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CHAPITRE I
Legislation du travail dans le monde contemporain
Objectif de la loi
Une législation du travail qui permette de relever les défis économiques
et sociaux auxquels doit faire le monde du travail moderne remplit trois
rôles clés :
- elle établit un système juridique qui favorise des
relations individuelles et collectives d'emploi productives, et par
conséquent une économie productive;
- en proposant un cadre où les employeurs, les travailleurs
et leurs représentants peuvent aborder et faire face aux questions
relatives au monde du travail, elle est favorise des relations professionnelles
harmonieuses, fondées sur le respect de la d émocratie,
sur les lieux de travail;
- elle rappelle et garantit durablement les principes et droits fondamentaux
au travail qui bénéficient désormais d’ une
large reconnaissance dans la société, et offre des moyens
qui permettront de favoriser une mise en œuvre et un respect de
ces principes et droits fondamentaux.
L’expérience prouve que la législation remplit ces
fonctions si elle prend effectivement en compte les données du
marché du travail et les besoins des différents acteurs
de ce marché. Le moyen le plus sûr d’y parvenir est
de faire en sorte que ces acteurs soient étroitement impliqués,
par la voie du dialogue social, dans l’élaboration de la
législation. L’implication de chacun d’eux est capitale
pour que la législation bénéficie d’un large
soutien qui facilitera son application effective dans tous les secteurs
de l’économie, y compris les moins formels.
Lorsque le BIT conseil ses constituants pour élaborer ou modifier
leur législation du travail, il s’appuie sur l’idée
qu’une législation mise en œuvre avec l’implication
et le soutien des premiers concernés atteint non seulement son
objectif de promotion de la justice sociale pour tous, mais aussi contribue à la
performance économique du pays et à la stabilité et à la
paix sociales qui y sont associées.
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Contenu de la législation du travail
La législation du travail est largement utilisée, à la
fois pour réglementer la relation individuelle du travail et pour
donner aux travailleurs et aux employeurs un cadre qui leur permette
de déterminer leurs relations collectives, par la négociation
collective menées entre les organisations représentatives
de travailleurs et d’employeurs, ou par des mécanismes de
participation des travailleurs au sein de l'entreprise.
Lorsque la loi réglemente la relation individuelle d'emploi,
elle comporte le plus souvent des dispositions qui déterminent
l'établissement et la cessation de la cette relation (c'est-à-dire
la conclusion du contrat de travail, sa suspension et sa résiliation),
ainsi que les droits et les obligations relatifs aux différents
aspects de cette relation (comme l'âge minimum pour travailler,
la protection des jeunes travailleurs, l'égalité au travail,
les horaires de travail, les congés payés, le paiement
des salaires, la sécurité et la santé au travail
et, la protection de la maternité). Elle doit également
prévoir l’établissement de procédures garantissant
l’application des dispositions légales et les institutions
de contrôle et de soutien (tels que l'inspection du travail et
les différents tribunaux).
La réglementation de la relation collective de travail comprend
le plus souvent des garanties au droit qu’ont les travailleurs
et les employeurs de s'organiser en structures professionnelles, de négocier
collectivement, de faire grève, ou de bénéficier
de mécanismes qui favorise la participation des travailleurs au
niveau de l'entreprise.
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Les traditions en matière de législation du travail
Les lois qui abordent ces questions existent dans la plupart des pays.
Néanmoins, les différences entre les pays sont considérables,
si l’on considère l’étendue et le détail
de leurs dispositions législatives, et le niveau d’autonomie
dont bénéficient les travailleurs, les employeurs et de
leurs organisations, pour régler leurs relations par la négociation
collective ou la relation individuelle d’emploi.
Dans certains pays de tradition de droit coutumier ("common law", c'est-à-dire
où la loi appliquée est avant tout fondée sur les
décisions judiciaires et les coutumes et moins sur la loi écrite),
les éléments fondamentaux de la relation d'emploi relèvent
traditionnellement de ce droit coutumier, et la plupart des autres questions
sont réglées par un accord entre les parties. Parmi ces
pays, se trouvent le Royaume-Uni et de nombreux pays du Commonwealth,
où durant ce dernier siècle, et même plus, le législateur
est de plus en plus intervenu dans le domaine du droit du travail de
telle sorte qu’aujourd’hui les questions fondamentales sont
réglées en détail et souvent en totalité par
la législation. Dans certains de ces pays, existent toujours malgré tout
un tendance à l’éparpillement de la législation
; il est donc nécessaire pour la comprendre et l’interpréter
de prendre en considération les règles de droit coutumier
qui subsistent. De plus, dans certains cas, les différends ou
les plaintes qui portent sur des droits et des obligations légalement établies,
peuvent être soumis à des tribunaux différents, selon
qu'ils relèvent du droit coutumier ou de la loi.
Dans les pays de tradition de droit civil ("droit écrit" qui
comprend de nombreux pays francophones et hispanophones), le droit du
travail a, la plupart du temps, était établi sous la forme
de code du travail complets et détaillés. Dans la plupart
de ces pays, les questions de droit du travail étaient originairement
réglementées dans le code civil par des dispositions sur
les contrats. Lorsqu’au fil des ans, d’autres législations
ont vu le jour sur des questions concernant le domaine du travail, il
a été décidé de les regrouper et de les modifier
dans le cadre d’un code du travail. Néanmoins, les concepts
fondamentaux du droit civil, et parfois même certaines dispositions
du code civil, continuent d'être en vigueur pour des questions
qui relèvent du domaine du travail. L'interprétation de
la loi applicable peut donc nécessiter d’avoir recours à des
dispositions, à la fois de la législation civile et de
législation du travail.
De plus en plus, le droit du travail, tel qu’établi dans
les codes du travail et les législations associées, s’est
développé comme un système de loi autonome, indépendant
de l’approche plus individualiste développée par
les institutions de droit civil. Dans les pays où le droit du
travail à été codifié, les dispositions nécessaires
sont plus facilement accessibles, dans des textes complets et groupés
autour de concepts qui permettent de donner une cohérence à l'ensemble
du système.
Une grande partie des pays en développement a été influencée
par l'une ou l'autre de ces traditions. Dans la plupart des cas d’ailleurs,
leur législation du travail est une adaptation des systèmes
juridiques des pays colonisateurs, avant l’indépendance,
mais dans la plupart de ces pays, la législation a énormément évolué depuis
lors. Dans les pays rattachés à la tradition du droit coutumier,
cette évolution a entraîné une codification partielle
sur des sujets comme les conditions d’emplois (y compris les conditions
de travail) - les relations du travail et les relations professionnelles,
la sécurité et la santé. La responsabilité de
la mise en œuvre de ces dispositions est en général
confiée au ministre en charge des questions du travail. Dans les
pays en voie de développement influencés par la tradition
du droit civil écrit, et qui ont pris leur indépendance
après la seconde guerre mondiale, des codes du travail complets
et détaillés ont généralement étaient établis
et ont du être régulièrement réformés
pour s'adapter aux réalités économiques et sociales
modernes. Dans ces pays aussi le ministre du travail s’est vu confié des
pouvoirs réglementaires accrus. Au-delà de ces différentes
traditions, le défi de la réforme du travail, ces dernières
années, est double: tout d’abord garantir une meilleure
protection des droits fondamentaux des travailleurs, y compris la liberté syndicale
; et également donner aux partenaires sociaux la capacité de
mettre en œuvre plus de flexibilité dans la relation d’emploi,
en cherchant à favoriser au maximum la productivité et
la croissance économique.
Dans de nombreux pays à économie planifiée et qui
ont entamé la transition vers l'économie de marché,
le défi de la réforme du droit est avant tout concentré sur
la nécessité de remplacer des formes centralisées
et étatiques de réglementation par une réglementation
législative qui assoit et consolide des institutions indépendantes
et représentatives, capables de s’engager dans une négociation
collective autonome. Il est souvent nécessaires d’adapter
une réglementation excessive et d’alléger un certains
nombre de dispositions réglementaires.
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Les défis contemporains de la législation du travail
Vers un équilibre entre la protection sociale, l’égalité et
les objectifs d'efficacité économique
Dans tous les pays, il faut à chaque époque, trouver un équilibre
acceptable et viable dans la législation du travail, entre les
fonctions de protection sociale et d’égalité et les
objectifs d’ordre économique. Ces exigences sous-tendent
les réformes législatives, même si dans la pratique,
les décisions prises sont souvent rapides et rudimentaires, sans
méthode clairement établie d’évaluation des
effets des dispositions législatives existantes et des changements
proposés.
Les personnes responsables de la mise en œuvre d’une réforme
législative, qu'elles représentent un gouvernement, un
syndicat, une organisation d'employeurs ou qu’elles soient des
fonctionnaires et experts du BIT, devraient, dans la mesure du possible,
détailler et évaluer les conséquences de toute modification
proposée de la législation. Cela implique un effort d'évaluation
des effets (en terme de coûts ou d’avantages) des dispositions
existantes et des réformes proposées, au regard des intérêts
des travailleurs et des employeurs, et de la société en
général, sur le court terme et le long terme. Lors de l’évaluation
de différentes dispositions d’une législation du
travail, il faut reconnaître le rôle qu’elle tient
dans la régulation des effets négatifs du marché et
l’amélioration du bien être général.
D’un autre coté, il faut rester attentif aux exigences de
flexibilité du marché du travail, afin de préserver
ou garantir la capacité à rester compétitif dans
une économie globalisée. La difficulté d’un
tel exercice d’évaluation réside d’abord dans
le fait qu’il est rarement totalement objectif et précis,
parce que simplement les informations nécessaires ne sont en général
que partiellement disponibles et sont sujettes à différentes
interprétations. Une participation tripartite lors du processus
de révision ou de modification de la législation garantit
que les différents points de vue sont pris en compte, et que les
effets des mesures prises seront évaluées en fonction des
différents intérêts représentés.
D’ailleurs lorsque le BIT assiste, à sa demande, un pays
dans sa réforme du droit du travail, le respect des principes
et droits fondamentaux au travail, conformément aux termes des
conventions de l’OIT ratifiée par le pays concerné,
est assuré.
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Les déficits de représentation, les
emplois atypiques ou précaires, les femmes : légiférer
en faveur de tous
Dans son rapport lors de la Conférence internationale du travail
en 1999, intitulé "Un
travail décent" le directeur général a rappelé que
l’OIT représentait tous les travailleurs. Il existe pourtant
un fossé entre les travailleurs qui sont représentés
par des syndicats et ceux qui restent en marge de toute représentation
(Voir "Votre
voix au travail" rapport global en vertu du suivi de la Déclaration
de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail,
CIT, 88e session, rapport I (B)), de même qu’entre ceux
qui sont couverts par les lois du travail et ceux qui ne le sont pas.
Les exclusions liées à l’inégalité entre
hommes et femmes sont aussi souvent parmi les plus difficiles.
Les personnes impliquées dans la réforme d’une législation
du travail doivent être particulièrement attentives à ces
catégories exclues : elles peuvent bénéficier d’une
amélioration de leur situation en partie grâce à certaines
dispositions de la loi. Il faut que les causes de ces déficits
de représentation, qui peuvent être dus à des obstacles
légaux à l’affiliation syndicale soient identifiées,
et il faut que les employeurs reconnaissent les syndicats comme partenaires
pour la négociation de convention collective. Il est souhaitable
de particulièrement s’intéresser à des approches
législatives qui favorisent l’établissement de conditions
propices à l’amélioration de la représentation
et au développement de la négociation collective pour toutes
les catégories de travailleurs, qui garantissent une protection
contre toutes les formes de discrimination et qui établissent
les conditions pour la reconnaissance des syndicats dans la négociation
collective.
Une attention particulière doit être accordée, lors
de tout le processus de réforme, à la promotion de l’égalité pour
les groupes défavorisés, notamment en s’attachant
au respect de l’égalité entre hommes et femmes, et
au déficit de représentation de certaines catégories
de travailleurs ou d’employeurs. Le nombre de femmes qui travaillent
dans le secteur informel ou dans des emplois atypiques ou précaires,
tel que le travail à domicile, est élevé, souvent
bien plus que le nombre de celles qui occupent un emploi formel, et qui
le plus souvent sont victimes de ségrégation dans des emplois
traditionnellement dévolus aux femmes, et ont des conditions d’emplois
imposées (comme par exemple les femmes qui travaillent à temps
partiel et qui préféreraient travailleur à temps
plein, ou les femmes qui ne perçoivent pas le même salaire
pour un travail de même valeur). Lutter contre ces inégalités
exige des décisions politiques qui dépassent le cadre strictement
législatif, même si la dimension légale est importante.
Le Chapitre VII sur l’élimination de la discrimination développe
plus en avant ces questions, mais de toute façon, l’égalité entre
homme et femme est attachée à chacun des quatre catégories
de principes fondamentaux de la Déclaration de l’OIT (Déclaration
de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail).
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