Jugement n° 4768
Décision
1. La décision de mutation collective du Directeur général du 27 septembre 2019, en tant qu’elle visait le requérant, est annulée. 2. Eurocontrol versera au requérant une indemnité pour tort moral de 10 000 euros. 3. Elle lui versera également la somme de 8 000 euros à titre de dépens. 4. Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Synthèse
Le requérant attaque ce qu’il qualifie de décisions relatives à la réorganisation des services de l’Agence Eurocontrol, ainsi que sa mutation intervenue à la suite de cette réorganisation.
Mots-clés du jugement
Mots-clés
Requête admise; Mutation; Réorganisation
Considérant 2
Extrait:
Eurocontrol soutient que la requête serait irrecevable au motif que le requérant n’aurait pas épuisé, contrairement aux exigences posées par l’article VII, paragraphe 1, du Statut du Tribunal, les voies de recours interne dont il disposait en tant que fonctionnaire de l’Organisation. Mais le Tribunal relève que, en vertu de la dernière phrase du paragraphe 2 de l’article 92 du Statut administratif, une décision implicite de rejet de la réclamation de l’intéressé, susceptible d’être attaquée devant le Tribunal, était née à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de l’introduction de cette réclamation, soit le 21 février 2020 (voir les jugements 4696, au considérant 2, 4695, au considérant 2, et 4694, au considérant 3). Dès lors, à la date où le requérant a introduit sa requête, les voies de recours interne dont il disposait avaient bien été épuisées […]. La fin de non-recevoir soulevée par l’Organisation à cet égard doit donc être écartée.
Référence(s)
ILOAT Judgment(s): 4694, 4695, 4696
Mots-clés
Recevabilité de la requête
Considérant 3
Extrait:
[L]e requérant a relevé que, depuis l’introduction de sa requête, l’avis de la Commission paritaire des litiges sur sa réclamation […] a finalement été rendu […], ce qui a mené à une décision de rejet explicite de cette réclamation qui fut prise par le Directeur général […] Dès lors que les parties ont eu la possibilité de s’exprimer pleinement dans leurs écritures au sujet de cette décision de rejet explicite de la réclamation du requérant, le Tribunal estime que, conformément à sa jurisprudence, il y a lieu de requalifier la requête comme dirigée contre cette dernière décision (voir notamment, pour des cas de figure similaires, les jugements 4660, au considérant 6, 4065, au considérant 3, et 2786, au considérant 3).
Référence(s)
ILOAT Judgment(s): 2786, 4065, 4660
Mots-clés
Décision expresse; Décision implicite; Décision attaquée
Considérant 5
Extrait:
Le Tribunal observe […] que, dans sa réclamation du 21 octobre 2019, en plus de contester la mutation dont il a fait l’objet le 27 septembre, le requérant a présenté une demande tendant, en substance, comme il le dit lui-même dans sa réplique, à obtenir un poste respectant les règles statutaires et la description de poste y afférente. Or, dans le jugement 4694, au considérant 7, le Tribunal a rappelé que, dans le cas d’une telle demande, le paragraphe 1 de l’article 92 du Statut administratif d’Eurocontrol, dont se prévaut l’intéressé, prescrit qu’en cas de rejet de cette demande, qu’il soit implicite ou explicite, ce rejet doit faire l’objet d’une réclamation au sens du paragraphe 2 de cet article préalablement à la saisine du Tribunal. Dans ce jugement 4694, au considérant 8, le Tribunal a d’ailleurs rappelé ce qui suit à ce sujet: «Mais les écritures établissent qu’une réclamation contestant cette décision implicite ou explicite de refus de [sa demande] n’a jamais été introduite en temps utile par le requérant, si bien que ce dernier n’a pas épuisé les voies de recours interne qui pouvaient s’appliquer à cet égard, contrairement à ce qu’exige l’article VII, paragraphe 1, du Statut du Tribunal.» Il s’ensuit que la contestation de la décision de rejet de la demande d’attribution d’une «décision individuelle écrite détaillant [les] tâches et responsabilités [du requérant] correspondant au minimum à celles assumées précédemment avec une évaluation appropriée du grade associé à [son] nouveau poste» est irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours interne. Il en va de même de la conclusion du requérant, présentée devant le Tribunal, visant à ce qu’il soit ordonné à Eurocontrol d’établir et de lui assigner une «position effective, une description de fonctions, des responsabilités et des tâches [...] en adéquation avec son grade, son niveau et son expérience».
Référence(s)
ILOAT Judgment(s): 4694
Mots-clés
Non-épuisement des voies de recours interne
Considérant 6
Extrait:
En ce qui concerne la demande du requérant concluant à l’illégalité ou à la nullité de l’organigramme du 4 mai 2020 et de celui du 5 mai 2020, […] elle porte sur des documents qui sont postérieurs à la réclamation de l’intéressé du 21 octobre 2019 et dont celui-ci ne saurait, en tout état de cause, invoquer l’illégalité pour la première fois devant le Tribunal. Cette demande doit donc également être écartée comme irrecevable.
Mots-clés
Fait postérieur
Considérant 7
Extrait:
[S]i le requérant demande l’annulation [de la décision générale en cause], il y a lieu de relever que la conclusion présentée à cette fin est irrecevable. En vertu d’une jurisprudence constante du Tribunal, une décision générale ayant vocation à servir de fondement à des actes individuels – comme c’est le cas du mémorandum en cause – n’est en effet, sauf hypothèses très particulières, pas susceptible de recours et son illégalité peut seulement être invoquée, par voie d’exception, dans le cadre de la contestation de ces actes individuels eux-mêmes (voir, par exemple, les jugements 4734, au considérant 4, 4572, au considérant 3, 4278, au considérant 2, 3736, au considérant 3, ou 3628, au considérant 4).
Référence(s)
ILOAT Judgment(s): 3628, 3736, 4278, 4572, 4734
Mots-clés
Conclusions; Décision générale; Décision individuelle
Considérant 8
Extrait:
[D]ans la mesure où le requérant fait référence, [dans] sa réplique, au fait que le respect par Eurocontrol de ses obligations «devrait être concrétisé par l’attribution d[‘un certain poste]», force est de constater que cette demande ne fait pas partie des conclusions formellement énumérées par l’intéressé dans ses écritures.
Mots-clés
Conclusions; Conditions de forme
Considérant 9
Extrait:
[L]e Tribunal estime que la demande du requérant présentée dans ses conclusions tendant à ce qu’Eurocontrol soit «condamn[ée] à respecter» les articles 7 et 30 du Statut administratif ne saurait être accueillie. Il ressort en effet d’une jurisprudence constante du Tribunal qu’il n’appartient pas à celui-ci de prononcer des déclarations générales ou de droit de cette nature, ni de telles injonctions (voir, par exemple, les jugements 4637, au considérant 6, 4492, au considérant 8, et 4246, au considérant 11).
Référence(s)
ILOAT Judgment(s): 4246, 4492, 4637
Mots-clés
Injonction
Considérant 12
Extrait:
En matière de mutation des membres du personnel, dans son jugement 4687, au considérant 5, qui se réfère aux jugements 4595, au considérant 2, et 4427, au considérant 2, le Tribunal a rappelé ce qui suit: «Il est de jurisprudence constante que le chef exécutif d’une organisation internationale dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour gérer le fonctionnement de l’organisation conformément aux directives de politique générale et aux règles applicables, et que les décisions qu’il prend à cet égard font donc l’objet d’un contrôle limité seulement. Le Tribunal se bornera à vérifier si une décision de mutation a été prise conformément aux règles pertinentes en matière de compétence, de forme ou de procédure, si elle est entachée d’une erreur de fait ou de droit ou constitue un détournement de pouvoir. Dans la mesure où il n’appartient pas au Tribunal de substituer sa propre appréciation à celle de l’organisation, il ne se prononcera pas sur le bien-fondé de cette décision.»
Référence(s)
ILOAT Judgment(s): 4427, 4595, 4687
Mots-clés
Mutation; Contrôle du Tribunal
Considérant 13
Extrait:
[D]ans le jugement 4609, au considérant 8, le Tribunal a rappelé que sa jurisprudence «[...] exige [...] qu’un fonctionnaire faisant l’objet d’une mutation soit préalablement informé des caractéristiques du poste qu’il est envisagé de lui confier et, en particulier, des attributions afférentes à celui-ci, afin d’être mis à même d’exprimer […] ses réactions à ce sujet (voir, par exemple, les jugements 4451, au considérant 11, 3662, au considérant 5, 1556, aux considérants 10 et 12, ou 810, au considérant 7)». De même, dans le jugement 4399, au considérant 9, le Tribunal a relevé qu’une «consultation en bonne et due forme du requérant avant que la décision [de mutation] ne soit prise» était nécessaire. Si cette jurisprudence a certes été rendue à propos de mutations individuelles et non d’une mutation collective […], le Tribunal considère que c’est à tort que l’Organisation soutient que cette exigence ne trouverait pas à s’appliquer ici au motif qu’aucune disposition de ses Statut et Règlements d’application ne lui imposerait une telle obligation dans le contexte d’une mutation collective opérée dans l’intérêt du service. D’une part, en effet, l’absence de disposition statutaire contraignante en ce sens ne saurait autoriser une organisation à méconnaitre les principes établis par la jurisprudence du Tribunal. D’autre part, le contexte collectif plutôt qu’individuel de la mutation litigieuse n’est pas de nature à permettre à l’Organisation de faire abstraction de cette exigence fondamentale. S’il résulte certes de la jurisprudence du Tribunal que le principe général protégeant le droit d’être entendu ne saurait s’appliquer à une décision générale présentant un caractère impersonnel et revêtant une portée collective (voir, par exemple, les jugements 4593, au considérant 7, et 4283, au considérant 6), en l’espèce, la décision litigieuse, bien que revêtant une portée collective, ne présente manifestement pas un caractère impersonnel. Le Tribunal estime que l’on ne saurait en effet qualifier de décision présentant un caractère impersonnel une décision qui, comme en l’espèce, notifiait à des fonctionnaires précisément identifiés leur nouvelle affectation individuelle à compter du 4 juillet 2019. Quant à l’argument [de l’Organisation] selon lequel il ne serait pas « envisageable voire possible » pour une organisation de consulter individuellement chaque fonctionnaire préalablement à une mutation collective de l’ampleur de celle qui concerne la présente affaire, où l’avis de mutation collective affectait plus de six cents fonctionnaires, le Tribunal estime qu’il n’est pas convaincant. L’Organisation ne saurait en effet invoquer l’ampleur de la mutation collective pour soutenir qu’elle n’avait pas à mettre à même chaque fonctionnaire de s’exprimer préalablement à la mise en œuvre de la mutation le concernant, fût-ce d’une manière qui soit adaptée et appropriée à la situation particulière de cette importante réorganisation.
Référence(s)
ILOAT Judgment(s): 810, 1556, 3662, 4283, 4399, 4451, 4593, 4609
Mots-clés
Décision générale; Mutation; Consultation; Droit d'être entendu
Considérant 15
Extrait:
Le Tribunal estime que, en raison des circonstances dans lesquelles la mutation du requérant s’est déroulée, sans permettre d’aucune manière que ce soit à ce dernier de s’exprimer et d’être entendu préalablement à sa mise en œuvre, celle-ci était de nature à le blesser, à le choquer et à lui causer ainsi un préjudice moral substantiel et sérieux. Le Tribunal considère qu’il sera fait une juste réparation du tort moral ainsi occasionné à l’intéressé en lui attribuant à ce titre une indemnité de 10 000 euros.
Mots-clés
Tort moral; Mutation; Consultation; Droit d'être entendu
Considérant 16
Extrait:
Le Tribunal constate que, comme le fait valoir le requérant dans ses écritures, le délai dans lequel il a été statué sur sa réclamation interne, qui a été de 23 mois, est manifestement excessif, et qu’il est en particulier déraisonnable que la décision du Directeur général ne soit intervenue que plus de dix mois après la remise de l’avis de la Commission paritaire des litiges. Même s’il ne sera pas prononcé en l’espèce de condamnation spécifique de ce chef, dès lors que le requérant ne présente aucune conclusion à fins de dommages-intérêts fondée sur le retard ainsi constaté, le Tribunal tient à souligner, à l’intention de l’Organisation, qu’un tel retard, dont cette dernière ne justifie pas de façon convaincante dans ses écritures, n’est pas admissible.
Mots-clés
Conclusions; Conditions de forme; Retard dans la procédure interne
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