en matière de sécurité sociale. Chaque pays doit œuvrer au développement de son système de protection sociale durable et progressivement complet, selon les circonstances qui lui sont propres (OIT, 2020). En pratique, les architectures choisies pour administrer les prestations de PSS varient d’un pays à l’autre et dans certains pays, les mutuelles de santé ou assurances-maladie à base communautaire (AMBC) sont identifiées pour jouer un rôle important
Au niveau mondial, le rôle des mutuelles tend à se concentrer sur la couverture complémentaire ou supplémentaire au régime de base de couverture santé. Certains pays, engagés dans des processus importants de réformes de leurs systèmes de santé et de protection sociale en santé, utilisent toutefois les mutuelles dans l’architecture de leur régime de couverture santé de base. Ces processus motivent cette revue d’expérience afin d’examiner le rôle confié aux mutuelles et les modalités de mise en œuvre.
Historiquement, les mutuelles se sont développées en Europe, au Japon et en Amérique Latine dans des contextes où le système public de protection sociale était peu développé
Malgré une littérature abondante sur les mutuelles, la description des modalités opérationnelles d’intégration de celles-ci au sein des architectures des systèmes nationaux de PSS reste peu documentée, et le périmètre des définitions varie largement, rendant les comparaisons peu aisées. Aussi ce travail s’appuie-t-il sur une revue de portée réalisée préalablement
Ce document présente une synthèse de ces études, organisée en trois grandes sections (voir ci-après).
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Une première section propose un ensemble de définition de la protection sociale en santé et des mutuelles afin de baliser le champ de travail.
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La deuxième section donne une vue d’ensemble du rôle des mutuelles et AMBC au sein des systèmes de protection sociale en santé sur la base notamment de la revue de portée susmentionnée et des dix-sept pays retenus pour la réalisation d’études de cas.
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Enfin, la troisième section porte spécifiquement sur la délégation de gestion et propose différents enseignements tirés de ces expériences, concernant le rôle actuel et potentiel des mutuelles de santé dans le cadre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UMEOA).
Cette synthèse est suivie des études de cas pour chaque pays.
Cadre conceptuel
Messages clés
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Les pays disposent d’une vaste palette d’arrangements institutionnels, administratifs et financiers pour bâtir leur système national de PSS, avec un objectif commun d’évoluer progressivement vers la couverture sanitaire universelle.
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L’utilisation courante et interchangeable des termes mutuelles et AMBC recouvre des réalités très différentes; il n’y a pas toujours de clarté conceptuelle dans leur utilisation, ni de cadre légal unique au niveau mondial pour leur encadrement.
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Les caractéristiques de ces entités (mutuelles/AMBC) sont également influencées par le rôle qu’elles occupent dans le système de PSS de certains pays.
1.1. La protection sociale en santé
L’OIT définit la protection sociale en santé (PSS) comme «un ensemble de mesures publiques ou organisées par les pouvoirs publics et de mesures privées à caractère obligatoire contre la misère sociale et les pertes économiques provoquées par une réduction de la productivité, un arrêt ou une réduction des gains ou la nécessité de payer un traitement indispensable pour récupérer d’un état de santé détérioré» (Scheil-Adlung, 2007). La protection sociale en santé s’inscrit résolument dans le cadre des droits internationaux: Déclaration universelle des droits de l’homme, Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, convention (no 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952, et recommandation (no 202) sur les socles de protection sociale, 2012. Cette dernière définit la protection sociale en santé comme l’accès aux soins de santé sans difficulté financière et garantit par l’État tout au long du cycle de vie et la sécurité de revenus en cas de maladie et de maternité. Elle participe à l’atteinte des ODD de l’Agenda 2030, et en particulier les indicateurs 1.3 et 3.8 sur la protection sociale universelle et la couverture sanitaire universelle (encadré 1).
Encadré
La protection sociale universelle (PSU) est fermement ancrée dans le cadre international des droits de l’homme et dans les normes internationales de sécurité sociale, notamment dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la convention (n° 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952, et la recommandation (n° 202) sur les socles de protection sociale, 2012. La PSU fait référence à une protection complète, durable et adéquate pour tous tout au long du cycle de vie, selon les trois dimensions essentielles décrites ci-après.
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Une couverture universelle pour les personnes protégées. Chacun doit bénéficier d’un accès effectif à la protection sociale tout au long du cycle de vie si et quand cela est nécessaire.
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Une protection complète en ce qui concerne les risques sociaux et les éventualités qui sont couverts. Elle comprend l’accès aux soins de santé et la sécurité des revenus. La convention (n° 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952, définit neuf éventualités auxquelles tous les êtres humains peuvent être confrontés au cours de leur vie: le besoin de soins médicaux et le besoin de prestations en cas de maladie, de chômage, de vieillesse, d’accident du travail, de responsabilités familiales, de maternité, d’invalidité et de survie (payée à certains proches en cas de décès d’un soutien de famille). Cette dimension inclut également la protection contre les risques nouveaux et émergents, tels que les besoins liés aux soins de longue durée.
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Une protection adéquate. Les prestations fournies doivent être fixées à un niveau permettant de prévenir efficacement la pauvreté, la vulnérabilité et l’exclusion sociale, de maintenir un niveau de vie décent et de permettre aux personnes de mener une vie saine et digne
(OIT, 2021) .
Dans les ODD, les progrès en matière de PSU sont mesurés au moyen de l’indicateur 1.3.1 - Proportion de la population couverte par des systèmes/socles de protection sociale.
La couverture sanitaire universelle est définie par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme une situation dans laquelle chaque personne a accès à l’éventail des services de santé de qualité dont elle a besoin, au moment et à l’endroit où elle en a besoin, sans difficultés financières. Les services de santé essentiels tout au long de la vie sont inclus, qu’il s’agisse de la promotion de la santé, de la prévention, des traitements, de la réadaptation et des soins palliatifs
Dans les ODD, les progrès en matière de CSU sont mesurés au moyen de deux indicateurs:
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la couverture des services de santé essentiels (ODD 3.8.1); et
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les dépenses de santé catastrophiques (et indicateurs connexes) (ODD 3.8.2).
Pratiquement tous les pays ont construit des systèmes basés sur une combinaison de divers mécanismes de financement, ce qui se traduit à l’échelle internationale par une grande diversité de systèmes. Cela répond à une approche pragmatique de chaque pays pour faire face à un certain nombre de problèmes spécifiques liés à la distribution géographique et catégorielle de la population, la disponibilité des services de santé, la décentralisation de l’administration, etc. Les normes internationales en matière de protection sociale reconnaissent cette pluralité concernant les arrangements institutionnels et administratifs que chaque État choisit pour la mise en œuvre de ces garanties, à condition qu’ils respectent certains principes de base, afin de bâtir des systèmes adaptés aux circonstances nationales, acceptables, efficaces et financièrement durables (voir encadré 2).
Encadré
Universalité
La recommandation (n° 69) sur les soins médicaux, 1944, a introduit le principe d’universalité, disposant que le service de soins médicaux devrait englober tous les membres de la collectivité «qu’ils exercent ou non une occupation lucrative» (paragr. 8). Par la suite, d’autres instruments traitant des droits humains ont affirmé expressément le droit à la santé. Les droits humains à la santé et à la sécurité sociale créent l’obligation de garantir à tous l’accès effectif à une protection adéquate. S’inscrivant dans ce cadre, la protection sociale en santé représente le mécanisme optimal pour donner corps à ces droits humains
Financement et dispositifs institutionnels
Les normes internationales de sécurité sociale privilégient les mécanismes de financement collectif pour couvrir le coût des soins de santé, à savoir les recettes fiscales, les cotisations des travailleurs, des employeurs et des gouvernements. Ces normes admettent également la possibilité de divers mécanismes institutionnels à cet effet, notamment: les services nationaux de soins médicaux offrant des soins abordables dans un cadre public; et les systèmes nationaux d’assurance-maladie. Dans le cas de l’assurance-maladie, une entité publique autonome perçoit les recettes provenant de diverses sources (cotisations sociales, transferts de fonds publics) pour se procurer des services de santé, soit exclusivement auprès de prestataires publics, soit auprès de prestataires publics et privés. Dans la pratique, la plupart des pays conjuguent ces divers dispositifs et sources de financement pour offrir une couverture universelle à leur population.
Ainsi, l’OIT souligne qu’«il n’y a pas de solution unique. Les normes internationales fournissent aux pouvoirs publics des principes directeurs leur permettant de garantir une protection universelle qui tienne compte du partage des risques, de l’équité et de la solidarité, et qui soit durable sur les plans budgétaire, économique et social» (OIT, 2020). Les stratégies d’extension de la couverture ont un double objectif (voir ci-après).
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L’extension horizontale de la couverture vise à protéger l’ensemble de la population, en lui offrant un niveau minimum de protection sociale au moyen de quatre garanties de base, y compris l’accès aux soins de santé, conformément à la recommandation (n° 202) de l’OIT (OIT, 2021c; 2017f; 2019i).
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L’extension verticale de la couverture vise à améliorer progressivement le niveau des prestations, en offrant une meilleure protection. Les normes internationales de sécurité sociale prévoient que la loi doit garantir un niveau minimum de prestations, comportant deux dimensions:
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l’éventail des services effectivement accessibles; et
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la protection financière pour en couvrir le coût.
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S’agissant du premier volet, l’éventail des prestations doit progressivement s’étoffer. Les socles de protection sociale doivent comprendre, au minimum, les «soins de santé essentiels» tels que définis au niveau national, y compris des soins médicaux pré- et postnataux gratuits pour les personnes les plus vulnérables; en outre, les pays devraient progressivement offrir à tous une meilleure protection, conformément aux conventions no 102 et no 130, qui précisent que la législation nationale devrait prévoir l’accès à un éventail complet de services. Pour être considérés comme adéquats, conformément aux mécanismes de contrôle du respect des droits humains, les services de santé doivent répondre aux critères de disponibilité, d’accessibilité, d’acceptabilité et de qualité (paragr. 5 a)) de la recommandation n° 202 (ONU, 2000b).
Quant au deuxième volet (protection financière), les instruments de l’OIT prévoient le droit aux soins de santé sans difficultés financières. Les systèmes de santé ne devraient pas être principalement financés par les paiements directs des ménages. Les règles concernant le partage des coûts doivent être conçues de manière à éviter qu’une charge financière trop lourde ne pèse sur les ménages, n’exiger d’eux qu’une participation nulle ou limitée et prévoir la gratuité des soins de maternité.
Comme illustré par la figure 1, une fois que les pays ont atteint une protection effective de toute la population pour une gamme de services et de protection financière alignés sur les niveaux garantis de protection conformes aux normes internationales, des mécanismes complémentaires et supplémentaires peuvent être mis en place sous la régulation de l’État.
Figure
Source:
Dans ce cadre, l’État qui a la responsabilité du système de protection sociale en santé peut choisir de charger un ou plusieurs ministères ou agences publiques de sa mise en œuvre. Ceux-ci peuvent également déléguer certaines fonctions à des entités au niveau opérationnel. Par exemple, l’Indonésie à une agence nationale d’assurance santé, la Malaisie a un service national de santé publique à très faibles coûts gérés par le ministère de la Santé, la Thaïlande a trois agences publiques couvrant différents groupes de population, et la Suisse mandate les assureurs privés pour la mise en œuvre de l’assurance-maladie obligatoire financée collectivement. En sus, l’ensemble de ces systèmes tend à également réguler des assurances privées volontaires qui visent à couvrir des services jugés non essentiels (chirurgie élective, etc.) ou alors à complémenter la protection financière de base en couvrant le ticket modérateur ou des services additionnels (chambre individuelle durant hospitalisation, etc.).
1.2. Les mutuelles et assurances-maladie à base communautaire
Les termes «mutuelle de santé» et «assurance-maladie à base communautaire» (AMBC) (traduction du terme «community-based health insurance» en anglais désignant les mécanismes d’assurance santé mis en place au niveau des communautés) sont généralement utilisés de façon interchangeable dans la littérature. Pourtant, ces organisations désignent souvent des réalités très différentes et ces termes ont ainsi tendance à rassembler un ensemble hétérogène d’organisations issues de l’économie sociale et solidaire, de programmes nationaux voire encore de processus de décentralisation de régimes publics, qui ne répondent pas tous à des caractéristiques communes et communément entendues de la mutualité.
Cela reflète une diversité plus générale au sein de l’économie sociale et solidaire dont la définition diverge en fonction des contextes et des cadres juridiques nationaux
«L’économie sociale et solidaire comprend les entreprises, les organisations et les autres entités qui mènent des activités économiques, sociales ou environnementales servant un intérêt collectif et/ou l’intérêt général, et qui reposent sur les principes de coopération volontaire et d’entraide, de gouvernance démocratique et/ou participative, d’autonomie et d’indépendance, ainsi que sur la primauté de l’humain et de la finalité sociale sur le capital en ce qui concerne la répartition et l’utilisation des excédents et/ou des bénéfices, ainsi que des actifs. Les entités de l’économie sociale et solidaire aspirent à la viabilité et à la durabilité dans une optique de long terme, ainsi qu’à la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle, et mènent des activités dans tous les secteurs de l’économie. Elles sont la traduction concrète d’un ensemble de valeurs qui sont indissociables de leur fonctionnement et qui participent du souci des personnes et de la planète, de l’égalité et de l’équité, de l’interdépendance, de l’autogestion, de la transparence et de la responsabilisation, ainsi que de la réalisation du travail décent et de la matérialisation de moyens de subsistance décents. L’économie sociale et solidaire inclut, selon les circonstances nationales, les coopératives, les associations, les mutuelles, les fondations, les entreprises sociales, les groupes d’entraide et les autres entités fonctionnant selon ses valeurs et principes.» (ILC.110/Résolution II, partie II. 5.)
Par ailleurs, certains pays utilisent le terme «mutuelle» pour désigner des organes publics de gestion décentralisée
L’Association Internationale de la Mutualité (AIM), confirme l’absence d’une définition précise et qu’il existe une diversité de formes juridiques. L’AIM souligne cependant que les mutuelles répondent à ces cinq grandes caractéristiques:
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les mutuelles sont des entités juridiques privées;
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les mutuelles sont des groupements de personnes;
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la gestion des mutuelles est démocratique;
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le principe de solidarité est très important au sein des membres; et
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les excédents sont utilisés au bénéfice des membres (AIM, 2017).
Encadré
En Europe
En mars 2013, le Parlement européen a adopté un rapport d’initiative législative sur le statut de la mutuelle européenne, afin d’accroître la visibilité et la reconnaissance de la mutualité à l’échelle européenne et permettre aux mutuelles d’accéder au marché intérieur et d’en tirer parti. Les mutuelles sont définies par la Commission européenne comme «une association autonome de personnes (entités juridiques ou personnes physiques) qui se sont unies volontairement essentiellement dans le but de satisfaire leurs besoins communs et non pas de réaliser des bénéfices ou de fournir un retour sur investissement. Elle est gérée conformément au principe de solidarité entre les membres, lesquels participent à la gouvernance d’entreprise. Elle est dès lors responsable devant ceux dont elle a vocation de servir les besoins». Toutefois, il n’existe pas de concept juridique clair définissant les organisations à forme mutualiste dans les différents États membres, celui-ci variant en fonction notamment des traditions, de l’histoire, des choix (politiques), des marchés, des modèles de gouvernance et des réglementations. Le rapport d’initiative de 2013 propose cependant un ensemble de caractéristiques essentielles (voir ci-après) qui distinguent les mutuelles des autres agents économiques.
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Les mutuelles sont des entités privées régies par le droit privé, qui sont indépendantes et ne sont ni contrôlées par le gouvernement, ni financées par des subventions publiques.
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Les mutuelles sont des groupements de personnes (physiques ou morales) et non une mise en commun de fonds.
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Elles reposent sur une gouvernance démocratique.
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Les mutuelles organisent des services et des prestations dans l’intérêt de leurs membres, sur une base solidaire et au travers d’un financement collectif;
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En échange, les membres s'acquittent d’une cotisation ou d’un équivalent, dont le montant peut être variable.
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Les membres ne peuvent exercer de droit individuel sur les actifs de la mutualité.
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Les bénéfices sont utilisés dans l’intérêt des membres (réduction de primes, etc.) ou réinvestis pour améliorer les services aux membres (AISS, 2013).
Au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA)
Une définition est également apportée en Afrique de l’Ouest par le Règlement n°07/2009/CM/UEMOA portant réglementation de la mutualité sociale au sein de l’UEMOA (2009). Celui-ci définit les mutuelles sociales, parmi lesquelles les mutuelles de santé, comme des «groupements qui, essentiellement au moyen des cotisations de leurs membres, se proposent de mener, dans l’intérêt de ceux-ci et de leurs ayants droit, une action de prévoyance, d’entraide et de solidarité visant la prévention des risques sociaux liés à la personne et la réparation de leurs conséquences». L’article 12 du Règlement précise les principes mutualistes qui les distinguent des autres formes d’assurance. Ces principes sont décrits ci-après.
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L’adhésion volontaire et non discriminatoire consiste en un acte volontaire de participation à une mutuelle sociale non fondé sur le sexe, la race, la nationalité, l’appartenance politique ou religieuse.
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Le but non lucratif suppose que les activités sont conduites dans un but autre que de faire du profit.
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Le fonctionnement démocratique et participatif s’entend de la participation des adhérents, soit directement soit par l’intermédiaire de leurs représentants, au fonctionnement de l’institution.
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L’engagement solidaire repose sur l’entraide mutuelle entre les membres dans un souci de partage des risques.
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L’autonomie et l’indépendance impliquent la libre administration du patrimoine de l’institution dans le respect des règles prudentielles.
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Le bénévolat consiste en la gratuité des fonctions exercées par les membres de l’organe dirigeant.
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La participation responsable oblige l’adhérent à observer une certaine loyauté envers l’institution et envers les autres membres.
Au Japon
Le ministère de la Santé, du Travail et de la Protection sociale définit les associations d’entraide comme «un système de sécurité sociale conçu pour aider les membres des coopératives à s'entraider et à améliorer la stabilité et le bien-être de leurs vies respectives» (ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales du Japon, daini kyosei kumiai 2020).
En Colombie:
Les mutuelles sont des entreprises de l’économie solidaire de droit privé, à but non lucratif, inspirées par la solidarité, à finalité d’intérêt social, constituées librement et démocratiquement par l’association de personnes physiques, de personnes morales à but non lucratif ou d’une combinaison de ces dernières, qui s'engagent à cotiser au fonds social mutualiste, dans le but de s'entraider pour répondre à leurs besoins et à ceux de la collectivité en général, toujours dans un but d’intérêt social ou de prévoyance collective (Loi 2143 de 2021, Article 2).
Selon ces définitions, une organisation mutualiste se présente comme une association de personnes (à adhésion libre), sans but lucratif et dont l’objectif est de parer aux conséquences que divers risques sociaux entraînent pour leurs membres et leurs familles. Une mutuelle est essentiellement financée par les cotisations de ses membres, qui peuvent être complétées par d’autres ressources dont des subventions de l’État. L’administration repose sur les représentants de ses adhérents et une mutuelle bénéficie d’une indépendance institutionnelle complète sous réserve de respecter certains principes définis par la loi. Elle se distingue ainsi d’autres mécanismes de protection sociale en santé par une démocratie moins éloignée des membres cotisants. La mutualité se distingue par ailleurs de l’assurance-maladie commerciale par son caractère non lucratif, par une solidarité beaucoup plus marquée à divers égards et par son caractère démocratique (Boyer et al., 2000).
Il ressort de la revue de portée conduite sur le sujet ainsi que des études de cas que selon le pays, l’autonomie et le caractère indépendant des mutuelles et assurances santé à base communautaire ne soient pas nécessairement un élément de définition dans tous les contextes nationaux, en particulier au Ghana, au Rwanda et en Tanzanie. De façon similaire, concernant le caractère volontaire de l’adhésion, bien que la liberté de choix de la mutuelle soit parfois mentionnée, elle ne signifie pas pour autant que l’adhésion à un régime de PSS soit volontaire. Plusieurs pays accommodent une affiliation obligatoire à la PSS avec le choix libre d’une mutuelle comme en Belgique, en France et au Maroc
1.2. Une pluralité d’organisations à forme mutualiste issues de processus historiques variés et dynamiques
À travers les études de cas, deux grands groupes d’organisations à forme mutualiste se distinguent, en fonction de leur point de départ, de leurs objectifs de création et de leur implication et évolution au sein du système de PSS.
Les mutuelles issues du monde du travail
Un premier groupe est constitués par les mutuelles corporatistes ou issues du monde du travail nées des sociétés de secours mutuel dans les industries ou mises en œuvre par diverses organisations telles que les syndicats, associations professionnelles, coopératives, organisations de travailleurs de l’économie informelle, organisations agricoles, etc. La mutualité est ainsi apparue et s’est largement étendue en Europe durant le XIXe siècle, à l’initiative de travailleurs industriels et d’autres groupes socio-professionnels, afin de rassembler et mutualiser des fonds pour se protéger des risques sociaux et d’organiser des filets de sécurité pour les membres (Grijpstra et al., 2011). Dans ces pays, les mutuelles de santé étaient déjà présentes et couvraient certains groupes de population avant la mise en place des régimes de sécurité sociale. Ces derniers se sont ensuite construits à partir de traditions nationales donnant lieu à une pluralité de modèles, intégrant notamment les mutuelles de santé.
Encadré
Les mutuelles de santé en Belgique sont des organisations d’économie sociale et solidaire issues d´initiatives de différents mondes idéologiques dont elles ont gardé trace même si avec le temps, leurs références religieuses ou idéologiques ont perdu de leur importance. Les mutuelles sont regroupées en 5 grandes unions:
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Alliance nationale des mutualités chrétiennes;
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Union nationale des mutualités neutres;
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Union nationale des mutualités socialistes;
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Union nationale des mutualités libérales; et
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Union nationale des mutualités libres.
Une des spécificités du système belge d’assurance-maladie concerne la place que les mutualités occupent et leur rôle. Contrairement à d’autres pays, les mutualités belges sont compétentes en matière d’assurance obligatoire.
Par exemple, en France, la loi Morice du 9 avril 1947, qui institue le régime des fonctionnaires, déléguait la gestion de l’assurance-maladie obligatoire des fonctionnaires aux mutuelles. Par la suite, la loi n° 48-1473 du 23 septembre 1948 confiait la gestion du régime des étudiants à la Mutuelle des Etudiants (LMDE) dans le cadre d’une délégation de service public. En Belgique, l’État a soutenu le développement du mouvement mutualistes à partir du XIXe siècle puis a adopté un système d’assurance-maladie obligatoire pour tous les travailleurs salariés en 1944 dont la gestion des prestations a été confiée aux mutualités. Le rôle des mutuelles s’est diversifié après la Seconde Guerre mondiale et la naissance des systèmes obligatoires de protection sociale dans lesquels elles se sont intégrées comme gestionnaires du régime obligatoire, par exemple en Belgique et en Allemagne, ou dans le cadre d’une gestion partagée avec l’État comme en France, ou encore en proposant une assurance complémentaire au régime de base gérée par l’État comme en Espagne.
Dans ce cadre et au sens du code de la mutualité tel qu’il définit les mutuelles en France ou en Belgique, les mutuelles reposent sur un principe de cooptation, entre des personnes qui se font confiance et entre lesquelles il existe un fort capital social. Ces mutuelles développent généralement des capacités importantes de gestion et constituent des pools de compétences qui ont été mises à profit dans la cadre de systèmes nationaux visant l’extension de la PSS. Des processus similaires s’observent dans d’autres pays, par exemple au Japon avec les associations d’aide mutuelle, notamment pour les fonctionnaires, les enseignants et les marins (encadré 5). Le mouvement mutualiste européen a par ailleurs fortement inspiré le développement des mutuelles de santé en Amérique Latine dans le courant du XIXe siècle ainsi qu’en Afrique avec la colonisation européenne. Cela est visible par exemple avec la création de mutuelles au sein des administrations et des entreprises, telle que de la Mutuelle Générale des Fonctionnaires et Agents de L’État de Côte d’Ivoire (MUGEF-CI) créée en 1973 et qui compte aujourd’hui plus de 740 000 bénéficiaires. Elle intervient depuis 2011 comme délégataire de gestion dans le cadre de la mise en œuvre de la Couverture Maladie Universelle, ce qui l’a obligé à se restructurer pour se conformer au Règlement n° 07/2009/CM/UEMOA sur les mutuelles sociales afin de bénéficier du statut d’organisme de gestion déléguée. Au Maroc, la gestion du régime d’assurance-maladie obligatoire pour les employés et les titulaires de pensions du secteur public, entrée en vigueur en 2005, a été confiée à la Caisse Nationale des Organismes de la Prévoyance Sociale (CNOPS) qui est une union nationale de huit mutuelles du secteur public, créée en 1950.
Encadré
Avant l’introduction de la loi sur l’assurance-maladie nationale (NHI) en 1958, il existait au Japon des mutuelles de santé mise en place par les fonctionnaires, les marins, les enseignants. Lors de l’introduction de la NHI, les résultats d’une enquête ont montré que plus de 90 pour cent des personnes qui avaient déjà adhéré à une mutuelle souhaitaient rester assurées par celle-ci. Les mutuelles ont été intégrée dans le NHI avec le mandat de couvrir des groupes de population spécifiques, notamment les fonctionnaires et le personnel des écoles privées. Leurs prestations de santé est harmonisé pour tous les autres régimes, elles peuvent cependant proposer également une couverture supplémentaire. Elles fixent en revanche leur propres taux de cotisation. Les mutuelles reçoivent des subventions de l’État pour leurs coûts de fonctionnement.
Les mutuelles issues d’une dynamique exogène
Plus récemment, depuis les années 1990, des systèmes d’assurance santé de petite échelle ont été promues par les ONG nationales et internationales, les bailleurs de fonds et les gouvernements, dans le cadre de programmes nationaux de couverture santé universelle (Mathauer et al., 2017), notamment sur le continent africain (encadré 6). Ces systèmes sont gérés par, ou plus souvent avec la participation, des communautés et désignés par le terme «mutuelles communautaires» ou «assurances-maladie à base communautaire (AMBC)». Elles sont particulièrement nombreuses en Afrique de l’Ouest où on estime que globalement 9 mutuelles sur 10 sont des organismes de petite taille avec moins de 1 000 bénéficiaires (Van Rompaey, 2013).
Encadré
Dans les pays à faible revenu, le développement de la protection sociale en santé est récent, avec une impulsion essentiellement à partir des années 1990/2000. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, ce développement peut schématiquement se résumer en trois grandes «vagues» de développement (Letourmy, 2008):
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Une première vague, dont l’origine remonte à l’époque postcoloniale pour certains régimes tels que les mutuelles des armées, correspond à la mise en place de mécanismes de couverture au sein du seul secteur de l’économie formelle, avec des logiques très différentes: institutions publiques d’assurance-maladie obligatoire (Rwandaise d’Assurance-maladie (RAMA) au Rwanda, Fonds national d’assurance-maladie (NHIF) en Tanzanie), prise en charge des soins des fonctionnaires par l’État (imputations budgétaires au Sénégal), régimes médicaux des entreprises (Institutions de prévoyance maladie (IPM) au Sénégal), création de mutuelles de fonctionnaires et des forces armées (Côte d’Ivoire, Maroc, Sénégal), responsabilité directe des employeurs (plan internes ou contrats avec les assurances privées au Burkina Faso) ou encore mise en place d’une offre de soins de santé spécifique (Office de santé des travailleurs (OST) au Burkina Faso).
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L’essor à partir des années 1990 et 2000, des mutuelles de santé, des systèmes d’assurance-maladie à base communautaire et autres systèmes de micro-assurances, pour les populations du secteur informel et du monde agricole, constitue une seconde vague. De multiples systèmes ont ainsi vu le jour, issus d’initiatives locales (ONG, prestataires de soins à but non lucratif) ou extérieures (Banque Mondiale, OIT, ONG internationales, mutuelles européennes, etc.).
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La troisième vague s’inscrit dans la dynamique des campagnes mondiales pour les socles nationaux de protection sociale, la couverture santé universelle et des ODD à l’horizon 2030. Elle se caractérise par l’implication de l’État et la définition de politiques de couverture maladie qui doit concerner toutes les catégories de populations et, très schématiquement, fusionne les deux vagues précédentes. Avec cette troisième vague, l’assurance-maladie est entrée dans une phase d’extension, très progressive et encore insuffisante, mais bien réelle. Les études de cas montrent que les politiques et stratégies nationales mises en œuvre dans les différents pays ont évolué progressivement différemment, suivant des approches pragmatiques et des expérimentations locales ou bien circonscrites; deux grandes tendances se dégagent (voir ci-après).
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Certains États développent un système national de PSS qui rassemble tous les régimes existants dans une même architecture afin d’offrir une même protection de base pour tous (exemples de la Côte d’Ivoire et du Ghana).
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Dans d’autres pays, le système de protection social en santé est fragmenté avec une juxtaposition de dispositifs et programmes qui découpent la population en différentes catégories avec pour chacune un régime et une couverture adaptés (exemples du Sénégal, du Rwanda et du Mali).
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Cette dynamique s’observe également hors de l’Afrique. Par exemple au Laos où un régime volontaire d’assurance-maladie à base communautaire a été mis en place sous la supervision du ministère de la Santé, afin de protéger la population de l’économie informelle, qui représente 80 pour cent de la population totale. Ce régime a été lancé à titre pilote en 2002 puis étendu progressivement à partir de 2006 avec l’appui de partenaires extérieurs. En 2012, les AMBC ne couvraient que 3 pour cent de la population totale, dans 42 districts de 9 provinces. A partir de 2017, l’approche des AMBC a été abandonnée au profit d’un régime non contributif géré l’Assurance-maladie nationale et financé par des ressources de l’espace budgétaire national.
De même, au Cambodge, des mutuelles communautaires ont été initiées à partir de la fin des années 1990 à travers le pays par des ONG, en faveur des populations de l’économie informelle et du monde rural. Elles se sont étendues jusqu’en 2012, sans toutefois dépasser là aussi 3 pour cent de la population cible totale, puis ont connu un déclin et ont cessé d’exister après 2018. Ces mutuelles ont constitué pour le pays une base d’expérience pour la mise en place d’une assurance santé nationale. Celle-ci ne couvre actuellement que les travailleurs du secteur formel, avec pour objectif de s’étendre progressivement à toute la population.
Typologie
Une importante leçon peut être tirées des études de cas concernant la capacité des mutuelles à intervenir comme délégataires de gestion. Il s’agit en effet de faire une distinction claire entre les différents types d’organismes communément appelés mutuelles ou AMBC, sur la base notamment de leur professionnalisation.
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Mutuelles professionnalisées: souvent de nature corporatiste, elles peuvent naître de multiples organisations tels que les syndicats, associations professionnelles, coopératives, organisations de travailleurs de l’économie informelle, organisations agricoles, etc. Dans ce cadre et au sens du code de la mutualité tel qu’il définit les mutuelles en France ou en Belgique, ces entités reposent sur un principe fondamental de cooptation, entre des personnes qui se font confiance et entre lesquelles il existe un fort capital social. Les études de cas montrent que l’expertise développée par les mutuelles professionnalisées n’est pas exploitée dans beaucoup de contextes en Afrique de l’Ouest. Elle constitue pourtant des pools de compétences qui pourraient être mises à profit dans la cadre de systèmes nationaux visant l’extension de la PSS. -
Mutuelles communautaires : ces mutuelles et assurances-maladie communautaires sont quant à elles généralement implantées via des financements externes, appuyés ou non par des programmes nationaux, sur la base de zones géographiques ou administratives (village, communes, district, etc.). Or, ni la confiance et le capital social ni les compétences techniques en gestion de la protection sociale ne naissent spontanément de ce type de planification (Sossa, 2010). La promotion des mutuelles communautaires s’inscrit souvent dans une approche programme, sans législation garantissant un droit à la protection sociale en santé pour les bénéficiaires, ni un cadre réglementaire qui garantit une supervision adéquate permettant de protéger les bénéficiaires. Elles se développent donc dans un cadre souvent isolé et leur faiblesse en matière de gestion en limite le potentiel de délégation de gestion par un organe public en charge de la PSS. -
Organes parapublics communément appelés mutuelles ou AMBC : dans un certain nombre de pays, le terme mutuelle ou AMBC désigne en réalité des guichets administratifs décentralisés faisant partie du secteur public ou parapublic. Comme expliqué dans la section suivante, cela peut être le résultat d’une absorption d’organismes mutualistes qui précédaient la création du système national de PSS (par exemple au Laos ou au Cambodge) ou alors d’une architecture du système national de PSS souhaitant mettre en avant un certain aspect participatif en utilisant cette terminologie.
Il est par conséquent important de ne pas banaliser le mouvement mutualiste ni de le noyer dans une masse d’organisations si le but est d’exploiter son capital social et de gestion comme levier pour l’extension de la protection sociale.
Vue d’ensemble du rôle des mutuelles et AMBC au sein des systèmes de protection sociale en santé
Messages clés
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Peu de pays dans le monde utilisent les mutuelles dans leur système de PSS pour la couverture de base, le rôle des mutuelles est plus souvent cantonné à la couverture complémentaire.
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Il y a une grande diversité de mutuelles et de systèmes de PSS eux-mêmes, limitant la comparabilité et les possibilités de généralisation. Les caractéristiques de ces entités (mutuelles/AMBC) sont également influencées par le rôle qu’elles occupent dans le système de PSS.
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Les expériences qui ont eu du succès sur le plan de l’extension sont celles dans lesquelles:
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il y a eu dès le début un modèle centralisé de PSS avec des mécanismes/relais communautaires faisant partie intégrante du service public;
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il y a eu absorption par l’institution nationale de PSS;
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il y a eu délégation de gestion par le régime de PSS;
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lorsque les mutuelles ou AMBC se sont développées en dehors de ces schémas, elles n’ont pas permis une extension de la couverture de base; et
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il y a des cas qui n’entrent pas encore dans ces catégories car les systèmes sont en construction ou en cours de réforme.
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Il convient d’approfondir les recherches et la documentation sur la délégation de gestion en particulier et ses modalités pratiques de mise en œuvre, son cadre juridique et son impact.
2.1. Un rôle principalement concentré sur la couverture complémentaire et supplémentaire au niveau global
Comme illustrés dans la figure 2 ci-dessous, les organisations mutualistes ne sont pas présentes dans tous les pays du monde. Par ailleurs, leur rôle se cantonne dans la majorité des pays à apporter une couverture complémentaire ou supplémentaire au régime de base, avec pour corollaire que peu de pays utilisent les mutuelles dans leur système de PSS pour la couverture de base.
Figure 2. Carte mondiale des sociétaires d’assureurs mutuels, 2017
Sources: ICMIF, 2019 3
2.2. Le rôle donné aux mutuelles et AMBC dans les systèmes nationaux de PSS les utilisant pour leur régime de base
En étudiant les informations disponibles sur le rôle joué par les mutuelles et AMBC dans les systèmes nationaux de PSS pour le régime de base, une typologie se dégage, résumée dans tableau 1, qui peut aussi dans certain cas être un continuum dans la mesure où la situation évolue de façon très dynamique à travers le temps (certains pays pouvant être dans une ou plusieurs des catégories ci-dessous au fil du temps).
Tableau
Délégation de gestion |
L’organisme gestionnaire en charge de l’assurance publique délègue certaines fonctions de gestion à des mutuelles autonomes pour la mise en place de la couverture de base de leurs membres. C’est en général le cas dans des pays où des mutuelles fortement professionnalisées préexistent au régime de PSS. Dans certains cas, l’État confie la mise en œuvre de l’assurance publique à différents acteurs, dont des mutuelles de santé, s’adressant chacun à différents groupes cible de la population. |
France, Belgique, Maroc, Côte d’Ivoire, Uruguay, Colombie, Allemagne, Japon. |
Déconcentration |
Le système de PSS a été conçu sur le principe de la mise en place d’entités décentralisées et participatives pour la gestion des fonctions de proximité. Les entités appelées «mutuelles» ou AMBC sont publiques ou parapubliques et interviennent comme des guichets d’un programme national. Elles ne bénéficient que d’une autonomie limitée. |
Tanzanie, Sénégal (dans le cadre de l’UDAM), Éthiopie. |
Absorption |
Le système national de PSS a absorbé lors de sa création ou lors de réformes les mutuelles ou AMBC qui lui préexistaient, bénéficiant ainsi des outils et parfois même du personnel qualifié. |
Laos, Cambodge, Rwanda, Ghana après 2003. |
Non-implication |
Des mutuelles offrent une couverture de base lorsqu’il n’y a pas encore à proprement parler de système national de PSS définissant les droits pour toute la population. Dans ces schémas, les mutuelles bénéficient généralement d’un statut juridique et d’un cadre pour leur réglementation, et agissent en tant que mécanismes volontaires responsables de toutes les fonctions assurantielles. |
Burkina Faso, Sénégal, Mali avant les réformes récentes. |
La délégation de gestion à des mutuelles de santé autonomes
La délégation de gestion à des mutuelles de santé professionnalisées qui préexistent au système national de PSS constitue une autre stratégie observée dans plusieurs pays dont la France, la Belgique, le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Mali, l’Uruguay et la Colombie. Dans ces systèmes, une caisse nationale gestionnaire de l’assurance santé, se voit confié par l’État la mission de mettre en œuvre l’assurance et choisit de déléguer certaines tâches à un nombre limité d’organismes tels que les mutuelles ou des assureurs privés. La délégation de certaines opérations aux mutuelles est souvent issue d’un processus basé sur des considérations historiques et visant à préserver une tradition mutualiste ancrée dans certains groupes socioprofessionnels.
La délégation de gestion vise à transférer une partie ou l’ensemble des responsabilités et tâches liées à la gestion à un tiers. Cette externalisation s’accompagne souvent d’une délégation de l’autorité décisionnelle associée à ces responsabilités et tâches. Les mutuelles se voient imposées des conditions à remplir pour devenir des délégataires de gestion de l’assurance-maladie obligatoire, notamment en termes de volume de bénéficiaires et de capacités techniques et financières. Elles ont peu ou pas d’autonomie concernant les paramètres du régime et les tâches déléguées sont limitées et très cadrées.
Encadré 7. Des mutuelles de santé autonomes et professionnalisées délégataires de gestion
Ce cas de figure est notamment celui de la Belgique où l’administration générale de l’assurance-maladie assurée par INAMI avec une délégation de gestion aux unions de mutualités, qui délèguent à leur tour une partie de leurs fonctions à leurs mutualités membres. Au Maroc, le régime d’assurance-maladie obligatoire des fonctionnaires (AMO-public) est géré par la Caisse Nationale des Organismes de la Prévoyance Sociale (CNOPS) qui est une fédération de huit mutuelles qui interviennent comme délégataires de gestion. Suite à des dysfonctionnements, la CNOPS est actuellement en cours de remplacement par la Caisse marocaine de l’assurance-maladie (CMAM), les mutuelles restant délégataires.
En Côte d’ivoire, l’assurance-maladie est gérée par la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) conçue initialement comme une structure légère de pilotage et de régulation de la Couverture maladie universelle. La CNAM délègue les fonctions d’enregistrement, de recouvrement et de prestations à divers acteurs en ayant déjà une expérience dont la Mutuelle générale des fonctionnaires et agents de l’État (MUGEF-CI). La stratégie d’extension de la couverture maladie vers l’économie informelle repose sur la délégation de gestion aux mutuelles, mais la CNAM se heurte à un faible développement. Aussi, la Côte d’Ivoire cherche-t-elle à encourager la création de mutuelles, organisées plutôt par type de métier ou par secteur d’activité, qui pourraient intervenir à la fois comme délégataires de la CNAM et comme couverture complémentaire pour les assurés.
La même orientation s’observe également au Mali où l’État souhaite opérationnaliser son Régime d’assurance-maladie universel qui doit être administré au niveau national par la CANAM avec une délégation de gestion à des caisses publiques pour le secteur formel et l’Union de la Mutualité Malienne pour les ménages du secteur informel et le monde agricole. En attendant l’opérationnalisation de ce régime, la couverture de ces derniers passe par le développement de mutuelles de santé, parmi lesquelles des mutuelles qui, à plusieurs égards (paramètres définis dans le cadre de la Stratégie Nationale d’Extension de la Couverture Maladie), relèvent plus de l’assurance-maladie à base communautaire que de la mutualité sociale.
Le schéma en place en Colombie s’inscrit également dans ce groupe. L’État, par l’intermédiaire du ministère de la Santé et de la Protection sociale, exerce le rôle de pilote du système de protection sociale en matière de santé dont il définit les paramètres. La perception des cotisations et l’achat des prestations sont déléguées aux Entités de promotion de la santé (Entidades Promotoras de Salud - EPS); les cotisations sont reversées et mutualisées au niveau de l’Entidad Administradora de los Recursos del Sistema General de Seguridad Social en Salud (ADRES), rattachée au ministère de la Santé et de la Protection sociale qui le redistribue aux EPS en fonction de leur nombre de bénéficiaires (capitation).
Certains schémas nationaux ne reposent pas sur la création d’une organisation gestionnaire de l’assurance-maladie qui centralise au niveau national l’opérationnalisation de l’assurance, en choisissant ou pas de déléguer certaines fonctions à d’autres acteurs. Dans ces schémas, la gestion du régime de base est confiée à différents types d’acteurs, dont des caisses de sécurité sociale, des caisses d’entreprises, de corporations de métiers ainsi que des mutuelles de santé, avec pour mission de couvrir certains groupes de population. Ces acteurs disposent d’une forte autonomie au sein d’un cadre légal fixé par l’État qui joue un rôle de régulation. Ce modèle permet à l’État de disposer d’une influence sur le développement du système de PSS tout en se dégageant de l’administration directe et en en se reposant sur l’expertise des organisations gestionnaires.
L’Allemagne illustre ce modèle avec une décentralisation de l’assurance publique depuis sa création. La gestion de l’assurance-maladie publique est confiée à une diversité de caisses d’assurance décentralisées et en complète autonomie de gestion, dont une forte proportion sont à gouvernance mutualiste. Toutefois, le système est aujourd’hui de plus en plus encadré par l’État fédéral et le nombre de caisses a fortement diminué (de 35 000 caisses à la fin du XIXe siècle à 105 caisses en 2022). De même, au Japon 85 associations d’aide mutuelle gèrent l’assurance-maladie obligatoire pour les employés publics nationaux et locaux, les enseignants et les membres du personnel des écoles privées. Ces mutuelles offrent les mêmes prestations que les autres régimes d’assurance-maladie obligatoire, mais fixent leur propre montant de cotisation en fonction de leurs dépenses annuelles.
Certains pays classés ici dans d’autres schéma, s’inscrivent pourtant également dans ce modèle de décentralisation, à l’exemple du Rwanda qui illustre l’absorption de mutuelles par l’Office rwandais de sécurité sociale. Ce dernier ne couvre cependant pas toute la population et d’autres systèmes interviennent pour les militaires, les étudiants et les entreprises privées. Le Maroc est un autre exemple avec une gestion des différents groupe sociaux économiques par trois grands acteurs: la Caisse Nationale des Organismes de la Prévoyance Sociale (employés du secteur public et étudiants), la CNSSCaisse Nationale de sécurité Sociale (salariés du secteur privé et indépendants) et la l’Agence Nationale de l’Assurance-maladie (population démunie). Le Maroc est cependant classé ici dans les schémas de délégation de gestion dans le cadre de la couverture des employés et retraités du secteur public.
Des mutuelles comme structures déconcentrées d’un système de PSS
L’expérience des mutuelles de santé communautaire a inspiré certains pays qui ont repris cette approche dans le cadre de programmes nationaux d’assurance-maladie à base communautaire. Ces programmes ont pour objectif de déployer un réseau de proximité géographique avec l’ensemble des communautés sur tout le territoire national, à l’exemple du Laos où l’AMBC a été implanté à l’initiative du gouvernement, avec l’appui de partenaires extérieurs), du programme «Décentralisation de l’Assurance-maladie» (DECAM) au Sénégal et du programme d’expansion de la santé éthiopien (Health Extension Program - HEP). S’ajoutent également les exemples du Rwanda et du Ghana, avant que les mutuelles soient absorbées et fondues dans le dispositif national d’assurance santé. Cet objectif est notamment résumé par le slogan du projet DECAM: «Une collectivité locale, une mutuelle de santé au moins». Dans ce cadre, le terme mutuelle ou AMBC désigne en réalité des guichets administratifs décentralisés faisant partie du secteur public ou parapublic, avec un certain aspect participatif des communautés.
Ce schéma peut intégrer deux niveaux d’intervention des mutuelles de santé ou AMBC:
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les mutuelles sont de simples guichets qui se limitent à exécuter les procédures définies au niveau national; et
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les mutuelles sont capables de proposer une couverture complémentaire ou d’offrir d’autres services à leur membres et conservent ainsi une certaine autonomie.
Encadré 8. Principales leçons apprises de l’implémentation de mutuelles/AMBC comme structures décentralisées
La déconcentration de l’assurance santé par la mise en place de mutuelles communautaires, sur l’ensemble du territoire vise à toucher toutes les populations à travers des structures de proximité. Les expériences des pays tels que l’Éthiopie, le Sénégal, le Ghana ou le Laos montrent que ce déploiement génère également la principale faiblesse de cette approche.
Dans les différents pays concernés, ces approches ont été bâties à partir d’expériences initiales prometteuses réalisées à petite échelle, mais dont les succès sont fragilisés au fur et à mesure du déploiement de l’AMBC et de sa généralisation. Celle-ci aboutit en effet à une dispersion des mutuelles communautaires et à une incapacité du promoteur national d’assurer une coordination, une supervision et un appui technique de qualité et e former les compétences nécessaires, au fur et à mesure de l’extension du système. Par conséquent, de multiples difficultés apparaissent au niveau des AMBC. Elles sont listées ci-après.
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Manque de ressources humaines et de motivation des membres des comités de gestion interviennent bénévolement, en plus de leurs autres charges de travail professionnelles
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Manque de budget et de moyens de fonctionnement
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Déficit d’actions de sensibilisation et de communication
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Dysfonctionnements dans les opérations d’enregistrement et de renouvellement des adhésions, la mise à jour des informations sur les cartes d’assurés, le dépôt des cotisations, etc.
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Imprécision ou le non-respect des procédures de gestion et des directives nationales
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Mauvaise gouvernance au niveau de certaines AMBC, le non-respect des directives nationales et des pratiques de corruption dans la gestion des demandes de remboursement des services de santé
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Insuffisance d’application des mesures de contrôle des fraudes, de sélection adverse et de prévention des dérapages des coûts des prestations
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Manque de coopération des prestataires de santé (non-respect des listes de médicaments et des tarifs, surfacturation, prestations fictives, erronées ou surchargées, délais de soumission des demandes de remboursement trop longs, etc.)
Ces difficultés tendent à décourager les nouvelles inscriptions et le renouvellement des adhésions ou d’inciter les ménages à ne renouveler leur adhésion que lorsqu’un besoin d’utilisation de services de santé est connu (chirurgie programmable, individu à fort risque de maladie dans un ménage, etc.) ce qui génère un risque de sélection adverse et entraîne des difficultés financières pour l’assurance-maladie, aggravée par une faible mutualisation des risques.
L’absorption
Un cas de figure observés à travers les études de cas est celui de l’absorption des mutuelles par le système PSS. Cette situation s’observe notamment au Laos, au Cambodge, au Rwanda après 2014 et au Ghana après 2003 où les mutuelles promues par des programmes nationaux ont été dissoutes et remplacées par des guichets ou autres structures décentralisées en charge des fonctions de proximité et de gouvernance locale. Cette approche est généralement justifiée par la volonté de renforcer l’efficience, la rationalisation et l’harmonisation de la couverture des populations.
Au Rwanda, par exemple, l’administration de l’assurance-maladie à base communautaire a été reprise et centralisée par l’Office rwandais de sécurité sociale (en anglais, Rwanda Social Security Board (RSSB)) à partir de 2015. Le personnel des mutuelles communautaires a été intégré dans le RSSB pour représenter l’assurance dans des guichets installés dans les structures de santé. De la même façon, au Ghana les 145 mutuelles de district qui fonctionnaient comme des régimes indépendants ont été, à partir de 2012, pour la plupart intégrées dans un système national d’assurance santé unique dont elles sont devenues des bureaux de district et dont la gestion technique et financière est assurée par l’Autorité nationale de l’assurance-maladie (NHIA). Au Cambodge, des régimes d’assurance-maladie à base communautaire généralement, soutenus, voire gérés généralement par une ONG internationale ou locale ont été dissous après 2018 et la couverture intégrée dans les régimes d’assurance-maladie sociale actuellement opérationnels gérés par le fonds national de sécurité sociale (NSSF). C’est également le cas au Laos où le régime des AMBC a été remplacé par «assurance-maladie nationale» reposant sur les taxes, sans prépaiement, mais avec le paiement d’un montant réduit lors de l’utilisation des services de santé; Les AMBC continuent cependant d’exister dans la capitale. Cette évolution est plus nuancée en Tanzanie où la gestion des AMBC a été reprise par le Fonds National d’Assurance-maladie (NHIF) qui transforme celles-ci en AMBC améliorées (improved Community Health Fund - iCHF) qui continuent d’appartenir aux districts et aux régions, mais avec une gestion technique assurée par le NHIF.
En France, une reprise de la délégation de gestion à des mutuelles historiques d’étudiants et de fonctionnaires a conduit à la fermeture de certaines mutuelles. D’autres ont cessés de participer à la gestion du régime obligatoire pour se cantonner dans la couverture complémentaire. La caisse d’assurance-maladie a par ailleurs proposé aux mutuelles de la fonction publique de nouveaux types de partenariat reposant notamment sur une gestion partagée et l’utilisation d’un même système d’information.
Des mutuelles en l’absence de régime de base de l’assurance publique
Au niveau mondial, le rôle des mutuelles se cantonne dans une majorité des pays à apporter une couverture complémentaire ou supplémentaire au régime de base, avec pour corollaire que peu de pays utilisent les mutuelles dans leur système de PSS pour la couverture de base (parmi ces derniers figurent ceux faisant l’objet ici d’études de cas).
Dans d’autres pays, l’absence de protection sociale en santé définissant les droits pour toute la population en termes de panier de soins et de protection financière a été à l’origine de la création et du développement de la mutualité au sein du monde du travail, notamment en Europe. Plus récemment, elle a motivé, dans des pays tels que le Burkina Faso, le Sénégal, le Mali et le Cambodge, avant les réformes récentes et la construction de schémas nationaux de PSS, la promotion d’organisation à forme mutualiste par des ONG ou partenaires extérieurs afin d’offrir une protection de base aux communautés, généralement identifiées sur une base géographique ou administrative (village, communes, district, etc.). Ces mutuelles communautaires sont ainsi généralement nées d’une dynamique exogène et mises en place dans le cadre d’une approche projet, sans législation garantissant un droit à la PSS pour les bénéficiaires, se développant ainsi dans un cadre souvent isolé. Leur déploiement s’effectue généralement par réplication d’une première expérience réussi, par une structure d’appui qui définit les paramètres techniques de l’assurance et reste fortement impliquée dans la gestion des mutuelles pendant la durée des projets. Un inventaire des mutuelles au Burkina Faso en 2020 montrait que des mutuelles mises en œuvre dans le cadre de projets réalisés par des ONG nationales et financés par des bailleurs de fonds n’étaient plus fonctionnelles après l’arrêt de ces projets, faute de suivi par les ONG (Burkina Faso, 2022). La même situation s’observe au Cambodge où des systèmes d’assurance-maladie à base communautaire ont été bâtis à partir d’un modèle d’organisation et de fonctionnement semblable et étaient gérés par des organisations non gouvernementales (ONG), avec le soutien des partenaires de développement. Ces systèmes ont commencé à décliner à partir de 2014 puis se sont arrêté en 2018, suite au retrait des projets d’appui.
Dans ces différents pays, les succès des expérimentations initiales à petite échelle ont été rapidement fragilisés lors de leur généralisation sur l’ensemble du territoire national, et de multiples difficultés ont été identifiées à travers les études de cas, en termes de gouvernance, de capacités humaines, matérielles et financières, d’efficacité des procédures, de coopération avec les prestataires, etc. auxquelles s’ajoutent l’incapacité des structures d’appui d’assurer une coordination, une supervision et un appui technique de qualité, au fur et à mesure de l’extension du système. Ces difficultés sont similaires à celles détaillées dans la encadré 8 concernant les structures décentralisées.
Encadré 9. Principales leçons apprises de l’implémentation de mutuelles/AMBC «par défaut», en l’absence d’existence d’un système national de PSS et leur reprise par les programmes AMBC
Les pays d’Amériques Latine ont abordé la problématique de l’extension de la protection sociale à partir des années 70. En Afrique, cette problématique commençait à faire l’objet de projets marginaux à partir du début des années 1990, avec le développement de systèmes à base communautaires mixant les pratiques d’entraide traditionnelles et les mécanismes d’assurance pour la couverture du risque maladie. Ces initiatives se sont multipliées avec les années 2000, promues par une grande diversité d’acteurs, afin de répondre aux besoins prioritaires des populations exclues des régimes formels de sécurité sociale. La vision alors largement partagée par l’ensemble des acteurs était que la multiplication des projets de mutuelles de santé devait finalement aboutir à une couverture pour tous.
Plusieurs leçons peuvent être tirées de cette dynamique de développement de mutuelles de santé communautaires. Diverses approches novatrices ont été développées et certaines mutuelles ont montré leur capacité à toucher une proportion importante d’individus à l’échelle d’une communauté ou d’organisations (exemple des producteurs de coton au Burkina Faso et au Bénin), avec de bons résultats en termes de protection financière apportée et d’impact sur l’utilisation des services de santé. Ces expériences ont également fortement contribué à la popularisation des mécanismes d’assurance par des populations de l’économie informelle et du monde rural.
Toutefois, malgré des expériences localement réussies, les systèmes mis en place ne couvrent globalement qu’une faible proportion de ces populations, disposent d’une faible capacité et de gestion et restent financièrement très fragiles. Globalement, ces systèmes implantés par des organisations d’appui et des financement externes dans le cadre d’approches projet ne sont pas aptes à mobiliser la confiance, le capital social ni les compétences techniques en gestion de la protection sociale (Sossa, 2010).
Par ailleurs, ces expériences ont généralement promu une vision verticale de la protection sociale avec des réponses cloisonnées pour chaque groupe de population, séparant ainsi les systèmes pour les plus pauvres, les travailleurs de l’économie informelle et du monde rural ou encore ceux du secteur formel, sans mécanismes transversaux de solidarité.
Type de fonctions exercées
Certaines fonctions semblent être plus déléguées que d’autres et/ou avec plus de succès. En particulier, l’ensemble des expériences de délégation donnait aux mutuelles conventionnées des responsabilités de proximité, c’est-à-dire de la gestion des affiliations, parfois collecte des contributions, gestion des bénéficiaires, gouvernance locale, gestion des remboursements/paiements de l’offre de soins.
La compilation très synthétique présentée dans le tableau ci-dessous ne peut traduire toutes les variations qui sont observées à travers les études de cas; elle permet en revanche de distinguer une tendance générale: le principale avantage recherché à travers la délégation de gestion est d’exploiter la relation de proximité des mutuelles auprès de certains groupes de population. Ceci est notamment le cas dans les contextes où l’économie informelle et le monde agricole rassemblent la très grande majorité des individus, avec toute la complexité qui en découle en matière d’identification, de capacité contributive et de recouvrement. Le rôle confié aux mutuelles communautaires dans le cadre des programmes de promotion de l’ABMC est dans ce cadre significatif. Les mutuelles communautaires sont développées sous la forme de mécanismes de gestion locale et participative, devant servir de porte d’entrée dans la PSS et de points de service pour une population très hétérogène et dispersée. Dans d’autres pays où l’économie formelle est plus largement développée et les individus plus facilement identifiables par la relation de travail et le cadre fiscal, le choix de la délégation repose également sur la proximité des mutuelles avec certains groupes cibles, mais se justifie plus par une volonté politique de préserver le rôle historique de mutuelles préexistantes, voire également des avantages acquis par les groupes socioprofessionnels à l’origine de ces mutuelles.
En revanche, les situations semblent plus variées pour les fonctions de décisions sur les paramètres de couverture, mise en commun des ressources, mutualisation des risques, financement (y compris les taux de contributions, si applicable) et les relations avec l’offre de soins au niveau national (contractualisation, négociations tarifaires). Ces fonctions sont centralisées et vues dans plusieurs pays comme la prérogative et le devoir des organes publics
Tableau
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Décision sur les paramètres de couverture |
Mise en œuvre |
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Population couverte |
Panier de soins |
Niveau de protection financière |
Réseau de prestataires de soins |
Information et promotion |
Affiliation |
Collecte des contributions (le cas échéant) |
Contractualisation avec l’offre de soins |
Paiement des prestations |
Prestation de services de soins |
Contrôle qualité |
Mécanismes de plaintes |
Allemagne |
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X |
X |
X |
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X |
X |
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Belgique |
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X |
X |
X |
X |
X |
X |
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Burkina Faso |
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X |
X |
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X |
X |
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Cambodge avant 2018 |
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X |
X |
X |
X |
X |
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X |
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Colombie |
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X |
X |
X |
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X |
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Côte d’Ivoire (1) |
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X |
X |
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X |
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Éthiopie |
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X |
X |
X |
X |
X |
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France |
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X |
X |
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X |
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Ghana |
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X |
X |
X |
X |
X |
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Japon |
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X |
X |
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X |
Laos |
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X |
X |
X |
X |
X |
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Mali (1) |
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X |
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X |
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X |
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Maroc |
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X |
X |
X |
X |
X |
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Rwanda |
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X |
X |
X |
X |
X |
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Sénégal |
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X |
X |
X |
X |
X |
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Tanzanie |
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X |
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X |
X |
X |
X |
X |
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Uruguay |
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X |
X |
X |
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X |
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(1) Fonction déléguées à des organismes de gestion déléguée (OGD) parmi lesquels les mutuelles
On observe ainsi une division des fonctions entre les organismes publics responsables de la PSS et les mutuelles délégataires:
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Les organismes publics en charge de la PSS conservent plusieurs fonctions clé, dites de back office:
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Dans l’ensemble des pays, les paramètres de couverture (panier de soins, taux de remboursement, taux de contribution, etc.) sont définis au niveau national et sont imposés aux mutuelles délégataires. Comme noté dans le tableau, les mutuelles dans certains pays (Cambodge, Éthiopie et Ghana) peuvent fixer ou moduler les montant de cotisation.
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L’identification des prestataires de soins se fait généralement au niveau national, dans le cadre dans le cadre d’un processus d’agrément et de conventionnement national concerté, avec ou sans la participation des mutuelles.
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Sauf dans le cas des AMBC, les risques et les ressources sont mutualisées au niveau régional ou national.
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Le suivi et le pilotage du système de PSS et de la réalisation des tâches déléguées s’effectuent au niveau national, par le déléguant ou par un organisme public dédié.
-
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Les activités déléguées aux mutuelles portent principalement sur les métier de l’assurance en lien direct avec les assurés et les prestataires de soins, dites de front office:
-
L’enregistrement et la gestion des adhésions, y compris des ménages pauvres exemptés de cotisation, avec l’appui des autorités administratives, traditionnelles et religieuses et parfois des agents de collecte pour faire du porte à porte, dans le cas des AMBC.
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Le recouvrement des cotisations. La France et la Belgique se distinguent avec la mise en place d’organismes de sécurité sociale dédiés au recouvrement.
-
Le recueil et le traitement des plaintes des usagers est souvent du ressort des mutuelles délégataires, mais certains pays ont mis en place un mécanisme régional ou national spécifique.
-
Il faut par ailleurs souligner que certaines fonctions sont menées conjointement. Le tableau 2 résume les exemples de divisions des opérations, issus des études de cas.
Tableau
Éducation/Promotion |
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Fonction des mutuelles |
Fonction de l’organisme gestionnaire |
En Belgique, les mutuelles assurent une proximité avec leurs membres à travers leurs sections et permanences mutualistes locales et organisent des actions d’information et de promotion de la santé auxquels elles attachent une importance particulière. Au Burkina Faso et au Cambodge, les ONG qui sont responsables de la mise en œuvre des mutuelles communautaires assurent avec celles-ci les action de promotion et éducation. En Tanzanie et au Sénégal, les mutuelles assurent les actions de promotion avec les agences nationales qui les accompagnent. En Colombie et en Uruguay, les mutuelles ont l’obligation de réaliser des activités de promotion et de prévention, telles que l’information, l’éducation, la formation et la communication aux affiliés. A l’exemple du Cambodge, certains systèmes mettent en place des réseaux d’agents qui font du porte-à-porte et organisent des réunions villageoises |
Dans la plupart des pays, les organismes gestionnaires de l’assurance, les ministères ou autres agences publiques réalisent des campagnes nationales, conjointement avec les mutuelles. |
Affiliation/renouvellement |
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Fonction des mutuelles |
Fonction de l’organisme gestionnaire |
Dans l’ensemble des pays, les mutuelles délégataires ont la responsabilité de l’enrôlement et l’affiliation des assurés et des bénéficiaires. En Côte d’Ivoire, des structures délégataires sont spécifiquement dédiées à cette fonction. En Uruguay, les bénéficiaires s’enregistrent auprès des prestataires de soins publics ou privés |
Au Maroc, la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS) instruit en coordination avec les mutuelles les opérations d’adhésion des employeurs, d’immatriculation et d’affiliation et de mise à jour de la situation administratives des assurés. Au Mali et en Côte d’Ivoire, l’enregistrement final des adhésion se fait au niveau de la caisse nationale. En Côte d’Ivoire, la caisse a déployé un réseau informatisé de bornes et de sites d’enrôlement sur l’ensemble du territoire qui assure l’immatriculation, l’enrôlement et la délivrance des cartes des assurés, pour combler le manque de structures délégataires. |
Recouvrement/collecte des cotisations |
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Fonction des mutuelles |
Fonction de l’organisme gestionnaire |
Dans la plupart des pays, les cotisations sont collectées par les mutuelles ou des organismes délégataires dédiés comme en Côte d’Ivoire. Les cotisations sont dans certains pays reversées à l’organisme gestionnaire |
En Belgique et en France, les cotisations sont collectées par des organismes de recouvrement de la sécurité sociale. En Uruguay, les cotisations des travailleurs et des employeurs affiliés au régime contributif sont collectées par la Banco de Previsión Social Au Maroc, les cotisation des fonctionnaires (parts employeur et travailleur) sont versées à la CNOPS |
Mise en commun/mutualisation |
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Fonction des mutuelles |
Fonction de l’organisme gestionnaire |
Au Sénégal et au Rwanda (avant 2015) les cotisations des adhérents sont conservées au niveau des mutuelles communautaires (faible mutualisation). Les subventions de l’État qui complètent ces cotisations sont mutualisés au niveau régional et national pour la prise en charge des soins secondaires et tertiaires Au Japon, les ressources et les risques sont mutualisés au niveau des mutuelles. |
Dans tous les autres pays, les ressources sont mutualisées au niveau d’un organisme public ou d’une structure fédérative auquel les mutuelles reversent les cotisations collectées. Ces organismes redistribuent les ressources et assurent une mutualisation des risques au niveau régional ou national. |
Contractualisation |
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Fonction des mutuelles |
Fonction de l’organisme gestionnaire |
Dans les programmes d’assurance-maladie à base communautaire, les mutuelles conventionnent les prestataires de soins (essentiellement publics) de leur aire d’intervention, souvent sur la base d’une convention type mise à disposition par l’agence nationale En Colombie, les EPS contractualisent avec les institutions prestataires de services |
Dans les autres pays, les conventions ou agréments sont passés par l’organisme gestionnaire de l’assurance ou par le ministère en charge de la santé. |
Paiement des prestations/achats |
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Fonction des mutuelles |
Fonction de l’organisme gestionnaire |
Dans les programmes d’assurance-maladie à base communautaire, les mutuelles assurent la fonction d’acheteur, par paiement à l’acte ou par capitation, de même que les EPS en Colombie. Au Japon, les factures des prestataires sont adressées à «l’Organisme de contrôle et de paiement des factures de soins de santé» qui les paie puis facture les mutuelles concernées. |
Dans les autres pays, les mutuelles effectuent un contrôle des prestations et font l’ordonnancement des remboursements des prestataires de soins; les paiements sont faits par la structure gestionnaire nationale (ou par les fédérations régionales en Allemagne). En France, les mutuelles payaient les prestataires puis étaient remboursées par la caisse d’assurance-maladie |
Prestation de service |
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Mutuelles qui fournissent des services de santé |
Pas de services de santé |
En Allemagne, en France, en Belgique et au Japon, les mutuelles peuvent fournir des services de santé et d’accompagnement à travers des structures sanitaires qu’elles gèrent. Au Maroc, la loi interdit aux mutuelles de gérer des services de santé; certaines mutuelles qui disposaient d’unités médicales ont créées des structures mutualistes autonomes pour gérer celles-ci. |
Les mutuelles des autres pays ne gèrent pas des services de santé |
Retour d’information/Plainte des usagers/assurance qualité |
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Mutuelles |
Autre |
En France, les mutuelles délégataires étaient responsables de la qualité des services, mais avec des déficiences importantes. Il n’existe pas au Japon un système officiel harmonisé de traitement des plaintes, les usagers s’adressent à leur mutuelle. Les membres des mutuelles communautaires peuvent se plaindre auprès de leurs représentants dans les organes de gestion (Assemblée générale et Conseil d’administration). |
En Allemagne, un service médical est chargé dans chaque région du contrôle de l’adéquation des soins et des contestations des décisions des caisses par les assurés. Le service médical est également engagé dans une démarche de certification et d’assurance qualité interne. En Colombie, des structures rattachées au ministère de la Santé recueillent les plaintes des usagers et contrôlent la qualité des prestations. |
La dernière partie de ce document de travail porte une réflexion plus approfondie spécifiquement sur la délégation de gestion comme modèle d’intérêt dans le cadre des réformes de la PSS en Afrique de l’Ouest.
Deux leçons ressortent de la revue de portée et des études de cas approfondies. Là où la délégation de gestion a eu lieu et a effectivement été fonctionnelle (ou l’est toujours):
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Elle concerne principalement les fonctions de front office, le back office (conception des paramètres du régime, mutualisation des fonds et des risques) restant une fonction régalienne.
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Elle a été possible grâce à une professionnalisation des acteurs et une architecture claire du système de PSS avec financements publics et adhésion obligatoire.
La délégation de gestion: leçon apprises et perspectives dans le cadre de la construction des systèmes de PSS au sein de l’UMEOA
Messages clés:
-
Dans les cas où elles existent déjà et ont une capacité de gestion, Il est possible d’envisager les mutuelles comme un acteur possible pouvant être mobilisé par les systèmes nationaux de PSS.
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Cela doit s’accompagner de la définition d’architecture claire de la PSS, de financement public adéquat et de capacités institutionnelles renforcée du côté gouvernemental/institutionnel pour pouvoir gérer les fonctions de mutualisation des fonds et des risques.
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La délégation de gestion suppose des compétences en gestion du côté des organismes délégataires, il est donc nécessaire d’appréhender les mutuelles dans leur diversité et d’identifier les organismes en capacité de remplir des fonctions déléguées.
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Il est important de considérer l’économie politique et ses difficultés: i) le rôle des partenaires techniques et financiers (PTF), ii) les modèles d’inspiration, iii) les questions de confiance dans les institutions publiques et le déficit démocratique dans la gouvernance de la santé et de la protection sociale en santé.
3.1. Objectifs et résultats
Concept de délégation de gestion
La revue de portée et les recherches effectuées pour ce document de travail ont permis d’identifier qu’il n’y avait pas une définition unique de la délégation de gestion dans le cadre de la PSS. Certains éléments sont toutefois communs aux expériences recensées. La délégation de gestion constitue l’une des stratégies possibles de mise en œuvre pour les organes en charge de la PSS. Elle vise à transférer une partie ou l’ensemble des responsabilités et tâches liées à la gestion à un tiers. Cette externalisation s’accompagne souvent d’une délégation de l’autorité décisionnelle associée à ces responsabilités et tâches. Elle est très commune dans le secteur de l’assurance privée (encadré 10), mais existe également dans le secteur public.
Encadré 10. Exemple de la définition technique donnée à la délégation de gestion dans le secteur de la protection sociale en France
Selon sa définition technique (1), la délégation de gestion d’assurance consiste pour un gestionnaire d’assurance-maladie (caisse assurance-maladie, mutuelle sociale, assurance privée, etc.), appelée déléguant, à confier le côté opérationnel de tout ou une partie des fonctions de gestion des opérations d’assurance à un tiers, appelé délégataire, qui effectuera ses tâches de façon autonome en utilisant ses propres ressources, humaines, matérielles et financières. Le délégataire peut être notamment un autre organisme d’assurance (mutuelle, assurance commerciale) ou une structure spécialisée dans la gestion pour compte en assurance, voire une société de courtage, un centre de gestion ou un groupe d’intérêts économiques. Il doit nécessairement disposer des infrastructures technologiques, informatiques, logistiques, mais aussi du personnel humain spécialisé afin d’apporter afin de garantir une qualité de service pour les fonctions qui lui sont confiées. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’un prestataire de service comme un autre car il agit au nom du déléguant et doit pour cela très bien connaître celui-ci ainsi que ses objectifs et ses modalités d’action.
On notera par ailleurs que la délégation de gestion se distingue de deux autres concepts:
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la délégation de fonction qui implique le transfert de tâches ou de responsabilité spécifiques à une personne ou à un département au sein d’une organisation;
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la délégation de service public qui est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public (gestion d’une structure de santé, ramassage de déchets, etc.) à une personne morale de droit privé ou public. Dans ce cas, la personne morale délégataire doit assumer les responsabilités et les obligations liées à la gestion du service public, telles que l’obligation de continuité du service, la qualité du service, la transparence et la sécurité des usagers (2)
(1) Cette définition est tirée des ressources en ligne de sociétés de conseil et sociétés spécialisées dans la délégation de gestion de contrats santé (notamment Optimind et Hélium).
(2) https://www.legifrance.gouv.fr/
La délégation de gestion est une pratique courante dans le champ de l’assurance privée commerciale. Elle se rencontre également dans le cadre des systèmes publics d’assurance-maladie; comme souligné plus haut, elle est observée, au moins à certains moment de l’évolution des systèmes de PSS, dans plusieurs pays concernés par les études de cas dont la France, le Japon, la Belgique, le Maroc, l’Uruguay, la Colombie ainsi qu’avec certaines mutuelles au Ghana.
En Afrique de l’Ouest, ceci est également le cas au Mali et en Côte d’Ivoire où des fonctions de l’assurance publique sont transférées à des organismes délégataires, dont des mutuelles de santé. La délégation de gestion est également prévue dans la loi n°060-2015/CNT portant régime d’assurance-maladie universelle au Burkina Faso. Le Sénégal a en revanche opté pour une gestion décentralisée de l’assurance, confiée à des mutuelles de santé communautaires et leurs unions départementales et régionales.
Dans ces contextes où le potentiel de mobilisation des acteurs communautaires peine à se réaliser et où l’opérationnalisation des politiques de couverture santé universelle reste largement discutée, les expérience de gestion déléguées sont récentes et encore peu documentées; il est proposé ici d’examiner ici les leçons qui peuvent être tirées des études de cas concernant les expériences de gestion déléguée en vue d’alimenter le débat sur les architectures permettant de couvrir l’ensemble de la population, y compris les ménages dépendant de l’économie informelle et rurale, au sein de l’UEMOA.
Objectifs initiaux
Les attentes en matière d’externalisation des fonctions de gestion de l’assurance peuvent se résumer en trois grands points, tels qu’identifiés dans les études de cas et la documentation disponible:
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Quel que soit son processus de construction, la gestion des fonctions au sein d’un système national de protection sociale en santé est complexe. Elle nécessite de mettre en place une très large palette de métiers et se doter de compétences polyvalentes (juridiques, techniques, commerciales, relationnelles, organisationnelles, numériques, etc.). Un organe gestionnaire de PSS peut par conséquent choisir de confier à des tiers spécialisés certaines tâches opérationnelles ou administratives pour lesquelles ceux-ci ont un avantage comparatif (Tessi, 2022). Ces avantages peuvent néanmoins être contrebalancés par des inconvénients parmi lesquels la perte de certaines compétences et un risque de dépendance du délégant vis-à-vis du délégataire ou de défaillance de ce dernier.
-
L’externalisation de certaines fonctions permet plus de souplesse face à la nécessité permanente de s’adapter aux multiples mutations de son environnement (politiques, réglementaires, sociétales, technologiques, démographiques, économiques, etc.) qui transforment à la fois l’organisation des activités, des métiers et des profils de compétences. Ceci nécessite cependant que les délégataires disposent également d’une forte capacité d’adaptation à ces changements.
-
Les systèmes publics de PSS doivent pouvoir disposer de circuits de distribution, un système national devant s’adapter aux spécificités de différentes catégories de population, ce qui est souvent un défi, surtout dans les pays à faible revenus. Certains groupes de populations peuvent être plus éloigner de l’environnement institutionnel et administratif déployé par le secteur public, en particulier les populations vivant en zones rurales, les travailleurs de l’économie informelle et leurs familles, les populations migrantes ou déplacées ou encore les populations subissant des discriminations. Cette distance physique et/ou morale entre les organes publics en charge de la PSS (et de la protection sociale et des services sociaux en général) peut justifier le recours à des organismes privés (souvent sans but lucratif) pour créer un lien avec les populations cibles, tels que les associations, les coopératives et les mutuelles. Ainsi, par exemple, la gestion déléguée des adhésions et des recouvrements à un réseau de mutuelles ou autres organisations de proximité, évite à une caisse nationale d’assurance santé de déployer des efforts particulièrement importants pour toucher les populations de l’économie informelle et du monde rural où ces organisations sont déjà présentes. Une illustration en est le contrat de délégation entre la Caisse nationale d’assurance-maladie et l’Union technique de la Mutualité au Mali (encadré 11). Au-delà de ces points, le principal objectif d’un système national basé sur l’articulation de différents mécanismes, à travers une délégation de gestion, devrait être de bâtir un système national unifié offrant une couverture à toutes les catégories de la population, en gardant à l’esprit que l’atteinte la couverture universelle dépend de la capacité des parties prenantes nationales à mettre en cohérence différentes mesures telles l’adhésion obligatoire ou automatique (ou des mesures incitatives pour les régimes volontaires), la mutualisation élargie des risques, le financement par l’impôt pour les ménages les plus pauvres, la proximité et la simplification des procédures pour les assurés, etc.
Encadré
La réforme du système national de protection sociale en santé entamée au Mali en 2015 vise à rassembler les dispositifs mis en place dans les années 2000, afin d’offrir à l’ensemble de la population malienne un Régime d’assurance-maladie universel (RAMU) qui couvrira toutes les catégories sociales par des mécanismes plus adaptés.
Pour atteindre cet objectif, cette réforme confie la gestion du RAMU à la Caisse nationale d’assurance-maladie (CANAM). Dans ce nouveau schéma, la CANAM délègue une partie de ses compétences à des organismes de gestion déléguée (OGD) dont la mutualité, au travers d’un contrat avec l’Union Technique de la Mutualité Malienne (UTM) ou d’autres faitières de mutuelles, pour le secteur agricole et informel ainsi que les bénéficiaires du RAMED. L’UTM dispose d’un réseau de mutuelles communautaires rurales et de mutuelles interprofessionnelles en milieu urbain et semi-urbain.
Comme souligné plus haut, l’inclusion des mutuelles de santé dans les systèmes nationaux de PSS, comme délégataires de gestion, s’appuie sur leur plus-value a priori, notamment:
-
Leur ancrage social et leur relation de proximité avec certains groupes de population. Dans les pays où l’économie informelle et le monde agricole rassemblent la majeure partie de la population et où la relation directe entre ceux-ci et l’administration se heurte à un manque de confiance, du fait de piètres performances de l’État en matière de prestation de services dans différents domaines, les mutuelles ont un rôle d’intermédiaire très important.
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Leur capacité à adapter et simplifier les procédures administratives souvent compliquées, fastidieuses et chronophages qui découragent l’adhésion aux régimes de sécurité sociale. Pour les travailleurs informels, le coût temporel de l’inefficacité des systèmes et des obstacles administratifs constitue en effet une barrière à l’accès aux systèmes de protection sociale.
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Outre la confiance, leur proximité leur confère un rôle potentiel majeur en matière de promotion et de prévention. En France, cela se traduit par l’éducation à la santé et le renforcement de la participation des patients aux instances de santé, des activités de lutte contre le tabagisme ou l’obésité, ou encore des activités de prévention sur la sécurité routière, les conditions de travail, le dépistage, la santé bucco-dentaire. En Belgique, les mutualités attachent également une importance particulière à l’information et à l’éducation à la santé. Dans ce cadre elles ont signé en 2016, avec le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, un «pacte d’avenir avec les organismes assureurs» qui renforce leur rôle d’information des assurés sur le système de soins de santé et la santé en général, de responsabilisation des patients et de promotion de modes de vie sains.
La documentation disponible ne permet pas d’analyser le coût /efficacité ni l’efficience des différentes approches en matière d’organisation des métiers de l’assurance entre fonctions de gestion. De même, il n’est pas possible de mesurer les effets de la délégation de gestion sur la réduction des barrières financières d’accès aux soins et le financement additionnel pour les prestataires de soins, comparativement aux situations ou des mutuelles interviennent sans être délégataires dans un système de PSS. Cette analyse est d’autant plus complexe que d’autres mécanismes impactent directement le niveau de couverture de la population, surtout l’application d’une adhésion obligatoire, la mobilisation de ressources au sein de l’espace budgétaire pour le financement de la couverture des individus pauvres, etc.
Des résultats pas toujours conformes aux objectifs initiaux
Les études de cas permettent de relever que les atouts a priori identifiés ci-dessus ne sont pas pleinement exploités dans certains pays, du fait de faiblesses liées à l’organisation même de la délégation de gestion ou des acteurs de celle-ci:
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Au niveau du cadre juridique et réglementaire, l’expérience du Burkina Faso, visant à déléguer aux mutuelles sociales la couverture des personnes indigentes, illustre la nécessité de fixer le statut des organismes délégataires de gestion. Les mutuelles sociales ne disposant pas d’une reconnaissance formelle de l’administration dans le cadre de la réglementation de l’UEMOA, la Caisse nationale d’assurance-maladie universelle (CNAMU) a finalement délégué la gestion de la prise en charge des ménages indigents aux ONG qui fournissent un appui technique aux mutuelles, mais n’ont pas un rôle de gestion. De plus, il n’y a pas eu de discussions préalables suffisantes, notamment concernant la nature des fonctions déléguées, le panier de soins couvert et les mécanismes de pilotage. Globalement, la stratégie d’externalisation ne semble pas avoir été comprise de la même façon par tous les acteurs.
-
L’expérience du Maroc souligne les faiblesses potentielles au niveau du gestionnaire de l’assurance-maladie. La Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS) s’est trouvée en difficultés, partagées entre trois lois régissant son statut de mutualité et les régimes d’assurance-maladie obligatoire (AMO) à sa charge: loi sur AMO public, loi sur AMO Etudiants. La CNOPS n’a pas mis en place certaines dispositions réglementaires, concernant notamment l’établissement des budgets pour chaque régime. Elle a par ailleurs souffert de lacunes en matière de d’administration et de gestion, avec notamment des dysfonctionnements observés au niveau des réunions de son conseil d’administration.
-
Le Mali illustre une faiblesse importante liée au non-respect de leurs obligations par les organismes délégataires, l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS) et la Caisse Malienne de Sécurité Sociale (CMSS), se traduisant par:
-
une faible implication dans la collecte des dossiers des assurés en vue de leur immatriculation (pré-enrôlement);
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un reversement partiel à la Caisse nationale d’assurance-maladie (CANAM) des cotisations collectées et le non-respect des délais;
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l’absence de justification auprès de la CANAM des montants reçus par les OGD dans le cadre des dotations de fonctionnement; et
-
le non-respect des directives de la CANAM en matière de liquidation des feuilles de soins, surtout en ce qui concerne le contrôle du respect par les prestataires de soins des tarifs conventionnés.
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-
En France, les dysfonctionnements et les coûts élevés de la délégation de gestion, s’agissant des régimes des fonctionnaires et des étudiants, ont abouti à l’arrêt de la délégation et l’intégration des assurés dans le régime général. Les faiblesses relevées portaient sur l’éclatement du système de protection sociale en santé avec une multiplicité de mutuelles pour les fonctionnaires et pour les étudiants, des coûts de gestion supérieurs à ceux du régime général et une qualité de service jugée très discutable au niveau des mutuelles d’étudiants.
3.2. Étapes et processus clés de la délégation de gestion Prérequis et éléments clé d’un processus de délégation de gestion
Face aux écarts entre les attentes et les résultats constatés dans les études de cas, celles-ci permettent également de relever plusieurs éléments clé qui favorisent la réussite des processus de délégation de gestion.
La définition d’une architecture nationale claire du système de PSS
Un premier prérequis est la définition d’une architecture claire et consensuelle du système national d’assurance santé, visant à donner effet au droit à la PSS à toute la population et précisant la nature des différents mécanismes qui composant le système de PSS ainsi que les articulations opérationnelles entre eux. Comme le montrent les expériences des différents pays observés, cette architecture est le fruit d’un processus continu qui nécessite pour chaque acteur, y compris les mutuelles de santé, de disposer de capacités d’innovation et d’adaptation aux réformes.
Définir un cadre réglementaire adapté de la mutualité et de la délégation de gestion, aligné avec le cadre réglementaire de la PSS
L’absence de définition claire et de statut juridique des mutuelles de santé peut constituer un frein au transfert de fonctions au sein d’un système de PSS. Ainsi, l’expérience du Burkina Faso est représentative de l’incapacité des mutuelles à intervenir lorsque leur statut n’est pas clairement défini. En Côte d’Ivoire, la Mutuelle Générale des Fonctionnaires et Agents de L’État de Côte d’Ivoire (MUGEF-CI) a dû se restructurer pour se conformer au Règlement n°07/2009/CM/UEMOA sur les mutuelles sociales afin de bénéficier du statut d’organisme de gestion déléguée.
Les réformes qui balisent les processus d’évolution des architectures des système de PSS dans les différents pays sont fixées par des textes légaux qui cadrent, au moins dans les grandes lignes, les relations entre les différents acteurs, comme illustré dans le point suivant. Par exemple en France la délégation de gestion est encadrée par le Code de la sécurité sociale, le Code de l’assurance et le Code de la mutualité. Ces textes précisent les modalités de la délégation, les obligations respectives des parties, ainsi que les règles de gestion financière et comptable applicables. Le cadre juridique prévoit également un ensemble de dispositions relatives à la protection des assurés, notamment en ce qui concerne l’information, la confidentialité des données, la gestion des réclamations et la continuité de service. Par ailleurs certains pays ou ensemble de pays mettent en place des règles prudentielles qui imposent une régulation aux délégataires de gestion (encadré 12).
Encadré
Même si elle concerne les compagnies d’assurance et de ré-assurance, la directive européenne Solvabilité II 4 illustre la construction d’un cadre réglementaire qui impose des principes clairs en matière de transferts de fonctions au sein des pays de l’Union européenne:
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Les gestionnaires de l’assurance conservent l’entière responsabilité de l’ensemble des obligations qui leur incombent lorsqu’ils recourent à l’externalisation des fonctions ou des activités d’assurance;
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Les gestionnaires de l’assurance s’abstiennent de déléguer les activités ou des fonctions opérationnelles importantes ou critiques dont l’externalisation serait susceptible de:
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compromettre gravement la qualité du système de gouvernance de l’entreprise concernée;
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accroître indûment le risque opérationnel;
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compromettre la capacité des autorités de contrôle de vérifier que l’entreprise concernée se conforme bien à ses obligations; et
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nuire à la prestation continue d’un niveau de service satisfaisant (UE, 2015) (Krajeski, 2019).
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Cadre contractuel
Le cadre réglementaire définit notamment la forme et le contenu des conventions qui lient le déléguant et les délégataires. Ce cadrage de la relation entre le gestionnaire de la PSS et les mutuelles qui interviennent comme délégataires est essentiel et porte notamment sur:
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L’élaboration et l’application stricte de conventions de délégations claires, complètes et cadrées, avec des cahiers des charges qui définissent les règles de gouvernance et des indicateurs de suivi des activités déléguées;
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L’instauration d’une fluidité opérationnelle et d’une communication transparente et permanente entre les acteurs. Un dialogue permanent doit être instauré pour des éventuels ajustements nécessaires de la convention de délégation;
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La mise en place d’une autorité de régulation afin d’arbitrer les relations entre les acteurs de la délégation des fonctions;
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L’application d’un système efficace de contrôle des délégataires de gestion soutenu par une production d’information transparente et des rapports de contrôle, avec si nécessaire des recommandations opérationnelles.
Le cadre contractuel est cependant est peu documenté et il faut aller rechercher dans l’assurance commerciale, où la pratique de la délégation de gestion est courante, pour trouver les grandes lignes d’une convention de délégation de gestion qui porte notamment sur:
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Le périmètre d’intervention et les rôles et responsabilité du déléguant et du délégataire de gestion.
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La gouvernance et l’instauration des instances qui permettront de faire le point régulier sur la réalisation des activités, la mise en œuvre du plan d’action, les difficultés rencontrées, etc. Cet aspect est particulièrement important en phase de démarrage opérationnel de l’externalisation des activités qui peut nécessiter des ajustements.
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La communication entre les deux parties afin de favoriser une communication transparente et fluide, sans attendre des comités de pilotage pour faire remonter les dysfonctionnements, et de construire une relation de confiance.
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Les reportings réguliers et transparents que le délégataire de gestion doit fournir à l’assureur santé.
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La sécurisation de la convention permettant au déléguant d’être en mesure d’auditer son délégataire. Le gestionnaire d’assurance doit en effet pouvoir identifier et anticiper toute situation de défaillance ou d’interruption des fonctions déléguées qui aurait un impact négatif, voire catastrophique, sur les activités de l’assurance-maladie, notamment concernant la gestion des assurés ou le traitement des remboursements dans des délais raisonnables.
Ce type de convention se retrouvait par exemple dans l’expérience du Régime social des indépendants (RSI) en France (avant son intégration dans le régime général). La caisse nationale en charge de la gestion du RSI concluait des conventions de délégation précisant le champ géographique d’intervention des «organismes conventionnés» (OC). Ces conventions fixaient par ailleurs des conditions supplémentaires pour ces OC:
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Appartenir à une des catégories énumérées par l’article L611-79 du code de la sécurité sociale, soit: organisme mutualiste, société d’assurance, groupement de sociétés d’assurance ou d’organismes relevant du Code de la Sécurité sociale
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Présenter des garanties de leur aptitude à remplir les obligations de gestion du régime
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Disposer d’une comptabilité analytique permettant d’identifier les dépenses afférentes à la gestion du régime d’assurance-maladie du RSI
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Disposer de garanties financières
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Disposer d’une structure d’accueil dans chacune des circonscriptions où l’OC est autorisée à opérer
Autre exemple, la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) au Mali passe une convention de gestion avec chaque organisme de gestion déléguée (OGD) qui intervient dans l’opérationnalisation du Régime d’assurance-maladie universelle (RAMU). Cette convention précise selon le besoin les fonctions qui sont déléguées. Elle s’accompagne d’un contrat d’obligation et de protocoles d’encadrement conclus entre la CANAM et les OGD qui fixent le détail des devoirs et obligations de chaque partie. En contrepartie de leurs obligations, les OGD reçoivent une dotation administrative destinée aux frais de fonctionnement et une dotation technique destinée au paiement des prestations. Le Décret n° 10-580/PR-M du 26 octobre 2010 portant approbation de la convention type de délégation de gestion dans le cadre de l’assurance-maladie obligatoire fournit une convention type. La délégation de gestion est ainsi expérimentée par la CANAM en partenariat avec l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS) et la Caisse Malienne de Sécurité Sociale (CMSS), dans le cadre de l’Assurance-maladie Obligatoire. Cette délégation doit être étendue à deux nouvelles OGD, l’Union Technique de la Mutualité (UTM) et l’Agence Nationale d’Assistance médicale (ANAM).
En Côte d’Ivoire, la Caisse Nationale d’Assurance-maladie impose aux compagnies d’assurance, aux sociétés commerciales de gestion maladie et aux mutuelles sociales de se doter des capacités techniques de gestion, afin d’être performante et garantir une relation contractuelle durable en qualité d’organisme de gestion déléguée avec la CNAM. Cette mise en conformité s’inscrit dans le cadre d’un cahier des charges à respecter par les OGD et qui prévoit notamment:
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le respect par l’OGD des normes de gestion de sa catégorie (Code de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance, Règlement Communautaire de la Mutualité Sociale de l’UEMOA, Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires …);
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le maintien d’un effectif minimum de bénéficiaires afin d’éviter la démultiplication d’OGD de petite taille qui entraînerait une surcharge de travail, liée à la démultiplication de conventions d’OGD en charge de l’affiliation à piloter pour la CNAM;
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la mise à niveau technique et l’intégration dans les plateformes informatiques et systèmes d’information et de suivi.
Ces contraintes ont eu pour effet d’écarter les mutuelles sociales qui interviennent à petite échelle au sein du secteur informel et du monde agricole et souffrent de la faiblesse de leur gestion technique.
Un dernier exemple est celui du Maroc où le décret-loi n° 2-18-781 autorise la CMAM à déléguer une partie de ses missions aux mutuelles du secteur public ainsi qu’à toute personne morale de droit public ou privé selon les conditions fixées par une convention validée par le conseil d’administration et sur la base d’un cahier des charges portant sur:
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la nature des prestations et la procédure de la gestion de l’opération du remboursement des prestations garanties;
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les délais de remboursement;
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l’organisation administrative et financière, la répartition géographique, les coûts de gestion et les informations et statistiques relatives aux activités;
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les modalités de réalisation du contrôle administratif et de l’audit et les conditions d’accès aux données;
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les modalités de réalisation du contrôle médical;
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la qualité des prestations rendues aux assurés;
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le système d’information et les modalités de gestion des archives des dossiers de maladie; et
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les sanctions administratives en cas de manquement aux dispositions des conventions ou aux conditions des cahiers des charges.
Tableau
Déléguant |
Délégataire |
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Source: Codes des assurances, France
La supervision
Dans la plupart des pays, les activités des mutuelles et autres organismes délégataires sont supervisées et contrôlées par
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Un organisme public, tel que l’Office de contrôle des mutualités et des unions nationales de mutualités (OCM) en Belgique. Au Maroc, l’Agence Nationale de l’Assurance-maladie (ANAM) a pour missions principales la régulation et l’encadrement du régime de l’Assurance-maladie Obligatoire. L’Agence de la Couverture Maladie Universelle (ACMU) au Sénégal encadre les mutuelles communautaires ont elle est aussi en charge de la promotion.
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Le ministère de tutelle, au Cambodge, en Colombie, au Laos, au Rwanda (avant 2015)
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L’organisme de gestion de l’assurance santé qui est le déléguant, par exemple au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en France, au Ghana, en Tanzanie.
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Plusieurs entités, comme en Allemagne où le contrôle de la légalité et des activités des caisses est distribué entre le niveau fédéral, les Länder et les communes ou en Éthiopie où L’Agence éthiopienne de l’assurance-maladie (AEAM) et le ministère fédéral de la Santé agissent en tant qu'unités de supervision des AMBC.
Les capacités institutionnelles et de gestion au sein des mutuelles et de ces organismes publics responsables de la PSS sont naturellement des facteurs importants de réussite des systèmes d’assurance santé. Elles constituent pourtant l’une des principales faiblesses des programmes d’AMBC. Ceux-ci débutent en effet généralement par des expériences pilotes à petite échelle sur lesquelles il est possible de concentrer un appui technique et financier important. Pa la suite, dans une dynamique de passage à l’échelle, les mêmes appuis ne peuvent être apportés à chaque nouvelle mutuelle communautaire au regard des ressources humaines et financières qu’il est nécessaire de déployer. Par exemple, au Cambodge, le ministère de la Santé n’avait pas la capacité de mettre en œuvre le contrôle ou d’assurer le suivi des résultats des mutuelles. Au Sénégal, le déploiement d’un nombre important de mutuelles communautaires (676 mutuelles plus leurs unions) pose la question de la capacité de fournir un appui technique suffisant et de gérer un flux d’information particulièrement important. Aussi la stratégie nationale s’oriente-t-elle vers la fusion de ces mutuelles à l’échelle des communes dans des mutuelles départementales et régionales afin de concentrer la gestion de l’assurance-maladie et focaliser l’appui technique sur un nombre limité de structures.
3.3. Rôles et responsabilités
Le rôle de l’État
La majorité des États se sont engagés dans la formulation et la mise en œuvre de stratégies nationales d’extension de la couverture du risque maladie et de promotion de la santé, dans une perspective universelle. Dans ce cadre, la responsabilité de l’État est double:
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L’État définit le cadre juridique de la PSS: Les stratégies nationales s’appuient sur les normes internationales en PSS qui ne sont pas de nature prescriptive concernant les arrangements institutionnels et administratifs et chaque État est libre de choisir ses propres options pour la mise en œuvre de garanties de base, en veillant au respect de certains principes directeurs, notamment la responsabilité finale de l’État (OIT, 2020b). Aussi, les architectures des systèmes de PSS varient-elles d’un pays à l’autre, afin d’être acceptables, équitables et efficaces et de s’adapter aux circonstances nationales.
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Dans ce cadre, il appartient à chaque État de conduire dialogue national avec toutes les parties prenantes afin de définir, de façon participative et consensuelle, les priorités du système de PSS et les choix en matière de couverture, de financement, d’organisation et de fonctionnement. Le défi pour chaque État est de bâtir un système national unifié offrant une couverture à toutes les catégories de la population. Il nécessite de mettre en cohérence différentes mesures telles l’adhésion obligatoire ou automatique (ou des mesures incitatives pour les régimes volontaires), la mutualisation élargie des risques, le financement par l’impôt pour les ménages les plus pauvres, la proximité et la simplification des procédures pour les assurés, etc. L’État doit ainsi définir sur une base légale la population couverte, le panier des prestations auxquelles elle a droit, le niveau de protection financière face aux coûts de ces prestations et le réseau de prestataires qui les délivre. Il désigne ensuite le ou les organes publics en charge de la mise en œuvre. Ceux-ci peuvent confier, dans le cadre d’une mission de service public, certaines tâches à des délégataires de gestions.
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L’État est responsable de la régulation des opérations et des relations entre les différents dispositifs de l’assurance nationale: en phase d’opérationnalisation et de fonctionnement, l’État dispose d’un droit de regard général sur les régimes auxquels l’autorisation de fonctionner a été donnée, en référence aux textes législatifs et réglementaires qui les régissent. Le champ de la tutelle de l’État est plus ou moins étendu. Au minimum, les ministères de tutelle vérifient a priori, au moment de donner l’agrément à un régime, la conformité aux textes de la configuration et du fonctionnement d’un régime (par exemple aux dispositions du Règlement portant réglementation de la mutualité sociale au sein de l’UEMOA, voir encadré plus bas) ainsi que sa viabilité. Au-delà, l’État peut aussi vérifier a posteriori que les engagements pris à l’égard des populations sont tenus et que la gestion du régime est conforme aux normes légales, à travers notamment des procédures de contrôle.
On notera ici l’influence des organisations supranationales. Ainsi, l’Union européenne a adopté en 2009 la directive Solvabilité II qui est entrée en application en 2016 et fixe un ensemble de règles visant à renforcer la solvabilité des entreprises d’assurances dans les pays membres, y compris les mutuelles délégataires, notamment concernant les principes liés à la délégation de gestion. L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) s’est engagée depuis plusieurs années dans un processus de mise en œuvre de réformes politiques et institutionnelles tendant à améliorer l’état de santé des populations de l’espace communautaire par un meilleur accès financier aux soins de santé. Dans cette perspective, L’UEMOA a adopté, en juin 2009, le Règlement n°07/2009/CM/UEMOA portant réglementation de la Mutualité Sociale. Elle a ensuite initié des programmes et projets dont le Projet d’Appui à l’extension de la Couverture du Risque Maladie dans les États membres (PACRM), en partenariat avec l’Agence Française de Développement (AFD), afin d’accompagner la mise en œuvre de la Réglementation. Cette réglementation devait notamment permettre de renforcer les mutuelles afin qu’elles deviennent des acteurs solides des systèmes de PSS. Cependant, au regard des observations précédentes concernant une nécessaire distinction entre les mutuelles de santé et l’assurance-maladie à base communautaire, et après une quinzaine d’années de mise en œuvre, une relecture ou révision du Règlement de 2009, serait utile pour «écrémer» le paysage de la mutualité. En d’autres termes, il serait utile de donner un autre espace à l’assurance-maladie à base communautaire afin que celle-ci développe ses propres définitions et caractéristiques, sans confusion avec la mutualité.
Encadré
Le développement du mouvement mutualiste particulièrement important à partir des années 2000 et leur rôle dans les politiques d’accessibilité des populations aux soins de santé a attiré l’attention de la Commission de l’UEMOA. Ces mutuelles se développaient en effet en dehors d’un cadre légal approprié; seulement deux États dans l’UEMOA (Mali et Sénégal)* disposaient d’une loi régissant les mutuelles. Un processus d’élaboration d’une réglementation adaptée a été entrepris à partir de 2005 par la Commission de l’UEMOA, avec le soutien du BIT et des mutualités française et belge. Ce processus visant à consulter et impliquer les principaux acteurs concernés, a abouti à l’adoption, le 26 juin 2009 du Règlement n°07/2009/CM/UEMOA portant réglementation de la Mutualité Sociale au sein de l’UEMOA.
L’objectif fondamental visé par ce texte, complété par des règlements d’exécution, est de mettre en place une réglementation uniforme, transparente et efficace permettant d’assurer une saine promotion de la mutualité sociale (qui inclut les mutuelles de santé) dans l’espace UEMOA. Ce cadre juridique permet de codifier les modalités de création, d’organisation et de fonctionnement des organismes relevant de la mutualité sociale et d’assurer une gestion rationnelle des risques, en vue de favoriser l’accès aux services sociaux de base pour les populations des États membres de l’UEMOA. Il prévoit en outre la mise en place par chaque État membre d’un organe administratif de la mutualité sociale, d’un registre national d’immatriculation des mutuelles sociales et d’un fonds national de garantie, destiné à préserver les droits des membres des mutuelles sociales.
* Les pays membres de l’UEMOA sont: Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Niger, Mali, Sénégal, Togo
Le rôle des organismes gestionnaires de la PSS
Les organismes en charge de la gestion d’un système national de PSS sont eux-mêmes en charge d’une mission qui leur a été confiée par l’État. Comme souligné plus haut, face à la diversité et la complexité des métiers de l’assurance et autres connexes, le choix du gestionnaire peut être de déléguer certaines tâches à d’autres acteurs afin de se concentrer sur certaines fonctions importantes ou critiques.
Déléguer n’est cependant pas synonyme de se décharger de certaines responsabilités sur ces acteurs et le déléguant reste le responsable de la mission et des objectifs qui lui ont été confiés par l’État. Dans ce cadre, il doit superviser et contrôler les activités du délégataire, afin de s'assurer que les objectifs de la délégation sont atteints et que les intérêts des assurés sont protégés.
Les études de cas montrent que les caisses nationales d’assurance-maladie exercent cette activité de contrôle et de supervision lorsque des conventions sont passées avec des mutuelles ou autres délégataires de gestion. Toutefois, une supervision plus globale s’exerce également au niveau étatique par les ministères qui ont la tutelle du système national de PSS ou par des organismes publics (exemple de la Belgique) ou encore par plusieurs entités nationales et régionales, par exemple en Allemagne ou en Colombie.
Outre les fonctions observées plus haut, on constate également que les organismes gestionnaires de la PSS développent des outils, notamment des systèmes d’information mis à disposition des délégataires afin d’harmoniser la production d’information ainsi que des mécanismes tels que le paiement des cotisations et/ou des prestations via des plateformes mobiles.
Encadré
L’expérience du Burkina Faso illustre les risques liés à d’un démarrage trop précipité et un cadrage initial insuffisant des fonctions déléguées. Cette expérience visait à tester la capacité des mutuelles à assurer des fonctions assurantielles déléguées par la CNAMU, pour la couverture des personnes indigentes, ainsi que la pertinence des outils de gestion du RAMU dans la perspective d’une extension à l’échelle nationale et à d’autres catégories d’assurés. Il n’y a cependant pas eu de discussions préalables suffisantes, notamment concernant la nature des fonctions déléguées, le panier de soins couvert et les mécanismes de pilotage. Les procédures de production d’information ainsi que les mécanismes de suivi-évaluation de la mobilisation sociale, de l’enrôlement, de la fourniture et du paiement des prestations prévus dans les conventions n’ont pas été appliquées. Globalement, la stratégie de couverture des personnes indigentes ne semble pas avoir été comprise de la même façon par tous les acteurs.
Le rôle des ONG nationales et des partenaires extérieurs dans le contexte des pays à revenus faibles et moyens
Le rôle des organisations non gouvernementales (ONG) locales est faiblement abordé dans la documentation utilisée pour la réalisation des études de cas qui accompagnent ce document de travail. Pourtant, celles-ci se sont progressivement positionnées comme des agences d’exécution de programmes locaux ou nationaux de promotion de mutuelles de santé. Leur action est particulièrement importante dans la réalisation des programmes de promotion de mutuelles communautaires qui souvent se traduisent par la réplication d’un modèle générique (panier de soins, outils, mécanismes de gouvernance et de gestion, etc.) d’une commune (ou autre entité administrative) à une autre. Il est fréquent par ailleurs de voir ces ONG parler au nom des mutuelles qu’elles appuient, ce qui amène à une certaine confusion entre ces structures d’appui et les organisations mutualistes qu’elles accompagnent.
Force est de constater que les mutuelles communautaires ainsi promues répondent bien aux nécessités de résultats rapides des partenaires techniques et financiers dont les programmes sont limités dans le temps. L’essaimage de mutuelles communautaires peut en effet rapidement permettre de justifier un nombre conséquent de communes couvertes et d’afficher des quantités importantes de personnes enregistrées. Elles répondent également bien aux capacités des ONG qui disposent d’une forte habitude de travail avec les communautés, mais souffrent d’une expertise technique souvent limitée en matière de gestion de l’assurance santé. Les résultats techniques faibles et les problèmes de viabilité des mutuelles communautaires sont souvent la conséquence de cette capacité d’appui limitée, mais cette cause est fréquemment masquée par d’autres raisons généralement mises en avant telles que le manque de compréhension de l’assurance par les communautés locales et leur faible capacité contributive.
Ce constat est un autre argument en faveur d’une distinction claire entre les différents types d’organisations communément appelées mutuelles ou AMBC identifiés dans la section 1.2. Dans ce cadre, il s’agirait de:
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Revisiter l’approche tout en valorisant le savoir-faire des ONG en matière de mobilisation des communautés.
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Plaider auprès des partenaires extérieurs pour un soutien aux systèmes nationaux de PSS et à l’investissement dans des mutuelles si elles s’inscrivent dans ce cadre, avec un accompagnement des organisations de travailleurs et autres regroupements pour pouvoir déléguer des fonctions à des structures mutualistes ayant une solide assise sociale et disposant de toutes les compétences nécessaires. Il s’agit ici surtout pour les partenaires extérieurs d’accepter d’investir dans des interventions où l’aspect qualitatif prime (formation des compétences, procédures efficaces de gestion technique et financière, production d’information, etc.) et dont les résultats quantitatifs (nombre de bénéficiaires, etc.) ne seront pas immédiatement importants.
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Enfin, l’appui technique extérieur ne devrait pas occulter l’expertise et le savoir-faire acquis par les mutuelles au sein des administrations publiques ainsi que celles mises en œuvre par des organisations professionnelles ou corporatistes. Celles-ci constituent un vivier de compétences et d’expertise.
Les prérequis au niveau des mutuelles
Les mutuelles professionnalisées sont en général rapidement identifiées et conventionnées comme délégataires de gestion, quand elles existent au moment de la création ou de l’extension de systèmes nationaux de PSS. C’est également le cas des mutuelles communautaires, bien que celles-ci sont souvent confrontées à de multiples difficultés, soulignées plus haut, qui handicapent leur développement et leur rôle au sein des stratégies de protection sociale en santé:
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La gestion de la PSS ne s’improvise pas; elle demande au contraire de la technique, des ressources matérielles et des ressources humaines compétentes. Pourtant, la gestion des mutuelles communautaires souffre d’un manque de capacités techniques et leur gestion résulte de multiples handicaps liés à leurs caractéristiques:
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Elles interviennent dans le secteur informel et le mode agricole où la mobilisation des compétences nécessaires est difficile est impose un travail important de formation des équipes de gestion.
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L’appui-conseil reçu par les mutuelles est rare et généralement inadapté. De nombreuses mutuelles reçoivent un appui extérieur, mais il est souvent insuffisant pour permettre de dépasser l’ensemble des difficultés de gestion et d’orientation stratégique. Le transfert de compétences et de techniques en assurance et en gestion des risques reste partiel et ne comble pas le déficit en ressources humaines. Comme souligné plus haut, force est de constater que les structures d’appui (ONG, projets, etc.) ne disposent elles-mêmes pas toujours des compétences nécessaires et se limitent souvent à «copier/coller» un modèle prédéfini, défauts inclus.
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La quasi-totalité des mutuelles communautaires repose sur une gestion bénévole, qui complique encore plus la mobilisation des compétences nécessaires. En Afrique de l’Ouest, il s’agit d’une mauvaise lecture de la réglementation de l’UEMOA qui stipule que la fonction d’administrateur est bénévole, mais prévoit dans son chapitre III la délégation de fonctions à du personnel salarié.
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La production d’information par les mutuelles communautaires est très faible et souvent peu fiable du fait de processus de suivi évaluation limités, ce qui réduit la capacité des mutuelles à satisfaire les conventions de délégation qui intègrent des indicateurs de résultats et nécessitent une capacité interne de suivi des adhésions, du financement, y compris des cotisations si applicable, et des prestations.
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Les relations avec l’offre de soins de santé requièrent un cadre et une volonté partagée de respecter le conventionnement. Dans certains pays, confrontées à leurs difficultés techniques ou dépendantes de subventions de l’État qui ne leur sont pas ou partiellement versées, les mutuelles deviennent des mauvais payeurs. Certains prestataires de soins considèrent par ailleurs les mutuelles comme des facteurs de perturbation et de privation de ressources. La capacité de négociation des mutuelles communautaires et leur fragmentation ne permettent pas de résoudre ces difficultés à leur niveau.
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Enfin, les mutuelles communautaires qui s’adressent à l’économie informelle et reposent sur une adhésion volontaire restent faiblement attractives. Cette situation est généralement associée au niveau de pauvreté et la capacité contributive réduite des populations cibles. Mais cette explication masque souvent le manque de confiance des communautés cibles vis-à-vis d’organisations dont la gestion technique est faible et dont les disfonctionnements compromettent la qualité et la continuité des prestations. La réticence à adhérer est par ailleurs souvent liée à la faible appropriation locale, au peu d’autonomie dans la prise de décision, voire plus globalement au manque de confiance dans les projets de développement, lorsque les mutuelles sont déployées dans ce cadre.
Encadré
Un inventaire des mutuelles de santé réalisé en 2021 au Burkina Faso (Burkina Faso, 2022) montre que 6 pour cent des mutuelles communautaires à travers le pays ne sont plus fonctionnelles, mais restent comptabilisées dans le mouvement mutualiste. Les autres mutuelles sont fonctionnelles, mais ne produisent qu’une information partielle et seulement 15 pour cent des mutuelles recensées ont été capables de renseigner complètement le questionnaire de l’inventaire. Celui-ci était pourtant basé sur les informations de base devant être produites conformément à la réglementation de l’UEMOA. Cette situation n’est pas unique au Burkina Faso; au Sénégal, seulement 55 pour cent des mutuelles communautaires étaient considérées comme fonctionnelles en 2017 (Louis dit Guerin, 2021).
Un mécanisme parmi d’autres
Il ne faut par ailleurs pas exclure d’autres alternatives possibles, en particulier lorsqu’il s’agit d’étendre la couverture à l’économie informelle. Par exemple, le Cabo Verde a mis en place des campagnes de communication ciblant spécifiquement les travailleurs informels indépendants et a ouvert des centres de services de protection sociale dans les lieux qui regroupent un grand nombre de travailleurs informels (par exemple les marchés informels). Ces centres de services constituent une source d’informations pour les travailleurs tout en leur permettant de s’inscrire et de verser leur cotisation. Leurs systèmes informatiques permettent aux agents d’effectuer 80 pour cent des procédures administratives sur place. Ce système a ainsi permis de faire diminuer le temps que les travailleurs doivent consacrer à l’adhésion au régime (PNUD, 2021). Au Rwanda, les AMBC ont été absorbées dans un système d'assurance santé dont la gestion est centralisée dont elles sont devenues des guichets locaux. Le pays a de plus mis en place des mécanismes simples et efficaces: la carte d’identité nationale fait office d’identifiant pour l’assurance, les appels à cotisation s’effectuent via la plateforme internet Irembo qui communique avec un ensemble de bases de données dont celle de l’Ubudehe pour identifier les assurés et fixer leur niveau de cotisation. Celle-ci est payée en ligne, dans des guichets Irembo, des caisses d’épargne-crédit ou via des opérateurs de banque mobile. Les tâches confiées aux AMBC ont été ainsi transférées à d’autres opérateurs tout en maintenant la proximité avec les assurés et en simplifiant les procédures.
Une autre alternative est celle mise en place en Uruguay où les travailleurs du secteur formel public et privé, les retraités et leurs dépendants (68 pour cent de la population) sont couverts par le régime contributif d’assurance santé. Le reste de la population est pris en charge par l’Administration des services de santé de l’État, qui gère les établissements de santé publique, avec les ressources allouées par l’État et provenant de l’espace budgétaire. Une autre particularité est que tous les assurés doivent s’inscrire auprès d’un prestataire de soins afin d’être enrôlé dans le système national d’assurance santé. Cette même approche a été adoptée par le Laos suite à l’arrêt de l’AMBC à partir de 2016.
Conclusion
L’observation réalisée à travers les expériences de dix-sept pays en Europe, en Asie, en Amérique latine et en Afrique met en évidence la diversité d’organisation des systèmes de PSS et, au sein de ceux-ci, les différents modèles d’intégration des mutuelles de santé. Elle souligne également l’application indifférenciée du terme «mutuelle de santé» aux organisations pour peu qu’elles intègrent une dimension participative dans leur gestion. Ceci est notamment le cas des assurances-maladie à base communautaire qui ont fait l’objet ces deux dernières décennies d’importants efforts de développement dans plusieurs pays, avec des résultats aujourd’hui généralement faibles en termes de protection financière et d’accès aux soins de santé. La déception qui résulte de l’impact limité des mutuelles communautaires tend par extension à décourager aujourd’hui l’intérêt général pour les mutuelles de santé. Pourtant, des mutuelles développées par des organisations professionnelles et autres de l’économie sociale disposent d’un capital social et bâtissent des relations de proximité avec leurs membres ainsi que d’une souplesse dans leur fonctionnement qui en font des acteurs potentiellement importants d’un système de PSS, surtout lorsqu’il s’agit de couvrir des populations complexes à toucher au sein de l’économie informelle et du monde agricole. Ces mutuelles ont développé une expertise qui leur permet de participer efficacement à l’administration des régimes de base dont elles se voient déléguer tout ou une partie des fonctions de gestion.
Quels enseignements pour des travaux ultérieurs?
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L’assurance est un outil complexe et chaque acteur au sein de l’architecture d’un système de PSS doit disposer des capacités techniques et des ressources humaines et matérielles nécessaires à l’exécution de son mandat.
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Le terme de mutuelle recouvre des réalités différentes et une clarification s’avère nécessaire au niveau des concepts et des cadres légaux afin de ne pas banaliser la dynamique mutualiste.
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Le point précédent concerne notamment l’assurance-maladie à base communautaire pour laquelle il paraît important de créer un espace différencié, adapté à ses caractéristiques qui ne sont pas celles de la mutualité, et plus propice à une révision spécifique de cette approche dont le déploiement à grande échelle rencontre rapidement de multiples limites.
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Les mutuelles issues d’organisations socio-professionnelles, généralement inspirées du mouvement mutualiste né en Europe et qui se sont propagées dans de multiples pays, constituent un important vivier de compétences, d’expertise et de savoir-faire. Au sein de pays, dont ceux de la zone UEMOA, l’expérience acquise par ces mutuelles peut utilement soutenir le développement d’une mutualité par les organisations de travailleurs, les organisations de producteurs et les groupements corporatistes et professionnels.
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La mutualité n’est pas la seule option possible pour étendre la protection sociale vers les populations du secteur informel et du monde agricole. Des pays comme le Rwanda et le Cabo Verde ont développé des mécanismes alternatifs basés sur les nouvelles technologies de communication.
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Enfin, s’agissant de mécanismes complexes, la documentation des systèmes nationaux d’assurance santé devrait s’intéresser à leurs aspects techniques et utiliser les indicateurs de l’assurance santé afin d’identifier précisément leurs faiblesses, trop souvent masquées derrière un déficit de compréhension et une faible capacité contributive des populations cibles.
Annexe - Études de cas
1. Allemagne
1.1. Contexte et évolution du système national de protection sociale en santé
Avec l’adoption de la loi sur l’assurance-maladie, votée le 15 juin 1883 5, L’Allemagne est le premier pays à avoir institué des assurances sociales obligatoires et a donné naissance au modèle dit «bismarckien» qui est encore aujourd’hui celui de l’assurance-maladie allemande ainsi que d’un certain nombre d’autres pays européens, comme, à quelques nuances près, la France et la Belgique.
Paradoxalement, L’Allemagne reste aujourd’hui le seul pays européen à ne pas avoir institué une couverture maladie universelle. La loi de 1883 a en effet instauré une assurance professionnelle obligatoire pour certaines catégories de travailleurs, avec une double limite: d’une part elle ne concernait que les ouvriers et, d’autre part, les revenus ne dépassaient pas un certain plafond (trois fois le salaire moyen). Les ouvriers agricoles n’étaient pas concernés au départ, mais ont été intégrés par une loi de 1886. De même en 1892, l’assurance a été étendue à certains fonctionnaires sous la même condition de revenu et aux employés des professions libérales, puis en 1903 aux commis et apprentis toujours aux mêmes conditions.
En revanche, une réforme du système de santé, intervenue en 1888, a exclu de l’assurance légale certaines catégories de personnes exerçant une activité indépendante, le législateur estimant qu’elles n’avaient pas besoin de protection. Ces groupes socio-économiques ont créé des caisses de secours et des assurances en dehors de l’assurance-maladie publique et de ce fait donné une importance accrue à l’assurance privée. Malgré les évolutions du système, cette approche prévaut aujourd’hui et continue d’orienter certains travailleurs à souscrire vers l’assurance privée (Sénat, 1999). Une loi de réforme de 2007 a introduit l’obligation d’assurance-maladie pour toutes les personnes qui relèvent de l’assurance publique, mais qui ne sont pas pour diverses raisons encore couvertes par celle-ci. Cette obligation a été étendue en 2009 aux catégories de personnes exclues du régime public et qui relèvent de l’assurance privée, l’assurance-maladie devenant ainsi obligatoire pour tous.
Une autre caractéristique de l’assurance publique allemande depuis sa création est son organisation décentralisée. La gestion du régime a en effet été confiée à différents types de caisses d’entreprises, de corporations de métiers ou de secours mutuel ainsi qu’à des caisses de maladie créées par les États fédérés, qui existaient avant la loi de 1883. Ces caisses ont été intégrées au système d’assurance publique, dans la mesure où leurs statuts et modes de fonctionnement s’avéraient conformes aux dispositions légales. La loi prévoyait également la création par arrêté communal de caisses locales pour les assurés d’une branche spécifique d’industrie, voire pour une entreprise locale, de caisses communales générales ainsi que de caisses de maladie spécifiques aux entreprises de construction, réservées aux grands chantiers de travaux publics.
L’Allemagne se distinguait ainsi par une grande diversité et décentralisation de caisses d’assurance-maladie, avec une évolution particulièrement importante suite à la mise en œuvre de la loi de réforme structurelle de 1992 (dite «réforme Seehofer» du nom du ministre de la Santé de l’époque) 6. Cette réforme a entamé un changement structurel de l’assurance publique afin de renforcer les efforts de maîtrise des dépenses de santé entrepris depuis 1970. La réforme de 1992 visait un encadrement budgétaire strict de l’ensemble des dépenses d’assurance et le renforcement de l’encadrement du système d’assurance-maladie par l’État fédéral. Un autre objectif était la modification de l’organisation des caisses de l’assurance-maladie publique en mettant celles-ci en concurrence, en laissant le libre choix de leur caisse par les assurés. De plus, elle a favorisé la fusion des caisses dans le but d’inciter celles-ci à fournir des efforts de maîtrise des coûts non médicaux et de renforcer leur poids face aux unions des médecins qui étaient jusqu’alors en position de force dans les négociations (Hassenteufel, 2014). Le paysage de l’assurance-maladie publique a ainsi fortement évolué avec un nombre de caisses d’assurance-maladie publique passant de 35 000 caisses à la fin du XIXe siècle à 105 caisses en 2022.
Une dernière caractéristique importante du système de protection sociale en santé allemand était la forte autonomie des caisses qui jusqu’en 2007 pouvaient notamment fixer librement leur taux de cotisation. Cette autonomie a abouti à une forte dispersion des taux de cotisation en raison de l’inégale répartition des risques entre les caisses, selon le lieu de travail, le statut professionnel et autres spécificités des assurés. Afin de promouvoir le principe de solidarité qui fonde le système de l’assurance-maladie publique, la loi de réforme de 2007 à mis en place un nouveau mode de financement sous la forme d’un fonds de santé (Gesundheitsfonds) et institué un taux de cotisation unique fixé par le gouvernement. Cette mesure s’est accompagnée d’un mécanisme de compensation entre les caisses, en fonction de différents critères (consommation médicale, âge, sexe, zone géographique…).
1.2. Le systè me national de protection sociale en santé
Architecture et gouvernance
Depuis la loi sur l’assurance-maladie de 1883, le système national de protection sociale en santé allemand repose sur une structure dualiste avec, d’une part, l’assurance-maladie publique également appelée «légale» (gesetzliche Krankenversicherung - GKV) et, d’autre part, l’assurance-maladie privée (private Krankenversicherung - PKV) (Kaufmann, 2016).
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L’assurance-maladie publique est une branche de l’assurance sociale allemande. Elle se caractérise par son organisation diversifiée et sa gestion décentralisée. Plusieurs types de caisses maladie qui relèvent toutes du livre V du code social allemand 7 (SGB) interviennent en effet dans la gestion de l’assurance-maladie publique:
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Allgemeine Ortskrankenkassen (AOK ): caisses locales générales fondées par une ou plusieurs communes pour une même branche industrielle. Elles regroupent les assurés en fonction de leur lieu de travail ou d’habitation. Les assurés qui n’appartiennent pas à une autre caisse font nécessairement partie d’une caisse locale. Suite aux réformes des années 2000, les caisses locales ont été progressivement transformées en caisses régionales ce qui a permis une meilleure mutualisation des risques, mais aussi de renforcer la position de ce type de caisse dans le contexte concurrentiel depuis la réforme structurelle de 1992.
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Betriebskrankenkassen (BKK ): les employeurs peuvent constituer leur propre caisse lorsqu'ils emploient au moins 1 000 salariés soumis à l’assurance-maladie obligatoire, que la capacité contributive de ces derniers est garantie à long terme, que la création de la caisse d’entreprise ne met en danger aucune caisse locale et que la majorité des salariés de l’entreprise approuve cette mesure. Les assurés volontaires peuvent également s’y affilier.
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Innungskrankenkassen (IKK ): caisses corporatives organisées en fonction d’un corps de métier pour les compagnons et apprentis. Elles sont créées dans le cadre des corporations ou par des entreprises d’un même secteur d’activité et regroupées au niveau d’une circonscription territoriale, qui emploient au moins 1 000 salariés soumis à l’assurance-maladie obligatoire. Les conditions de leur création sont à peu près les mêmes que pour les caisses d’entreprises.
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Les caisses socio-professionnelles:
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Landwirtschaftliche Krankenkasse (LKK ): caisse agricole;
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Knappschaft-Bahn-See (KBS ): caisse des mineurs, des cheminots et des marins.
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Ersatzkrankenkassen: caisses maladie libres agréées pour les employés et les ouvriers, également appelées caisses de substitution. Ces caisses à forme mutualiste sont gérées uniquement par les assurés. L’adhésion s'y fait selon des modalités particulières et les catégories de personnes qui peuvent y adhérer sont déterminées par les statuts des caisses et non par la lo i; les caisses de substitution peuvent ainsi limiter leur champ d’application personnel. Ces caisses sont par ailleurs catégorielles avec des caisses pour les employeurs et d’autres pour les ouvriers. Les caisses de substitution se sont avérées fortement en compétition avec les caisses locales, ces deux types de caisses couvrant respectivement 37 pour cent et 40 pour cent des assurés du système public en 2006. Cependant leurs taux de cotisation et leurs prestations ont eu pour effet de renvoyer vers les caisses locales les personnes les plus défavorisées et les mauvais risques (personnes à fort risque de maladies, etc.). Cette situation a amené la mise en place de plusieurs mesures dans les années 90, afin de limiter la concurrence de ces caisses avec notamment l’interdiction de créer de nouvelles caisses de substitution et la limitation de leur aire géographique.
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Depuis la création de l’assurance-maladie en 1883, l’affiliation à un type de caisse dépendait de l’appartenance socioprofessionnelle ou du lieu d’habitation des individus. Avec la réforme structurelle en 1992 et la mise en concurrence des caisses, chaque assuré à désormais le droit de choisir librement sa caisse (à l’exception des secteurs agricoles, des mines et des marins). La distinction traditionnelle résumée ci-dessus a ainsi perdu pour l’essentiel son sens initial.
Les caisses d’assurance-maladie sont des organismes de droit public entièrement autonomes. Leur gestion administrative et financière est assurée par un conseil d’administration composé par des partenaires sociaux ou par des assurés uniquement dans le cas des caisses de substitution. Les ministères des Länder et le ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales exercent une tutelle sur ces caisses. En tant qu’assurances, elles sont de plus soumises à un contrôle financier, soit des Lander, soit de l’Office des assurances pour les caisses fédérales (Sénat, 1995).
Les caisses sont regroupées en associations régionales et en une fédération nationale. Ces regroupements assurent des fonctions importantes pour les caisses membres en termes de représentation de leurs intérêts au niveau politique ainsi que, notamment, dans le domaine de la négociation et de la contractualisation avec les prestataires de santé. Par l’intermédiaire de cette fédération nationale ou de leurs associations régionales, les caisses concluent des contrats avec des associations de médecins, des cliniques et des pharmacies et définissent les montants qu’elles prennent en charge pour les différents traitements médicaux (ministère fédéral de la Santé, 2020).
La fédération nationale est une structure fédérale de droit public, créée par la loi de 2007 et qui compte une centaine de salariés. Sa mise en place a réduit le rôle des structures fédérales qui existaient auparavant pour chaque type de caisse qui ont perdu leur statut d’organisation de droit public en 2009. Cette évolution s’inscrit dans le processus d’encadrement croissant de l’auto-administration des caisses par l’État fédéral. Celui-ci fixe en effet des règles du jeu de plus en plus contraignantes et s’est doté de moyens de surveillance, de contrôle, d’évaluation et de sanction accrus sur l’ensemble des acteurs de l’assurance-maladie (Hassenteufel, 2008).
Un dernier élément de l’évolution des caisses, et non des moindres, est la modification du paysage de l’assurance santé suite au processus de réforme entrepris en 1992. Outre la mise en concurrence, celui-ci visait à promouvoir le regroupement des caisses afin de mieux faire face aux contraintes budgétaires résultant notamment du nombre élevé d’assurés «à risque» ou économiquement défavorisés pour les caisses implantées dans certaines zones géographiques. Le regroupement des caisses est facultatif et le nombre a constamment évolué depuis 188 3; il a connu cependant une forte diminution en raison de l’accélération des fusions en les caisses à partir des années 90 (Kaufmann, 2016). L’assurance-maladie comptait 35 000 caisses à la fin du XIXe siècle, puis 6 000 dans les années 1930 et environ 1 140 au début des années 1990, avant la réforme Seehofer. Avec celle-ci, le nombre de caisses a rapidement diminué et le système ne compte plus que 105 caisses en 2022 (ministère fédéral de la Santé, 2020).
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L’assurance-maladie privée: Les personnes qui ne relèvent pas du champ d’application de l’assurance-maladie légale ou qui ont le droit de refuser l’affiliation ou le droit de quitter l’assurance-maladie légale en raison du montant de leur salaire (plus de 60.750 euros par an en 2019), peuvent s’assurer contre le risque maladie par contrat de droit privé. Les primes d’assurance sont graduelles, suivant les prestations choisies par l’affilié et le risque évalué, prenant en considération notamment l’état de santé général de la personne, l’âge et le sexe, etc. L’assurance-maladie privée allemande peut en générale refuser de contracter avec un demandeur présentant des risques au niveau de sa santé. Cependant, pour garantir la couverture de l’ensemble de la population, les compagnies d’assurance privée sont tenues depuis 2009, à l’instar des caisses publiques, qui y sont obligées depuis 2007, d’accepter la demande d’adhésion de toute personne qui a été à un moment donné assurée privée ou qui remplit les conditions lors de la demande d’adhésion et qui n’a pas le droit de s’assurer au sein de l’assurance-maladie publique.
Les assureurs privés doivent par ailleurs proposer un contrat d’assurance-maladie de base, qui prévoit des prestations comparables à celles servies par l’assurance-maladie légale, à un prix plafonné. Les affiliés doivent régler eux-mêmes les factures pour les soins médicaux et se font rembourser ensuite par leur assurance privée selon les conditions de leur formule. Les membres de la famille de l’assuré ne peuvent pas être coassurés et font l’objet chacun d’une prime supplémentaire.
L’assurance privée peut également intervenir en complément de l’assurance publique. Il s’agit soit d’une assurance de confort, soit d’une assurance pour la prise en charge de frais de santé non couverts par l’assurance sociale. Un tel contrat peut prévoir l’hospitalisation de confort, les soins administrés par une certaine catégorie de médecins, les soins dentaires faiblement remboursés par ailleurs, les traitements alternatifs et d’autres prestations (Berton, 2019).
Couverture de la population
Environ 87,7 pour cent (72,7 millions d’individus) de la population en Allemagne est aujourd’hui couverte par les caisses d’assurance-maladie du régime public, 10,5 pour cent (8,7 millions) par les compagnies d’assurance privées (ménages à hauts revenus) et 1,8 pour cent (1,5 million) par des régimes spéciaux ou n’a aucune couverture. Ce dernier groupe rassemble les bénéficiaires de l’aide sociale ou d’une pension militaire d’invalidité ainsi que des groupes spécifiques, dont les fonctionnaires de l’armée et de la police dont les soins médicaux sont fournis gratuitement. Environ 0,1 pour cent de la population ne bénéficierait d’aucune couverture, notamment par manque d’information sur l’assurance-maladie (ministère fédéral de la Santé, 2020).
L’assurance publique regroupe deux grandes catégories d’assurés:
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75 pour cent sont des assurés à titre obligatoire, ce qui comprend les salariés, à condition que leur revenu ne dépasse pas le plafond légal, les apprentis rémunérés, les étudiants, certaines professions indépendantes (agriculteurs, artistes, etc.), les retraités relevant du régime légal de retraite et les chômeurs. Les dépendants (conjoint et enfants) sont également pris en charge par l’assurance-maladie publique, sans contribution supplémentaire.
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Les adhésions volontaires qui ne sont généralement possibles que si un individu était auparavant couvert par l’assurance publique. Il s’agit notamment des salariés dont les revenus dépassent le plafond d’affiliation, mais peuvent rester membre, à titre volontaire, du régime légal. Sont également concernés les personnes qui cessent d’être ayants droit d’un assuré, les enfants dont les parents ont des revenus trop importants, les personnes qui travaillent pour la première année et qui dépassent le plafond d’affiliation à l’assurance légale obligatoire de même que les salariés qui reviennent d’un long séjour à l’étranger (Sénat, 1995).
Les individus non assujettis à l’assurance publique sont essentiellement les salariés dont la rémunération dépasse le plafond légal et qui n’optent pas pour l’adhésion volontaire au régime public. Ces personnes peuvent souscrire une assurance privée. Dans ce cas, l’employeur est tenu de contribuer au régime choisi par le salarié. Il s'agit souvent de célibataires ayant des revenus supérieurs au plafond d’affiliation et pour lesquels les primes des assurances privées peuvent être plus attractives, contrairement aux individus mariés dont le conjoint et les enfants sont couverts comme ayants droit par l’assurance publique. Par ailleurs, près de la moitié des assurés privés sont des fonctionnaires dont leur administration prend en charge la moitié, voire jusqu’à 80 pour cent, des dépenses de santé engagées, l’assurance privée complétant tout ou en partie le reste (Kaufmann, 2016).
Panier de soins
Le champ d’application de l’assurance-maladie publique est déterminé par le livre V du code social SGB et les prestations des caisses sont en principe limitées à celles prévues par la loi, avec par conséquent très peu de différence d’une caisse à l’autre. L’assurance-maladie publique couvre un ensemble complet de prestations en nature qui couvrent notamment les services de prévention, les soins hospitaliers et ambulatoires, les soins dentaires, la réadaptation et les médicaments prescrits. Les soins généralistes et spécialisés sont dispensés dans des cabinets privés ou dans des polycliniques et les soins hospitaliers dans des hôpitaux publics et privés; le pays compte aussi de nombreuses organisations à but non lucratif qui participent à la fourniture des soins de santé. L’assuré dispose du libre choix du praticien à condition que ce dernier soit agréé par la caisse à laquelle il cotise. Il peut de même choisir librement l’établissement conventionné dans lequel il souhaite être hospitalisé.
Le panier de soins de l’assurance publique est défini par une commission fédérale commune (GBA), dans le cadre de la législation en matière de santé et en tenant compte de l’état actuel de la science médicale, de l’analyse l’efficacité thérapeutique, de la nécessité médicale des prestations retenues et leur économie. Ce comité statut également sur les mesures de sauvegarde de la qualité des soins ambulatoires et hospitaliers. Il regroupe les caisses d’assurance, les médecins, dentistes, psychothérapeutes et hôpitaux (Kaufmann, 2016). Du fait de la loi, les caisses ne peuvent pas, en revanche, proposer de produits de complémentaire santé (Boned, 2008).
La prise en charge s’effectue par tiers payant généralisé, avec cependant des tickets modérateurs concernant certaines prestations, dont les hospitalisations et les médicaments en fonction de leur conditionnement (afin de favoriser les médicaments génériques) et de leur classe thérapeutique. Comme souligné plus bas, la participation des assurés a été accrue avec la loi de modernisation du système de santé en 2003. Les personnes les plus démunies et les jeunes sont exonérés du ticket modérateur (Sénat, 1995).
Les prestataires de soins sont remboursés suivant des modalités fixées par les fédérations régionales des caisses et les associations régionales de médecins à l’intérieur du cadre national fixé par la GBA. Ces prestataires envoient les notes d’honoraires relatives aux patients des différentes caisses maladie aux organisations régionales correspondantes, pour remboursement. L’organisation surveille le volume et la valeur des prestations de chaque praticien.
Financement
Jusque dans les années 2000, le système allemand se caractérisait par une importante autonomie des caisses d’assurance-maladie publiques qui pouvaient déterminer leur taux de cotisation, dans les limites posées au niveau fédéral. L’autonomie et la multiplicité des caisses a cependant conduit à une forte dispersion des taux de cotisation: au 1er janvier 1992, les deux extrêmes étaient de 8,0 pour cent et de 16,5 pour cent. Avec la mise en concurrence des caisses, cette situation s’est révélée génératrice d’inégalités. Certaines caisses, surtout les caisses de substitution, attiraient les individus présentant le profil le plus «sûr»’ c'est-à-dire disposant d’importantes ressources financières et aux plus faibles risques de morbidité, ce qui leur permettait de proposer des taux de cotisations moins élevés. En revanche, les caisses locales, dont l’adhésion n’est soumise à aucune conditionnalité, se trouvaient désavantagées. Elles ne pouvaient en effet pas refuser des assurés «à risques» ni ceux à faibles revenus, avec pour conséquence une structure d’assurés défavorables les contraignant à fixer des taux de cotisation plus élevés.
Par ailleurs, suite notamment aux effets de la réunification en 1991, mais aussi une augmentation constante de la consommation et des dépenses de soins, l’assurance-maladie publique a connu une situation financière difficile dans les années 90, avec des déficits records en 1991-92 puis en 1995 et 96. L’équilibre financier du système a été retrouvé à partir de 1997, mais en restant fragile, ce qui à conduit les différents gouvernements à agir sur cet équilibre en intervenant de plus en plus directement dans la régulation de l’ensemble (Autret, 2001).
Le train de réformes des années 2000 a ainsi mis en place un encadrement financier strict de l’assurance-maladie afin d’instaurer un principe d’équilibre budgétaire ainsi que de renforcer le principe de solidarité qui fonde l’assurance publique. La loi de modernisation du système de santé adoptée le 19 novembre 2003 et entrée en vigueur au 1er janvier 2004, a mis en œuvre des mesures portant sur un fort accroissement de la participation financière (introduction et augmentation de tickets modérateurs) à la prise en charge du risque maladie par les assurés et l’exclusion de certaines prestations (médicaments de confort, montures et verres de lunettes, cures thermales, etc. ). Cette loi a également promu un recours accru à l’impôt pour assurer le financement de l’assurance-maladie. Malgré un effet positif sur l’assainissement de la situation financière des caisses, celle-ci restait fragile avec des prévisions de déficits à partir de 2007 (Vasselle et Cazeau, 2006). Aussi la loi de réforme de 2007 8 a-t-elle institué un nouveau mode de financement de l’assurance publique avec la mise en place d’un Fonds de santé (Gesundheitsfonds) alimenté par les cotisations des travailleurs salariés et des employeurs sur la base d’un taux de cotisation unique fixé par le gouvernement. Ce taux de cotisation uniforme s’élevait à 14,6 pour cent en 2019, réparti à parts égales entre l’assuré et son employeur. Ce fonds de santé est complété par des subventions publiques de l’État qui financent notamment la couverture des ayants droit et en particulier des enfants (Vasselle et Cazeau, 2006).
Suite à ces différentes réformes, les caisses publiques sont aujourd’hui financées par:
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Un montant forfaitaire versé par le fonds de santé aux caisses pour chaque assuré;
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Ce montant est majoré par le fonds en fonction du coût des soins, de l’âge, du sexe, du nombre de dépendants, du niveau de ressources et des risques de santé. Cette majoration vise à réduire la sélection des risques en tenant compte des disparités entre assurés des différentes caisses (Hassenteufel, 2014).
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De plus, les caisses qui n’arrivent pas à couvrir l’ensemble de leurs dépenses avec la somme qui leur est versée, sont autorisées à prélever une cotisation supplémentaire dont le montant est à la charge du seul assuré, les entreprises ne contribuant pas. La limitation à 8 euros par mois ou 1 pour cent du salaire brut de l’assuré a été supprimée en 2011. Toutefois, si le montant des cotisations supplémentaires dépasse 2 pour cent du salaire, un financement de l’État intervient afin de réduire la charge pour les assurés (Bas-Theron, 2002). Cette cotisation supplémentaire constitue désormais le principal élément de concurrence entre les caisses , les salariés ayant le droit de changer de caisse sans préavis. Il faut noter qu’à l’inverse, lorsque les caisses sont excédentaires, elles peuvent en faire bénéficier leurs assurés en consentant des remises (Schmucker, 2010).
1.3. De la gestion déléguée à une gouvernance à distance
Cadre légal
La Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne de 1949 définit l’Allemagne comme un État fédéral démocratique et social. L’État dans ce cadre délègue une large partie des politiques publiques aux 16 Länder. Toutefois la politique sociale, dont l’assistance à la dépendance et la sécurité sociale, reste une compétence législative fédérale et le régime public d’assurance-maladie est sous tutelle du ministère fédéral de la Santé compétent en matière d’assurance-maladie obligatoire et d’assurance dépendance. L’Assemblée fédérale, le Conseil fédéral et le ministère fédéral de la Santé sont responsables des fonctions législatives et de contrôle. Le cadre juridique fédéral, notamment le code social, réglemente la gouvernance, les services devant être fournis et les mécanismes de financement du système de santé, sans espace pour une initiative législative des länder (Eichenhofer, 2006).
Depuis sa création, l’organisation du système d’assurance-maladie a été déléguée, par le Reich bismarckien puis par la République fédérale, à des caisses autonomes et repose sur le principe d’autogestion. Schématiquement: «l’État fixe les conditions cadres juridiques et définit les tâches, tandis que les assuré(e)s, les cotisant(e)s ainsi que les prestataires de services s’organisent en associations prenant en charge l’accès de la population aux soins médicaux sous leur propre responsabilité» (ministère fédéral de la Santé, 2020).
Ce modèle de gestion par délégation permet à l’État d’une part d’avoir une influence sur le développement du système global tout en, d’autre part, se dégageant de l’administration directe et en utilisant l’expertise des personnes, assurés et prestataires de soins, directement concernés.
Avec les réformes initiées à partie des années 90, ce système a cependant fortement évolué vers un modèle de concurrence organisée, accompagnée d’une réorganisation de l’offre de soins. Cette évolution se traduit également par un renforcement de l’encadrement du système d’assurance-maladie par l’État fédéral, souvent qualifié de «gouvernement à distance» (Hassenteufel, 2014).
La repartition des fonctions
La gouvernance et la régulation du système d’assurance s’articulent aujourd’hui autour de la Commission fédérale commune (Gemeinsamer Bundesauschuss, GBA) créée en 2003 et de l’Organisation fédérale des caisses (GKV Spitzenverband) créée en 2007. Ces deux institutions de droit public emploient du personnel salarié et fonctionnent comme des quasi-agences dotées d’une expertise importante, sous la tutelle du ministère de la Santé. La création et la professionnalisation de ces structures traduisent une centralisation et un renforcement du pilotage et du contrôle de l’assurance-maladie par l’État fédéral. Ces deux institutions participent à la mise en œuvre des politiques définies par l’État fédéral. Elles encadrent et arbitrent les négociations entre les médecins et hôpitaux et les caisses.
Le Panier de soins de l’assurance-maladie publique est défini par des comités mixtes qui rassemblent les caisses, les prestataires de soins de santé et des représentants des usagers des structures de santé (sans droit de vote pour ces derniers). Ils sont régis au niveau fédéral par la GBA qui dispose de pouvoirs réglementaires et dont les décisions déterminent les services couverts par l’assurance-maladie obligatoire, les exigences types concernant la fourniture de ces services et les mesures de gestion de la qualité de ces services (UE, 2012).
Avec la mise en place du Fonds national de santé, les caisses d’assurance-maladie publiques, qui auparavant déterminaient elles-mêmes les montants de leurs cotisations et géraient directement celles-ci, ont perdu cette autonomie de gestion. Elles n’assurent plus aujourd’hui que le recouvrement des cotisations, dont le taux est unique et fixé par l’État, et reversent ces cotisations au Fonds national de santé. Ce dernier, sous l’autorité du Bureau fédéral de l’assurance, regroupe l’ensemble des sources de financement de l’assurance-maladie constituées par les cotisations des salariés et des employeurs et les ressources fiscales qui lui sont affectées. Comme souligné plus haut, le fonds national de santé redistribue ces ressources au caisses sous la forme d’un montant forfaitaire par assuré plus une majoration visant à réduire les disparités entre les assurés des différentes caisses. Cette péréquation déplace au niveau national la mutualisation des ressources et des risques. Les caisses qui prélèvent des cotisations supplémentaires assurent le recouvrement et la gestion directe de celles-ci.
Comme on a pu le voir également précédemment, les négociations et le conventionnement des caisses avec les prestataires de soins sont encadrés au niveau régional et national par la GBA. La loi de modernisation du système de santé adoptée en 2003 donne cependant la possibilité aux caisses de créer des centres de soins médicaux regroupant des médecins et d’autres professions de santé pour une prise en charge plus intégrée du patient. Cette possibilité contourne le monopole contractuel avec les unions de médecins et permet la mise en place de nouveaux types de contractualisation et d’organisation des soins favorisant un meilleur suivi du patient, dans le cadre de réseaux et de filières de soins, et s’appuyant sur le rôle pivot renforcé des médecins généralistes.
Le Service médical est un service «multi régimes», son organisation est régionale et indépendante des caisses. Il est chargé du contrôle de l’adéquation des soins et des contestations des décisions des caisses par les assurés. Les décisions de cette commission peuvent être elles-mêmes contestées devant le Tribunal des affaires sociales. De plus en plus, le service médical est impliqué dans des actions de santé publique en rapport avec l’efficience et l’organisation du système de soins. Le Service médical est engagé dans une démarche de certification et d’assurance qualité interne et dispose de ses propres experts régionaux dans différentes spécialités auxquels les praticiens peuvent faire appel (Descamps et al., 2001).
Le contrôle de la légalité et des activités des caisses est distribué entre le niveau fédéral, les Länder et les communes. Le contrôle des caisses d’assurance-maladie du régime légal incombe, pour les caisses organisées au niveau fédéral, à l’office fédéral de contrôle des assurances. Pour les caisses organisées au niveau du Land, le contrôle incombe au ministère de la Santé du Land où la caisse a son siège. , les grandes villes exercent un contrôle et interviennent dans les conflits au niveau des caisses locales.
Répartition des fonctions
Fonctions |
Répartition |
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État fédéral |
Länder/communes |
caisses |
Service médical (région) |
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Commission fédérale commune (GBA) |
Fonds national de santé |
Organisation fédérale des caisses |
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Définition du panier de soins |
X |
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Conventions |
X |
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Éducation et promotion |
X |
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Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
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Recouvrement des cotisations |
X |
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Mise en commun des risques couverts |
X |
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Paiement des prestations |
X |
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Prestations de services de santé |
X |
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Gestion des plaintes et assurance qualité |
X |
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Suivi et pilotage |
X |
X |
X |
1.4. Impact et leçons
Le système d’assurance-maladie en Allemagne tel qu’il se présente aujourd’hui résulte d’un long processus de changements, surtout ces vingt dernières années. L’assurance-maladie publique a ainsi connu une transition progressive, passant d’un système de gestion déléguée à une diversité de caisses d’assurance publique décentralisées et en complète autonomie de gestion, à un système de plus en plus encadré par l’État fédéral et qui semble se rapprocher aujourd’hui d’un système national de santé géré par l’État (Hassenteufel, 2014).
Cette dynamique de transition se traduit notamment par:
-
Un encadrement budgétaire accru du système maladie par l’État afin de parvenir à maîtriser la croissance des dépenses de santé. L’État intervient désormais dans un système qui était auparavant autorégulé, notamment pour fixer et augmenter des tickets modérateurs ainsi que réduire les remboursements;
-
Le gouvernement fédéral établit désormais le niveau des cotisations qui sont centralisées puis redistribuées par le fonds national de santé, sur la base d’un mécanisme de péréquation, aux caisses, ces dernières perdant ainsi une part importante de leur autonomie de gestion;
-
Un changement structurel avec la possibilité pour les individus de choisir librement leur caisse, mettant ainsi en concurrence les caisses d’assurance-maladie auxquelles l’affiliation reposait auparavant sur l’appartenance socioprofessionnelle ou le lieu d’habitation. De même, les réformes des 90 ont accéléré les processus de fusion; une centaine de caisses existent aujourd’hui, là où elles étaient plusieurs milliers à l’origine du système. Ces différentes mesures ont lissé la grande diversité qui caractérisait auparavant le système allemand;
-
Une intervention du niveau central, à travers la GBA, dans les négociations avec l’offre de soins qui était traditionnellement auto-administré par la négociation collective entre les caisses, les médecins et les gestionnaires d’hôpitaux.
L’intervention croissante de l’État se traduit par ailleurs par la mise en place de structures fédérales, la Commission fédérale commune et l’Organisation fédérale des caisses qui sont centrées sur des fonctions d’expertise (évaluation des produits de santé ainsi que des actes et structures de soins), et agissent pour le compte de l’État, tout en étant formellement distinctes de l’administration. Ces agences dotent l’État des moyens de surveillance, de contrôle, d’évaluation et de sanction accrus sur l’ensemble des acteurs de l’assurance-maladie (Hassenteufel, 2014).
Il ne s’agit cependant pas de l’instauration d’un système d’assurance-maladie géré par l’État. L’évolution actuelle est analysée plutôt comme l’avènement d’un État régulateur, ou un gouvernement à distance, qui encadre étroitement les interactions entre les différents acteurs de l’assurance-maladie (Hassenteufel, 2014). Parallèlement, «l’auto-administation» des caisses qui constitue le principe fondateur du système allemand d’assurance santé et caractérise le modèle bismarckien, sans complètement disparaitre, s’en retrouve fortement atrophiée.
Références
Autret, F. (2001). «Assurance santé: le système bismarckien dans l’impasse?» Allemagne 20 01 : Regards sur une économie en mutation, 401‑12. Travaux et documents du CIRAC, CIRAC, 2017. http://books.openedition.org/cirac/872.
Bas-Theron F. (2002). «Le système de santé et d’assurance-maladie en Allemagne, Actions concernant la qualité des soins et la régulation des dépenses en ambulatoire». Rapport n° 2002 052, Inspection générale des Affaires sociales (IGAS), mai 2002. https://www.vie-publique.fr/rapport/25579-le-systeme-de-sante-et-dassurance-maladie-en-allemagne-actions-concer
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2. Belgique
2.1. Contexte
À l’instar de la France et l’Allemagne, la protection sociale en santé en Belgique est issue d’une dynamique ancienne et qui a connu plusieurs étapes d’évolution. Elle est liée au développement de l’industrialisation au XIXe siècle qui génère alors une pauvreté importante au sein de la classe ouvrière et motive la création de caisse de secours mutuel, à l’initiative de corporations pour les plus anciennes ainsi que d’ouvriers, de bourgeois philanthropes ou de patrons ayant des préoccupations sociales. Ces organisations mutualistes visaient à fournir un soutien à leurs membres lorsqu’ils s’appauvrissaient ou se retrouvaient en difficulté économique à cause de la maladie. Toutefois, la protection était précaire et ne reposait que sur la bonne volonté d’acteurs privés, leur gestion élémentaire ainsi que leur nombre réduit de membres les empêchant de développer des garanties sérieuses.
Face à la misère croissante de la population ouvrière, l’État est intervenu pour faciliter la création et le développement de ces organisations avec l’adoption de la loi du 3 avril 1851 sur les sociétés mutualistes. Celle-ci sera refondue par la loi du 23 juin 1894 9 qui accorde, sous certaines conditions, une reconnaissance légale à toute société mutualiste organisée pour fournir une protection aux membres en cas de maladie, d’invalidité, de naissance, de décès et de vieillesse. La reconnaissance est liée au dépôt des statuts, conformes à la loi, et à la remise des comptes annuels. Par ailleurs, plutôt que de promouvoir une assurance sociale obligatoire, la loi de 1894 adopte le principe de la liberté subsidiée en encourageant l’affiliation libre à des caisses mutualistes auxquelles l’État accorde des subventions. Cette option sera renforcée par la loi de 1898 10 qui conditionne le subventionnement des sociétés mutualistes à leur reconnaissance légale.
La mise en application de la loi de 1894 a favorisé une prolifération de sociétés mutualistes issues d’initiatives nées dans les différents mondes idéologiques; celles de même obédience ont commencé à se regrouper en fédérations, notamment afin de pouvoir assurer certains risques lourds. Ces fédérations se sont dans un second temps regroupées en unions nationales qui ont fortement contribué à la «pilarisation» 11 de la société belge (CRISP, 2022), avec la création de:
-
l’Alliance Nationale des Mutualités Chrétiennes (ANMC), en 1906;
-
l’Union Nationale des Fédérations mutualistes neutres (UNMN), en 1908;
-
l’Union Nationale des Mutualités socialistes (UNMS), en 1913;
-
la Ligue Nationale des Mutualités libres de Belgique en 1914, aujourd’hui Union National des Mutualités Libérales (UNML ); et
-
l’Union nationale des Fédérations de Mutualités professionnelles des industries de la Belgique, en 1928, aujourd’hui Union Nationale des Mutualités Libres (UML).
La loi sur la sécurité sociale adoptée le 28 décembre 1944 12 pose les fondements du premier système de sécurité sociale obligatoire pour tous les travailleurs salariés, y compris l’introduction d’une assurance-maladie obligatoire. Suite à cette loi, le système d’assurance-maladie a progressivement évolué vers une couverture universelle’ s'étendant aux non-travailleurs, aux personnes vulnérables, aux indépendants et aux fonctionnaires (CRISP, 1964). Ainsi, en 1963, la loi Leburton 13 a réformé l’assurance-maladie obligatoire avec pour objectif de couvrir de nouveaux groupes de population, comme les indépendants et les étudiants, et d’introduire un système d’accords (conventions) négociés entre les prestataires de soins et les caisses d’assurance-maladie fixant les tarifs et les niveaux de remboursement. Cette réforme instaure également l’Institut national d’assurance-maladie-invalidité (INAMI) (De Troyer et Krzeslo, 2004).
Une autre étape importante est la redéfinition des missions des mutualités avec l’adoption de la loi du 6 août 1990 14 qui fixe les conditions auxquelles ces mutualités et les unions nationales de mutualités doivent satisfaire pour obtenir la personnalité juridique ainsi que les règles de base de leur fonctionnement. Elle organise également la tutelle à laquelle les mutuelles sont soumises en créant L’Office de contrôle des mutualités et des unions nationales de mutualités (OCM). Avec cette loi, seules les unions nationales et les fédérations sont reconnues dans la gestion de l’assurance-maladie obligatoire. Les mutuelles locales disparaissent, certaines unions conservant cependant des sections locales afin de conserver une proximité avec leurs membres. La loi de 1990 protège par ailleurs le terme «mutualité» qui est adopté par les associations fédérales aux dépens de l’appellation «fédération» (Dresse, 2006).
2.2. Le système national de protection sociale en santé
Architecture et gouvernance
Le système de protection sociale en santé belge repose sur une assurance sociale obligatoire basée sur le principe de solidarité entre tous les résidents belges et une assurance complémentaire volontaire.
L’assurance obligatoire:
L’administration générale de l’assurance-maladie relève de l’Institut National d’Assurance-maladie-Invalidité (INAMI) créé en 1944 et aujourd’hui régi par la loi de 1994 15. L’INAMI est un établissement public à personnalité civile en charge de la gestion, du contrôle et de la concertation entre les différents acteurs de l’assurance-maladie (mutualités, dispensateurs de soins, organisations syndicales et patronales).
L’INAMI est organisé en plusieurs dont le comité général de gestion qui assure la gestion administrative et générale de l’institut. Il est composé de manière tripartite, d’un nombre égal de représentants des organisations représentatives des employeurs et des organisations de travailleurs indépendants, des organisations représentatives des travailleurs salariés et de représentants des mutualités et des caisses auxiliaires publiques, auxquels s’ajoutent trois représentants du gouvernement (De Troyer et Krzeslo, 2004). D’autres comités sont chargés de la gestion de l’assurance, du contrôle budgétaire, de l’évaluation et du contrôle médical, etc.
Toutefois, l’INAMI ne règle pas directement les prestations dont la gestion est confiée aux mutualités ainsi qu’à deux organismes assureurs publics: la Caisse Auxiliaire d’Assurance-maladie Invalidité (CAAMI) et la Caisse des Soins de Santé de la Société Nationale des Chemins de Fer Belges (HR Rail CSS).
comitésLa CAAMI accomplit les mêmes tâches et octroie les mêmes prestations qu’une mutualité dans le cadre de l’assurance-maladie obligatoire, sans toutefois proposer d’assurance complémentaire. Les assurés n’ont par conséquent par d’autres cotisations à payer que celle de la sécurité sociale collectée par l’Office National de Sécurité Sociale (ONSS) dont une partie est reversée à l’INAMI pour l’assurance-maladie obligatoire. La CAAMI est une institution publique dirigée par un comité de gestion paritaire représentant les organisations d’employeurs et de travailleurs.
HR Rail CSS intervient également comme une mutualité pour les membres du personnel statutaire des Chemins de fer belges et leurs familles, uniquement pour les prestations de l’assurance obligatoire. Un fonds social interne assure des interventions complémentaires, les membres du personnel pouvant choisir également de s’affilier à une mutualité pour bénéficier d’une couverture complémentaire.
Le choix de l’organisme assureur est libre, sauf pour les collaborateurs statutaires de la Société nationale des chemins de fer belges qui sont obligés de s'inscrire auprès de la Caisse des soins de santé de HR Rail. Le choix de l’organisme assureur n’a pas d’impact sur les cotisations et les remboursements de l’assurance obligatoire: les cotisations sont intégrées à la cotisation de sécurité sociale collectée par l’ONSS (ou l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI) pour les indépendants) et les modalités et le niveau de prise en charge des dépenses de soins sont fixés par l’INAMI et identiques pour tous les organismes assureurs. Le choix de mutualités par les individus est souvent orienté par les affiliations religieuses ou politiques qui sous-tendent les cinq grandes unions nationales de mutualité.
Les mutualités sont soumises à un contrôle externe réalisé par l’Office de contrôle des mutualités et des unions nationales de mutualités (OCM) qui est un organisme d’intérêt public, placé sous la tutelle du ministre des Affaires sociales. L’OCM veille à la conformité des services et activités des mutualités et des unions nationales aux dispositions de la loi, concernant notamment les règles administratives, comptables et financières. Il formule également des avis et propositions en rapport avec leur fonctionnement. L’Office de contrôle est géré par un Conseil qui est indépendant des mutualités et par un comité technique.
Par ailleurs, les cinq unions mutualistes sont associées avec la CAAMI et la Caisse des soins de santé de HR Rail pour former le Collège Intermutualiste National (CIN). Cette association représente ainsi tous les bénéficiaires de l’assurance-maladie obligatoire, avec pour mission:
-
d’organiser la concertation entre les différents organismes assureurs sur tous les problèmes présentant un intérêt pour l’assurance-maladie-invalidité obligatoire et complémentaire et sur le secteur mutualiste en général;
-
de prendre position en rapport avec ces problèmes en tenant compte des intérêts de l’ensemble des assurés sociaux; et
-
de susciter des actions communes ou des coopérations organiques dans la gestion des organismes assureurs (https://www.cin-nic.be/).
L’assurance complémentaire:
Dans le cadre des dispositions de la loi de 2010 16 portant sur l’assurance-maladie complémentaire, les cinq mutualités imposent à leurs membres une assurance complémentaire, qui était auparavant facultative. Les individus qui ne souhaitent pas bénéficier de cette assurance complémentaire peuvent rejoindre la CAAMI qui se cantonne à l’assurance obligatoire. Les membres des mutualités doivent ainsi s’acquitter d’une cotisation, complémentaire à celle de la sécurité sociale collectée par l’ONSS, dont le montant varie d’une mutualité à l’autre, pour des prestations également variables qui couvrent certains frais peu ou pas du tout remboursés par l’assurance-maladie obligatoire. Pour affirmer leur identité et dans une optique plus commerciale, les mutualités ajoutent des prestations telles que les frais d’abonnement à un club sportif, de stages et de camps de vacances, de garde d’enfants à domicile, de vaccins, de location de béquilles, d’ostéopathie, dépistage du cancer, prime de naissance, etc.
Pour permettre aux membres qui le souhaitent de bénéficier d’une couverture encore plus complète, les mutualités proposent également la possibilité de s’affilier à des assurances facultatives.
Population couverte
L’assurance-maladie obligatoire couvre environ 99 pour cent de la population. Le 1 pour cent restant regroupe essentiellement des personnes qui ne sont pas en ordre sur le plan des obligations administratives ou financières. Ces non assurés peuvent être cependant couverts par d’autres systèmes, principalement au travers des centres publics d’action sociale, tels que les mécanismes d’aides d’urgence disponibles pour les personnes en situation irrégulière ou sans domicile fixe.
Pour être couverts, les individus doivent s’affilier à une mutualité ou une caisse auxiliaire (l’affiliation à la HR Rail CSS est obligatoire pour le personnel Société Nationale des Chemins de Fer Belges).
Au 31 décembre 2021, les affiliations se répartissaient de la façon suivante:
Répartition des affiliations aux organismes assureurs
Organisme assureur |
Nombre d’individus couverts |
Pourcentage des individus couverts |
ANMC |
4 600 893 |
40,3% |
UNMS |
3 252 667 |
28,5% |
UML |
2 232 397 |
19,6% |
UNMN |
573 696 |
5,0% |
UNML |
539 577 |
4,7% |
CAAMI |
118 857 |
1,0% |
HR Rail CSS |
99 548 |
0,9% |
Total |
11 417 635 17 |
100,0% |
Source: Statistiques de l’INAMI (https://www.inami.fgov.be/fr/programmes-web/Pages/programme-web-statistiques-personnes-affiliees-mutualite.aspx)
Les assurés sont:
-
les travailleurs salariés, fonctionnaires et travailleurs indépendants; et
-
les travailleurs qui interrompent ou cessent leur activité donnant lieu à assujettissement: chômeurs, personnes reconnues incapables de travailler, titulaires de pension, femmes enceintes à partir du cinquième mois de grossesse.
Peuvent être reconnus comme ayants droit les personnes à charge de l’assuré:
-
le conjoint marié;
-
le conjoint non divorcé, mais séparé de fait ou de corps;
-
les enfants âgés de moins de 25 ans;
-
les ascendants; et
-
les cohabitants (CLEISS, 2019).
Risques couverts/panier de soins
L’assurance-maladie obligatoire couvre un ensemble de soins préventifs et curatifs inscrits dans la nomenclature des prestations remboursables fixée par arrêté royal. Cette liste spécifie entre autres les tarifs officiels et les tickets modérateurs, fixés par des conventions et des accords nationaux négociés chaque année (ou tous les deux ans) entre les représentants des mutualités et des prestataires de soins. Entrent dans cette liste:
-
les visites et consultations des médecins généralistes et des médecins spécialistes;
-
les soins donnés par les kinésithérapeutes;
-
les soins donnés par des infirmiers et par des services de soins infirmiers à domicile;
-
les soins dentaires;
-
les accouchements;
-
les prothèses, voiturettes, bandages et implants;
-
les soins hospitaliers;
-
les soins en maison de repos pour personnes âgées; et
-
les soins de rééducation fonctionnelle.
Le niveau de prise en charge varie essentiellement en fonction de la nature de la prestation, du statut du bénéficiaire et de la qualité du dispensateur de soins. Le ticket modérateur à la charge du patient s’élève généralement à 25 pour cent du montant de la prestation, s’agissant des consultations, de certains médicaments (les tarifs et conditions de remboursement ne sont pas fixés par convention, mais par arrêté royal) et de la journée d’hospitalisation pour laquelle la quote-part de l’assuré dépend du choix de la chambre et de la période d’hospitalisation (Reman, 2015).
La prise en charge s’effectue essentiellement par remboursement, les patients devant faire l’avance des frais. Cependant, le système de tiers payant, initialement appliqué uniquement aux médicaments sur prescription et aux soins hospitaliers/résidentiels, tend à s’élargir aux soins ambulatoires (en premier lieu pour les groupes sociaux vulnérables et les malades chroniques). Le système de forfait est également appliqué à certaines maisons médicales, avec un montant versé par les mutualités au prorata du nombre de patients enregistrés.
Les soins de santé sont dispensés par des prestataires conventionnés (soit plus de 80 pour cent des prestataires et structures de soins de santé) qui comprennent les services de santé publics et les professionnels de santé libéraux pour les soins ambulatoires, les pharmaciens libéraux, les hôpitaux publics et ceux privés à but non lucratif ainsi que les établissements spécifiques pour personnes âgées. Les assurés ont également accès aux prestataires non conventionnés pour lesquels ils ne sont couverts que dans la limite des tarifs fixés par l’INAMI.
Les assurés sont libres de choisir leurs prestataires de soins et peuvent recourir à la plupart des soins spécialisés et hospitaliers sans évaluation préalable par un médecin généraliste (Reman, 2015).
Les organismes assureurs proposent la même couverture à tous leurs affiliés, avec cependant certaines exceptions à travers trois mécanismes spécifiques: l’intervention majorée, le maximum à facturer et le fonds spécial de solidarité.
L’intervention majorée:
Ce mécanisme vise à faciliter l’accès aux soins de santé, avec un meilleur remboursement des prestations et des médicaments, en faveur:
-
des personnes aidées par les centres publics d’aide sociale, des personnes âgées qui bénéficient de la garantie des revenus aux personnes âgées et des enfants handicapés avec une incapacité physique et mentale d’au moins 66 pour cent;
-
des allocataires sociaux: pensionnés, chômeurs, handicapés, agents des services publics mis en disponibilité pour cause de maladie, ainsi que les familles monoparentales dont les revenus bruts sont inférieurs à un certain niveau; et
-
de toutes les personnes dont les revenus du ménage sont inférieurs à un certain niveau.
Grâce à l’automatisation des flux de données électroniques entre les institutions de sécurité sociale et les mutualités, ces dernières vérifient automatiquement les droits à l’intervention majorée pour leurs bénéficiaires qui n’ont aucune démarche à réaliser (BCSS, 2021).
Le maximum à facturer:
Ce second dispositif vise à limiter les dépenses annuelles de soins de santé des patients les plus fragiles socialement ou médicalement. Ce mécanisme intervient lorsque le cumul, calculé automatiquement par les organismes assureurs, des tickets modérateurs payé par un patient atteint un certain plafond au cours de l’année. Lorsque ce plafond est atteint, les tickets modérateurs sont pris en charge par l’organisme assureur pour les prestations qui seront consommées durant le reste de l’année. Il existe quatre types de maximum à facturer, dont le mode de calcul appliqué pour déterminer le plafond des tickets modérateurs diffère:
-
le maximum à facturer en fonction du revenus qui concernent tous les patients en fonction de leur niveau de revenus;
-
le maximum à facturer social, principalement accordé aux bénéficiaires de l’intervention majorée et aux personnes handicapées;
-
le maximum à facturer pour les enfants de moins de 19 ans, sans condition de revenus pour les ménages; et
-
le maximum à facturer pour les malades chroniques.
Le Fonds spécial de solidarité:
Ce dernier dispositif est géré par l’INAMI, avec un budget annuel cependant limité. Il a pour objectif d’éviter qu’un patient dans une situation médicale grave renonce à une prestation médicale essentielle, particulièrement chère et non remboursée par l’assurance-maladie obligatoire. L’intervention de ce fonds est soumise à certaines conditions, dont le dépôt d’une demande de principe avant un acte médical ou d’une demande dans les trois ans après celui-ci, auprès des médecins-conseils des organismes assureurs (CLEISS, 2019).
Financement
L’assurance-maladie obligatoire est une branche de la sécurité sociale et s’inscrit à ce titre dans le mécanisme global de financement et de gestion de celle-ci. Dans ce cadre, le financement de l’assurance-maladie obligatoire fait intervenir différents acteurs. Les recettes proviennent à 66 pour cent des cotisations collectées par l’Office national de sécurité sociale (ONSS) pour le régime des salariés 18 et par l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI) pour le régime des indépendants. Ces deux organismes globalisent les cotisations et les répartissent en fonction des besoins entre les organismes gestionnaires des différentes branches de la sécurité sociale, parmi lesquelles l’INAMI pour l’assurance-maladie. Le reste du financement provient du budget de l’État (24 pour cent des ressources de l’assurance-maladie) et de financements alternatifs (10 pour cent, il s’agit essentiellement de recettes provenant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA)) (Moudhi, 2018).
L’INAMI alloue un budget prospectif aux organismes assureurs tenant compte de la part de chaque organisme dans les dépenses d’assurance-maladie et du profil de risque de la population de ses assurés. À la fin de l’année, les dépenses de l’organisme assureur sont confrontées au budget reçu. Lorsque l’organisme a dépensé moins, il reçoit un bonus de 25 pour cent de l’écart constaté qui est affecté à son fonds spécial de réserve. Lorsqu’il a dépensé plus, l’organisme assureur prend en charge 25 pour cent du déficit constaté en puisant dans son fonds spécial de réserve. La constitution de ce fonds spécial de réserve est obligatoire pour tous les organismes assureurs.
2.3. Une gestion déléguée qui place le mutualité au centre de l’assurance maladie obligatoire
Les mutuelles de santé
La loi belge du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités définit, dans son article 2, les mutualités de la façon suivante: «Les mutualités sont des associations de personnes physiques qui, dans un esprit de prévoyance, d’assistance mutuelle et de solidarité, ont pour but de promouvoir le bien-être physique, psychique et social. Elles exercent leurs activités sans but lucratif (loi du 6 août 1990».
La loi de 1990 fixe certaines conditions pour l’obtention de la reconnaissance et l’utilisation des termes «mutuelle», «caisse de maladie», «mutualité», «mutualiste» dans la dénomination des mutualités:
-
Avoir un nombre minimal de membres (ce nombre est fixé par le Roi);
-
Instaurer au moins un service qui a pour but:
-
«la participation à l’exécution de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités;
-
l’intervention financière pour leurs affiliés et les personnes à leur charge, dans les frais résultant de la prévention et du traitement de la maladie et de l’invalidité, ou l’octroi d’indemnités en cas d’incapacité de travail ou lorsque se produit une situation en vertu de laquelle le bien-être physique, psychique ou social peut être encouragé; et
-
l’octroi d’aide, d’information, de guidance et d’assistance en vue de promouvoir le bien-être physique, psychique et social, entre autres par l’accomplissement de ses missions».
-
La condition fixées pour les unions nationales est de compter au moins deux mutualités membres offrant les services ci-dessus.
Ce cadre légal donne une place particulière aux mutualités qui ne peuvent obtenir ou maintenir la personnalité juridique qu’à condition de participer à l’assurance obligatoire soins de santé. Elles sont ainsi étroitement associées à la gestion de l’assurance-maladie obligatoire et servent d’interface entre l’Institut national d’assurance-maladie-invalidité et le citoyen (CES, 2017).
Bien qu’elles agissent comme des institutions quasi parastatales – les comptables de la Banque Nationale de Belgique incluent les mutuelles dans le secteur des administrations publiques concernant leurs activités relatives à l’assurance-maladie-invalidité obligatoire – elles restent des organisations de l’économie sociale, distinctes de l’État, au regard notamment des assurances complémentaires et des services sociaux très divers, notamment dans les soins à domicile, qu’elles développent de façon autonome (CES, 2017).
Comme souligné plus haut, une autre particularité des mutualités belges est leur base philosophico‐politique, les trois plus importantes étant les mutualités chrétiennes, les mutualités socialistes et les mutualités professionnelles. Ces mutualités ont gardé trace des différents mondes idéologiques dont elles sont issues et participent ainsi à la «pilarisation» de la société belge. Ces références religieuses ou idéologiques ont cependant perdu de leur importance avec le temps dans les distinctions entre mutualités (Reman, 2015).
Cadre légal/institutionnel
Le système national de protection sociale en santé implique une pluralité d’acteurs et d’institutions qui sont concernés par le fonctionnement de l’assurance-maladie obligatoire parmi lesquels les caisses de sécurité sociale qui recouvrent les cotisations, l’INAMI qui organise et gère l’assurance soins de santé dont la réalisation est confiée aux organismes assureurs et l’Office de contrôle des mutualités veille au respect des obligations financières et comptables par ces derniers. La gestion de l’assurance-maladie obligatoire est de plus basée sur la concertation sociale qui mobilise également les dispensateurs de soins et les partenaires sociaux (SPF Sécurité sociale, 2012).
Au sein de ce système, les principes généraux de l’organisation administrative, du financement et du budget de l’assurance-maladie obligatoire sont déterminés par la loi du 14 juillet 1994, et dans l’arrêté royal portant exécution de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonné le 14 juillet 1994. Cette loi confie aux cinq unions nationales de mutualités et aux deux caisses auxiliaires (CAAMI et HR Rail CSS) une position centrale dans le système d’assurance-maladie obligatoire. Dans ce cadre, les unions nationales assurent globalement trois grandes fonctions:
-
une fonction technique en tant qu’organisme assureur en charge d’exécuter l’assurance obligatoire;
-
une fonction sociale avec la mise en œuvre d’initiatives indirectes hospitalières et des services sociaux - les mutualités sont des organisations de l’économie sociale; et
-
des fonctions politiques comme interlocuteurs sociaux et acteurs de la politique de la santé.
La répartition des fonctions
Le terme «gestion déléguée» n’apparait pas dans les textes et documents relatifs à l’assurance-maladie obligatoire en Belgique. Toutefois, schématiquement, l’INAMI est responsable de l’organisation générale de l’assurance dont elle délègue la mise en œuvre aux organismes assureurs. Parmi ces derniers, les unions de mutualités délèguent à leur tour une partie de leurs fonctions à leurs mutualités membres.
Plus largement, le système repose sur une répartition des fonctions entre plusieurs acteurs:
-
Les organismes de sécurité sociale, l’ONSS et l’INASTI, sont en charge du recouvrement global des cotisations des différentes branches de sécurité sociale et de leur répartition entre les organismes gestionnaires de ces branches, dont l’INAMI.
L’INAMI est chargé de la gestion administrative et financière de l’assurance obligatoire des soins de santé et des prestations. Son département des soins de santé assure un ensemble de fonctions, notamment:
-
-
la mutualisation des ressources provenant des contributions sociales et des transferts de l’État;
-
la préparation du budget et l’organisation du financement approprié des activités des organismes assureurs et des prestataires de soins de santé;
-
l’organisation du remboursement des frais médicaux;
-
la surveillance de l’évolution des dépenses de santé;
-
l’information des prestataires de soins de santé, des organismes assureurs et des assurés;
-
le contrôle du respect de l’application de la législation et de la réglementation;
-
l’organisation des négociations entre les différents acteurs de l’assurance-maladie obligatoire; et
-
l’élaboration de la législation et la réglementation.
-
-
Les unions de mutualités sont les organismes assureurs, responsables pour la mise en œuvre de l’assurance santé et du service des prestations aux bénéficiaires:
-
elles contrôlent les dépenses de santé et veillent à ce qu’elles soient conformes aux dispositions légales;
-
elles organisent collectivement les négociations avec les prestataires de santé: tous les deux ans, les représentants des mutualités se réunissent avec les prestataires de soins pour fixer le niveau des tarifs que ces derniers sont invités à pratiquer pour les deux années qui suivent, avec pour objectif de garantir la sécurité tarifaire du patient et de pouvoir garder le budget de l’assurance soins de santé sous contrôle; et
-
elles supervisent globalement le bon fonctionnement des mutualités membres, y compris dans le cadre de l’assurance complémentaire.
-
-
Les unions délèguent aux mutualités une partie de leur mandat d’exécution de l’assurance obligatoire. Dans ce cadre, les mutualités:
-
remboursent tout ou en partie les soins de santé;
-
assurent une proximité avec leurs membres à travers leurs sections et permanences mutualistes locales et organisent des actions d’information et de promotion de la santé;
-
défendent les intérêts de leurs membres; et
-
rendent compte à leur union nationale.
-
Les mutualités offrent de plus des remboursements, services et avantages complémentaires à l’assurance obligatoire. Elles ont également une fonction de prestataires de soins à travers la gestion d’hôpitaux et la rémunération de médecins et d’un corps médical nombreux. Le secteur mutualiste fait ainsi partie du secteur non marchand des hôpitaux aux côtés d’autres hôpitaux privés non commerciaux.
Répartition des fonctions
Fonctions |
Répartition |
|||
ONSS et INASTI |
INAMI |
Unions nationales |
mutualités |
|
Définition du panier de soins |
X |
|||
Conventions |
X |
X |
||
Éducation et promotion |
X |
X |
X |
|
Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
|||
Recouvrement des cotisations |
X |
|||
Mobilisation des ressources |
X |
X |
||
Mise en commun des risques couverts |
X |
X |
||
Paiement des prestations |
X |
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Prestations de services de santé |
X |
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Suivi et pilotage |
X |
X |
2.4. Impact des leçons
Depuis sa création en 1944, l’assurance-maladie obligatoire a connu une évolution progressive, passant par de nombreux changements, pour devenir une couverture universelle qui offre aujourd’hui une protection large à plus de 99 pour cent de la population belge contre les risques financiers liés à la maladie.
Les mutualités sont à l’origine de l’architecture actuelle de l’assurance obligatoire au sein de laquelle elles jouent un rôle central. Ce rôle a parfois été contesté, notamment lorsque la loi de 1963 a introduit l’obligation pour les prestataires de soins de conclure des conventions avec les mutualités, entraînant une grève des médecins dans tout le pays. Il a également connu des périodes de flou et de débats, notamment à la fin des années 1980, quant aux missions des mutualités et au contrôle des ressources perçues dans le cadre de la sécurité sociale. Dans ce contexte, les lois de 1990 et de 1994 constituent une étape clé en réformant le monde des mutualités et en les dotant d’un cadre d’action adapté, dans un souci de transparence. La mutualité relevait jusqu’alors de la réglementation de 1894 qui ne répondait plus aux réalités et aux règles de gouvernance et de contrôle dans le cadre de l’assurance-maladie obligatoire.
Comme souligné plus haut, et comparativement aux autres pays de l’Union européenne où les mutuelles sont essentiellement actives dans l’assurance-maladie complémentaire, le cadre légal donne en Belgique une place particulière aux mutualités, qui sont les principaux organismes assureurs de l’assurance obligatoire et dont la personnalité juridique est conditionnée à cette participation à l’assurance obligatoire.
Cependant, il importe de souligner que les mutualités ne sont pas réduites à un rôle de guichets de remboursement. Elles sont des organisations de l’économie sociale et conservent, s’agissant notamment des mutualités socialistes et chrétiennes qui sont les plus importantes, leurs racines sociales et militantes. Elles interviennent ainsi activement dans l’amélioration de l’accès aux soins à travers leurs services médicaux sociaux (services de soins, aides aux personnes à domicile, etc.) et leur rôle de premier plan dans les débats sur la politique nationale de la santé. Les mutualités attachent également une importance particulière à l’information et à l’éducation à la santé. En 2016, les mutualités ont par exemple signé avec le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique le «pacte d’avenir avec les organismes assureurs» qui renforce leur rôle d’information des membres sur le système de soins de santé et la santé en général, de responsabilisation des patients et de promotion de modes de vie sains.
Références
Banque-carrefour de la sécurité sociale, BCSS (2021). «Intervention majorée de l’assurance soins de santé», 2021. https://www.ksz-bcss.fgov.be/fr/project/intervention-majoree-de-l-assurance-soins-de-sante
Centre d’économie sociale, CES (2017). «Mutualités». CES, décembre 2017. http://www.ces.uliege.be/mutualites/
Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, CLEISS (2019). «La protection sociale en Belgique». https://www.cleiss.fr/docs/regimes/regime_belgique.html
Centre de recherche et d’information socio-politiques, CRISP. (2022). «Mutualité». https://www.vocabulairepolitique.be/mutualite/
CRISP (1964). «Les mutualités en Belgique», Courrier hebdomadaire du CRISP 258, nᵒ 33 (1964): 1‑15. https://doi.org/10.3917/cris.258.0001
De Troyer, M. et Krzeslo, E. (2004). «Belgique. Assurance-maladie, soins de santé et sécurité sociale : trois éléments indissociables». Chronique Internationale de l’IRES, nᵒ 91 (novembre 2004). http://www.ires.fr/index.php/publications/chronique-internationale-de-l-ires/item/3909-belgique-assurance-maladie-soins-de-sante-et-securite-sociale-trois-elements-indissociables
Dresse, R. (2006). «100 ans de la Mutualité chrétienne - La mutualité : une histoire plus que centenaire». En Marche, 2006. https://archives.enmarche.be/Mutualite_chretienne/La_mutualite_histoire_centenaire.htm#1
Mouhdi, H. (2018). «L’apport d’un système d’information intégré à la couverture médicale de base, cas du Maroc». Thèse de Doctorat, Faculté de médecine et de pharmacie, Université Mohammed V, 2018.
Reman, P. (2015). La protection sociale en Belgique. Europa, Centre d’études sur la protection sociale en Europe (CEPSE). https://www.europaong.org/wp-content/uploads/2015/09/EUROPA-CEPSE-BELGIQUE.pdf
Service public fédéral de sécurité sociale, SPF (2012). «Aperçu de la sécurité sociale en Belgique», SPF, 2012. https://socialsecurity.belgium.be/fr/publications/apercu-de-la-securite-sociale-en-belgique
Autres documents consultés:
Gerkens S. et Merkur S. (2020). «Belgium: Health System Review 2020». Health Systems in Transition 22, nᵒ 5 (31 décembre 2020). https://eurohealthobservatory.who.int/publications/i/belgium-health-system-review-2020.
Institut national d'assurance-maladie-invalidité, INAMI. L’assurance soins de santé et indemnités belge, Repères du passé, balise pour le futur, 2014. https://www.inami.fgov.be/SiteCollectionDocuments/brochure-50-inami.pdf.
Office de contrôle des mutualités, OCM (2022). Rapport annuel 2021, juin 2022. https://www.ocm-cdz.be/sites/default/files/report/file/OCM%20CDZ%20JAARVERSLAG%202021_FR.pdf.
Site Web de l’INAMI: https://www.inami.fgov.be/fr [Consulté le 15 octobre 2023]
3. Burkina Faso
3.1. Contexte
La construction d’un système national d’assurance-maladie universelle figure parmi les objectifs de l’axe II «Développer le capital humain» du Plan national de Développement économique et social (PNDES 2016-2020) du Burkina Faso et est repris dans le PNDES II (2021-2025). Elle constitue également un objectif phare de la Politique nationale de Protection sociale (PNPS 2013-2022) ainsi que de la Politique sectorielle Travail, Emploi et Protection sociale (PS/TEPS 2018-2027). Le Régime d’assurance-maladie universelle (RAMU) a été institué en 2015 19, avec pour objectif de favoriser l’accès aux soins de santé pour l’ensemble de la population résidant au Burkina Faso, tout en la protégeant contre les difficultés financières en cas de maladie, par le biais de contributions obligatoires et la prise en charge des personnes indigentes dépourvues de ressources financières nécessaires au paiement des contributions. En 2018, la Caisse nationale d’Assurance-maladie universelle (CNAMU) a été créée 20 avec pour mission de gérer le RAMU au profit des populations civiles (PSD-CNAMU, 2022).
Le chemin vers l’opérationnalisation du RAMU est très progressif et se confronte à de multiples défis. Le Burkina Faso est un pays à faible revenu, avec une économie peu diversifiée et structurellement vulnérable aux chocs extérieurs. Le pays est notamment fortement exposé aux effets de l’instabilité sahélienne et connaît depuis 2016 des violences armées répétées provoquant une grave crise humanitaire avec plus de 1,7 million de personnes déplacées. En outre, le pays est vulnérable aux effets délétères du réchauffement climatique, en particulier dans la région du Sahel, et on estime à 3 millions le nombre de personnes en insécurité alimentaire.
Sur la base de son Plan stratégique de Développement (PSD-RAMU) 2019-2023, le processus d’opérationnalisation du RAMU est toujours en cours en 2022. La CNAMU ne fournit aucune prestation à l’exception de la couverture de personnes indigentes dans le cadre d’une expérience pilote entreprise en 2020, en partenariat avec des mutuelles de santé et des ONG nationales.
3.2. Le système national de protection sociale en santé
Architecture et gouvernance
Le RAMU vise à mettre en œuvre un régime de base pour tous, à terme obligatoire, et ainsi décloisonner les mécanismes actuels afin d’organiser une mutualisation des risques à l’échelle nationale. Le champ de la protection sociale en santé est en effet aujourd’hui fragmenté, avec plusieurs mécanismes en place:
-
Le régime d’assurance-maladie universelle qui vise à étendre progressivement la couverture santé universelle à toute la population, avec deux structures de gestion (voir ci-après).
-
La CNAMU qui assure la gestion du RAMU des personnes civiles et leurs familles ce qui englobe les travailleurs et leurs dépendants du secteur formel, du secteur informel et du monde agricole, ainsi que les ménages pauvres, en combinant un régime contributif et un régime non contributif.
-
La Caisse d’assurance-maladie des armées (CAMA) 21 qui assure la gestion du RAMU au profit des éléments des forces armées nationales et des membres de leurs familles.
-
-
Les systèmes d’assurance privée volontaire. Dans l’attente de l’opérationnalisation du RAMU, les assurances privées sont actuellement les seuls systèmes de couverture actifs, avec plusieurs mécanismes (décrits ci-après).
-
Les mutuelles communautaires sont ouvertes à toutes les catégories de population. Elles sont nées d’initiatives communautaires locales et généralement organisées sur une base territoriale (exemple des mutuelles communales) ou de groupements de travailleurs du secteur informel ou du monde agricole (exemple des mutuelles de producteurs de coton). Ces mutuelles sociales n’ont développé aucune autre forme d’activité parallèlement à la couverture des dépenses de santé.
-
Les mutuelles professionnelles sont surtout présentes au sein des administrations publiques ainsi que dans certains grandes entreprises ou corps de métier au sein de l’économie formelle. Ces mutuelles professionnelles offrent également une diversité de services à leurs membres en plus de l’assurance santé, notamment des activités d’entraide (notamment pour les événements sociaux) et de solidarité, de micro finance (prêts scolaires, prêts pour les événements sociaux et prêts pour subvenir aux besoins) et d’aide au financement d’activités génératrices de revenus.
-
-
Les assurances commerciales et les programmes des entreprises privées. Dans une optique de politique sociale interne, certaines entreprises ont mis en place des régimes médicaux gérés en interne par l’entreprise ou en partenariat avec une société d’assurance commerciale. Ces mécanismes sont peu documentés et ne couvrent qu’une petite proportion de travailleurs burkinabés du secteur privé et d’expatriés. L’Assemblée nationale souscrit également des polices d’assurance au profit des députés
-
Les programmes de gratuité regroupent les mesures de gratuité des soins pour les femmes et les enfants de moins de cinq ans, ainsi que le développement de mesures en faveur des personnes âgées, et des personnes handicapées. S’ajoutent également la prise en charge des traitements de certaines maladies telles que le VIH/SIDA, la lèpre, la tuberculose, etc.
-
Les subventions aux établissements publics et aux municipalités. Le gouvernement fournit un financement direct afin de favoriser l’accès aux soins de santé, sous forme:
-
de crédits délégués qui regroupent les subventions accordées aux établissements publics afin de garantir l’accès aux services de santé pour l’ensemble de la population; et
-
de crédits transférés, accordés aux municipalités pour améliorer les infrastructures et les équipements des établissements publics relevant de leur compétence.
-
Le système formel de protection sociale couvre moins de 10 pour cent de la population. En 2012 l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) estimait que seulement 2 pour cent de la population était couverte par des mécanismes d’assurance-maladie (hors programmes de gratuité). Cette estimation continue d’être utilisée aujourd’hui faute de données plus récentes. Un inventaire des mutuelles sociales réalisé en 2020 évalue à 0,15 pour cent la proportion de la population totale du Burkina Faso effectivement couverte par un mécanisme de protection sociale en santé gérée par ces mutuelles (Burkina Faso, 2022) (CNAMU, 2021).
Populations cibles et paniers de soins
Les pools de risque sont très variables suivant les différents systèmes de couverture. Globalement, la mutualisation des risques est limitée dans les systèmes existants: les mutuelles communautaires sont de petite taille, avec une moyenne de 350 bénéficiaires. Les mutuelles professionnelles comptent en moyenne 1 280 bénéficiaires, mais restent circonscrites à la taille des administrations ou entreprises au sein desquelles elles ont été créées.
L’objectif à terme de la CNAMU est d’harmoniser cette couverture en offrant un régime de base pour tous, y compris en intégrant les programmes actuels de gratuité. Le panier de soins du RAMU est en cours de définition; un décret qui reste à adopter en Conseil des ministres fixe le contenu de ce panier de soins qui inclut les actes de médecine générale et de spécialités médicales et chirurgicales, les actes infirmiers, les soins relatifs au suivi de la grossesse, à l’accouchement et à ses suites, les actes et les soins liés à l’hospitalisation et aux interventions chirurgicales, les soins bucco-dentaires d’urgence, les examens de biologie médicale, les actes de radiologie et d’imagerie médicale et les explorations fonctionnelles.
L’inventaire 2020 des mutuelles sociales montre que les mutuelles professionnelles proposent une couverture élargie à tous les niveaux de la pyramide sanitaire et aux prestataires de soins publics, confessionnels et privés lucratifs. Les mutuelles communautaires se cantonnent en majorité aux niveaux primaire et, pour celles urbaines, secondaire; deux unions régionales (sur les 11 existantes) offrent également une couverture des niveaux secondaire et tertiaire pour les bénéficiaires de leurs mutuelles membres. Dans tous les cas, les mutuelles communautaires couvrent essentiellement l’offre de soins publique et confessionnelle ainsi que des laboratoires et centres d’imagerie médicale privés afin de pallier les déficiences des services publics.
Financement
Les mutuelles sociales sont financées par les cotisations forfaitaires de leurs membres, avec des contributions qui varient de 3 550 FCFA par an et par personnes en moyenne pour les mutuelles communautaires à 24 125 FCFA par an et par personnes en moyenne pour les mutuelles professionnelles. Des programmes ponctuels couvrent les cotisations, voire les tickets modérateurs, pour certains bénéficiaires, à l’exemple d’un projet pilote mené par la Banque mondiale en 2014 dans 2 provinces et de l’inclusion des réfugiés urbains dans des mutuelles par le HCR.
Les programmes de gratuité sont financés par le budget national, sur la base des ressources fiscales et des appuis budgétaires des partenaires extérieurs. Concernant la politique de gratuité pour les femmes enceintes et les enfants de 0 à 4 ans, lancée en 2016, le gouvernement éprouve depuis 2018 des difficultés à distribuer les montants nécessaires.
Malgré ces mécanismes d’assurance et de gratuité, les paiements à la charge des usagers restent conséquents et représentent 31,7 pour cent (en 2017) du financement du secteur de la santé (PHCPI, 2022).
3.3. Les mutuelles de santé
L’inventaire réalisé en 2021 par le ministère de la Fonction Publique, du Travail et de la Protection sociale avec l’appui du BIT, recensait, pour l’année 2020, 233 mutuelles sociales 22 qui se regroupent en deux grands blocs:
-
62 mutuelles professionnelles créées par les travailleurs d’institutions publiques, d’entreprises ou d’un même corps de métier au sein de l’économie formelle. Parmi celles-ci , 10 mutuelles offrent une assurance santé pour 8 971 bénéficiaires. Ces mutuelles sont regroupées dans 3 unions, elles-mêmes membres de la Fédération des Mutuelles Professionnelles et Caisses de solidarité du Burkina (FMP/BF);
-
171 mutuelles de santé communautaires nées d’initiatives communautaires locales et généralement organisées sur une base territoriale (exemple des mutuelles communales) ou de groupements de travailleurs du secteur informel ou du monde agricole (exemple des mutuelles de producteurs de coton). Ces mutuelles ont été mises en place avec l’appui d’ONG nationales, généralement dans de cadre programmes financés par des partenaires extérieurs. Elles totalisent en 2020 35 922 bénéficiaires inscrits dont 29 844 en cours de droit. Depuis les années 2010, les mutuelles de santé communautaires se structurent avec la création d’unions régionales et de la Fédération des Mutuelles Sociales Communautaires (FEMUSCO) au niveau national.
La croissance de ce mouvement mutualiste est lente; la comparaison avec un précédent inventaire réalisé en 2011 montre même une diminution du nombre de bénéficiaires dans les 171 mutuelles communautaires, celle-ci résultant d’une opération de nettoyage des registres d’adhérents, entreprise sous l’impulsion des ONG d’appui aux mutuelles, avec la radiation des assurés ne cotisant plus.
Les mutuelles sociales professionnelles d’une part, et les mutuelles sociales communautaires en association avec leurs unions régionales d’autre part, offrent théoriquement une couverture étendue à tous les échelons de la pyramide sanitaires. Cependant seules deux unions offrent une couverture complémentaire aux mutuelles communautaires et ne touchent qu’un cinquième du total des bénéficiaires recensés. Globalement, la couverture des mutuelles communautaires reste par conséquent concentrée sur les petits risques (niveau local de la pyramide sanitaire). Cette couverture est de plus limitée par des faiblesses en termes de gestion technique qui impactent sur la continuité et qualité de la couverture offerte par les mutuelles communautaires et réduisent leur attractivité pour les populations cibles (Burkina Faso, 2022).
3.4. Une expérimentation de la délégation de service au profit des personnes indigentes
La CNAMU expérimente un système de gestion déléguée aux mutuelles de santé à travers une première phase pilote de 4 ans, débutée en 2019, de prise en charge des personnes indigentes dans quatre régions du pays. Cette expérimentation prépare l’opérationnalisation du RAMU et constitue le seul mécanisme de délégation actuellement existant au Burkina Faso.
Le cadre légal
La CNAMU, organisme gestionnaire du RAMU, peut déléguer certaines de ses fonctions techniques, tel que prévu par la loi n°060-2015/CNT, dans ses articles:
-
Article 40 - «Les organismes de gestion visés à l’article 38 ci-dessus [la CNAMU et la CAMA] peuvent déléguer certaines de leurs fonctions techniques à des organismes dits de gestion déléguée, notamment les autres établissements de prévoyance sociale, les mutuelles sociales, les assureurs privés et les sociétés de gestion maladie de type privé. La délégation des fonctions est constatée par une convention de gestion déléguée.» L’article 41 interdit le cumul de la gestion de fonction déléguée par la CNAMU avec la gestion d’établissement de santé;
-
Article 42 - «Un organe de régulation de l’assurance-maladie universelle supervise les relations entre les organismes de gestion, les organismes de gestion déléguée et les prestataires de soins de santé ou tous autres prestataires en relation avec lesdits organismes de gestion. L’organe de régulation est créé par décret pris en Conseil des ministres.»
L’expérimentation de la gestion déléguée pour la prise en charge des personnes indigentes a cependant été immédiatement confrontée à l’absence d’un cadre juridique clair pour les mutuelles de santé. Celles-ci sont régies par le règlement no 07/2009/CM/UEMOA, mais qui n’a pas été encore transposé au Burkina Faso. Jusqu’à présent, les mutuelles sociales disposent seulement d’une reconnaissance formelle de l’administration publique en tant qu’association, conformément à la loi portant liberté d’association.
Dans ce contexte, la phase pilote de prise en charge des indigents a été mise en œuvre à travers un conventionnement entre la CNAMU et des ONG d’appui aux mutuelles, en octobre 2019. Ainsi la CNAMU a signé des conventions de gestion déléguée avec les ONG ASMADE, RAMS et APIL Burkina pour assurer la prise en charge des indigents dans quatre régions du pays: la Boucle du Mouhoun, le Centre, les Hauts Bassins et le Nord. Le terme d’organisme de gestion déléguée (OGD) désigne ici par conséquent ces ONG dans cette expérimentation, celles-ci s’appuyant sur les mutuelles communautaires pour la réalisation des différentes fonctions déléguées.
Groupe cible
Le statut d’indigence est défini par le décret portant détermination des critères d’identification de la personne indigente, adopté en septembre 2019 . Cependant, ce décret n’est pas très précis et définit la personne indigente comme «la personne qui remplit cumulativement les critères suivants: être dans une situation d’absence ou d’insuffisance de revenu; être dans une situation d’absence ou d’insuffisance d’aide». L’objectif fixé initialement était la couverture de 70 000 personnes indigentes dans les quatre régions retenues. La convention passée avec les ONG prévoit que les personnes indigentes bénéficiant de la prise en charge au titre du RAMU soient celles figurant sur une liste communiquée par la CNAMU.
Dans la pratique, la CNAMU a utilisé le Registre social élaboré par le Secrétariat permanent du Conseil national pour la protection sociale (SP/CNPS) sur la base d’une méthodologie consensuelle de ciblage des personnes vulnérables élaborée en 2015 avec les acteurs nationaux et les partenaires extérieurs, dans le cadre de programmes de transferts pour les ménages pauvres. Ce registre identifie 67 000 personnes indigentes dans les quatre régions concernées par la phase pilote dont l’objectif de couverture a été ajusté en conséquence.
Depuis fin 2021, l’élaboration d’un registre social unique (RSU) a été confiée au ministère de l’Action sociale. Un secrétariat technique (ST-RSU) a été mis en place avec notamment pour objectif immédiat de redéfinir une méthodologie de ciblage des ménages pauvres. La liste fournie par le SP-CNPS est par conséquent destinée à être prochainement caduque avec pour conséquence une nécessaire nouvelle opération d’enrôlement des nouvelles personnes indigentes identifiées, mais aussi de radiations de celles n’étant plus enregistrées dans ce nouveau RSU.
Définition du panier de soins
Le régime de base du RAMU n’étant pas encore adopté, la prise en charge des personnes indigentes s’appuie sur un panier de soins défini pour l’occasion et qui prévoit une prise en charge à 100 pour cent des tarifs des consultations, des hospitalisations, des examens médicaux, de la chirurgie, des médicaments, etc. appliqués au niveau des formations sanitaires publiques primaires et secondaires (centre de santé et de promotion sociale (CSPS), Centre Médical/avec Antenne chirurgicale (CM/CMA), centre hospitalier régional (CHR)).
Cette prise en charge se base sur la grille de tarification nationale des actes professionnels de santé dans les structures publiques. Début 2022, la CNAMU et le ministère de la Santé ont entrepris l’élaboration d’un référentiel des actes professionnels des actes des professionnels de santé et d’un référentiel des produits de santé éligibles à la prise en charge par le RAMU. Ces référentiels devront permettre d’affiner le contenu du panier de soins du RAMU et de fixer les tarifs d’achats des prestations et des produits de santé, fixant ainsi la contribution du régime au financement de la santé, aux côtés d’autres sources telles que les subventions nationales et locales, les paiements directs des ménages non couverts et les partenaires extérieurs.
Niveau et périodicité de contribution
Sur la base de l’article 48 de la loi n° 060-2015 du 5 septembre 2015, qui prévoit que l’État est financièrement responsable de la couverture des personnes indigentes, la CNAMU a été dotée d’une enveloppe budgétaire qu’elle a reversée aux ONG partenaires sur la base des listes de personnes indigentes enrôlées.
Il s’agit de fait d’un paiement par capitation dont le montant a été fixé à 7 500 FCFA par personne et par an et qui vise à couvrir les coûts de gestion et les dépenses en prestations des OGD. La convention prévoit le versement du budget par la CNAMU lorsque l’OGD transmet la liste des personnes indigentes enrôlées, cette dernière devant justifier les ressources reçues en suivant un canevas de rapport fourni par la CNAMU. La prise en charge de dépenses de santé débute avec la délivrance des cartes d’assuré, pour une durée de 12 mois.
Le financement de la mise à jour de la liste des personnes indigentes ou la réalisation de nouveaux ciblages est assuré par la CNAMU. Cette mise à jour de la liste se fait de commun accord entre la CNAMU et l’OGD.
Les fonctions déléguées prévues dans les conventions
La convention avec les ONG chargeait ces dernières d’assurer pour le compte de la CNAMU, les fonctions déléguées suivantes:
-
la mobilisation sociale des personnes indigentes;
-
l’enrôlement des personnes indigentes; et
-
l’achat des prestations de santé au profit des personnes indigentes (Traoré, 2022).
Le partenariat entre la CNAMU et les ONG distribue ainsi globalement les différentes fonctions:
Au niveau de la CNAMU
-
La Caisse définit pour cette phase pilote un panier de soins.
-
Elle mobilise les ressources qu’elle reverse aux OGD sur la base des listes de personnes indigentes enrôlées.
-
La CNAMU fournit ou élabore conjointement avec les OGD, des supports de gestion pour l’enrôlement et la gestion technique des affiliations et des prestations. La convention prévoit que les L’OGD s’engagent à tester certains outils de gestion du RAMU si la CNAMU en fait la demande. Les coûts engendrés par les différents tests des outils sont supportés par la CNAMU.
-
La CNAMU est chargée d’effectuer les contrôles médicaux et administratifs pour s’assurer de l’effectivité et de la qualité de la prise en charge sanitaire des assurés. Toutefois, la CNAMU peut, soit se faire appuyer par d’autres structures pour effectuer ces contrôles, soit le leur déléguer intégralement. Dans tous les cas, l’OGD est tenu de se soumettre aux différents contrôles.
-
La CNAMU est chargée du suivi de la convention. A cet effet, elle est tenue de rencontrer l’OGD au moins une fois par mois afin d’évaluer la mise en œuvre de la convention. La CNAMU peut discuter directement avec les mutuelles sociales et leurs unions appuyées par l’OGD après une information de cette dernière.
Au niveau des ONG délégataires
-
L’OGD est chargé d’informer et sensibiliser les autorités locales, les leaders d’opinion et les personnes indigentes dans les localités concernées, lors des opérations d’enrôlement puis lors de la remise des cartes d’assurés. L’OGD est également chargé d’informer les personnes indigentes sur leurs droits et devoirs en leur qualité d’assurés sociaux et les renseigner sur les différents types de contrôles et sur les conditions et procédures de leur prise en charge médicale.
-
L’enrôlement des personnes indigentes est assuré par l’OGD qui est également chargé de la production de la carte d’assuré pour chaque bénéficiaire, la forme et les informations devant figurer sur la carte étant validées par la CNAMU. L’OGD est chargé de la distribution des cartes d’assurés. Il communique au préalable à la CNAMU la stratégie de distribution desdites cartes puis soumet un état détaillé de l’opération de distribution des cartes d’assuré à la CNAMU chaque mois, ou chaque fois que celle-ci le lui demande. La convention impose à l’OGD de délivrer aux assurés leurs cartes dans les trente (30) jours suivant la constatation du virement dans son compte bancaire des fonds destinés à la prise en charge des personnes indigentes ciblées.
-
L’OGD est responsable de la signature et du suivi du respect des clauses des conventions avec les prestataires de soins dont la liste doit être communiquée à la CNAMU et portée à la connaissance des bénéficiaires. Il doit de plus prendre toutes les dispositions pour faciliter l’accès des bénéficiaires aux prestations de soins de santé, notamment l’accueil et l’identification du bénéficiaire par le personnel soignant, et veiller à la disponibilité et à la qualité des prestations offertes par les prestataires de soins de santé.
-
Le schéma initial prévoyait une mutualisation des risques au niveau de la CNAMU qui devait se charger du paiement des prestataires de soins. Toutefois, la CNAMU n’étant pas opérationnelle, la convention passée en 2019 a confié aux OGD la fonction d’achat des prestations et les risques sont mutualisés au niveau des mutuelles communautaires.
-
L’OGD est tenu de produire un rapport mensuel d’activités consolidé des mutuelles sociales suivant un canevas fourni par la CNAMU.
Répartition des fonctions prévue par la convention entre la CNAMU et les OGD
Fonctions |
Répartition |
|
CNAMU |
OGD |
|
Définition du panier de soins |
X |
|
Conventions |
X |
|
Éducation et promotion |
X |
|
Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
|
Recouvrement des cotisations |
Régime non contributif |
|
Mobilisation des ressources |
X |
|
Mise en commun des risques couverts |
X |
|
Paiement des prestations |
X |
|
Prestations de services de santé |
La loi de 2015 portant RAMU interdit le cumul de la gestion de fonction déléguée par la CNAMU avec la gestion d’établissement de santé |
|
Suivi et pilotage |
X |
X |
3.5. Impact et leçons
Dans l’attente d’une évaluation de cette phase pilote, prévue courant 2022, la CNAMU ne dispose pas de listes fiables des indigents ayant été enrôlés ni de données précises sur la couverture et les prestations servies par les mutuelles de santé. Le tableau ci-dessous donne un état de l’enrôlement des personnes indigentes à l’issue du premier trimestre 2021, avec pour résultat seulement 16 pour cent des personnes ciblées ayant reçu leur carte d’assuré; fin 2021, ce taux de couverture était estimé à 23 pour cent.
État de l’enrôlement et de la production des cartes (1er trimestre 2021)
RÉGIONS |
Nombre de personnes ciblées |
Nombre de personnes enrôlées |
Taux d’enrôlement |
Nombre de cartes produites |
Nombre de cartes distribuées |
Boucle du Mouhoun |
44 084 |
11 146 |
25,28% |
1 835 |
814 |
Hauts Bassins |
4 977 |
2 965 |
59,57% |
1 382 |
1 359 |
Centre |
15 227 |
13 491 |
88,60% |
8 859 |
8 779 |
Nord |
2 857 |
2 228 |
77,98% |
0 |
0 |
Total |
67 145 |
29 830 |
44,43% |
12 076 |
10 952 |
Source: CNAMU, 2021
L’objectif de cette phase pilote était de tester la capacité des mutuelles à assurer les fonctions assurantielles déléguées par la CNAMU et la pertinence des outils de gestion du RAMU dans la perspective d’une extension à l’échelle nationale et à d’autres catégories d’assurés. Toutefois, comme souligné plus haut, cette expérience a été d’emblée faussée par l’absence d’un cadre juridique clair pour les mutuelles de santé, obligeant la CNAMU à conventionner avec les ONG qui appuient ces dernières, bien que la loi de 2015 ne prévoie pas explicitement celles-ci comme structures de gestion déléguée. De plus, de multiples faiblesses ont été constatées (voir ci-dessous).
-
Il n’y a pas eu de discussions préalables suffisantes, notamment concernant la nature des fonctions déléguées, le panier de soins couvert et les mécanismes de pilotage. Globalement, la stratégie de couverture des personnes indigentes ne semble pas avoir été comprise de la même façon par tous les acteurs.
-
Les mutuelles sont contraintes d’utiliser les listes de personnes indigentes fournies par la CNAMU et n’interviennent pas dans l’identification des indigents. Pourtant ces mutuelles ont rapidement constaté des erreurs de ciblage et le caractère obsolète de listes établies en 2016. De nombreux cas de décès, de disparitions, de changements de situation sociale, ainsi que des refus du statut d'indigent ou de personnes n'étant plus considérées comme telles, ont été constatés et ont influencé les résultats de l'enrôlement.
-
Bien que la convention définisse un paquet de soins pour les personnes indigentes, dans la pratique celles-ci ont été prises en charge dans la limite des prestations des mutuelles communautaires dans lesquelles elles ont été affiliées. Une majorité de ces mutuelles communautaires ne couvrent que les soins de santé primaire s; certaines étendent cette couverture aux CM et CMA lorsque ces structures de santé sont présentes dans leur rayon géographique d’intervention. Seules certaines mutuelles situées dans des pôles urbains conventionnent avec des établissements secondaires ou tertiaires. Autrement dit, la couverture des personnes indigentes a été déterminée par les différents paniers de soins des mutuelles et il n’y a pas eu de développement d’une garantie commune pour ce groupe de bénéficiaires.
-
Le retard de disponibilité des cartes, avec parfois plus d’un an d’attente pour certains bénéficiaires, a eu pour conséquence la naissance de conflits entre ces derniers et les ONG, entraînant une perte de crédibilité de celles-ci.
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Les procédures de production d’information ainsi que les mécanismes de suivi-évaluation de la mobilisation sociale, de l’enrôlement, de la fourniture et du paiement des prestations prévus dans les conventions n’ont pas été appliquées. De même, la CNAMU n’a pas exercé le contrôle médical prévu. Dans la pratique, les personnes indigentes affiliées aux mutuelles ont été intégrées à la masse de bénéficiaires ce celles-ci sans distinction ni suivi particulier des prestations.
-
La production d’information et la redevabilité des ONG sont faibles en raison notamment de l’absence de canevas de rapports financiers et techniques pour le suivi de la convention.
Cette expérimentation de gestion déléguée s’est finalement limitée à un financement de la prise en charge de personnes indigentes par des mutuelles de santé communautaires, via le canal de la CNAMU dont le rôle s’est limité à celui d’un bailleur de fonds. Les mutuelles se sont cantonnées à intégrer les personnes indigentes dans leur masse de bénéficiaires, sans modalités d’enregistrement et de gestion des prestations particulières, limitant ainsi leur capacité de suivi de ce groupe spécifique. Enfin, l’intervention des ONG nationales, bien que celles-ci ne figurent pas parmi les organismes de gestion déléguée prévue par la loi, a contribué à fausser les mécanismes prévus. Cette intervention est par ailleurs symptomatique de la faiblesse de la gestion technique des mutuelles communautaires et leur dépendance vis-à-vis de ces ONG d’appui pour leur fonctionnement.
Références
Burkina Faso, ministère de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale (2022). Inventaire des mutuelles sociales du Burkina Faso – 2020. OIT, Ouagadougou, mars 2022.
Caisse nationale d’assurance-maladie universelle, CNAMU (2022). «Plan stratégique de développement de la caisse nationale d’assurance-maladie universelle (PSD-CNAMU) 2022-2026, Version provisoire», février 2022.
(2021). «Analyse diagnostic de la mise en œuvre du RAMU», CNAMU, Ouagadougou, juillet 2021.
Primary Health Care Performance Initiative, PHCPI (2022). «Burkina Faso», 28 août 2015. https://improvingphc.org/sub-saharan-africa/burkina-faso.
Solidaris (2022). «Diagnostic contextualisé de la CNAMU et formulation de pistes d’opérationnalisation holistiques et multi-acteurs du RAMU». Document non publié, Solidaris, OIT, avril 2022.
Traoré C. (2022). «Appui à la réalisation de l’étude organisationnelle de la Caisse Nationale d’Assurance-maladie, Rapport provisoire». OIT, Ouagadougou, mars 2022.
4. Cambodge
Au Cambodge, des régimes d’assurance-maladie à base communautaire (traduction de l’anglais «community-based health insurance») avaient été créés dans les années 2000, à une époque où la population ne bénéficiait d’aucun autre mécanisme de protection sociale en santé. Ils ont cessé leurs activités en 2018. Cette étude présente leurs caractéristiques et leur impact, ainsi que le rôle précurseur qu’ils joué dans la mise en place du système actuel de protection sociale en santé.
4.1. Le système national de protection sociale en santé
À la faveur de la croissance économique, la population cambodgienne a vu son état de santé s’améliorer considérablement depuis le début du XXIe siècle, comme en témoignent des indicateurs clés tels que l’espérance de vie à la naissance et le taux de mortalité dû aux maladies infectieuses. La population reste toutefois mal protégée contre le risque maladie. Les dépenses de santé à la charge des patients demeurent élevées et représentaient encore environ 60 pour cent de la dépense courante de santé en 2017. Au fil des ans, le gouvernement a manifesté la volonté de remédier à ce problème et s’est attelé à la mise en place d’un système de protection sociale en santé en vue de parvenir à la couverture sanitaire universelle. La protection financière, ainsi que l’accès à des services de santé complets, sûrs et efficaces, sont les deux grands axes de la Stratégie nationale de santé (2016-2020) 23.
La Politique nationale de protection sociale 2016-2025 est le cadre qui régit l’assistance sociale et la sécurité sociale au Cambodge. En vertu de la loi de 2019 sur les régimes de sécurité sociale, le Conseil national de la protection sociale joue un rôle central dans la coordination, le suivi et l’orientation de l’ensemble des régimes de sécurité sociale.
La protection sociale en santé au Cambodge se compose actuellement de régimes contributifs et non contributifs. Placée sous la tutelle du ministère du Travail et de la Protection sociale, la Caisse nationale de sécurité sociale (NSSF) met en œuvre l’assurance santé sociale pour les fonctionnaires (NSSF-C) et les salariés formels du secteur privé (NSSF-F). Un régime volontaire destiné aux travailleurs indépendants est prévu, mais n’est pas encore opérationnel. Les caractéristiques et le fonctionnement des régimes d’assurance-maladie de la NSSF sont régis par la loi sur les régimes de sécurité sociale adoptée en octobre 2019. En outre, un fonds d’équité en santé (Health Equity Fund, HEF) financé par l’impôt assure une couverture maladie aux ménages pauvres et aux enfants qui remplissent les critères requis. Il est géré par le ministère de la Santé, qui délègue le traitement des demandes de remboursement et la vérification des paiements à une agence de certification des paiements (PCA) semi-autonome. Le HEF couvre l’ensemble du pays depuis 2015. En 2021, 26,1 pour cent de la population cambodgienne était couverte par un de ces régimes 24.
Le tableau 1 ci-dessous présente les principales caractéristiques des régimes de protection sociale en santé.
Tableau 1. Les régimes de protection sociale en santé au Cambodge
Régime |
Institution |
Année de création |
Population cible |
Mode de |
Population couverte |
Assurance-maladie des travailleurs formels du secteur privé (NSSF-F) |
Ministère |
2017 |
Salariés formels du secteur privé |
Cotisation obligatoire 25 |
1,24 million (2021) 26 |
Assurance-maladie des fonctionnaires et de leurs ayants droit (NSSF-C) |
Ministère |
2017 |
Fonctionnaires |
Cotisation obligatoire |
292 295 (2021) 27 |
Assurance-maladie (fonds d’équité) pour les ménages pauvres et les enfants |
Ministère |
2007 |
Personnes pauvres ou vulnérables (personnes handicapées, âgées et enfants de moins de 5 ans). |
Accès gratuit aux soins de santé financé par l’impôt avec le concours des bailleurs internationaux. |
Environ |
Dans l’ensemble, le Cambodge a accompli des progrès remarquables en matière de protection sociale en santé et atteint bon nombre des objectifs qu’il s’était fixés. Malgré ces avancées, plus de 70 pour cent de la population cambodgienne ne bénéficie toujours pas de couverture santé. L’extension de la couverture constitue l’un des principaux défis dans un pays où l’emploi informel est très répandu et où les ressources financières sont limitées. Le caractère très hétérogène de l’économie informelle, aussi bien pour ce qui est des relations d’emploi que du niveau et du profil de revenu des travailleurs, et le manque de données et d’études sur le phénomène, ne facilite pas la tâche des dirigeants. Le gouvernement travaille actuellement à l’élaboration de stratégies visant à combler les lacunes en matière de couverture parmi lesquelles une feuille de route pour parvenir à la couverture sanitaire universelle et une stratégie intégrée visant à faciliter la transition vers l’économie formelle.
Par ailleurs, des solutions pour étendre la couverture aux travailleurs de l’économie informelle sont en cours d’expérimentation. En 2017, le ministère de l’Économie et des Finances, celui de la Santé et celui du Travail et de la Formation professionnelle ont publié le décret (prakas) interministériel 404 portant «création d’un régime d’assurance-maladie par le biais d’un système de fonds d’équité en santé pour les travailleurs informels [...]». Ce décret étend la couverture aux seuls travailleurs informels exerçant un emploi à temps partiel, saisonnier ou occasionnel. Le NSSF expérimente également l’extension de la couverture aux travailleurs domestiques (dans le cadre du régime obligatoire) et aux conducteurs de tuk tuk (dans le cadre d’un projet pilote de régime volontaire), avec l’appui technique de l’ONG française GRET. 28 29
Précédemment, entre les années 2000 et 2018, le Cambodge s’était doté de régimes d’assurance-maladie à base communautaire dans le but de tester des mécanismes de protection financière qui répondent aux besoins pressants de couverture et puissent éclairer la prise de décision plus large à propos de l’architecture du système national de protection sociale en santé. Ce dispositif assurait une protection aux ménages à faibles revenus dans certaines provinces. Le pays a compté jusqu’à 19 régimes d’assurance-maladie à base communautaire, dont les caractéristiques sont détaillées au chapitre 2. Ces systèmes de micro-assurance santé étaient gérés par des organisations non gouvernementales (ONG), avec le soutien des partenaires de développement. Dresser le bilan de ces régimes au Cambodge, voir en quoi ils ont facilité la mise en place du système actuel de protection sociale en santé et analyser leurs succès et leurs échecs peut s’avérer fort utile pour concevoir des solutions destinées à étendre la couverture aux travailleurs informels.
4.2. L’assurance maladie à base communautaire
Historique
Les régimes d’assurance-maladie à base communautaire ont été mis en place en tant que dispositifs pilotes de mutualisation du risque maladie moyennant le versement d’une cotisation. Il s’agissait de régimes d’assurance privés à but non lucratif qui, en l’absence de cadre juridique, étaient tous gérés par des ONG locales ou internationales.
Le premier régime a été lancé en 1998 par le GRET dans le cadre d’un programme pilote d’assurance santé rurale dans deux provinces du pays, Kandal et Takeo. Le projet avait été baptisé SKY, acronyme de Sokhapheap Kruousa Yeoung, «santé pour nos familles» en langue khmère. L’idée de proposer une assurance-maladie à coût modique est née du constat que le non-remboursement des micro-crédits était souvent dû à des dépenses de santé catastrophiques. Le but était donc d’éviter aux ménages ruraux à faibles revenus d’avoir à engager des dépenses de santé trop lourdes 30.
À la fin des années 1990, le Cambodge figurait encore parmi les pays les plus pauvres d’Asie de l’Est. Trente-cinq pour cent de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté. Essentiellement rural, le pays connaissait une urbanisation accélérée et un creusement des inégalités. Près de 90 pour cent de la population active occupait un emploi informel. Pour couvrir leurs frais de santé, 80 pour cent des Cambodgiens étaient contraints de puiser dans leur épargne, de s’endetter ou de vendre des biens 31. En 2000, les dépenses de santé étaient très majoritairement financées par les ménages, qui assumaient 68,7 pour cent de la dépense courante de santé 32.
Le programme SKY du GRET a ensuite été étendu à d’autres provinces. Puis, d’autres régimes d’assurance-maladie à base communautaire ont été lancés un peu partout dans le pays par des ONG locales telles que Buddhism for Health (BFH), Reproductive and Child Health Alliance (RACHA), CHHRA et Cambodian Association for Assistance to Families and Widows (CAAFW). Ces ONG avaient été sélectionnées par le ministère de la Santé à l’issue d’une procédure d’appel d’offres pour gérer des AMC dans différents districts et provinces, en parallèle à des fonds d’équité en santé dans la plupart des cas.
En 2008, le ministère de la Santé dénombrait 12 AMC, totalisant plus de 80 000 assurés dans 7 provinces ainsi que dans la capitale, Phnom Penh, et opérant dans 11 districts de santé, en partenariat avec 81 centres de santé. La même année, le taux de couverture de la population dans les districts de santé variait de 0,49 pour cent dans celui de Kirivong à 19 pour cent dans celui de Thma Puok. En 2013, le ministère de la Santé recensait 19 AMC, offrant une couverture à 455 000 personnes dans 27 districts de 11 provinces, soit un peu plus de 3 pour cent de la population du Cambodge 33.
Conception
Tirant les leçons du projet pilote du GRET, et devant la multiplication des programmes d’AMBC dans le pays, le ministère de la Santé éprouve le besoin d’encadrer les pratiques du secteur. En 2006, il publie des directives pour la mise en place de régimes d’AMBC. Ce document fournissait des orientations sur la conception et les modalités de fonctionnement des AMBC. Il fixait également des règles harmonisées en ce qui concerne les normes administratives et techniques et le panier de soins, et visait à assurer à terme la transférabilité des prestations d’un régime à l’autre. Après l’entrée en vigueur de ce cadre, tous les régimes d’AMBC ont été bâtis sur un modèle semblable et ont adopté un mode de fonctionnement similaire.
Gouvernance
Dans le cadre du modèle contractuel, les ONG locales étaient chargées de toutes les fonctions de gestion et d’exécution inhérentes à un régime d’assurance-maladie à base communautaire et rendaient compte de leurs activités et de leurs résultats au ministère de la Santé.
Selon les directives du ministère de la Santé, un régime d’AMBC faisait intervenir plusieurs acteurs clés:
-
Le ministère de la Santé et les instances qui lui sont rattachées (direction de la planification et de l’information sanitaires, agence de l’économie et du financement de la santé)
-
Le comité interministériel chargé de la politique de protection sociale en santé
-
Les agences provinciales et les districts de santé
-
Les prestataires de soins, à savoir les hôpitaux nationaux, les hôpitaux de recours (hôpitaux provinciaux ou de district) et les centres de santé
-
Le conseil consultatif de l’AMBC, composé de représentants d’associations d’usagers et de patients, et de représentants de la population
-
Le comité de direction de l’AMBC
-
L’opérateur de l’AMBC
-
Le bailleur de fonds de l’AMBC
Conditions d’accès
L’adhésion était ouverte à tous, sans restriction d’âge ou de maladie préexistante. La couverture était conditionnée au versement d’une cotisation payée d’avance sur une base mensuelle, trimestrielle ou annuelle. Les affiliés étaient essentiellement des personnes à faible revenu, car les plus pauvres n’avaient pas les moyens de payer les cotisations et les plus aisés préféraient souscrire une assurance privée pour bénéficier des services d’établissements de soins privés.
L’adhésion à l’AMBC était volontaire, mais couvrait l’ensemble des membres du ménage, afin de réduire les écueils inhérents à l’adhésion volontaire et d’élargir la couverture, limiter les risques de discrimination au sein des ménages et réduire la sélection adverse.
Dans le cas du programme pilote SKY, l’adhésion était possible à n’importe quel moment de l’année et, chaque première semaine du mois, des actions de promotion étaient menées dans tous les districts où SKY était présent. Les ménages s’engageaient pour une durée de six mois. Les ménages payaient leur cotisation mensuellement, avant le 20 du mois, pour être couverts à partir du 1er du mois suivant. Les nouveaux adhérents devaient verser en guise de provision deux mois d’avance qui pouvaient être utilisés au cours du cycle de six mois en cas de difficultés de paiement 34.
Pour atteindre l’objectif de la Stratégie nationale de santé 2008-2015, qui visait à améliorer l’état de santé de l’ensemble de la population et à réduire les paiements directs, le ministère de la Santé préconisait de combiner l’assurance sociale de santé, le fonds d’équité en santé et l’assurance-maladie à base communautaire, l’objectif à terme étant de regrouper tous les régimes au sein d’une seule et même assurance sociale de santé 35. Les cotisations des bénéficiaires du fonds d’équité étaient financées par l’État avec l’aide des bailleurs internationaux.
Sources de financement des régimes d’assurance-maladie à base communautaire
Les ressources des régimes d’AMBC provenaient des cotisations des membres (paiement de primes) et de l’appui des donateurs. Selon le guide du ministère de la Santé pour la mise en place de régimes d’AMC, les «primes» étaient calculées en tenant compte des éléments suivants:
-
Tarification des soins
-
Capacité de paiement de la population cible
-
Coût de fonctionnement du régime
Conformément aux directives du ministère de la Santé, le montant des «primes» devait être fixé à un niveau abordable, notamment pour les familles nombreuses. Ces montants devaient être modulés selon le lieu de résidence du ménage (des montants différents devaient être calculés pour les zones urbaines et les zones rurales) et le contexte économique. Plusieurs solutions avaient été testées pour améliorer l’accessibilité financière: primes dégressives selon la durée d’adhésion, possibilité de gagner des mois de couverture gratuits, niveau de subvention plus élevé lors de la première adhésion et dégressif au fil du temps, etc. Des tarifs dégressifs en fonction du nombre de bénéficiaires étaient également appliqués pour les familles nombreuses afin de favoriser leur adhésion. Lors de la phase d’extension du dispositif aux salariés d’entreprises formelles telles que les hôtels, il était prévu que les employeurs prennent en charge au moins 50 pour cent du montant de la prime, les 50 pour cent restants étant payés par les assurés.
Les recettes provenant des cotisations ne suffisant pas à financer les coûts médicaux et de fonctionnement, le soutien financier des partenaires de développement restait indispensable pour assurer la mise en œuvre des régimes d’AMC.
Offre de soins
L’offre de soins de l’AMBC était définie par le ministère de la Santé conformément au schéma d’organisation du système de santé. L’offre était ainsi constituée d’un paquet minimum d’activités (PMA) effectuées au niveau des centres de santé et d’un paquet complémentaire d’activités (PCA) réalisées dans les hôpitaux de recours (PCA1, PCA2 ou PCA3, en fonction de l’échelon de la structure dans la pyramide sanitaire). Dans le cadre du PMA et du PCA, tous les bénéficiaires avaient droit aux soins médicaux, aux médicaments et aux fournitures médicales, à l’éducation sanitaire et à la prévention, ainsi qu’à des prestations non médicales. Les prestations sont résumées dans le tableau ci-dessous.
Soins médicaux |
Médicaments et matériel médical |
|
|
Services de prévention et d’éducation sanitaire |
Prestations non médicales |
Gamme de services négociés entre les opérateurs de l’AMBC et les prestataires de soins et adaptée aux besoins de la population cible. |
Transports sanitaires, aide au paiement des frais d’obsèques, allocation de maternité ou autrement prestations définies par le ministère de la Santé. |
Le document du ministère de la Santé précisait aussi les activités exclues de l’offre de soins, à savoir des actes chirurgicaux complexes tels que les greffes d’organes ou le traitement de l’infertilité ou bien des actes non essentiels tels que la chirurgie plastique ou esthétique.
Voici par exemple en quoi consistait le panier de prestations offertes par SKY 36:
-
Soins de santé primaires au niveau du centre de santé, dont médicaments délivrés sur ordonnance;
-
Consultations externes spécialisées et examens paracliniques (analyses de laboratoire, échographie, radiographie, etc.) à l’échelon du district et de la province, après orientation
-
Hospitalisation et médicaments et examens paracliniques associés, après orientation
-
Tous les soins prénataux et postnataux, les accouchements simples et compliqués au terme d’un délai de carence de 6 mois
-
Aide au paiement des frais d’obsèques de l’assuré (l’équivalent de 12 à 24 dollars É.-U. en zone rurale et 60 dollars en zone urbaine) et prise en charge des frais de transport du corps
-
Prise en charge des frais de transport sanitaire à hauteur de l’équivalent de 5 dollars
-
Aucun plafond ne s’appliquait et les maladies préexistantes étaient couvertes
Affiliation, contractualisation et rémunération des prestataires de soins
Les assurés pouvaient accéder à ces services, sans ticket modérateur, dans les établissements de santé conventionnés, c’est-à-dire, en règle générale, toutes les structures publiques de leur bassin de vie, des centres de santé aux hôpitaux provinciaux. Le respect de la pyramide sanitaire était une condition pour que les soins dispensés à un niveau plus élevé soient pris en charge.
En vertu des directives du ministère de la Santé, l’opérateur de l’AMBC devait rémunérer le prestataire principal pour couvrir les soins de santé de tous les assurés du réseau de prestataires de soins conventionnés, sur la base d’un accord formalisé par voie de contrat et validé par le comité de pilotage de l’AMC.
C’est la capitation (ou paiement par assuré) qui a été le plus souvent retenue comme mode de rémunération des centres de santé et des hôpitaux de premier recours prestataires, tandis que le paiement par cas a été privilégié pour les structures de deuxième et de troisième niveau (comme les PCA2 ou PCA3, qui offrent des services plus complets). Les établissements étaient payés par anticipation, un trimestre avant la prestation des services. Les risques financiers potentiels, c’est-à-dire la différence entre la capitation versée et le montant que l’établissement aurait perçu s’il avait été payé à l’acte, étaient couverts par le régime d’AMBC pendant une période prévue dans le contrat. Ce système de tiers payant permettait de garantir une meilleure protection financière aux assurés, qui n’avaient plus à emprunter de l’argent ou à vendre des biens pour payer à l’avance leurs soins de santé.
Le tableau ci-dessous résume les principaux points des directives du ministère de la Santé pour la mise en place de régimes d’assurance-maladie à base communautaire, publiées en 2006.
Fonction |
Fonctions déléguées |
Conception |
|
Couverture de la population |
En principe, l’AMBC couvrait toute personne figurant sur le livret de famille cambodgien. Comme le NSSF était mis en place en parallèle, l’AMBC ciblait principalement les ménages tirant leur revenu de l’économie informelle. |
Définition du panier de prestations et organisation des soins |
Le panier de soins était défini conformément aux directives du ministère et comprenait des services de santé et des prestations non médicales (transport vers l’hôpital de recours ou bien du domicile vers le centre de santé, aide au paiement des obsèques, allocation de maternité ou autres). Les directives avaient attribué une fonction de filtrage aux prestataires de soins primaires. |
Recrutement des prestataires |
Les AMBC devaient contractualiser elles-mêmes avec des prestataires de leur réseau, en suivant le modèle de contractualisation proposé par le ministère de la Santé. |
Mise en œuvre |
|
Éducation/Promotion |
Les AMBC étaient chargées d’organiser des actions de promotion et de prévention en collaboration avec les prestataires. |
Adhésions/Renouvellement |
Les adhésions, familiales, étaient gérées par l’AMC. |
Perception des recettes |
La perception des recettes était de la responsabilité de l’AMC. Les recettes se composaient essentiellement des cotisations des adhérents. Elles pouvaient provenir également:
|
Mutualisation des fonds |
La mise en commun des différentes recettes se faisait au niveau de l’AMBC. |
Paiement des prestataires |
L’AMBC définissait le mode de rémunération des prestataires. Le ministère autorisait le recours à un système mixte comprenant:
Mais il recommandait vivement d’utiliser la capitation pour le paiement des établissements de soins primaires et les hôpitaux de deuxième niveau. |
Prestation de soins |
Les AMBC ne possédaient pas de structures prestataires. |
Traitement des demandes |
Les assurés pouvaient accéder à ces services, sans ticket modérateur au point de prestation de service. En cas d’urgence réelle, les bénéficiaires pouvaient se rendre dans les hôpitaux publics voisins, mais devaient en informer leur hôpital de rattachement dans les 48 heures, en passant par l’opérateur de l’AMBC. |
Suivi et évaluation |
|
De l’assurance maladie à base communautaire au régime obligatioire d’assurance maladie
Les débats autour de l’assurance-maladie sociale avaient commencé en 2005, au moment de la création d’un comité interministériel sur l’assurance-maladie, baptisé Groupe sur l’assurance-maladie sociale et présidé par un haut fonctionnaire du ministère de la Santé. Un sous-comité technique, composé de représentants de l’OIT, de l’OMS, de l’agence allemande de coopération internationale pour le développement (GIZ) et du GRET, se réunissait à intervalles réguliers pour discuter de l’expérience de SKY et d’une approche globale de l’assurance-maladie sociale
L’expérience des AMBC, ainsi que des textes réglementaires tels que les directives du ministère de la Santé, ont aidé à préfigurer la conception et la mise en œuvre de la Caisse nationale de sécurité sociale (NSSF). Les enseignements tirés des pratiques des AMBC en matière de définition des prestations, de modes de paiement des prestataires, de contractualisation avec les établissements de soins, de gestion des demandes de remboursement et d’outils de suivi et d’évaluation ont servi de socle pour la mise en place du régime d’assurance-maladie du NSSF.
Après une étude de faisabilité, un projet pilote d’assurance-maladie pour les travailleurs du textile, baptisé HIP, avait ainsi été lancé en 2007, à l’initiative de l’Association des industriels du textile du Cambodge (GMAC) et du GRET, en collaboration avec le NSSF et le ministère du Travail et de la Formation professionnelle 37. Le transfert du dispositif HIP au NSSF sous la tutelle du ministère du Travail et de la Formation professionnelle a débuté en 2013. L’équipe HIP a mis son expertise, acquise dans le cadre du régime d’assurance-maladie à base communautaire SKY, au service de la mise en place du régime national destiné aux travailleurs des entreprises formelles. L’expérience et les connaissances acquises ont été essentielles pour la conception et la mise en place des régimes d’assurance-maladie sociale. La phase pilote a permis notamment d’affiner les principes de fonctionnement, les modes de paiement des prestataires de soins, le règlement des litiges, le système d’information de gestion automatisé (SIG) et d’obtenir des données sur le coût du système grâce à l’analyse de la consommation de soins de santé. Le SIG a ainsi été conçu et développé de façon modulaire afin de permettre à chaque régime (AMBC, fonds d’équité en santé, assurance-maladie sociale pour les travailleurs formels) d’effectuer un suivi des adhésions, des cotisations et des remboursements. Comme les AMBC testaient plusieurs paramètres de conception, sur les cotisations notamment, le SIG a été conçu en conséquence. Par exemple, la prime pouvait être enregistrée sur la base de diverses options de périodicité de paiement, avec ou sans dégressivité des primes, etc. Le SIG comportait des fonctionnalités destinées à faciliter la collecte des données et la gestion quotidienne des régimes, comme la production à intervalles réguliers de rapports et d’indicateurs de performance, des alertes automatiques en cas d’incident de gestion, etc. Le NSSF continue d’utiliser le module conçu pour le régime d’assurance-maladie sociale, après y avoir ajouté -de nouvelles fonctionnalités.
En janvier 2016, le Premier ministre du Cambodge a signé le sous-décret (anukret) portant création d’un régime obligatoire d’assurance-maladie sociale pour les travailleurs formels. Ce texte visait à mettre en œuvre le volet «assurance-maladie» de la loi de 2002 sur la sécurité sociale.
Le prakas no 109 de 2016 définissait le panier de soins pris en charge par le NSSF. Étaient inclus dans le panier les services de prévention, mais exclus seize types de prestations, à savoir les actes médicaux gratuits prévus par la politique de santé publique, les soins dentaires (détartrage, plombage, pose de couronnes ou de bridges), la chirurgie de réassignation sexuelle, la transplantation d’organes, la fécondation in vitro, les médicaments en vente libre, la chirurgie esthétique et la pose d’implants, les lentilles et la chirurgie réfractive, le traitement de l’alcoolisme ou de la toxicomanie, le traitement de l’infertilité, la pose de prothèses oculaires, la chirurgie cardio-vasculaire, le traitement des maladies chroniques, l’hémodialyse, le traitement de la thalassémie et la chimiothérapie. Un autre décret de 2016, le prakas no 220, fixait pour sa part les taux de cotisation à l’assurance-maladie à 1,3 pour cent du salaire pour l’employeur comme pour le salarié.
4.3. Impact de l’AMC
Cette partie vise à décrire l’impact et les résultats des régimes d’AMBC au Cambodge, tes qu’en rendent compte différentes sources et partenaires de développement. Les AMC ont cessé leurs activités en 2018 et le NSSF a pris le relais pour la couverture maladie des travailleurs des entreprises formelles. Leur expérience s’est avérée néanmoins précieuse pour la conception et la mise en œuvre des régimes du NSSF. Et leur bilan peut utilement éclairer les choix en matière d’extension de la couverture aux personnes qui en sont privées.
Impact sue le taux de couverture
L’un des principaux enseignements de l’expérience des AMBC au Cambodge est que le modèle fondé sur des régimes volontaires ne prévoyant qu’un subventionnement restreint ne permet pas de parvenir à une couverture satisfaisante de la population. Le taux d’affiliation est resté modeste: les régimes d’AMBC ont atteint leur niveau d’adhésion le plus élevé en 2013, où l’on dénombrait au total 455 600 affiliés pour 19 régimes (dans 11 provinces, sous contrat avec 240 centres de santé et 27 hôpitaux de recours), ce qui représentait à peine un peu plus de 3 pour cent de la population du pays 38.
À partir de 2014, le nombre d’adhérents a commencé à chuter, en raison notamment de la baisse des subventions accordées par les donateurs et de plusieurs autres facteurs exposés ci-dessous. Fin 2015, les régimes d’AMBC ne comptaient plus que 148 418 adhérents, soit moins de 1 pour cent de la population cambodgienne, et deux ans plus tard, ils n’en dénombraient guère plus de 22 000.
Régime |
Institution |
Année de création |
Population éligible |
Financement |
Population couverte |
AMBC* |
ONG |
2008 |
Ouvert à tous, mais ciblant principalement les ménages proches du seuil de pauvreté |
Cotisations volontaires (prépaiement) + soutien des bailleurs |
455 000 (20 13); 66 487 (20 16); 22 013 (2017) |
* Données du rapport du ministère de la Santé de 2017
Il convient de préciser que la couverture est restée limitée malgré toutes les actions menées en vue d’élargir la population couverte. Le programme SKY, du GRET, disposait par exemple d’un vaste réseau d’agents sur le terrain. Organisé comme une structure privée à but non lucratif, le projet SKY reposait sur le partage des tâches entre le siège et les équipes sur le terrain. Tandis que les fonctions administratives étaient centralisées au siège, les équipes de terrain veillaient à maintenir une grande proximité avec les adhérents et à entretenir des relations étroites avec les prestataires de soins. Un vaste réseau d’agents était ainsi chargé de la promotion, de la collecte des cotisations et de l’adhésion des nouveaux membres. Les cotisations étaient collectées auprès de chaque ménage et des réunions de présentation du programme étaient organisées dans les villages pour inciter les habitants à adhérer au programme. La participation de la population locale était assurée via un comité consultatif sur l’assurance 39.
Le fait que l’adhésion était volontaire et que la plupart des travailleurs de l’économie informelle percevaient des revenus irréguliers et imprévisibles a entraîné des taux de résiliation mensuels élevés, supérieurs à 5 pour cent 40. À cela est venu s’ajouter la piètre qualité des soins dispensés par les établissements publics de santé au Cambodge, ce qui limitait l’intérêt d’adhérer à une AMBC.
Impact sur la protection financière
Une évaluation de l’impact du programme SKY a montré que celui-ci améliorait les perspectives économiques des ménages, en augmentant leur épargne, en allégeant leurs dépenses de santé, en leur permettant de conserver leurs actifs et en réduisant leur endettement. Les auteurs de l’étude ont observé que les assurés avaient une probabilité inférieure de 10,8 points de pourcentage de devoir s’endetter davantage à la suite d’un problème de santé 41.
Dans le cadre de la même évaluation d’impact, une étude réalisée par Domrei Research and Consulting montrait que les ménages affiliés au programme SKY disposaient d’une épargne médiane de l’équivalent de 665 dollars des États-Unis, constituée d’or, d’espèces et d’actifs liquides (riz, volaille) 42. L’étude ne permettait toutefois pas de savoir si les assurés disposaient d’une épargne plus importante que les non-assurés.
Selon une étude d’impact réalisée pour le compte de la GIZ à Kampot 43, les assurés dépensaient dans l’ensemble moins pour leurs soins de santé que les non-assurés, et ils étaient moins susceptibles d’avoir des dépenses de santé supérieures à l’équivalent de 250 dollars, et ils dépensaient moins lorsqu’ils recouraient à des prestataires de soins privés. Les adhérents étaient également moins susceptibles de devoir vendre des actifs ou contracter des prêts avec intérêts pour couvrir les frais liés à un problème de santé. L’adhésion à une micro-assurance santé induisait aussi une réduction de l’endettement: en moyenne, les ménages assurés avaient 70 dollars de dette en moins, et la valeur totale de tous leurs emprunts liés à la santé était inférieure à celle des non-assurés.
Impact sur l’acccès aux soins de santé
L’étude d’impact mentionnée plus haut constatait également que le programme SKY avait modifié les comportements en matière de consultations, en augmentant la fréquentation des établissements publics et en diminuant le recours à des prestataires privés en cas de problème de santé grave. SKY avait aussi réduit le taux de renoncement aux soins pour raisons financières: il avait reculé de 4,1 points de pourcentage pour les ménages assurés, contre une moyenne de 5,2 pour cent pour le groupe témoin.
D’autres éléments indiquaient que les ménages couverts par une AMBC avaient davantage recours aux soins. Dans les districts d’Ang Rokar et de Khampong Thom, les assurés se rendaient dans les centres de santé conventionnés beaucoup plus souvent que l’ensemble de la population: le nombre de consultations par an et par personne s’élevait chez eux à 3,6 en 2006, et même si, avec la baisse de la surconsommation, ce chiffre était tombé à 3,2 en 2007 et à 2,1 en 2008, il restait nettement supérieur au taux de contacts au niveau national, qui était de moins de 1 par habitant et par an. La même étude montrait que la contractualisation avec des structures publiques avait incité les patients à s’orienter vers ces établissements, plutôt que de pratiquer l’automédication ou de recourir à des praticiens privés. De fait, en 2006, dans ces deux districts, les assurés fréquentaient des établissements publics dans une proportion supérieure à la moyenne nationale, qui était de 21 pour cent 44 (Cambodge, 2006).
Selon l’étude de la GIZ 45 portant sur le programme SKY dans le district de santé de Kampot, qui s’appuie sur l’évaluation d’impact réalisée par Domrei Research and Consulting en collaboration avec des chercheurs de l’université de Californie à Berkeley, les assurés ont davantage recours aux établissements de santé conventionnés qu’aux cliniques privées ou aux revendeurs de médicaments 46. Ce résultat peut être attribué entre autres au contrôle de la qualité des soins, qui influence le comportement des prestataires. Par ailleurs, l’articulation entre AMBC et fonds d’équité a permis d’accroître le nombre d’utilisateurs des prestataires du fonds d’équité, comparé au modèle traditionnel. L’étude d’impact n’a pas permis en revanche de montrer une amélioration de l’état de santé des assurés 47, du fait de la faible puissance statistique des résultats.
Viabilité financière
La plupart des régimes d’AMBC parvenaient à payer les établissements de santé et rembourser d’autres frais aux assurés grâce aux cotisations collectées. En revanche, pour couvrir leurs coûts de fonctionnement, ils étaient largement tributaires des subventions versées par les partenaires de développement. SKY, par exemple, faisait payer une cotisation de l’équivalent de 5 dollars par personne et par an dans les zones rurales et avait atteint un premier niveau de viabilité: tous les frais médicaux et autres prestations supplémentaires versées à ses membres étaient entièrement couverts par les cotisations, grâce à la mutualisation des risques entre les différentes régions couvertes. En revanche, les frais de fonctionnement n’étaient que très partiellement financés. En 2009, le coût annuel total par assuré s’élevait à environ 14,7 dollars, un tiers de ce montant provenant des soins de santé et les deux autres tiers des frais de fonctionnement. Les cotisations collectées ne permettaient donc de couvrir qu’un tiers du coût total 48.
Même si les AMBC amélioraient leurs résultats financiers d’année en année, elles étaient loin d’être à l’équilibre et auraient dû pour cela étendre leurs activités afin de réaliser des économies d’échelle.
Au Cambodge, plusieurs facteurs ont fait obstacle à la viabilité financière des AMBC:
-
Des ressources et une mutualisation des risques limitées: dans le calcul actuariel initial de la cotisation au régime SKY, les coûts de fonctionnement n’avaient été que partiellement pris en compte, puisqu’ils étaient assumés par des sources de financement externes - le fonctionnement global du régime étant pour ainsi dire subventionné. Les cotisations avaient été fixées à un niveau peu élevé pour tenir compte de la capacité financière des ménages. La plupart des assurés appartenaient en effet à des ménages ruraux à faibles revenus et occupaient des emplois informels, souvent dans l’agriculture, qui procure des revenus irréguliers, imprévisibles et incertains. En outre, l’adhésion volontaire n’incitait pas les ménages à rester assurés, leurs faibles revenus devant aussi leur servir à couvrir leurs dépenses d’alimentation et d’éducation. Cela s’est traduit par des recettes insuffisantes, une mutualisation limitée des risques et l’absence de mécanisme de redistribution entre districts.
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Des coûts supérieurs aux recettes: le panier de prestations se voulait très complet, il offrait une gamme de soins préventifs et curatifs, primaires, secondaires et tertiaires, sans copaiement au point de prestation de service, de manière à garantir au maximum la protection financière des ménages. Les coûts de fonctionnement étaient élevés par rapport aux cotisations encaissées, en raison du vaste réseau d’agents mis en place dans les villages afin de collecter les cotisations et d’inciter les ménages à s’affilier.
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Le manque de confiance dans les structures publiques: les ménages aisés et même, dans une certaine mesure, les ménages quasi pauvres ne faisaient pas confiance aux établissements publics, réputés dispenser des soins de mauvaise qualité. Certaines initiatives visant à améliorer la qualité des soins ont nécessité des ressources supplémentaires, comme cela a été le cas pour l’AMBC du district de santé d’Angkor Chum, dans la province de Siem Reap 49.
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La sélection adverse: Aucun phénomène de sélection adverse n’a été clairement observé chez la plupart des assurés. Pour le programme SKY, toutefois, il a été constaté que les ménages proches du seuil de pauvreté qui anticipent des dépenses de santé, en connaissent le coût et craignent de s’endetter, étaient plus susceptibles de souscrire une assurance, et que la mauvaise santé d’un membre de la famille était l’une des principales raisons de s’affilier 50.
Dans son rapport 2017, le ministère de la Santé estimait qu’un régime d’assurance-maladie exclusivement financé par les cotisations n’était pas viable sur le moyen et le long terme. Finalement, avec la fin des financements extérieurs, les AMBC se sont retrouvées avec un déficit de ressources qui les a contraintes à augmenter le montant des cotisations au-delà de ce que les assurés étaient disposés à payer, ce qui a finalement mis en péril la solvabilité du dispositif. Cela s’est produit à un moment où la plupart des régimes ne comptaient qu’un nombre limité d’adhérents et n’avaient pas atteint une taille suffisante pour pouvoir réaliser des économies d’échelle.
4.4. Leçons
Au Cambodge, en l’absence de tout autre mécanisme de protection sociale en santé, les régimes d’AMBC ont contribué à renforcer la protection financière de leurs adhérents. L’expérience montre toutefois que l’assurance-maladie à base communautaire à adhésion volontaire ne permet pas d’améliorer outre mesure le taux de couverture de la population, même lorsque la prime est en partie subventionnée (par les bailleurs de fonds et par les prestataires en l’occurrence). Le morcellement des régimes (plusieurs petites AMBC) et le faible niveau de revenus des ménages ciblés empêchent une mutualisation efficace du risque maladie.
Au bout de quelques années, le ministère de la Santé a publié des directives destinées à encadrer et à harmoniser l’offre des AMBC sur l’ensemble du territoire national. Si la plupart des fonctions de protection sociale et d’assurance-maladie étaient laissées à l’initiative de l’AMBC, les directives fixaient un panier de prestations harmonisé et définissaient des outils communs pour la passation de contrats avec les prestataires et le suivi de gestion. Malgré ces efforts d’harmonisation, et en raison des problèmes de conception évoqués plus haut, les AMBC ne pouvaient pas se substituer à un régime national d’assurance santé obligatoire piloté par l’État.
Au Cambodge, l’expérience des AMBC a donc permis de nourrir la réflexion sur les caractéristiques que devait avoir la protection sociale en santé en matière de couverture de la population, d’adéquation des prestations et de protection financière. Les AMBC ont également fourni l’occasion de tester une série de solutions pragmatiques pour rendre les régimes opérationnels et répondre aux besoins des ménages à faibles revenus, qui tirent le plus souvent leurs moyens de subsistance de l’économie informelle. Du fait de leur approche communautaire, elles ont permis d’acquérir les connaissances nécessaires sur les besoins et les caractéristiques de cette population, notamment sur le niveau et la structure de leurs revenus, et de concevoir des stratégies d’affiliation et de collecte des cotisations en conséquence. Elles ont permis de tester et de mettre au point toute une série d’outils parmi lesquels le SIG, qui continue d’être utilisé aujourd’hui sous une forme adaptée, le système de règlement des litiges et un mode de paiement des prestataires modulé selon les résultats. Le NSSF doit encore aujourd’hui une partie de son succès aux leçons tirées de l’expérience des AMBC et des autres régimes.
Références
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5. Colombie
5.1. Contexte
La Colombie a réformé en profondeur son système de protection sociale en santé en 1993. La loi 100, promulguée cette année-là, a donné naissance au système général de sécurité sociale en santé et permis d’atteindre une couverture sanitaire universelle. Le système général de sécurité sociale en santé est constitué d’un régime contributif qui couvre les travailleurs formels et les retraités et d’un régime subventionné qui couvre les personnes pauvres et vulnérables. S’ajoutent à cela des régimes spéciaux.
Cette réforme visait à corriger les défauts d’un système de santé qui pâtissait de problèmes d’accès et de qualité 24 pour cent seulement de la population était couverte – et qui était de surcroît inéquitable puisqu’il couvrait 47 pour cent de la population dans le quintile le plus riche, mais 4 pour cent de celle du quintile le plus pauvre. Le manque d’équité du système se manifestait aussi dans la part des dépenses de santé à la charge des ménages, qui était plus élevée pour les familles les moins aisées: en 1993, les ménages supportaient 44 pour cent de la dépense courante de santé
Avant la loi 100, le système public d’assurance-maladie était administré par l’Institut de sécurité sociale pour les salariés du secteur privé, et par les caisses de prévoyance pour les fonctionnaires. Le ministère de la Santé fournissait des soins à la population dépourvue de sécurité sociale. Le système privé d’assurance-maladie couvrait la population disposant de moyens. La loi 100 a rendu l’assurance santé obligatoire pour toute la population et a délégué l’affiliation des usagers à des organismes d’assurance appelés «entités de promotion de la santé» (EPS), et la prestation de soins à des «institutions prestataires de santé» (IPS), souvent ces EPS et IPS pouvaient faire partie de mêmes unités économiques. Ces entités ont différents statuts juridiques, certaines sont de nature mutualiste.
Le système actuel de protection sociale en santé repose sur les acteurs suivants: a) le ministère de la Santé et des Affaires sociales, qui est responsable de la coordination, de la gestion et du contrôle, b) les entités de promotion de la santé (EPS), qui jouent le rôle d’organismes assureurs et collecteurs de cotisations, c) les institutions prestataires de santé (IPS), qui sont des structures de soins tels que des hôpitaux publics ou privés, des cliniques, des cabinets médicaux et des laboratoires.
D’autres instances interviennent dans la gouvernance et l’administration du système. L’ADRES, entité rattachée au ministère de la Santé et des Affaires sociales et dotée d’une autonomie administrative et financière, est chargée d’administrer les ressources du système général de sécurité sociale en santé. Elle assure le paiement des «unités de paiement par capitation» (UPC) aux EPS. Elle est aussi chargée d’administrer la base de données unique des affiliés (BDUA).
La haute autorité de santé exerce des fonctions d’inspection, de surveillance et de contrôle du système général de sécurité sociale en santé et assure la protection des droits des usagers. Enfin, les collectivités territoriales (municipalités, districts et départements) jouent un rôle important dans l’identification et l’affiliation des ménages pauvres ou vulnérables, dans le financement de l’assurance de ces personnes et dans le suivi et le contrôle de l’accès effectif à la santé.
5.2. Le système national de protection sociale en santé
Les entités de promotion de la santé (EPS) sont chargées d’affilier les assurés des régimes contributif et subventionné, pour lesquels ils assurent un panier de soins imposé par l’État. Les contributions collectées dans le cadre du régime contributif sont transférées à l’ADRES qui assure la mutualisation avec les autres ressources fiscales dédiées à l’assurance santé. L’ADRES leur redistribue ensuite un montant par assuré (capitation) appelé «unité de paiement par capitation» (UPC). L’UPC est ajustée en fonction de l’âge, du sexe et de la zone géographique. Il s’agit d’un paiement prospectif sur la base duquel les EPS doivent couvrir l’ensemble des coûts des soins des assurés compris dans le panier de soins. Depuis 2012 les paniers de soins des régimes subventionné et contributif ont été harmonisés, cependant l’UPC n’est pas la même pour les deux régimes. À ce paiement s’ajoute un montant versé pour la prestation de services et la délivrance de médicaments exclus du panier de soins
«L’affiliation au système général de sécurité sociale en santé est obligatoire pour toutes les personnes résidant en Colombie»
Le régime contributif est financé par les cotisations des employeurs (8,5 pour cent du salaire), des salariés et des retraités (4 à 12 pour cent, selon le niveau de salaire ou de la pension de vieillesse) et des travailleurs indépendants (12,5 pour cent du revenu mensuel déclaré). Depuis la réforme fiscale de 2019, le taux de cotisation sur les pensions de retraite a été ramené de 12 à 4 pour cent pour un revenu ne dépassant pas 1 salaire minimum et à 10 pour un revenu inférieur ou égal à 2 salaires minimum pour faire place à un financement plus important de l’État
Le régime subventionné est financé par le transfert de recettes fiscales de l’État, des départements, des districts et des municipalités 51 et par un prélèvement de 1,5 pour cent sur les cotisations du régime contributif. Le régime subventionné reçoit en outre une contribution de solidarité de la part des personnes ni pauvres ni vulnérables 52 qui sont affiliées au régime subventionné à défaut de remplir les conditions pour être affiliées au régime contributif. Le taux de la contribution de solidarité est déterminé en fonction du niveau socio-économique et varie entre 2,5 pour cent et 11 pour cent de l’unité primaire de capitation du régime subventionné. Le régime est également financé par des taxes sur le tabac, l’alcool et les jeux de loterie; ces taxes ont été fortement majorées en 2010 afin de financer l’harmonisation du panier de prestations, l’universalisation de l’assurance-maladie et d’autres besoins du secteur
Le gouvernement pilote le système de protection sociale en la santé par l’intermédiaire du ministère de la Santé et des Affaires sociales et assure la fonction de mutualisation des fonds via l’ADRES. Il délègue la gestion des fonctions de front office l’assurance aux EPS et des prestations de soins aux IPS.
Le Plan de Beneficios en Salud (anciennement Plan Obligatorio de Salud) est le panier de soins dont peuvent bénéficier les assurés au système général de sécurité sociale en santé et qui sont financés par l’unité de paiement par capitation
Le panier de soins est désormais identique pour les affiliés au régime contributif et au régime subventionné. Toute la population n’a cependant pas accès à la même qualité de service, qui varie selon le lieu de résidence et les compétences et le niveau d’équipement des IPS appartenant au réseau de soins de l’EPS auquel on est affilié
Le régime contributif prévoit des tickets modérateurs et des copaiements dont les valeurs ont été révisées par le décret 1652 de 2022. Le montant de ces restes à charge varie selon les revenus de l’assuré. Le copaiement représente entre 11,5 et 23 pour cent du montant de la prestation, par exemple. Tickets modérateurs et copaiements s’excluent mutuellement, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas se cumuler pour une même prestation. Aucun ticket modérateur ou copaiement ne s’applique pour la promotion de la santé, les premières consultations, la santé maternelle et périnatale, l’éducation sanitaire et le traitement de maladies transmissibles à déclaration obligatoire telles que la dengue, l’hépatite et les maladies sexuellement transmissibles.
Les bénéficiaires du régime subventionné ne paient pas de ticket modérateur, mais doivent s’acquitter d’un copaiement fixé en 2023 à 10 pour cent du montant des soins. Dans les deux régimes, la participation de l’assuré est soumise à un plafond par épisode de soins ainsi qu’à un plafond annuel.
Pour ce qui est des prestations en espèces, seuls les affiliés au régime contributif ont droit à des indemnités journalières de maladie ou de maternité.
La prestation de soins est assurée par l’intermédiaire des réseaux de soins organisés par les EPS. Les EPS signent des contrats avec les IPS (hôpitaux, centres de santé, laboratoires, professionnels de santé indépendants et services de transports sanitaires) et les fournisseurs de technologies médicales, et les rémunèrent.
Pour bénéficier de soins de santé, l’assuré doit s’affilier à une EPS, qu’il est libre de choisir
Les EPS passent des contrats avec des prestataires des soins (IPS) qu’elles rémunèrent selon différentes modalités: paiement par cas, dotation globale prospective, paiement par capitation ou par épisode de soins. Elles ont aussi pour mission de concevoir le système de référence et de contre-référence et ont l’obligation de se constituer un réseau de prestataires qui garantissent la disponibilité et l’adéquation des services à tous les niveaux de soins.
En juin 2022, 11 466 IPS étaient agréées par l’État au niveau national. Certaines EPS possèdent leurs propres IPS, mais ne peuvent pas leur faire réaliser plus de 30 pour cent du montant des prestations.
5.3. Caractéristiques de la délégation
Les entreprises solidaires de santé et leur rôle en tant qu’EPS dans le système de PSS
Le système de sécurité sociale colombien offre la possibilité aux usagers de se regrouper pour gérer collectivement l’assurance-maladie via des mutuelles ou des coopératives appelées «entreprises solidaires de santé» (ESS), des associations agréées ou encore des entités de promotion de la santé des communautés autochtones (EPSI). Chacune de ces entités joue un rôle différent dans le système de protection sociale en santé.
Les entreprises solidaires de santé (ESS) ont été créées en 1993 comme une modalité de gestion communautaire du risque maladie destinée à faciliter l’accès aux soins de santé des catégories les plus pauvres et les plus vulnérables de la population
Avec la mise en œuvre du SGSSS, les entreprises solidaires de santé sont devenues des organismes de gestion du régime subventionné qui jouent le rôle d’assureurs et d’organisateurs de la prestation de soins. Les ESS avaient accru leur part de marché dans les premiers temps de la réforme et en étaient arrivées à assurer 30 pour cent des assurés du régime subventionné, avant que leur nombre ne diminue du fait des contraintes réglementaires et de l’encadrement plus strict de leur fonctionnement. Sur les 183 ESS autorisées à exercer en 1998, il n’en restait plus que 80 l’année suivante
Les ESS fonctionnent actuellement comme les autres EPS du régime subventionné et sont contrôlées par la haute autorité de santé. Leur financement est régi par les règles définies pour les EPS du régime subventionné. Elles reçoivent des unités de paiement par capitation (UPC).
Les entit és de promotion de la santé des communautés autochtones et leur rôle d’EPS au sein du système national de PSS
Les entités de promotion de la santé des communautés autochtones (EPSI) constituées par des organisations autochtones, ont pour mission de couvrir les peuples autochtones et d’autres bénéficiaires du régime subventionné
L’affiliation collective à l’assurance santé via des coopératives et autres entités regroupant les travailleurs intépendants
Par ailleurs, les travailleurs indépendants ont la possibilité de s’affilier collectivement à l’assurance-maladie en tant que membres d’une association, d’une organisation professionnelle ou d’une congrégation religieuse agréée par le ministère de la Santé et des Affaires sociales
Les associations agréées ne sont pas des assureurs. Ce sont des intermédiaires qui se chargent d’affilier collectivement les travailleurs indépendants à une EPS du régime contributif. Cette modalité d’affiliation est régie par les décrets 3615, du 10 octobre 2005, et 2313, du 12 juillet 2006. Les associations doivent garantir à leurs membres le libre choix de l’EPS
5.4. Fonctions déléguées
Fonction |
Délégation |
Conception |
|
Couverture de la population |
L’ensemble de la population est couverte par la loi, ce qui a été décidé par l’État au niveau central. Les organismes de nature mutualistes jouent un rôle de délégataires au niveau de la gestion, pas de la conception du régime. |
Définition des prestations |
Toutes les EPS, y compris les ESS et les EPSI sont tenues de servir le panier de prestations défini par le ministère de la Santé, qui comprend les soins d’urgence, les consultations, l’hospitalisation, les soins spéciaux, les médicaments, les soins dentaires, les soins de santé mentale et les soins palliatifs, sous réserve qu’ils ne figurent pas sur la liste des exclusions mise à jour tous les deux ans |
Réseau de prestataires |
Le réseau de prestataires est décidé par chaque EPS qui doit constituer son réseau parmi les prestataires de santé (IPS) publics et privés reconnus par le ministère de la Santé et des Affaires sociales et la haute autorité de santé. Les EPSI fournissent également des services par l’intermédiaire d’IPS autochtones, qui ont une approche interculturelle des soins |
Mise en œuvre |
|
Éducation/Promotion |
En application de l’article 162 de la loi 100, la protection offerte par le panier de soins obligatoires commence par la promotion de la santé et la prévention, si bien que toutes les EPS, y compris les ESS et les EPS autochtones, sont tenues de mener des actions de promotion de la santé. Parmi les services proposés par les EPS figurent des programmes visant à favoriser l’auto-prise en charge et la prévention des maladies. |
Affiliation |
Les EPS ont essentiellement un rôle d’assureurs, les ESS et les EPSI ayant plus particulièrement pour mission d’affilier les populations les plus pauvres et les plus vulnérables au régime subventionné. |
Collecte des cotisations |
Les EPS ont pour fonction de collecter les cotisations et de les verser à l’ADRES, qui est chargée de les mutualiser avec d’autres ressources fiscales. |
Mutualisation des fonds et des risques |
L’ADRES mutualise les fonds au niveau national. Elle verse un montant forfaitaire (l’UPC) par assuré ajusté au profil de risque (âge, sexe, localisation) aux EPS, celles-ci doivent gérer ensuite le risque au niveau de leur portefeuille d’assurés. |
Paiement des prestataires (contractualisation, remboursements) |
Les EPS contractualisent et effectuent les remboursements aux IPS selon différentes méthodes. |
Prestation de soins |
La prestation de soins est assurée par des IPS publiques ou privées avec lesquelles les EPS ont établi des conventions. Chaque EPS doit contractualiser son réseau de soins et peut y inclure des IPS qu’elle possède dans une certaine limite. Les IPS appliquent des tickets modérateurs et des copaiements dont le montant ou le taux est réglementé par le ministère de la Santé et des Affaires sociales. Elles facturent également les services exclus du panier de soins obligatoire. |
Règlement des litiges |
Le ministère de la Santé et des Affaires sociales est chargé de recueillir les plaintes, les réclamations et les suggestions des usagers. Les usagers doivent saisir la haute autorité de santé lorsqu’un assureur ou un prestataire de soins manque à ses obligations ou leur oppose un refus de soins. |
Assurance qualité |
Le contrôle de la qualité des services relève de la responsabilité du ministère de la Santé et des Affaires sociales, par l’intermédiaire du Bureau de la qualité, qui gère le Système obligatoire d’assurance qualité en santé (SOGCS). Le ministère de la Santé a également mis en place un Observatoire de la qualité en santé, qui recueille et diffuse des informations sur la qualité des soins. |
5.5. Impact et leçons
La Colombie compte actuellement 5 mutuelles de santé (ESS), dont 2 gèrent les deux régimes et les 3 autres uniquement le régime subventionné. À la fin de l’année 2022, ces mutuelles totalisaient 10,2 millions d’assurés, soit 19,9 pour cent de l’ensemble des assurés du pays. Les assurés des mutuelles relevaient à 91 pour cent du régime subventionné et 36,4 pour cent des personnes couvertes par le régime subventionné étaient assurées par une mutuelle (figure 1).
Les entités de promotion de la santé des communautés autochtones (EPSI) comptent 1,6 million d’affiliés, soit à peine 3,1 pour cent de l’ensemble des assurés. La quasi-totalité de leurs bénéficiaires (96 pour cent) relève du régime subventionné.
Figure
Note: EPSI: Entités de promotion de la santé des communautés autochtones. ESS: Mutuelles de santé
Source: Calculs de l’auteur à partir des données du
Les ESS reposent depuis leurs origines sur des organisations communautaires, avec des degrés de participation variables. De par leur nature même, elles favorisent la participation des usagers et encouragent le dialogue permanent, ce qui favorise le travail des organisations. Les modifications successives du cadre réglementaire et les nouvelles exigences en matière de nombre minimum d’assurés ont toutefois fragilisé les processus de participation
Les EPS autochtones, très ancrées dans les communautés, ont joué un rôle dans les investissements dans des services adaptés à leurs communautés. Par exemple, des sages-femmes et des agents de santé communautaires ont pu être mis en place
Références
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6. Côte d’Ivoire
6.1. Contexte
La santé est une priorité de la politique sociale du Gouvernement de Côte d’Ivoire, portée par le président de la République Alassane Ouattara, lors de son élection en 2011, puis réitérée comme un programme phare de son second mandat en 2015, avec pour objectifs notamment la construction et la rénovation d’infrastructures sanitaires publiques et la création d’une Couverture médicale Universelle (CMU). Cette dernière tire les leçons de l’échec de la mise en œuvre de l’Assurance-maladie Universelle (AMU) lancée en 2001 et se fixe pour objectif de permettre à tous, tout de suite, de souscrire à une assurance-maladie de base couvrant les actes et les services les plus importants et les frais liés à la maternité.
La CMU s’appuie sur l’article 9 de la Constitution de 2016 qui stipule que «Toute personne a également droit à un accès aux services de santé». Sa mise en œuvre figure parmi les priorités en matière de protection sociale, dans l’axe II «Accélération du développement du capital humain et promotion du bien-être social» du Plan national de développement (PND) 2016-2020. Le pilier IV «Renforcement de l’inclusion, de la solidarité nationale et de l’action sociale» du PND 2021-2025 met l’accent sur l’accélération du processus d’enrôlement des populations à la CMU et la couverture des indigents. Les mesures pour atteindre ces objectifs sont déclinées dans la stratégie nationale de protection sociale (SNPS) adoptée en mars 2014 puis dans la SNPS 2018-2020.
Le processus de mise en œuvre de la CMU a débuté en 2011 avec la mise en place d’un Secrétariat Technique Permanent de la CMU et l’élaboration d’une première stratégie de mise en œuvre d’un système d’assurance-maladie universelle. Ce document, qui a été approuvé officiellement en janvier 2012, trace les grandes lignes du programme, avec un accent particulier sur les questions d’architecture institutionnelle. La CMU a été instituée par la loi No 2014-131 du 24 mars 2014 53. L’article 2 de cette loi stipule qu’«Il est institué par la présente loi, un système obligatoire de couverture du risque maladie au profit des populations résidant en Côte d’Ivoire, dénommé Couverture maladie universelle». En avril 2017, une phase expérimentale a été initiée au profit des étudiants et s’est achevée fin décembre 2018; depuis le 1er janvier 2019, les étudiants paient leur cotisation pour continuer de bénéficier des prestations de soins de la CMU. À la suite de cette phase expérimentale, la CMU est entrée dans sa phase opérationnelle avec le lancement des prélèvements des cotisations le 1er juillet 2019 et celui des prestations le 1er octobre 2019 (Mian, 2022). Avec le lancement de la phase opérationnelle de la CMU et des premiers mois de mise en place marqués par plusieurs difficultés, un Comité de coordination et de suivi de la mise en œuvre de la CMU 54 a été mis en place en 2020 et rattaché auprès du Premier Ministre et un ensemble de mesures ont été prises afin de fluidifier le processus d’enrôlement et améliorer la communication avec les autres systèmes de couverture.
6.2. Le système national de protection sociale en santé
Architecture et gouvernance
La CMU regroupe deux régimes, qui couvre un même panier de soins:
-
Un régime contributif, dénommé Régime Général de Base (RGB) financé par les cotisations des assurés, qui cible la majorité de la population résidant en Côte d’Ivoire.
-
Un régime non contributif, dénommé Régime d’Assistance médicale (RAM), qui vise les indigents et pour lequel l’État se substitue aux assurés pour le paiement des cotisations (STP/CMU, 2015).
La gestion de ces régimes a été confiée par l’État à une institution de prévoyance sociale (IPS) dénommée Caisse Nationale d’Assurance-maladie (CNAM), créée par décret en 2014 55 et placée sous la double tutelle du ministère de l’Emploi et de la protection sociale et du ministère de l’Économie et des Finances. La CNAM a pour mission d’assurer:
-
La gestion des régimes créés dans le cadre de la loi instituant la Couverture Maladie Universelle;
-
La gestion de tous les programmes spéciaux, y compris pour le compte de tiers, dont l’objet concourt à une meilleure prise en charge du risque maladie;
-
Le recouvrement des cotisations et les services des prestations afférentes à ces différents régimes;
-
La gestion des fonds collectés au titre des régimes du système de Couverture Maladie Universelle;
-
La régulation de la Couverture Maladie Universelle.
La CNAM a été conçue initialement comme une structure légère de pilotage et de régulation de la CMU, qui s’appuie sur les mécanismes de couverture déjà existant et implique tous les acteurs en ayant déjà une expérience en matière d’identification des populations, de recouvrement des cotisations et de gestion des prestations de soins de santé. La loi nº2014-131 dans son article 36, donne ainsi à la CNAM la faculté de céder certaines de ses compétences, sur la base d’une convention de délégation approuvée par l’autorité de tutelle, à ces acteurs qui deviennent des organismes de gestion déléguée (OGD); ils peuvent également développer des régimes d’assurance complémentaires.
Ces acteurs sont des personnes morales, publiques ou privées, ayant le statut d’Institution de Prévoyance Sociale, de société d’Assurances, de Mutuelle Sociale ou de Société Commerciale de gestion maladie et justifiant d’une expertise en matière de gestion technique du risque maladie. Deux types d’OGD sont identifiés dans l’architecture de la CMU:
-
les OGD qui assurent les fonctions liées au rattachement des personnes et aux cotisations. Ces OGD ont pour mission d’identifier les assurés et employeurs, de recouvrer les cotisations, reverser les contributions collectées à la CNAM. Ce groupe inclut notamment la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) et la Caisse générale de retraite des agents de l’État (CGRAE) et les soldes civils et militaires; et
-
les OGD qui assurent les fonctions liées à la gestion des prestations. Ce groupe comprend potentiellement la Mutuelle générale des fonctionnaires et agents de l’État (MUGEF-CI), les assureurs et mutuelles sociales. Ces OGD ont pour mission de procéder au contrôle médical et à la liquidation des factures, de faire l’ordonnancement et d’assurer la gestion informatique des paiements des prestataires de soins.
Parallèlement à la CMU, l’État a mis en place des programmes de gratuité ciblée depuis 2012 56, qui s’adressent:
-
aux femmes enceintes: gratuité des consultation prénatales, des examens complémentaires, de l’accouchement normal et les complications liées à l’accouchement et de la césarienne
-
aux enfants de 0 à 5 ans: gratuité de la prise en charge des maladies les plus fréquentes tant sur le plan médical que chirurgical
-
à la population générale:
-
les 48 premières heures des urgences médico-chirurgicales;
-
le traitement du paludisme après la confirmation du diagnostic; et
-
en outre, un abattement de 30 pour cent sur le coût de tous les actes supérieurs à 1 000 FCFA. C’est à dire que le malade adulte aura à payer 70 pour cent du coût des prestations.
-
Ces mesures d’exemption sont prises en charge par le Budget Général, à travers le financement de l’approvisionnement en médicaments et le remboursement aux établissements sanitaires concernés des montants correspondants aux prestations relevant de la gratuité ciblée. Les établissements sanitaires comptabilisent ainsi chaque fin de mois les redevances facturées et non perçues dans le cadre de la gratuité ciblée et transmettent leur état à la direction des affaires financières du ministère de la Santé pour paiement après contrôle d’usage.
Population couverte
La CSU conçue comme un régime d’assurance-maladie obligatoire auquel toute personne résidant en Côte d’Ivoire devra souscrire. Cette obligation prévue par la loi de 2014 ne peut cependant pas, dans la pratique, être mise en œuvre immédiatement pour toute la population et le pays a retenu une approche progressive avec un objectif de couverture de 45 pour cent de la population en 2025.
En 2013, la population couverte en assurance-maladie en Côte d’Ivoire était estimée à environ 1,2 million de personnes. Cette couverture était assurée par la MUGEF-CI, les mutuelles sociales, les assureurs commerciaux (COLINA, ALLIANZ, AXA, NSIA, LMAI, etc. ) et les gestionnaires technique (MCI, ASCOMA et GRASSAVOYE). Cet effectif était cependant probablement surestimé, certains assureurs, voire certaines mutuelles, confiant la gestion du risque maladie à un gestionnaire technique, chacun communiquant sur le même nombre d’assurés (MEASFP, 2013).
Objectifs de couverture de la CMU
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
|
Population totale (en millions) |
24,44 |
25,06 |
25,69 |
26,33 |
26,97 |
27,61 |
28,25 |
Dont indigents (en millions) |
1,83 |
1,88 |
1,93 |
1,97 |
2,02 |
2,07 |
2,12 |
Population assurée (en millions) |
4,07 |
5,36 |
7,36 |
8,50 |
9,66 |
10,34 |
11,03 |
Dont indigents assurés (en millions) |
- |
0,25 |
1,00 |
1,50 |
3,02 |
2,07 |
2,12 |
Population assurée (en %) |
16,67 |
21,39 |
28,66 |
32,29 |
35,82 |
37,46 |
39,03 |
Dont indigents assurés (en %) |
0 |
13 |
52 |
76 |
100 |
100 |
100 |
Source: MEASFP, 2013
Sur la base des chiffres annoncés par la CNAM et le gouvernement, la couverture réelle a progressé nettement moins rapidement que prévu. On peut de plus observer que ces chiffres indiquent les nombres de personnes enrôlées et de cartes distribuées, mais pas le nombre d’individus à jour de leurs cotisations et effectivement assurés. La carte est en effet délivrée à vie, mais le droit aux prestations est conditionné par le paiement régulier des cotisations; des lecteurs de carte biométrique connectés permettent de vérifier l’identité et le droit aux prestations (compte de cotisation à jour) de chaque assuré lors des recours aux services de santé.
Situation de l’enrôlement dans la CMU
2019 |
2021 |
|
Nombre de personnes enrôlées (en millions) |
3,19 |
3,24 |
Nombre de cartes distribuées (en millions) |
2,11 |
2,07 |
Dont indigents (en millions) |
0,20 |
0,21 |
Sources: 2019 – CNAM; 2021 – (www.gouv.ci, 2022)
L’écart entre les prévisions et le nombre de cartes distribuées aux indigents est particulièrement important. Toutefois, un processus de ciblage des ménages indigents est en cours depuis 2017 et doit s’étendre à tout le pays d’ici 2025. Cette opération devrait permettre d’enrôler un effectif de 2,5 millions de personnes dans le RAM (Ouedraogo, 2022).
Risques couverts/Panier de soins
Le panier de soins de la CMU est défini par le décret n°2017-149 57 est le même pour le RGB et le RAM. Les actes couverts ont fait l’objet de négociation entre la CNAM et le ministère de la Santé afin de proposer des tarifs préférentiels aux assurés de la CMU qui sont fixés par un arrêté interministériel 58.
Avec ce panier, la CMU couvre une vaste gamme de services médicaux, incluant l’hospitalisation et la fourniture de médicaments. Les accouchements et les césariennes sont pris parallèlement en charge dans le cadre de la politique de gratuité en vigueur.
Les prestations garanties sont prises en charge par la CMU uniquement au niveau des prestataires, publics, confessionnels ou privés, à tous les niveaux de la pyramide sanitaire, qui ont signé ou adhéré à une convention avec la CNAM. Les médicaments sont tous des génériques et sont accessibles au même prix aussi bien dans les pharmacies des hôpitaux public que dans les officines privées sur toute l’étendue du territoire.
Les dépenses relatives aux actes de santé du panier de soins, y compris les médicaments, sont couvertes avec un taux de prise en charge unique de 70 pour cent, sous condition du respect d’un schéma de référence et de parcours de soins 59. Les 30 pour cent de frais restants sont à la charge de l’assuré sous forme de ticket modérateur qui peut être couvert par les offres d’assurance complémentaire proposées par les assurances privées et les mutuelles.
L’opérationnalisation de la CMU s’accompagne d’importantes mesures de réhabilitation et d’équipement des établissements de santé de premier contact faisant partie du réseau de soins, ainsi que le recrutement d’agents d’accueil dédiés à la CMU dans les hôpitaux, l’amélioration de la distribution des médicaments et la sensibilisation et d’information de la population sur les modalités de fonctionnement et la qualité et l’accessibilité des médicaments CMU.
L’État a ainsi investi 833 milliards de FCFA pour la réalisation d’infrastructures sanitaires, mais aussi le recrutement des ressources humaines adaptées, durant la période 2018-2020. Ces investissements doivent se poursuivre sur la période 2020-2024 à hauteur de plus de 1 650 milliards de FCFA dans le cadre d’un vaste programme de construction, de réhabilitation et de modernisation des centres hospitaliers universitaires (CHU), des hôpitaux régionaux et généraux, et des centres de santé (Mieu, 2020).
Financement de la CMU
Le Régime Général de Base (RGB) est financé par une cotisation forfaitaire unique de 1 000 FCFA par mois et par personne de plus de 5 ans (les enfants de 0 à 5 ans sont pris en charge par un programme de gratuité financé par l’État). Les enfants de 5 à 21 ans révolus sont à la charge de leurs parents, de même que les majeurs en situation de handicap. Les employeurs prennent en charge 50 pour cent (500 FCFA/mois et par personne) des cotisations des salariés du secteur privé et assimilé ou des fonctionnaires, de leurs conjoints et de six enfants au maximum s’ils n’ont pas encore 21 ans révolus; au-delà de six enfants, la totalité des cotisations est due par le salarié. Plusieurs mécanismes de recouvrement sont en place:
-
Les cotisations des agents de l’État et des retraités de la fonction publique sont prélevées par la Caisse Générale de Retraite des Agents de l’État, la Solde Civile et la Solde Militaire.
-
Les cotisations des salariés du secteur privé formel sont collectées via le portail informatique et l’application e-CNPS par la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS);
-
Celles des travailleurs indépendants sont collectées par la Caisse Nationale d’Assurance-maladie par le biais de mécanismes de paiement mis en place à travers le site en ligne de la CNAM, les opérateurs de téléphonie mobile, des banques commerciales et des organismes de microfinance;
-
Les cotisations des petits commerçants et artisans redevables de la taxe forfaitaire prévue par le Code général des impôts sont perçues au moment du paiement de la taxe.
-
Les cotisations dues par les étudiants âgés de 21 ans révolus sont collectées par les établissements d’enseignement supérieur et recouvrées en une ou plusieurs fois.
-
Le recouvrement des cotisations dues par les personnes menant des activités agricoles s’adapte au caractère saisonnier des revenus de certains producteurs agricoles suivant des modalités définies par des arrêtés interministériels. Ainsi pour:
-
la filière coton, la collecte est annuelle et effectuée par les sociétés cotonnières sur la base des achats de coton-graine réalisés dans leur zone exclusive d’activité; et
-
les filières palmier à huile et canne à sucre, les cotisations sont prélevées moment de la vente de la production par les usiniers de la filière palmier à huile et les sociétés coopératives de la canne à sucre villageoise (MEPS, 2021).
-
Le RAM est un régime non contributif dans lequel l’État se substitue aux personnes éligibles pour le paiement des cotisations. La CNAM estime à 12 milliards de FCFA, le budget du RAM en 2022 (Gouvernement
6.3. Un système qui repose sur la gestion déléguée mals des mutuelles minoritaires
Les mutuelles de santé
En 2012, le gouvernement a créé l’Agence Ivoirienne de Régulation de la Mutualité Sociale (AIRMS) 60 qui est l’organe administratif de la mutualité sociale en Côte d’Ivoire, avec pour missions principales:
-
l’instruction des dossiers d’agrément des mutuelles sociales;
-
la tenue du registre national d’immatriculation des mutuelles sociales; et
-
le suivi et le contrôle des mutuelles sociales agréées.
En 2018, l’AIRMS recensait 61 mutuelles sociales:
Immatriculées |
Non immatriculées |
Total |
|
Mutuelles corporatistes |
12 |
10 |
22 |
Mutuelles du secteur privé |
10 |
17 |
27 |
Mutuelles du secteur public |
7 |
3 |
10 |
Faîtières |
1 |
1 |
2 |
Total |
30 |
31 |
61 |
Source: AIRMS, 2018 dans (Abinan, 2019)
En mai 2021, le registre d’immatriculation de l’AIRMS comptait 45 mutuelles sociales, régulièrement constituées en conformité avec le Règlement n°07/2009/CM/UEMOA portant règlementation de la mutualité sociale au sein de l’UEMOA, et immatriculées. Ces mutuelles couvraient une population estimée à 1,5 millions de bénéficiaires, soit 6,25 pour cent de la population ivoirienne (Kamgate, 2020). Cependant, le gros de cet effectif est couvert par la Mutuelle Générale des Fonctionnaires et Agents de l’État de Côte d’Ivoire (MUGEF-CI) qui comptait, en 2018, 263 942 adhérents cotisant et 739 506 bénéficiaires.
En dehors de la MUGEF-CI, les mutuelles sociales couvrent surtout les travailleurs du secteur privé formel. Ces mutuelles sont communément appelées «mutuelles d’entreprise» et assurent des prestations d’assurance-maladie pour les employés des entreprises et leurs familles. En revanche, les mutuelles de santé sont peu développées au sein du secteur informel et du monde agricole.
L’ensemble de ces mutuelles offrent des paniers de soins très variés assurant une couverture partielle ou totale des dépenses de santé.
Cadre institutionnel
Comme souligné plus haut, la CMU a été conçue en s’appuyant sur les acteurs déjà présents et expérimentés dans le champs de l’assurance santé. Parmi ceux-ci, les mutuelles sociales étaient identifiées comme des acteurs potentiellement important de la CMU, du fait notamment de leur implantation et leur intervention au sein de l’économie formelle et de l’économie informelle. Elles ont donc été intégrées dans le schéma de la CMU avec une participation attendue en matière de sensibilisation des populations et une intervention comme OGD en matière de cotisation et de prestation.
Le statut d’OGD dans la CMU met sur un même pied d’égalité d’une part les mutuelles sociales et d’autre part les compagnies d’assurance et les sociétés commerciales de gestion maladie. Ceci implique pour les premières de se mettre à un même niveau que les secondes et de renforcer leurs capacités techniques de gestion, afin d’être performante et garantir une relation contractuelle durable en qualité d’organisme de gestion déléguée avec la CNAM. De même, ce statut nécessite pour les mutuelles de santé de se conformer au Règlement n°07/2009/CM/UEMOA sur les mutuelles sociales, ce qui a été notamment le cas de la MUGEF-CI qui a dû se restructurer en conséquence.
Cette mise en conformité s’inscrit dans le cadre d’un cahier des charges à respecter par les OGD, élaboré lors de la conception de la CMU. Celui-ci prévoit notamment:
-
le respect par l’OGD des normes de gestion de sa catégorie (Code de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance, Règlement Communautaire de la Mutualité Sociale de l’UEMOA, Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires …);
-
le maintien d’un effectif minimum de bénéficiaires afin d’éviter la démultiplication d’OGD de petites tailles qui entrainerait une surcharge de travail, liée à la démultiplication de conventions d’OGD en charge de l’affiliation à piloter pour la CNAM; et
-
la mise à niveau technique et l’intégration dans les plateformes informatiques et système d’information et de suivi (MEASFP, 2013).
Face à ces contraintes imposées, les mutuelles sociales au sein du secteur informel et du monde agricole sont fortement handicapées par une diversité de difficultés, parmi lesquelles leur intervention à petite échelle et le nombre limité de bénéficiaires ainsi que la faiblesse de la gestion technique (MEPS, 2021). Elles sont absentes des OGD de prestations dont les fonctions ont été confiées aux seuls MUGEF-CI et gestionnaires de portefeuilles maladie (ASCOMA et MCI-Care Côte d’Ivoire).
Les fonctions déléguées
La CNAM a été conçue comme une structure légère qui s’appuie sur des organismes de gestion déléguée (OGD). La CNAM a pour missions d’assurer:
-
le déploiement, la promotion et la communication institutionnelle autour de la CMU;
-
la gestion des régimes créés dans le cadre de la loi instituant la Couverture Maladie Universelle;
-
le conventionnement avec les prestataires de soins;
-
la gestion de tous les programmes spéciaux dont l’objet concourt à une meilleure prise en charge du risque maladie 61;
-
la mutualisation et la gestion des fonds collectés au titre des régimes;
-
la gestion des ressources et le service des prestations afférentes à ces différents régimes; et
-
le pilotage et la régulation de la Couverture Maladie Universelle (Koné, 2021).
Deux catégories d’OGD sont distinguées dans le schéma de la CMU:
-
Les OGD Cotisations qui effectuent le prélèvement à la source de la cotisation des salariés et retraités des secteurs publics et privés. Trois grands acteurs interviennent ici, La Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS), la Caisse générale de retraite des agent de l’État (CGRAE) et les Soldes civile et militaire, avec pour mission de:
-
recouvrer les cotisations des assurés qui leurs sont rattachés; et
-
reverser les contributions collectées à la CNAM.
-
On peut noter que la CNAM a signé, en avril 2022, un contrat de partenariat avec la Mutuelle des familles des diasporas ivoiriennes (MFDI) pour la collecte des cotisations des familles des diasporas ivoiriennes. La MFDI est la seule mutuelle sociale ayant passé une convention d’OGD de cotisation avec la CNAM (FAAPA, 2022).
-
Les OGD Prestations (Mutuelles, Assureurs privés, Gestionnaires de portefeuille maladie) ont pour missions de:
-
contrôler la conformité des feuilles de soins adressées par les prestataires de soins;
-
procéder au contrôle médical et à la liquidation des factures/prestataires; et
-
faire l’ordonnancement des paiements des prestataires de soins.
-
Un troisième acteur intervient dans ce schéma, dans le cadre spécifique de l’enrôlement biométrique et l’identification des populations à la CMU. En 2014, l’État a signé un contrat de Partenariat Public Privé avec la société SNEDAI. Celle-ci a créé une filiale, la SNEDAI-CMU, qui assure ainsi l’enrôlement biométrique à travers des bureaux ouverts et les équipes mobiles déployées dans tous les départements ainsi que la fourniture d’une carte d’identification unique et le déploiement d’une application métier pour la gestion du régime. Ce partenariat se justifie en partie par l’importance du numéro d’immatriculation attribué à chaque assuré, celui-ci devenant l’unique identifiant du système de sécurité sociale en Côte d’Ivoire en remplacement de tout autre système d’identification des assurés sociaux.
Répartition des fonctions au sein de la CMU
Fonctions |
Répartition |
|||
CNAM |
OGD Cotisations |
OGD Prestations |
SNEDAI |
|
Définition du panier de soins |
X |
|||
Conventions |
X |
|||
Education et promotion |
X |
|||
Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
X |
X |
|
Recouvrement des cotisations |
X |
|||
Mise en commun des risques couverts |
X |
|||
Paiement des prestations |
X |
X |
||
Prestations de services de santé |
||||
Contrôle médical |
X |
|||
Suivi et pilotage |
X |
6.5. Impact et leçons
A l’exception du cas particulier de la MUGEF-CI et, récemment de la MFDI, les mutuelles sociales sont peu visibles au sein du schéma de la CMU, bien qu’elles étaient initialement identifiées comme les acteurs potentiellement les plus importants pour le déploiement de la CMU dans l’économie informelle. Elles sont en effet des acteurs de proximité pouvant réaliser les actions d’information et de sensibilisation des populations afin de promouvoir l’adoption du projet CMU et l’adhésion au principe de l’assurance-maladie. Leur rôle effectif dans ce domaine est peu documenté et les campagnes de promotion sont surtout le fait de la CNAM et d’acteurs nationaux tels que les organisations de travailleurs et le Comité Intersyndicale pour la Transition vers l’Economie Formelle (CITEF) et des partenaires extérieurs tels que le BIT.
Pourtant, l’absence d’ancrage communautaire constitue l’un des points faible de la CMU. Celle-ci ne s’appuie aujourd’hui, pour son déploiement sur le territoire national, que sur les structures décentralisées de la CNPS et de la CGRAE qui disposent de succursales uniquement dans les grandes villes. Elle n’est ainsi pas intégrée dans les structures communautaires et ne dispose pas d’interfaces avec les communautés locales et les acteurs du secteur informel et du monde agricole. Cette absence explique en partie la lenteur de l’expansion de la CMU. Face à cette situation, le rapport bilan de la SNPS 2018-2020 identifiait, en 2021, notamment comme mesures à mettre en œuvre dans le cadre de la PNPS 2021-2025:
-
le développement de mesures innovantes et incitatives afin de stimuler l’enrôlement d’un maximum de travailleurs de l’économie informelle et rurale et pérenniser leurs cotisations, de façon à assurer la soutenabilité du régime; et
-
la mobilisation des mutuelles sociales pour l’identification et l’enrôlement des populations et la collecte des cotisations à la CMU , en particulier celles des travailleurs de l’économie informelle.
Références
Abinan, P. K. (2019). Intervention de M. Pascal Kouakou Abinan, Ministre de l’Emploi et de la Protection Sociale, Conférence internationale mutualiste intitulée «Le pari de la mutualité pour le XXIe siècle», Présentation PowerPoint, Lomé, 22 janvier 2019.
Fédération atlantique des agences de presse africaines, FAAPA (2022). «La CNAM signe un partenariat avec la mutuelle des familles des diasporas ivoiriennes – FAAPA FR», 15 avril 2022. http://www.faapa.info/blog/la-cnam-signe-un-partenariat-avec-la-mutuelle-des-familles-des-diasporas-ivoiriennes/.
Gouvernement de Côte d’Ivoire (2022). «Couverture maladie universelle (CMU): 3 244 503 personnes enrôlées en Côte d’Ivoire à fin décembre 2021», Portail officiel du Gouvernement de Côte d’Ivoire, février 2022. https://www.gouv.ci/_actualite-article.php?d=4&recordID=13125&p=118.
— (2022b). «Couverture maladie universelle : 2,5 millions de personnes vont bénéficier du régime d’assistance médicale», Portail officiel du Gouvernement de Côte d’Ivoire. https://www.gouv.ci/_actualite-article.php?recordID=13112.
Kamgate, I. (2020). «Côte d’Ivoire : Avec des réserves de 24,854 milliards Fcfa, l’AIRMS veut transférer ses valeurs mobilières à la CDC-CI». Financial Afrik (blog), 31 mai 2020. https://www.financialafrik.com/2020/05/31/cote-divoire-avec-des-reserves-de-24854-milliards-fcfa-lairms-veut-transferer-ses-valeurs-mobilieres-a-la-cdc-ci/.
Kone, O. (2021). «La couverture maladie universelle», présentation PowerPoint, CNAMU, 2021.
Mian, J.P. (2002). «Analyse des cadres institutionnels et opérationnels des programmes et mécanismes existants (CMU et RSTI) de protection sociale pour une meilleure couverture des travailleurs et entrepreneurs de l’économie informelle», MEPS, UE, OIT, mars 2022. https://socialprotection-pfm.org/wp-content/uploads/2022/03/RAPPORT-FINAL-Analyse-Cadre-IO-PS.pdf.
Mieu, B. (2020). «Côte d’Ivoire : la couverture maladie universelle, un immense défi pour le gouvernement – Jeune Afrique», JeuneAfrique.com. https://www.jeuneafrique.com/mag/902959/societe/cote-divoire-la-couverture-maladie-universelle-un-immense-defi-pour-le-gouvernement/.
Ministère d’État, ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Formation Professionnelle, MEASFP (2013). «Note de présentation de la Couverture Maladie Universelle (CMU)», octobre 2013.
Ministère de l’Emploi et de la Protection sociale, MEPS (2021). «Rapport bilan, Mise en œuvre de la stratégie nationale de protection sociale 2018-2020», février 2021. https://emploi.gouv.ci/wp-content/uploads/2021/09/RAPPORT-BILAN-SNPS-2018-2020-DGPS.pdf.
Ouedraogo, P. (2022). «Côte d’Ivoire : 2,5 millions de personnes vont bénéficier du RAM | P4H Network». P4H, 7 février 2022. https://p4h.world/en/news/cote-divoire-25-millions-de-personnes-vont-beneficier-du-ram.
Secrétariat technique permanent de la CMU (STP/CMU) (2015). Architecture de la couverture maladie universelle en Côte d’Ivoire, Présentation PowerPoint, Secrétariat technique permanent de la CMU, 19 janvier 2015.
7. Éthiopie
7.1. Contexte
La Constitution éthiopienne de 1994 dispose que «l’État a l’obligation d’allouer des ressources croissantes à la santé publique, à l’éducation et aux autres services sociaux» (article 41.4) et que «dans la mesure des ressources du pays, l’État cherche à permettre à tous les Éthiopiens d’accéder à la santé publique et à l’éducation» (article 90.1) (Schwettmann, 2022). Dans ce cadre, l’Éthiopie a entrepris en 2003 un «programme d’expansion de la santé» (Health Extension Program (HEP)) d’abord dans les 4 principales régions agraires du pays puis adapté et mis à l’échelle pour les communautés pastorales et urbaines du pays. Ce programme visait à atteindre la couverture universelle des soins de santé primaire, afin de lutter contre le faible accès aux services de santé des populations, notamment les plus pauvres en milieu rural, le manque de personnel de santé et l’absence de synergies institutionnelles.
L’HEP s’est accompagné d’un programme pilote d’assurance-maladie à base communautaire (AMBC) dans 13 woredas (districts) de ces quatre régions en 2011. Ce programme pilote était précédé par une proclamation relative à l’assurance-maladie 62, approuvée en 2010, qui introduit deux types de systèmes:
-
l’assurance-maladie à base communautaire (AMBC) pour les secteurs non-formels et agricole, et
-
l’assurance-maladie sociale (AMS) pour les employés du secteur formel.
Cette proclamation a également institué l’Agence éthiopienne de l’assurance-maladie (AEAM) avec pour mission de gérer ces deux systèmes d’assurance.
L’assurance sociale en santé pour les salariés du secteur formel n’est toujours pas opérationnelle. En revanche, l’assurance-maladie à base communautaire a connu une croissance importante depuis son lancement à titre expérimental en juillet 2011. Ce développement a été soutenu à partir de 2015 par le Plan de transformation du secteur de la santé (HSTP) 2015/16-2019/20 lancé par le Ministère Fédéral de la Santé (MFS) et s’inscrivant le Plan de croissance et de transformation du pays. Le HSTP constitue la première phase d’une stratégie de 20 ans intitulée «Envisager le trajet de l’Éthiopie vers les soins de santé universels en renforçant les soins de santé primaires». Ce programme vise à renforcer l’utilisation des services de santé, en créant des liens entre les communautés et l’offre de soins, en instituant des programmes de gratuité et en augmentant la proportion de personnes affiliées à l’AMBC, afin d’atteindre les objectifs de la Couverture Universelle de la Santé (CUS) (UHC, 2022).
L’AMBC s’inspire des expériences d’autres pays, notamment du Rwanda et du Ghana dans les années 2000 et 2010. Sur la base des résultats encourageant du programme piloté entrepris en 2011 dans les 13 premiers woredas, le programme a été étendu à partir de 2013 pour couvrir 350 en 2017 puis 827 woredas ruraux et urbains en 2020 (sur les 1.100 districts éthiopiens existants), avec une couverture respectivement de 14,5 millions et 32 millions d’individus (Kassahun Mulat et al., 2022). Selon l’AEAM, la couverture de l’AMBC est étendue à 78 pour cent des districts du pays et couvre 43 millions de personnes en 2021.
7.2. Le système national de protection sociale en santé
Architecture et gouvernance
L’USAID qui a été le principal partenaire à l’origine de l’AMBC en Éthiopie définit l’assurance-maladie à base communautaire comme «tout programme géré et exploité par une organisation, autre qu’un gouvernement ou une société à but lucratif privée, qui fournit une mise en commun des risques pour couvrir l’ensemble ou une partie des coûts associés aux soins de santé» (Zelelew, 2015). Cependant, dans sa mise en œuvre effective, l’AMBC en Éthiopie est en premier lieu gérée par le gouvernement, avec la participation de la communauté dans sa conception, sa gestion et sa supervision. Une caractéristique importante de ce programme est en effet que les orientations sont données par le niveau national mais au sein d’une architecture qui garantit des prises de décision coordonnées avec les membres des communautés ainsi qu’une mise en commun et une gestion des risques au niveau des districts.
Le système s’organise à trois grands niveaux:
-
L’AMBC dispose d’une section dans chaque kebele 63 dont les habitants prennent collectivement la décision d’adhérer ou pas à l’assurance. Suite à une campagne de sensibilisation, un kebele entre dans le programme si une majorité (sur la base d’un vote à la majorité simple) de ses habitants soutient l’idée et manifeste de l’intérêt. Lorsque la décision est prise collectivement de participer au programme, chaque ménage a le choix individuel d’adhérer ou pas à l’assurance-maladie (Feleke et al., 2015).
-
L’association des sections de kebele forme le régime AMBC au niveau du woreda (district) 64. L’AMBC de woreda est le cœur du système d’assurance-maladie à base communautaire. Elle est responsable de l’enregistrement des bénéficiaires, du recouvrement et de la mise en commun et de la gestion des fonds de l’AMBC, du conventionnement avec les prestataires de santé et du traitement des remboursements des services de santé. L’AMBC de woreda est gouvernée par une assemblée générale constituée de 3 à 5 représentants, désignés par les ménages affiliés, de chaque kebele participant au système et de représentants de l’administration du woreda. Il dispose d’un conseil d’administration qui gère les aspects quotidiens du régime. L’État finance trois employés (un coordinateur, un comptable et un spécialiste de l’information). On peut souligner que du personnel de l’administration locale au niveau des kebele est également mis à contribution pour la mobilisation et l’organisation de réunions (Feleke et al., 2015). Les prestations, les frais d’inscription, les cotisations et les méthodes de recouvrement sont définies au niveau national mais les AMBC de woreda ont la capacité de modifier et adapter celles-ci à leurs contextes spécifiques.
-
La proclamation de 2010 a créé l’Agence Éthiopienne d’Assurance-maladie (AEAM) en charge gérer conjointement les programmes de l’AMBC et de l’AMS. L’AEME a été créée en tant qu'organe autonome du gouvernement fédéral par le règlement n° 191/2010 65 avec pour missions d’assurer la mise en œuvre et la gestion directe de l’assurance-maladie sociale pour les travailleurs de l’économie formelle et leurs dépendants et d’accompagner le déploiement et la gestion de l’AMBC, en lien avec différents partenaires au développement. L’Agence dispose de succursales régionales pour mettre en œuvre le système d’assurance-maladie sur l’ensemble du territoire.
Couverture de la population
L’affiliation à l’AMBC s’effectue par ménage afin de réduire les risques de sélection adverse. Lorsque les habitants d’un kebele ont choisi de participer au programme, l’adhésion de chaque ménage est volontaire. Deux catégories de ménages sont distinguées:
-
Ménages avec capacité contributive: l’inscription à l’AMBC devient effective lorsqu’un ménage décide de payer sa cotisation qui devra être renouvelée chaque année;
-
Ménages pauvres: le gouvernement subventionne les cotisations de 10 pour cent des individus de chaque kebele, identifiés par les responsables locaux et la communauté comme étant les plus pauvres. Ces individus sont ensuite inscrits par les fonctionnaires en charge de l’AMBC au niveau du woreda pour bénéficier de ce programme de subvention.
Sur les 115 millions d’habitants du pays en 2020, l’AMBC couvrait 31,9 millions de personnes, soit 28 pour cent de la population, répartis dans 6,9 millions de ménages du secteur informel en Éthiopie (Schwettmann, 2022). Ce taux de couverture des populations varie sensiblement d’une région et d’un district à l’autre, notamment en fonction de la situation socio-économique et de l’engagement de l’administration locale dans la promotion de l’assurance (Merga et al., 2022).
Parmi ces adhérents, les ménages pauvres et vulnérables couverts par la subvention de l’État pour les indigents représentent 1/5e (21 pour cent) des ménages affiliés, soit beaucoup plus que les directives de l’AMBC qui limitent cette prise en charge à seulement 10 pour cent des bénéficiaires (SP&PFM, 2020).
Le taux de couverture de la population reste très inférieur à l’objectif de 80 pour cent de la population couverte d’ici 2020, fixé par le Plan de transformation du secteur de la santé (Health Sector Transformation Plan – HSTP) adopté en 2015 (Mulat et al., 2022), toutefois élevé pour un régime volontaire en Afrique. Le fait que la conception de l’AMBC s’est inspirée d’une pratique traditionnelle éthiopienne d’entraide et de solidarité, connue sous le nom d’Idir, est souvent avancée comme un des facteurs expliquant l’importance des adhésions (Participedia, 2020). De plus, l’adhésion s’effectue par ménage, afin d’éviter les risques de sélection adverse. A noter toutefois que l’ensemble des études parlent de ménages et d’individus inscrits mais ne précisent pas s’il s’agit d’assurés effectifs cotisant régulièrement. Le taux de renouvellement des adhésions n’était en effet que de 54 pour cent en 2015, il a cependant fortement progressé pour atteindre 80 pour cent en 2020 (Schwettmann, 2022).
Panier de soins
L’AMBC offre une couverture très large et complète de prestations qui a été définie dans le cadre du programme pilote. Cette couverture englobe les services ambulatoires, les services de gynéco-obstétrique et les services hospitaliers et de chirurgie ainsi que les examens de diagnostic et les médicaments génériques dans les centres de santé et les hôpitaux publics. Les structures de santé privées ne sont pas couvertes par l’assurance, sauf si un service ou un médicament particulier n’est pas disponible dans un établissement public.
Sont exclus de la couverture la lunetterie, les traitements à forte valeur esthétique tels que les dents artificielles et la chirurgie plastique ainsi que la transplantation d’organe, la dialyse rénale chronique, les traitements par médicaments non génériques et les traitements à l’étranger.
Les dépenses sont couvertes à 100 pour cent lorsque les bénéficiaires respectent le schéma de référence en utilisant d’abord les centres de santé avant d’être, si nécessaire, orientés vers les hôpitaux de district ou régionaux. Chaque AMBC de woreda est dans ce sens jumelée avec un centre de santé qui constitue la porte d’entrée du schéma de référence. Les bénéficiaires qui ne suivent pas ce circuit ne sont pris en charge qu’à 50 pour cent (Yilma et al., 2015).
Financement
L’AMBC est financée par les cotisations des ménages et des subventions générales du gouvernement central et des subventions ciblées des régions et districts:
-
Les cotisations sont payées une fois par an, pendant une période de 2 à 3 mois en milieu rural, choisies par les woreda en fonction de la saison des récoltes. Elles sont collectées par les représentants des kebele, suivant des modalités définies au niveau national mais qui peuvent être adaptées par les AMBC de woreda. Une fois collectées, ces cotisations sont directement versées au siège de l’assurance du woreda. La cotisation est un montant forfaitaire par ménages et par an; les enfants adultes peuvent être couverts par un ménage moyennant une cotisation supplémentaire. Lors de la phase pilote débutée en 2011, les cotisations variaient entre 7,31 USD et 10,45 USD par an et par ménage, en fonction du milieu rural ou urbain d’intervention de l’AMBC. Certaines AMBC de woreda ont ainsi progressivement pris la liberté d’adapter le montant des cotisations en fonction des spécificités locales, voire également de faire varier ces cotisations en fonction de la taille des ménages (Hussein et al., 2022). En 2020, la cotisation annuelle moyenne par ménage s’élevait à 6,9 USD (Schwettmann, 2022). Les subventions générales de l’État central financent 25 pour cent des cotisations des ménages afin d’en réduire la charge pour ces derniers et rendre l’assurance plus accessible.
-
Les subventions ciblées des régions et districts sont dédiées à la prise en charge intégrale des cotisations pour les 10 pour cent de la population identifiés comme étant les plus pauvres et vulnérables; ce quota est inférieur au taux de pauvreté moyen qui est de 23,8 pour cent.
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De plus, les gouvernements de région et district financent 3 employés par AMBC de woreda ainsi que certains coûts opérationnels. Lorsqu’une nouvelle AMBC de woreda se met en place, le gouvernement central fournit des ressources aux structures de santé conventionnées avec celle-ci afin de renforcer la qualité des services de santé qui seront offerts aux bénéficiaires (EHIA, 2015).
Les cotisations des ménages et les subventions de l’État constituent la principale source de financement des AMBC. Durant la période de réalisation du premier Plan de transformation du secteur de la santé (HSTP -2015-2019), les AMBC ont mobilisé environ 146,7 millions USD dont 102,9 millions USD de cotisations des ménages, 28,9 millions USD de subventions ciblées et 14,6 millions USD de subventions générales) (ILO, 2021).
Le tableau suivant résume l’évolution des ressources globales des AMBC issues des cotisations des ménages depuis les années pilotes. Ces ressources ont fortement progressé avec l’extension des AMBC à travers le pays et l’augmentation des adhésions.
Montant global de cotisations collectées par les AMBC
Années |
ETB (millions) |
USD (millions) |
2010/11 |
42 |
2,9 |
2014/15 |
148,4 |
7,35 |
2019/20 |
1 640 |
51,1 |
2020/21 |
2 020 |
101 |
Source: OIT, 2022
7.3. Un système qui repose sur le partenariat entre l’État, les woreda et les kebele
Cadre légal
La proclamation fédérale sur l’assurance-maladie sociale en 2010 constitue le cadre juridique de l’AMBC dont elle en fixe les principales orientations politiques, avec notamment la création de l’Agence Éthiopienne d’Assurance-maladie, en tant qu'organe de régulation et mécanisme de surveillance de l’assurance-maladie à base communautaire, et la responsabilité donnée aux AMBC de woreda pour la couverture des dépenses de santé des ménages de l’économie informelle. La proclamation fixe également la proportion adéquate d’indigents et les mécanismes de mise en commun centralisée des cotisations et des subventions nationales et régionales (SP&PFM, 2020).
Les assemblées générales de chaque AMBC de woreda adoptent leurs statuts et approuvent le règlement de l’assurance fixant notamment le montant des frais d’inscription et de la cotisation annuelle ainsi que le calendrier de recouvrement. Ces statuts et règlements constituent le cadre légal de chaque AMBC, approuvé par l’AEAM.
L’architecture mise en place répond à la volonté de l’État de responsabiliser et autonomiser les communautés locales, en les impliquant fortement dans configuration, la gouvernance et la gestion de l’assurance, tout en renforçant la transparence du système:
-
L’AEAM et le ministère fédéral de la Santé agissent en tant qu'unités de supervision et d’exécution du projet. Ils disposent d’unités régionales de coordination pour superviser les opérations des AMBC de woreda. Cette coordination nationale a développé un ensemble d’outils de gestion financière et administrative qui sont utilisés par les AMBC de woreda ainsi que des supports pour l’information et la formation des différentes parties prenantes, telles que les agents de santé et le personnel des gouvernements locaux.
-
Les comités des kebele ainsi que les assemblées générales et les conseils d’administration des woreda constituent des «structures participatives de prise de décision et de gestion», chargées de mettre en place et de gérer l’assurance santé. Les communautés participent également à une surveillance communautaire de l’efficacité et de la qualité des services de santé couverts, à travers des enquêtes auprès des adhérents et non adhérents.
Le système d’assurance-maladie à base communautaire est de plus accompagné par différents partenaires extérieurs dont l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), CARE Éthiopie et Abt Associates 66 qui jouent un rôle de soutien majeur, en termes de conception, de pilotage et l’extension du système.
La distribution des fonctions au sein de l’AMBC
Les AMBC de woreda sont dans leur gouvernance comparables à des mutuelles de santé, sans être cependant des structures entièrement autonomes. Il s’agit de structures à base communautaire intégrées dans un schéma national d’assurance santé, mis en œuvre et coordonné par l’AEAM, au sein duquel on ne peut parler de délégation de gestion mais plutôt de distributions des fonctions entre les différents niveaux de ce schéma.
Au niveau central et régional:
L’Agence éthiopienne d’assurance-maladie est l’organisme fédéral en charge de la mise en œuvre, de l’expansion, de la coordination et du suivi du système d’assurance-maladie à base communautaire
L’AEAM définit les modalités opérationnelles du CBHI et conçoit et imprime les supports de gestion tels que les cartes d’assurés, les blocs de bons et autres documents pour les distribuer au AMBC de woreda.
De même, l’agence a élaboré un modèle de convention avec les établissements de santé que les AMBC de woreda adaptent lors de la contractualisation avec les prestataires de soins de leur aire de couverture.
Au niveau local:
-
Les kebele sont responsables de la sensibilisation et de la mobilisation des communautés ainsi que de l’enregistrement des membres.
-
Le recouvrement des cotisations est également réalisé par les kebele dont les membres des comités réalisent bénévolement la collecte. Les cotisations sont intégralement versées à l’AMBC de woreda qui dispose d’un compte bancaire dans une institution de microfinance ou une banque commerciale suivant les régions.
-
La mutualisation des ressources et des risques est une fonction partagée entre l’AEAM au niveau régional et national et les AMBC de woreda. Les AMBC conservent 70 pour cent des cotisations et versent 20 pour cent au représentations régionales de l’AEAM qui couvrent les soins au niveau des hôpitaux de zone et de région et 10 pour cent à l’AEAM centrale qui couvre le niveau tertiaire de la pyramide sanitaire et constitue un fonds de réserve.
-
Chaque AMBC adapte à son propre usage un prototype d’accord élaboré par l’AEAM et passe les conventions avec des établissements de santé du district. Les hôpitaux de zone, région et spécialisés sont conventionnés avec l’AEAM.
-
Les AMBC de woreda sont responsables de l’achat des prestations auprès des établissements de santé primaires et secondaires du district.
Répartition des fonction dans le système d’assurance-maladie à base communautaire
Fonctions |
Répartition |
|||
AEAM |
AMBC woreda |
Comités kebele |
||
Définition du panier de soins |
X |
|||
Conventions |
X |
X |
||
Education et promotion |
X |
X |
X |
|
Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
X |
||
Recouvrement des cotisations |
X |
|||
Mise en commun des risques couverts |
X |
X |
||
Paiement des prestations |
X |
X |
||
Prestations de services de santé |
||||
Suivi et pilotage |
X |
X |
7.4. Impact et leçons
La mise en œuvre de l’AMBC a reposé sur un important engagement politique au plus haut niveau du ministère des Finances, du ministère de la Santé et de l’Agence éthiopienne d’assurance-maladie (AEAM). Elle a de plus bénéficié de l’implication et de l’accompagnement d’un ensemble de parties prenantes dont les gouvernements régionaux, les partenaires de développement, le secteur privé, les ONG internationales et locales et les organisations de la société civile (OSC) ainsi que les institutions universitaires (Kassahun Mulat et al., 2022).
Parmi les autres points forts du système, la conception de l’AMBC repose sur les leçons tirées d’autres pays, notamment du Rwanda, du Sénégal et du Ghana. Il s’inspire également pratiques traditionnelles, notamment des caisses d’entraide (idir) qui aident les membres des communautés en cas d’urgence (enterrements, etc.)
De plus, des évaluations menées à la suite de la phase pilote lancée en 2011 puis périodiquement ont permis d’affiner la conception du système pour sa phase d’extension. Ces évaluations ont notamment montré l’impact de l’AMBC sur l’utilisation des services de santé, qui s’élève à 0,7 visite par bénéficiaire de l’assurance et par an contre 0,3 en moyenne au niveau national, et sur la mobilisation de ressources pour le secteur de la santé, avec un pool de financement regroupant les cotisations des ménages et les subventions de l’État (Kassahun Mulat et al., 2022). Le taux de couverture de la population s’élève à 28 pour cent en 2020 avec cependant des variations d’une région à une autre, comparativement aux pays d’Afrique subsaharienne où cette moyenne est généralement inférieure à 10 pour cent. De même, les taux de renouvellement annuel des adhésions est élevé et en progression, passant de 54 pour cent en 2015 à plus de 80 pour cent en 2020, ce qui dénote un niveau de satisfaction élevé à l’égard du régime d’assurance-maladie (Schwettmann, 2022).
Cependant, plusieurs défis sont également mis en exergue:
-
En matière de gouvernance et de gestion du système:
-
Une évaluation réalisée en 2015 a souligné les faiblesses au niveau des comités de kebele liées principalement au fait que les activités sont réalisées bénévolement par des membres qui ont par ailleurs d’autres charges de travail et manquent de motivation pour mener à bien leurs fonctions relatives à l’AMBC. Ces comités n’ont également pas de budget de fonctionnement notamment pour couvrir les frais de déplacement. Il en résulte des retards dans les sensibilisations et le renouvellement des adhésions, la mise à jour des informations sur les cartes d’assurés et le dépôt des cotisations au niveau du district. Ces faiblesses ont eu pour conséquences dans certains districts de décourager le renouvellement des adhésions ou d’inciter les ménages à ne renouveler leur adhésion que lorsque les services de santé sont nécessaires immédiatement, ce qui entraîne des difficultés financières pour le régime (EHIA, 2015).
-
Les AMBC de woreda sont responsables de la mise en œuvre, de l’extension et de la gestion de l’assurance santé dans les districts; ils constituent la composante la plus importante du système national d’assurance-maladie à base communautaire. Ces structures sont généralement hébergées au sein de l’administration du woreda; le régime bénéficie ainsi d’un espace de bureau gratuit, ainsi que de services publics, de transport et de communication, et de fournitures de papeterie. L’administration du woreda paie les salaires des trois fonctionnaires dédiés à l’AMBC qui disposent également d’un budget opérationnel qui est cependant trop faible. Chaque AMBC de woreda est gouvernée par une assemblée générale et un conseil d’administration. L’évaluation en 2015 a permis de constater que ces organes se réunissent peu ou pas dans la plupart des districts, avec un retard ou une absence de prise de décision (EHIA, 2015).
-
L’Agence éthiopienne d’assurance-maladie a été créée au niveau national pour diriger le développement global de la CBHI, avec des succursales au niveau régional. Il y a cependant peu de coordination entre l’agence et les AMBC de woreda et cette lacune s’aggrave avec l’extension du système à travers le pays (EHIA, 2015).
-
-
En termes de financements, les coûts de fonctionnement des AMBC de woreda ainsi que les subventions générales et ciblées représentent une charge de plus en plus importante pour l’État et les régions, au fur et à mesure de l’extension du système. La capacité de mobilisation de ressources suffisantes constitue un défi particulièrement important en vue de maintenir le même niveau de ressources humaines, de soutien administratif et de subventionnement des primes, notamment pour les ménages les plus pauvres.
-
Le non-respect des procédures par les prestataires de soins conventionnés empêche parfois la prise en charge des soins, notamment concernant l’élaboration des ordonnances et leur enregistrement dans les dossier de remboursement des bénéficiaires. Les AMBC sont également confrontées à la sur prescription de services et de médicaments ainsi qu’à l’orientation abusive des patients vers les services de santé privés non conventionnés (OIT, 2022)
-
Comme souligné plus haut, le niveau d’adhésion à l’AMBC est important, comparativement à d’autres expériences dans la région, mais avec des taux de pénétration et des taux de renouvellement des adhésions variables d’une région à l’autre. En fonctions des régions, ces variations sont en partie liées:
-
au niveau d’engagement de l’administration locale;
-
aux faiblesses observées au niveau des comités de kebele et des AMBC de worela;
-
à la qualité des services de santé, avec dans certains établissements publics des lacunes dans les ressources humaines ainsi que des pénuries de médicaments et d’équipements médicaux; et
-
aux difficultés pour certains ménages non éligibles aux subventions ciblées, de s’acquitter des frais d’inscription et des montants de cotisation (Kassahun Mulat et al., 2022).
-
L’expérience de l’Éthiopie est comparable avec celle du Sénégal. Ces deux pays se sont en grande partie inspirés du schéma d’assurance-maladie à base communautaire mis en place au Rwanda, avant son basculement en un système centralisé géré par la Caisse national de sécurité sociale. Comme dans les deux autres pays, l’AMBC en Éthiopie est un système hybride qui vise à promouvoir un fort engagement communautaire avec la nécessité d’un pilotage et la définition d’orientations par un niveau centralisé. Les défis sont également les mêmes: au niveau opérationnel, avec l’expansion progressive du système sur le territoire national, l’AEAM va devoir disposer de moyens importants afin d’accompagner l’administration de l’assurance qui doit à terme s’étendre à 1 100 woreda. Il s’agira pour l’agence d’être en mesure de coordonner et uniformiser les règles et procédures et de développer des capacités techniques afin de favoriser un niveau de gestion technique de qualité à tous les niveaux du système d’assurance. Concernant le financement, la mise à l’échelle du système nécessite pour l’État et l’AEAM de mobiliser un niveau croissant de ressources nécessaires pour maintenir le même niveau de subventionnement des cotisations et du fonctionnement. Par ailleurs, l’organisation fragmentée au niveau des woreda et l’adhésion volontaire entrainent une fragilité de la viabilité financière des AMBC dans les districts les plus défavorisés économiquement et la nécessité d’augmenter la mutualisation des risques et de bâtir un système de péréquation au niveau national.
Références
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Feleke S., Mitiku W., Zelelew H. et Ashagari T.D. (2015). «Ethiopia’s Community-Based Health Insurance: A Step on the Road to Universal Health Coverage», Health finance & governance, USAID, janvier 2015. https://www.hfgproject.org/ethiopias-community-based-health-insurance-step-road-universal-health-coverage/.
Hussein M., Muluken A. et Bayou N.B. (2022). «Continued adherence to community-based health insurance scheme in two districts of northeast Ethiopia: application of accelerated failure time shared frailty models», International Journal for Equity in Health 21, nᵒ 1 (5 février 2022): 16. https://doi.org/10.1186/s12939-022-01620-9.
Merga B.T., Balis B., Bekele H. et Fekadu G. (2022). «Health insurance coverage in Ethiopia: financial protection in the Era of sustainable development goals (SDGs)», Health Economics Review 12, nᵒ 1 (3 août 2022): 43. https://doi.org/10.1186/s13561-022-00389-5.
Mulat A.K. , Mao W., Bharali I., Balkew R.B. et Yamey G (2022). «Scaling up community-based health insurance in Ethiopia: a qualitative study of the benefits and challenges», BMC Health Services Research 22, no 1 (10 avril 2022): 473. https://doi.org/10.1186/s12913-022-07889-4.
Organisation internationale du Travail, OIT (2021). ILO Prospect. «Mapping of the National Social Protection System in Ethiopia, Including Social Health Protection, Final Report». ILO, 2021. https://www.ilo.org/global/programmes-and-projects/prospects/countries/ethiopia/WCMS_821183/lang--en/index.htm.
— (2022). «Feasibility Study on the Enrolment of Urban Refugees and Asylum Seekers in the Community Based Health Insurance Scheme in Ethiopia», non publié.
Participedia (2020). «Community Based Health Insurance in Ethiopia», Participedia, 2020. https://participedia.net/case/4958.
Schwettmann J. (2022). «Vers une couverture sanitaire universelle, les cas du Bénin, de la Côte d’Ivoire, de l’Éthiopie, du Kenya, du Sénégal et de la Zambie», Friedrich Ebert Stiftung, janvier 2022. https://library.fes.de/pdf-files/iez/18889.pdf
SP&PFM (2020). «A Fact Finding Report Based on ILO Social Security Inquiry (SSI) Assessment for Ethiopia», décembre 2020. https://socialprotection-pfm.org/wp-content/uploads/2021/04/SSI-presentation-final-March-2021_Final.pdf.
Universal Health Coverage Partnership, UHC (2022). «Ethiopia Universal Health Coverage Partnership». https://extranet.who.int/uhcpartnership/country-profile/ethiopia.
Yilma Z., Mebratie A., Sparrow R., Dekker M., Alemu G. et Bedi A.S. (2015). «Impact of Ethiopia’s Community Based Health Insurance on Household Economic Welfare», The World Bank Economic Review 29, nᵒ suppl_1 (1e janvier 2015): S164‑73. https://doi.org/10.1093/wber/lhv009.
Zelelew H. (2015). «L’assurance-maladie communautaire comme voie vers la couverture maladie universelle: les leçons de l’Éthiopie». Présenté à Conférence Internationale sur le financement de la santé en Haïti: Défis et Perspectives pour son Financement, avril 28-29 2015 Haïti, Port au Prince, 28 avril 2015. https://fr.slideshare.net/HFGProject/cbhi-lessons-from-ethiopia-final-fr.
8. France
8.1. Contexte
La Constitution française (1946) dans son préambule stipule que la Nation «garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé». L’assurance-maladie est aujourd’hui le modèle d’organisation du système de santé en France où elle constitue l’une des cinq branches de la sécurité sociale. Elle a vu le jour en 1928 et évolué au fur et à mesure des réformes de la sécurité sociale et de l’assurance-maladie, notamment la création de la sécurité sociale en 1945, pour s’étendre progressivement à toute la population sans distinction d’âge, d’état de santé, de niveau de revenus, d’éducation ou de résidence. La configuration actuelle de l’assurance-maladie découle de la loi du financement de la sécurité sociale de 2016 et la mise en œuvre au 1er janvier de cette même année de la Protection Universelle Maladie (PUMA).
La PUMA vise à renforcer l’égalité d’accès aux soins et permettre à toute personne travaillant ou résidant en France de manière stable et régulière, sans rupture de droit, de bénéficier d’une prise en charge de ses frais de santé, à titre personnel et de manière continue tout au long de la vie. Ainsi, toute personne qui travaille ou réside de manière stable et régulière en France est couvert par l’assurance-maladie:
Les personnes majeures (18 ans et plus) sont toutes rattachées en propre, à travers deux grandes catégories d’assurés:
-
celles qui cotisent sur des revenus d’activité ou des revenus de remplacement; le rattachement est réalisé sur critère professionnel; et
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celles qui ont une résidence stable; le rattachement est réalisé sur critère de résidence.
Les mineurs continuent d’avoir le statut d’ayant droit et sont rattachés à l’un de leurs parents. Toutefois, il est possible de demander à bénéficier de la Puma à titre personnel à partir de 16 ans.
La PUMA vise ainsi à réduire au strict nécessaire les démarches administratives et simplifier la vie des assurés ainsi que d’assurer la continuité des droits et garantir davantage d’autonomie et de confidentialité à tous les assurés dans la prise en charge de leurs frais de santé (Nezosi, 2021).
La loi du financement de la sécurité sociale de 2016 a ainsi fait disparaître la Couverture Maladie Universelle (CMU) de base qui s’adressait aux personnes exclues de l’assurance-maladie obligatoire, celle-ci étant remplacée par la prise en charge des frais de santé sur critère de résidence. Par ailleurs, la mise en œuvre de la loi s’est accompagnée à partir de 2018 de la disparition du régime des indépendants et du régime des étudiants ainsi que de la transformation de la Caisse Nationale d’Assurance-maladie des Travailleurs Salariés en Caisse nationale de l’assurance-maladie (CNAM).
8.2. Le système national de protection sociale en santé
Architecture et gouvernance
Le système français de prise en charge des frais médicaux est organisé en deux étages (décrits ci-après).
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Le premier étage est constitué par les régimes d’assurance-maladie obligatoire de base qui regroupent:
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Le régime général pour les salariés, les retraités, les demandeurs d’emploi ainsi que depuis 2018 les travailleurs indépendants, les étudiants et les bénéficiaires de la protection universelle maladie au titre de la résidence. La gestion du régime général s’appuie sur un réseau d’organismes:
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Au niveau national, la CNAM est un établissement public national à caractère administratif qui agit sous la double tutelle du ministère des Solidarités et de la santé et du ministère de l’Économie et des finances, avec pour mission prioritaire la gestion du risque. Dans ce cadre, la CNAM est notamment en charge de la mise en œuvre des accords «conventionnels» passés entre l’Union des caisses d’assurance-maladie et les syndicats représentatifs des différentes professions de santé. Elle développe la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, promeut la prévention de la maladie, des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle définit et pilote l’activité des organismes du réseau et gère le système d’information de l’assurance-maladie.
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Au niveau régional, seize Caisses d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail (CARSAT), qui remplacent depuis juillet 2010 Caisses Régionales d’Assurance-maladie (CRAM), ont pour principale mission l’accompagnement des assurés en difficulté, fragilisé par une maladie, un accident ou un handicap
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Au niveau local, 102 caisses primaires d’assurance-maladie (CPAM) et quatre caisses générales de sécurité sociale (CGSS) pour l’outre-mer assurent les relations de proximité avec assurés du régime général et réalisent les fonction liées à l’affiliation, la gestion des droits à l’assurance-maladie et le traitement des feuilles de soins et des prestations d’assurance-maladie. Ces caisses élaborent également des plans d’action annuel sur la gestion du risque, en relation avec les professionnels de santé, des politiques de prévention et de promotion de la santé ainsi que des politique d’action sanitaire et sociale par des aides individuelles aux assurés, en collaboration avec les Carsat, et des aides collectives au profit d’associations; l’organisation des visites des délégués de l’Assurance-maladie chez les professionnels de santé;
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Le régime agricole qui est issu des mutuelles agricoles crées dans le courant du XIXe siècle, formalisées par un cadre juridique spécifique avec la loi 4 juillet 1900 qui fonde le groupement «Assurances mutuelles agricoles» puis avec la création de la Mutualité Sociale Agricole (MSA) en 1930, placée sous la tutelle du ministère de l’Agriculture. Lors de la création de la sécurité sociale, la MSA est maintenu dans le cadre de l’ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale qui affirme le principe de l’universalité de la Sécurité Sociale et prévoit le maintien de la pluralité des régimes.
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La MSA est le régime de protection sociale obligatoire de l’ensemble de la population agricole et des ayants droit: exploitants, salariés (d’exploitations, d’entreprises, de coopératives et d’organismes professionnels agricoles) et employeurs de main-d’œuvre. Elle gère l’ensemble des branches de la sécurité sociale: maladie, famille, la vieillesse, accidents du travail et maladies professionnelles, ainsi que le recouvrement. Contrairement au Régime général dont les branches sont gérées par des caisses spécifiques, y compris pour le recouvrement (par l’URSSAF), la MSA est un guichet unique qui qui gère à la fois les prestations et le recouvrement de ses cotisations.
Elle s’appuie sur une Caisse centrale de mutualité sociale agricole (CCMSA) qui est un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, et un réseau de 35 caisses départementales et interdépartementales de mutualité sociale agricole. Celles-ci disposent d’une forte autonomie et sont constituées et fonctionnent conformément aux prescriptions du code de la mutualité. Elles rassemblent un réseau de 92 sites de production (gestion des recouvrements et des prestations) ainsi que 243 agences et 349 permanences locales qui accueillent les assurés (Cours des comptes, 2020).
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Les régimes spéciaux qui s’adressent à un certain nombre de professions ou de corps sociaux disposaient déjà de leur propre système de protection sociale avant la création de la sécurité sociale. Il existe ainsi 27 régimes spéciaux répartis en trois grandes familles:
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le régime de la fonction publique (fonctionnaires civils et militaires);
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le régime des entreprises et établissements publics; et
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les autres régimes structurés soit sur une base professionnelle (Régimes des clercs et employés de notaire, des mines, des cultes, etc.), soit sur une base d’entreprise (Régimes des personnels de l’Opéra de Paris, de la RATP, de la SNCF, de l’EDF-GDF, etc.).
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Ces régimes spéciaux ont une organisation et un fonctionnement spécifiques à chacun, avec la gestion des différents risques et du recouvrement généralement répartie entre l’entreprise ou l’institution mère elle-même et des caisses spécifiques voire des organismes du régime général. Avec l’évolution de certaines professions et de secteurs industriels, la tendance est à la convergence et l’alignement des prestations de ces régimes avec celles de la sécurité sociale; le risque maladie de certains régimes spéciaux est ainsi désormais géré en partie ou en totalité par le régime général (Nezosi, 2021).
Ce premier étage est chapoté par L’union nationale des caisses d’assurance-maladie (UNCAM) créée par la loi du 13 aout 2004 relative à l’assurance-maladie qui rassemble les régime général et le régime agricole. L’UNCAM intervient dans le respect des objectifs de la politique de santé et des plans et programmes de santé qui en résultent ainsi que des objectifs fixés par les lois de financement de la sécurité sociale. Elle a pour mission notamment de fixer les taux de remboursements, via les conventions avec les professions de santé, le ticket modérateur et la participation forfaitaire, les taux de remboursements des médicaments 67.
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Le second étage est constitué par les régimes complémentaires qui couvrent la part des dépenses de soins de santé qui n’est pas prise en charge et des prestations qui ne sont pas du tout remboursées par le régime de base obligatoire.
Un accord national interprofessionnel 68 adopté par les partenaires sociaux en janvier 2013 a étendu les régimes généraux en généralisant la complémentaire santé à l’ensemble des salariés. La loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a rendu obligatoire pour toutes les entreprises du secteur privé de proposer une assurance complémentaire santé à leurs salariés. Cette extension est également en cours de négociation pour les agents des trois fonctions publiques. Les autres catégories d’actifs peuvent contracter une assurance complémentaire bénéficient de déductions fiscales ou d’une moindre taxation de leurs contrats d’assurance santé complémentaire.
Trois grands acteurs interviennent dans ce secteur des complémentaires santé:
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les mutuelles de santé en sont le principal acteur, avec 50 pour cent des cotisations collectées dans ce secteur;
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les sociétés d’assurance, pour la plupart des sociétés anonymes à but lucratifs régies par le Code des assurances. Leur activité est équilibrée entre contrats individuels et collectifs; et
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les institutions de prévoyance qui sont des organismes paritaires (dirigés par les organisations syndicales de salariés et d’employeurs) à but non lucratif régies par le Code de la sécurité sociale. Elles sont particulièrement présentes dans le champ des contrats collectifs, soit d’entreprises, soit de branches professionnelles.
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Depuis novembre 2019, la Complémentaire santé solidaire (CSS) apporte une couverture maladie complémentaire gratuite ou donnant lieu à participation financière modeste, qui permet une prise en charge du reste à charge du régime général. Cette couverture s’adresse aux assurés:
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qui bénéficient de la prise en charge de leurs soins de santé au titre de leur activité professionnelle ou de leur résidence stable et régulière en France; et
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dont les ressources sont inférieures à un montant qui dépend de la composition de leur foyer. Ces ressources sont celles des 12 mois précédant la demande
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À compter de janvier 2022, la CSS sans participation financière est attribuée automatiquement aux nouveaux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Les titulaires de la Complémentaire santé solidaire voient leurs dépenses de santé prises en charge par les organismes d’assurance-maladie et l’organisme gestionnaire qu'ils ont choisi.
À noter également que des communes organisent des «mutuelles communales» afin de proposer une complémentaire santé volontaire à leurs habitants, en démarchant les mutuelles et compagnie d’assurance pour négocier les meilleurs coûts et garanties.
À travers ces dispositifs, 96 pour cent de la population est couverte par une complémentaire santé Les 4 pour cent restant de la population non couverts par une complémentaire regroupent essentiellement des individus à faibles revenus parmi lesquels des travailleurs indépendants, des chômeurs, des inactifs ainsi que des retraités (Pierre et Rochereau, 2022).
Couverture de la population
La couverture de la population nationale par les différents régimes se répartie de la façon suivante.
Pourcentage de la population nationale couverte par les différents régimes
Assurance-maladie obligatoire |
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Régime général |
Régime agricole |
Régimes spéciaux |
88% |
5% |
7% |
Régimes complémentaires |
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96% |
Source: sécurité-sociale.fr
Le taux de prise en charge légal dépend du régime d’assurance-maladie, de la pathologie et des prestations. Il s’élève généralement à 70 pour cent pour les prestations médicales et dentaires, 60 pour cent ou 70 pour cent pour d’autres prestations et examens médicaux et 80 pour cent pour les séjours à l’hôpital. La couverture s’étend à 100 pour cent pendant la maternité et pour certaines hospitalisations ou pour les affections de longue durée ainsi que pour des raisons sociales. Laprise en charge des médicaments est fonction de leur service médical: le taux est de 100 pour cent pour les médicaments reconnus comme irremplaçables et coûteux, 65 pour cent pour les médicaments à service médical rendu majeur ou important; 30 pour cent pour les médicaments à service médical rendu modéré et certaines préparations magistrales; 15 pour cent pour les médicaments à service médical faible (Ameli, 2021) .
Cette prise en charge s’applique initialement selon le principe du remboursement: le patient fait l’avance de frais et reçoit du professionnel de santé une feuille de soins qu’il devra envoyer à sa caisse d’assurance-maladie et à sa mutuelle. Avec l’utilisation depuis 1988 de la carte Vitale qui contient les informations liées à l’assurance et la loi de modernisation du système de santé de 2016 69, le tiers payant se généralise; la caisse d’assurance-maladie et l’assurance complémentaire sont automatiquement informées de l’acte réalisé et procèdent au remboursement des frais au patient.
Au fur et à mesure des évolutions de l’assurance-maladie, la tendance est au rapprochement entre les différents régimes dont les montants et les modalités de versement s’alignent sur celles du Régime général.
8.3. Les mutuelles de santé
Les mutuelles sont le premier acteur de complémentaire santé en France, avec plus d’un français sur 2 couvert. Elles gèrent de plus le principal réseau sanitaire et social à but non lucratif avec 2 800 services de soins et d’accompagnement. Les mutuelles sont particulièrement présentes dans le segment des contrats individuels (qui ne comprend que deux signataires: l’assuré et l’assureur), avec notamment une majorité de personnes retraitées qui, par définition, ne peuvent plus prétendre à un contrat collectif souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle. Elles sont également très actives dans certaines catégories professionnelles comme les fonctionnaires. Enfin, certaines mutuelles sont volontaires pour être des organismes conventionnés Complémentaire santé solidaire et peuvent être choisies par les personnes éligibles pour un contrat CSS.
Les mutuelles sont l’héritage des sociétés de secours mutuel du XVIIIe siècle. L’adoption de la charte de la mutualité en avril 1898 fonde le mouvement mutualiste et en définit les grands principes de la mutualité française actuelle. Avec la création de la sécurité sociale en 1945, l’ordonnance n° 45-2456 du 19 octobre 1945 portant statut de la mutualité a créé le Code de la mutualité. Celui-ci regroupe tous les textes juridiques français qui déterminent le statut, la composition et le fonctionnement des mutuelles, avec pour objet est notamment d’harmoniser l’action de la mutualité avec celle de la Sécurité sociale devenue obligatoire. Le code de la mutualité a été modernisé à plusieurs reprises, la version en vigueur est celle du 01 juin 2022 dont l’article L111-1 définit ainsi les mutuelles: «Les mutuelles acquièrent la qualité de mutuelle et sont soumises aux dispositions du présent code à dater de leur immatriculation dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État. Elles mènent, notamment au moyen des cotisations versées par leurs membres, et dans l’intérêt de ces derniers et de leurs ayants droit, une action de prévoyance, de solidarité et d’entraide, dans les conditions prévues par leurs statuts, afin de contribuer au développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Elles sont gérées en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité».
La quasi-totalité des mutuelles sont membres de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF). Créée en 1902, la FNMF est le syndicat professionnel des mutuelles. Elle anime le mouvement mutualiste et représente celui-ci auprès des pouvoirs publics, des institutions et de tous les acteurs de la santé et de la protection sociale. La fédération compte 518 mutuelles nationales, régionales ou locales, dont 232 mutuelles de santé, et 17 unions régionales.
8.4. Une reprise des délégations par le régime général
Plusieurs mécanisme de gestion déléguée
En 2017, la gestion du régime obligatoire d’assurance-maladie d’environ 12,8 millions de personnes était déléguée à des organismes conventionnés:
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5,3 millions de fonctionnaires de l’État et magistrats et 1 million d’agents territoriaux et hospitaliers étaient couverts par le Régime des fonctionnaires;
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1,8 million d’étudiants par le Régime des étudiant; et
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4,7 millions de travailleurs indépendants par le (RSI) (CSS, 2019).
Le Régime des fonctionnaires et le Régime des étudiants reposaient sur la délégation de gestion de l’assurance-maladie obligatoire à des mutuelles de santé par le régime général. Le RSI était un guichet unique pour les travailleurs indépendants et regroupait la gestion de plusieurs branches de sécurité sociale. Parmi celles-ci, la branche assurance-maladie du RSI était organisée selon le principe de la délégation de gestion à des organismes conventionnés.
Une succession de rapport entre 2013 et 2016 ont amené à une remise en question par l’Assemblée nationale et la Cour des Comptes de la gestion déléguée. L’assurance-maladie des étudiants a été intégrée au régime général en 2017.De même, le RSI a été dissous à partir du 1er janvier 2018 puis définitivement depuis le 1er janvier 2020, et on assiste de plus ces dernières années à un rapprochement important entre les mutuelles et les CPAM pour la gestion de l’assurance-maladie des fonctionnaires.
Le régime des fonctionnaires
Les fonctionnaires d’État, qui bénéficiaient déjà d’un régime particulier d’assurance-maladie dont les prestations étaient servies par des mutuelles, se sont vu accordé lors de la création de la sécurité sociale un régime particulier d’assurance-maladie qui confie la gestion du régime obligatoire de l’assurance-maladie des fonctionnaires de l’État à des mutuelles selon le principe de la délégation de gestion. Selon la loi de 1947 70 qui institue ce régime des fonctionnaires, l’assurance-maladie est tenue de déléguer la gestion de l’assurance-maladie obligatoire des fonctionnaires aux mutuelles qui elles-mêmes n’ont pas la possibilité de refuser cette délégation. Le champ de celle-ci est toutefois réduit par rapport à la Caisse d’assurance-maladie; les mutuelles ne gèrent pas les accidents du travail ni les maladies professionnelles.
La gestion des prestations maladie est éclatée entre des organismes mutualistes pour les fonctionnaires d’État, en fonction du ministère d’affectation, une caisse nationale spécifique pour les militaires (la Caisse nationale militaire de sécurité sociale – CNMSS) et par des mutuelles ou le Régime général de la Sécurité sociale pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (qui peuvent opter pour l’un ou l’autre). Une remise en cause par la Cours des comptes à partir de 2013 des modalités, des montants et de l’efficience de la rémunération des mutuelles a entrainé une diminution de celle-ci. Confrontées également à une baisse de leurs effectifs, la quasi-totalité des mutuelles de fonctionnaires a progressivement fait le choix économique d’un transfert total ou partiel des activités de gestion au régime général, estimant que leur taille et la diminution du montant des remises de gestion ne leur permettant plus d’assumer leurs activités dans des conditions optimales.
Aujourd’hui, trois grandes modalités de gestion de l’assurance-maladie obligatoire des fonctionnaires sont pratiquées par ces mutuelles:
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Certaines mutuelles, telles que la Mutuelle Générale de l’Education Nationale (MGEN) continuent d’assurer la gestion de l’assurance-maladie avec leur propres outils et conservent ainsi une gestion intégrée des régimes obligatoire et complémentaire.
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D’autres assurent la gestion de l’assurance-maladie obligatoire mais utilisent en infogérance les outils informatiques de la Caisse nationale d’Assurance-maladie (Cnam).
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Enfin, la majorité des mutuelles ont transféré la gestion de l’assurance-maladie obligatoire à la CNAM, dont elles utilisent les outils informatiques pour certaines fonctions (affiliation, etc.). La couverture est ainsi intégrée au régime général, les mutuelles conservant la proximité avec les assurés et continuant de proposer des produits d’assurance complémentaire (Viel, 2018).
Le régime des étudiants
La loi du 23 septembre 1948 71 a étendu aux étudiants le régime d’assurance-maladie applicable aux travailleurs salariés et en a confié la gestion à une mutuelle nationale (La Mutuelle des Etudiants – LMDE) dans le cadre d’une délégation de service public (CAS, 2015). A partir de 1972, plusieurs mutuelles régionales se sont développées et participent à la gestion de l’assurance-maladie obligatoire, en proposant également des offres de complémentaires santé.
Plusieurs rapports de la Cour des Comptes (Rapports 2002, 2006 et 2013) ainsi que de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF) en 2013 ont épinglé les coûts de gestion de l’assurance-maladie par les mutuelles d’étudiants (CCSS, 2013). La LMDE confrontée à des affaires de détournement de fonds et d’abus de bien sociaux ainsi que d’importants dysfonctionnement (notamment les délais hors-norme de remboursement et de délivrance de la carte vital) et une dette colossale, est adossée au Régime général pour la gestion de l’assurance-maladie obligatoire depuis 2015 suite à une procédure de sauvegarde judiciaire.
La loi pour l’orientation et la réussite des étudiants (ORE) de 2017 a mis fin à la gestion déléguée de la part obligatoire de l’assurance-maladie des étudiants. Ceux-ci sont depuis le 1er septembre 2019 intégrés au régime général et rattachés à la Caisse Primaire de l’Assurance-maladie de leur lieu d’habitation. Les mutuelles étudiantes continuent cependant de proposer et gérer des offres de complémentaire de santé.
On notera parmi les dysfonctionnements relevés tant par les institutions que par des organisations d’étudiants et de consommateurs:
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La perversion des actions de prévention pour lesquelles les mutuelles sont financées en les transformant en actions de communication afin de gagner des parts de marché sur la concurrence pour la gestion de la part obligatoire et de vendre des complémentaires santé.
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Certaines mutuelles accusées d’opérer une désinformation généralisée des étudiants entre le régime délégué et leur activité de vente de complémentaires, pour maximiser leurs bénéfices, se sont vues refusé l’accès aux campus par un nombre croissant d’universités.
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Le coût particulièrement élevé du système de délégation de gestion, la Cours des Comptes estimant que les remises de gestion finançaient une partie des dépenses liées à la vente de complémentaires santé, alors même que les mutuelles étudiantes réalisent cette activité au même titre que n’importe quelle mutuelle ou compagnie d’assurance.
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Globalement, nombre de dysfonctionnements ont pénalisé les étudiants en limitant l’accès aux soins dans de bonnes conditions pour les étudiants et en entrainant des renoncements aux soins.
Le Régime social des indépendants (RSI)
Le Régime sociale des Indépendants a été instauré en 2006 avec pour objectif de simplifier la protection sociale des artisans, des commerçants, des prestataires de service et gérants d’entreprises individuelles et des professions libérales, en fusionnant plusieurs organismes sociaux et en créant un interlocuteur unique pour l’ensemble des démarches sociales.
Depuis sa création, le RSI a connu de nombreuses vicissitudes: problèmes de traitement et de suivi des cotisations, retards d’échéances et pertes financières. De multiples dysfonctionnements résultaient de la fusion des organismes sociaux dont les habitudes de travail et procédures internes étaient différentes et les systèmes informatiques incompatibles.
Le RSI a été dissous à partir de 2018 et définitivement depuis le 1er janvier 2020 et les assurés sont intégrés au Régime général de la sécurité sociale qui couvre leurs risques maladie (par les Caisses primaires d’assurance-maladie - CPAM) et vieillesse (par les Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail - CARSAT) et perçoit leurs cotisations et contributions sociales (par l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales - URSSAF).
La branche assurance-maladie du RSI était organisée selon le principe de la délégation de gestion à des organisations, mutuelles et sociétés d’assurance, dénommées «organismes conventionnés» (OC). Dans ce cadre, la caisse nationale du RSI concluait des conventions de délégation précisant le champ géographique d’intervention des OC dès lors qu’ils respectent les conditions suivantes:
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Appartenir à une des catégories énumérées par l’article R611‐79 du code de la Sécurité sociale, soit: organismes mutualistes, sociétés d’assurance ou groupement de sociétés d’assurance
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Présenter les garanties de leur aptitude à remplir les obligations de gestion du régime
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Disposer d’une comptabilité analytique permettant d’identifier les dépenses afférentes à la gestion du régime d’assurance-maladie du RSI
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Disposer de garanties financières
-
Disposer d’une structure d’accueil dans chacune des circonscriptions où l’OC est autorisé à opérer
L’article R611‐83 du code de la Sécurité sociale donnait la possibilité au RSI de résilier le conventionnement passé avec les OC dès lors que les conditions ci‐dessus d’étaient plus remplies ainsi qu’en cas de mauvaise gestion ou d’obstruction au contrôle du RSI ou si l’effectif géré par l’OC n’atteignait pas 23 000 personnes protégées pendant une durée de deux années consécutives (Ravignon et al., 2013).
Financement
Le cadre juridique du remboursement aux mutuelles des prestations légales versées aux fonctionnaires et des frais de gestion correspondants est défini à l’article L. 712-7 du code de la sécurité sociale précisés par un décret du 27 avril 2017. Ce décret organise les délégations de gestion mises en œuvre pour la prise en charge des frais de santé, au sein du régime général en ce qui concerne les fonctionnaires de l’État et les étudiants, et au sein du régime social des indépendants. Il détermine les modalités d’organisation, d’exécution et de financement de ces délégations de gestion, notamment dans le cadre de conventions, ainsi que les conditions dans lesquelles il peut y être mis fin 72.
Les prestations proprement dites sont directement remboursées aux mutuelles par la Caisse d’assurance-maladie sur la base de conventions types. Le montant du remboursement des frais de gestion (remises de gestion) qu’elles perçoivent, en contrepartie de la gestion déléguée, ne correspond pas nécessairement à leur coût de gestion qui est fonction de leur productivité propre.
Les objectifs assignés et la rémunération des délégataires sont fixés dans des contrats pluriannuels de gestion négociés entre les mutuelles et la Caisse nationale d’assurance-maladie ou les caisses primaires. Sans être des conventions d’objectifs et de gestion, ces contrats comprennent des indicateurs de performance (différents pour les mutuelles de fonctionnaires et pour celles d’étudiants) qui conditionnent les majorations ou des pénalités. Le mode de calcul des remises de gestion est complexe et s’appliquait différemment selon qu’il s’agissait de la gestion des fonctionnaires ou des étudiants. Il repose sur plusieurs éléments, qui sont ici très simplifiés:
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Pour les mutuelles de fonctionnaires
-
Le nombre de bénéficiaires actifs des mutuelles, défini comme un assuré ou un ayant droit ayant reçu au moins une fois dans l’année des prestations d’assurance-maladie ou maternité
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Le coût moyen de gestion du bénéficiaire actif dans les caisses primaires d’assurance-maladie
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Un coefficient de réalisation fixé par convention et appliqué à ce coût afin de tenir compte des tâches réalisée par les CPAM que n’assurent pas les mutuelles: relations avec les professions de santé, gestion des indemnités journalières, gestion du risque
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Un système d’intéressement sous forme de majorations si les objectifs fixés par le contrat pluriannuel de gestion sont atteints ou de pénalités dans le cas contraire
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Une rémunération supplémentaire pour le traitement des prestations en espèces des agents non titulaires
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Pour les mutuelles d’étudiants
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Le nombre d’assurés sociaux actifs des mutuelles
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Le coût moyen de gestion du bénéficiaire actif dans les 50 CPAM les plus performantes et les centres de traitement électronique
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Le taux d’évolution des effectifs de chaque mutuelle pondéré par l’effort de productivité des CPAM
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Un coefficient de réalisation de la même façon que pour les mutuelles de fonctionnaires
-
Le montant unitaire annuel des remises de gestion versées aux mutuelles d’étudiants était ainsi fixé à 46 euros par affilié en 2017 73.
On notera de plus que les mutuelles de fonctionnaires reçoivent des subventions et des prestations gratuites de l’État, sous forme de mise à disposition de fonctionnaires, de locaux, de matériels et de services.
Fonctions déléguées
La gestion déléguée aux mutuelles des fonctionnaires de l’État et aux mutuelles étudiantes couvre les prestations en nature des assurances maladie, maternité et invalidité. En revanche, elle ne comprend pas la liquidation de prestations en espèces, la gestion des accidents du travail ou des maladies professionnelles. Les mutuelles ne possèdent pas de service médical et ne participent pas aux relations conventionnelles avec les professionnels de santé. En revanche, elles participent à la gestion du risque en menant des actions de prévention comme les campagnes de vaccination contre la grippe ou les dépistages du cancer.
Répartition des fonctions (avant les reprises par le régime général)
Fonctions |
Répartition |
|||
Régime général |
Mutuelles fonctionnaires |
Mutuelles étudiants |
OC du RSI |
|
Définition du panier de soins |
Régime de base obligatoire défini par l’assurance-maladie |
|||
Conventions |
X (UNCAM) |
|||
Education et promotion |
X |
X |
X |
|
Enrôlement, affiliation et renouvellement |
(1) |
X |
X |
X |
Recouvrement des cotisations |
(2) |
|||
Mobilisation des ressources |
||||
Mise en commun des risques couverts |
X |
X |
X |
|
Paiement des prestations |
X |
X |
X |
|
Prestations de services de santé |
(3) |
|||
Suivi et pilotage |
X |
(4) |
(1) Les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers sont affiliés au régime général ou à une mutuelle selon leur département de résidence
(2) Dans tous les systèmes, les cotisations sont collectées par l’Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF). Dans le cadre du RSI, les OC collectent les cotisations des professions libérales.
(3) Certaines mutuelles dont la MGEN gèrent des services de soins et d’accompagnement
(4) Suivi par la caisse nationale et les caisses locales du RSI
8.5. Impact et leçons
Comme souligné plus haut, plusieurs rapports de la Cours des Comptes et de l’Inspection Générale des Finances, entre 2002 et 2013, mettaient en exergue les dysfonctionnement et les coûts élevés de la délégation de gestion, s’agissant des fonctionnaires et des étudiants.
Ces rapports mentionnaient ainsi:
-
Un éclatement du système de protection sociale en santé avec une multiplicité de mutuelles pour les fonctionnaires et pour les étudiants.
-
Des coûts de gestion supérieurs à ceux du régime général. Les différents rapports estimaient la rémunération des mutuelles trop élevée. En 2013, le coût de gestion par bénéficiaire dans les deux plus importantes mutuelles de fonctionnaires s’élevait à 51,10 euros pour la MGEN et 63,79 euros pour la MFP alors qu’il s’élevait à 43,67 euros pour la CNAMTS. Concernant les mutuelles d’étudiants, le coût de gestion par délégataire et par affilié était, dans certaines mutuelles, jusqu’à 64 pour cent plus élevé que celui du Régime général, malgré une faible qualité de service (Ravignon et al., 2013).
-
La qualité de service était en effet jugée très discutable au niveau des mutuelles d’étudiants avec des retards dans l’affiliation et dans l’obtention d’une carte Vitale, un faible taux de dématérialisation des flux et des délais de remboursements pouvant aller jusqu’à une année ainsi qu’une absence de réponse téléphonique aux réclamations. Cette évaluation était plus nuancée pour les mutuelles de fonctionnaires, certaines connaissant cependant également des délais longs de traitement des dossiers des assurés et des taux faibles de réponses aux réclamations.
-
Par ailleurs, ces différents rapports pointaient de nouveaux défis pour les mutuelles de fonctionnaires liées à la baisse du recrutement et des modifications de statut des agents publics. De plus, ces mutuelles ainsi que celles d’étudiants et le mouvement mutualiste en général, se sont confronté à la nécessité de s’adapter à un secteur en pleine transformation, avec notamment la mise en place de la directive européenne Solvabilité II 74 qui a imposé de nouvelles règles prudentielles ainsi que de gouvernance et de fonctionnement en matière de communication financière.
L’ensemble des rapports et des débats ont convergé vers la proposition de mettre fin à la délégation de gestion et le basculement de ces régimes, notamment celui des étudiants, vers les régime général. Cette fin de délégation était considérée comme une source de simplification et d’amélioration de la qualité des services pour les assurés et de rationalisation des coûts de gestion.
Avec la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 supprimant le RSI, ce dernier ainsi que le régime des étudiants ont été basculés dans le régime général. Par ailleurs, dans la même période, de nombreuses mutuelles de fonctionnaires ont choisi de mettre fin à leur délégation. Ainsi, sur 12,8 millions de personnes bénéficiaires concernés par la gestion déléguée de l’assurance-maladie obligatoire en 2017, 8,2 millions ont été repris par le régime général entre 2018 et 2020 dont 1,8 millions d’étudiants, 1,76 millions de fonctionnaires et 4,7 millions de travailleurs indépendants.
Avec le rapprochement des mutuelles des fonctionnaires avec le régime général, de nouveaux types de partenariats se sont développés:
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L’intégration des assurés des mutuelles dans les CPAM, comme décrit précédemment, ceux-ci devenant des assurés du régime général
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Le mandat de gestion, les mutuelles confiant la gestion de la part obligatoire de l’assurance-maladie aux CPAM mais en conservant la gestion des relations avec les assurés qui reste aux couleurs de la mutuelle
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La gestion partagée avec comme pour le mandat de gestion, un partage des fonctions entre les CPAM (gestion des prestations) et les mutuelles (gestion des bénéficiaires) et l’exploitation des données de la mutuelle par un centre de traitement informatique du régime général
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L’infogérance: la mutuelle gère la part obligatoire de l’assurance-maladie dont elle utilise l’ensemble des outils et dont l’exploitation des données est réalisée par un centre de traitement informatique du régime général
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Le partage du système d’information par lequel la mutuelle utilise également les outils de l’assurance-maladie mais en les exploitant sur ses propres machine, devenant ainsi un centre de traitement informatique de l’assurance-maladie (CAS, 2015)
Parallèlement, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016, a réorganisé les conditions dans lesquelles ces mutuelles se voient déléguer la gestion du régime d’assurance-maladie obligatoire. Elle précise qu’aucune nouvelle délégation de gestion ne pourra avoir lieu et qu’un «décret en Conseil d’État détermine les modalités d’organisation, de mise en œuvre et de financement de ces opérations de gestion», ainsi que «les conditions dans lesquelles il peut être mis fin à ces opérations de gestion en cas de défaillance rendant impossible la gestion des régimes obligatoires dans des conditions normales». En dehors du régime particulier de la Mutualité sociale agricole, les mutuelles sont donc désormais cantonnées à la gestion de régimes complémentaires. Pour les agents territoriaux, la notion de délégation a été remplacée depuis 2017 75 par celle de labellisation qui est délivrée par l’Agence de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour une durée de 3 ans. Cette labélisation permet aux fonctionnaires et agents de la Fonction Publique territoriale de bénéficier d’une participation de l’employeur (collectivité territoriale/établissement public) à leur cotisation de complémentaire santé individuelle.
Enfin, la transposition des directives de l’union européenne, Solvabilité I en 2002 puis Solvabilité II en 2016 76, ainsi que la généralisation de la complémentaire santé d’entreprise en 2016, ont imposé aux les mutuelles de santé de se restructurer et rechercher des alliances et partenariats pour atteindre une taille critique et entrainé des fusions. Selon l’ACRP, le nombre de mutuelles exerçant sur le marché de la complémentaire santé s’est ainsi fortement réduit le début des années 2000, passant de 1 528 en 2002 à 310 en 2019 (Adjeerad, 2020) (Boned et al., 2018).
Références
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Boned O., Guerry R. et Pierron L. (2018). «Les mutuelles de santé face à la réglementation européenne: une banalisation de l’identité mutualiste?» RECMA 349, no 3 (2018): 42‑55. https://doi.org/10.3917/recma.349.0042.
Commission des Affaires sociales, CAS (2015). «Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur la gestion du régime de l’assurance-maladie obligatoire par certaines mutuelles, Rapport d’information N° 3316», Commission des Affaires sociales, Assemblée nationale, Paris, décembre 2015. https://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i3316.asp.
Comptes de la sécurité sociale, CSS (2019). «Les comptes de la sécurité sociale, Résultats 2018 – Prévisions 2019 et 2020, Rapport (volume 2)», Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS), octobre 2019. https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/medias/CCSS/2019/CCSS%20SEPT%2019%20DEF.pdf.
Cours des comptes (2020). «La mutualité sociale agricole», Paris, mai 2020. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-mutualite-sociale-agricole-msa.
Cours des comptes de la sécurité sociale, CCSS (2013). Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, Paris, septembre 2013. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/rapport_securite_sociale_2013_version_integrale.pdf.
Nezosi G. (2021). «La protection sociale, 2e édition», Découverte de la vie publique. La Documentation française, 2021.
Pierre A. et Rochereau T. (2022). «L’absence de couverture par une complémentaire santé en France en 2019. Premiers résultats de l’Enquête santé européenne (EHIS)», Questions d’économie de la santé, no 268 (mai 2022): 1‑6. https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/268-l-absence-de-couverture-par-une-complementaire-sante-en-france-en-2019.pdf.
Ravignon B., Cayre V., Gardette C., Chastel X., Laurenty A. et Auvigne F. (2013). «Les coûts de gestion de l’assurance-maladie (MAP)». Inspection générale des Finances, Inspection générales des affaires sociales, septembre 2013. https://www.igas.gouv.fr/spip.php?article424.
Viel L., (2018). «Les fonctionnaires en pleine rupture». L’Argus de l’assurance, 8 mars 2018. https://www.argusdelassurance.com/acteurs/les-fonctionnaires-en-pleine-rupture.127270.
9. Ghana
9.1. Contexte
La stagnation économique du Ghana puis les politiques d’ajustements structurel ont entrainé à partir des années 1970 l’introduction des frais d’utilisation des services de santé, avec le système cash and carry (payez et prenez) qui instaurait le paiement intégral des traitements par l’usager. Cette mesure abrogeait la gratuité générale, financée par les recettes fiscales, de certains services dans les hôpitaux publics, les centres de santé et les pharmacies instaurées par le gouvernement de Kwame Nkrumah durant la période post coloniale. L’accès aux soins de santé a été ainsi fortement réduit, surtout pour les ménages les plus pauvres pour lesquels les politiques d’exemption mise en œuvre s’avéraient peu efficaces. C’est dans ce contexte que les premières mutuelles sont nées au Ghana, avec notamment le programme d’assurance-maladie à base communautaire de Nkoranza initié par le diocèse catholique du district de Sunyani, autour de l’hôpital Sainte Thérèse. Cette assurance-maladie à base communautaire s’est progressivement étendue pour couvrir près de 30 pour cent de la population du district en 2000 (Blanchet et Acheampong, 2013).
L’expérience de Nkoranza a inspiré d’autres acteurs confessionnels, des prestataires de soins, des groupements géographiques et professionnels ainsi que le ministère de la Santé pour la promotion d’autres organisations mutualistes, avec l’appui technique et financiers de partenaires extérieurs dont DANIDA et le programme «Partenariat pour la réforme de la santé plus (PHRplus)» de l’USAID. De même, durant les années 1990, l’Association médicale du Ghana, l’OIT, l’OMS, l’Union Européenne et les organisations syndicales ont fait appel au gouvernement pour créer une couverture santé afin de compenser les conséquences négatives du système cash and carry (Alenda-Demoutiez et al., 2019).
En 2001, le pays disposait de 47 mutuelles de santé, dont 43 furent créées entre 1999 et 2000 (Alenda-Demoutiez et al., 2019). En 2002, plus de 140 mutuelles étaient recensées; elles étaient au nombre de 258 en 2003 regroupées dans un réseau mutualiste national, le «Network of Mutual Health Organizations of Ghana» (GNEMHO) (Atim, 2015). Ces mutuelles ne couvraient cependant qu'environ 1 à 2 pour cent de la population avec des prestations limitées, circonscrites aux prestataires de soins locaux conventionnés avec les mutuelles et financées par les frais d’inscription et les cotisations des membres. La majorité de ces systèmes d’assurance-maladie communautaires manquaient de plus d’expertise adaptée en gestion technique et financière spécifique à l’assurance, en mobilisation et participation de la communauté ainsi qu’en suivi et évaluation (Otoo, 2016).
Suite aux élections présidentielles en 2000, durant lesquelles la campagne électorale mettait l’assurance-maladie au centre de l’agenda politique, le nouveau gouvernement s’est fixé pour objectif de promouvoir l’expérience des mutuelles de santé. L’objectif était multiple: abolir les paiements directs, sans toutefois réintroduire une politique de gratuité des soins, faire face au problème du sous financement de ses équipements sanitaires et financer la santé de manière durable afin d’assurer à tous et surtout aux plus vulnérables, des soins de santé accessibles, abordables et de qualité. Dans ce contexte, et dans le cadre de la Stratégie de réduction de la pauvreté au Ghana (2003), le gouvernement a élaboré un système national d’assurance-maladie, le National Health Insurance Scheme (NHIS). La loi sur l’assurance-maladie nationale (NHIA) a été adoptée en 2003 77, suivie par le règlement sur l’assurance-maladie nationale fin 2004 78. Ce régime d’assurance-maladie renforcé et uniforme était conçu comme une amélioration des systèmes mutualistes développés depuis les années 90. La NHIA imposait à tous les districts de mettre en place une mutuelle de santé (Mutual Health Organization, MHO) dont elle normalisait la structure organisationnelle et la gestion financière définissant un ensemble d’interventions minimales que chaque MHO doit couvrir. Dans les grandes lignes:
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La loi 650 a fait passer le Ghana d’un système fragmenté avec une faible couverture géographique et démographique à un système national, couvrant tous les districts et visant à intégrer les systèmes d’assurance à base communautaire dans un système national réglementé mais restant décentralisé. La loi a institué un régime de mutuelles de santé de district (DMHI) qui s’appuyait sur l’expérience des mutuelles existantes et a défini un ensemble d’interventions minimales que chaque MHO devait couvrir. La loi normalisait également les procédures notamment concernant l’enregistrement des familles, et fixait les niveaux des cotisations. Elle s’appuyait d’autre part sur le processus de décentralisation de la gouvernance en cours à l’époque (Baltussen et al., 2006) (Blanchet et Acheampong, 2013). Les districts du Ghana sont ainsi devenus la base principale de la mise en œuvre planifiée et du déploiement du NHIS.
Avec la promulgation de la loi, trois types de régimes d’assurance-maladie ont vu le jour: les mutuelles de santé de district (DMHI), les mutuelles de santé privées (PMHIS) et les régimes d’assurance-maladie privés (PCHIS). La loi rend obligatoire l’inscription de tous les résidents du Ghana à l’un de ces trois régimes d’assurance agréé.
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La loi de 2003 a également institué l’Autorité nationale de l’assurance-maladie (National Health Insurance Authority - NHIA), supervisée par le Conseil d’Assurance Santé National et chargée d’enregistrer les systèmes d’assurance-maladie, de leur accorder une licence, de les réglementer, d’accréditer et de surveiller les prestataires de soins de santé qui exercent leurs activités dans le cadre du système d’assurance-maladie.
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Un Fonds national de l’assurance-maladie a été mis en place, en charge d’accorder des subventions aux mutuelles d’assurance santé de district agréées. Un prélèvement fiscal a été mis en place au titre de l’assurance-maladie, le NHIS étant conçu comme un régime semi contributif, financé en partie par les cotisation des assurés et, pour une large part, par les impôts sur une base nationale.
La loi 650 adoptée en août 2003 a été mise en application à partir de 2004 avec l’adoption d’instrument législatifs plus détaillés. Le système est devenu opérationnel dans 83 des 138 districts fin 2005 et une majorité des 258 MHO existantes en 2003 ont été intégrées dans le NHIS (Otoo, 2016). Le NHIS a atteint un total de 2,9 millions de bénéficiaires, soit 14 pour cent de la population, fin 2005 puis 38 pour cent de la population en 2006. Toutefois, seulement 19 pour cent des travailleurs du secteur informel avaient reçu des cartes d’identification et pouvaient accéder aux services proposés et la couverture des personnes pauvres était faible, notamment en raison de difficultés d’identification et d’inclusion de ces dernières (Berkhout et Oostingh, 2008). En 2008, le gouvernement a complété le dispositif en instaurant la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans dans le cadre du système d’assurance-maladie (Oxfam, 2012).
La loi de 2003 a été remplacée par une nouvelle loi 79 en 2012 qui régit depuis les programmes d’assurance-maladie du Ghana (USAID, 2016). La loi 852 de 2012 vise à renforcer le NHIS en supprimant les goulets d’étranglement administratifs, en introduisant plus de transparence, en réduisant les possibilités de corruption et de manipulation du système et en assurant une gouvernance plus efficace des régimes (nhis.gov.gh). Elle réitère également l’obligation pour chaque Ghanéen de s’inscrire à un des trois dispositifs d’assurance du régime national d’assurance santé (Ridde et al., 2021).
9.2. Le système national de protection sociale en santé
Gouvernance
Le NHIS est piloté par le Conseil national de l’assurance-maladie, institué par la loi 650 comme l’organe général chargé de superviser la mise en œuvre des régimes d’assurance-maladie dans le pays.
La gestion technique et financière est assurée par l’Autorité nationale de l’assurance-maladie (NHIA) qui est un organisme du secteur public créé par la loi sur l’assurance santé nationale en 2003 et qui intervient sous la tutelle du ministère de la Santé. La NHIA est dirigée par un conseil d’administration composé de représentants d’un large éventail d’institutions, parmi lesquelles le ministère de la Santé, le ministère des Finances et de la Planification économique (MoFEP), le ministère de l’Égalité des sexes, de l’Enfance et de la Protection sociale (MoGCSP), la NHIA elle-même, le Ghana Health Service (GHS), la National Insurance Commission, le Social Security and National Insurance Trust (SSNIT), le Medical and Dental Council, les syndicats et autres personnes toutes nommées par le président (nhis.gov.gh). La composition du conseil d’administration reflète ainsi une tentative d’approche multisectorielle. L’organigramme de la NHIA se compose ensuite de sa direction centrale puis de 16 bureaux régionaux dans les 16 régions politiques du pays des directions régionales et 166 bureaux de district et 5 centres d’enregistrement. Ces bureaux sont issus des DMHIS qui ont été intégrées dans la NHIA par la loi de 2012. Ils sont supervisés et rendent compte aux bureaux régionaux qui eux-mêmes rendent compte au siège national par l’intermédiaire de la Direction des adhésions et des opérations régionales. L’enregistrement des membres et le renouvellement de l’adhésion au régime sont effectués dans les bureaux de district (nhis.gov.gh). L’assurance employait en 2019 environ trois mille six cents employés dans l’ensemble du pays (Antwi, 2019).
L’objectif de la NHIA est d’assurer l’accès aux services de santé de base à toutes les personnes qui résident au Ghana ainsi que celles de passage dans le pays, par le biais du régime national d’assurance santé (NHIS). La NHIA met en œuvre la politique nationale d’assurance-maladie et dans ce cadre:
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Met en œuvre, exploite et gère le régime national d’assurance-maladie
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Détermine, en consultation avec le ministre de la santé, les contributions que doivent verser les membres du régime national d’assurance-maladie , favorise l’équité dans la couverture des soins de santé et garantit l’accès des pauvres aux services de santé
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Enregistre les membres du régime national d’assurance-maladie, y compris les personnes exemptées du paiement de la cotisation, et délivre les cartes d’assurés;
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Accorde les accréditations aux prestataires et aux établissements de santé qui fournissent des services de santé aux membres du régime national d’assurance-maladie
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Gère le Fonds national d’assurance-maladie
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Reçoit, traite et paye les demandes de remboursement des prestataires de soins de santé
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Reçoit, à travers les bureaux décentralisés, et traite les plaintes des membres du régime national d’assurance-maladie et des prestataires de soins de santé
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Elabore des propositions au ministre de la Santé pour la formulation de politiques en matière d’assurance santé et des programmes qui favorisent la durabilité du NHIS
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Entreprend, en possible collaboration avec d’autres organismes, des actions de sensibilisation du public à l’assurance-maladie
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Développe des directives, des processus et des manuels pour la mise en œuvre et la gestion efficaces du régime national d’assurance-maladie (nhis.gov.gh)
La NHIA est également mandatée pour réglementer les régimes privés d’assurance-maladie (PHIS) qui sont répartis en deux catégories par la loi 852 de 2012:
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le régime d’assurance-maladie mutuelle privée (PMHIS); et
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le régime d’assurance-maladie privé et commercial (PCHIS).
Dans ce cadre, les fonctions de la NHIA sont notamment:
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d’octroyer les licences aux assureurs et aux intermédiaires d’assurance qui exercent des activités d’assurance-maladie au Ghana;
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d’élaborer et diffuser des directives pour le fonctionnement des régimes privés d’assurance-maladie en consultation avec les organismes compétents et superviser les transactions entre assureurs, intermédiaires et réassureurs;
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de protéger les intérêts des membres des régimes privés d’assurance-maladie et mettre à disposition un service auquel les membres du public peuvent adresser leurs plaintes pour qu’elles soient résolues; et
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de garantir l’efficacité et la qualité des services dans le cadre des régimes nationaux et privés d’assurance-maladie (nhis.gov.gh).
À travers la loi de 2012, le Ghana a rassemblé tous les régimes (l’administration publique, d’autres initiatives publiques, les assurances du secteur privé, les mécanismes communautaires de santé) sous l’égide d’un seul système. Comme souligné plus haut, cette loi a ainsi réformé en profondeur le système instauré par la loi de 2003 en intégrant les DMHIS (qui eux-mêmes étaient pour la plupart issus de régimes d’assurance-maladie communautaires (CBHI)) dans le régime unifié du NHIS. Avant cette fusion, 145 DMHIS (une par district) fonctionnaient comme des régimes indépendants avec leurs propres structures de gouvernance et de gestion et collectaient directement les contributions. Ces mutuelles de district rencontraient de multiples difficultés en matière de gouvernance, notamment concernant le non-respect des directives et la corruption dans les opérations de ces régimes (Alhassan et al., 2016). Leur supervision par la NHIA était compliquée, et cette fragmentation affaiblissait la mise en commun des risques et augmentait les coûts administratifs (Otoo, 2016) (Alenda-Demoutiez et al., 2019).
Populations couvertes
Le NHIS s’adresse à toute la population, à travers trois grands groupes d’assurés (voir ci-après).
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Les employés du secteur formel et les indépendants qui cotisent au Social Security and National Insurance Trust (SSNIT) dont 2,5 pour cent des fonds sont reversées au NHIS, sans augmentation des cotisations des employeurs et travailleurs à la sécurité sociale
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Les travailleurs du secteur informel qui constituent le seul groupe devant payer une cotisation directe au NHIS
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Les assurés exonérés de cotisation. Ce groupe inclut:
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les enfants (personnes âgées de moins de 18 ans);
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les femmes enceintes (pour les services de soins de santé prénatals, d’accouchement et postnatals;
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les personnes classées comme indigentes par le ministre de la Protection sociale;
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les catégories de personnes vivant avec un handicap, déterminées par le ministre chargé de la protection sociale;
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les personnes souffrant de troubles mentaux;
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les pensionnés du Social Security and National Insurance Trust (SSNIT);
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les personnes âgées de plus de soixante-dix ans (les personnes âgées);
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les autres catégories prescrites par le ministère chargé de la protection sociale (nhis.gov.gh).
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Répartition des catégories de membres (2016)
Employés du secteur formel (SSNIT) |
Armée, police et autres services de sécurité |
Secteur informel |
Pensionnés du SSNIT |
Enfants de moins de 18 ans |
Personnes âgées de 70 ans et plus |
Indigents |
Femmes enceintes |
4,7% |
0,2% |
28,2% |
0,1% |
41,3% |
4,3% |
14,1% |
7,1% |
Source: NHIS, 2022
Au regard des données de la NHIA en 2016, le groupe des personnes exemptées de cotisation représente 66,9 pour cent des membres du NHIS, ce qui est conforme à l’objectif du régime de fournir un accès financier aux services de santé pour les personnes pauvres et vulnérables (NHIS, 2022).
Les lois de 2003 et 2012 instaurent l’adhésion obligatoire. Toutefois, celle-ci ne s’accompagne pas de mesures de coercition ni de pénalités en cas de défaut d’inscription et il n’existe pas non plus de mécanismes pour assurer l’inscription automatique des résidents. Par conséquent, dans la pratique, le régime est de nature volontaire (Antwi, 2019). Ceci explique en partie que, malgré une progression initiale rapide des adhésions et bien que le NHIS offre un ensemble d’avantages généreux, le taux d’affiliation au NHIS stagne depuis plusieurs années autour de 40 pour cent, et que la majorité des adhérents relève des catégories de population subventionnées par le gouvernement (Dalal et al., 2019). Le Ghana reste encore loin de l’objectif d’une couverture universelle de la PSS. Outre la difficulté de mettre en application l’obligation d’adhésion, différentes études ont mis en évidences plusieurs raisons qui expliquent cette stagnation.
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Bien que les cotisations annuelles des employés du secteur informel (qui représente environ 75 pour cent de toute la main-d’œuvre) soient subventionnées, un grand nombre de ces travailleurs n’ont les moyens de s’acquitter de celles-ci (Averill, 2013). Cette cotisation varie pour les adultes (de 18 à 70 ans) entre 7,2 et 48 cedis ghanéens (2 à 10 USD), en fonction des revenus et de la capacité de paiement (nhis.gov.gh). Cependant, dans la pratique, de nombreux DMHIS demande une prime forfaitaire en raison de la difficulté à évaluer le niveau de revenu des ménages. En outre, beaucoup sont illettrés et ne comprennent pas les démarches à faire ni ne savent qu’il faut renouveler cette carte tous les ans (Oxfam, 2012).
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De plus, le processus de renouvellement des adhésions devant s’effectuer chaque année au niveau des bureaux de district de la NHIA s’avère consommateur de temps, tant pour les membres que pour le personnel administratif de la NHIA, et dissuade beaucoup de membres de renouveler leur adhésion, entrainant l’annulation de leur couverture.
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Des carences dans la gestion technique ont conduit au mécontentement des bénéficiaires notamment concernant la mauvaise gestion des demandes de soins de santé et le comportement des agents de santé, suite aux retards dans les remboursements des prestations de soins (Ridde et al., 2021).
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Par ailleurs, le système est confronté à des difficultés pour identifier et inclure les personnes pauvres dans le dispositif (près d’un tiers de la population du Ghana vit en dessous du seuil de pauvreté) (Berkhout et Oostingh, 2008).
Globalement, près de 60 pour cent de la population n’a pas accès à la couverture santé de la NHIS et continue de payer directement ses soins de santé. Jusqu’à la fin des années 2000, le Ghana était pourtant souvent cité comme un modèle de réussite, comme le Rwanda, en affichant des taux de couverture de la population allant jusque 70 pour cent. Toutefois, différentes études et observations des ONG et de la société civile ont relevé des écarts énormes entre les taux «réels» de couverture et ceux officiels. Ainsi, loin d’atteindre les taux diffusés dans les médias, le gouvernement a dû réduire ceux-ci jusqu’à 35 pour cent; ce niveau n’ayant depuis 2014 que faiblement augmenté (Africa 21, 2013).
Panier de soins
La NHIS offre une couverture généreuse, standardisée au niveau national. L’assurance prend en charge intégralement, sans copaiement, les dépenses pour 95 pour cent des maladies et problèmes de santé. Cette couverture inclut toutes les situations d’urgence comme les accidents de la circulation, les accidents du travail, les urgences pédiatriques, etc., ainsi que les consultations, les soins dentaires, les analyses, les radiographies, les frais chirurgicaux, les frais d’hospitalisation et les médicaments, dans les structures de santé publiques et privées agréées par la NHIA, à tous les niveaux de la pyramide sanitaire. La prise en charge est liée au respect d’un schéma de référence, les bénéficiaires devant d’abord se rendre à un établissement de soin primaire, pour être orientés si nécessaire vers des établissements de niveaux secondaires et tertiaires par le biais de références. Les exclusions portent notamment sur les prothèses dentaires, orthopédiques, ophtalmologiques, la chirurgie esthétique, les électrocardiogrammes, les dialyses, les cancers (autres que cervicaux et le cancer du sein), ainsi que les services fournis par les programmes gouvernementaux de prise en charge des traitements antirétroviraux pour le VIH/SIDA, de la vaccination et de la planification familiale. Il n’y a pas de limite au montant des factures médicales payées par le NHIS, tant que les soins sont conformes aux dispositions de l’ensemble des prestations. Les services couverts par l’assurance sont facturés par les prestataires de soins à la NHIA. Celle-ci dispose de 4 centres de traitement des demandes de remboursement des prestataires; les procédures de remboursement sont longues et les arriérés de paiement sont importants.
La palette de prestataires publics et privés est vaste, incluant les services de santé à base communautaire, les maternités, les centres de santé, les hôpitaux de district, hôpitaux, cliniques et polycliniques ainsi que les pharmacies et centres de diagnostic (nhis.gov.gh). Afin d’accroitre la disponibilité des services de santé dans les zones mal desservies, le gouvernement s’appuie sur le partenariat public-privé. A ce titre, un accord a été conclu avec l’Association chrétienne de santé du Ghana (Christian Health Association of Ghana, CHAG), qui a développé un réseau de 183 structures de santé confessionnelles; à travers ce partenariat, le gouvernement apporte son soutien aux installations du réseau sous forme de salaires, d’équipements et de fournitures médicales et la CHAG fournit des services de santé aux collectivités défavorisées dans des régions éloignées à travers tout le pays (Kuwonu, 2017).
Financement
Le NHIS est financé au niveau national à partir d’un fonds unique, le Fonds National de l’Assurance-Maladie, qui rassemble toutes les sources de financement et permet une mutualisation des ressources et des risques. Les ressources du NHIS proviennent de:
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la taxe nationale d’assurance-maladie (NHIL), qui est une portion affectée de 2,5 pour cent de la taxe sur la valeur ajoutée (72 pour cent des revenus du NHIS);
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les transferts statutaires de 2,5 pour cent des cotisations de sécurité sociale des travailleurs (20 pour cent des revenus du NHIS);
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les cotisations versées par les membres des groupes non exemptés (3 à 5 pour cent des revenus du NHIS); et
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les autres sources (1 pour cent).
Seuls les bénéficiaires, âgés de 18 à 69 ans, du secteur informel sont tenus de payer une prime annuelle en plus des frais d’inscription. Initialement, cette cotisation était théoriquement ajustée au revenu, mais dans la pratique, une prime forfaitaire était facturée par de nombreux DMHI en raison de la difficulté à évaluer le niveau de revenu des ménages. Actuellement, la prime annuelle du NHIS varie entre 7,20 GHS (1,60 USD) et 48,00 GHS (10,60 USD) par personne, selon la région de résidence (nhis.gov.gh) (Salari et al., 2019). Les enfants et les personnes âgées sont exemptés du paiement de la cotisation annuelle. En plus de la cotisation, les membres du NHIS, à l’exception des femmes enceintes et des indigents, doivent payer des frais d’inscription et de renouvellement annuel de leur carte d’assuré (nhis.gov.ghm). Depuis 2019, ces frais de renouvellement sont harmonisés au niveau national et s’élèvent à 30 Cedis (5,5 dollars des É֤tats-Unis en 2019) (Kipo-Sunyehzi et al., 2019).
9.3. Une expérience de gestion déléguée à l’échelle des districts, de 2004 à 2012
Le schéma de gestion mis en place dans le cadre de la loi 2003
Comme détaillé plus haut, le dispositif d’assurance-maladie ghanéen mis en place avec la loi 650 de 2003 s’appuyait sur les mutuelles de santé et autres mécanismes d’assurance-maladie à base communautaire développées à travers le pays depuis les années 1990. La stratégie d’extension de la couverture santé à l’ensemble des Ghanéens, notamment du secteur informel et du monde rural, identifiée par le gouvernement reposait sur:
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La définition au niveau national d’un paquet de soins (ambulatoires et hospitaliers) de référence;
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La création de mutuelles de santé de district (DMHI) affiliées au système national dont elles bénéficiaient d’appuis financiers pour leur installation;
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La possibilité donnée aux mutuelles existantes d’intégrer le NHIS et devenir des mutuelles de district, ou de rester indépendants à condition de ne pas faire concurrence au système national en proposant des prestations plus attractives que celle du NHIS. Comme détaillé plus bas, la plupart des mutuelles existantes ont choisi de s’affilier au NHIS et de se réorganiser en DMHI lors de la mise en application de la loi.
Cette stratégie constituait un modèle de système d’assurance-maladie public reposant, en les intégrant, sur des acteurs privés afin de bénéficier de l’expertise de ces derniers, notamment en matière d’achat de prestations de soins, de formation de compétences locales, de création de cadres de redevabilité et de transparence pour les structures de santé.. Cette alliance avec les mutuelles de santé est considérée comme l’un des facteurs qui a favorisé le passage du taux de couverture de la population de 1 pour cent dans les années 1990 à près de 40 pour cent aujourd’hui (Lambert et Del Hierro, 2017).
La délégation de gestion aux mutuelles de district
Les DMHI constituent la forme la plus courante de mécanismes d’assurance mis en place au niveau des districts dans le cadre du schéma national initié en 2004. Ces mutuelles ont été constituées sous la forme de sociétés à responsabilité limitée (companies limited by guarantee), enregistrées dans le Registre Général national. Elles se présentaient en tant que tel comme des entités économiques et juridiques indépendantes. Chaque DMHI devait par ailleurs demander une licence au NHIA avant de pouvoir commencer à fournir des prestations à ses membres. Les DMHI conservaient ainsi un certain niveau d’autonomie dans leur gestion et leur structure de gouvernance, tout en bénéficiant de l’appui technique du NHIA et de financements publics.
La loi 650 prévoyait la création d’un DMHI dans chaque district, municipalité ou zone métropolitaine. Fin 2006, 139 DMHI étaient en place et offraient des prestations à leurs membres (Grüb, 2007). Avec la création de nouveaux districts, le Ghana comptait 145 DMHI en 2012, intervenant sous la réglementation de l’Autorité nationale d’assurance-maladie (NHIA) (Antwi, 2019).
Chaque mutuelle de district était administrée par:
-
une Assemblée générale;
-
le Conseil d’administration;
-
une équipe de gestion du régime;
-
des comités d’assurance santé communautaire à travers le district, dont des délégués élus représentaient les membres de l’assurance à l’Assemblée générale.
L’Assemblée générale et le Conseil étaient responsables de la direction des politiques du régime et de la nomination des employés. Outre les membres de la mutuelle, le conseil d’administration intégrait également des représentants des communautés religieuses, des autorités traditionnelles, des groupes de femmes, des services de santé et de l’administration du district.
La gestion courante était assurée par l’équipe de gestion constituée d’un gestionnaire du régime, d’un gestionnaire des systèmes de formation, d’un gestionnaire des demandes d’indemnisation, d’un responsable des relations publiques et d’un comptable (Grüb, 2007).
Les DMHI intervenaient comme des structures délégataires de gestion et réalisaient une part importante des fonctions de l’assurance santé dans le cadre du NHIS.
-
Chaque mutuelle de santé de district avait pour mission de déployer et d’administrer l’assurance santé publique au sein de son aire d’intervention;
-
Elle avait la charge de l’enregistrement et du renouvellement des membres ainsi que de l’identification des indigents sur la base des critères fixés par le NHIS (ne pas avoir d’emploi ni de ressources de revenu visible, être sans lieu de résidence fixe, ne pas vivre pas avec une personne qui dispose d’un emploi et d’un lieu fixe de résidence, être sans soutien important émanant de qui que ce soit);
-
Le DMHI percevait toutes les contributions des bénéficiaires cotisants (travailleurs de l’économie informelle), et recevait du NHIF une prime annuelle pour chaque bénéficiaire exempté de cotisation. Ce montant annuel par individu était initialement de 8 Cedis puis est passé progressivement à 14 Cedis.
-
Outre cette capitation, les DMHIS recevaient des subventions afin d’équilibrer leur budget. Celles-ci représentaient 80 à 90 pour cent de leurs ressources, générant ainsi une forte dépendance des DMHIS vis-à-vis des subventions de la NHIA;
-
Le panier de soins était défini au niveau national. Au-delà de ces garanties de base, chaque DMHIS pouvait choisir de fournir des prestations supplémentaires.
-
Enfin, les mutuelles de district conventionnaient les prestataires de soins et exerçaient la fonction d’acheteur (Gajate-Garrido et Owusua, 2013), avec pour conséquence une couverture pour les assurés limitée aux prestataires de soins du district.
Répartition des fonctions entre la NHIA et les DMHI
Fonctions |
Répartition |
|
NHIA |
DMHI |
|
Définition du panier de soins |
X |
|
Conventions |
X |
|
Education et promotion |
X |
X |
Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
|
Recouvrement des cotisations |
X |
|
Mobilisation des ressources |
X |
|
Mise en commun des risques couverts |
X |
|
Paiement des prestations |
X |
|
Prestations de services de santé |
||
Suivi et pilotage |
X |
Comme détaillé plus bas, le schéma d’assurance mis en place par la loi de 2003 a été confronté à d’importantes difficultés en termes de gouvernance, de responsabilité et de respect des directives nationales par les DMHIS. La révision de la loi en 2012 (loi 852) a réformé ce système en intégrant tous les DMHIS dans un NHIS unifié régi directement par la NHIA, remplaçant ainsi les mutuelles de district par des bureaux de la NHIA.
Les mutuelles de santé privées
Deux grands groupes de mutuelles de santé existaient au moment de l’adoption de la loi de 2003:
-
les mutuelles mises en place par une communauté ou un groupe de personnes locales, clairement définies, qu’il s’agisse d’habitants du même village ou de la même zone traditionnelle, de migrants de la même région d’origine, de femmes et d’enfants uniquement, de membres d’une union coopérative de producteurs ou de membres de coopératives de crédit; et
-
les mutuelles organisées au niveau de zones géographiques plus larges, c’est-à-dire la zone cible d’un hôpital ou la zone d’un district.
Les prestations des mutuelles de ces deux groupes étaient limitées généralement aux gros risques, c’est-à-dire intervenaient au niveau des hôpitaux pour la couverture des dépenses importantes et catastrophiques. En revanche les soins de santé ambulatoires n’étaient pas ou très peu couverts.
Une disposition de la loi 650, réitérée dans la loi 852 de 2012, donne la possibilité à ces mutuelles de continuer à fonctionner comme des mutuelles de santé autonomes moyennant un agrément par le Conseil national de l’assurance-maladie et l’obligation de fournir les prestations minimum du panier de soins du NHIS. En contrepartie, ces mutuelles reçoivent également une subvention du gouvernement par le biais du Fonds national d’assurance-maladie. Toutefois, face à l’exigence de fournir les prestations minimales du NHIS, de nombreuses mutuelles communautaires ont cessé de fournir des prestations et ont pris le statut de comités d’assurance santé communautaire relayant la DMHI de leur district dans leur aire d’intervention et représentant les communautés de cette zone auprès de la mutuelle de district. La plupart des mutuelles du second groupe ont choisi d’intégrer le NHIS et de prendre la forme de DMHI (Grüb, 2007).
La même disposition existe également pour les assurances privées commerciales pour lesquelles la loi prévoit également l’octroi de licences, la réglementation et la supervision par le NHIA. Ces assurances privées doivent fournir les prestations minimales du panier de soins du NHIS mais ne peuvent en revanche pas bénéficier des subventions de l’État (Antwi, 2019).
9.4. Impact et leçons
L’utilisation de l’expérience acquise par les mutuelles de santé depuis les années 1990 lors de la mise en œuvre du NHIS est généralement, à travers les différentes études et autres documentations de l’expérience du Ghana, considérée comme l’un des facteurs qui ont permis une rapide progression des taux d’utilisation. L’affiliation à l’assurance santé a eu par ailleurs un effet positif sur l’utilisation des services de santé modernes et un effet protecteur sur le niveau des dépenses personnelles pour les soins ambulatoires. Toutefois, le Ghana est encore loin de l’objectif de couverture universelle de la PSS, avec un taux d’adhésion qui stagne aux environs de 40 pour cent (Dalal et al., 2019).
Après plusieurs années de fonctionnement, de multiples difficultés ont été documentées:
-
la majorité des DMHI a été confrontée à un manque de ressources humaines en termes de nombre, de formation appropriée et de motivation, auxquels s’ajoutent le faible niveau de salaires et le retard fréquent dans leur paiement;
-
l’insuffisance de la logistique et des infrastructures: nombre limité d’ordinateurs, de véhicules et de locaux appropriés, ainsi que les pannes de service Internet et d’électricité;
-
la mauvaise gouvernance au niveau de certaines DMHI, le non-respect des directives nationales et à de nombreuses pratiques de corruption dans la gestion des demandes de remboursement des services de santé;
-
le manque de coopération des prestataires de santé concernant notamment le respect des listes de médicaments et des tarifs du NHIS, la surfacturation, les prestations fictives, erronées ou surchargées et les délais de soumission des demandes de remboursement;
-
l’insuffisance d’application des mesures de contrôle des fraudes, de sélection adverse et de prévention des dérapage des coûts des prestations;
-
le niveau élevé des coûts administratifs, le manque de ressources locales (cotisations des assurés du secteur informel) liés à la pauvreté dans certaines régions, et le manque de financement adéquat; et
-
la faible connaissance du régime et le manque d’intérêt et de confiance des groupes cible vis-à-vis du NHIS, en partie lié à un manque de communication et sensibilisation sur le régime d’assurance (Gajate-Garrido et Owusua, 2013) (Antwi, 2019).
Globalement, la fragmentation du régime d’assurance avec un nombre important de mutuelles de district a réduit la mise en commun des risques et entrainé des coûts administratifs importants. De plus, la supervision de l’ensemble des mutuelles de district s’est avérée compliqué pour la NHIA (Amporfu et al., 2022). Par ailleurs, la couverture se limitait à l’aire d’intervention de la DMHIS (district, municipalité ou zone métropolitaine) sans mutualisation au niveau régional ou national ni convention entre les DMHIS pour la prise en charge d’un assuré hors de son district.
Une piste recommandée face à ces difficultés était la professionnalisation du système d’assurance, avec une implication plus importante de la NHIA dans la gestion technique et financière. Cette piste a été retenue lors de la révision de la loi 650 et l’adoption de la loi 852 en 2012 qui a intégré tous les DMHI dans un système unifié régi directement par la NHIA. Les mutuelles de districts ont ainsi été remplacées par des bureaux de la NHIA et le système est devenu centralisé, la NHIA devenant la principale agence de mobilisation des ressources, de mutualisation des risques et d’achat des prestations de soins.
Il est cependant intéressant de souligner que le cadre légal défini par la loi de 2003 puis celle de 2012, permet l’existence de mutuelles de santé autonomes qui peuvent intervenir moyennant leur agréement par la NHIA et à condition de ne pas concurrencer le NHIS. Ces mutuelles doivent par conséquent offrir au minimum le panier de soins du NHIS; elles reçoivent en contrepartie les subventions de l’État pour les groupes exemptés de cotisation. L’existence et la fonctionnalité actuelles de ces mutuelles apparait peu documenté aujourd’hui, elles pourraient pourtant être une piste intéressante d’extension du NHIS à l’ensemble de la population. Issues de réseaux sociaux, d’organisations professionnelles ou corporatistes, ces mutuelles peuvent potentiellement disposer d’un capital de confiance plus important que le système public d’assurance; elles peuvent de plus bénéficier des mécanismes techniques (système d’information, dématérialisation des procédures et paiement mobile des cotisations développé par la NHIA depuis 2017) et des subventions de ce dernier (Dalal et al., 2019) . Au regard de l’expérience du Ghana et des autres pays africains comme européens examinés dans les différentes études de cas, un écueil à éviter est celui de la multiplication des mutuelles de santé, ce qui peut se faire par la promotion de systèmes de grande envergure, professionnalisés et transparents, œuvrant dans un cadre claire de partenariat avec la NHI.
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Autres documents consultés
National Health Insurance Scheme, NHIS. Site Web du NHIS, https://www.nhis.gov.gh/ [consulté le 15 octobre 2023]
10. Japon
10.1. Le système national de protection sociale en santé
Le Japon est parvenu à la couverture universelle en 1961. Trois ans plus tôt, la loi sur l’assurance-maladie à base communautaire avait rendu obligatoire l’adhésion de toutes les personnes non couvertes jusque-là et confié aux municipalités le soin de mettre en place l’assurance-maladie nationale (NHI). Grâce à ce système de protection sociale en santé, toute personne résidant de manière régulière au Japon est couverte par un régime obligatoire d’assurance-maladie (OIT, 2021) et, en 2020, les paiements directs ne représentaient que 13 pour cent de la dépense courante de santé (OMS-GHED, 2023).
On distingue quatre types de régimes obligatoires d’assurance-maladie sociale au Japon.
-
Le régime d’assurance-maladie des salariés (Hiyosha Kenko Hoken), qui repose sur des critères d’activité professionnelle
-
Le régime d’assurance-maladie nationale (Kokumin Kenko Hoken), qui repose sur des critères de résidence et couvre les travailleurs non salariés, les inactifs et les retraités
-
Le régime d’assurance-maladie des personnes âgées (Koki Koreisha) dont relèvent toutes les personnes âgées de plus de 75 ans
-
Le régime d’assurance des soins de longue durée, qui repose sur des critères d’âge (Kaigo Hoken)
(Ikegami et Phe Goursat, 2021)
Il existe quatre types de régimes professionnels: les caisses d’assurance-maladie d’entreprise ou interentreprises (Kumiai Kansho Kenko Hoken); l’Association de l’assurance-maladie du Japon (Zenkoku Kenko Hoken Kyokai Kansho Kenko Hoken, ou Kyokai Kenpo sous sa forme abrégée); les mutuelles (Kyosai Kumiai Kenko Hoken); le régime des marins (Sen-in Hoken).
La naissance des caisses d’assurance maladie et des mutuelles
Plusieurs régimes sociaux de protection en santé existaient au Japon avant la promulgation de la loi no 192 sur l’assurance-maladie nationale, en 1958. La première loi sur l’assurance-maladie date de 1922. Elle prévoyait que les entreprises de plus d’un certain nombre de salariés devaient créer des caisses d’assurance-maladie soumises au droit public. Pour les personnes non couvertes, la loi prévoyait la création du premier régime japonais d’assurance-maladie des salariés. Mis en œuvre en 1927, il s’adressait au départ aux travailleurs manuels mais fut très vite étendu à l’ensemble des salariés déclarés.
Il existait en parallèle au Japon des mutuelles, parmi lesquelles celle des fonctionnaires. D’autres ont été créées par la suite, comme la mutuelle des marins, instaurée par la loi de 1940 sur l’assurance des gens de mer. Le ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires sociales définit les mutuelles comme «un système de sécurité sociale conçu pour aider les membres d’une coopérative à s’entraider et assurer la stabilité et le bien-être de chacun»
Plusieurs facteurs expliquent la création des caisses d’assurance-maladie et des mutuelles au Japon: l’industrialisation, qui avait entraîné une augmentation des accidents du travail et une détérioration de la santé des travailleurs; la hausse des salaires; le développement de l’offre et de la demande de soins, qui avait entraîné une progression des dépenses de santé; l’essor du mouvement ouvrier; l’intérêt pour les employeurs de veiller au bien-être de leurs salariés; la volonté du Japon de se rallier aux initiatives internationales visant à étendre la protection sociale, notamment la première Conférence internationale du travail, en 1919
La cr éation de l’assurance maladie nationale
Ces régimes ne permettaient pas toutefois de protéger l’ensemble de la population: les travailleurs agricoles et les petits commerçants, par exemple, n’étaient couverts par aucun de ces régimes. Malgré la couverture limitée, le fait que certaines catégories de la population étaient déjà affiliées à des caisses d’assurance-maladie et à des mutuelles a de toute évidence facilité la mise en place de l’assurance-maladie nationale en 1958. D’après une enquête réalisée au moment de la création du régime national d’assurance-maladie, plus de 90 pour cent des personnes qui étaient déjà affiliées à une mutuelle souhaitaient rester assurées
La loi sur l’assurance-maladie nationale, promulguée en 1958, a offert une couverture aux personnes qui n’étaient pas affiliées à une caisse d’assurance-maladie ou à une mutuelle. L’assurance reposait sur des critères de résidence et non d’activité professionnelle. L’assurance-maladie nationale tirait ses ressources pour partie des impôts collectés par l’État et des impôts locaux et pour partie des cotisations sociales.
Les caisses d ’ assurance maladie et les mutuelles à l’heure actuelle
L’assurance-maladie nationale et l’assurance-maladie des salariés se complètent et sont des régimes différents, régis par des lois différentes.
Actuellement, les Japonais sont obligatoirement affiliés à l’un de principaux régimes mentionnés. Le tableau ci-dessous présente les principales caractéristiques de ces régimes:
Régime |
Public cible |
Organisme gestionnaire |
Nombre d’affiliés (en millions) |
Assurance-maladie |
Les travailleurs des entreprises privées de plus de 5 salariés, ainsi que leurs ayants droit sous certaines conditions. |
Soit l’Association de l’assurance-maladie du Japon, soit l’une des 1 444 caisses d’assurance-maladie d’entreprise ou interentreprises. |
69,298 |
Mutuelles des fonctionnaires |
Les fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales, le personnel des établissements d’enseignement privé |
85 mutuelles dont: 20 organismes rassemblés dans la Fédération des mutuelles des fonctionnaires de l’État80, 64 mutuelles des agents des collectivités territoriales, 1 mutuelle du personnel de l’enseignement privé. |
8,424 |
Régime |
Les marins |
L’État |
0,118 |
Assurance-maladie |
Les personnes âgées de plus de 75 ans |
47 caisses d’assurance-maladie des personnes âgées (une par préfecture) |
18,032 |
Assurance-maladie nationale (Kokumin kenko hoken) |
Les travailleurs indépendants, les chômeurs et inactifs ainsi que leurs ayants droit, et les retraités de moins de 75 ans. Y ont droit toutes les personnes résidant de manière régulière au Japon et ne relevant pas d’un autre régime. |
Municipalités et caisses nationales d’assurance-maladie |
29,324 |
Source:
Les affiliés des mutuelles sont couverts moyennant le paiement d’une cotisation dont le taux est révisé chaque année sur la base de l’ensemble des dépenses de la mutuelle afin d’assurer l’équilibre financier du régime d’une année sur l’autre
10.2. Les caractéristiques de la délégation
Le cadre juridique
La Constitution du Japon consacre le droit à la santé et affirme la responsabilité de l’État dans la concrétisation de ce droit
Les caisses d’assurance-maladie et les mutuelles sont régies par des textes différents. La loi sur les mutuelles des fonctionnaires de l’État, adoptée en 1958, prévoit que tout agent de la fonction publique de l’État peut adhérer à la mutuelle des fonctionnaires de l’État. Pour les agents de la fonction publique territoriale, c’est la loi sur les mutuelles des fonctionnaires territoriaux (loi no 152 de 1962) qui s’applique. Et, pour le personnel de l’enseignement privé, celle sur les mutuelles de l’enseignement privé du Japon (loi no 48 de 1997). La loi sur l’assurance-maladie de 1922 s’applique aux personnes affiliées à une caisse d’assurance-maladie des salariés des entreprises privées, qui sont au nombre de 1 444.
La pratique de la délégation
Toutes les caisses d’assurance-maladie et les mutuelles, y compris celles des fonctionnaires de l’État, sont des organismes autonomes et peuvent à ce titre définir librement leurs taux de cotisation et leurs modalités de fonctionnement. Les prestations qu’elles servent sont à peu près identiques à celles des autres régimes de protection sociale en santé mais les mutuelles couvrent généralement des montants plus élevés.
Pour ce qui est de l’offre de soins, les assurés peuvent se rendre librement dans les hôpitaux et cliniques agréés par le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales. Les prestataires de soins sont rémunérés à l’acte. Les mutuelles ne gèrent qu’un petit nombre de structures de soins.
Les mutuelles établissent un bilan en fin d’exercice afin de déterminer le taux de cotisation de l’année suivante. Elles sont autonomes en matière de mise en commun du risque et de perception des recettes. L’État verse aux caisses d’assurance-maladie des subventions d’un montant fixe pour couvrir leurs dépenses liées aux prestations qu’elles servent. Il prend également en charge la totalité des frais administratifs des mutuelles de la fonction publique d’État et assimilée, ainsi qu’une partie des frais administratifs des mutuelles du personnel de l’enseignement privé. Les municipalités assument la totalité des frais administratifs des mutuelles des agents des collectivités territoriales. En outre, en tant qu’employeur, l’État japonais transfère aux mutuelles des fonctionnaires de l’État l’équivalent de 50 pour cent des cotisations versées par les agents.
10.3. Fonctions déléguées
Les différentes fonctions de l’assurance-maladie sont assurées comme suit:
Fonction |
Fonction déléguée |
Couverture |
|
Couverture de la population |
Les mutuelles couvrent les fonctionnaires de l’État, les agents de la fonction publique territoriale et les personnels des établissements d’enseignement privé dès leur embauche. Les caisses d’assurance-maladie couvrent les travailleurs des entreprises privées de plus de 5 salariés. Les entreprises qui ne possèdent pas leur propre caisse d’assurance-maladie doivent affilier leurs salariés à l’Association de l’assurance-maladie du Japon (Kyokai Kenpo). L’adhésion est obligatoire. |
Définition des prestations (panier de soins, niveaux de garantie) |
Tous les régimes offrent un panier de soins complets identique, qui est défini et validé par le gouvernement Le panier de soins comprend: (i) les examens médicaux (ii) les médicaments et les fournitures médicales (iii) les traitements médicaux et actes chirurgicaux (iv) les soins infirmiers à domicile (v) les hospitalisations ou les consultations externes, ainsi que les soins infirmiers et autres en lien avec les actes médicaux pratiqués à l’hôpital. La participation de l’assuré varie en fonction du revenu et de l’âge. En règle générale, l’assurance couvre 70 pour cent des frais médicaux, les 30 pour cent restants étant à la charge de l’assuré. Cette part est moins élevée pour les enfants en âge préscolaire et les personnes âgées de 70 à 75 ans. La participation de l’assuré varie en fonction du revenu et de l’âge. En règle générale, l’assurance couvre 70 pour cent des frais médicaux, les 30 pour cent restants étant à la charge de l’assuré. Cette part est moins élevée pour les enfants en âge préscolaire et les personnes âgées de 70 à 75 ans. Les bilans de santé ne sont pas couverts par l’assurance-maladie nationale mais sont pris en charge intégralement ou partiellement par les autres régimes. Certaines mutuelles servent des prestations en espèces (indemnités de maladie, de maternité, de congé parental, allocations de soins de longue durée, indemnité de catastrophe naturelle, capital décès), plus élevées que celles de l’assurance-maladie nationale. |
Réseau de prestataires |
En règle générale, les affiliés d’une mutuelle ou d’une caisse d’assurance-maladie d’entreprise, peuvent avoir recours soit aux services d’un hôpital ou d’une clinique agréée par le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, soit à ceux d’une structure gérée par leur régime d’assurance-maladie. La loi sur l’assurance-maladie de 1922 précise à l’article 63 les structures dans lesquelles les assurés peuvent être accueillis: «(i) un hôpital ou une clinique agréée par le ministre de la Santé, du Travail et des Affaires sociales [...] ou une pharmacie agréée par le ministre de la Santé, du Travail et des Affaires sociales […]; (ii) un hôpital, une clinique ou une pharmacie gérée par un assureur donné et qui fournit des soins médicaux ou des ordonnances à une personne assurée et qui est désignée par l’assureur; (iii) un hôpital, une clinique ou une pharmacie fondée par un assureur qui est une société d’assurance-maladie». Certaines mutuelles, notamment celles des fonctionnaires, possèdent des hôpitaux en gestion directe (voir la section «Prestation de soins»). Les affiliés sont toutefois libres de choisir un autre prestataire. |
Mise en œuvre |
|
Éducation/Promotion |
Les caisses d’assurance-maladie d’entreprise effectuent des bilans de santé et fournissent des conseils en fonction de l’état de santé des salariés, assurant ainsi le rôle d’un service de santé au travail. |
Adhésions/Renouvellements |
Ce sont les caisses d’assurance-maladie et les mutuelles qui se chargent des affiliations. Les caisses d’assurance-maladie désignent un référent dans chaque entreprise. |
Collecte des cotisations |
Les cotisations sont prélevées sur le salaire des assurés. Le taux de cotisation est fixé par les caisses d’assurance-maladie et les mutuelles et révisable annuellement pour les prestations à court terme, afin de garantir l’équilibre financier du système. Les cotisations sont partagées à parts égales entre l’employeur ou l’État et le salarié ou l’agent. Le taux de cotisation est plafonné à 13 pour cent du salaire mensuel. Les caisses d’assurance-maladie appliquent en moyenne un taux de 10 pour cent. |
Mutualisation du risque |
La mise en commun se fait au niveau de la mutuelle ou de la caisse d’assurance-maladie. La loi donne toutefois aux caisses d’assurance-maladie la possibilité de mutualiser leurs cotisations afin de subventionner certains frais médicaux onéreux ou d’aider une caisse lorsqu’elle connaît des difficultés financières. |
Paiement des prestataires |
Le paiement à l’acte s’applique à tous les types de structures et l’assurance couvre 70 pour cent des coûts. La grille tarifaire est la même pour tout le pays et elle est révisée à la fois globalement et poste par poste |
Prestation de soins |
Certaines mutuelles possèdent leurs propres hôpitaux. Ces structures doivent toutefois être agréées par le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales et se conformer aux normes de qualité et aux règles définies dans la loi sur les soins médicaux (loi no 205 du 30 juillet 1948). La Fédération des mutuelles des fonctionnaires de l’État possède 32 hôpitaux en gestion directe La mutuelle des enseignants de l’Éducation nationale gère directement 8 hôpitaux Les bénéficiaires sont libres de se rendre dans l’hôpital ou la clinique de leur choix. Certaines mutuelles accordent toutefois des réductions aux assurés qui ont recours aux hôpitaux qui leur appartiennent. La mutuelle des personnels du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales applique ainsi une réduction de 20 pour cent aux adhérents qui se font soigner dans son hôpital Certaines caisses d’assurance-maladie possèdent elles aussi leurs hôpitaux |
Traitement des demandes de remboursement |
Les hôpitaux et les cliniques établissent un décompte mensuel de toutes les dépenses engagées et l’adressent à l’organisme de contrôle et de paiement des factures de soins de santé, qui étudie directement les demandes de remboursement et procède à leur règlement, qu’il facture à la mutuelle ou à la caisse d’assurance-maladie |
Suivi et évaluation (assurance qualité) |
Il n’existe pas de système de règlement des litiges centralisé, mais pour toute réclamation, les assurés peuvent contacter le service d’assistance téléphonique gratuit de leur mutuelle ou de leur caisse d’assurance-maladie. |
10.4. Impact et leçons
Au Japon, les caisses d’assurance-maladie et les mutuelles restent des piliers du système de protection sociale en santé. Elles couvrent respectivement quelque 40 millions de personnes et quelque 8,5 millions de personnes (des cotisants pour près de la moitié, le reste étant constitué des ayants droit)
Les caisses d’assurance-maladie sont toutefois confrontées à des difficultés financières. En 2021, 78 pour cent d’entre elles devaient accuser des déficits 81. Le problème, aggravé par la pandémie de COVID-19, ne date pas d’hier. Le montant des prestations versées ne cesse d’augmenter en raison des progrès technologiques et du vieillissement de la population, tandis que les recettes provenant des cotisations diminuent avec la baisse du nombre d’affiliés.
Les caisses d’assurance-maladie d’entreprise et les mutuelles, leviers de la couverture sanitaire universelle au Japon
Des caisses d’assurance-maladie et des mutuelles existaient au Japon avant même avant que l’État ne cherche à assurer une protection sociale en santé à l’ensemble de la population. À l’époque, l’adhésion était volontaire et les employeurs n’étaient pas tenus d’affilier leurs salariés. Le panier de prestations et les taux de cotisation étaient variables. Avec la loi sur l’assurance-maladie de 1922, le gouvernement japonais a rendu obligatoire la mise en place d’une couverture maladie dans les entreprises de plus de 10 salariés.
Les caisses d’assurance-maladie d’entreprise et les mutuelles répondaient à une aspiration et à un besoin de la société en matière de protection sociale de la santé. En créant une attente collective à ce sujet, elles ont favorisé la généralisation de la couverture instaurée par la loi de 1958.
La responsabilité de l’État en matière de protection sociale en santé
L’État japonais a créé un cadre réglementaire qui confère une autonomie aux caisses d’assurance-maladie et aux mutuelles, mais il ne s’est pas déchargé de sa responsabilité première, qui est de fournir une protection sociale en santé à la population. L’État subventionne les dépenses de santé des caisses d’assurance-maladie et la totalité ou une partie des frais administratifs des mutuelles, apportant ainsi un soutien financier à ces régimes. En outre, si une caisse d’assurance-maladie cesse ses activités en raison de difficultés financières, par exemple, ses bénéficiaires sont transférés à l’Association de l’assurance-maladie du Japon, un régime administré par l’État. L’État joue donc le rôle d’assureur en dernier ressort.
Au Japon, le fait que les caisses d’assurance-maladie d’entreprise et les mutuelles se financent par les cotisations permet de dégager une plus grande marge de manœuvre budgétaire pour d’autres catégories de population non couvertes par ces régimes. Ainsi, l’assurance des soins de longue durée est financée environ pour moitié par l’impôt
Les caisses d’assurance-maladie d’entreprise et les mutuelles gardent leur attrait du fait de leur couverture plus complète
Les caisses d’assurance-maladie d’entreprise et les mutuelles ont la possibilité de servir des prestations en espèces, en cas de maladie et de maternité par exemple, alors que l’assurance-maladie nationale ne prend en charge que les dépenses médicales. Elles couvrent aussi les ayants droit de l’assuré, et notamment ses enfants, contrairement à l’assurance-maladie nationale.
Les caisses d’assurance-maladie d’entreprise et certaines mutuelles peuvent en outre fixer un montant maximum de copaiement. Lorsque l’assuré et ses ayants droits ont atteint un certain plafond de dépenses mensuelles à leur charge, le montant supplémentaire leur est remboursé, en application de la loi sur l’assurance-maladie du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, qui fixe à 25 000 yens par ménage le montant maximum de participation mensuelle. Cette disposition contribue à l’attrait de ces régimes.
Références
Banque mondiale (2023). «The World Bank Data Out-of-Pocket Expenditure (% of Current Health Expenditure) - Japan | Data». 2023. https://data.worldbank.org/indicator/SH.XPD.OOPC.CH.ZS?locations=JP.
Constitution du Japon (1946). https://www.japaneselawtranslation.go.jp/ja/laws/view/174#je_ch1.
Fédération des mutuelles des fonctionnaires de l’État (sans date).
11. Laos
Cette étude de cas présente une perspective historique de l’utilisation des CBHI au Laos.
11.1 Historique et évolution de l’assurance maladie à base communautaure
En République démocratique populaire lao, un régime d’assurance-maladie à base communautaire (AMBC) à adhésion volontaire avait été mis en place pour offrir une protection financière aux personnes qui ne sont couvertes ni par l’Organisation de sécurité sociale (SSO, pour les travailleurs du secteur privé formel) ni par l’Autorité de sécurité sociale de l’État (SASS, pour les fonctionnaires), ainsi qu’à leurs ayants droit 82. L’AMBC au Laos a la particularité d’être mise en œuvre directement par l’État et non par les communautés. Le régime d’AMBC initial a évolué par la suite pour donner naissance au régime national d’assurance-maladie (OIT, 2021a et OIT, 2021b). Le régime d’AMBC n’existe plus aujourd’hui que dans la capitale, Vientiane.
Premiers stades de la mise en œuvre
Des programmes pilotes d’AMBC ont été lancés entre 2002 et 2004 dans plusieurs districts des régions Centre, Nord et Sud de la République démocratique populaire lao, avec l’appui technique de l’Organisation mondiale de la santé. Tous ces districts se trouvaient dans des zones semi-rurales ou urbaines où les infrastructures étaient facilement accessibles. Afin de limiter le phénomène de sélection adverse et d’assurer un certain niveau de mutualisation du risque, l’adhésion était obligatoirement familiale. La cotisation était conçue comme un prépaiement dont le montant était proportionnel au nombre de membres du ménage. La collecte des cotisations était assurée dans les villages par des agents locaux, avec le soutien des autorités municipales.
Le panier de prestations était fixé de façon implicite et incluait les consultations et soins externes, les soins hospitaliers, notamment les actes chirurgicaux, les accouchements et les césariennes, à quelques exceptions près 83). Le réseau de prestataires de soins de santé était organisé de la sorte: l’hôpital de district et l’hôpital provincial étaient les principaux points d’entrée dans le système de santé pour les patients de leur bassin d’attraction, et un système de filtrage rigoureux avait été mis en place pour accéder à l’hôpital de recours. La capitation était le principal mode de paiement des prestataires, tant pour les soins ambulatoires que pour les soins hospitaliers. La répartition de la capitation entre l’hôpital principal sous contrat et l’hôpital de recours se faisait sur la base de négociations et en fonction du niveau de soins dispensés par les prestataires.
L’agence d’assurance-maladie du district était chargée de la gestion de l’AMBC, et les cotisations étaient mises en commun au niveau du district. Les villages d’un district adhéraient plus ou moins au régime selon qu’ils disposaient déjà sur place ou non de prestataires de soins (Banque mondiale, 2010). L’administration centrale de l’AMBC est chargée de définir les règles régissant les régimes, d’assurer le suivi et le contrôle des structures aux niveaux des provinces et des districts, et de négocier avec les hôpitaux.
Vers la fin de la phase d’expérimentation, en 2006, l’équipe administrative de l’AMBC a procédé à des ajustements techniques (le traitement du diabète a été ajouté au panier des soins, par exemple), et investi dans le renforcement des capacités et dans la conception d’outils promotionnels. À l’issue du projet pilote, le régime a été élargi. Entre 2009 et fin 2012, grâce au soutien financier de l’AFD et à l’assistance technique de l’ONG française GRET et de la Croix-Rouge suisse, il a pu renforcer ses capacités et étendre ses activités à la province de Savannakhet et à la préfecture de Vientiane 84, qui comptent respectivement 15 et 9 districts. Les équipes administratives ont pu ainsi être étoffées dans les districts. En 2012, l’AMBC était présente dans 42 districts de 9 provinces mais ne couvrait en fait que 178 000 personnes, soit 3 pour cent de la population du pays.
Introduction du subventionnement
Une AMBC construite autour du principe d’adhésion volontaire et ne prévoyant pas de subventionnement pour les cotisations d’une population aux revenus limités et irréguliers ne permettait manifestement pas d’étendre outre mesure la couverture. Le gouvernement a donc opté pour un subventionnement partiel des cotisations: une prise en charge des cotisations à hauteur de 50 pour cent a été instaurée par le décret de 2012 sur l’assurance-maladie (Décret 470/PM, art. 11).
Le décret 470/PM a également introduit d’importants changements destinés à réduire la fragmentation du système de protection sociale en santé. La première étape a consisté à regrouper la plupart des régimes existants, à savoir la SASS, la SSO, l’AMBC et les fonds d’équité en santé dans une entité unique pour donner naissance au régime national d’assurance-maladie (NHI). L’Agence nationale d’assurance-maladie (NHIB) a été créée en 2013 en vue de mettre en place un acheteur unique. Conformément au décret 470/PM, la gestion du régime a été transférée de la Division de l’assurance-maladie à base communautaire, qui dépendait de la Direction des finances du ministère de la Santé, à l’Agence nationale d’assurance-maladie placée directement sous la tutelle du ministère de la Santé, ce qui a accru le pouvoir de négociation avec les prestataires de soins. Cette organisation a ensuite été déclinée aux échelons inférieurs, avec la création d’agences d’assurance-maladie dans les provinces et dans les districts.
En 2014, le subventionnement des cotisations à hauteur de 50 pour cent par l’État a été instauré à titre expérimental dans un district, avec l’appui financier et technique de l’OIT, de l’OMS, de l’agence luxembourgeoise de coopération pour le développement et de l’Union européenne. La mesure est entrée en vigueur à partir de l’exercice 2015-2016. Malgré tous les efforts déployés par le gouvernement et les partenaires de développement, elle n’a toutefois pas permis d’étendre la couverture de manière significative, du fait que l’adhésion n’avait pas été rendue obligatoire et que la capacité contributive de la population cible restait faible.
L’idée de financer l’assurance-maladie par l’impôt et non plus par des cotisations fut alors envisagée. Le ministère de la Santé décida de subventionner intégralement l’assurance-maladie des personnes non couvertes par la Caisse nationale de sécurité sociale. La réforme prévoyait le maintien d’un petit copaiement au moment du recours aux soins pour les assurés subventionnés, ainsi que la fusion de l’AMBC avec les fonds d’équité en santé. La réforme a été testée au milieu de l’année 2016 dans trois provinces parmi les moins peuplées et les plus pauvres, à savoir Attapeu, Luang Namtha et Xaisomboun, avant d’être étendue à l’ensemble du pays à la fin de l’année 2017.
Grâce à cette prise en charge des cotisations par l’État, le gouvernement est parvenu à étendre rapidement la couverture, qui atteint aujourd’hui 90 pour cent de la population. La réforme n’a toutefois pas été appliquée à la préfecture de Vientiane, où le régime d’AMBC à adhésion volontaire a été maintenu. Les dispositifs d’AMBC ont donc disparu partout sauf dans la capitale. Dans le cadre de l’extension du régime national d’assurance-maladie, tous les services gratuits de santé maternelle et infantile ont eux aussi été rattachés à l’Agence nationale d’assurance-maladie, sauf dans les 9 districts de la préfecture de Vientiane, qui continuent d’offrir des prestations à la population cible.
La phase initiale de mise en œuvre du régime national d’assurance-maladie a servi de base à l’élaboration de la loi sur l’assurance-maladie, qui a été adoptée en décembre 2018. En parallèle, la fusion des régimes de protection sociale de la santé, prévue par le décret 470/PM, s’est poursuivie. Après une phase de test qui s’est déroulée tout au long de l’année 2018, le gouvernement a décidé de conserver le régime spécial dont bénéficiaient les militaires d’active. Les retraités et les ayants droit des salariés du secteur privé formel sont couverts par le régime de la SSO.
À ce jour, les bénéficiaires du régime national de sécurité sociale ont accès un panier de soins complet, incluant des soins ambulatoires et des soins hospitaliers, y compris des traitements onéreux, à quelques exceptions près. Les personnes pauvres, les femmes enceintes, les enfants de moins de 5 ans et les bénéficiaires du régime du secteur privé sont exemptés de copaiement au point de prestation de service. Pour être protégés contre le risque maladie, les habitants la préfecture de Vientiane, doivent pour leur part s’affilier soit à l’AMBC qui existe toujours soit au régime volontaire de la Caisse nationale de sécurité sociale.
11.2. L ’ AMBC dans la préfecture de Vientiane
L’AMBC de la préfecture de Vientiane est actuellement administrée par l’agence provinciale d’assurance-santé, placée sous le contrôle du comité de gestion de la préfecture de Vientiane. Avec la réforme entreprise dans la préfecture de Vientiane, la gestion financière est passée sous la responsabilité de l’agence d’assurance-santé de la préfecture de Vientiane, sous le contrôle du comité de gestion. L’agence provinciale d’assurance-santé est chargée d’acheter les services de soins et de suivre l’évolution du régime. Elle rend compte au comité de gestion et à l’Agence nationale d’assurance-santé. Une plateforme d’adhésion en ligne a été mise au point afin de faciliter les inscriptions et la perception des cotisations dans la capitale. Conformément à la réglementation, l’agence provinciale administre également un fonds de réserve, qui sert au versement de l’allocation pour frais d’obsèques et au financement de certains travaux opérationnels.
L’AMBC de la préfecture de Vientiane avait été conçue au départ sur le même modèle que les autres AMC du pays. Elle a évolué par la suite pour s’adapter au contexte urbain et aux besoins de la population cible. Ces aménagements, fixés par voie réglementaire, ont consisté en une modification des méthodes de recouvrement des cotisations, le relèvement du montant de la prime, la mise en commun des fonds à l’échelle de la préfecture de Vientiane et de nouvelles modalités de paiement des prestataires.
La réforme visait également à assainir la gestion financière et notamment à revoir les conventions avec les hôpitaux centraux, afin d’améliorer la qualité des soins et pouvoir ainsi recruter davantage d’adhérents (voir le tableau récapitulatif ci-dessous). En vertu des nouvelles dispositions réglementaires, le montant des cotisations a été relevé et le rythme de collecte est devenu trimestriel ou annuel, des incitations étant prévues pour les versements à plus longue échéance. Les assurés avaient la possibilité de choisir comme prestataire principal soit l’hôpital de district soit l’hôpital central, auquel cas ils payaient une cotisation plus élevée. Afin de faciliter l’accès à l’AMBC, les adhérents avaient la possibilité de payer leur cotisation soit dans leur village auprès d’un agent de terrain, soit à l’agence d’assurance-maladie du district, soit à l’agence d’assurance-maladie de la préfecture de Vientiane. C’est à cette époque qu’a été conçue et mise en place une plateforme d’inscription en ligne, ce qui a facilité les adhésions et la mise en commun des ressources. Les fonds étaient mutualisés dans le régime d’assurance-maladie de la préfecture de Vientiane, responsable de la contractualisation avec les prestataires de soins.
Le tableau ci-dessous résume les principales caractéristiques du régime d’AMBC tel qu’il fonctionne aujourd’hui dans la préfecture de Vientiane.
Couverture de la population |
En 2021, le régime comptait 24 789 adhérents, soit quelque 3 pour cent de la population de la préfecture de Vientiane. |
Financement |
Le régime est financé par les cotisations et les dotations de l’État (ressources humaines, une partie des frais de fonctionnement et abondement des cotisations prises en charge par le régime national d’assurance-maladie). Cotisations: Le montant diffère selon la structure choisie comme prestataire principal: Formule 1 (hôpital central): 110 000 kips par personne et par an (moyenne) Formule 2 (hôpital de district): 80 000 kips par personne et par an (moyenne) Des tarifs dégressifs s’appliquent aux familles nombreuses. |
Adhésions |
Adhésion volontaire par famille Versements trimestriels (voir la rubrique «collecte des cotisations») |
Définition des prestations (panier de soins, dépenses couvertes) |
Les bénéficiaires ont droit à un panier de soins complet, incluant des soins ambulatoires et des soins hospitaliers, actes de chirurgie compris. Sont exclues de la prise en charge les prestations suivantes: chirurgie cardiaque, transplantation d’organes, chirurgie esthétique, traitement de la thalassémie, hémodialyse, stérilisation (sauf prescription médicale), soins curatifs suite à un accident de la route, prothèses dentaires et traitements d’orthodontie, chimiothérapie ou radiothérapie, lunettes ou verres de contact, bilan de santé à des fins de diagnostic, etc. 85 Pas de copaiement au point de prestation de service. L’AMBC de la préfecture de Vientiane verse également une petite allocation pour frais d’obsèques aux ayants droit de l’adhérent en cas de décès. |
Conditions d’accès |
Un délai de carence de 1 mois est imposé aux nouveaux adhérents qui ont payé l’intégralité de leurs cotisations (trimestrielles ou plus). Les nouveaux membres peuvent faire des versements échelonnés (mensuels) mais ils n’auront droit aux prestations qu’un mois après avoir effectué au moins un paiement trimestriel. Les adhérents doivent être affiliés depuis plus de 6 mois pour pouvoir bénéficier de l’allocation pour frais d’obsèques. |
Réseau de prestataires |
Accès aux structures de soins publiques par un point d’entrée. Les assurés de la préfecture de Vientiane doivent désigner chaque année un prestataire principal qui sera leur point d’entrée dans le système de santé. Ce prestataire principal peut être soit l’hôpital de district soit l’hôpital central. Formule 1 (hôpital central): Formule 2 (hôpital de district, souvent le plus proche du domicile): Les bénéficiaires doivent utiliser comme point d’entrée l’hôpital de district , qui exerce une fonction de filtrage. Si le patient doit être orienté vers un autre établissement, le prestataire principal l’envoie à l’hôpital central rattaché ou à l’hôpital de référence prévu par le contrat. Dans ce cas, la capitation est utilisée comme mode de rémunération et répartie entre le prestataire principal et l’hôpital de recours. |
Éducation/Promotion |
Les actions de promotion sont réalisées par les équipes locales avec le concours de l’équipe de la préfecture de Vientiane au moyen de campagnes d’information, à l’aide d’outils de communication (affiches, dépliants, brochures). |
Adhésions/inscriptions/primes |
L’adhésion se fait par famille. Sont inscrites comme bénéficiaires toutes les personnes figurant sur le livret de famille. Les adhésions sont individuelles pour les moines, les novices vivant en communauté. L’inscription se fait sur présentation de justificatifs d’identité. |
Collecte des cotisations |
Les cotisations sont collectées par des agents de terrain ou peuvent être versées à la caisse du village, à l’agence d’assurance-maladie du district ou à celle de la préfecture de Vientiane. |
Mutualisation du risque |
La mutualisation du risque se fait à l’échelon provincial, et non plus à celui du district. Une petite réserve d’environ 5 pour cent du montant des cotisations perçues est destinée à couvrir les dépenses de santé ou demandes de remboursement imprévues et à financer des améliorations du système (développement et maintenance informatiques, etc.). L’utilisation de cette réserve doit être soumise à l’approbation du directeur de l’agence d’assurance-maladie de la préfecture de Vientiane en sa qualité de vice-président du comité de gestion de l’AMC. |
Paiement des prestataires |
C’est l’agence d’assurance-maladie de la préfecture de Vientiane qui établit les contrats avec les hôpitaux. Le mode de rémunération des prestataires est calqué sur celui des régimes du secteur formel: capitation, capitation ajustée au risque pour six maladies chroniques et paiement à l’épisode de soins pour un certain nombre d’actes onéreux définis. |
Organisation des soins |
Les assurés doivent utiliser les services de l’hôpital de rattachement qu’ils ont choisi. S’il s’agit d’un hôpital de district, l’hôpital de recours sera obligatoirement sélectionné conformément au système national d’orientation-recours. |
Traitement des demandes |
Le traitement des demandes de remboursement est assuré par l’agence provinciale d’assurance-maladie, avec le concours de l’agence nationale d’assurance-maladie. L’agence provinciale vérifie les demandes et les transmet à l’agence nationale, qui procède au paiement. |
Règlement des litiges |
Les litiges sont examinés par le référent prestations de l’hôpital puis par le comité de gestion de l’AMBC au niveau du district, puis par le comité de gestion de la préfecture de Vientiane, qui statue en dernière instance. |
L’agence d’assurance-santé de la préfecture de Vientiane est constituée d’une petite équipe qui ne dispose pas de toutes les compétences requises pour gérer l’ensemble des fonctions de l’AMBC. Les relations de l’AMBC avec les prestataires de soins s’en ressentent. L’agence d’assurance-santé de la préfecture de Vientiane n’a pas les compétences techniques et le pouvoir nécessaires pour négocier les contrats avec les hôpitaux centraux. De surcroît, le faible montant de la capitation mécontente les hôpitaux et ne les incite pas à dispenser des soins de qualité aux assurés (ADB Institute, 2019).
11.3. Délégation des fonctions administratives liens entre l’AMBC et le régime national d’assurance santé
Avant le décret 470 sur le régime national d’assurance santé (National Health Insurance – NHI)
Jusqu’en 2012, les fonctions de contrôle et de gestion de l’AMBC étaient définies aux différents échelons (central, provincial et du district) par l’arrêté 723 du ministère de la Santé, en date du 13 avril 2005. Le comité de gestion de l’AMBC était responsable de la supervision du régime et décliné à tous les échelons. Il était présidé par le vice-ministre de la Santé et composé de représentants des acteurs concernés, à savoir la direction des Finances et la direction de la Santé pour les prestataires, et les syndicats pour la population. À l’échelon du district, le comité de gestion était aussi composé de bénéficiaires de l’AMBC tels que des personnes âgées, et d’agents de collecte dans les villages.
Au niveau central, la division de l’assurance-maladie créée au sein de la direction des finances et de la planification du ministère de la Santé était chargée d’élaborer et de mettre en œuvre l’AMC. Elle assurait le secrétariat du comité de gestion de l’assurance-maladie au niveau central. Des agences d’assurance-maladie ont également été créées au niveau des provinces et des districts à la suite de la mise en place du comité de gestion. Les missions de ces agences étaient les suivantes: campagnes d’information, collecte des primes, mise en commun, achats et contractualisation, traitement des demandes de remboursement, règlement des litiges, renforcement des capacités et développement du régime, à quelques différences près en fonction de l’échelon (central, provincial, district). Cette organisation permettait une mise en œuvre très centralisée et donc une harmonisation des AMC, tout en assurant la représentation des principaux acteurs à tous les échelons.
Comme l’assurance-maladie et le financement des soins de santé étaient des activités nouvelles dans le pays et qu’il n’existait guère de formation dans ce domaine, il a été difficile dans un premier temps de recruter du personnel qualifié. Il existait en outre peu de spécialistes de la gestion financière, surtout au niveau local. La plupart des agences d’assurance-maladie de district ont dû dès lors s’appuyer des bénévoles. Comme l’AMBC n’était implantée que dans certaines régions et que le nombre de fonctionnaires était limité par des quotas, il était difficile de négocier avec le gouvernement et le ministère de la Santé pour recruter et former des agents. Du fait du mode de gestion centralisée, l’expertise - en matière de paiement et de contrôle, notamment - était concentrée à l’échelon central, qui avait pour mission de former et de superviser les agents des échelons inférieurs.
Après le décret 470 sur le régime national d’assurance santé (National Health Insurance – NHI)
En avril 2013, l’Agence nationale d’assurance-maladie est créée en remplacement de la division de l’assurance-santé, conformément au décret n° 470/GO sur à l’assurance-maladie. Elle est érigée au rang de direction du ministère de la Santé. Au niveau central, l’agence définit le cadre technique et du développement et du renforcement de l’assurance-maladie, y compris les aspects juridiques. Le régime national d’assurance-santé (National Health Insurance – NHI) est également placé sous la supervision d’un comité de gestion dont la composition est identique à celle de l’ancien comité de gestion de l’AMBC 86.
Au niveau provincial, l’agence d’assurance-santé est placée sous tutelle de l’agence provinciale de santé. Le comité de gestion provincial est présidé par le gouverneur de la province et supervise la gestion de l’assurance-maladie. De même, au niveau du district, l’agence d’assurance-santé est le plus souvent placée sous la tutelle de l’agence de santé du district. Le comité de gestion de l’assurance-maladie du district est présidé par le gouverneur du district, afin d’être plus proche de la population locale.
Les fonctions et les missions des agences d’assurance-santé à tous les échelons ont été définies de façon à permettre à l’avenir un renforcement institutionnel et à faciliter la gestion et la mise en commun des fonds provenant de différents régimes de protection sociale de la santé, comme le prévoit le décret 470/GO.
11.4. Impact et résultats de la couverture assurée par l’AMBC
I mpact sur le taux de couverture
Étape initiale, avant subventionnement
Le taux d’affiliation de la population au régime d’assurance-maladie à base communautaire est resté faible, malgré les campagnes de communication menées par le gouvernement et les améliorations apportées au système (Alkenbrack et al., 2013). Le caractère volontaire du régime n’incitait pas les ménages à adhérer (Sydavong et al., 2019). Les renouvellements étaient particulièrement difficiles à obtenir et les abandons nombreux (Alkenbrack, 2011). L’adhésion volontaire induisait également un risque de sélection adverse, même si le phénomène était en partie limité par le fait que les affiliations se faisaient par ménages (Bodhisane, 2019).
La figure 1 ci-dessous montre l’évolution des adhésions au fil des mois de l’année 2011 dans un échantillon de provinces dans lesquels l’AMBC était implantée.
Figure 1. Évolution du nombre d’adhérents par province, 2011
Source: NHIB
En 2016, le régime couvrait 51 districts de 17 provinces, soit 5 pour cent de la population cible (figure 2).
Figure 2. Part de la population cible couverte par un régime de protection sociale en santé, 2016, en pourcentage
Note: SASS = Autorité de sécurité sociale de l’État (régime des fonctionnaires); SSO = Organisation de sécurité sociale (régime des salariés du secteur privé); CHBI = assurance-maladie à base communautaire (travailleurs informels); NHI = régime national d’assurance-maladie, HEF = Fonds d’équité en santé; FMAT = Services gratuits de santé maternelle, FCU5 = Services gratuits de santé infantile (enfants âgés de moins de 5 ans).
Source: ministère de la Santé (2012)
Couverture de la population par l’AMBC dans la préfecture de Vientiane
Dans la préfecture de Vientiane, la couverture de l’AMBC reste limitée même si le nombre d’assurés, en progression constante, a grimpé de 14 021 en 2016 à 27 364 en 2022 (figure 3), ce qui ne représente guère que 3 pour cent de l’ensemble de la population de la préfecture, estimée à quelque 900 000 personnes. En outre le nombre d’assurés varie d’un mois à l’autre, avec un nombre d’abandons moyen par mois important.
Principaux défis
Dans la préfecture de Vientiane, l’objectif de couverture du risque maladie de 70 pour cent de la population semble très difficile à atteindre. Les équipes en charge de l’AMBC ont en effet le plus grand mal à convaincre la population de s’affilier au régime, d’autant que l’adhésion est volontaire et que les prestations offertes ne sont pas toujours bien comprises, ce qui crée parfois du mécontentement chez les assurés. En outre, en raison de l’incertitude qui entoure le déploiement du régime national d’assurance-santé dans la préfecture de Vientiane, les équipes hésitent à mener des campagnes de communication qui pourraient pourtant améliorer le taux de couverture.
Figure 3. Évolution du nombre d’adhérents à l’AMBC dans la préfecture de Vientiane, 2016-2022
Source: ministère de la Santé, NHIB (2019).
Impact sur l’accès aux soins de santé
L’adhésion à un régime d’AMBC favorise visiblement la fréquentation des services de santé. L’évolution du recours aux soins entre 2008 et 2016 (avant le subventionnement intégral) selon les régimes de protection sociale de la santé montre une fréquence d’utilisation plus élevée chez les patients couverts par l’AMBC que chez les assurés des autres régimes, ainsi qu’une augmentation de recours aux soins au fil du temps (figure 4). On ignore les raisons pour lesquelles les affiliés à l’AMBC utilisent davantage les services de santé que les autres assurés. Le phénomène pourrait s’expliquer par les effets de la sélection adverse ou de l’aléa moral ou bien par des besoins de soins de santé plus importants, mais aussi par une plus grande proximité des établissements de soins ou une meilleure appropriation du régime par les usagers.
Figure 4. Évolution du nombre de consultations et d’hospitalisations selon le régime de protection sociale en santé, 2008-2016.
Note: SASS = Autorité de sécurité sociale de l’État (régime des fonctionnaires); SSO = Organisation de sécurité sociale (régime des salariés du secteur privé); CHBI = assurance-maladie à base communautaire (travailleurs informels); HEF = Fonds d’équité en santé; NHI = régime national d’assurance-maladie, lancé en 2016, Avg SHP = Moyenne assurés.
Source: ministère de la Santé, NHIB.
Impact sur la protection financière
La protection financière apportée par l’AMBC est difficile à évaluer en l’absence de données ou d’études portant spécifiquement sur l’effet des régimes d’assurance-maladie en général, et de l’AMBC en particulier, sur la part des dépenses de santé à la charge directe des patients et sur l’incidence des dépenses de santé catastrophiques.
Les données de l’enquête sur les dépenses et la consommation des ménages au Laos (LECS 3 et 5) montrent une baisse de l’incidence de dépenses catastrophiques, qui ne concernaient plus que 1,70 pour cent des ménages en 2012-2013, contre 2,67 pour cent en 2002-2003. Étant donné la faible couverture de la protection sociale en santé au début des années 2010, il y a peu de chances que les différents régimes (SASS, SSO, fonds d’équité, soins maternels et infantiles gratuits) aient joué un rôle dans cette baisse.
Figure 5. Incidence des dépenses de santé catastrophiques par quintile de revenu
Source: À partir des données de journal de l’enquête sur les dépenses et la consommation des ménages au Laos (LECS 5, 2012-2013) disponible à l’adresse: https://apps.who.int/iris/handle/10665/274721
Tableau 2. Dépenses directes en santé en pourcentage de la capacité de payer et de la consommation du ménage
Dépenses directes moyennes (kips) |
Dépenses directes |
Dépenses directes |
|
Quintile |
6 831 |
2,9% |
0,8% |
2e quintile |
11 948 |
3,1% |
0,9% |
3e quintile |
24 189 |
3,1% |
1,4% |
4e quintile |
56 044 |
3,8% |
2,1% |
Quintile |
169 928 |
3,2% |
2,4% |
Moyenne |
53 751 |
3,2% |
1,5% |
Source: À partir des données de journal de l’enquête sur les dépenses et la consommation des ménages au Laos (LECS 5, 2012-2013) disponible à l’adresse: https://apps.who.int/iris/handle/10665/274721
Impact sur les prestataires de soins
L’impact de l’AMBC sur les prestataires n’a pas beaucoup été étudié mais certaines questions avaient été évoquées dans les rapports d’activité annuels de l’AMBC. Tout d’abord, la capitation était calculée sur la base du montant de la cotisation, déduction faite de la rémunération versée aux agents de collecte des villages et aux gestionnaires de l’AMBC, et d’un petit budget pour couvrir les frais administratifs de l’agence d’assurance-maladie du district. La capitation n’était donc pas calculée sur la base des coûts et de la fréquence de recours aux soins observée mais uniquement en fonction du nombre de ménages inscrits au régime et du montant collecté au cours de la période. Les retards de paiement des cotisations et les résiliations se répercutaient directement sur le paiement des prestataires.
En outre, les hôpitaux ont vu leur charge de travail augmenter soudainement en raison de l’afflux de patients. En 2011, la hausse a été en moyenne de 28 pour cent pour les soins ambulatoires et de 15 pour cent pour les soins hospitaliers (d’après le rapport 2011). Les hôpitaux ont estimé que le montant de la capitation ne permettait plus de rémunérer les services de soins fournis aux adhérents de l’AMC. La plupart des hôpitaux, et notamment ceux de recours, ont signalé que la capitation ne couvrait plus les frais engagés et qu’ils se trouvaient en situation de déficit. À titre d’exemple, les hôpitaux touchaient en 2011 une capitation moyenne de 47 738 kips par adhérent alors que leurs frais par patient s’élevaient à 64 623 kips.
11.5. Impacts sur le régime national d’assurance santé actuel - quels legs de l’AMBC?
Conception et financement
Le régime national d’assurance-santé a été conçu en tenant compte de l’expérience de l’assurance-maladie à base communautaire. Le panier de soins, par exemple, a été calqué sur celui de l’AMBC et prévoit les mêmes exclusions de garantie. Il a par la suite évolué progressivement pour mieux répondre aux besoins de la population. Le délai de carence a été supprimé. En ce qui concerne l’achat des soins de santé, le NHI a conservé le modèle de l’AMC, avec un réseau de prestataires publics et l’instauration d’un système d’orientation-recours. La capitation a été maintenue comme mode de paiement des services de consultations externes, et le paiement par cas est venu s’ajouter pour les hospitalisations.
La principale différence entre l’AMBC et le régime nationale d’assurance-maladie réside dans les mécanismes de financement. L’expérience ayant montré qu’un régime contributif à adhésion volontaire et non subventionné ne permettait pas d’étendre la couverture des travailleurs informels et de leurs ayants droit, le gouvernement a mobilisé des financements publics pour offrir une assurance financée par l’impôt à cette catégorie de la population. Comme indiqué dans la partie I, après la publication en 2012 du décret sur le régime national d’assurance-maladie, le gouvernement a testé le subventionnement des cotisations des adhérents de l’AMBC à hauteur de 50 pour cent, avant de passer au subventionnement intégral au milieu de l’année 2016. Ce projet a été lancé sans base juridique solide, mais sa mise en œuvre s’est faite conformément au décret sur l’assurance-maladie n° 470/GO. De fait, les fonctions d’adhésion et de collecte des cotisations de l’AMBC ont disparu.
Avec la mise en œuvre du NHI, un copaiement a été instauré afin de créer une source de financement supplémentaire, mais il a été fixé à un niveau peu élevé afin d’éviter de créer des barrières financières à l’accès aux soins.
Gestion et gouvernance
Le pays a pu s’appuyer sur l’expérience acquise dans le cadre du régime d’AMBC pour mettre en place le nouveau régime national d’assurance-maladie et le doter des capacités techniques nécessaires. Plusieurs éléments de la conception ont été repris de l’AMBC dans une version adaptée, de même que les systèmes de gouvernance et de gestion. La division de l’assurance-maladie est devenue une direction du ministère de la Santé. Le personnel des agences d’assurance-maladie, tant au niveau national que local, avait été associé à la définition et à la mise en œuvre du régime d’assurance-maladie à base communautaire. Avant le lancement du régime national d’assurance-maladie, il n’y avait des agences d’assurance-maladie que dans les provinces ou les districts où le régime d’AMBC était implanté. En vertu du décret n° 470/GO relatif à l’assurance-maladie, le rôle et les responsabilités de l’assurance-maladie ont été définis et étendus à l’ensemble du pays avant le lancement du régime national d’assurance-maladie.
Le régime d’AMBC était administré à chaque niveau par l’agence d’assurance-maladie sous le contrôle du comité de gestion de l’AMC. Les gestionnaires au niveau du district étaient chargés de la collecte des cotisations et jouaient le rôle de détenteurs de fonds et d’acheteurs de services de soins de santé. Du temps de l’AMC, les agences d’assurance-maladie fonctionnaient avec des effectifs réduits, et celles de district notamment étaient tributaires de bénévoles et de postes financés par les donateurs. Les effectifs et les compétences des équipes des agences d’assurance-maladie ont depuis été renforcées, bien que les capacités décisionnelles et techniques soient toujours concentrées à Vientiane.
La plupart des fonctions techniques de l’assurance-maladie, telles que les relations avec les prestataires (paiement, négociation), les actions de communication et la supervision des bureaux provinciaux et de district, avaient elles aussi été définies du temps de l’AMC, ce qui a facilité la mise en œuvre du régime nationale d’assurance-maladie. Les outils utilisés dans le cadre de l’AMBC ont été adaptés aux besoins du NHI. C’est le cas du système de suivi: les formulaires papier ont été abandonnés au profit d’un système informatisé lors de la mise en place du NHI.
Malgré ces améliorations, il reste à mettre en place un système en ligne complet et modernisé pour faciliter la gestion des données et des demandes de remboursement.
Le tableau comparatif ci-dessous présente les principales caractéristiques de l’AMBC et du régime nationale d’assurance-maladie.
Fonction |
Assurance-maladie à base communautaire |
Le régime national d’assurance-santé actuel |
Couverture de la population |
5% de la population (données de 2016), sans compter les personnes pauvres affiliées au fonds d’équité en santé. |
73% de la population |
Adhésions |
Adhésion volontaire par famille |
Les salariés en emploi formel s’affilient à la Caisse nationale de sécurité sociale par le biais de leur employeur. Pas d’adhésion requise pour les personnes non couvertes par la Caisse nationale de sécurité sociale. La présentation d’une pièce d’identité suffit pour accéder au service. |
Définition des prestations (panier de soins, dépenses couvertes) |
Les bénéficiaires ont droit à un panier de soins complet, défini sous forme de listes positives et négatives et incluant des soins ambulatoires et des soins hospitaliers, actes de chirurgie compris, sans copaiement ou reste à charge pour le patient. Sont exclus de la prise en charge les demandes individuelles, les soins dispensés dans des établissements privés, certains services onéreux, les services déjà pris en charge dans le cadre de programmes verticaux. |
Les bénéficiaires ont droit à un panier de soins complet, défini sous forme de listes positives et négatives et incluant des soins ambulatoires et des soins hospitaliers, actes de chirurgie compris, sans copaiement ou reste à charge pour le patient. Sont exclus de la prise en charge les demandes individuelles, les soins dispensés dans des établissements privés, certains services onéreux, les services déjà pris en charge dans le cadre de programmes verticaux. Un copaiement modique a été instauré au point de prestation de service. Son montant varie selon le type d’hôpital (central, provincial, de district). Les ménages pauvres ou vulnérables, les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans en sont exemptés. Les personnes pauvres ont droit, en cas d’hospitalisation ou d’orientation vers un hôpital de recours, à des prestations non médicales telles qu’une allocation journalière et la prise en charge des frais de transport. |
Conditions d’accès |
Délai de carence de 1 mois pour les soins ambulatoires, de 3 mois pour les soins hospitaliers et la chirurgie aiguë et de 6 mois pour les autres actes de chirurgie et les accouchements. En cas de retard de paiement de leur cotisation ou de leur renouvellement, les assurés se voient accorder un délai de grâce de 3 mois. |
Pas de délai de carence pour les assurés présentant une pièce d’identité en cours de validité. |
Réseau de prestataires |
Contractualisation avec les hôpitaux publics de la zone d’attraction, l’hôpital de district jouant généralement le rôle de prestataire principal et l’hôpital provincial celui d’hôpital de recours. Les centres de santé étaient des sous-traitants des hôpitaux de district. |
Tous les hôpitaux publics (centraux, provinciaux et de districts) sont inclus dans le réseau, sans filtrage strict. Un établissement privé fait office d’hôpital de recours pour les hôpitaux provinciaux dans une seule région. Dans la préfecture de Vientiane, où le régime nationale d’assurance-maladie n’est pas mis en œuvre comme dans les provinces, l’hôpital central ne fonctionne que comme hôpital de recours, sans tiers payant. |
Éducation/promotion |
Les campagnes de promotion et d’information étaient organisées par le siège de l’AMBC avec le concours des autorités locales (distribution de dépliants et de brochures, diffusion de messages par haut-parleurs). |
Les campagnes de promotion et d’information sont menées aux niveaux local et national par le biais de réunions et d’ateliers, dans les médias et par l’intermédiaire d’une permanence téléphonique. |
Adhésions/inscriptions/primes |
Un agent de terrain et un gestionnaire de district étaient chargés de l’enregistrement des adhérents et de la collecte des cotisations. Ils touchaient une petite «prime» calculée en fonction du montant des cotisations collectées (environ 2 000 kips par famille, soit près de 10% du montant de la cotisation collectée) |
Les personnes couvertes par le NSSF adhèrent via leur employeur. Pas d’inscription requise pour le reste de la population. La présentation du livret de famille ou d’un autre document officiel sert à justifier l’identité du patient. |
Collecte des cotisations |
Les cotisation étaient collectées par des agents de terrain ou par le gestionnaire de l’agence d’assurance-maladie du district. Elles étaient perçues mensuellement mais les assurés étaient incités à verser plusieurs mois d’avance. Le montant était fixé en fonction de la taille du ménage, avec des réductions tarifaires pour familles nombreuses (célibataires, 2 à 4 personnes, 5 à 7 personnes et 8 personnes et plus). La cotisation s’élevait en moyenne à l’équivalent de quelque 5 dollars É.-U. par personne et par an. |
Les cotisations à la Caisse nationale de sécurité sociale sont prélevées mensuellement sur les salaires pour couvrir les frais de santé et les autres prestations de sécurité sociale. La part correspondant à la santé (1,25%) est versée à l’Agence nationale d’assurance-maladie. Le reste de la population ne paye pas de cotisations. Un copaiement est demandé au patient au moment de l’utilisation des services. |
Mutualisation du risque |
La mutualisation du risque se faisait au niveau du district, sans financement croisé entre districts. L’adhésion familiale des familles permettait de limiter un peu sélection adverse. |
Mutualisation du risque à plus grande échelle puisque le régime national d’assurance-maladie l’INSA couvre l’ensemble des ressortissants laotiens, à l’exception de la population de la préfecture de Vientiane. |
Paiement des prestataires |
Le comité de gestion et l’agence d’assurance-maladie du district concluaient et géraient les contrats avec les prestataires conventionnés, qu’il s’agisse de l’hôpital principal ou de l’hôpital de recours. Les comités de gestion central et provincial assistaient à la signature du contrat en tant que témoins. La capitation était le mode de paiement retenu à la fois pour les services de consultations externes et d’hospitalisation. La répartition de la capitation entre le prestataire principal et l’hôpital de recours se faisait selon les règles de l’AMBC et l’accord conclu entre les prestataires concernés avant la signature du contrat, notamment sur la capacité du prestataire principal. Le montant de la capitation dépendait des cotisations collectées, le régime prévoyant de verser à l’hôpital principal et à l’hôpital de recours 90 pour cent des cotisations collectées, les 10 pour cent restants servant à rémunérer les agents de collecte et à administrer l’AMBC au niveau du district. |
Pas de contractualisation avec les établissements de santé publique qui sont couverts de facto. La capitation est le mode de paiement retenu pour les soins ambulatoires. La capitation est calculée sur la base des fréquences de recours observées les années précédentes et est censée être ajustée pour tenir compte de l’inflation. Les montants varient selon le niveau de l’établissement. Le paiement par cas s’applique pour les services d’hospitalisation et certains soins ambulatoires tels que les actes de petite chirurgie et l’hémodialyse. Les montants varient selon le niveau de l’établissement (centre de santé, hôpital de district de catégorie A, hôpital de district de catégorie B, hôpital provincial et hôpital régional), mais sont identiques d’un bout à l’autre du pays. |
Organisation des soins |
Des soins primaires aux soins tertiaires, avec un système de filtrage. Les bénéficiaires étaient libres de choisir leur prestataire principal. Aucun copaiement n’était demandé au moment de l’utilisation des services. |
Des soins primaires aux soins tertiaires, avec un système de filtrage Les bénéficiaires sont libres de choisir leur prestataire principal. |
Traitement des demandes |
Le tiers payant s’appliquait. Les demandes de remboursement n’étaient pas examinées puisque les hôpitaux étaient payés par capitation. |
Le tiers payant s’applique. Les agences d’assurance-maladie à tous les niveaux, sous le contrôle du comité de gestion du NHI, examinent les demandes de remboursement et effectuent les paiements aux établissements. |
Règlement des litiges |
Les litiges étaient examinés par le référent prestations de l’hôpital puis par le comité de gestion de l’AMBC au niveau du district, puis par le comité de gestion de la préfecture de Vientiane, qui statue en dernière instance. |
Les litiges sont examinés par l’agence nationale d’assurance-maladie ou par le comité de gestion de l’assurance-maladie du niveau compétent. |
11.6. Leçons
En RDP lao, le régime d’assurance-maladie à base communautaire a constitué la première tentative de l’État pour fournir une protection sociale en santé aux ménages vivant de l’économie informelle (OIT, 2024). Même si régime n’a pas permis de parvenir à une couverture satisfaisante de la population en raison des limites inhérentes à sa conception (à savoir le caractère volontaire de l’adhésion), son bilan a joué un rôle déterminant dans la définition et la mise en œuvre ultérieures du régime national d’assurance-santé (NHI). L’AMBC a favorisé le recours aux services de santé et contribué à réduire les dépenses de santé à la charge du patient.
En outre, malgré le manque d’éléments probants, tout porte à croire que l’AMBC a contribué à renforcer les capacités à tous les niveaux, ce qui a facilité la mise en place du NHI. Par ailleurs, l’AMBC a sensibilisé les populations et les prestataires au principe et aux avantages de l’assurance-maladie, créant ainsi un terrain propice à l’extension du régime national d’assurance-maladie sur ces aspects de communication qui présentent souvent un défis (Chaleuvong K et al. 2020).
Les acquis de l’AMBC ont toutefois des limites. Du fait de son expansion et de son intégration très rapides, le régime national d’assurance-santé connaît des problèmes de capacités opérationnelles et institutionnelles, notamment au niveau des provinces et des districts. En outre, on ignore si le gouvernement pourra continuer à financer le NHI sur le budget de l’Etat. Les dotations actuelles ne permettent déjà pas de rémunérer les établissements de santé aux tarifs actuels, qu’il faudrait d’autre part augmenter pour mieux tenir compte des coûts réels et de l’inflation. La viabilité financière du régime repose essentiellement sur les finances publiques (OIT, 2021a et b).
Dans la préfecture de Vientiane, où le régime national d’assurance-santé n’a pas été déployé, l’AMBC constitue encore, avec le régime volontaire de la Caisse nationale de sécurité sociale, la seule solution pour bénéficier d’un certain niveau de protection financière contre le risque maladie. La couverture reste cependant très limitée (ministère de la Santé, présentation du Directeur Général de l’AMBC).
Références
ADB Institute (2019). Quality of health care in the Lao People’s Democratic Republic https://www.adb.org/sites/default/files/publication/515076/adbi-wp981.pdf
Alkenbrack, S. E. (2011) Health insurance in Lao PDR: examining enrolment, impacts, and the prospects for expansion. Thèse de doctorat, London School of Hygiene & Tropical Medicine. DOI: https://doi.org/10.17037/PUBS.01544173
Alkenbrack et al. (2013). Achieving universal health coverage through voluntary insurance: what can we learn from the experience of Lao PDR? https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3893613/
Banque mondiale (2010). Community-Based Health Insurance in Lao P.D.R. Understanding Enrollment and Impacts.
Bodhisane, S. (2019). Factors affecting the willingness to join community-based health insurance (CBHI) scheme: A case study survey from Savannakhet Province, Lao P.D.R https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30549109/
Chaleuvong, K. et al. (2020). Factors affecting knowledge of National Health Insurance Policy among out-patients in Lao PDR: an exit interview study https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7480647/
Ministère de la Santé, «Community Based Health Insurance Development in Lao PDR», présentation Powerpoint du Directeur AMBC. https://www.asean-ssa.org/files/ASSA%20Board%20Meeting/LAO%202008/Implementation%20experiences%20of%20Community%20Based%20Health%20Insurance%20(CBHI)%20Scheme%20in%20Lao%20PDR.pdf
NHIB (2017). Key features of social health protection in Lao PDR for the year 2016.
Organisation internationale du Travail, OIT (2021a). Social protection in action: building social protection floors for all: Country brief: Lao PDR https://www.social-protection.org/gimi/Media.action?id=18725
— (2021b). Extending social health protection: Accelerating progress towards Universal Health Coverage in Asia and the Pacific. https://www.ilo.org/publications/extending-social-health-protection-accelerating-progress-towards-universal-0
— (2024). Social Protection Floors in Action: 100 success stories to achieve Universal Social Protection and SDG 1.3.1. Moving towards universal social health protection in Lao PDR https://www.social-protection.org/gimi/Media.action?id=16917
République démocratique populaire lao, ministère de la Santé (2012). CBHI Annual data report 2011.
République démocratique populaire lao, ministère de la Santé, NHIB (2019). 10 Key features of SHP in Lao PDR for year 2018.
Sydavong et al. (2019). «Potential demand for voluntary community-based health insurance improvement in rural Lao People’s Democratic Republic: A randomized conjoint experiment». https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0210355
12. Mali
12.1. Contexte
Le processus de construction d’un système national d’assurance-maladie universelle a été amorcé durant les années 1990, puis a évolué au fur et à mesures des politiques et stratégies en lien avec la protection sociale, parmi lesquelles:
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La Politique nationale de solidarité (PNS) élaborée en 1993 promeut la création de nouveaux dispositifs dont les mutuelles de santé et de nouvelles structures dont le Fonds de Solidarité nationale, Caisse Nationale d’Assurance-maladie et l’Agence Nationale d’Assistance Médicale.
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La Déclaration de politique nationale de protection sociale (PNPS), adoptée en 2002, renforce les orientations de la PNS et jette les bases de l’architecture de la protection sociale en santé actuelle avec la création de l’Assurance-maladie obligatoire (AMO), le Régime d’assistance médicale (RAMED) et le renforcement du mouvement mutualiste.
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Le Plan d’Actions National d’Extension de la Protection Sociale (PAN-EPS) 2005-2009 qui se fonde sur la PNPS , vise l’extension progressive des champs d’application personnels et matériels de la protection sociale, avec pour objectifs de couvrir environ: 15 pour cent de la population par les régimes de sécurité sociale, et organiser une couverture santé pour 6 pour cent des personnes âgées, 3 pour cent de la population par les régimes de la mutualité et 5 pour cent de la population par le Fonds d’assistance médicale au profit des personnes indigentes. Ces objectifs n’ont été que partiellement atteints; le plan d’action a cependant permis l’adoption des textes sur l’AMO et le RAMED.
-
Le Plan d’actions national d’extension de la protection sociale (PAN/EPS) 2011-2015 a pour objectif est de contribuer au renforcement des systèmes existants et de réaliser une extension progressive des champs d’application des mécanismes contributifs et non contributifs de la protection sociale au Mali à l’horizon 2015. Un des résultats attendus de ce plan d’action est le développement de la mutualité et autres organisations basées sur la solidarité afin que les populations non couvertes par les régimes obligatoire bénéficient d’une couverture sociale de base.
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La Politique Nationale de Financement de la Santé pour la Régime d’Assurance-maladie Universelle (RAMU) 2014-2023.
-
L’adoption en 2011 de la Stratégie Nationale d’Extension de la Couverture Maladie par les mutuelles aux secteurs informel et rural (SNEM) 2011-2015, avec pour objectif l’extension de la couverture maladie aux secteurs agricole et informel par les mutuelles de santé.
-
Le Plan Décennal de Développement Sanitaire et Social (PDDSS) 2014-2023 qui souligne le faible taux de couverture attendue de l’AMO, des mutuelles et du RAMED et promeut des interventions énergiques pour le renforcement et l’extension de ces mécanismes, notamment la mise en place progressive d’un dispositif national adapté, cohérent et complet de gestion de l’assurance-maladie
A travers ce processus, le Mali a mis en place en 2009 un premier système fondé sur:
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Un régime d’Assurance-maladie obligatoire (AMO) 87 pour les fonctionnaires, les travailleurs, les députés, les retraités et leurs ayants droits, géré par la Caisse nationale d’assurance-maladie (CANAM) 88.
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Un régime d’assistance médicale (RAMED), géré par l’Agence Nationale d’Assistance Médicale (ANAM) 89, pour les indigents et autres bénéficiaires de droit.
-
Parallèlement, la stratégie nationale de développement des mutuelles adoptée en 2011 devait permettre de promouvoir l’extension d’un régime d’Assurance-maladie volontaire (AMV) pour les population du secteur informel et du monde agricole..
Des analyses menées à partir de 2012, dans le cadre de l’élaboration des politiques et plan nationaux, ont mis en exergue plusieurs difficultés rencontrées notamment par l’AMO. Celle-ci s’est en effet confrontée à des réticences importantes des travailleurs du secteur formel motivées par la méfiance des travailleurs vis-à-vis de la capacité gestionnaire de la CANAM, le manque de communication de celle-ci vers les bénéficiaires potentiels ainsi que de la faible qualité des prestations servies dans les formations sanitaires publiques conventionnées. Fin 2012, l’AMO ne couvrait qu’environ 30 pour cent de sa population cible. Le RAMED en 2013 ne couvrait que 0,2 pour cent de sa population cible, en raison principalement d’une faible coordination entre l’ANAM et les structures déconcentrées en charge de l’indigence. Le nombre de mutuelles a sensiblement augmenté avec la mise en œuvre de la stratégie de développement de 2011 mais le taux de pénétration n’est passé que de 3,7 pour cent en 2011 à 4,47 pour cent en 2014 de la population nationale, soit très en dessous des résultats attendus (Louis dit Guérin, 2014). Ces analyses ont de plus souligné la fragmentation de ce schéma sans complémentarité ni cohérence entre les différents régimes, et une disparité de services couverts, ainsi qu’avec les différents programmes de gratuité (femmes enceintes, enfants, etc.).
Sur la base de ces constats, le ministère de la Solidarité et de l’Action humanitaire a engagé en 2015 un processus de réforme de ce système. Ce processus a été conduit par un comité de réflexion et de suivi de l’opérationnalisation de la couverture maladie universelle au Mali 90, avec en son sein un groupe d’experts chargés d’animer les travaux et de produire les instruments nécessaires à l’instauration de la couverture maladie universelle en 2018 et son opérationnalisation d’ici à 2019. Différentes études et concertations ont été menées pour la définition du paquet de soins de la couverture universelle, l’élaboration d’une stratégie de financement et l’identification de l’architecture de l’AMU. Elles ont abouti à l’adoption de la loi n°2018-074 portant institution du Régime d’Assurance-maladie Universelle (RAMU) par l’Assemblée nationale, le 13 décembre 2018 et sa promulgation le 31 décembre 2018 (Diarra, 2021).
En 2022, le RAMU n’est pas encore opérationnel et le système national de protection sociale en santé reste celui mis en place depuis les années 2000 avec l’AMO, le RAMED et les mutuelles de santé. Les lignes suivantes décrivent par conséquent le schéma prévu dans le cadre du RAMU, dans l’attente de son opérationnalisation.
12.2. Le système national de protection sociale en santé
Gouvernance
La réforme du système national de protection sociale en santé entamée en 2015 vise à rassembler les dispositifs mis en place dans les années 2000, afin d’offrir à l’ensemble de la population malienne un régime d’assurance-maladie unique qui couvrira toutes les catégories sociales par des mécanismes plus adaptés.
Pour atteindre cet objectif, cette réforme confie la gestion du RAMU à la CANAM, en se basant sur son expérience dans la gestion d’un Régime Public d’assurance-maladie et en la réorganisant afin d’étendre ses missions à la couverture des populations des secteurs agricole et informel, qui pourront s’affilier par le biais des mutuelles sociales, et aux bénéficiaires du RAMED. Dans ce nouveau schéma, La CANAM délègue une partie de ses compétences à des organismes de gestion déléguée (OGD):
-
l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS) pour les salariés. On notera ici que l’État malien a institué l’assurance volontaire à certains régimes de prévoyance sociale gérés par l’INPS 91 en faveur des membres non-salariés des professions libérales, artisanales, commerciales et industrielles. Ceux-ci peuvent s’assurer aux régimes gérés par l’INPS, incluant les prestations familiales, l’assurance vieillesse, invalidité et décès et l’assurance-maladie obligatoire;
-
la Caisse Malienne de Sécurité Sociale (CMSS) pour les fonctionnaires et assimilés, et
-
la mutualité, au travers d’un contrat avec l’Union Technique de la Mutualité Malienne (UTM) ou d’autres faitières de mutuelles, pour le secteur agricole et informel ainsi que les bénéficiaires du RAMED.
Populations couvertes
L’objectif fixé pour le RAMU par le PDDSS 2014-2023 est la couverture de 45 pour cent de la population totale du Mali en 2023. Le tableau suivant montre que la couverture progresse mais reste encore en loin de cet objectif. Il faut de plus noter que ces chiffres portent sur les populations enregistrées dans les différents régimes et enrôlées dans le RAMU à partir de 2018. Ces chiffres ne reflètent pas le nombre d’individus effectivement assurés et couvert par le RAMU, tous n’étant pas nécessairement à jour de cotisation.
Population couverte
2012 (1) |
2015 (2) |
2018 (3) |
2021 (4) |
|
Population totale |
15,98 |
17,44 |
19,08 |
21,11 |
AMO |
557.082 |
721.394 |
||
Mutuelles sociales |
375.496 (a) |
490.000 (b) |
||
RAMED |
1.526 |
40.636 (c) |
||
Population couverte |
934.104 |
1.252.030 |
2.200.000 |
5.911.360 (d) |
Taux de couverture |
5,8% |
7,2% |
11,5 |
28,0% |
Notes: (a) En 2010; (b) Estimation sur la base du nombre de bénéficiaires fin 2014 et en 2016; (c) En 2015, 153 942 bénéficiaires du Programme de filets sociaux étaient également en cours d’immatriculation au RAMED; (d) Ce chiffre inclut les sociétés d’assurance privées
Sources: (1) Louis dit Guerin, 2014; (2) Louis dit Guerin, 2018; (3) Ministère de la Solidarité et de l’Action Humanitaire, 2018; (4) Ouédraogo, 2022
Panier de soins
Le cadre du panier de soins couvert par le RAMU est fixé par la loi n°2018-074.
-
Article 17: Le régime d’assurance-maladie universelle donne droit à la prise en charge directe des frais de soins curatifs, préventifs et de réhabilitation, les médicalement requis par l’état de santé ou par la maternité des bénéficiaires. Les conditions et les modalités de prise en charge directe des frais de soins de santé sont déterminées par décret pris en Conseil des Ministres.
-
Article 21: Le régime d’assurance-maladie universelle donne droit à la prise en charge directe d’une partie des frais de soins de santé par l’organisme de gestion, l’autre partie restant à la charge de l’assuré. Toutefois, le RAMU donne droit à une prise en charge totale des frais de soins de santé pour les personnes éligibles au régime d’assistance médicale.
Le régime de base offert par le RAMU n’est pas encore effectif. Il est prévu de l’aligner sur celui de l’AMO; la prise en charge des médicaments sera limitée à ceux génériques et essentiels uniquement. Les prestations actuellement couvertes par l’AMO comprennent les soins préventifs et curatifs: les actes de médecine générale et de spécialités médicales et chirurgicales; les soins relatifs au suivi de la grossesse, à l’accouchement et à ses suites; les soins liés à l’hospitalisation et aux interventions chirurgicales; les analyses de biologie médicale; la radiologie et l’imagerie médicale ainsi que les médicaments. Sont exclues différentes prestation telles que la chirurgie esthétique, la lunetterie, les prothèses dentaires et toutes autres prestations non prévues par la nomenclature des actes médicaux et les médicaments établie par les Ministres chargés de la Santé et de la protection sociale.
Les prestations de l’AMO sont accessibles uniquement auprès d’un réseau de prestataires de santé conventionnés par la CANAM qui comprend les structures sanitaires publiques, communautaires et privées; les laboratoires d’analyses médicales; les professions infirmières, de sage-femmes et autres spécialités paramédicales; les dentistes; les médecins libéraux et les pharmacies d’officine.
Ces prestations couvertes sont prises en charge par tiers-payant, avec un taux de prise en charge de:
-
80 pour cent des frais de soins en cas d’hospitalisation (tous les soins effectués lorsque que le bénéficiaire est hospitalisé);
-
70 pour cent des frais de soins en ambulatoire (tous les soins effectués hors hospitalisation); et
-
le taux de prise en charge reste à 100 pour cent pour les personnes éligible au RAMED de même que pour les services couverts par les programmes actuels de gratuité (césariennes et enfants de 0-5ans) ainsi que les différents mécanismes catégoriels ou liés à la prise en charge de certaines pathologies qui seront gérés par le RAMU.
Financement
Le RAMU combine:
-
Un régime contributif avec cotisations assises sur les traitements des fonctionnaires civils et militaires, les salaires des travailleurs et les indemnités des députés. Ces contributions en pourcentage des revenus soumis à cotisations sont fixées actuellement dans l’AMO à:
-
4,48 pour cent à la charge de l’État ou de la collectivité territoriale en qualité d’employeur;
-
3,06 pour cent à la charge des personnels salariés en activité et 3,50 pour cent à la charge des employeurs du secteur privé;
-
0,75 pour cent à la charge des pensionnés.
-
-
Un régime semi-contributif pour les populations du secteur informel et du monde agricole qui s’affilient au RAMU par le biais des mutuelles et dont les cotisations sont prises en charge à 50 pour cent par l’État. Une étude actuarielle réalisée en 2016 estimait la cotisation à 6 600 FCFA par an et par bénéficiaire (Letourmy, 2014).
-
Un régime non contributif pour les populations actuellement éligibles au RAMED. Ce régime est financé le budget d’État 65 pour cent et les collectivités territoriales à hauteur de 35 pour cent.
Selon les prévision de la politique de financement de la santé, l’État devra débourser une subvention de 83 milliards de FCFA d’ici 2023 pour atteindre l’objectif de 45 pour cent de la population totale couverte afin de cofinancer les cotisations de l’économie informelle et de financer la couverture des populations pauvres (Ouattara et Ndiaye, 2017).
12.3. Les mutuelles de santé
Les mutuelles de santé ont connu un essor important au Mali à partir des années 1990, avec des étapes importantes telles que:
-
L’adoption de la loi 96-022 du 21 février 1996 régissant la mutualité en République du Mali et ses textes d’application: le décret 96-136/PRM du 2 mai 1996 fixant les conditions de placement et de dépôt des fonds des mutuelles, le décret 96 –137/PRM du 2 mai 1996 établissant les statuts types des mutuelles, union et fédération de mutuelles et l’arrêté interministériel 97 – MSSPA/MATTS – SG du 2 avril 1997 déterminant les procédures d’agrément des mutuelles.
-
La création de l’Union technique de la mutualité (UTM) en 1998 dans le cadre d’une convention Mali-France sur la mutualité de santé. L’UTM est une structure faîtière dotée d’une double mission:
-
technique, à travers la promotion des mutuelles de santé rurales et urbaines; et
-
politique en tant que structure faitière qui joue un rôle d’intermédiation. L’UTM intervient auprès du gouvernement et des bailleurs de fonds dans les réflexions portant sur la mise en place de régimes d’assurance-maladie à l’échelle nationale.
-
-
La Stratégie Nationale d’Extension de la Couverture Maladie par les mutuelles aux secteurs informel et rural (SNEM) 2011-2015 adopté en 2011 visait notamment à promouvoir les mutuelles de santé dans les communes, avec un objectif de 351 mutuelles à l’issue d’une phase pilote de 3 ans ainsi qu’à améliorer la qualité des prestations offertes par les mutuelles de santé et à structurer le mouvement au niveau national. La SNEM a également institué le cofinancement de 50 pour cent de la cotisation des mutualistes par l’État.
-
La création de l’Agence malienne de la Mutualité sociale (AMAMUS) 92 en 2019, conformément au Règlement n°07/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant réglementation de la mutualité sociale au sein de I’UEMOA. L’AMAMUS est chargée de l’instruction des dossiers d’agrément et de la tenue du registre d’immatriculation des mutuelles sociales et des faîtières. L’AMAMUS participe également à la promotion des mutuelles et aux activités de communication et de renforcement des capacité des acteurs mutualistes dans le cadre du RAMU.
Différents types de mutuelles sociales composent aujourd’hui le paysage de la mutualité au Mali:
-
des mutuelles communautaires - de village, d’aires de santé et plus récemment de communes rurales;
-
des mutuelles interprofessionnelles - dans les capitales régionales et certaines villes secondaires; et
-
des mutuelles professionnelles d’envergure nationale.
Les deux premières catégories sont directement concernées par le déploiement du RAMU (les mutuelles professionnelles ne couvrent généralement pas la santé et offrent des prestations relatives à la retraite ou au décès). Les mutuelles communautaires et celles interprofessionnelles résultent de la stratégie développée par l’UTM, avec deux approches:
-
Assurance-maladie volontaire (AMV) en milieu urbain et semi-urbain: l’UTM a lancé en 2000 un produit santé unique pour les mutuelles, dites interprofessionnelles, membres de l’union, intervenant en milieu urbain (notamment Bamako, Kayes et Sikasso) et ciblant les populations du secteur informel. La gestion technique de ce produit est assurée par l’UTM qui effectue l’immatriculation des bénéficiaires, le recouvrement des cotisations et le paiement des prestataires de soins. L’UTM négocie les conventions (qui comprennent les critères de qualité) directement avec les prestataires de services de santé, les centres de santé et les hôpitaux. Le rôle des mutuelles se focalise sur l’enrôlement des bénéficiaires, l’information des adhérents et la participation à l’évaluation des services de santé couverts en faisant remonter vers l’UTM les informations relatives à l’accueil et la prise en charge des bénéficiaires dans les structures sanitaires conventionnées.
-
L’AMV prend en charge à 75 pour cent, par tiers-payant, les prestations en ambulatoire et en hospitalisation dans les structures sanitaires communautaires et publiques (centres de santé communautaires, centres de santé de référence, hôpitaux et établissement spécialisés publics) et les pharmacies conventionnées, moyennant une cotisation de 575 FCFA par mois et par bénéficiaire. Une seconde garantie élargie cette couverture aux prestataires de soins privés et à des services spécialisés, avec une cotisation 10 fois supérieure. L’adhésion à ce produit est particulièrement faible (Louis dit Guerin, 2018).
-
Une approche rurale s’adressant à une population plus démunie avec un appui à la promotion de mutuelles communales, dont le concept est issu de la SNEM et qui sont mises en œuvre par des ONG, des organisations locales ou encore des associations de santé communautaires. Ces mutuelles offrent différentes prestations à leurs membres, tenant compte des réalités spécifiques des populations cibles, avec une couverture souvent limitée aux soins de santé primaires et à 50 pour cent des dépenses de santé.
Le nombre de mutuelles de santé évolue progressivement et de façon très inégale sur le territoire, passant de 143 mutuelles en 2010 à 174 en 2014 et 197 en 2017 dont 110 membres de l’UTM, y inclus 23 mutuelles interprofessionnelles. Plus de 220 mutuelles étaient comptabilisées en 2019 avec une couverture estimée à 4 pour cent de la population du Mali (Sissouma, 2019)
Une base de données de la DNPSES, portant sur 161 mutuelles renseignées en 2016 et incluant les mutuelles membres de l’UTM et d’autres non-membres, permet de dresser profil de ces mutuelles de santé.
Indicateurs de suivi des mutuelles de santé, 2016
Nombre d’adhérents inscrits |
112 284 |
Hommes |
69% |
Femmes |
31% |
Proportion d’adhérents non-salariés |
73% |
Proportion d’adhérents salariés |
27% |
Nombre de bénéficiaires inscrits |
307 154 |
Hommes |
87% |
Femmes |
13% |
Nombre d’adhérents à jours de cotisation |
59 422 |
Nombre de bénéficiaires à jour de cotisation |
140 323 |
Montant moyen de cotisation annuel |
3 700 FCFA/bénéficiaire |
Montant moyen de cotisation mensuel |
300 FCFA/bénéficiaire |
Montant de cotisations attendues |
2 377 millions FCFA |
Montant de cotisations perçues |
1 424 millions FCFA |
Taux moyen de recouvrement |
60% |
Proportion de bénéficiaires en cours de droit |
46% |
Taille moyenne des ménages inscrits |
2,7 personnes |
Taille moyenne des ménages en cours de droit |
2,4 personnes |
Source: Calculs à partir de la base de données de la DNPSES (Louis dit Guerin, 2018)
12.4. La délégation de gestion prévue dans le cadre du RAMU
Cadre légal
En juillet 2021, le Conseil national de transition a adopté le projet de loi modifiant la loi n°09-016 du 26 juin 2009 portant création de la CANAM. Celle-ci devient ainsi l’organe de gestion du RAMU avec la capacité de déléguer, sous son contrôle, certaines compétences à des organismes de gestion déléguée (OGD).
Une convention de gestion 93 précise selon le besoin les fonctions qui sont déléguées pour chaque organisme de gestion déléguée. Elle s’accompagne d’un contrat d’obligation et des protocoles d’encadrement conclu entre la CANAM et les OGD qui fixe le détail des devoirs et obligations de chaque partie. En contrepartie de leurs obligations, les OGD reçoivent une dotation administrative destinée aux frais de fonctionnement et une dotation technique destinée au paiement des prestations.
La délégation de gestion a été expérimentée par la CANAM, en partenariat avec l’INPS et la CMSS , dans le cadre de l’Assurance-maladie Obligatoire. Avec le RAMU, cette délégation doit être étendue à deux nouvelles OGD, l’Union Technique de la Mutualité (UTM) et l’Agence Nationale d’Assistance Médicale (ANAM).
L’objectif recherché est la gestion efficiente des ressources et l’utilisation de l’expérience acquise par chaque OGD dans la gestion de leurs populations cibles.
Populations cibles
L’article 9 de la loi n°2018-074 assujettit au régime toute personne physique résidant au Mali et toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui emploie au moins un travailleur salarié au sens de la législation en vigueur. Les organismes gérant des régimes publics de pensions et les organisations mutualistes sont assimilés aux employeurs assujettis au régime d’assurance-maladie universelle.
Chaque OGD est en charge d’un groupe cible spécifique dans le RAMU:
-
L’INPS et la CMSS pour l’AMO pour le secteur formel qui couvre les fonctionnaires actifs ou retraités, les salariés régis par le code du travail en activité ou à la retraite, les employeurs des secteurs public et privé, les parlementaires en activité ou à la retraite et leurs ayants-droits, ce qui regroupe environ 17 pour cent de la population nationale.
-
Les mutuelles sociales pour les acteurs du secteur informel, du monde agricole et des professions libérales organisées, soit 78 pour cent de la population.
-
Le RAMED pour les indigents, les bénéficiaires du Programme de filets sociaux, les orphelins, les prisonniers, les victimes de catastrophes, les blessés de guerre, les personnes sans domicile fixe et autres bénéficiaires de droit, soit 5 pour cent de la population nationale.
-
Au sein de ce système, la mission du mouvement mutualiste est particulièrement importante et ambitieuse puisque les mutuelles de santé doivent couvrir 78 pour cent de la population malienne du secteur informel et du monde rural, voire 83 pour cent si la couverture des populations éligibles au RAMED leur revient également.
Fonctions déléguées
Le schéma du RAMU réparti les fonctions entre la CANAM et les OGD. Dans ce schéma, la CANAM alloue aux OGD des dotations couvrant leurs dépenses de prestations et de gestion courante.
La CANAM conserve sous sa responsabilité:
-
la définition du panier de soins;
-
l’enrôlement final des assurés et ayants-droits. À ce titre, celle-ci déploie un réseau informatisé de bornes et de sites d’enrôlement sur l’ensemble du territoire qui assure l’immatriculation, l’enrôlement et la délivrance des cartes des assurés;
-
l’élaboration des référentiels et des procédures de gestion du RAMU;
-
la mutualisation des ressources et des risques;
-
la contractualisation avec les prestataires de soins;
-
le contrôle médical; et
-
l’appui, le suivi et le contrôle des OGD.
Les fonctions déléguées aux OGD, notamment aux mutuelles de santé, portent sur:
-
les actions de promotion du RAMU. Dans ce cadre, l’UTM développe des support de communication et marketing pour les mutuelles;
-
les opérations de pré-enrôlement des assurés et membres de leur famille au sein de leur groupe cible;
-
le recouvrement des cotisations et le reversement à la CANAM;
-
la liquidation des feuilles de soins et le paiement des prestataires conventionnés. Les OGD, notamment les mutuelles, reçoivent une dotation technique et sont en charge d’un premier niveau de contrôle des factures des assurés et du remboursement des prestataires de soins;
-
le suivi de la mise en œuvre des conventions avec les prestataires de soins; et
-
le contrôle social de la gouvernance du RAMU.
Répartition des fonctions prévue par la convention entre la CANAM et les OGD
Fonctions |
Répartition |
|
CNAMU |
OGD |
|
Définition du panier de soins |
X |
|
Conventions |
X |
Suivi mise en œuvre |
Education et promotion |
X |
|
Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
Pré-enrôlement |
Recouvrement des cotisations |
X |
|
Mobilisation des ressources |
X |
|
Mise en commun des risques couverts |
X |
|
paiement des prestations |
X |
|
Prestations de services de santé |
||
Suivi et pilotage |
X |
X |
12.5. Impact et leçons
Le RAMU n’est pas encore opérationnel en 2022, mais des leçons peuvent être tirées déjà des fonctions déléguées à l’INPS et à la CMSS par la CANAM dans le cadre de l’AMO, depuis 2009. En effet, plusieurs difficultés ont été constatées concernant le respect des obligations des OGD et l’absence d’application par la CANAM des pénalités prévues, notamment concernant:
-
le reversement à la CANAM de l’intégralité des cotisation collectées et le respect des délais de reversement;
-
la faible implication dans la collecte des dossiers des assurés en vue de leur immatriculation (pré-enrôlement);
-
la justification auprès de la CANAM des montants reçus par les OGD dans le cadre des dotations de fonctionnement; et
-
le non-respect des directives de la CANAM en matière de liquidation des feuilles de soins, surtout en ce qui concerne le contrôle du respect par les prestataires de soins des tarifs conventionnés
Les défis à relever par le RAMU en matière d’appropriation du processus par les acteurs à tous les niveaux et de gestion technique de l’assurance sont importants, d’autant plus que le nombre d’OGD sera augmenté avec les mutuelles de santé.
Ces dernières constituent un autre défi. Elles devront en effet, dans le cadre du RAMU, assurer la couverture des populations du secteur informel et du monde agricole, soit 78 pour cent de la population nationale, voire 83 pour cent avec la couverture des personnes éligibles au RAMED. Pourtant, le déploiement des mutuelles sur le territoire national reste encore limité et inégalement réparti, surtout dans le contexte sécuritaire actuel, et leur couverture est faible.
Pour l’UTM et les mutuelles, le RAMU est présenté comme une opportunité notamment parce que le panier de soins, qui devrait être proche de celui-actuellement couvert par l’AMO, est plus étendu que la couverture offerte par les mutuelles. Avec une couverture plus importante et partiellement subventionnée par l’État, l’adhésion aux mutuelles pourrait donc être plus attractive.
Il reste cependant que des solutions devront être trouvées afin d’accroitre le rythme de développement de ces mutuelles et au renforcement de leurs capacités. Par ailleurs, cette approche pose la question de la démultiplication des mutuelles de santé, notamment rurales. On peut en effet noter à travers les autres études de cas que la tendance des pays observés est à la diminution du nombre de mutuelles, face à la difficulté, voire l’incapacité, d’appuyer techniquement, de développer des capacités de gestion, de viabiliser et de contrôler un nombre important d’organisations éparpillées sur tout un territoire national. Dans le cadre spécifique du Mali, il revient à l’UTM d’assurer la promotion de ces mutuelles, ce qui interroge également la capacité de l’union technique à atteindre l’objectif de couverture du pays. A cette question s’ajoute celle du contexte sécuritaire. Enfin, une autre leçon tirée des pays de la région est la faible appropriation des mutuelles communautaires/communales par les communautés cibles, surtout lorsque l’initiative des mutuelles vient de l’extérieur de la communauté.
Références
Diarra M. (2021). «Régime de protection sociale au Mali : Des précisions sur les avancées dans le processus d’opérationnalisation du RAMU». Fasomali.com, 9 juin 2021. https://fasomali.com/regime-de-protection-sociale-au-mali-des-precisions-sur-les-avancees-dans-le-processus-doperationnalisation-du-ramu/.URL: https://fasomali.com/regime-de-protection-sociale-au-mali-des-precisions-sur-les-avancees-dans-le-processus-doperationnalisation-du-ramu/
Letourmy A. (2014). «Développement d’un Panier de Soins de Base Au Mali, Bamako». Ministère de la Solidarité, l’Action humanitaire et la Reconstruction du Nord, 2014.
Louis dit Guérin O. (2014). «Examiner et évaluer le potentiel des mutuelles de santé en Afrique de l’Ouest, Revue du Mali», UNHCR, septembre 2014
— (2018) «Etude comparative sur la Protection Sociale au Mali, en Mauritanie et au Sénégal (draft), Programme de Coopération Sud-Sud pour les Pays d’Afrique dans le domaine du Dialogue Social», OIT Alger, juillet 2018.
Ndiaye P. et Ouattara O. (2017). «Potentiel des mutuelles de santé à la mise en œuvre de la Couverture maladie Universelle au Mali et au Sénégal», MASMUT, juin 2017. https://bit.ly/3guBo0a.
Ouédraogo P. (2022). «MALI : L’opérationnalisation du RAMU en marche!» P4H, 25 janvier 2022. https://p4h.world/fr/node/12410.
Sissouma I. (2019). «La délégation de gestion dans le cadre du RAMU vue par la mutualité», présentation PowerPoint, 2019.
Autres documents consultés
Deville C., Hane F., Ridde V. et Touré L. (2018). «La Couverture universelle en santé au Sahel : la situation au Mali et au Sénégal en 2018», document de travail du Ceped, n° 40, Ceped, octobre 2018.
Ridde V., Antwi A., Boidin B., Chemouni B., Hane F. et Touré L. (2021). «Les défis des mutuelles communautaires en Afrique de l’Ouest». Vers une couverture sanitaire universelle en 2030? Editions science et bien Commun: 2021.
Sorro M. (2015). «Mise en œuvre de la Couverture Maladie Universelle (CMU) dans le contexte du Règlement communautaire de la mutualité de l’UEMOA». Mémoire pour le Master 2 professionnel de Droit Gouvernance mutualiste, Université Versailles St-Quentin-en-Yvelines, 2015.
Traoré S. (2019). «Le régime d’assurance-maladie universelle au Mali et la délégation de gestion». Présentation PowerPoint.
13. Maroc
13.1. Contexte
La mise en œuvre d’une couverture santé pour tous au Maroc est le fruit d’un long processus entamé dans les années 90. Lors du discours du trône en 1993, Sa Majesté le Roi Hassan II annonçait les principes de la couverture maladie de base.
En 1995, le gouvernement approuvait un premier projet de loi instaurant l’AMO qui a cependant été abandonné car il ne s’adressait qu'à environ 16 pour cent de la population à savoir les fonctionnaires, les salariés du secteur privé ainsi que les retraités et excluait la prise en charge des indigents. Ce projet a par la suite été repris par une commission interministérielle sur la couverture médicale, issue du dialogue social, et a abouti à l’adoption en 2002 de la loi n° 65-00 portant code de la couverture médicale de base94 (CMB) qui institue deux régimes:
-
L’Assurance-maladie Obligatoire (AMO) fondée sur le principe contributif et sur celui de la mutualisation des risques au profit de la population solvable, à savoir les salariés du secteur formel public et privé, ainsi que les travailleurs non salariés. L’AMO est entrée en vigueur le 18 août 2005, sa gestion a été confiée à deux caisses d’assurance-maladie mandatées de sa gestion: la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS) et la Caisse Nationale de sécurité Sociale (CNSS).
-
le Régime de l’Assistance Médicale (RAMED) fondé sur les principes de l’assistance sociale et de la solidarité nationale au profit de la population des démunis. Le RAMED a fait l’objet d’une expérimentation dans la région de Tadla-Azilal en 2008 puis a été généralisé en 2012
La loi 65-00 est également à l’origine de la création de l’Agence Nationale de l’Assurance-maladie (ANAM) sous la forme d’un établissement public doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, en 2005. L’ANAM a pour missions principales la régulation et l’encadrement t du régime de l’Assurance-maladie Obligatoire (AMO), notamment de la CNSS et de la CNOPS auxquelles la gestion de l’AMO est délégué. Depuis 2012, l’ANAMgère les ressources du Régime d’Assistance Médicale (RAMED). Elle veille globalement au respect des dispositions de la loi régissant la CMB.
Suite à la nouvelle Constitution promulguée en 2011 qui affirme dans son article 31 le «droit aux soins de santé, à la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisée par l’État», un processus de réforme de la couverture médicale a été lancé par le Chef du gouvernement en octobre 2013 afin d’étendre la couverture médicale de base aux catégories de la population non encore couvertes. Des réflexions ont été ainsi menées de 2013 à 2017 dans le cadre de cette réforme et ont abouti à (CESE, 2018):
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Le choix de l’ANAM en tant qu’entité chargée du pilotage de l’unité d’évaluation et du suivi en décembre 2014.
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L’adoption en juillet 2015 de la loi 116-12 95 relative à l’assurance-maladie des étudiants, dont la couverture est gérée par la CNOPS;
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L’examen en mars 2016 de la proposition de couverture des ascendants qui devait concerner dans un premier temps les parents des assurés du secteur public. Dans ce sens, un avant-projet de loi 63.16 modifiant et complétant la loi 65.00 est soumis depuis 2017 par le gouvernement mais toujours en attente d’adoption par le parlement.
-
L’adoption en juin 2017 par le parlement de la loi 98-15 96 relative au régime de couverture maladie au profit des travailleurs indépendants et des personnes non salariées exerçant une activité libérale, appelée Assurance-maladie des indépendants (AMI).
Un projet de révision du cadre juridique de la CNOPS a été lancé en 2016 et a abouti à l’adoption du décret-loi n° 2-18-781 portant création de la Caisse marocaine de l’assurance-maladie (CMAM) 97 publié le 11 octobre 2018. la CMAM est un établissement public qui remplace la CNOPS dans son mandat d’Assurance-maladie Obligatoire.
La réforme entamée en 2013 est poursuivie dans les priorités du Programme du Gouvernement 2017-2021, avec une dynamique importante insufflée lors du discours du trône en 2020 par le roi Mohammed VI, annonçant l’extension l’assurance-maladie obligatoire à 22 millions de bénéficiaires supplémentaires (dont 11 millions de travailleurs non salariés et 11 millions de bénéficiaires actuels du RAMED qui devraient tous basculer vers l’AMO)d’ici à la fin de l’année 2022. Ceux-ci viendront s’ajouter aux 11,17 millions de bénéficiaires déjà couverts par l’AMO en 2020 (El Haïti, 2021). Dans ce sens, le Maroc a adopté en 2021 la loi-cadre n° 09.21 relative à la protection sociale 98. Celle-ci étend la couverture de l’AMO et les mêmes droits et paniers de soins que les travailleurs du secteur privé aux travailleurs indépendants (commerçants, artisans, agriculteurs, professionnels libéraux et autres dirigeants d’entreprise libérale). Cette loi-cadre marque l’entrée en vigueur en décembre 2021 de la loi 98-15 adoptée en 2017.
13.2. Le système nationale de protection sociale en santé
Architecture et gouvernance
A l’issue du processus entamé depuis les années 90, la couverture médicale de base, instaurée par la loi n° 65-00 de 2002, est assurée à travers un système contributif et un système non contributif qui regroupent cinq régimes:
-
Le système contributif
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Le régime des salariés et retraités du secteur privé (AMO-Privé), géré par la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale (CNSS), couvre les salariés et retraités du secteur privé et leurs ayants droit (conjoints, enfants de l’assuré, enfants handicapés à charge).
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Le régime des employés et titulaires de pension du secteur public (AMO-Public), géré par la Caisse Nationale des Organismes de la Prévoyance Sociale (CNOPS), couvre les employés et titulaires de pensions du secteur public et leurs ayants droit (conjoints, enfants de l’assuré, enfants handicapés à charge).
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Le régime (contributif) des étudiants (AMO-Etudiants) géré par la CNOPS, pour les étudiants post baccalauréat des établissements publics/privés âgés de moins de 30 ans au moment de l’inscription et qui ne sont pas couverts par d’autres régimes d’assurance médicale de base. Ce régime est contributif pour les étudiants inscrits aux établissements d’enseignement supérieur ou de formation professionnelle du secteur privé ainsi que ceux inscrits aux formations payantes proposées par des établissements publics d’enseignement supérieur ou de formation professionnelle ou par des établissements relevant d’un département ministériel ou sous sa tutelle.
-
Le régime des indépendants et professions libérales (AMO-TNS) pour les travailleurs non salariés (TNS) et géré par la CNSS. Le déploiement de ce régime repose sur le principe de progressivité avec une catégorisation des groupes cibles et un calendrier prévoyant dans un premier temps la couverture des commerçants, des professionnels et artisans assujettis au régime de Contribution Professionnelle Unique (CPU), des commerçants et artisans tenant une comptabilité ainsi que certains professionnels déjà organisés et disposant d’organes représentatifs (pharmaciens, prestataires de soins, architectes, avocats, notaires, professionnels du transport, autoentrepreneurs, etc.). Dans un second temps, les autres catégories socioprofessionnelles seront intégrées au fur et à mesure qu’elles disposeront d’une représentation professionnelle et seront organisées, avec des modalités de gestion technique (affiliation, recouvrement, etc.) définies.
-
-
Le système non contributif
-
Le régime (non contributif) des étudiants (AMO-Etudiants): Les cotisations des étudiants qui ne relèvent pas du régime contributif de l’AMO-Etudiants sont prises en charge par l’État marocain conformément à la loi 116-12. Il s’agit des étudiants inscrits aux établissements d’enseignement supérieur ou de formation professionnelle du secteur public. La loi 116-12 prévoit cependant la possibilité pour ce régime d’évolué en système contributif à l’avenir pour tous ces étudiants.
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Le Régime d’Assistance Médicale aux économiquement Démunis (RAMED) fondé sur les principes de l’assistance sociale et de la solidarité nationale au profit de la population démunie. Le RAMED est géré par l’Agence Nationale pour l’Assurance-maladie (ANAM), conjointement avec le ministère de la Santé, le ministère de l’Intérieur et le ministère de l’Economie et des Finances.
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S’ajoute aux mécanismes non contributifs, la couverture médicale des anciennes victimes des violation graves des droit de l’Homme (entre 1956 et 1989): depuis 2009, dans le cadre d’une convention tripartite avec la CNOPS et le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), l’État prend en charge les frais d’adhésion à la CNOPS qui assure une couverture identique à celle de l’AMO-Public (AMO-CNDH). De même, la prise en charge de certaines catégories de population, notamment les imams et prêcheurs de mosquées, les auxiliaires des autorités et les anciens combattants et membres de l’Armée populaire de libération, est assurée par l’État qui souscrit des contrats auprès d’assurances privées pour une couverture identique à celle de l’AMO-Public.
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Parallèlement à la Couverture médicale de base, certains travailleurs restent couverts par des sociétés mutualistes et des contrats d’assurance individuelle ou d’assurance de groupe. L’article 114 de la loi n°65-00 de 2002 accordait un délai transitoire de cinq ans renouvelable, pour basculer vers l’AMO aux employeurs qui avaient souscrit des contrats auprès de compagnies d’assurance privées avant l’entrée en vigueur de la loi. Ce délai devait permettre aux employeurs concernés et à leurs assureurs notamment, les compagnies d’assurances, privées et mutuelles, de se préparer convenablement au basculement (Haddougui, 2017). Cependant, le statu quo se poursuivait toujours en 2020 et environ 400.000 salariés continuent d’être couverts par des compagnies d’assurance privées, cette situation résultant d’un flou dans la mise en application des textes et de la réticence des compagnies privées. Parmi les pistes de résolution de ce blocage, les assureurs privés pourraient se voir déléguer par la CNSS la gestion des prestations de l’AMO (Vie éco, 2012) (CESE, 2018).Les dispositifs au sein de la Couverture médicale de base interviennent sous le contrôle de l’Agence Nationale de l’Assurance-maladie (ANAM), qui est un établissement public doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière. L’ANAM a été créée en 2005 pour veiller à la bonne application de la loi no 65-00 et au bon fonctionnement du dispositif de la couverture médicale de base. Elle assure la régulation et l’encadrement technique de l’Assurance-maladie Obligatoire (AMO) ainsi que la gestion financière du RAMED.
Ses principales missions sont décrites ci-après.
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Veiller à l’adéquation entre le fonctionnement de l’assurance-maladie obligatoire de base et les objectifs de l’État en matière de santé
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Conduire les négociations relatives à l’établissement des conventions nationales entre les organismes gestionnaires de l’AMO d’une part et les prestataires de soins et les fournisseurs de biens et de services médicaux d’autre part
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Veiller à l’équilibre global entre les ressources et les dépenses pour chaque régime d’assurance-maladie obligatoire de base et proposer à l’administration les mesures nécessaires à la régulation du système d’assurance-maladie obligatoire de base et, en particulier, les mécanismes appropriés de maîtrise des coûts de l’assurance-maladie obligatoire de base et veiller à leur respect
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Apporter l’appui technique aux organismes gestionnaires pour la mise en place d’un dispositif permanent d’évaluation des soins dispensés aux bénéficiaires de l’assurance-maladie obligatoire de base
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Assurer l’arbitrage en cas de litiges entre les différents intervenants dans l’assurance-maladie
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Assurer la normalisation des outils de gestion et documents relatifs à l’assurance-maladie obligatoire de base
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Tenir les informations statistiques consolidées de l’assurance-maladie obligatoire de base sur la base des rapports annuels qui lui sont adressés par chacun des organismes gestionnaires
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Mettre à la disposition des organismes gestionnaires différents référentiels concernant notamment l’identification des Professionnels de Santé, du secteur libéral et en établissement, les produits et prestations de santé, la nomenclature des actes, etc. (ANAM, 2021)
Populations couvertes et paniers de soins
A travers ces différents dispositifs, l’objectif du Maroc est d’atteindre progressivement la couverture universelle. Cette couverture a fortement progressé avec la mise en œuvre de la CMB et continue de s’étendre progressivement, mais 30 pour cent de la population restaient exclus en 2021. Il s’agit essentiellement de personnes qui travaillent dans le secteur informel, des travailleurs indépendants et des professions libérales ainsi que leurs ayants droit, qui ne sont pas identifiés comme pauvres ou vulnérables selon la méthodologie établie par le RAMED. De même, les personnes âgées ne sont pas couvertes s’ils/elles n’ont pas travaillé dans le secteur formel le nombre de jours nécessaires pour bénéficier de leurs pensions (UNICEF, 2018).
Couverture de la CMB (en pourcentage de la population nationale)
2005 (1) |
2014 (2) |
2018 (3) |
2021 (4) |
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AMO |
28,8% |
31,0% |
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RAMED |
31,0% |
30,6% |
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Régimes spécifiques |
9% |
8,4% |
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Population couverte |
16% |
60% |
69% |
70% |
Sources: (1) Haddougui, 2017; (2) ACAPS, 201); (3) Cours des Comptes, 2022; (4) Ortiz, 2021
Les bénéficiaires de l’AMO peuvent accéder aux soins dans les structures publiques et dans les structures privées conventionnées, mais avec des paramètres qui diffèrent entre l’AMO-Public et l’AMO-Privé. Dans les deux cas, les bénéficiaires doivent faire l’avance de frais puis demandent le remboursement à leur caisse ( une demande de remboursement par mois; chaque demande doit être effectuée dans les deux mois suivants le premier jour de traitement pour être valable). Les cas lourds sont pris en charge par tiers-payant dans le cadre d’une demande préalable auprès des caisses via les prestataires de soins.
Panier de soins de l’AMO et taux de prise en charge
Panier de soins |
AMO-Privé |
AMO-Public |
Groupe I: Actes de médecine générale et de spécialités médicales et chirurgicales, actes paramédicaux, de rééducation fonctionnelle et de kinésithérapie délivrés à titre ambulatoire hors médicaments. |
70% de la tarification nationale de référence (TNR) |
80% de la tarification nationale de référence (TNR) |
Groupe II: Soins liés à l’hospitalisation et aux interventions chirurgicales, y compris les actes de chirurgie réparatrice et le sang et ses dérivés labiles. |
70% de la TNR. 90% de la TNR quand l’hospitalisation est dispensée dans un hôpital public |
90% de la tarification nationale de référence. Ce taux est porté à 100% lorsque les prestations sont rendues dans les hôpitaux publics, les établissements publics de santé et les services sanitaires relevant de l’État |
Groupe III: Médicaments admis au remboursement. |
70% du prix base de remboursement |
70% du prix base de remboursement |
Groupe IV: Lunetterie médicale, dispositifs médicaux et implants nécessaires aux actes médicaux et chirurgicaux. |
70% de la tarification nationale de référence (TNR) |
Forfaits fixés dans la tarification nationale de référence. |
Groupe V: Appareils de prothèse et d’orthèse médicales admis au remboursement. |
70% de la tarification nationale de référence (TNR) |
Forfaits fixés dans la tarification nationale de référence. |
Groupe VI: Soins bucco-dentaires. |
70% de la tarification nationale de référence (TNR) |
80% de la tarification nationale de référence (TNR) |
Groupe VII: Orthodontie médicalement requise pour les enfants |
70% de la tarification nationale de référence (TNR) |
Forfaits fixés dans la tarification nationale de référence. |
Source: Moudhi, 2018
Le RAMED fournit une couverture médicale de base identique à l’AMO mais fondée sur la gratuité des soins et des prestations médicalement disponibles uniquement dans les hôpitaux publics, les centres de santé et les services sanitaires relevant de l’État. La prise en charge est conditionnée au respect de la filière de soins qui doit commencer au centre de santé de rattachement et qui peut se terminer par le centre hospitalier.
Financement de la CMB
L’AMO est un régime contributif sur la base de contributions des travailleurs et des employeurs ainsi qu’un subventionnement de l’État:.
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AMO-Privé: Le taux de cotisation pour les actifs est de 5,5 pour cent dont 2 pour cent à la charge de l’assuré et 3,5 pour cent à la charge de l’employeur. Le taux de cotisation pour les pensionnés est de 4 pour cent (à la charge de l’assuré).
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AMO-Public: Le taux de cotisation pour les actifs est de 5 pour cent des rémunérations dont 2,5 pour cent à la charge de l’employeur et 2,5 pour cent à la charge du salarié, dans la limite d’un montant mensuel minimum de 70 dirhams et d’un plafond mensuel de 400 dirhams qui s’appliquent aux salariés et à l’employeur. Pour les retraités, le taux est de 2,5 pour cent du montant global des pensions de base, toujours dans la limite d’un montant mensuel de 70 dirhams et d’un plafond mensuel de 400 dirhams.
Le RAMED est financé par le budget de l’État et des collectivités locales. Cette prise en charge est intégrale pour les personnes en situation de pauvreté 99. En revanche, une contribution partielle annuelle des bénéficiaires en situation de vulnérabilité 100 est fixée à 120 DH par personne et par an dans la limite d’un plafond de 600 DH par ménage quel que soit l’effectif des personnes le composant (www.ramed.ma).
13.3. Les mutuelles de santé
Le secteur mutualiste est régi par les dispositions du Dahir n° 1-57-187 du 12 novembre 1963 portant statut de la mutualité 101. Il regroupe aujourd’hui 28 sociétés mutualistes constituées au profit des salariés des secteurs public (11 mutuelles), semi-public (7 mutuelles) et privé (5 mutuelles) ainsi que les personnes exerçant des professions libérales (5 mutuelles). Ces sociétés mutualistes comptaient 1,3 million d’affiliés et une population de 3,0 millions de bénéficiaires (environ 8,2 pour cent de la population nationale) fin 2018 (ACAPS, 2019).
Ces mutuelles proposent différents services à leurs adhérents et aux membres de leurs familles, parmi lesquels: une couverture médicale de base (dans le cadre de l’AMO-Public) ou complémentaire ainsi qu’une couverture contre les risques décès, vieillesse, invalidité et accidents. Les sociétés mutualistes peuvent également offrir des aides, secours et avances sur prestations maladie et gérer des œuvres sociales, notamment à caractère sanitaire au profit de leurs adhérents.
La CNOPS, en charge de l’AMO-Public, est elle-même intimement liée au secteur mutualiste. Elle est en effet une union de huit mutuelles du secteur public:
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Mutuelle de la Police (M. Police)
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Œuvres de Mutualité des fonctionnaires et Agents au Maroc (OMFAM)
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Mutuelles Générale des Postes et Télécommunications (MGPTT)
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Mutuelle des Forces Auxiliaires (MFA)
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Mutuelle des Douanes (M. Douanes)
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Mutuelle Générale du Personnel des Administrations Publiques du Maroc (MGPAP)
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Mutuelle Générale de l’Education Nationale (MGEN)
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Mutuelle du Personnel de l’Office d’Exploitation des Ports (MODEP)
La CNOPS, en tant que Fédération des Sociétés Mutualistes Du Secteur Public a été créée en 1950 (CNOPS, 2009). Le Dahir n°1-57-187 qui régit actuellement les mutuelles du secteur public s’applique également à la CNOPS pour les dispositions qui n’entrent pas en conflit avec les termes de la loi 65-00 instituant l’Assurance-maladie Obligatoire. Dans le cadre de cette dernière, la CNOPS et les mutuelles qui la composent gèrent l’Assurance-maladie Obligatoire (AMO) au profit des agents actifs et retraités du secteur public.
Parallèlement aux sociétés mutualistes, des mutuelles communautaires se développent dans plusieurs provinces, sur une base géographique (au niveau d’une ou plusieurs communes), afin de faciliter l’accès de la population aux services sanitaires (médicaments essentiels, gratuité des évacuations…) moyennant une contribution annuelle comprise entre 150 et 200 dirhams par an et par ménage (Haddougui, 2017). Ces mutuelles communautaires n’opèrent pas dans le cadre de l’AMO ni dans celui du statut de la mutualité de novembre 1963, mais inscrivent leurs statuts, quand ils les déclarent, dans le cadre de la loi relative aux associations. Elles opèrent principalement dans le monde rural ou dans les quartiers suburbains, avec généralement un appui technique et financier de partenaires extérieurs, notamment l’OMS et l’UNICEF. Globalement, ces mutuelles communautaires sont peu connues et peu documentées.
13.4. La délégation de gestion dans le cadre de l ’ AMO Public
Cadre légal
La gestion de l’AMO pour les salariés et retraités du secteur public (État, collectivités locales et établissements publics) à été confiée à la CNOPS par la loi 65-00 instituant la couverture médicale de base. Depuis 2015, elle est également en charge de la gestion de l’AMO-Etudiants. La CNOPS et les mutuelles qui la composent se sont dans ce cadre réparti les tâches sur la base d’une convention pluriannuelle de gestion déléguée 102 conclue en 2006 et renouvelée en 2010:
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La CNOPS recouvre les cotisations et assure globalement pour l’AMO public et Etudiants. Elle gère directement les dossiers relatifs au risque lourd (hospitalisations et affections de longue durée ainsi les accords préalables).
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Les mutuelles assurent le traitement des dossiers relatifs aux soins ambulatoires pour le compte du régime de base en contrepartie de frais de gestion. Elles assurent en plus une couverture complémentaire ainsi que des œuvres sociales.
Depuis 2014, la loi 120-13 103 modifiant et complétant le loi 65-00 autorise la CNOPS à conclure des conventions de délégation de gestion avec des sociétés mutualistes autres que les huit mutuelles qui la composent. À ce titre et en application des dispositions de l’article 114 de la loi 65-00, la CNOPS a signé une convention de délégation de gestion avec la Mutuelle de la Prévoyance Sociale des Cheminots en 2018.
Ces conventions précisent notamment les modalité d’organisation et de gestion administrative et financière, ainsi que le déploiement de services de proximité et la qualité des services rendus aux assurés.
Fonctions déléguées
En tant qu’organisme gestionnaire de l’AMO au profit des agents actifs et retraités du secteur public ainsi que de l’AMO-CNDH et de l’AMO-Etudiants, la CNOPS assure différentes fonctions stratégiques et opérationnelles:
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Elaboration et adoption des conventions nationales avec les prestataires de soins
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Etablissement des comptes relatifs à la gestion de l’AMO
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Instruction des opérations d’adhésion des employeurs, d’immatriculation et d’affiliation et de mise à jour de la situation administratives des assurés
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Recouvrement des cotisations salariales et contributions patronales
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Instruction des demandes de prises en charge dans le cadre des hospitalisations au Maroc et à l’étranger
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Remboursement ou prise en charge directe des prestations garanties par la loi 65-00
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Contrôle médical en coordination avec les sociétés mutualistes concernées
Les mutuelles membres de la CNOPS ont pour missions de réceptionner, traiter, contrôler et liquider les dossiers relatifs aux soins ambulatoires. Les mutuelles préparent les dossiers pour paiement; une fois contrôlés et autorisés, les dossiers sont présentés à la CNOPS pour virements ou paiements au bénéfice de l’assuré (CNOPS, 2009).
Les mutuelles assurent de plus une couverture complémentaire: 20 pour cent du tarif national de référence (TNR) pour les soins ambulatoires et 16 pour cent pour les médicaments remboursables. Elles gèrent également des œuvres sociales au profit de leurs adhérents et certaines prestations complémentaires, telles que prime de décès, prime de retraite, scolarisation des enfants handicapés, etc. A l’image de la MGPAP, ces mutuelles peuvent gérer des structures sanitaires mutualistes offrant un éventail d’actes médicaux, cliniques, et paracliniques de qualité à l’intention aux adhérents mutualistes et leurs ayants droit, avec une participation financière abordable.
Répartition des fonctions
Fonctions |
Répartition |
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État |
CNOPS |
Mutuelles |
|
Définition du panier de soins |
X |
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Conventions |
X |
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Education et promotion |
X |
X |
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Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
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Recouvrement des cotisations |
X |
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Mise en commun des risques couverts |
X |
X |
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Contrôle médicale |
X |
X |
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Paiement des prestations |
X |
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Prestations de services de santé |
X |
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Suivi et pilotage |
X |
X |
13.5. Impact et leçons
Globalement, le système contributif au sein de la CMB est caractérisé par un éclatement des régimes et des paramètres disparates, avec pour conséquences un manque de solidarité et de mutualisation des risques entre les différentes catégories de population couvertes. . Le système national ne s’inscrit par conséquent pas encore dans le principe de solidarité, de mutualisation et d’unification, affirmé par la loi 65-00 sur la couverture médicale de base (MEFRA, 2019). A cette fragmentation s’ajoutent des difficultés de mise en place du régime des indépendants, une fréquence élevée des risques liés à l’assurance (surconsommation, sur prescription, recours important aux médecins spécialistes, …) ainsi que des insuffisances liées à la gouvernance (absence d’un système d’information intégré, régulation …) (Sninate et Bennana, 2017). Par ailleurs, le panier de soins n’a connu que très peu de mise à jour depuis l’avènement de l’AMO en 2005, avec pour conséquence que la tarification nationale de référence est devenue désuète. Selon le rapport 2018 de la Cours des Comptes, l’impact de cette non mise à jour n’a fait qu’alourdir le restant à charge des assurés atteignant 35 pour cent en 2016 au lieu de 28 pour cent en 2010. Lorsqu’on ajoute les actes non remboursables au titre de l’AMO, la participation des assurés s’élève au même niveau que les charges directes des ménages au Maroc qui avoisinent les 51 pour cent (Cour des Comptes, 2018).Les relations entre la CNOPS et les mutuelles dans le cadre du mécanisme de gestion déléguée au sein de l’AMO-Public ne paraissent globalement pas problématiques, hormis un conflit avec MGPAP lors du déploiement du système d’information «Esquif» de la CNOPS, en 2016 (Zerrour, 2016). En revanche, plusieurs dysfonctionnements au niveau de la CNOPS ont été pointés du doigt par le Conseil Economique, Sociale et Environnemental ainsi que la Cours des Comptes:
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Le cadre juridique de la CNOPS est divisé entre trois lois: le dahir n° 157.187 du 12 novembre 1963 portant statut de la mutualité, la loi 65-00 portant code de la Couverture Médicale de Base et ses décrets d’application qui gèrent la couverture obligatoire des fonctionnaires, des retraités du secteur public ainsi que des étudiants ainsi que la loi n° 116.12 relative au régime de l’assurance-maladie obligatoire de base des étudiants.
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Selon les dispositions des textes juridiques qui régissent l’établissement des budgets des régimes de l’assurance-maladie obligatoire de base gérés par la CNOPS, chaque régime doit disposer d’un budget séparé. Il s’agit du:
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budget relatif au régime AMO/PUBLIC prévu à l’article 90 de la loi n°65.00,
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budget relatif au régime de l’assurance-maladie obligatoire de base des étudiants prévu à l’article 20 de la loi n° 116-12.
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la CNOPS ne dispose cependant ni de ces budgets, ni d’un budget propre qui consolide l’ensemble de ses dépenses d’investissement et de fonctionnement et qui clarifie les frais de gestion liés à chaque régime ainsi que les critères retenus en matière de prévision et de répartition des charges communes.
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Dans ses conventions avec ses mutuelles membres, la CNOPS n’a pas observé la loi n°65.00 qui interdit dans son article 44 aux organismes gestionnaires de l’AMO de cumuler celle-ci avec «la gestion d’établissements assurant des prestations de diagnostic, de soins ou d’hospitalisation ou des établissements ayant pour objet la fourniture de médicaments, matériels, dispositifs et appareillages médicaux». Certaines mutuelles membres de la CNOPS disposent d’unités médicales, et agissent en tant que prestataires de soins y compris dans le cadre de l’AMO ce qui les mets en situation d’incompatibilité avec la loi n° 65.00. Cependant, les mutuelles concernées ont trouvé des solutions à cette problématique, en séparant la gestion de l’AMO de celle des unités médicales et en transférant ces dernières à de nouvelles mutuelles. Celles-ci sont dédiées à la création et à la gestion des œuvres sanitaires et sociales dans le cadre de convention de gestion déléguée avec les mutuelles mères.
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En matière d’administration et de gestion, des dysfonctionnements sont observés au niveau des réunions du conseil d’administration. La Cours de Compte soulignait en 2018 l’impact de ces dysfonctionnements sur l’arrêt des budgets (2017 et 2018) et des comptes des exercices budgétaires 2016 et 2017, ainsi que l’approbation des rapports d’activités et des rapports financiers de ces deux années.
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Enfin, la situation financière de l’AMO-Public est fragile et se dégrade notamment en raison de la stagnation des recettes, de l’effectif croissant des pensionnés au sein de la masse d’assurés, de la prévalence croissante des maladies de longue durée ou lourdes et couteuses, de l’augmentation du taux de sinistralité et globalement l’augmentation continue des dépenses. La caisse a ainsi connu un premier déficit en 2017 et des projections actuarielles réalisées en 2018 par la Cours des comptes concluaient à la nécessité d’entreprendre des réformes profondes de l’AMO-Public pour enrayer un déficit technique croissant et assurer la pérennité du régime (Cour des comptes, 2018).
Les manquements relevés en matière d’application des dispositions relatives à la gouvernance du régime de l’AMO-Public et la nécessité de résoudre les difficultés juridiques rencontrées par la CNOPS ont conduit le ministère en charge du Travail à initier une réforme de l’AMO-public. Dans ce cadre, une circulaire du chef du gouvernement n°6/18 du 30 mars 2018 portant sur l’établissement des règles de conduite et de gouvernance de la réforme du système de protection sociale au Maroc a mis en place la Caisse Marocaine de l’Assurance-maladie (CMAM) destiné à prendre à terme possession des régimes d’assurance-maladie obligatoire gérés par la CNOPS.
La CMAM est un établissement public, crée en 2018 104 en vue de soumettre ces régimes aux règles de bonnes gouvernance auxquelles sont assujettis tous les établissements publics et établir de nouvelles bases de direction afin de préserver les acquis et combler le déficit en matière d’application des dispositions relatives à la gouvernance de l’AMO.
Le décret-loi n° 2-18-781 autorise la CMAM à déléguer une partie de ses missions aux mutuelles du secteur public ainsi qu’à toute personne morale de droit public ou privé selon les conditions fixées par une convention validée par le conseil d’administration et sur la base d’un cahier des charges portant sur:
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la nature des prestations et la procédure de la gestion de l’opération du remboursement des prestations garanties;
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les délais de remboursement;
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l’organisation administrative et financière, la répartition géographique, les coûts de gestion et les informations et statistiques relatives aux activités;
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les modalités de réalisation du contrôle administratif et de l’audit et les conditions d’accès aux données;
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les modalités de réalisation du contrôle médical;
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la qualité des prestations rendues aux assurés;
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le système d’information et les modalités de gestion des archives des dossiers de maladie; et
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les sanctions administratives en cas de manquement aux dispositions des conventions ou aux conditions des cahiers des charges
Le basculement de la CNOPS vers la CMAM se réalise progressivement. En 2022, la tutelle de la CNSS et de la CMAM, est passée du ministère en charge du Travail à celui de Finances qui engage un chantier de généralisation de la protection sociale à l’ensemble des Marocains.
Références
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Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance, ACAPS (2019). «Rapport d’activité 2019», ACAPS, 2022. https://www.acaps.ma/sites/default/files/publication_documents/2019_rapport_acaps_vf.pdf.
Caisse Nationale des Organismes de la Prévoyance Sociale, CNOPS (2009). «Un passé riche d’avenir», site Web de la CNOPS, 2009.
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Cours des Comptes (2022). «Rapport annuel de la Cour des Comptes au titre des années 2019 et 2020», Cours des Comptes, Royaume du Maroc, 2022. http://www.courdescomptes.ma/upload/MoDUle_20/File_20_836.pdf.
(2018). «Régime de l’assurance-maladie obligatoire gérée par la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale, Rapport annuel de la Cours des Comptes au titre de l’année 2018», Cours des Comptes, 2019. http://www.courdescomptes.ma/upload/_ftp/documents/17_R%C3%A9gime_AMO_CNOPS.pdf.
— (2018b). «L’Agence nationale de l’Assurance-maladie (ANAM), Rapport annuel de la Cours des Comptes au titre de l’année 2018», Cours des Comptes, 2019. http://www.courdescomptes.ma/upload/_ftp/documents/15_ANAM.pdf.
El Haïti H. (2021). «Assurance-maladie obligatoire: 11,17 millions de bénéficiaires en 2020». Le Matin, 13 décembre 2021. https://lematin.ma/express/2021/assurance-maladie-obligatoire-1117-millions-beneficiaires-2020-22-millions-supplementaires-2022/368937.html.
Fonds des Nations Unies pour l’enfance, UNICEF (2018). «Mapping de la protection sociale au Maroc», Royaume du Maroc, UNICEF, 2018. https://www.unicef.org/morocco/media/976/file/Mapping%20de%20la%20protection%
Haddougui D. (2017). «Couverture maladie de base (CMB) : AMO», Présentation PowerPoint, 20 juillet 2017.
La Vie éco (2012). «Le basculement des assurés du privé vers l’AMO ne se fera pas de manière directe». https://www.lavieeco.com/ (blog), 9 juillet 2012. https://www.lavieeco.com/economie/le-basculement-des-assures-du-prive-vers-lamo-ne-se-fera-pas-de-maniere-directe-22710/.
Ministère de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’Administration, MEFRA (2019). «Politique publique intégrée de protection sociale 2020-2030», UNICEF, UE, novembre 2019.
Mouhdi H. (2018). «L’apport d’un système d’information intégré à la couverture médicale de base, cas du Maroc», Thèse de Doctorat, Faculté de médecine et de pharmacie, Université Mohammed V, 2018.
Ortiz J. (2021). «Le Maroc porte le taux de couverture médicale à plus de 70%», Atalayar, 15 décembre 2021. https://atalayar.com/fr/content/le-maroc-augmente-le-taux-de-couverture-m%C3%A9dicale-de-plus-de-70.
Sninate I. et Bennana A. (2017). «Les leviers de performance de l’Assurance-maladie obligatoire au Maroc», Journal Marocain des Sciences Médicales 21, nᵒ 3 (2017). https://doi.org/10.48401/IMIST.PRSM/jmsm-v21i3.12521.
Zerrour L. (2016). «Blocage du système d’information/MGPAP-CNOPS : Le bras de fer !», Aujourd’hui le Maroc. https://aujourdhui.ma/societe/blocage-du-systeme-dinformation-mgpap-cnops-le-bras-de-fer.
14. Rwanda
14.1. Contexte
Les premières expériences de prépaiement des soins de santé au Rwanda datent des années 1960 avec des organisations à forme mutualiste telles que Muwandimwe (Kibongo) et Umubano mubantu (Butare) puis la mise en place dans les années 80 de systèmes d’assurance santé gérés par des centre de santé (Rukoma Saké) ou des hôpitaux (Gikoré, Murunda, Kayove, etc.), essentiellement confessionnels, en faveur des populations de leurs aires d’intervention. Ces expériences, qui ont pu atteindre des taux de couverture importants de leur populations cible, ont disparu avec le génocide de 1994. Les années 1994-96 ont été une période d’assistance, le gouvernement rwandais fournissant des soins de santé publics gratuits avec l’appui des bailleurs de fonds. Avec la diminution de ces appuis, le paiement direct des coûts des soins a été réintroduit dans les établissements publics en 1996, entrainant un diminution de l’utilisation des services de santé. Cette situation a motivé un nouvel intérêt du gouvernement pour les systèmes de prépaiement, plus spécifiquement pour les mutuelles de santé; elle est à l’origine du système national de protection sociale en santé tel qu’on le connait aujourd’hui et qui s’est construit en plusieurs grandes phases (Hitimana, 2022):
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En 1999, le ministère de la Santé, avec l’appui technique de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et la société de conseils Abt Associates, a initié un programme pilote de mutuelles de santé dans trois districts pilotes (Byumba, Kabutare et Kabgayi). L’approche s’est progressivement étendue à l’ensemble du territoire, avec une forte incitation de l’État aux autorités locales de s’impliquer activement dans la promotion de mutuelles de santé, la création dans leurs provinces et districts devenant un élément de l’évaluation de ces autorités par le ministère de l’Administration locale (MINALOC).
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En 2002, le document de stratégie de lutte contre la pauvreté (EDPRS5), cadre de référence en matière de politique et de lutte contre la pauvreté, a intégré l’extension des mutuelles de santé comme une priorité nationale. Plus largement, le PRSP mettait l’accent sur la nécessité de faire de la protection sociale un des piliers de sa stratégie, à côté des investissements dans l’accès aux services sociaux de base et dans la création de richesse pour assurer une réduction durable de la pauvreté (Kamwenubusa et al., 2011). En 2004, les mutuelles étaient présentes dans la quasi-totalité des provinces du pays et couvraient environ 2,1 millions de personnes, soit 27 pour cent de la population nationale
Cette première vague de mutuelles de santé formait un ensemble hétérogène en termes de cotisations (variant de 3 000 Frw (5,1 USD à l’époque) par ménage moyen de 6 personnes et par an en milieu rural à 11.500 Frw (19,5 USD) en milieu urbain) et de couverture offerte, celle-ci se limitant essentiellement aux services de santé primaires. La Politique de Développement des Mutuelles de Santé au Rwanda 105 élaborée en 2004 a harmonisé l’organisation du mouvement mutualiste et normalisé la couverture et les cotisations, fixées à 1 000 Frw (1,7 USD) par personne et par an. Ce montant s’avérait cependant à la fois trop élevé pour une proportion importante des ménages (60 pour cent de la population du Rwanda vivant en 2004 en dessous du seuil de la pauvreté) et trop faible pour un financement viable de l’assurance-maladie. La politique de 2004 a introduit les bases d’un subventionnement des mutuelles par le secteur formel, par l’État et par les partenaires extérieurs, pour la couverture des soins du niveau secondaire et l’inclusion des ménages les plus pauvres. Cette politique de subventionnement a été mise en œuvre 106 en 2006 et s’est accompagnée de la mise en œuvre de mécanismes de mutualisation des risques au niveau des districts et au niveau national. En 2007, le pays a adopté la loi n° 62/2007 du 30/12/2007 portant création, organisation, fonctionnement et gestion des mutuelles de santé qui fixe l’architecture et le cadre juridique des mutuelles de santé. Cette loi, entrée en vigueur en 2008, a installé le Régime d’assurance-maladie à base communautaire (AMBC). Elle a de plus rendu obligatoire l’adhésion aux mutuelles de santé 107 et autres systèmes pour le secteur formel, en disposant que «toute personne résidant au Rwanda doit avoir une assurance-maladie». De 2008 à 2010, la couverture des mutuelles a poursuivi sa progression, passant de 74 pour cent de la population en 2007 à 85 pour cent en 2008, 86 pour cent en 2009 et 91 pour cent en 2010 (Kalisa et al., 2015). Cette impressionnante progression de la couverture résulte d’une combinaison de différents facteurs dont l’obligation d’adhésion et les pratiques parfois autoritaires des fonctionnaires locaux pour mettre en pratique cette obligation, ainsi que les subventions publiques et privées et leur financement massif par des donateurs d’aide internationale, permettant de réduire les montants de cotisations (Chemouni, 2018).
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En 2009, le gouvernement a entrepris une analyse fonctionnelle de l’assurance-maladie à base communautaire en vue de son amélioration, qui a donné lieu à deux mesures importante.
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D’une part, un fonds national de garantie pour soutenir financièrement l’assurance communautaire est créé et financé par le ministère de la Santé.
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D’autre part, une nouvelle politique de développement des mutuelles de santé est élaborée en 2010. Celle-ci introduit une stratification des cotisations en s’appuyant sur le programme Ubudehe mis en œuvre par le ministère en charge des collectivités locales depuis 2001.
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Durant la période de 2010 à 2015, le système d’assurance-maladie à base communautaire entre dans une phase de consolidation. Cependant, plusieurs analyses réalisées en 2014 montraient des dysfonctionnements du système liés à la gestion, à des niveaux élevés de fraude et au manque de capacités techniques des acteurs locaux. De plus, le système éprouvait des difficultés à maintenir son niveau élevé de couverture de la population cible, avec une évolution négative avant 2015, le taux de couverture variant de 90 à 76 pour cent.
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Ces difficultés ont motivé l’adoption de la loi n°03/2015 du 02 mars 2015 portant organisation du régime des mutuelles de santé qui transfère la responsabilité de l’AMBC du ministère de la Santé au Conseil rwandais de la Sécurité Sociale (Rwanda Social Security Board - RSSB). Outre l’amélioration de la gestion de l’assurance, la loi vise également à séparer les fonctions de fournisseur de celle d’acheteur et centraliser les ressource de l’assurance au niveau national en passant de pool fragmentés à un pool unique. La loi de 2015 institue l’AMBC sous sa forme actuelle qui, malgré l’utilisation du terme «Régime des mutuelles de santé», est désormais un système d’assurance obligatoire dont la gestion est centralisée par un organisme public qui met en commun les ressources financières provenant des recettes intérieures, de l’aide internationale et des contributions des particuliers. De 2015 à aujourd’hui, plusieurs mesures ont amélioré ce système, avec notamment de nouvelles sources de financement et le développement de la gestion électronique.
L’appellation «mutuelles de santé» est également conservée par la loi n° 48/2015 du 23 novembre 2015 portant organisation, fonctionnement et gestion des régimes d’assurance-maladie au Rwanda. Celle-ci réaffirme l’obligation pour tous les rwandais et tous les étrangers résidents sur le territoire national de s’affilier à l’un des systèmes du dispositif national d’assurance-maladie.
À ce jour, l’implication des communautés dans l’AMBC se limite aux efforts de promotion et aux contributions financières, ce qui rend le système, hypercentralisé et non purement communautaire. Il n’y a donc pas de fonctions déléguées puisque le gouvernement, par le biais du RSSB, gère seul «l’assurance-maladie à base communautaire».
14.2. Le système national de protection sociale en santé
Architecture du système national
Le système national de protection sociale en santé regroupe aujourd’hui plusieurs dispositifs s’adressant chacun à un groupe spécifique de population. En plus de l’assurance-maladie à base communautaire gérée par le RSSB, le système comprend les dispositifs suivants:
-
L’assurance santé pour les travailleurs de l’économie formelle et leur dépendants est gérée par le RSSB qui a été créé en 2010 108 par la fusion des deux principales institutions de sécurité sociale qui étaient en place: la Rwandaise d’Assurance-maladie (RAMA) et la Caisse sociale ou Social Security Fund of Rwanda (SSFR).
-
La RAMA a été instituée par la loi n° 24/2001 du 27 avril 2001, dans un premier temps au bénéfice des agents de l’État dont l’adhésion est automatique. Le régime est aujourd’hui également ouvert aux entreprises du secteur privé lorsqu’elle compte au moins sept employés. Les affiliés retraités peuvent adhérer au régime s'ils perçoivent une pension de RSSB et ont déjà cotisé au régime. La couverture s'étend aux conjoints et aux enfants des affiliés.
-
Les militaires sont couverts par un régime particulier appelé Military Medical Insurance (MMI), créé en 2005 109, sur le même modèle que la RAMA, et administré par le ministère de la Défense Nationale.
-
Les travailleurs salariés du secteur privé peuvent être affiliés à la RAMA ou sont couverts par leurs employeurs dans le cadre de contrats d’assurance avec des sociétés d’assurance privées.
Dispositifs d’assurance santé (en 2018)
Assurance-maladie Militaire (MMI) |
RSSB Office rwandais de sécurité sociale |
Mutuelle de santé de l’université nationale |
Assurances privées (SAHAM, RADIANT, UAP, MEDIPLAN, BRITAM, …) |
||
Branche santé (RAMA) |
Régime d’assurance-maladie à base communautaire (AMBC) |
||||
Régulation |
Conseil National de l’Assurance-maladie |
||||
Tutelle |
Ministère de la Défense (MINADE)/Banque nationale du Rwanda |
Ministère de l’Economie et des Finances (MINECOFIN)/Banque nationale du Rwanda |
Université nationale/Banque nationale du Rwanda |
Commission Nationale de Contrôle des Assurances/Banque nationale du Rwanda |
|
Couverture légale |
Militaires Agents des organes de sécurité |
Fonctionnaires de l’État et employés de la fonction publique, des entreprises et des organisations privées |
Population non couverte par le RSSB, la MMI ni les assurances privées |
Employés Etudiants |
Employés des sociétés privées |
Structures de santé couvertes |
Centres de santé et hôpitaux publics, prestataires et pharmacies privées conventionnés |
Centres de santé et hôpitaux publics, prestataires et pharmacies privées conventionnés |
Centres de santé et hôpitaux publics |
Centres de santé et hôpitaux publics, prestataires et pharmacies privées conventionnés |
Centres de santé et hôpitaux publics, prestataires et pharmacies privées conventionnés |
Taux de prise en charge |
85% |
85% |
Centres de santé: Ticket modérateur forfaitaire =200 FRW Hôpitaux: 90% |
85% |
Variable suivant les produits d’assurance |
Financement |
22,5% du salaire brut (17,5% État; 5% assuré) |
15% du salaire de base (7.5% employeur; 7.5% travailleur) |
Cotisation annuelle par personne basée sur la catégorisation Ubudehe: Cat 1: 2 000 FRW subventionné à 100% par l’État Cat 2: 3 000 FRW Cat 3: 7 000 FRW |
Employés: 15% du salaire de base (7.5% employeur; 7.5% travailleur) Etudiants: 2,6% de la bourse reçue |
Variable suivant les produits d’assurance |
Source: Louis dit Guérin, 2018
Couverture de la population
La loi n° 48/2015 du 23 novembre 2015 dispose dans son article 3 que «Toute personne, qu’elle soit un ressortissant rwandais ou étranger, se trouvant sur le territoire rwandais est tenue d’avoir une assurance-maladie. Toute personne entrant sur le territoire rwandais sans avoir une autre forme d’assurance, doit, dans un délai n’excédant pas trente (30) jours, souscrire à une assurance auprès d’un régime d’assurance de son choix.» Elle réitère ainsi le caractère obligatoire institué par la loi n° 62/2007 dont la mise en œuvre s’est accompagnée de pratiques parfois autoritaires des autorités locales, comme souligné plus haut.
La couverture est de fait aujourd’hui quasi universelle. Les 13 pour cent non assurés (tableau ci-dessous) relèvent de l’AMBC; selon le RSSB les principales sources d’explication de cet écart avec l’objectif de couverture de 100 pour cent de la population cible de l’AMBC sont:
-
Les travailleurs indépendants et professions libérales disposant de revenus importants et qui ne peuvent être couverts par les régimes publics (RAMA et MMI) n’adhérent pas car ils estiment que la couverture de l’AMBC est trop faible (limitée au structures de santé publiques).
-
Les jeunes qui vivent seuls se désintéressent de l’assurance car sont en bonne santé.
-
Des erreurs de catégorisation de l’Ubudehe impliquent pour certains ménages de devoir payer des cotisations trop élevées par rapport à leurs revenus réels; ces ménages n’adhèrent pas faute de capacité contributive suffisante (Louis dit Guérin, 2018).
Taux de couverture des différents régimes
MMI |
RSSB Office rwandais de sécurité sociale |
autres |
Non assurés |
||
RAMA |
AMBC |
||||
Population couverte (en % de la population nationale |
0,2 |
4 |
82 |
1 |
13 |
Source: Uwaliraye, 2022
L’assurance-maladie à base communautaire aujourd’hui
Suite au processus résumé plus haut, l’AMBC est géré administrativement et financièrement par le RSSB depuis le 1er juillet 2015. Bien que le terme soit encore utilisé, il ne s’agit plus de mutuelles de santé mais d’un régime d’assurance sociale obligatoire, couvrant l’ensemble du pays, géré par une caisse nationale et dont les cotisations et les prestations sont définies par l’État. La gestion du système est centralisée au niveau du RSSB. La caisse a cependant conservé de l’ancien système un guichet dans chaque structure de santé qui accueille, contrôle les droits aux prestations (les guichets sont connectés au système d’information du RSSB) et oriente les assurés. Ce guichet effectue également un premier contrôle des factures de soins avant de les transmettre aux agences du RSSB présentes dans chaque district, où elles sont saisies dans le système d’information du RSSB.
Affiliation
La loi n° 48/2015 du 23 novembre 2015 portant organisation, fonctionnement et gestion des régimes d’assurance-maladie au Rwanda définit, dans son article 11, la population cible du CBHI comme tous rwandais n’ayant aucune autre assurance-maladie. Cette population regroupe notamment les professions libérales, les travailleurs et entreprenants de l’économie informelle et du monde agricole et leurs dépendants. La cotisation est individuelle mais l’adhésion de tout le ménage est obligatoire.
Une des caractéristiques de l’AMBC au Rwanda est la simplicité de ses procédures pour les assurés, notamment l’affiliation qui s’effectue avec le paiement de la cotisation annuelle sans autre procédure administrative. Cependant, pour adhérer et cotiser, le ménage doit être catégorisé dans l’Ubudehe et les membres de plus de 16 ans doivent avoir une carte d’identité nationale qui sert de carte d’assuré (les enfants de moins de 16 reçoivent une carte d’assuré du RSSB).
L’AMBC couvre également des groupes spécifiques composés notamment par les prisonniers, les orphelins pris en charge par l’État et certaines autorités des collectivités locales. Ces groupes sont inscrits dans le CBHI par l’État qui finance à 100 pour cent leurs cotisations.
Panier de soins
L’AMBC couvre tous les services et médicaments offerts au niveau des centres de santé (paquet minimum d’activités – PMA), tous les services et actes au niveau des hôpitaux de district et provinciaux (paquet complémentaire d’activités – PCA) et tout le paquet tertiaire d’activités (PTA) au niveau des hôpitaux nationaux de référence. Certains services de santé sont exclus de la couverture, notamment les attestations médicales, les frais de morgue, les lunettes, les prothèses dentaires, la chimiothérapie et la dialyse pour les cas chroniques (la dialyse pour les cas aigus est couverte par l’AMBC, la période de traitement ne dépassant pas six semaines au maximum). De même les médicaments et marque et spécialité en pharmacies privées ne sont pas couverts sauf lorsqu’un hôpital demande l’autorisation au RSSB, motivée par la nécessité des produits et leur indisponibilité dans l’officine de la structure de santé (Louis dit Guérin, 2018).
La couverture des dépenses de santé s’effectue par tiers-payant avec un ticket modérateur à la charge des patients:
-
Un montant forfaitaire de 200 FWR (0,2 USD en 2022) est payé par les usagers dans les centres de santé au guichet du RSSB dans les centres de santé et correspond à une contribution aux frais administratif de l’assurance.
-
Les dépenses dans les hôpitaux sont couvertes à 90 pour cent par l’AMBC et un ticket modérateur de 10 pour cent reste à la charge des usagers et est conservé par les structures de santé.
Financement
L’AMBC est financée par diverses sources (voir ci-après).
-
Les subventions de l’État: Depuis février 2020, le gouvernement a créé de nouvelles subventions pour l’AMBC par l’arrêté du Premier ministre n°034/01 du 13/01/2020. Ces subventions sont financées par divers impôts et taxes, notamment sur les salaires (0,5 pour cent), les sociétés de jeux, les frais de parking, les revenus du tourisme, etc., prévus pour générer annuellement près de 3 dollars par membre
-
Les autres régimes d’assurance santé: la branche santé du RSSB (RAMA) et les assurances privées reversent à l’AMBC une contribution équivalente à respectivement 10 pour cent et 5 pour cent des cotisations qu’elles collectent (Hitimana, 2022)
-
Les partenaires extérieurs (Fonds mondial, etc.)
-
Les copaiements forfaitaires versés par les usagers aux niveaux des centres de santé et des hôpitaux
-
Les cotisations annuelles des ménages représentent près de la moitié des ressources de l’AMBC. Ces cotisations varient en fonction du statut de chaque ménage au sein de la catégorisation de l’Ubudehe 110. Les membres sont ainsi divisés en trois catégories:
-
la cotisation par personne de la catégorie 1 (Catégorie 1 de l’Ubudehe) est intégralement financée par l’État; la couverture est par conséquent gratuite pour ces ménages les plus pauvres;
-
la cotisation de la catégorie 2 (Catégories 2 et 3 de l’Ubudehe) s’élève à 3 000 FRW (3 USD) par an et par personne; et
-
celle de la catégorie 3 (Catégorie 4 de l’Ubudehe), qui s’élève à 7 000 FRW (6,6 USD) par an et par personne.
-
La cotisation de la troisième catégorie correspond au montant réel de cotisation sans subvention de l’État. En d’autres termes, l’État subvention respectivement à hauteur de 7 000 et 4 000 Frw les cotisations des individus des catégories 1 et 2 qui représentent plus des deux tiers des assurés à l’AMBC.
La simplicité de l’AMBC se retrouve dans les mécanismes de paiement des cotisations qui peut se faire soit sur la plateforme internet «Irembo» 111, soit dans une agence du réseau d’épargne et de crédit Umurenge Savings and Credit Cooperatives (Umurenge SACCOs) ou après d’un agent de la plateforme de services bancaires mobiles MobiCash. La cotisation pouvant être payée en plusieurs tranches, chaque ménage peut à tout moment consulter son compte de cotisation en interrogeant par SMS la base de données du RSSB afin de vérifier ce qu’il a payé et ce qu’il doit encore éventuellement verser pour atteindre la totalité des cotisations pour son ménage. Lorsqu’un assuré à versé la totalité des cotisations dues pour son ménage, il reçoit un SMS du RSSB informant que les droits aux prestations sont ouverts.
14.3. Une décentralisation des fonctions dans le schéma avant 2015
Comme déjà souligné, l’assurance-maladie à base communautaire est aujourd’hui un système hypercentralisé, géré par le RSSB et sans aucune délégation de fonction. Il faut par conséquent s’intéresser au schéma en place entre les années 2006 et 2015 qui répartissait les fonctions de gestion entre différents acteurs aux niveaux national et décentralisé pour examiner un éventuel mécanisme de gestion déléguée.
Le cadre légal
La Loi No 62/2007 du 30/12/2007 portant création, organisation, fonctionnement et gestion des mutuelles de santé fixait le cadre juridique des mutuelles de santé au Rwanda qui jusque-là relevaient de la codification de la mutualité au Rwanda remontant à l’époque coloniale à travers le Décret du 15 avril 1958 portant sur les associations mutualistes.
La loi de 2007 n’a pas retenu le modèle de gestion proposé dans la politique de 2004 qui impliquait largement la communauté dans les différents niveaux de gestion du système, y compris les institutions nationales. Au contraire, la loi a fortement réduit le rôle de la population dans la gestion des ressources des mutuelles qui a été confiée à des fonctionnaires nommés par arrêté ministériel. Les communauté se retrouvaient ainsi cantonnées à la promotion de l’assurance et aux paiement des cotisations (Musango et al., 2009).
Lorganisation administrative et financières et la distribution des fonctions
Avec la loi de 2007, la structure organisationnelle des mutuelles de santé se calquait sur l’administration décentralisée dans les districts du pays. Les entités administratives décentralisées comprennent la Ville de Kigali, les Districts, les Secteurs, les Cellules et les Villages. Chaque district est une entité administrative «autonome», le maire du district disposant d’une large autonomie administrative et de gestion, avec toutefois une présence encore importante des différentes autorités nationales.
L’organisation de l’assurance-maladie à base communautaire reposait ainsi sur un ensemble de mutuelles de districts et leurs sections de mutuelles de santé, coordonnées au niveau national par une Cellule Technique d’Appui aux Mutuelles de Santé.
-
Les mutuelles de district: une mutuelle de santé a été mise en place dans chacun des trente districts du pays, avec un statut juridique lui conférant la qualité de personne moral à but non lucratif. Avec la loi de 2007, le rôle de la population dans la gouvernance des mutuelles de district a été fortement réduit. Celles-ci sont en effet administrées par un comité de gestion composé de 5 membres dont deux personnes élues par les comités des sections des mutuelles de santé et 3 fonctionnaires de l’État nommés d’office (le directeur de santé du district, le vice-maire chargé des affaires sociales du district et le chargé de la mutuelle de district). La gestion courante était assurée par le chargé de la mutuelle de santé qui était un fonctionnaire de l’État rémunéré par le district sur le financement du district ou sur le financement du Pooling Risk, avec pour principal rôle de fournir un appui technique aux sections de sa mutuelle, de passer les conventions avec les hôpitaux du district et de vérifier les factures de soins des hôpitaux du district. Le comité de gestion se réunissait au moins une fois par mois afin d’approuver les factures reçues des hôpitaux de district et leur paiement dont l’exécution était réalisée par deux autres fonctionnaires (le secrétaire exécutif du district et le directeur du patrimoine du district) cosignataires du compte de la mutuelle, sans être membres du comité.
Il ne s’agissait par conséquent pas de mutuelle au sens du conceptuel habituel des mutuelles de santé, mais plutôt déjà d’un schéma national d’assurance-maladie avec une participation communautaire. A noter cependant que tous les comité de gestion n’étaient pas formés ou fonctionnels dans tous les districts; le cas échéant, l’administration de la mutuelle était réalisée par les 3 fonctionnaires en charge de celle-ci.
-
Les sections de mutuelle de santé: chaque mutuelle de district était subdivisée en autant de sections de mutuelles qu’il y avait de centres de santé agréés dans le district. Chaque section était administrée par un comité de gestion dont les membres étaient élus par et parmi les adhérents; le titulaire du centre de santé était invité aux réunions mensuelles du comité mais sans droit de vote. Le comité percevait les cotisations collectées par les cellules, signait les conventions avec le centre de santé et recevait, approuvait et transmettait au district pour paiement les factures du centre de santé. La gestion courante était assurée par un gestionnaire, rémunéré par la section (il ne s’agissait pas d’un fonctionnaire) en charge notamment de l’enregistrement des adhérents, du recouvrement des cotisations et du paiement des factures du centre de santé.
Ces sections n’avaient pas de statut juridique clairement identifié. Elles avaient l’autorisation «d’exister» en tant que telles, sur accord du maire de chaque district et étaient sont logée au sein du centre de santé dont elles ciblaient la population de l’aire d’intervention.
Les sections de mutuelles de santé étaient appuyées par un comité de la mutuelle de santé dans chaque cellule. Ce comité était composé de quatre membres, adhérents à la mutuelle, dont obligatoirement une femme. Il intervenait dans les activités d’information et de sensibilisation pour les adhésions et leur renouvellement, d’enregistrement des adhésions et de recouvrement des cotisations.
Les présidents des comités des cellules et les fonctionnaires chargés des affaires sociales formaient un comité de la mutuelle au niveau de la section, distinct du comité de gestion de la mutuelle, qui intervenait dans les actions de sensibilisation et assure le suivi des comités des cellules.
-
la Cellule Technique d’Appui aux Mutuelles de Santé (CTAMS): les mutuelles de district étaient coordonnées par la CTAMS qui dépendait directement du ministère de la Santé. La CTAMS avait pour mission d’apporter un appui au développement des mutuelles de santé par la diffusion des outils de gestion et la réalisation de formations techniques. Elle contribuait également à l’élaboration des stratégies, la formulation de politiques et le suivi et l’évaluation des structures mutualistes. La cellule travaillait en étroite collaboration avec ces dernières ainsi qu’avec les autorités des districts et des provinces. Elle disposait cependant d’un personnel réduit (seulement 6 personnes en 2008) financé par le ministère de la Santé et les partenaires extérieurs (principalement le projet Global Fund).
La couverture des soins par la mutuelle comprenait tous les services et médicaments offerts par les centres de santé (paquet minimum d’activités «PMA») et tous les services et actes au niveau de l’hôpital (paquet complémentaire d’activités «PCA») excepté la chirurgie esthétique (hors accident) et les prothèses. A partir de 2007, les dépenses de santé au niveau du PMA comme du PCA étaient couvertes à 90 pour cent par tiers payant. Le financement de cette couverture était partagé entre les cotisations annuelles des ménages et les subventions de l’État et des partenaires extérieurs. La cotisation totale a été fixée par le ministère de la Santé, dans le cadre de la Politique de Développement des Mutuelles de santé au Rwanda (2004) à 2 000 Frw (3,4 USD à l’époque) par personne et par an. Ce montant se répartissait tel que décrit ci-après.
-
Une cotisation de 1 000 Frw par an et par personne payée par les ménages et destinée à couvrir le paquet minimum d’activités au niveau des centres de santé ainsi que pour les frais de fonctionnement des sections (salaires des gestionnaires, frais de location, électricité, déplacements, etc.). Cette cotisation était collectée par les sections qui en conservaient 90 pour cent et versaient 10 pour cent à la mutuelle de district.
-
Une subvention de 1 000 Frw par an et par personne financée par l’État et des partenaires extérieurs. Cette subvention était répartie entre un Fonds de Solidarité de la santé au niveau des districts (Pooling Risk district) et un Fonds de Solidarité de la santé au niveau national (Pooling Risk national)
-
Le pooling risk du district était financé par les 10 pour cent versé par les sections, les contributions du district, les apports du pooling risk national et des subventions des partenaires extérieurs. Il finançait les services fournis aux bénéficiaires dans le cadre du paquet complémentaire d’activités des hôpitaux ainsi que les jetons de présence des participant aux réunions du comité de gestion, et, partiellement, le salaire du chargé de la mutuelle.
-
Le pooling risk national était financé par une contribution de la RAMA (assurance-maladie des salariés du secteur public et privé) et de la MMI (assurance-maladie des militaires), des subventions de l’État et les contribution des partenaires extérieurs. Ce fonds finançait les soins de santé fournis aux bénéficiaires par les hôpitaux de référence du pays et l’appui aux mutuelles de district déficitaires (pour des raisons autres que la mauvaise gestion des cotisations).
-
Avant l’application du système de catégorisation de l’Ubudehe à partir de 2010, des ONG et associations locales et nationales intervenaient pour financer les cotisations de personnes pauvres et vulnérables, pour le même montant et avec la même répartition que les cotisations des autres ménages.
La répartition des fonctions
La notion de gestion déléguée n’apparait pas dans les textes officiels ni dans la documentation portant sur les différentes phases de l’évolution du système d’assurance-maladie à base communautaire au Rwanda. A l’instar des expériences du Sénégal et de l’Éthiopie, qui partagent avec le Rwanda une approche initiale commune, inspirée par un même partenaire extérieur, le système reposait sur une distribution des fonctions entre les acteurs du niveau national et des entités administratives décentralisées; les termes «décentralisation» et «séparation» des fonctions sont également utilisés dans certaines descriptions.
Répartition des fonction dans le système d’assurance-maladie à base communautaire (avant transfert de l’AMBC au RSSB)
Fonctions |
Répartition |
||||||
cellule |
section |
district |
CTAMS |
MISANTE |
|||
Définition du panier de soins |
X |
||||||
Conventions |
X |
X |
X |
||||
Education et promotion |
X |
X |
X |
||||
Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
X |
|||||
Recouvrement des cotisations |
X |
X |
|||||
Mise en commun des risques couverts |
X |
X |
|||||
Paiement des prestations |
X |
X |
|||||
Prestations de services de santé |
|||||||
Suivi et pilotage |
X |
X |
14.4. Impact et leçons
L’AMBC est considérée comme l’un des principaux facteurs qui ont participé au renforcement du niveau de vie au Rwanda. Le taux d’utilisation des services de santé est ainsi passé de 0,3 contact par an et par personne en 1999 à 1,56 en 2019 (Uwaliraye, 2022) et les taux de mortalité maternelle et infantile ont diminué de deux tiers depuis 2000 (de 107 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2000 à 32 décès en 2015) (Chemouni, 2018).
Le succès de l’AMBC au Rwanda qui affiche désormais le taux de couverture maladie le plus élevé d’Afrique subsaharienne ne peut pas être lié au rôle des mutuelles de santé ni à un système de gestion déléguée:
-
L’évolution progressive de l’AMBC depuis les premières expériences pilotes en 1999 met en question l’approche communautaire. Si l’approche initiale reposait sur des mutuelles de santé, la loi de 2007 à fortement modéré l’implication des communautés dans la gestion du système qui a été confiée aux entités administratives décentralisées. La loi de 2015 a fini de gommer cet aspect communautaire avec pour argument que la gestion technique et financière d’un système d’assurance nécessite de solides compétences, ce que les initiatives communautaires ne peuvent pas fournir. Sur ce plan, on peut souligner que le Rwanda a choisi sa propre évolution, s’écartant du modèle AMBC pur, basé sur l’inscription volontaire et la gestion communautaire, pourtant promue par les partenaires extérieurs. Cette évolution est à comparer avec celle des expériences de l’Éthiopie et du Sénégal qui ont connu le même point de départ.
-
Le système mis en place à partir de 2007 reposait sur une décentralisation des fonctions de gestion, calquée sur la décentralisation de l’administration, sans mécanismes ni conventions de gestion déléguée avec la CTAMS qui jouait essentiellement un rôle d’appui et de coordination. En revanche, l’AMBC gérée aujourd’hui par le RSSB repose sur une gestion totalement centralisée.
Références
Chemouni, B. (2018). «The Political Path to Universal Health Coverage: Power, Ideas and Community-Based Health Insurance in Rwanda», World Development 106 (1 juin 2018): 87‑98. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2018.01.023.
Hitimana, R. (2022). «Universal health coverage in Rwanda – Contribution of Community Based Health Insurance scheme». Présentation lors de la conférence internationale Social Health Protection: a path to fight against inequalities, Niamey, mai 2022.
Kalisa I. R., Musange S. F., Collins D., Saya U. et Kunda T. (2015). «The Development of Community-Based Health Insurance in Rwanda - Experiences and Lessons», University of Rwanda College of Medicine and Health Sciences - School of Public Health, Kigali, Rwanda and Management Sciences for Health, Medford, MA, USA, juillet 2015. https://msh.org/wp-content/uploads/2016/04/the_development_of_cbhi_in_rwanda_experiences_and_lessons.pdf.
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15. Sénégal
15.1. Contexte
La mise en œuvre de le la couverture maladie universelle (CMU) a débuté en 2013 au Sénégal avec l’élaboration de la Stratégie Nationale de Développement Economique et Social (SNDES) 2013-2017 qui définit les orientations politiques du Gouvernement du Sénégal pour l’extension de la protection sociale en général et la couverture du risque maladie en particulier. Celle-ci s’accompagne d’un Plan Stratégique de Développement de la Couverture Maladie (PSD-CMU) 2013-2017 élaboré par le ministère de la Santé et de l’Action Sociale, sous l’impulsion du Président de la République. L’objectif du PSD-CMU est d’étendre et de fédérer à terme les dispositifs et programmes actuels de couverture santé, en vue d’atteindre une couverture de 75 pour cent de la population en 2017. La stratégie du PSD-CMU s’appuie sur trois grands piliers:
-
la gratuité des soins de santé pour les groupes vulnérables (enfants, personnes âgées, personnes handicapées, etc.),
-
la promotion des mutuelles de santé communautaires, considérée comme le meilleur levier d’extension d’une couverture du risque maladie de base au secteur rural et informel ,
-
le renforcement des Institutions de Prévoyance Maladie (IPM) en faveur des salariés du secteur privé (PSD-CMU, 2013).
En 2013, le gouvernement sénégalais a également formulé une Stratégie nationale de protection sociale 2013– 2017 qui a été révisée et mise à jour pour couvrir la période 2016–2035. Cette dernière reprend la CMU parmi ses priorités en étendant l’objectif de couverture de la population à 80 pour cent au moins d’ici 2025. Cette priorité est également réitérée dans le Plan National de Développement Sanitaire et Social (PNDSS 2019- 2028) dont un objectif est d’accélérer la progression vers la CSU.
La CMU s’inscrit globalement dans l’axe 2 «Capital Humain, Protection Sociale et Développement Durable» du Plan Sénégal Emergent (PSE) qui constitue le référentiel de politique de développement économique et social du Sénégal pour la période 2014-2023.
La mise en œuvre de la CMU est pilotée par le ministère de la Santé et de l’Action sociale, et son opérationnalisation a été confiée à l’Agence pour la couverture maladie universelle (ACMU) créée en janvier 2015 112. Cependant, la CMU s’appuie sur un processus plus ancien, débuté au début des années 2000, avec l’adoption de la loi 2003-14 relative aux mutuelles de santé qui définit un cadre juridique pour ces dernières et en 2004 le Plan Stratégique de Développement des Mutuelles de Santé. Ce dernier a été actualisé en 2008 avec l’élaboration de la Stratégie Nationale d’Extension de la Couverture du Risque Maladie des Sénégalais, qui jette les bases de la CMU, notamment concernant le développement des mutuelles de santé. Ce développement devait se faire à travers la mise en œuvre du «projet de Démonstration de l’extension de l’assurance-maladie sur la base des mutuelles de santé dans le contexte de la décentralisation», plus connu sous son acronyme DECAM. Avec le PSD-CMU, le DECAM est devenu «Décentralisation de l’Assurance-maladie» et est au cœur de la stratégie actuelle de mise en œuvre de la CMU. Le DECAM repose sur un partenariat entre les mutuelles de santé communautaires, les collectivités locales et l’État pour impulser les progrès vers la couverture maladie universelle, avec une stratégie résumée dans le slogan du projet: «Une collectivités locale, une mutuelle de santé au moins» (Deville et al., 2018).
En 2020, le Gouvernement du Sénégal, à travers le ministère du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale, a commandité une évaluation du programme de couverture maladie universelle sur la période 2013-2019. Cette évaluation a pour objectifs de réaliser un diagnostic approfondi du programme en vue d’en améliorer significativement l’efficacité, l’efficience, la durabilité et l’inclusion sociale (Diagne et Sylla, 2021). Les résultats de cette évaluation, restitués en début d’année 2022, doivent alimenter un processus de réforme de la CMU. Cette étude de cas se base sur la situation de la CMU avant l’élaboration et la mise en œuvre de ces réformes.
15.2. Le système national de protection sociale en santé
Architecture et gouvernance
Le système national de protection sociale en santé au Sénégal combine un ensemble de mécanismes d’assurance, d’assistance et d’action sociale qui s’adressent aux différentes catégories de population et dont l’addition doit offrir une couverture pour tous. Toutefois, la couverture est fragmentée et les différents mécanismes sont cloisonnés. Ils s’adressent en effet chacun à des groupes spécifiques de la population, sans organiser une solidarité entre ceux-ci ni offrir une garantie de base commune à tous:
-
La couverture santé des fonctionnaires est régie par le décret n°72-215 du 7 mars 1972 relatif à la sécurité sociale des fonctionnaires. Les dépenses de soins de santé des fonctionnaires sont prises en charge partiellement par le budget national; il s’agit d’une forme d’auto-assurance par l’État. Les agents de l’État et les fonctionnaires à la retraite continuent de bénéficier de cette couverture aux mêmes conditions et selon les mêmes procédures que ceux en activité.
-
La couverture santé des salariés du secteur formel est assurée par un régime d’assurance obligatoire géré par les Institutions de Prévoyance Maladie (IPM) 113. 129 IPM sont fonctionnelles (en 2020) et sont accompagnées depuis 2017 par l’Institution de Coordination de l’Assurance-maladie Obligatoire (ICAMO), sous la tutelle technique du ministère du Travail, du Dialogue social et des Relations avec les Institutions. L’objectif de l’ICAMO est d’appuyer le renforcement de la gestion, du fonctionnement, de la gouvernance et globalement de l’efficacité et de l’efficience des IPM.
-
La Couverture Maladie Universelle (CMU) organise sous différentes formes une couverture pour le reste de la population. La CMU ne dispose pas encore d’un ancrage légal et fonctionne actuellement sur la base d’une approche programme. Un projet de loi sur la CMU était en cours de réflexion depuis 2017 et devait définir les modalités de mise en œuvre des systèmes assurantiels et assistanciels de la CMU. Ce projet a été abandonné au profit de l’intégration de la CMU dans le nouveau Code de sécurité sociale en cours d’adoption en 2022 qui jette les bases de la construction d’un régime général pour tous les Sénégalais (c’est-à-dire étendu aux IPM et autres dispositifs). Cette intégration, associée au processus de réflexion en cours suite à l’évaluation de la CMU comme souligné plus haut, devrait apporter un cadre légal à la CMU et redéfinir son organisation et fonctionnement, y compris concernant le rôle des mutuelles de santé au sein du système.
La CMU regroupe:
-
-
les régimes d’assurance-maladie à base communautaire, ou mutuelles de santé communautaires, conçus principalement pour les zones rurales et le secteur informel;
-
les programmes de gratuité pour les enfants de moins de 5 ans, les femmes enceintes, les indigents, les personnes handicapées, la dialyse, etc.
-
le Plan Sésame qui garantit l’accès à la santé pour toutes les personnes âgées de plus de 60 ans.
-
La CMU est pilotée par l’Agence de la Couverture Maladie Universelle (ACMU) 114 créée en 2015 avec pour mission «d’assurer la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement de la Couverture maladie Universelle». Elle assure la tutelle des régimes de la Couverture Maladie Universelle, à l’exclusion de ceux relevant de l’assurance-maladie obligatoire des travailleurs salariés ainsi que l’encadrement technique des organismes de prévoyance qui constituent ces régimes. L’ACMU assure la promotion des mutuelles de santé et autres mutuelles sociales dans le cadre de l’extension de la couverture du risque maladie au secteur informel et au monde rural.
Dans le cadre du DECAM, l’ACMU mobilise les financements nécessaires pour à la mise en œuvre de la couverture maladie universelle et intervient comme une structure de régulation, les fonctions techniques de gestions des affiliations, des recouvrements et des prestations étant assurées par les mutuelles et leur faitières.
Population sibles et paniers de soins
Le système national actuel de protection sociale en santé repose sur une architecture fragmentée et une multiplicité de dispositifs, notamment 676 mutuelles de santé communautaires et 129 IPM, qui s’adressent chacun à des groupes spécifiques. Le tableau ci-dessous résume les différents dispositifs et leur groupes cibles. Dans le cadre de la CMU, certaines prises en charge (ménages non pauvres, personnes vivant avec un handicap, bénéficiaires du PNBSF) passent par les mutuelles qui reçoivent pour ce faire des subvention de l’État et auxquelles ces bénéficiaires sont automatiquement affiliés. Pour d’autres mécanismes (enfants 0-5ans, femmes enceintes, personnes âgées), les prestataires de soins factures directement l’ACMU qui assure la fonction d’acheteur.
Paniers de soins et populations cibles des dispositifs de protection sociale en santé
Dispositifs |
Prestations |
Population cible |
---|---|---|
Régimes du secteur formel |
||
Régime des fonctionnaires et Fonds national de Retraite (FNR) |
Prise en charge à 80% des frais d’hospitalisation, de consultation, des examens et analyses dans les structures de santé publiques et dans certaines structures privées agréées. Les médicaments fournis hors des officines des structures de santé ne sont pas pris en charge. |
Agents de l’État et fonctionnaires, actifs et pensionnés, et leurs dépendants |
Sécurité sociale Instituions de prévoyance maladie (IPM) |
Chaque IPM assure la prise en charge partielle des frais médicaux occasionnés par la maladie non professionnelle du travailleur et de ses ayants droit, dans une fourchette de 50 à 80%, dans les structures de santé publiques et privées agréées. |
Salariés du secteur privé et leurs dépendants |
Sécurité sociale Institution de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES) |
Bien que cela ne fasse pas partie de sa mission à son origine, l’IPRES couvre à 100% les dépenses de soins de santé de ses allocataires (retraités et réversion) au niveau de ses structures médico-sociales. Les dépenses de santé des patients référés vers d’autres structures sanitaires sont prises en charge à 100% par l’IPRES (avec certaines exclusions). |
Pensionnés de l’IPRES et leurs dépendants |
Mutuelles de santé complémentaires |
Système complémentaire qui couvre la quote-part non remboursée par le régime des fonctionnaires, voire des IPM, des soins médicaux et une partie des frais pharmaceutiques |
Salariés du secteur formel |
Couverture Maladie Universelle |
||
ACMU |
Gratuité des soins pour les enfants de 0 à 5 ans, dans les structures de santé publiques |
Enfants 0-5 ans |
ACMU (Mutuelles communautaires) |
Prise en charge des dépenses de soins à 80%, 50% pour les médicaments de spécialité au niveau des postes de santé publics |
Elèves et talibés |
ACMU (Mutuelles communautaires) |
Assurance-maladie à base communautaire: Prise en charge des dépenses de soins à 80% aux niveaux primaire, secondaire et tertiaire; 50% pour les médicaments de spécialité. Cotisation de 7 000 FCFA par an et par bénéficiaire dont 3 500 FCFA est subventionné par l’État. |
Ménages du secteur informel et du monde agricole, non pauvres |
ACMU |
Les actes médicaux dans les structures publiques de santé sont accessibles gratuitement pour les bénéficiaires du Plan SESAME: consultations, médicaments essentiels et génériques, examens complémentaires, actes médicochirurgicaux, hospitalisations. Il existe des exclusions mais qui ne sont pas respectées) |
Personnes âgées de 60 ans et plus (hors IPRES et FNR) |
ACMU (Mutuelles communautaires) |
L’État assure la gratuité des prestations pour les personnes nécessiteuses qui souffrent d’invalidité sévère dûment reconnue, dans les formations sanitaires relevant de l’État, des collectivités locales et des organismes publics. Les mêmes prestations sont accordées à un prix réduit dans les services privés de santé. |
Personnes vivant avec un handicap, éligibles à la Carte d’égalité des Chances (CEC) |
ACMU |
Couverture à 100% de l’acte opératoire, des bilans pré et post opératoire, du kit de médicaments et de produits consommables, du séjour hospitalier n’excédant pas cinq (5) jours, des produits et les médicaments nécessaires à une réanimation éventuelle et le bilan y afférant, dans les structures de santé publiques du pays qui sont en mesure de pratiquer la césarienne à savoir les hôpitaux, les centres de santé, SONU (Soins Obstétricaux et Néonataux d’Urgence), les centres de santé avec bloc opératoire et les structures de santé qui assurent des soins obstétricaux néonataux d’urgence. |
Toute femme sénégalaise en état de grossesse dont l’état de santé ou celui du fœtus nécessite le recours à une césarienne |
ACMU (Mutuelles communautaires) |
Prise en charge à 100% par les mutuelles de santé sur la base d’une subvention de l’État qui couvre le montant de la cotisation, des frais d’adhésion et le ticket modérateur |
personnes identifiées comme vulnérables ou indigentes bénéficiaires du programme national de Bourse de sécurité familiale (PNBSF |
ACMU (Mutuelles communautaires) |
Prise en charge des séances d’hémodialyse et kit d’hémodialyse ou le kit de dialyse péritonéale dans les structures publiques, séances à tarifs réduit dans les structures privées conventionnées avec la CMU |
Patients souffrant d’une insuffisance rénale chronique |
Autres |
||
Mutuelles sociales «d’envergure» |
Couverture maladie au premier franc. Les cotisations et les prestations varient suivants les mutuelles |
Populations du secteur informel et du monde agricole |
Centres des œuvres universitaires |
Les centres des œuvres universitaires prennent en charge les étudiants pour les soins courants (consultations, médicaments, analyses, soins dentaires et hospitalisations) |
Etudiants sénégalais |
Source: Louis dit Guerin, 2021
Le niveau de couverture de la population est variable suivant les modes de calcul. Selon l’ACMU, 49 pour cent de la population était couverte par un régime ou système de couverture maladie incluant les initiatives de gratuité et l’assurance-maladie à base communautaire, à la fin de l’année 2018. En ne comptabilisant que les assurés à jours de cotisation dans les mutuelles, une revue de la protection sociale réalisée par le BIT et la Délégation générale à la Protection sociale et à la Solidarité nationale (DGPSN) estimait pour la même année ce niveau de couverture à 38 pour cent.
Cette couverture a fortement progressé, elle était estimée à 18 pour cent en 2012, mais reste en dessous des objectifs fixés, notamment du PSD-CMU 2013-2017 visant 75 pour cent de la population en 2017.
Financement de la CMU
Les mécanismes d’assurances sont financés par les cotisations des assurés, avec des cotisations variant de 4 à 15 pour cent des salaires soumis à cotisation pour les IPM et des montants variables pour les mutuelles d’envergure. L’assurance à base communautaire repose sur une cotisation des assurés (3 500 FCFA par an et par personne) complétée par une subvention pour un montant égal par l’État.
Les autres mécanismes de la CMU sont financés par l’État. On estime ainsi en 2020 que moins de 40 pour cent des bénéficiaires de la CMU paient eux-mêmes leur cotisation et 60 pour cent bénéficient de prestations sans contribuer au financement du système qui est fortement dépendant des financements de l’État (Ridde et al., 2022) dont les aléas handicapent le fonctionnement des mutuelles et leur capacité à offrir des services de qualité et continus.
Selon les données de l’ACMU, les subventions versées aux mutuelles communautaires (subventions des cotisations des adhérents classiques, des élèves, des bénéficiaires du PNBSF et de la CEC) sont passées de 558,6 millions en 2016 à 750,1 millions en 2017 puis ont connu une chute à 169,2 millions de FCFA en 2018. Cette dernière année, l’État a cumulé d’importants retards dans le versement de ses subventions avec pour conséquence une crise de trésorerie dans de nombreuses mutuelles, obligeant certaines à suspendre leurs prestations pendant plusieurs mois. Les prestations des mutuelles de santé de la CMU sont donc précaires et ne sont pas garanties, y compris pour les adhérents qui paient leur part de cotisation (Louis dit Guerin, 2021).
15.3. Les mutuelles de santé
Le développement des mutuelles de santé a débuté dans les années soixante avec les premières mutuelles créées au sein d’entreprises, d’administrations publiques et de l’armée. Les mutuelles de santé pour le secteur informel et le monde agricole sont apparues dans les années 1990, d’abord dans la région de Thiès. Elles se sont progressivement essaimées sur le territoire national avec l’appui d’organismes de développement nationaux et internationaux puis ont connu un développement important avec la mise en œuvre du DECAM à partir de 2012. Comme déjà mentionné plus haut, trois grands groupes de mutuelles de santé se distinguent aujourd’hui:
-
Les mutuelles du secteur formel, surtout au sein des administrations publiques en complément de la couverture du Régime des fonctionnaires; ces mutuelles offrent souvent également d’autres types de services à leurs membres;
-
Les mutuelles dites d’ «envergure» ou «socioprofessionnelles» qui s’adressent à des groupes cibles précis (travailleurs d’un secteur d’activité, membres d’un réseau épargne/crédit, etc.) au sein de l’économie informelle et du monde rural. Elles interviennent hors du DECAM, leurs cotisations ne sont par conséquent pas subventionnées par l’État, tout en étant reconnues et agréées par l’ACMU. Le fonctionnement et les performances de ces mutuelles est peu documenté. 4 mutuelles d’envergure étaient recensées en 2018 avec une couverture estimée à 316.200 bénéficiaires, soit l’équivalent de 23 pour cent de la masse de bénéficiaires couverts par les mutuelles communautaires fonctionnelles en 2018. Toutefois, les données disponibles ne permettent pas de savoir s’il s’agit de bénéficiaires inscrits ou effectivement cotisants (Louis dit Guerin, 2021).
-
Les mutuelles de santé communautaires promues dans le cadre du DECAM. Les organisations mutualistes développées par cette initiative nationale s’articulent autour de trois niveaux complémentaires:
-
une mutuelle de santé communautaire au moins dans chaque collectivité locale (commune et communauté rurale),
-
une union départementale des mutuelles de santé dans chaque département, et
-
une union régionale dans chaque région.
-
Cette architecture est complétée par une Union nationale des mutuelles de santé communautaires du Sénégal (UNAMUSC) créée en janvier 2014 dont sont membres les unions régionales. L’UNAMUSC a notamment pour rôle, avec l’appui de l’État d’accompagner le déploiement de la CMU, les activités promotionnelles de santé et les partenariats entre les unions, l’État, les PTF et les collectivités locales
Bien qu’étant une agence paraétatique, l’ACMU peut être considérée comme l’instance faîtière de cette architecture des mutuelles du DECAM.
On dénombre 676 mutuelles de santé communautaires, réparties dans les 552 communes du pays, en 2018 (Schwettman, 2022). Les mutuelles et les unions.
En 2017, la proportion de mutuelles fonctionnelles ne dépassait pas les 55 pour cent des mutuelles (CARES, 2018). Une évaluation récente montre une amélioration mais avec encore des faiblesses récurrentes concernant notamment la qualification des gérants des mutuelles communautaires, la production d’information et la gestion des risques (Diagne et Sylla, 2021).
-
Les Unités départementales d’Assurance-maladie (UDAM). Cette approche testée dans les département de Koungheul et Foundiougne, avec l’appui de la coopération technique belge (Enabel) de 2013 à 2017. L’UDAM est une mutuelle de santé à l’échelle départementale, agréée par le ministère de la Santé et de l’Action Sociale (MSAS) – elle ne bénéficie cependant pas des subventions de l’État - et dont la gestion est assurée par du personnel salarié et permanent.
L’adhésion à l’UDAM est familiale ou de groupe, avec un minimum de 5 bénéficiaires par adhérent. Les cotisations sont modulées en fonction du nombre de bénéficiaires: la cotisation annuelle est par exemple de 2 500 FCFA par personne pour une adhésion entre 5 et 10 personnes et de 2 300 FCFA à partir de 11 personnes. Une particularité des UDAM est la contractualisation avec l’offre de soins basée sur une tarification forfaitaire. Le paquet de soins de l’UDAM comprend le niveau poste de santé et centre de santé publics, le niveau de prise en charge étant variable (75 pour cent pour une consultation externe et 80 pour cent pour un accouchement et des soins d’urgence au poste, plus de 90 pour cent pour les soins prodigués dans le centre de santé) (Deville et al., 2018b).
15.4. Un partenariat effectif entre l’ACMU et les mutuelles de santé communautaires pultôt qu’un système formel de délégation
Le système de partenariat
Il n’existe pas dans le cadre de la CMU de mécanisme formel de gestion déléguée. La CMU, et plus précisément la stratégie DECAM, repose sur «la mise en place d’un partenariat effectif entre les mutuelles de santé communautaires, les collectivités locales et l’État pour impulser les progrès vers la couverture maladie universelle» (Deville et al., 2018).
Ce partenariat se concrétise principalement:
-
D’une part, par l’adoption par toutes les mutuelles, bien qu’indépendantes et autogérées, du même panier de soins, des mêmes paramètres de l’assurance ainsi que les outils élaborés par le DECAM.
-
D’autre part, par la politique étatique de subvention des cotisations à hauteur de 50 pour cent (soit 3500 FCFA à charge du bénéficiaire, et 3500 à charge de l’État) et de 100 pour cent pour les personnes identifiées comme indigentes (ménages bénéficiaires du programme de Bourse de Sécurité Familiale et titulaires de la Carte d’Egalité des Chances) et les bénéficiaires des programmes de gratuité.
-
De plus, afin d’appuyer la professionnalisation du schéma DECAM, l’Agence de la CMU finance le personnel des unités techniques de gestion mises en place au niveau des unions départementales (deux salariés par département, financés pour deux ans) ainsi que la « motivation » des gérants des mutuelles de santé. Toutes les mutuelles qui participent au DECAM sont tenues de s’affilier aux unions régionales qui, elles même sont affiliées aux unions régionales.
Au regard de ces deux derniers points, les mutuelles promues par le DECAM sont largement tributaires des financements de l’État, à la fois du fait de la subvention (partielle ou totale) des cotisations, mais également pour certains de leurs frais de fonctionnement, avec tous les risques de dysfonctionnement constatées ces dernières années lorsque l’État ne remplit pas ou partiellement ses obligations.
Les mutuelles communautaires déjà existantes qui veulent intégrer le schéma DECAM et celles mises en place par l’ACMU doivent se conformer aux termes fixés par l’Agence. Cette convention n’empêche pas la création de mutuelles autonomes, en dehors du schéma DECAM, mais celles-ci ne bénéficient pas des subventions ni autres appuis de l’État, dont elles reçoivent cependant l’agrément.
La distribution des fonctions au sein du DECAM
Au niveau de l’ACMU
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Le panier de soins est défini par l’ACMU qui en fixe tous les paramètres (cotisations, services couverts, taux de prise en charge).
-
Tous les supports de gestion des mutuelles ainsi que les modèles de conventions type avec les prestataires de soins sont élaborés par l’ACMU et utilisés par les mutuelles.
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l’Agence de la CMU réalise des campagnes de sensibilisation et appuie les mutuelles de santé pour que celles-ci se professionnalisent et suscitent davantage de confiance.
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L’une des missions importantes de l’ACMU est la mobilisation ressources pour le financement de 50 pour cent des cotisations et la prise en charge totale des bénéficiaires des politiques de gratuité.
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L’ACMU tient le registre national d’immatriculation des mutuelles dont elle contrôle la régularité de la mise en place et du fonctionnement, ainsi que leur situation financière et leur solvabilité.
Au niveau des mutuelles et des unions
-
Les mutuelles Communautaires et les unions ont en charge la sensibilisation des populations et le plaidoyer auprès des autorités locales.
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Les mutuelles communautaires conventionnent les structures de santé primaires, sur la base de la convention type de l’ACMU qu’elles peuvent adapter pour répondre aux spécificités des postes de santé et des centres de santé de sa commune ou communauté rurale. Les unions régionales appuient la mise en place de conventions cadres entre les unions départementales et les hôpitaux du département pour harmoniser les pratiques contractuelles avec les prestataires de soins.
-
Les unions départementales entretiennent des relations contractuelles avec les hôpitaux qui desservent le département et gèrent les prestations au niveau de ces derniers.
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Les mutuelles de santé communautaires assurent l’enrôlement et l’affiliation des ménages dans leurs aires d’intervention. Elles collaborent avec les responsables des organisations communautaires de base, les chefs de quartier et de village, et les responsables de la collectivité locale à l’identification des indigents et des groupes vulnérables éligibles à une prise en charge gratuite. Elles établissent les carnets de membres pour les assurés cotisants et ceux bénéficiant des programmes d’assistance.
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Les mutuelles communautaires recouvrent directement les cotisations des ménages (50 pour cent de la cotisation totale).
-
La mutualisation des risques couverts dans le paquet de base s’effectue au niveau des mutuelles communautaires. Les risques couverts par le paquet complémentaire sont mutualisés au niveaux des unions départementales et régionales.. Par conséquent, la couverture offerte se limite aux zones administratives où sont situées les mutuelles et leurs unions. Les bénéficiaires sont ainsi couverts pour les soins de santé primaires dans l’aire d’intervention de leur mutuelle, qui correspond généralement à une commune, et dans les structures publiques secondaires et tertiaires de leur département et région.
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Les mutuelles de santé communautaires et les unions départementales remplissent un rôle complémentaire dans la fonction d’achat des soins de santé.
-
Les unions régionales assurent le suivi des mutuelles de santé , avec une situation au moins chaque trimestre et apportent un appui technique aux mutuelles de santé en difficultés. Elles appuient également l’élaboration d’un plan d’action de développement des mutuelles de santé annuel. Elles ont également un rôle d’intermédiation sociale entre les unions départementales, les hôpitaux régionaux et nationaux, l’agence de réglementation et les autres acteurs de développement au niveau régional.
Fonctions |
Répartition |
|
ACMU |
Mutuelles et unions |
|
Définition du panier de soins |
X |
|
Conventions |
X |
|
Education et promotion |
X |
X |
Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
|
Mobilisation des subventions de l’État |
X |
|
Recouvrement des cotisations |
X |
|
Mise en commun des risques couverts |
X |
|
Paiement des prestations |
X |
|
Prestations de services de santé |
||
Suivi et pilotage |
X |
X |
15.5. Impact et leçons
Globalement, le système nationale sénégalais de protection sociale en santé se caractérise par sa fragmentation, avec une multiplicité notamment d’IPM et de mutuelles communautaires. Concernant ces dernières, l’évaluation réalisée à partir de 2020 a mis en exergue différents acquis, dont le déploiement de la CMU sur tout le pays, mais aussi de nombreuses fragilités techniques et financières. La multiplication des mutuelles communautaires rend difficile, voire impossible la régulation et le pilotage global du système ainsi que la fourniture d’un appui technique suffisant, avec pour conséquence seulement 55 pour cent des mutuelles communautaires réellement fonctionnelles en 2017.
Le choix du Sénégal de s’appuyer sur la promotion de mutuelles communautaires, logées dans les communes à travers le pays, a écarté les mutuelles dites d’envergure dans le schéma du DECAM. Pourtant, celles-ci ont montré qu’elles peuvent couvrir une masse importante de population (316 000 bénéficiaires pour seulement 4 mutuelles d’envergure) avec une gestion centralisée et des représentations locales.
Par ailleurs, la forte fragmentation des mécanismes de couverture du risque maladie au Sénégal a entraîné une limitation de la solidarité avec des faiblesses évidentes de redistribution des ressources entre mécanismes et entre les populations cibles (Diagne et Sylla, 2021).
Concernant la question spécifique de la délégation de gestion, plusieurs grilles de lecture sont possibles pour définir le mécanisme de partenariat mis en place depuis les années 2010 dans le cadre du DECAM. Celui-ci peut en effet s’apparenter:
-
Soit à un système de gestion déléguée en cours de construction; la priorité pour l’ACMU étant dans un premier temps de construire un réseau mutualiste fonctionnel sur l’ensemble du territoire afin de pouvoir ensuite formellement déléguer un ensemble de fonctions. Le chemin est encore long car si toutes les communes ont aujourd’hui au moins une mutuelle, une partie de celles-ci, comme souligné précédemment, connaissent des difficultés de fonctionnement et n’offrent pas des services de qualité à leurs bénéficiaires (CARES, 2018).
-
Soit au déploiement d’un réseau de guichets pour la CMU dans lequel les mutuelles et les unions n’ont pas d’autonomie et appliquent les procédures définies par l’ACMU. Cette lecture du système n’est cependant pas juste car elle impliquerait que l’ACMU soit gestionnaire de l’assurance-maladie, alors qu’elle agit plutôt aujourd’hui comme un régulateur, la gestion de l’assurance étant réalisée par les mutuelles et leurs unions. Toutefois, on peut s’interroger sur le choix de bâtir un réseau mutualiste dans les communes car celui-ci oblige à déployer et disperser d’importants efforts d’accompagnement et de suivi. A l’image de l’UDAM, des mutuelles départementales, voire régionales, pourraient permettre de centraliser la gestion de l’assurance-maladie et de focaliser l’appui technique sur un nombre limité de structures. Dans cette approche, la relation de proximité avec les populations cibles pourrait être assurée de façon plus efficiente par des structures déconcentrées directement gérées par l’agence, en partenariat avec les collectivités locales, voire également en coalition avec d’autres programmes de protection sociale tels que le Programme National de Bourses de sécurité Familiale (PNBSF). L’ACMU semble de plus en plus s’orienter vers cette approche au regard des résultats jugés positifs des UDAM.
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Soit encore, si l’on considère le caractère autonome des mutuelles communautaires affirmé dans le DECAM, à une forme de franchise sociale, dans lequel l’ACMU est le franchiseur, les mutuelles et unions sont les franchisés et la CMU est la «marque sociale» que les mutuelles ont le droit d’exploiter. Un système de franchise sociale se définit effet comme un «Mode de collaboration qui permet à une organisation d’utilité sociale ayant un savoir-faire éprouvé, de déployer son impact social en transférant ce savoir-faire à des structures indépendantes pour qu’elles puissent le reproduire sur leur territoire» 115. Cette lecture du partenariat entre l’ACMU et les mutuelles communautaires amènerait à recommander à l’ACMU de se focaliser, en tant que franchiseur, sur le renforcement de la qualité du produit «CMU» ainsi que des flux techniques et d’information et la mobilisation de ressources. Parallèlement, elle devrait imposer aux mutuelles qui souhaitent se franchiser un cahier des charges rigoureux, leur offrir des formations, fournir un appui médiatique et surtout proposer une marque sociale, la CMU, de qualité et attractive. Vu sous cet angle, le Sénégal pourrait être considéré non pas comme un exemple en matière de délégation de gestion mais comme une approche alternative à celle-ci.
Dans tous les cas, la mise en œuvre de la CMU au Sénégal fait encore face à de multiples défis avec des taux d’adhésions qui restent faibles et des flux financiers et d’information lents. Parmi ces défis, le déploiement d’un nombre important de mutuelles communautaires (676 mutuelles plus leurs unions) pose la question de la capacité de fournir un appui technique suffisant et de gérer un flux d’information particulièrement important. Au regard des lignes précédentes, un autre défi est peut-être de qualifier précisément la stratégie de déploiement de la CMU afin d’utiliser les bons modes d’organisation et d’appliquer une stratégie et des outils adaptés.
Références
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Deville C., Fecher F., Poncelet M. (2018). «Les mutuelles de santé subventionnées comme instruments de la Couverture Maladie Universelle au Sénégal». Rencontre des Etudes Africaines en France (REAF). Marseille, juillet 2018. Panel «Les chantiers de la santé en Afrique : répétition de scénarios déjà vus ou véritables dynamiques nouvelles ?», juillet 2018. https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/226717/1/Les%20mutuelles%20de%20sant%C3%A9%20subventionn%C3%A9es%20comme%20instruments%20de%20la%20CMU%20au%20S%C3%A9n%C3%A9gal.pdf.
Deville C., Hane F., Ridde V. et Touré L. (2018b). «La Couverture universelle en santé au Sahel : la situation au Mali et au Sénégal en 2018». Working Paper du Ceped, n°40 Ceped (UMR 196 Université Paris Descartes IRD), octobre 2018. https://www.ceped.org/IMG/pdf/wp40.pdf.
Diagne A. et Sylla F. N. (2021). «Evaluation du programme de Couverture Maladie Universelle, Rapport de synthèse de l’évaluation de la Couverture Maladie Universelle», Consortium pour la Recherche Economique et Sociale, CRES, Dakar, décembre 2021.
Louis dit Guérin O. (2021). «Revue globale et analyse du système national de Protection sociale : Revue générale du système de Protection sociale au Sénégal et appui à la mise en œuvre de la Stratégie nationale de Protection sociale». Organisation internationale du Travail, Bureau pays de l’OIT à Dakar (ETD/BP-DAKAR), Dakar, 2021. https://socialprotection-pfm.org/wp-content/uploads/2021/04/WEB-Revue-globale-du-systeme-de-protection-sociale.pdf.
Ndiaye P. et Ouattara O. (2017). «Potentiel des mutuelles de santé à la mise en œuvre de la Couverture maladie Universelle au Mali et au Sénégal», MASMUT, juin 2017. https://bit.ly/3guBo0a.
Plan stratégique de développement de la Couverture Maladie Universelle, PSD-CMU (2013). «Plan stratégique de développement de la Couverture Maladie Universelle au Sénégal 2013-2017». Ministère de la Santé et de l’Action sociale, 2013.
Ridde V., Antwi A., Boidin B., Chemouni B., Hane F. et Touré L. (2021). «Les défis des mutuelles communautaires en Afrique de l’Ouest, Vers une couverture sanitaire universelle en 2030 ?» Vers une couverture sanitaire universelle en 2030 ? Editions science et bien commun: 2021.
Schwettmann J. (2022) «Vers une couverture sanitaire universelle, les cas du Bénin, de la Côte d’Ivoire, de l’Éthiopie, du Kenya, du Sénégal et de la Zambie». Friedrich Ebert Stiftung, janvier 2022.
16. Tanzanie
En 2023, la Tanzanie métropole116 et Zanzibar117 ont adopté des régimes nationaux d’assurance santé. La présente étude de cas retrace le recours historique au CBHI dans le cadre du système précédent cette réforme. Cette réforme fait suite à un système fragmenté misant en partie sur des régimes volontaires ayant atteint en 2020 un faible taux de couverture.
16.1. Contexte
Le processus de mise en œuvre d’un système national d’assurance-maladie en Tanzanie a débuté dans les années 1990 avec la mise en place de deux systèmes publics, les Community Health Funds (CHF) et le National Health Insurance Fund (NHIF), respectivement en 1996 et 2001. L’objectif de ces systèmes était de protéger les populations face à l’augmentation constante des dépenses de santé et d’atteindre à long terme la couverture maladie universelle.
Le CHF a été introduit par le ministère de la Santé, d’abord sous la forme d’un projet pilote dans le district d’Igunga avant d’être étendu progressivement à d’autres régions et districts du pays. Chaque CHF de district était un régime volontaire, géré par le Conseil de district qui fixait le montant des cotisations des ménages et délivrait les cartes d’assuré. Celles-ci étaient renouvelables chaque année et donnaient droit à un ensemble de services de soins de base dans les établissements de santé du district tout au long de l’année (Tungu et al., 2020).
La loi sur le CHF promulguée en 2001 118 fixait comme grands objectifs pour le régime:
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mobiliser les ressources financières de la communauté pour permettre à ses membres d’accéder aux des services de santé de base;
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fournir des services de santé de qualité et abordables par le biais d’un mécanisme financier durable;
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améliorer la gestion des services de soins de santé dans les communautés par la voie de la décentralisation et en donnant aux communautés les moyens de participer aux décisions qui affectent leur santé (Mtei et Mulligan, 2007).
Le CHF s’adressait aux personnes résidant dans les zones rurales. En 2009, le gouvernement a initié la mise en place du Tiba Kwa Kadi (TIKA) avec les mêmes objectifs que le CHF mais axé uniquement sur les zones urbaines 119. Une autre différence notable était que l’adhésion au CHF s’effectuait par ménage, tandis que celle au TIKA était individuelle (Kigume et Maluka, 2021).
Parallèlement, l’État a introduit en 2001 le Fonds national d’assurance-maladie (NHIF) comme un régime d’assurance santé obligatoire pour les employés du gouvernement central. Il a été ensuite étendu au secteur privé formel puis, à partir de 2013, aux particuliers, dont ceux de l’économie informelle, désireux et capables de payer les contributions. Pour ces derniers, le NHIF se présente comme un régime volontaire et fonctionnant en parallèle du CBH/TIKA, sans mise en commun des ressources ni des risques au sein des districts (Tungu et al., 2020). Cette extension à l’économie informelle faisait suite au constat de la faiblesse des performances du CHF en termes d’inscription, de gestion des fonds et de couverture des prestations. Ce constat a ainsi motivé le lancement d’une réflexion au niveau du ministère de la Santé et des Affaires sociales (MoHSW) à partir de 2009 pour le transfert de la gestion des opérations du CHF au NHIF. Ce transfère tardant, des initiatives ont été prises dans différentes région pour renforcer les CHF de district en mettant en commun les fonds au niveau régional. Ces CHF améliorés (iCHF) offrent de plus des prestations plus complètes et bénéficient du soutien technique et financier de partenaires extérieurs.
Avec seulement à peine un tiers de la population couverte et un système fragmenté de couverture au milieu des années 2010, le ministère de la Santé, du Développement communautaire, du Genre, des Personnes âgées et de l’Enfance a proposé dans son projet de stratégie de financement de la santé 2016-2020, un régime national unique d’assurance-maladie (Single National Health Insurance – SNHI). Ce régime, toujours à l’étude, vise à consolider les fonds des différents systèmes actuellement existant et promouvoir l’uniformité dans l’ensemble des prestations, des contributions et des paiements, avec notamment un ensemble de prestations minimales pour tous. Sa mise en œuvre devrait également s’accompagner de stratégies visant à augmenter les inscriptions, des subventions pour les pauvres et un rôle plus important de l’offre de l’offre de soins privée afin d’élargir l’accès aux soins (Prabhakaran et Dutta, 2017).
Malgré le fort soutien politique dont il bénéficie, la mise en œuvre du SNHI tarde en raison des longues consultations et des multiples examens des parties prenantes concernant le pool unique de prestations et le financement du régime. Ce dernier est conçu pour être essentiellement alimenté par les cotisations des membres et des ressources supplémentaires provenant de la fiscalité générale devant assurer la durabilité du SNHI. Une étude actuarielle tenant compte de la fusion des régimes actuels est prévue afin d’appuyer les décisions politiques finales et des consultations supplémentaires des parties prenantes devront conduire à la formulation de la loi sur le régime national unique d’assurance-maladie (SPARC, 2021) (SPARCb, 2021) (Prabhakaran et Dutta, 2017).
16.2. Le système national de protection sociale en santé avant 2023
Architecture et gouvernance
Le système national d’assurance santé en Tanzanie se caractérise par sa fragmentation, avec plusieurs régimes qui ciblent différents segments de la population et présentent des caractéristiques différentes:
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Le Fonds National d’Assurance-maladie (National Health Insurance Fund - NHIF): le NHIF a été créé par la loi n° 8 de 1999 120 et a commencé à fonctionner en juin 2001. La contribution des adhérents employés dans les secteurs public et privé, qui constituent l’essentiel des assurés, s’élève à 6 pour cent du salaire mensuel de base et est partagée à parts égales entre l’employeur et le travailleur (Kuwawenaruwa, 2020). Ce régime couvre le membre principal, son conjoint et jusqu'à quatre personnes à charge de moins de 18 ans. La couverture a connu une augmentation constante, passant de 2 pour cent de la population totale en 2001/2002 à environ 8 pour cent en 2020 (Kuwawenaruwa, 2020). Les fonds sont centralisés et gérés par le conseil d’administration du NHIF, supervisé par le ministère de la Santé, pour acheter des services de santé auprès de divers prestataires et établissements de santé publics et privés agréés.
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La Prestation Sociale d’Assurance-maladie (Social Health Insurance Benefit - SHIB): le SHIB a été introduit en 2007 et fait partie des 7 prestations de la sécurité sociale nationale (National Social Security Fund - NSSF). Le SHIB offre une couverture santé aux cotisants du fonds de pension du NSSF qui choisissent d’y adhérer (SPARCb, 2021). Ceux-ci ont accès aux soins médicaux auprès d’un établissement public ou privé de leur choix auquel ils doivent se rattacher. Cette prestation est intégrée dans la contribution globale des travailleurs à la NSSF qui s’élève à 20 pour cent du salaire, partagé à parts égales entre l’employé et l’employeur (Mzee, 2013). Bien qu’elle soit une composante des prestations du NSSF, l’inscription au SHIB nécessite une procédure distincte et peu de bénéficiaires du NSSF se sont inscrits au SHIB, soit parce que leur employeur offre déjà une couverture santé, soit par méconnaissance de ce régime. Une autre raison est que le SHIB n’est conventionné qu’avec un nombre très réduit d’établissements de santé ce qui en limite l’accès pour les assurés dispersés sur le territoire national. Les retraités de la NSSF ont également le droit d’adhérer à la SHIB, avec un taux de cotisation de 6 pour cent de la pension brute. le SHIB effectue des paiements par capitation aux établissements de santé agréés et aux prestataires de santé pour les services de santé rendus aux membres. Cette approche impose à chaque membre de choisir un seul établissement où il sera couvert et ce dernier reçoit alors un montant forfaitaire par an pour fournir des services de santé à ce membre. Le montant de la capitation n’est basé sur aucune information spécifique car le SHIB ne collecte pas d’informations sur les coûts encourus par les membres ou sur les taux d’utilisation. Des accords spéciaux de rémunération à l’acte sont conclus avec ces établissements, notamment à Dar es Salaam, qui refusent de prendre la capitation. Les prestations de santé fournies par la NSSF comprennent un large éventail de services, parmi lesquels les services ambulatoires (consultations, diagnostics de base et spécialisés, médicaments, etc.) et les hospitalisations (Haazen, 2012).
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Le Fonds de Santé Communautaire amélioré (improved Community Health Fund - iCHF): l’iCHF est un programme de financement communautaire volontaire qui cible les personnes à faible revenu, principalement dans le secteur rural et informel, celui-ci regroupant la majorité de la population nationale. L’iCHF résulte d’une réforme du fonds de santé communautaire (CHF) entreprise par le NHIF à partir de 2018. Le CHF, en place depuis 2001, était en effet confronté à de multiples dysfonctionnements, notamment la mauvaise gestion des fonds par les conseils de district. Cette réforme vise à renforcer ce régime en mettant en commun les fonds au niveau régional et en élargissant les prestations pour inclure les services de santé au niveau régional (Afriyie et al., 2021):
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Le NHIF est responsable de l’administration et du marketing et assume le risque de l’assurance médicale.
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La gestion courante du régime est déplacée du district au niveau régional (une région compte plusieurs districts), par l’ Administration régionale, sous la supervision du ministère en charge de la planification des collectivités locales et les interventions sectorielles ainsi que du NHIF.
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Le système dispose de personnel dédié au niveau de la région et de ses districts.
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La couverture du régime, auparavant limitée aux établissements publics, est étendue aux prestataires de soins privés. Les bénéficiaires ont ainsi accès à tous les établissements de soins de santé publics et privés sous contrat avec la région.
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La cotisation annuelle est fixée à 60.000 TZS. Les ménages en paient la moitié, les 50 pour cent restant étant financés par l’État à travers le NHIF (ICHF, 2021).
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La micro assurance santé: Les régimes de micro-assurance santé en Tanzanie sont peu développés et ne couvrent que moins de 1 pour cent de la population total. Ces micro assurances santé sont mises en œuvre, avec l’appui de partenaires extérieurs, et administrées par des groupes du secteur informel, , tels que UMASITA (Tanzania Informal Sector Community Health Fund) et VIBINDO (organisation qui chapeaute les opérateurs du secteur informel dans la région de Dar es Salaam). Ces systèmes cherchent à renforcer les communautés du secteur informel en leur offrant un meilleur accès aux soins de santé, une meilleure qualité des soins et des moyens de promouvoir des services de soins de santé complets à des prix abordables. D’autres mécanismes sont promus par des organisations confessionnelles dans différentes régions du pays, avec pour objectifs généralement d’atténuer les problèmes de financement des établissements de santé gérés par les églises et d’aider les pauvres à accéder aux soins de santé. Globalement, ces systèmes de micro assurance se heurtent à des difficultés de communication et de compréhension par les groupes cibles et une viabilité financière fragile, avec des pools de risques séparés et une escalade des coûts (Haazen, 2012).
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Les régimes d’assurance privés: Il s’agit de plans d’entreprise et de régimes individuels volontaires qui visent les ménages à revenu élevé (SPARCb, 2021). Les compagnies d’assurance-maladie privées, nationales et internationales, sont principalement concentrées dans les zones urbaines, avec un faible taux de couverture de la population nationale.
Populations couvertes
Les données détaillées disponibles en 2020 indiquaient la répartition suivante de la couverture de la population par les systèmes d’assurance santé décrits précédemment, l’ensemble de ces systèmes couvrant alors environ 15 pour cent de la population nationales:
Répartition de la couverture (2020)
NHIF |
SHIB |
CHF/TIKA |
Micro assurances |
Assurances privées |
8% |
0,1% |
6% |
<1% |
1% |
Source: Binyaruka, P. et al. (2024).
L’extension de l’iCHF a constitué un objectif prioritaire du plan stratégique du secteur de la santé de la Tanzanie IV-2015-2020. Cependant, malgré les efforts déployés, la couverture stagne aujourd’hui à 7 pour cent de la population nationale. Cette couverture limitée est expliquée à travers les études et évaluations réalisées, notamment par le gouvernement, par des problèmes liés à la demande, tels qu'une mauvaise compréhension du système, et à des facteurs liés à l’offre, notamment un ensemble limité de prestations et une mauvaise qualité des soins dans les établissements de santé publique, ainsi que des faiblesses dans la gouvernance (Afriyie et al., 2021).
Panier de soins
Le ministère de la Santé, du Développement communautaire, du Genre, des Personnes âgées et des Enfants (Ministry of Health, Community Development, Gender, Elderly and Children – MoHCDEC) a défini, et révise périodiquement, un Paquet National d’Interventions Sanitaires Essentielles (National Package of Essential Health Interventions – NPEHI), qui regroupe un ensemble de services prioritaires, sur la base des besoins de santé de la population.
Ce paquet national contribue à l’élaboration de directives mais ne constitue pas un paquet de prestations minimales pour les régimes d’assurances publics et privés qui utilisent le NPEHI et les directives du ministère comme base pour développer leurs propres paquets de prestations (SPARCb, 2021).
Prestations des différents régimes
NHIF |
SHIB |
iCHF |
Micro assurances |
Assurances privées |
Soins hospitaliers et ambulatoires (avec des exclusions) dispensés par des établissements et des pharmacies publics, confessionnels et privés agréés sur l’ensemble du territoire Ce paquet est revu sur la base des commentaires des assurés obtenus par des consultations publiques |
Paquet de soins similaire au NHIF (Soins hospitaliers et ambulatoires) dans un nombre limité d’établissements conventionnés (environ 300 établissements) |
Large couverture des soins primaires et hospitaliers sans exclusions spécifiques; pas de processus clair pour les révisions |
Couverture des soins de santé primaires et hôpitaux |
Contrats sélectifs avec certains prestataires privés |
Source: SPARCb, 2021; Borghi et al., 2012
Le NHIF rembourse à l’acte les prestations et utilise le système du tiers payant; il dispose d’un système électronique pour surveiller l’enregistrement, la vérification, le traitement et les remboursements des services de santé aux prestataires de soins. Plus de 7.700 structures sanitaires publiques, confessionnelles et privées sont conventionnées avec le NHIF au niveau national, incluant des dispensaires, des centres de santé, des hôpitaux de district, des hôpitaux régionaux de référence, des hôpitaux zonaux de référence et des hôpitaux nationaux de référence. Les prestations sont prises en charge à 90 et 95 pour cent, selon les services, par tiers payant (Haazen, 2012). On peut noter que le NHIF soutient par ailleurs les structures de santé dans l’amélioration de la qualité de la prestation de services par l’octroi de prêts pour l’acquisition de matériel médical et l’amélioration des installations. Plusieurs structures de santé, du niveau primaire au niveau tertiaire, on ainsi pu fournir des services qui n’étaient pas disponibles auparavant. D’autres structures ont été réhabilitées afin d’améliorer la qualité des soins, tant pour les adhérents du NHIF que pour les autres usagers qui se rendent dans les structures (Kuwawenaruwa, 2020).
Les prestations offertes par le SHIB sont similaires à celles du NHIF à la différence toutefois que les dépenses en hospitalisation sont plafonnées à 80.000 TZS. Le SHIB est conventionné avec un nombre restreint de prestataires de soins avec lesquels elle utilise la capitation pour le paiement des services de santé. Le SHIB contrôle les prestations par une surveillance de routine des prestataires de soins.
Tous les bénéficiaires de l’iCHF ont droit aux services de santé publics et privés conventionnés disponibles jusqu'au niveau de l’hôpital régional, avec quelques exclusions portant essentiellement sur des services et des médicaments spécialisés. L’accès aux hôpitaux de district et régionaux nécessite une référence par une structure de santé primaire (Lee et al., 2018). En tant qu’administrateur de l’iCHF, le NHIF rembourse les établissements de santé publics et privés par capitation, en fonction du nombre de ménages inscrits qui les utilisent. Les montants de capitation pour les prestataires de soins privés sont 50 pour cent plus élevés que pour les prestataires publics. Cette pratique vise à compenser le fait que les prestataires publics reçoivent une aide gouvernementale pour couvrir les coûts fixes tels que le loyer ou les salaires du personnel (Wagenaar et al., 2016). Le contrôle des prestations par l’iCHF s’effectue par un suivi des taux d’utilisation des services couverts (Kuwawenaruwa et al., 2022).
Financement
Les fonds du NHIF et du SHIB sont mis en commun au niveau national tandis que les fonds iCHF sont mis en commun et gérés au niveau de l’administration régionale qui agit en tant qu’acheteur. Le budget du NHIF est approuvé chaque année par le Parlement et est basé sur les cotisations salariales de 6 pour cent versées par les salariés et les employeurs. Lorsque les contributions perçues sont insuffisantes pour couvrir les sinistres, le déficit est couvert par les réserves accumulées à partir des excédents des années précédentes. La Caisse fait face à une série de difficultés opérationnelles parmi lesquelles les tentatives fraude par les membres qui ne cotisent pas; ce problème résulte en grande partie du non respect par certains employeurs des règles en matière de cotisation établies par la loi de 1999, qui oblige ceux-ci à verser les cotisations de leurs employés mensuellement (AISS, 2017) (Tungu et al., 2020).
Concernant le SHIB, le budget annuel est basé sur le budget de l’année précédente et sur les tendances des inscriptions. Bien que des dépassements du budget n’aient pas eu lieu, la loi sur le NSSF autorise un budget supplémentaire moyennant l’approbation du Ministre du Travail et de l’Emploi (SPARCb, 2021).
Le financement de iCHF est assuré par les cotisations des ménages et les contributions du gouvernement national. Les cotisations annuelles sont fixées en fonction de la situation géographique des ménages (région rurale ou urbaine). En 2018, ces cotisations se présentaient ainsi (Lee et al., 2018):
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Dar es Salaam: 45 000 TZS (20 USD) par individu ou 150.000 TZS (65 USD) par ménage de 6 personnes
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Autre zones urbaines: 30 000 TZS (13 USD) par personne
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Zones rurales: 30 000 TZS par ménage de 6 personnes. Un ménage peut cotiser pour des membres supplémentaires avec une cotisation de 30 000 TZS par adulte et 10 000 TZS par enfant. Les ménages qui dépassent 6 personnes peuvent opter pour adhérer en plusieurs ménages. Ces cotisations de iCHF représentent une forte augmentation par rapport à celles du CHF qui variaient de 5 000 à 10 000 TZS par ménage
Le gouvernement contribue pour 30.000 TZS pour chaque ménage de 6 personnes. La cotisation totale pour un ménage s’élève par conséquent à 60.000 TZS (cotisation du ménage et contribution de l’État) par an (Lee et al., 2018). Les ménages jugés trop pauvres sont exemptés du paiement des contributions. Les cotisations collectées sont déposées sur le compte bancaire du bureau régional du NHIF qui rembourse les prestataires de soins de santé directement en utilisant le système de capitation. Ces remboursements sont strictement surveillés: l’iCHF régional est supervisé par la NHIF qui, à son tour, rend compte au ministère de la Santé (Wagenaar et al., 2016).
L’utilisation des ressources est fixée au préalable:
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80 pour cent des cotisations des ménages sont alloués au paiement de la capitation aux hôpitaux et aux établissements de soins primaires, 10 pour cent vont à la commission de l’agent qui inscrit un ménage, 9 pour cent aux frais administratifs et 1 pour cent aux réserves.
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Les financements de l’État sont affectés à 80 pour cent aux établissements de santé sur une base per capita, 15 pour cent aux coûts administratifs et 5 pour cent à la constitution de réserves (Afriyie et al., 2021).
16.3. Le Community Health Fund: une assurance santé entièrement déléguée aux districts avant le passage à iCHF
Cadre légal et organisationnel
Le Community Health Fund (CHF) et le Tiba Kwa Kadi (TIKA) ciblaient la population de l’économie informelle, respectivement en milieu rural et en milieu urbain. Ces deux régimes étaient régis par la loi de 2001 sur le CHF et gérés au niveau des districts par les conseils de district, les conseils des services de santé (CHSB) et les comités directeurs des établissements de santé (HFGC) qui définissaient l’ensemble des prestations, fixaient les cotisations, assuraient la sensibilisation et supervisaient le fonctionnement du CHF (Amani et al., 2021). Du fait de leur configuration, les CHF se situent quelque part entre les mutuelles communautaires et l’assurance santé gérée par un prestataire de soins (la gestion du Fonds étant intégrée dans les tâches du CHSB). Elles s’inscrivent globalement dans la définition des systèmes d’assurance-maladie à base communautaire.
Le district était le centre des activités du CHF avec comme principal responsable le CHSB qui était en charge d’introduire le programme CHF auprès de la communauté, notamment des comités de développement des quartiers (WDC), des conseils des villages, des ménages et des prestataires de soins de santé. Le CHSB était également responsable de la gestion financière et du fonctionnement des établissements de santé. Ces fonctions étaient en effet confiées aux autorités gouvernementales locales qui disposaient d’importantes responsabilités dans la prestation de services de santé et il n’y avait ainsi pas de répartition séparée entre la fonction d’acheteur et celle de gestion et de gouvernance du secteur de la santé au niveau des districts, dans le schéma mis en place en 2001. Toutefois, un objectif du CHF était d’impliquer la communauté dans les questions de gestion et de planification financière du CHF; la loi de 2001 définissait dans ce sens l’organisation nécessaire au fonctionnement du CHF:
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Au niveau du district, le Conseil des services de santé du Conseil (CHSB) était responsable de la gestion du programme. Le Conseil comprenait des représentants des prestataires de services, 4 membres de la communauté dont 2 femmes et des autorités locales (Mtei et Mulligan, 2007), avec pour rôle de superviser les activités des programmes dans le district et de surveiller l’utilisation des fonds.
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Des coordinateurs de district de la CHF supervisaient le fonctionnement du programme et rendaient compte du nombre de ménages inscrits et des cotisations perçues.
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Au niveau des quartiers et des villages, le Comité de développement des quartiers et le Comité de santé des villages, ainsi que le Comité directeur des établissements de santé et les agents de santé des établissements, mobilisaient la communauté pour qu’elle s’inscrive au programme.
Le cadre légal ne fournissait pas de lignes directrices claires pour la mise en œuvre du CHF et les districts disposaient d’une importante autonomie. Toutefois, les communautés se sont faiblement approprié la CHF dont les statuts de la CHF étaient rédigés par les autorités de district. Ces statuts définissaient les aspects importants de la mise en œuvre, tels que les montants de cotisations et les critères appliqués aux populations pauvres exonérées. Cette autonomie a par ailleurs conduit à une forte hétérogénéité des CHF de district à travers le pays; elle posait de plus de multiples défis pour la généralisation et le pilotage du programme (Wang et Rosemberg, 2018). Une autre conséquence a été la fragmentation du système et l’absence de péréquation entre les CHF dont la couverture se limitait à leur district respectif.
La distribution des fonctions dans le cadre des CHB puis des iCHB
Dans chaque district, le CHSB était responsable du Community Health Fund et, à ce titre, assurait les fonctions suivantes:
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Supervision des activités du régime dans le district
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Mobilisation et gestion des fonds
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Achat des services délivrés par les établissements de santé
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Définition des critères d’exemption pour les ménages pauvres
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Suivi des opérations de collecte des cotisations et des dépenses
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Elaboration d’un plan annuel
Les opérations d’enregistrement des ménages s’appuyaient sur les établissements de santé où les usagers pouvaient s’enregistrer dans le CHB lorsqu’ils demandaient des soins - avec un risque important de favoriser un phénomène de sélection adverse. Dans certains districts, l’enregistrement s’appuyait également sur des partenariats public-privé avec des associations et des coopératives locales pour une inscription en groupe. D’autres districts réalisaient des campagnes d’inscription lors de l’inscription scolaire dans des écoles secondaires locales.
Le CHSB assurait également les fonctions de sensibilisation et communication à travers les représentants de la communauté membres du conseil. Ces derniers étaient chargés de diffuser l’information auprès des bénéficiaires du CHF sur le fonctionnement du régime, dans le but d’impliquer ceux-ci dans les opérations du CHF (Mtei et Mulligan, 2007).
Au niveau des quartiers et des villages, le Comité de développement des quartiers et le Comité de santé des villages, ainsi que le Comité directeur des établissements de santé et les agents de santé des établissements, mobilisaient la communauté pour qu’elle s’inscrive aux CHF. On peut souligner ici que la loi sur le CHF de 2001 n’obligeait pas les membres du CHSB ni des conseils de villages et des comités de développement des quartiers à être membres du CHF.
Les districts étaient en charge de l’identification et de l’inscription des ménages pauvres. En l’absence de directive nationale qui réglemente les critères qui peuvent être appliqués pour la politique de dérogation en CHF, le CHSB s’appuyait sur les conseils de village, les autorités de quartier ainsi que d’autres institutions (Département du travail social, Département de la protection sociale, etc.) pour identifier les ménages pauvres. Les autorités du district étaient chargées de mobiliser les ressources pour la prise en charge de ces ménages par le CHF, notamment auprès de partenaires extérieurs (Wang et Rosemberg, 2018).
La surveillance réglementaire du CHF/TIKA était assurée par le ministère en charge de la Santé et le NHIF. Plusieurs difficultés ont été constatées, concernant notamment la faible capacité à mobiliser les adhésions et gérer les fonds et produire des données fiables sur les adhésions. Bien que les CHSB jouaient le double rôle de «fournisseur» et d’«acheteur» de services de santé, les cotisations des membres n’ont pas servi à améliorer les services de santé dans les établissements de santé couverts qui étaient supposés fournir des soins de santé de qualité. Par conséquent, les membres de la CHF ont été confrontés à une dégradation continue des services de santé, avec notamment une pénurie chronique de médicaments. Cette situation a découragé les adhésions et le nombre de membres a connu une baisse importante (NHIF, 2017).
Ce constat a conduit le NHIF à développer un plan d’action CHF (2009-12) qui posait les bases d’un «Fonds de santé communautaire amélioré» (iCHF) (ISSA, 2016). Le NHIF a proposé dans le cadre d’un plan d’action CHF (2009-12) une nouvelle initiative visant à promouvoir un «Fonds de santé communautaire amélioré» (iCHF). Pour initier cette réforme du CHF, le ministère de la santé et le NHIF ont par ailleurs signé un accord avec une ONG extérieure, PharmaAccess, qui avait mis en place une assurance-maladie à base communautaire pour les producteur de café dans une région connaissant un certain succès.
Comme détaillé plus haut, plusieurs mesures de renforcement ont été introduites:
-
La gestion du régime a été transférée autorités régionales (secrétaire administratif régional (RAS)) sous la supervision du NHIF et de ses bureaux régionaux qui assure l’administration au niveau national, avec une professionnalisation de la gestion, un renforcement des capacités des autorités régionales et des districts ainsi que l’introduction de nouveaux mécanismes d’enregistrement des adhésion et de recouvrement des cotisation et d’un système d’information.
-
Les prestations ont été revues et harmonisées entre les régions, en étendant celles-ci jusqu’aux hôpitaux régionaux, ainsi qu’aux prestataires de soins privés (Haazen, 2012).
-
La cotisation, qui variait de 5 000 à 10 000 TZS dans le CHF, a été augmentée et harmonisée à 30.000 TZS pour un ménage de 6 personnes et doublée par un fonds de contrepartie du gouvernement pour atteindre un total de 60 000TZS afin de couvrir toutes les dépenses en prestations et administratives.
-
Les cotisations sont déposées sur le compte des bureaux régionaux de la NHIF qui administre le régime et rembourse par capitation les prestataires de soins qui bénéficient ainsi de revenus stables.
-
Les prestations, qui ne couvraient que les soins ambulatoires, ont été étendues aux soins hospitaliers (limités à 5 jours) et le conventionnement a été étendu aux prestataires de soins privés, notamment confessionnels.
-
Des équipes d’agents de santé communautaires et les agents de l’iCHF ont été formés et déployées pour sensibiliser la communauté à l’iCHF et remplir des fonctions administratives telles que la collecte des contributions.
-
Un numéro de téléphone gratuit a été mis en place permettant aux ménages de s’informer, faire des suggestions ou envoyer des plaintes.
Ces réformes ont eu un impact significatif avec une augmentation des adhésions de 4 pour cent en 2008 à 8,3 pour cent en 2011-2012, puis une certaine stagnation , ce qui restait loin du taux de couverture de 30 pour cent qui était attendu pour 2015 (Amani et al., 2021).
Répartition des fonctions dans le système d’assurance-maladie à base communautaire
Fonctions |
Répartition |
|||
CHF |
iCHF |
|||
District |
Région |
NHIF |
||
Définition du panier de soins |
X |
Sur la base du paquet défini par le ministère de la Santé |
||
Conventions |
X |
X |
X |
|
Education et promotion |
X |
X |
X |
|
Enrôlement, affiliation et renouvellement |
X |
X |
||
Recouvrement des cotisations |
X |
X |
||
Mise en commun des risques couverts |
X |
X |
X |
|
Achat des prestations |
X |
X |
X |
|
Prestations de services de santé |
X |
|||
Suivi et pilotage |
Min santé et NHIF |
Districts et région |
Min santé et NHIF |
16.4. Impact et leçons
La mise en place du CHF dans le cadre de la loi de 2001 ne s’est pas accompagnée de procédures de gestion claires et s’est heurté à une faible capacité de gestion au niveau des districts. Une évaluation du ministère de la Sante en 2003 montrait notamment qu’un quart des districts géraient mal les fonds du CHF, d’autres n’utilisaient pas ces fonds pour rembourser les services de santé et globalement, malgré les obligations fixées par la loi, les conseils ne procédaient pas à des audits réguliers ou ne rendaient pas compte aux membres de la communauté (Mtei et Mulligan, 2007).
L’implication du NHIF dans le renforcement du CHF n’a pas eu les effets escomptés et, si les mesures proposées visaient à terme à incorporer les structures de gestion du CHF au sein du NHIF afin d’améliorer l’efficacité et la supervision, l’iCHF reste un système appartenant aux districts et aux régions. Globalement, malgré les progrès réalisés, le système national de protection sociale en santé de la Tanzanie reste fragmenté, avec une multiplicité de mécanismes s’’adressant chacun à des groupes socio-économiques différentes, des pools de risques réduits et une hétérogénéité des prestations. Globalement, en 2016, le NHIF, le SHIB, l’iCHF et les assurances privées réunis ne représentaient que 8 pour cent du total des dépenses de santé, l’État en finançant 54 pour cent et les dépenses directes des ménages 38 pour cent (SPARCb, 2021).
La Tanzanie aspire aujourd’hui à se doter d’un système national d’assurance-maladie avec la mise en œuvre d’un régime national unique d’assurance-maladie (single national health insurance – SNHI). Le pays ne dispose cependant pas encore d’un cadre clair sur la manière dont les différents systèmes actuels seront fusionnés ni sur leur rôle dans le nouveau régime SNHI. Des études pointent par ailleurs le manque de capacités institutionnelles et socio-économiques pour développer le SNHI (Lambrecht, 2017). La collaboration entre le NHIF et PharmaAccess qui a permis de promouvoir l’iCHF est pointée comme une piste de réflexion pour l’extension vers l’économie informelle et la construction d’une couverture universelle. Il s’agirait dans ce sens d’établir un cadre légal claire fixant les bases d’un partenariat public-privé, entre l’État et des ONG voir également des acteurs privés à but lucratif. Avec ces derniers, l’État pourrait ainsi bénéficier d’approches innovantes et efficaces, notamment dans le domaine de la technologie numérique/mobile pour le paiement des cotisations et des soins de santé.
L’expérience des CHF/TIKA puis de l’iCHF est un parfait exemple de l’assurance-maladie à base communautaire, promu dans le cadre d’un programme national et dont les paramètres sont définis à l’extérieur de la communauté. Bien que celle-ci soit impliquée, il ne s’agit pas d’un modèle mutualiste ni par conséquent d’un système de délégation de fonctions à des mutuelles de santé ou autres formes d’entités autonomes.
Références
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17. Uruguay
17.1. Le système national de protection sociale en santé
Le système de protection sociale en santé uruguayen actuel est l’aboutissement d’une série de réformes entamées en 2005 avec la création de l’assurance-maladie nationale. Le processus s’est poursuivi avec la décentralisation du principal prestataire public de soins de santé, l’Administration des services de santé de l’État (ASSE), qui s’est vu transférer les missions de gouvernance et d’offre de soins jusque-là dévolues au ministère de la Santé. Les réformes se sont achevées en 2007 par la mise en place d’une caisse unique pour le financement des prestations de santé, le Fonds national de la santé, et la création du système national intégré de santé (SNIS).
Avant les réformes, le système de protection sociale en santé uruguayen se caractérisait par la forte présence des institutions de soins médicaux collectifs (IAMC), dont beaucoup ont un statut coopératif ou mutualiste, qui fournissaient une part importante des services de santé privés, notamment dans le cadre de régimes de médecine prépayée qu’ils géraient eux-mêmes. Ces organismes, le plus souvent gérés et détenus par des médecins, étaient étroitement associés au système de sécurité sociale et fournissaient des prestations de santé moyennant le versement d’une cotisation prépayée. Le système était très fragmenté, différentes entités couvrant des publics différents, tandis que la sécurité sociale ne couvrait qu’une part infime de la population
Le système national intégré de santé (SNIS) dont s’est doté l’Uruguay visait à intégrer les différents régimes et à remédier à la fragmentation du système. Le SNIS garantit «l’accès à des services de santé complets à toute personnes résidant dans le pays»
17.2. Le rôle des structures coopératives et mutualistes après la réforme de 2007
L’assurance-maladie nationale couvre les travailleurs formels qui cotisent au FONASA ainsi que leurs ayants droit (enfants âgés de moins de 18 ans, adultes handicapés, conjoint) et les retraités. La proportion de la population couverte par le FONASA représente 73,2 pour cent.
La prestation de soins se fait à travers du réseau de prestation public de l’ASSE et à travers des prestataires privés (IAMC ou prestataires privés à but lucratif). Les bénéficiaires du système national d’assurance santé ont le choix du réseau de prestataire de soins. Ils doivent s’enregistrer auprès d’un réseau (ASSE, IAMC, autre prestataire privé) dans les 180 premiers jours de leur affiliation à l’assurance-maladie et peuvent changer de réseau tous les deux ans.
Ainsi, dans le cadre de la réforme de 2007, les IAMC (le plus souvent à statut coopératif ou mutualiste) sont devenus des réseaux de prestataires de soins pour les bénéficiaires du FONASA qui en font le choix. Elles ont le droit de continuer à collecter des contributions additionnelles dans le cadre d’une couverture complémentaire également (dans le cadre de la couverture complémentaire, il n’y a pas le plus souvent de séparation entre les fonctions d’assureur et de prestataire de services).
Le FONASA rémunère les réseaux de prestataires publics et privés sur la base de la capitation, c’est-à-dire du versement d’une somme forfaitaire par assuré inscrit. Ce montant, ajusté aux risques des patients (sexe et âge), est défini conjointement par le ministères de l’Économie et des Finances et celui de la Santé. La capitation est aussi modulée selon les résultats: environ 8 pour cent de la rémunération est fonction de l’atteinte d’objectifs de santé publique
Les organismes prestataires de services de santé doivent signer une convention de gestion, qui fixe les critères de prestation et le caractère obligatoire du panier unique de prestations définit de façon centralisée. Dans le secteur privé, les principaux réseaux de prestataires sont les IAMC, des organismes à but non lucratif qui peuvent être des mutuelles de santé, des coopératives de professionnels de santé ou des services d’assistance.
17.3. Caractéristiques de la délégation
En Uruguay, les institutions de soins médicaux collectifs (IAMC) sont des acteurs clés du système intégré national de santé (SNIS). Ces organismes privés, implantés dans le pays depuis la fin du XIXe siècle, ont évolué pour devenir la principale composante de l’offre privée de services de santé
Le cadre juridique actuel distingue 3 types d’IAMC:
-
les associations de soins médicaux, fondées sur des principes mutualistes, qui fournissent des services médicaux à leurs membres;
-
les coopératives de soins, qui fournissent des services médicaux à leurs membres; et
-
les services de soins créés par des entreprises privées pour fournir des services médicaux à leurs salariés
(loi 15181, 1981) .
La loi 15181 de 1981 a modifié le cadre réglementaire des IAMC. Le ministère de la Santé publique est désormais chargé de superviser, contrôler et inspecter le fonctionnement des IAMC dans ses aspects techniques, comptables et autres. C’est aussi le ministère de la Santé publique, organe directeur du système, qui délègue les fonctions, notamment en matière de soins médicaux.
Avant la création du SNIS, en 2007, les IAMC étaient déjà une pièce maîtresse du système de santé, puisqu’elles couvraient la moitié de la population uruguayenne. Les IAMC étaient déjà très encadrées par la loi. Lors de la réforme, les AIMC ont été intégrées dans la nouvelle architecture institutionnelle comme réseaux de prestataires de soins. Des modifications ont également été apportées au cadre réglementaire, l’une des principales étant que les IAMC sont désormais tenues d’offrir toutes les prestations figurant dans le panier de soins unique définit au niveau national – le Plan intégral de soins de santé (PIAS), y compris celles qu’elles ne couvraient pas jusque-là, comme certains types de prothèses et les soins de santé mentale.
Les IAMC tirent l’essentiel de leurs ressources du forfait par assuré (capitation) versé par le FONASA. Le montant de la capitation est calculé en fonction de la dépense moyenne prévue par patient et modulé en fonction du risque (âge et sexe)
Tableau 1. Composition des recettes des IAMC, 2021
Recettes |
Part |
||
1 |
Recettes différées |
Capitation FONASA |
64,4% |
Atteinte d’objectifs de santé publique FONASA |
6,3% |
||
Ajustement pour inflation - Recettes différées |
2,8% |
||
Cotisations affiliés collectifs |
2,1% |
||
Cotisations affiliés individuels |
2,0% |
||
Autres |
4,5% |
||
Total recettes différées |
82,0% |
||
2 |
Tickets modérateurs |
7,3% |
|
3 |
Vente de services |
8,4% |
|
4 |
Autres recettes de fonctionnement |
2,3% |
|
|
Total des recettes |
100% |
Source: Ministère uruguayen de la Santé publique
17.4. Fonctions déléguées
Fonction |
Fonction déléguée |
Conception du régime de PSS |
|
Couverture de la population |
Aucune, la définition des personnes couvertes se fait de façon centralisée par les pouvoirs publics. |
Définition des prestations |
Le panier de prestations est défini dans le Plan intégral de soins de santé (PIAS) et s’impose à tous les prestataires de soins, y compris les IAMC. Celles-ci peuvent proposer un panier de soins additionnel dans le cadre de la complémentaire santé. |
Réseau de prestataires |
La réglementation en vigueur reconnait les IAMC comme réseaux de prestataires de soins parmi d’autres. Les associations de soins (mutuelles), les coopératives de professionnels de santé et les services de soins. Sur les 44 IAMC que compte le pays (10 à Montevideo et 34 en régions), une bonne trentaine disposent d’un ensemble d’établissements de soins de premier, deuxième et troisième niveaux Les IAMC sont avant tout des réseaux de prestataires de soins, le système de paiement de capitation par assuré leur transfert une partie de la gestion du risque (intra-réseau). Par ailleurs, elles jouent aussi un rôle d’assureur pour la complémentaire santé. |
Mise en œuvre |
|
Éducation/Promotion |
En application de l’article 45 de la loi 18211, les actions de promotion et de prévention de la santé figurent parmi les prestations que les organismes publics et privés du système national intégré de santé doivent servir à leurs usagers. Dans le cadre de la part du paiement versé aux mutuelles pour atteinte d’objectifs, le FONASA inclut des indicateurs liés à la formation et à la promotion. Parmi les indicateurs retenus en 2020 pour la rémunération sur objectifs de santé figuraient ainsi la formation aux protocoles institutionnels sur la prise en charge des victimes de violences conjugales et sexuelles, les actions de prévention contre les violences sexistes et la maltraitance des personnes âgées et la promotion des cours de préparation à l’accouchement. La loi prévoit également des programmes de prise en charge et de prévention des addictions et de lutte contre le tabagisme. |
Affiliation |
Les bénéficiaires de l’assurance-maladie nationale peuvent s’affilier à un réseau de soin de l’une des IAMC, qui est tenue de les prendre en charge. Les affiliés s’engagent pour une durée minimum de 2 ans; ils peuvent demander cependant à changer d’organisme en cas de déménagement, de problèmes de prise en charge ou pour des raisons d’accessibilité géographique. |
Collecte des cotisations |
Les cotisations des salariés et des employeurs affiliés au FONASA sont collectées par la Banque de prévoyance sociale (caisse nationale de sécurité sociale de l’Uruguay), et non par les IAMC. Les IAMC reçoivent une capitation par assuré enregistré chez eux ajusté au profil de risque individuel de l’assuré (âge, etc.). |
Mutualisation des fonds |
Les ressources qui financent l’assurance-maladie nationale sont intégrées dans un fonds unique, public et obligatoire, le FONASA. Les différents réseaux de prestataires de soins, inclut les IAMC, gèrent le risque à leur niveau sur la base du montant de la capitation ajusté au profil de risque. Cet ajustement a été mis en place afin de prendre en compte les facteurs de risque des bénéficiaires (âge et sexe), et d’éviter les refus d’affiliation par les IAMC et autres réseaux conventionnés. |
Paiement des prestataires (contractualisation, remboursements) |
Les IAMC gèrent leur propre réseau de soins et modes d’allocation des ressources à leurs structures sanitaires. |
Prestation de soins |
La prestation de soins s’effectue conformément au PIS et à la convention de gestion. La prestation de services est la fonction principale des IAMC. |
Règlement des litiges |
En application de l’article 54 de la loi 18211, la JUNASA «pourra mettre en place une procédure de traitement des réclamations et des plaintes des usagers du système national intégré de santé». Le bureau des usagers du ministère de la Santé définit les mécanismes de dépôt des plaintes et traite les réclamations qui n’ont pas été satisfaites par la commission des relations avec les usagers que tout prestataire de soins est tenu de mettre en place. Cette commission est chargée de recevoir, d’enregistrer et de traiter les demandes et les réclamations formulées par les affiliés. En outre, comme le prévoit la convention de gestion, les prestataires doivent procéder régulièrement à des enquêtes de satisfaction sur les services fournis. |
Assurance qualité |
Le contrôle global de la qualité des soins est assuré par le ministère de la Santé. La Commission de bioéthique et de qualité des soins du ministère de la Santé a été créée par la résolution 610/005. Organe honoraire et consultatif, elle a des fonctions éducatives et normatives. En vertu du décret 274/010, les prestataires de soins doivent mettre en place des commissions honoraires de bioéthique (règlement relatif à la loi sur les droits et les obligations des patients et des usagers des services de santé) dans le but de former le personnel médical et les patients et de conseiller la direction technique de chaque établissement sur les questions de bioéthique et de qualité intégrale des soins. |
17.5. Impact et leçons
Les IAMC sont les réseaux de soins où 57,7 pour cent de la population est affiliée, ce qui en fait les principaux prestataires du pays dans le cadre du régime national d’assurance santé. Les usagers sont à 52 pour cent des femmes et à 48 pour cent des hommes. Au total, près de 2,2 millions de personnes ont recours aux IAMC, dont 70 pour cent d’associations, 28 pour cent de mutuelles et 2 pour cent de coopératives.
Tableau 2. Nombre d’usagers des IAMC, 2023
Affiliés FONASA |
Non-affiliés FONASA |
TOTAL |
|
Femmes |
1 040 117 |
79 707 |
1 119 824 |
Hommes |
955 284 |
92 133 |
1 047 417 |
Total |
1 995 401 |
180 380 |
2 167 241 |
Source:
Le nombre d’usagers des IAMC s’est considérablement accru ces dernières années, passant de 1,9 million en 2010 à près de 2,2 millions en 2023, soit une progression de 15,1 pour cent (figure 2).
Le nombre d’affiliés des IAMC qui cotisent au FONASA a augmenté de 43,7 pour cent entre 2010 et 2021, tandis que le nombre d’affiliés volontaires a diminué d’environ 64 pour cent au cours de la même période.
L’augmentation du nombre d’affiliés aux IAMC est le principal contributeur à la progression globale de la couverture sanitaire. Cette tendance à la hausse est essentiellement due à l’élargissement progressif de la couverture du FONASA à de nouveaux pans de la population. Les conjoints d’assurés ont été intégrés comme bénéficiaires en 2011 et la couverture des inactifs a augmenté en 2012. Cette évolution est également à mettre sur le compte du recul de l’emploi informel et du rattachement de davantage de travailleurs à la sécurité sociale. L’implantation de longue date des IAMC et les liens étroits qu’elles entretiennent avec leurs usagers, ainsi que la perception positive de la qualité des services qu’elles fournissent, expliquent aussi qu’elles parviennent à attirer davantage d’affiliés.
Figure 2. Évolution du nombre d’affiliés aux IAMC, 2010-2021
Source: Ministère uruguayen de la Santé publique
Les réformes du système de santé mises en œuvre depuis 2005 ont modifié en profondeur le fonctionnement des IAMC, ce qui a eu plusieurs conséquences. Avant les réformes, les IAMC assuraient les personnes à titre individuel et tiraient leurs ressources des cotisations versées par les ménages. Depuis la création du système national intégré de santé (SNIS), les IAMC sont financées par le FONASA, n’assurant plus qu’à titre individuel les personnes non couvertes par le SNIS et disposant de moyens ou dans le cadre de la complémentaire santé. Le changement de source de financement a également entraîné des modifications dans les modes de paiement du FONASA aux IAMC (capitation) et une baisse des recettes perçues par assuré. Cette baisse a été compensée par une forte augmentation du nombre d’usagers, ce qui a sous doute contribué à éviter les tensions lors de la mise en œuvre de la réforme
Dans les années qui ont suivi la réforme, l’augmentation du nombre d’assurés a profité aux IAMC, qui sont devenus les principaux prestataires de soins. Cette évolution s’est accompagnée de changements dans la gestion financière. L’introduction de la capitation et d’une part de rémunération subordonnée à l’atteinte d’objectifs a entraîné une augmentation de la part des recettes provenant du FONASA (de 30 pour cent en 2005 à 60 pour cent en 2011)
La réforme a également modifié la répartition de l’offre de soins. Les IAMC sont devenues les premiers prestataires, devant l’ASSE. La réforme a aussi permis de combler les inégalités dans les soins fournis par les différents prestataires via la définition centralisée par les pouvoirs publics d’un panier de soins unique.
Références
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Remerciements
Ce rapport a été coordonné par Lou Tessier et Olivier Louis dit Guérin. L’équipe de rédaction se compose de (par ordre alphabétique): Dramane Batchabi, Marielle Phe Goursat, Olivier Louis dit Guérin, Mathilde Mailfert, Ana-Cristina Mena (études de cas Colombie et Uruguay) et Yuta Momose (étude de cas Japon).
Les auteurs souhaitent remercier les experts au niveau national qui ont revu les études de cas: Bouaphat Phonevixay (Laos), Khim Keo Vathanak (Cambodge), Jairo Humberto Restrepo (Colombia) et Braulio Zelko (Uruguay). Les auteurs remercient également toutes les personnes qui ont apporté leurs contributions et commentaires pour améliorer cette publication: Guy Tchami (BIT, unité COOP), Giulio Bordon (BIT, Cambodge), Martial Kouakou (BIT, Côte d’Ivoire), Aurélie Klein (BIT, Rwanda).
En particulier, les auteurs souhaitent remercier les membres du Comité Consultatif de la Mutualité Sociale de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UMEOA) lors de l’atelier tripartite conjoint OIT-UMEOA «Atelier thématique sur le rôle des mutuelles sociales dans les systèmes nationaux de protection sociale en santé» qui s’est tenu à Dakar les 11-12-13 Octobre 2023.
Ce document de travail est publié sur la base d’un processus de recherche documentaire initié suite à la publication d’une revue de portée sur le même thème : Niang, M., Gélinas, É., Samb, O. M., Tessier, L., Mailfert, M., Iradukunda, A., et Ridde, V. (2023). «The role of mutuals and community‐based insurance in social health protection systems: International experience on delegated functions». International Social Security Review, 76(2), 3-29.