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BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL

Bangkok  décembre 1997

Douzième Réunion régionale asienne

Rapport du Directeur général


L'EMPLOI, LA PAUVRETÉ ET LA MISE EN VALEUR
DES RESSOURCES HUMAINES

I

Introduction

La région Asie-Pacifique présente une grande diversité car les pays qui la composent se trouvent à des stades différents de développement et de transition; pourtant, c'est la région qui a obtenu et obtient toujours le plus de succès en matière de croissance économique rapide et de conversion de cette croissance en une demande toujours accrue de main-d'œuvre. Ces dernières années, de nombreux pays, surtout en Asie du Sud-Est et en Asie occidentale, sont passés d'une situation caractérisée par un excédent général de main-d'œuvre, une faible productivité et des salaires immobiles, sinon déclinants, à une situation caractérisée par une augmentation des salaires réels, de hauts niveaux de productivité et d'emploi, et, dans certains cas, par une pénurie générale de main-d'œuvre.

Quoi qu'il en soit, les pays en développement d'Asie souffrent encore d'un taux de chômage et de pauvreté supérieur à celui de toutes les autres régions, puisqu'ils abritent près des deux tiers de la population pauvre du monde, chiffrée à 1,1 milliard de personnes vivant surtout en Asie du Sud. L'Asie comprend des pays en transition qui affrontent de graves problèmes de chômage et de distorsion du marché de l'emploi à mesure qu'ils s'orientent davantage vers l'économie de marché. L'Asie occidentale présente des caractéristiques originales dans la mesure où elle dépend de la main-d'œuvre migrante et des ressources énergétiques, et où elle doit faire face à de graves problèmes de stabilisation en raison des fluctuations des prix de l'énergie. La région Asie-Pacifique comprend également des pays industriels où le marché du travail subit des ajustements structurels, ainsi qu'un grand nombre de petites économies insulaires connaissant de graves problèmes de chômage et de pression démographique croissante sur des superficies limitées.

Le nouveau défi qui est lancé aux pays en développement d'Asie et du Pacifique consiste à assurer une répartition équitable des avantages de la croissance et l'atténuation de la pauvreté, et à diminuer l'écart des revenus dans chaque pays. Le succès ne pourra être obtenu que si l'on convertit la croissance elle-même en une demande supérieure de main-d'œuvre, et si l'on dispose de mécanismes et d'institutions susceptibles de favoriser l'emploi rémunérateur et productif, et l'amélioration des conditions de travail. La mise en place d'institutions du marché du travail renforcées et efficaces, et le respect de la liberté syndicale et d'autres principes fondamentaux de l'OIT contribueront largement à promouvoir l'harmonie sociale et à jeter les bases d'une croissance soutenue dans la région.

La création d'emplois productifs est le moyen le plus efficace pour atténuer la pauvreté, l'inégalité et l'exclusion sociale, ainsi que l'a reconnu le Sommet mondial pour le développement social, tenu sous l'égide des Nations Unies à Copenhague en mars 1995; à cette occasion, les dirigeants du monde entier se sont engagés «à favoriser la réalisation de l'objectif du plein emploi en en faisant une priorité de base de [nos] politiques économiques et globales, et à donner à tous, hommes et femmes, la possibilité de s'assurer des moyens de subsistance sûrs et durables grâce à un emploi librement choisi et à un travail productif», terminologie qui reflète la convention (no 122) sur la politique de l'emploi, 1964. En outre, l'avènement de la justice sociale qui a fait l'objet de diverses réunions aux sommets et conférences des Nations Unies exige que l'emploi qui sera créé soit un emploi de haute qualité, convenablement rémunéré et assorti d'un minimum de protection sociale. Aussi la Déclaration et le Programme d'action de Copenhague ont-ils approuvé un appel universel dans le but «d'assurer des emplois de qualité et de défendre les droits et intérêts élémentaires des travailleurs et, à cet effet, de librement promouvoir le respect des conventions pertinentes de l'Organisation internationale du Travail, dont celles ayant trait à l'interdiction du travail forcé et du travail des enfants, à la liberté d'association, au droit de s'organiser et au droit de négociation collective, et au principe de la non-discrimination».

Etant donné la croissance exceptionnelle qu'ont connue de nombreux pays de la région Asie-Pacifique, un problème fondamental se pose, qui est de savoir si cette croissance économique rapide a favorisé la multiplication d'emplois productifs, rémunérateurs et de qualité élevée. Dans un continent qui abrite encore la majorité des pauvres du monde et qui connaît un taux particulièrement élevé de pauvreté, l'élaboration et l'application efficace de mesures propres à accélérer la croissance de l'emploi sont la clé du succès car elles permettront de relever les défis permanents de la pauvreté et du chômage.

Pour mettre au point une politique appropriée, les pays doivent tenir compte de l'accélération universelle des tendances à une intégration plus étroite de l'économie mondiale et du rythme rapide de la libéralisation qui fait que les économies nationales s'orientent de plus en plus vers l'économie de marché. Presque tous les pays d'Asie ont connu cette évolution radicale, ainsi que l'accélération et l'augmentation du commerce et des investissements intrarégionaux à mesure que les échanges commerciaux se libéralisaient à l'intérieur des unions régionales existantes, telles que l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) et la Zone de libre-échange des pays de l'ANASE, tandis que de nouveaux partenariats commerciaux se créent dans l'espace Asie-Pacifique et dans le cadre de la Coopération économique Asie-Pacifique. Pour les économies en croissance rapide de l'Asie du Sud-Est et de l'Est, ces tendances impliquent la poursuite d'une internationalisation accrue de la production, alors que pour les anciennes économies centralisées -- notamment la Chine, la Mongolie et le Viet Nam -- elles impliquent des réorientations politiques. Les pays insulaires de l'Asie du Sud et du Pacifique se trouvent dans une situation intermédiaire et ont adopté des réformes plus ou moins profondes tendant à soustraire l'économie au contrôle de l'Etat, tout en s'intégrant avec plus ou moins de succès aux marchés mondiaux. Des réformes sont également en cours en Asie occidentale pour faire face aux problèmes posés par la diminution des recettes du pétrole. La libéralisation comme la mondialisation ont été renforcées par des apports massifs d'investissements étrangers directs (IED), à tel point que la région est désormais le principal bénéficiaire de ces investissements dans le tiers monde. Toutefois, ce flux d'investissements a, jusqu'ici, été principalement dirigé vers l'Asie du Sud-Est et de l'Est, la Chine recevant plus de 75 pour cent du total des sommes investies en Asie.

La rapidité de la mondialisation et de la libéralisation, avec la nécessité concomitante d'accroître la compétitivité internationale, a eu pour résultat de promouvoir la mise en valeur des ressources humaines dans toute la région asienne. Les investissements fondés sur le savoir-faire ont désormais un rang de priorité égal à celui de la création de capital matériel. En investissant de plus en plus dans la mise en valeur des ressources humaines, on s'efforce de conférer à la main-d'œuvre un rôle croissant dans le processus de développement en augmentant sa capacité de fournir un travail productif. Une synergie s'est donc instaurée qui permet à une main-d'œuvre mieux alimentée, mieux éduquée et mieux formée, et aussi plus productive, de contribuer à l'augmentation de la croissance tout en bénéficiant équitablement des avantages de celle-ci.

Les tendances de l'emploi et du marché du travail

La région Asie-Pacifique est aussi vaste que diverse, et les indicateurs de la croissance et de la mise en valeur des ressources humaines y présentent des variations considérables (voir en annexe le tableau A1). Lorsque l'on examine les tendances de l'emploi et du marché du travail dans la région, il est utile de grouper les pays selon leurs caractéristiques structurelles et leurs succès respectifs en matière de croissance rapide à fort coefficient d'emploi (tableau 1).

Tableau 1. Croissance de l'emploi et de la main-d'œuvre, Asie et Pacifique, dans certains pays, 1978-1995
(en pourcentages par année)

 

Emploi, dont:

Main-d'œuvre totale

Total

Hors agriculture

Industrie

Autres secteurs

Nouveaux pays en voie
d'industrialisation

République de Corée

1978-1995

2,5

4,6

2,6

5,6

2,4

Singapour

1978-1995

3,4

3,5

2,4

3,7

1,7

Hong-kong1

1978-1995

2,5

2,5

-2,3

4,4

2,4

Taiwan, Chine

1978-1995

2,2

3,3

1,5

4,4

2,2

Pays commençant à s'industrialiser

Indonésie

1978-1994

2,8

4,2

5,5

3,8

2,7

Malaisie

1978-1995

3,1

5,5

6,3

5,2

2,9

Philippines

1978-1995

2,8

3,7

2,2

4,1

3

Thaïlande

1978-1993

2,6

6,1

6,8

5,9

2,7

Economies en transition

Chine

1978-1994

2,7

5,6

3,6

7,12

2,7

Mongolie

1978-1995

3

2,6

2,2

2,8

3,2

Viet Nam

1978-1995

3,2

3,1

4,2

2,6

--

Asie du Sud

Bangladesh

1978-1991

7,5

8,5

10,9

7,4

4

Inde3

1978-1992

1,5

1,5

0,8

1,8

 

Pakistan

1978-1993

2,5

3,1

1

4

2,7

Sri Lanka

1981-1994

2

3,4

4,1

2,2

1,6

Pacifique-Sud

Fidji

1978-1995

2,2

2,3

3,8

0,8

 

Iles Salomon3

1978-1993

3,6

4,3

6,4

4

3,2

1 Voir note p. 5. 2 Services. 3 Emploi dans le secteur structuré.

Sources: Asian Development Bank: Key indicators of developing Asian and Pacific countries (Manille, 1996); BIT: Annuaire des statistiques du travail (Genève, 1996).

Dans le premier groupe figurent les trois pays industriels, à savoir l'Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande. En ce qui concerne le Japon, la mondialisation a entraîné une forte augmentation des activités des entreprises japonaises à l'étranger. Il fut un temps où ces entreprises se bornaient à des activités de montage à l'étranger, pour profiter du moindre coût de la main-d'œuvre. Ces dernières années, cependant, alors que le yen continuait de s'apprécier, les succursales des entreprises japonaises à l'étranger ont eu de plus en plus recours à l'achat local de matières premières et de composants. Aussi le Japon a-t-il enregistré une baisse de l'emploi dans le secteur manufacturier et une croissance du secteur des services. Malgré ces difficultés économiques, le taux de chômage au Japon (3,3 pour cent) est faible par rapport aux autres pays; il est cependant élevé si l'on considère l'ensemble de l'histoire économique de ce pays, et le rapport emploi/population est également élevé. Tous les travailleurs, qu'ils soient jeunes ou âgés (60-64 ans), ont de plus en plus de mal à trouver un emploi, et il devient impératif de chercher du travail dans les nouvelles industries d'avenir qui exigent davantage d'instruction et de formation spécialisée. En Australie et en Nouvelle-Zélande, suite à la déréglementation économique et à la libéralisation, les structures industrielles ont été fortement modifiées et les relations professionnelles réorganisées. Si le secteur primaire continue de jouer un rôle important, la part du secteur manufacturier, notamment dans des domaines jusqu'ici protégés (textiles, vêtements, véhicules à moteur), a décliné, tandis que le secteur tertiaire se développait rapidement, notamment pour ce qui est du tourisme et des services financiers et commerciaux. En Australie, après une augmentation enregistrée vers la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, le chômage est tombé d'une crête de 10,9 pour cent en 1993 à environ 8,5 pour cent en 1996; toutefois, le travail à temps partiel involontaire et le travail occasionnel se développent. En Nouvelle-Zélande, à la suite de réorientations politiques d'importance opérées ces dernières années, l'évolution du taux de chômage a été spectaculaire puisqu'il est tombé de 11 pour cent en 1991 à quelque 6 pour cent en 1995. Au cours de cette même période, l'emploi a connu une croissance rapide. Il est possible que les modifications apportées à la politique du marché du travail aient tant soit peu réduit le chômage structurel, mais la situation de certains groupes ethniques et défavorisés sur le marché du travail demeure précaire et exigerait des mesures ciblées et dynamiques touchant précisément le marché du travail.

Dans le deuxième groupe figurent les nouveaux pays en voie d'industrialisation, à savoir la République de Corée, Singapour, Hong-kong(1) et Taiwan, Chine, dont certains ont déjà rejoint les rangs des pays développés si l'on se rapporte au PIB par habitant. Ces pays ont franchi avec succès l'étape de la pénétration des exportations grâce à des méthodes de production à bas salaires et à fort coefficient de main-d'œuvre, et ils abordent désormais la seconde phase d'une production davantage axée sur des technologies à fort coefficient de qualifications et de capital et de savoir-faire. Devant l'augmentation des salaires et du coût des terrains, ces pays réorientent de plus en plus leur production nationale de produits d'exportation à fort coefficient de main-d'œuvre vers le groupe suivant de pays en voie d'industrialisation, et cela grâce à l'exportation de capitaux et de technologie intermédiaire. Parmi les nouveaux pays en voie d'industrialisation, la croissance économique rapide et la forte demande de main-d'œuvre, ainsi que le ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler, ont provoqué des pénuries de main-d'œuvre, lesquelles risquent de persister étant donné le ralentissement continu de la croissance démographique. Ces pénuries de main-d'œuvre, qui constituent un phénomène nouveau, font que ces pays sont de plus en plus dépendants d'une main-d'œuvre migrante, en majeure partie clandestine.

Dans le troisième groupe figurent des pays à croissance rapide et en voie d'industrialisation qui comprennent l'Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande, groupe auquel on peut associer les Philippines au vu de la récente reprise économique de ce pays. Ce groupe de pays a bénéficié d'importants apports d'investissements étrangers, mais, désormais, ces pays, et notamment la Malaisie et la Thaïlande, investissent à leur tour dans d'autres pays d'Asie et plus particulièrement en Chine et au Viet Nam. Certains de ces pays connaissent également des pénuries de main-d'œuvre et de qualifications. Depuis les années quatre-vingt, la Malaisie connaît des pénuries de techniciens dans le secteur manufacturier et de travailleurs non qualifiés dans les plantations d'hévéas et de palmiers à huile, ainsi que dans le secteur du bâtiment. Ce pays compte à l'heure actuelle un million de travailleurs étrangers enregistrés, originaires principalement d'Indonésie et des Philippines. En Thaïlande, le marché ouvert aux travailleurs non qualifiés se resserre de plus en plus et l'on observe des pénuries de travailleurs semi-qualifiés et hautement qualifiés, notamment dans les domaines techniques et dans la gestion. Le taux élevé de croissance de l'emploi en Indonésie exerce une pression à la hausse sur les bas salaires. Aux Philippines, après une décennie de croissance négligeable, l'économie a repris depuis 1993. Il en est également résulté une diminution progressive du niveau général de chômage visible, lequel se situait encore à 8 pour cent en 1996. Ce pays dépend toujours d'un apport permanent de travailleurs étrangers, en provenance surtout du Moyen-Orient et d'Asie occidentale, pour atténuer les pressions qu'exerce la forte croissance de la main-d'œuvre sur l'économie nationale.

Dans le quatrième groupe figurent des pays en transition vers une économie de marché, qui comprennent le Cambodge, la Chine, la République démocratique populaire lao, la Mongolie et le Viet Nam. Toutefois, la Chine a un certain nombre de traits communs avec les pays en voie d'industrialisation dans la mesure où elle présente un taux très élevé de croissance des exportations et où de nombreuses sociétés étrangères, concentrées essentiellement dans la région côtière, s'y sont installées. Tous ces pays doivent affronter de graves problèmes résultant en grande partie des gros excédents de main-d'œuvre existant dans les entreprises collectives et d'Etat. On fonde de grands espoirs de croissance de l'emploi productif dans l'expansion de l'industrie privée et notamment des PMI. Ces industries se sont développées ces dernières années, notamment en Chine, et une nouvelle politique de déréglementation à l'échelon local serait de nature à faciliter encore davantage leur croissance. Des pressions s'exercent de plus en plus dans ces pays pour accélérer les réformes du marché du travail de façon à assurer une répartition de l'emploi qui soit davantage axée sur le marché. Il serait également nécessaire d'abandonner progressivement les restrictions imposées à l'exode rural et d'adopter de préférence des mesures propres à réduire l'écart des rémunérations entre zones urbaines et zones rurales. Il importe de mettre au point des programmes susceptibles d'aider les travailleurs licenciés à trouver un nouvel emploi.

Malgré la grande diversité que présentent les structures économiques et les ressources des pays d'Asie occidentale, l'interdépendance qui n'a cessé de se développer entre ces pays au cours des trente dernières années leur permet d'aborder avec succès leurs problèmes sur un plan régional. Le boom pétrolier et la croissance des investissements qui en est résultée ont entraîné d'importantes créations d'emplois dans la région, tandis que les pays pétroliers à main-d'œuvre peu nombreuse (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar) puisaient dans les importantes réserves de main-d'œuvre migrante, disponibles en premier lieu dans les pays voisins (notamment l'Iraq, la Jordanie, la République arabe syrienne et le Yémen), ce qui a permis d'établir un équilibre entre les marchés du travail à excédent de main-d'œuvre et les économies connaissant une pénurie de main-d'œuvre. Avec la fin du boom pétrolier au début des années quatre-vingt, la plupart des pays ont dû faire face à une grave pénurie de devises étrangères à mesure que les termes de l'échange devenaient de plus en plus défavorables pour les exportateurs de pétrole; ce ralentissement de l'activité économique s'est répercuté sur les autres pays de la région, sous la forme d'un sérieux amoindrissement des mandats, et d'un chômage et d'un sous-emploi croissants, à mesure que les effectifs de main-d'œuvre augmentaient à une vitesse accélérée. Ces dernières années, la croissance de l'emploi a été étroitement liée au programme d'ajustement et aux mesures d'ouverture de l'économie de ces pays. Les principaux sujets de préoccupation sont, d'une part, la nécessité de créer des emplois pour de nombreux jeunes et nouveaux travailleurs qui accèdent au marché du travail et, d'autre part, la nécessaire adaptation des systèmes d'enseignement et de formation professionnelle existants aux nouvelles exigences du marché du travail en matière de qualifications. Toutefois, on peut observer certaines tendances encourageantes résultant des changements sociaux et institutionnels qui se sont produits et de l'instauration de la paix dans la région. En particulier, on a noté une augmentation du nombre de femmes exerçant une activité professionnelle, notamment parmi les cadres, dans le secteur des services et dans certains emplois industriels.

Tous les pays d'Asie méridionale (Bangladesh, Inde, Népal, Pakistan et Sri Lanka) continuent de faire face à d'énormes problèmes de sous-emploi et de pauvreté, mais les situations sont assez variables pour ce qui est de la croissance, des succès rencontrés dans l'ouverture de l'économie de ces pays et des investissements étrangers. Bien que l'on ait observé une certaine reprise dans quelques-uns de ces pays au cours des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, grâce à la libéralisation et aux réformes économiques, la croissance n'a jamais été soutenue ni suffisante pour permettre de réduire significativement le nombre élevé de chômeurs, ou pour absorber de façon productive les nouveaux travailleurs dans la main-d'œuvre. Dans ces pays, la majorité de la main-d'œuvre est toujours agricole et, bien que l'on ait observé certains échanges de main-d'œuvre en faveur du secteur des services, du secteur non structuré et du travail occasionnel, on ne peut pas dire que la faible part de l'emploi occupée par le secteur structuré ait sensiblement augmenté. La gravité du chômage et la forte croissance de la main-d'œuvre ont incité les travailleurs à chercher des emplois à l'étranger, notamment en Asie occidentale, mais à l'exception du Pakistan et de Sri Lanka, ces départs n'ont guère influé sur la situation globale de l'emploi.

Dans le dernier groupe figurent les pays insulaires du Pacifique dont la situation est très différente de celle des autres pays de la région. La plupart de ces pays sont caractérisés par une base de production étroite, un secteur de subsistance supportant le gros de la population et un petit secteur structuré. Des conditions de vie favorables et une riche tradition culturelle font que la population de ces pays jouit d'une certaine sécurité dans son style de vie, encore que des préoccupations se manifestent dans le domaine de la protection de l'environnement. Toutefois, au cours des dix années écoulées, la croissance économique a été très lente et très instable, ce qui reflète en partie la dépendance à l'égard d'une gamme restreinte de matières premières d'exportation sujettes aux perturbations externes et aux catastrophes naturelles. Dans la plupart des pays de la région, le taux de croissance de la main-d'œuvre est élevé, d'où un sous-emploi croissant dans les zones rurales et un fort chômage urbain. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, le chômage était estimé à plus de 30 pour cent en 1990 et atteignait notamment une proportion élevée de jeunes et de personnes instruites. En matière d'emploi, le défi que ces pays doivent relever consiste à promouvoir, dans une économie essentiellement rurale, certains secteurs présentant des avantages relatifs tels que la foresterie, les pêcheries et le tourisme. Cela exige l'appui tant des gouvernements que des donateurs, de façon à faciliter les investissements privés dans ces secteurs. Le développement de l'activité économique privée encouragerait également la croissance des petites et microentreprises et du secteur non structuré, croissance qui, jusqu'ici, a été plutôt restreinte.

La pauvreté et les autres problèmes du marché du travail

La pauvreté

L'expérience asienne en matière de croissance se caractérise notamment par les effets positifs de celle-ci sur l'atténuation de la pauvreté dans la plupart des pays de la région. Bien que la lutte contre la pauvreté demeure un énorme problème en Asie, il convient de noter la corrélation entre, d'une part, la croissance de l'emploi et, d'autre part, le succès des efforts d'atténuation de la pauvreté. Alors que la croissance économique, notamment dans le secteur agricole, demeure l'un des principaux moyens d'atténuation de la pauvreté, l'expérience asienne prouve une fois de plus que ce facteur n'est pas suffisant. Dans un certain nombre de pays, les possibilités d'emploi à l'étranger et les mandats reçus en conséquence jouent un rôle important, de même que les initiatives des gouvernements et les programmes spéciaux de création d'emplois et d'atténuation de la pauvreté. En Asie occidentale et dans de nombreux pays insulaires du Pacifique, ainsi qu'en Asie méridionale, la pauvreté rurale continue de poser un grave problème.

Ces observations découlent des données réunies sur un certain nombre de pays d'Asie présentés dans les tableaux 2 et 3. Quatre conclusions peuvent être tirées de ces informations. Tout d'abord, l'incidence de la pauvreté diminue dans la plupart des pays, à l'exception du Népal et, dans une certaine mesure, des Philippines, où le niveau de la pauvreté n'a commencé à baisser que depuis quelques années. Deuxièmement, l'atténuation de la pauvreté n'est pas régulière et plusieurs pays ont connu des périodes où l'incidence de la pauvreté avait en fait augmenté. Troisièmement, les pays à forte croissance d'Asie de l'Est et du Sud-Est (Chine, Malaisie et Thaïlande, qui ont également réalisé des progrès rapides en matière de création d'emplois) sont parvenus plus rapidement à atténuer la pauvreté que les pays à faible croissance d'Asie méridionale (Bangladesh, Inde et Pakistan) où la croissance de l'emploi est nettement inférieure à celle de la main-d'œuvre. Enfin, depuis 1985, les résultats sont mitigés. La lenteur de l'atténuation de la pauvreté en Chine rurale est particulièrement frappante et correspond au nouveau rôle joué par l'Etat en matière de développement. Au Pakistan, les niveaux ont augmenté après 1988, lorsque le pays a entrepris des réformes économiques et a appliqué des mesures de stabilisation.

Tableau 2. La pauvreté rurale en Asie occidentale et dans les îles du Pacifique, 1988
(pourcentages)

Asie occidentale

 

Afghanistan

60

République islamique d'Iran

30

Iraq

30

Jordanie1

21

Liban

15

Yémen

30

Iles du Pacifique

 

Fidji

20

Iles Salomon

60

Tonga

75

1 Chiffres de 1992.

Source: Fonds international de développement agricole (FIDA): The state of world rural poverty: A profile of Asia (Rome, 1995).

Tableau 3. L'évolution de la pauvreté dans certains pays d'Asie, 1976-1996
(pour certaines années)

 

Incidence de la pauvreté (%)

Croissance du PIB
(% par an)

Campagnes

Zones
urbaines

 

Asie du Sud

Bangladesh

1979
1989

65,4
43,4

54,9
36,9

4,1

Inde

1978
1994

36,6
21,1

42,9
30,9

5,2

Népal

1985
1996

43,1
44,0

19,2
23,0

4,9

Pakistan

1979
1988
1993

32,5
18,3
23,3

25,9
15,0
15,5

6,41

Asie du Sud-Est

Chine

1981
1985
1990
1994

48,3
24,5
23,9
23,0

44,4
26,2
15,0
12,0

11,4
7,7
12,1

Indonésie

1981
1990

28,2
16,8

26,5
14,3

5,5

Malaisie

1984
1995

27,6
6,5

6,5
1,9

7,2

Philippines

1985
1994

53,92
48,52

--
--

3,9

Thaïlande

1976
1981
1988
1992

36,2
27,3
26,3
15,7

--
--
--
--

6,5
7,1
10,0

1 Données pour 1979-1983. 2 Pauvreté totale.

Source: Monographies nationales du BIT sur l'incidence de la pauvreté établies dans le cadre du Programme régional d'atténuation de la pauvreté pour l'Asie et le Pacifique (RAS/95/001). Les taux de croissance sont empruntés à la Banque mondiale: Trends in developing economies 1996 (Washington, DC).

L'analyse des tendances de la pauvreté(2) permet d'identifier certains facteurs fondamentaux qui ont influé sur l'atténuation de la pauvreté dans les pays asiens. En premier lieu, dans les pays les plus pauvres, étant donné que la grande majorité des déshérités subsiste grâce à l'agriculture, une croissance rapide fondée sur l'agriculture réduit plus rapidement la pauvreté qu'une croissance rapide non agricole. Deuxièmement, la capacité de création d'emplois grâce à la croissance est un facteur important qui influe sur la capacité d'atténuer la pauvreté par la croissance. L'expérience asienne montre que les stratégies de croissance orientées vers les exportations créent davantage d'emplois. Troisièmement, l'inflation en général et l'augmentation des prix des produits alimentaires en particulier risquent d'influer négativement sur la capacité, pour la croissance, d'atténuer la pauvreté, notamment lorsque les populations pauvres rurales doivent acheter des produits alimentaires et que les salaires du secteur non organisé, où travaille la majorité des pauvres, ne s'adaptent pas automatiquement ni rapidement à l'évolution des prix. Les femmes sont majoritaires parmi les personnes en situation de pauvreté (voir ci-après «L'emploi des femmes»). Quatrièmement, dans un certain nombre de pays d'Asie (notamment au Pakistan, aux Philippines et à Sri Lanka), une augmentation spectaculaire des migrations outre-mer vers la fin des années soixante-dix et durant les années quatre-vingt a largement contribué à réduire la pauvreté ou à en prévenir l'augmentation en diminuant les pressions sur l'emploi national et en permettant l'envoi de nombreux mandats. Cinquièmement, les modifications apportées au niveau de la distribution risquent de neutraliser l'effet d'atténuation de la pauvreté par la croissance. En effet, la plupart des pays ont traversé des phases où la croissance était associée à une aggravation des inégalités de revenus, de sorte que l'incidence de la pauvreté n'a pas varié ou s'est même aggravée. Pour des raisons analogues, les mesures de stabilisation et d'ajustement structurel adoptées par certains pays ont eu pour effet d'aggraver la pauvreté. Il est de toute évidence nécessaire de mettre en œuvre des politiques capables d'empêcher l'aggravation des inégalités de revenu, de sorte que les effets de la croissance sur l'atténuation de la pauvreté puissent être renforcés; enfin, des micro-interventions bien ciblées sous la forme de programmes d'emplois spéciaux peuvent encore renforcer cet effet. Au pire, ils peuvent jouer le rôle de programmes d'assistance. S'ils sont bien conçus et convenablement exécutés, ils peuvent permettre aux déshérités de profiter des nouvelles possibilités d'emploi engendrées par la croissance.

L'emploi des femmes

La situation des femmes de la région s'est quelque peu améliorée pour ce qui est de l'alphabétisation, de l'instruction et de la formation professionnelle, de l'intégration dans la main-d'œuvre et de l'emploi dans un nombre croissant d'occupations et de secteurs. Désormais, les femmes participent activement au développement; pourtant, dans de nombreux endroits, en tant que ressource humaine, elles sont toujours surchargées de travail, mal payées et peu considérées. En outre, elles doivent faire face à toute une série de problèmes découlant des discriminations salariales, des possibilités inégales de mise en valeur des ressources humaines, de l'inégalité d'accès aux ressources productives, de la ségrégation professionnelle, d'un statut socio-économique inférieur, de la double charge représentée par les responsabilités familiales et économiques, du harcèlement sexuel, d'une représentation limitée lors des décisions économiques et de la négociation collective, ainsi que d'autres facteurs. En améliorant la situation des femmes, leurs conditions de travail et leur niveau d'instruction et de qualifications, on pourrait desserrer l'étau de la pauvreté dans de nombreux pays. Ainsi qu'il a été dit dans le programme d'action de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, tenue sous l'égide des Nations Unies à Beijing en 1995: «il est essentiel de libérer le potentiel productif des femmes si l'on veut briser le cercle vicieux de la pauvreté et faire bénéficier pleinement les femmes du développement et des fruits de leur travail».

Le tableau 4 montre l'évolution de l'activité économique des femmes dans la région, par comparaison avec celle des hommes. Pour l'ensemble de l'Asie, le taux d'activité des femmes, en pourcentage de celui des hommes, a augmenté progressivement. Toutefois, l'évolution n'a pas été uniforme dans les différentes sous-régions. L'augmentation la plus spectaculaire du taux d'activité économique des femmes s'est produite en Océanie, puisque ce taux est passé de 36 pour cent en 1950 à 74 pour cent en 1995. En Asie de l'Est et du Sud-Est, le taux d'activité des femmes en pourcentage de celui des hommes s'est aussi accru significativement et il est particulièrement élevé en Asie de l'Est. Dans l'Asie du Sud et du Centre, le taux d'activité des femmes est faible et il a en fait diminué depuis 1950. Les taux d'activité en Asie occidentale demeurent les plus faibles pour l'ensemble de la région, encore que le taux d'activité économique des femmes ait légèrement augmenté au cours des années quatre-vingt-dix.

Tableau 4. Taux d'activité économique des femmes par sous-région1, 1950-2010
(pour certaines années, en pourcentage des taux masculins)

Taux d'activité économique des femmes en pourcentagede celui des hommes

1950

1960

1970

1980

1990

1995

20002

2010 2

Asie

61

62

64

67

68

69

70

71

Asie de l'Est

69

70

73

78

84

85

85

85

Asie du Sud-Centre

53

54

55

55

50

52

54

57

Asie du Sud-Est

57

58

62

67

72

74

76

78

Asie occidentale

56

52

49

47

45

47

50

55

Océanie

36

40

49

59

70

74

77

81

1 Les groupements sous-régionaux ne correspondent pas exactement à ceux qu'utilise le bureau régional de l'OIT pour l'Asie et le Pacifique. L'Océanie comprend l'Australie et la Nouvelle-Zélande, ainsi que les pays du Pacifique-Sud. L'Asie de l'Est comprend la Chine, la République de Corée, la République démocratique populaire de Corée, Hong-kong, le Japon, Macao et la Mongolie. L'Asie du Sud et du Centre comprend l'Afghanistan, le Bangladesh, le Bouthan, l'Inde, la République islamique d'Iran, les Maldives, le Népal, le Pakistan, Sri Lanka, le Turkménistan et d'autres pays d'Asie centrale non couverts par le présent rapport. L'Asie du Sud-Est comprend le Bruneï, le Cambodge, l'Indonésie, la République démocratique populaire lao, la Malaisie, le Myanmar, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Viet Nam. L'Asie occidentale comprend les Etats arabes couverts par le présent rapport et un certain nombre d'autres pays dont Israël. 2 Projections.

Source: BIT: Economically active population, 1950-2010 (Genève, 4e édition, 1996).

Il subsiste de considérables écarts de rémunération selon les sexes, encore que maints pays s'efforcent de remédier à cette situation. Comme le montre le tableau 5, il n'existe pas de tendance affirmée dans les différentes sous-régions d'Asie pour ce qui est des écarts salariaux selon le sexe. Les pays où les salaires non agricoles des femmes sont les plus proches de ceux des hommes comprennent certains pays industriels, certains pays en voie d'industrialisation, des économies en transition, l'Asie du Sud et l'Asie occidentale, tandis que la plupart des pays de ces groupes comprennent également des nations où l'écart salarial entre les sexes est le plus grand.

Tableau 5. Ecart entre les salaires féminins et masculins dans la région
Asie-Pacifique et dans les Etats arabes
(certains pays)

Pays

Salaires non agricoles des femmes
en pourcentage de ceux des hommes

Bangladesh

42

République de Corée

53,5

Chine

59,4

République arabe syrienne

60

Philippines

60,8

Indonésie

64

Thaïlande

68,2

Hong-kong1

69,5

Singapour

71,1

Nouvelle-Zélande

80,6

Jordanie

83,5

Sri Lanka

89,8

Australie

90,8

Viet Nam

91,5

1 Voir note 1, p. 5.
Note: Données les plus récentes.
Source: PNUD:
Rapport mondial sur le développement 1995, tableau 2.5.

Les industries à fort coefficient de main-d'œuvre travaillant pour l'exportation (textiles, traitement des produits alimentaires, électronique, chimie) dans des pays comme le Bangladesh, l'Inde, l'Indonésie, les Philippines et la Thaïlande sont des pays qui se sont attachés à ouvrir de nouvelles possibilités d'emplois salariés aux femmes dans le secteur structuré. La mobilisation et l'intégration des jeunes femmes dans ces emplois ont permis de créer des possibilités d'emploi salarié sans précédent et de leur donner accès à un revenu indépendant. Les mandats qu'elles envoient sont également devenus indispensables pour assurer la subsistance de nombreuses familles déshéritées dans les campagnes et dans les villes.

Toutefois, la main-d'œuvre féminine occupe surtout des postes de travail peu qualifiés. En outre, un nombre disproportionné de femmes occupe des types d'emplois non normalisés. En Australie, 72,5 pour cent des travailleurs à temps partiel du secteur manufacturier sont des femmes (1991), tandis qu'au Japon on trouve beaucoup plus de femmes que d'hommes occupant des emplois non normalisés ou des emplois à temps partiel(3). Si de nombreuses femmes sont favorables au travail à temps partiel (notamment du fait qu'elles sont au premier chef responsables de leur ménage et de leurs enfants), les conditions qui leur sont offertes sont le plus souvent moins favorables que celles des travailleurs à plein temps. Un sujet de préoccupation particulier est le recours de plus en plus fréquent de la sous-traitance dans l'industrie manufacturière, système qui défavorise surtout les travailleuses. En Asie du Sud-Est, la flexibilité accrue du marché du travail nuit surtout aux femmes qui effectuent de plus en plus des travaux occasionnels ou temporaires, ou à domicile.

La région Asie-Pacifique compte une forte concentration de femmes occupées dans le secteur non structuré. Pour survivre, beaucoup d'entre elles ont recours au travail indépendant ou au travail dans des PME, mais elles rencontrent souvent des problèmes liés à leur manque de qualifications et à la difficulté d'accès au crédit, à la formation professionnelle, à l'information sur le marché et aux marchés. En Asie du Sud, on a observé une diminution du nombre des femmes occupant un emploi salarié, et le marché du travail des femmes se situe essentiellement dans le secteur non structuré (ces formes de travail sont décrites ci-dessous dans la section «Le secteur non structuré»).

Une évolution remarquable est la féminisation de la main-d'œuvre asienne migrante. Parmi les principaux pays d'origine de cette main-d'œuvre, les travailleuses migrantes d'Indonésie, des Philippines et de Sri Lanka dépassent maintenant en nombre les travailleurs migrants. Pendant la période 1984-1994, les femmes ont constitué les deux tiers des travailleurs migrants originaires d'Indonésie. Des femmes asiennes cherchent un emploi outre-mer, notamment en Asie occidentale et dans les nouveaux pays en voie d'industrialisation où apparaissent des pénuries de main-d'œuvre. Le taux relativement élevé d'activité des femmes et le rôle actif que jouent le gouvernement et les agences privées recrutant des travailleurs migrants, notamment en Indonésie et aux Philippines, ainsi que la forte demande de travailleuses migrantes émanant des pays importateurs de main-d'œuvre, auront facilité les migrations de ces travailleuses. Toutefois, les travailleuses migrantes d'Asie occupent surtout des postes vulnérables situés au bas de la hiérarchie professionnelle, notamment dans les services domestiques et le spectacle (voir ci-dessous la section «Les migrations»).

Le secteur non structuré

Bien que la solution à long terme du problème de l'emploi consiste à retrouver un taux élevé de croissance de l'emploi dans le secteur moderne, le développement du secteur non structuré présente, lui aussi, des avantages indéniables. Tout d'abord, la plupart des activités de ce secteur sont des activités à fort coefficient de main-d'œuvre. Le secteur non structuré permet donc de créer des emplois assez facilement et il constitue une source de moyens d'existence ou un «filet de sécurité» pour les ménages pauvres. De surcroît, les expériences réussies des petites entreprises, essentiellement urbaines, fonctionnant dans le secteur non structuré d'Asie de l'Est et du Sud-Est ont montré que, grâce à leurs interactions et à leur concurrence avec le secteur structuré, ces activités parallèles ou à petite échelle permettent non seulement d'absorber l'excédent de main-d'œuvre mais également d'assurer une croissance rapide.

Dans la région, de nombreuses personnes dépendent toujours du secteur non structuré et notamment de petites entreprises qui échappent à tout ou partie des autorisations exigées des entreprises du secteur structuré et qui déploient toute une gamme d'activités, notamment dans le commerce, les transports, le bâtiment, la petite industrie, les services, etc. Toutefois, on constate que les villes d'Asie abritent désormais la plus forte concentration de personnes occupées dans le secteur non structuré. On estime que 50 à 60 pour cent de la main-d'œuvre urbaine de nombreuses villes d'Asie travaillent dans le secteur non structuré. On constate d'une façon générale que, dans ce secteur, les emplois créés n'exigent qu'un très faible capital. Par exemple, une enquête effectuée en 1995 dans la zone métropolitaine de Manille, avec l'aide de l'OIT, a permis de constater que plus de la moitié (54 pour cent) des entreprises du secteur non structuré fonctionnait avec un capital de moins de 5 000 pesos (200 dollars des Etats-Unis). En conséquence, dans la plupart des pays en développement d'Asie, le secteur non structuré constitue une source viable d'emploi pour tous ceux qui n'ont pu trouver à s'occuper dans le secteur structuré. Seuls les pays connaissant une croissance économique et de l'emploi très rapide, comme la Malaisie et Singapour, enregistrent une contraction de ce secteur.

Parallèlement à la persistance du secteur non structuré, on observe un certain développement du secteur structuré «parallèle». L'intensification de la mondialisation et de la libéralisation exerce des pressions, dues à la concurrence, sur les sous-secteurs de l'économie travaillant pour l'exportation, ce qui fait que, de plus en plus, la main-d'œuvre occupe des emplois irréguliers et occasionnels et que l'on a de plus en plus recours à la sous-traitance, et notamment au recrutement de travailleurs à domicile, dans certains secteurs manufacturiers. Ces travailleurs, qui sont surtout des femmes, ne font pas véritablement partie du secteur non structuré, mais se heurtent à nombre de problèmes connus des travailleurs de ce secteur: conditions de travail médiocres, manque de protection sociale, travail des enfants et bas salaires.

Pour résoudre ces problèmes, un certain nombre d'entrepreneurs importants du secteur non structuré de quelques pays comme l'Inde se sont organisés en coopératives ou en groupes auto-assistés. De surcroît, les syndicats se préoccupent davantage des problèmes des travailleurs du secteur non structuré et des travailleurs à domicile sous-traités. Ils ont mis au point des programmes d'action, aux Philippines par exemple, pour aider les travailleurs du secteur non structuré et leurs familles. Toutefois, ces initiatives sont encore limitées et sporadiques. Des approches novatrices, fondées surtout sur l'autorégulation et une amélioration des conditions de travail liées à l'essor et à la productivité des entreprises, visent à sensibiliser les entrepreneurs du secteur non structuré au fait qu'il est possible de réaliser des améliorations simples d'un faible coût et que l'amélioration des conditions de travail peut permettre d'obtenir de meilleurs résultats, un meilleur revenu et un plus grand bien-être. Les initiatives prises par l'OIT dans ce domaine sont décrites au chapitre III, dans la section consacrée aux «Conditions de travail».

Les responsables politiques de la région sont de plus en plus conscients de la nécessité de promouvoir activement la croissance du secteur non structuré. Une action gouvernementale est nécessaire à cet effet, notamment au niveau local, pour supprimer les règlements non indispensables qui s'opposent à la création et à la croissance des entreprises. En effet, une réglementation trop restrictive favorise le développement d'un secteur illégal qui nuit à l'activité du secteur non structuré. Toutefois, la suppression de ces obstacles doit s'accompagner d'une protection des droits fondamentaux, de mesures de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, et de l'amélioration progressive des conditions générales de travail (voir au chapitre II la section «Protection des travailleurs», où ces problèmes sont abordés). Etant donné que le secteur non structuré comprend à la fois des activités de simple subsistance et des activités à petite échelle ayant un potentiel de croissance et de progrès technique, les politiques pertinentes devront viser essentiellement à favoriser la modernisation du secteur. Cela exige une amélioration de la situation pour ce qui est des capitaux, de la technologie, des qualifications et de l'infrastructure nécessaires, ainsi que de meilleures liaisons entre les entreprises, les fournisseurs et les producteurs, et entre les autorités locales et les associations d'entreprises. Les entreprises du secteur non structuré doivent faire face à de nombreux problèmes pour avoir accès au crédit au même titre que le secteur structuré, et cela en raison du manque de garanties. Un bon système de crédit doit permettre de contourner les exigences normales en matière de garanties et de mettre en place d'autres solutions telles que les garanties de groupe, comme cela a été fait avec succès au Bangladesh par la banque Grameen.

Les migrations

La région continue d'être soumise à des flux divers et dynamiques de main-d'œuvre. Le boom pétrolier des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt avait déjà entraîné une augmentation spectaculaire des migrations de travailleurs à destination de l'Asie occidentale, en provenance d'abord des pays limitrophes puis de l'Asie du Sud et du Sud-Est.

Bien que d'ampleur différente, les pénuries de main-d'œuvre qui sont apparues dans les pays d'Asie à forte croissance économique se sont accompagnées d'importantes migrations de travailleurs, passant de plus d'un million dans les années quatre-vingt à plus de trois millions vers 1995. Des migrations se poursuivent également entre les pays insulaires du Pacifique et l'Australie et la Nouvelle-Zélande voisines, tandis qu'un grand nombre de travailleurs de la région émigrent de façon permanente aux Etats-Unis. L'intensification de la régionalisation et l'apparition de triangles de croissance renforcent également les liens entre les différents marchés du travail, notamment en Asie du Sud-Est.

Ces déplacements de main-d'œuvre entre pays exercent une forte influence sur les marchés du travail et la situation des comptes en devises des pays exportateurs de main-d'œuvre; de surcroît, l'exode massif de travailleurs migrants qualifiés et semi-qualifiés influe sur l'ensemble du paysage socio-économique et culturel des pays d'accueil comme des pays d'immigration. Ces dernières années, indépendamment de la féminisation croissante de la main-d'œuvre asienne migrante, déjà mentionnée, on a observé une augmentation marquée du nombre des travailleurs intellectuels, cadres de gestion et autres travailleurs qualifiés accompagnant les entreprises multinationales.

Les migrations de main-d'œuvre ne vont pas sans poser un certain nombre de problèmes: développement des migrations clandestines et illégales; conditions de travail médiocres ou abusives; manque de protection des travailleurs migrants; défaut de ratification, par les pays d'origine et les pays d'accueil, des conventions internationales de travail sur les travailleurs migrants; exploitation des travailleuses migrantes(4). Parmi les travailleurs migrants, les groupes les plus vulnérables sont les travailleurs sans papiers, les employées de maison et les personnes travaillant dans l'industrie du spectacle. Le chapitre II aborde les problèmes de la protection des travailleurs migrants.

Le travail des enfants

Les progrès remarquables réalisés en matière d'atténuation de la pauvreté dans la plus grande partie de la région, de pair avec l'amélioration de l'instruction et la mise en place de services d'aide à l'enfance, sont de nature à promouvoir la lutte contre le travail des enfants. Toutefois, c'est toujours cette région qui emploie le plus d'enfants et où l'on observe quelques-unes des formes les plus extrêmes d'exploitation des enfants telles que le servage ou le quasi-esclavage des enfants, la prostitution et le travail dans des secteurs particulièrement dangereux. Les gouvernements de la région sont désormais mieux sensibilisés au problème du travail des enfants. L'élaboration d'une politique nationale d'ensemble visant la réduction et l'élimination définitive de ce problème est mieux acceptée que par le passé, et la mise en place d'un cadre juridique approprié suscite maintenant davantage d'intérêt. Le chapitre II étudie en détail la situation au regard du travail des enfants et les différentes solutions possibles; le chapitre III expose la réponse de l'OIT.

Le fonctionnement du marché du travail:
leçons et problèmes

La présente section examine le cadre politique qui permettrait d'assurer une croissance soutenue et équitable dans la région Asie-Pacifique, et aborde un certain nombre de problèmes fondamentaux, tout en tirant certains enseignements fondamentaux de l'expérience acquise. Il s'agit a) de la croissance fondée sur la compétitivité internationale; b) de la mise en valeur des ressources humaines; c) de l'amélioration de la qualité de l'emploi; et d) des filets de sécurité protégeant les groupes vulnérables. Ce cadre politique est à replacer dans le contexte d'une mondialisation et d'une libéralisation économique qui se poursuivent à un rythme accéléré et qui ont des incidences importantes sur les résultats et la gestion économiques de la région.

Croissance et compétitivité internationale

La mondialisation ou la production transfrontières ont joué un rôle essentiel dans le renforcement de la compétitivité internationale, notamment en Asie de l'Est et du Sud-Est. La dynamique économique a été sensiblement renforcée dans ces pays par les investissements d'entreprises multinationales et par les très nombreuses PME asiennes qui ont développé leur production transfrontières dans tous les cas où les marchés et les hauts niveaux d'efficacité le justifiaient. Les réformes économiques, notamment la libéralisation des échanges, ont contribué à accroître considérablement les investissements et les flux commerciaux, et ont aidé à consolider les gains obtenus grâce aux nouvelles ouvertures commerciales. Au cours des dix dernières années, les pays d'Asie du Sud se sont également engagés dans une politique de participation accrue à la division mondiale du travail et ont accepté une augmentation des investissements étrangers dans leurs économies. Les pays qui sont en train de passer d'un système économique contrôlé à un système d'économie de marché s'ouvrent également aux investissements étrangers et adoptent des mesures visant à déréglementer et à privatiser des secteurs importants de leur économie afin de tirer parti des avantages concurrentiels dont ils bénéficient. Trois aspects de la mondialisation ont exercé une influence importante sur les résultats économiques de la région Asie-Pacifique.

On peut mentionner tout d'abord la remarquable croissance des échanges commerciaux entre les pays d'Asie eux-mêmes. La part des exportations réciproques des pays d'Asie de l'Est et d'Asie du Sud-Est est passée de 21,1 pour cent de leurs exportations totales en 1980 à 40,5 pour cent en 1994. L'Asie du Sud n'a joué qu'un rôle marginal dans cette évolution. La part des pays asiens dans les exportations de l'Asie du Sud est passée de 24,2 à 27,7 pour cent seulement entre 1981 et 1994, mais la part des importations de la région en provenance d'autres pays d'Asie est passée de 20,5 à 33,4 pour cent.

En deuxième lieu, il faut mentionner l'augmentation des investissements étrangers directs, surtout au bénéfice de l'Asie de l'Est et du Sud-Est, investissements attirés à la fois par la croissance exceptionnelle de cette sous-région et par l'essor de ses échanges commerciaux internes. Le tableau 6 reproduit certains chiffres de base qui illustrent la croissance et l'évolution de la composition régionale des investissements étrangers directs.

Tableau 6. Investissements étrangers directs dans certaines régions du monde, 1983-1994: entrées et sorties (en millions de dollars des Etats-Unis)

 

Entrées

Sorties

Economies
développées

Economies en développement

Asie du Sud,
de l'Est et
du Sud-Est

Economies
développées

Economies en
développement

Asie du Sud,
de l'Est et
du Sud-Est

Moyenne annuelle
1983-1988

71 779

19 757

7 952

88 277

5 423

3 295

1989

171 722

28 622

15 537

202 270

15 586

12 254

1990

176 436

34 689

19 893

226 215

16 934

11 500

1991

115 092

40 899

20 805

188 257

10 994

8 195

1992

111 223

54 750

31 569

171 281

19 314

15 534

1993

129 073

73 350

48 463

192 959

29 136

27 683

1994

134 894

84 441

59 093

189 280

32 907

29 621

Moyenne
annuelle
1989-1994

139 740

52 790

32 093

195 044

22 812

17 461

Note: Le total global des entrées et celui des sorties ne correspondent pas toujours, du fait que les chiffres sont arrondis et que certains flux ne sont pas enregistrés.

Source: CNUCED: World Investment Report 1995: Transnational corporations and competitiveness (Genève, 1995) , annexe, tableaux 1 et 2.

A noter que l'Asie constitue désormais une source majeure d'investissements étrangers directs du fait que les nouveaux pays en voie d'industrialisation investissent fortement non seulement dans la région mais également dans d'autres parties du monde.

Un troisième élément d'importance est constitué par les migrations de main-d'œuvre entre pays d'Asie, ainsi qu'on l'a dit plus haut. Les marchés du travail sont de plus en plus étroitement intégrés dans la région asienne, et on observe un afflux de main-d'œuvre, y compris de travailleurs intellectuels, en provenance de certains pays à excédent de main-d'œuvre de l'Asie du Sud et du Sud-Est, à destination des nouveaux pays en voie d'industrialisation qui connaissent une croissance rapide.

Les résultats obtenus par les pays d'Asie à forte croissance, qui ont permis de soutenir à la fois de hauts niveaux de croissance économique et d'emploi, font l'objet d'un débat animé. Toutefois, on reconnaît généralement que la compétitivité internationale repose en grande partie sur un taux élevé d'investissement, sur la stabilité macroéconomique et sur une politique économique orientée vers l'exportation. Pour bénéficier d'investissements importants, les pays doivent manifester une grande stabilité politique et sociale et adopter des mesures propres à encourager l'épargne et à inspirer confiance dans l'économie. Parallèlement, une gestion macroéconomique responsable, permettant notamment de limiter l'inflation, et un taux de change approprié encouragent la planification et les investissements à long terme.

Le système global d'incitations devrait tenir compte de l'avantage relatif dont bénéficie le pays et ne pas exercer de discrimination à l'encontre des exportations ou de la production agricole, comme cela se produit dans la plupart des cas avec les mesures de substitution. En fait, la mise en œuvre d'une politique d'exportations est essentielle pour les pays qui s'engagent dans l'industrialisation avec un fort excédent de main-d'œuvre bon marché. La politique active de promotion des exportations de produits manufacturés explique en grande partie les gains rapides de productivité des pays d'Asie à croissance rapide.

Mise en valeur des ressources humaines

La rapidité de la mondialisation et de la libéralisation a entraîné une intensification de la concurrence internationale et, de ce fait, la mise en valeur des ressources humaines a acquis une importance considérable. La conception traditionnelle de la politique de l'emploi consiste à promouvoir des secteurs de production pouvant absorber une main-d'œuvre nombreuse. Toutefois, cette stratégie fait en grande partie appel à une main-d'œuvre non qualifiée et elle risque d'être battue en brèche par les changements technologiques et organiques opérés au sein des entreprises multinationales. Cette politique peut également pâtir de l'évolution des salaires relatifs entre pays en développement. L'industrialisation est au premier chef le résultat d'un stimulus extérieur, ce qui ne laisse guère de place à des choix novateurs.

Dans une stratégie de mise en valeur des ressources humaines, l'avantage concurrentiel de l'économie ne réside ni dans les produits de base ni dans les faibles salaires de la main-d'œuvre, mais dans les qualifications, l'esprit d'entreprise et la recherche. C'est ce qu'a mis plus particulièrement en évidence la croissance rapide de certains pays d'Asie (République de Corée, Singapour, Hong-kong et Taiwan, Chine) lorsqu'ils ont abandonné les activités à fort coefficient de main-d'œuvre pour mettre l'accent sur des techniques à fort coefficient de qualifications et d'esprit d'entreprise. Tous les pays n'ont pas accordé la même importance à la mise en valeur des ressources humaines, mais il est évident que l'accent mis sur les qualifications et les idées novatrices explique en grande partie la croissance toujours aussi rapide de ces pays malgré des pénuries de main-d'œuvre et l'augmentation des salaires réels. L'efficacité de la politique de mise en valeur des ressources humaines est attestée par le fait que la transformation structurelle de l'économie est facilitée par la qualité croissante de l'offre de main-d'œuvre et non plus essentiellement par la demande de main-d'œuvre non qualifiée à l'étranger.

Les politiques de mise en valeur des ressources humaines sont désormais au centre des préoccupations touchant le développement économique et social de la quasi-totalité des pays de la région Asie-Pacifique. L'impact énorme de ces politiques non seulement sur la productivité de la main-d'œuvre (et, partant, sur la compétitivité internationale), mais également sur la qualité de vie (eu égard à leurs effets favorables pour ce qui est de l'exclusion sociale, de l'atténuation de la pauvreté et de l'égalité) est de plus en plus ressenti.

Ces dernières années, les systèmes d'enseignement et de formation professionnelle de presque tous les pays de la région ont fait l'objet d'un examen critique. Un certain nombre de pays (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande) ont mis en œuvre des réformes globales. L'attention s'est surtout portée sur le décalage entre l'emploi, d'une part, et l'enseignement et la formation professionnelle, d'autre part, c'est-à-dire sur l'adéquation des programmes. Dans maints pays, on note la coexistence d'un grand nombre de chômeurs avec une pénurie de travailleurs possédant des qualifications particulières requises par le marché du travail. On observe en outre que des travailleurs en surnombre ne possédant pas suffisamment de possibilités d'emploi coexistent avec des migrations transfrontières de main-d'œuvre hautement qualifiée. Dans ces conditions, le problème ne consiste plus à augmenter les qualifications des travailleurs, mais plutôt à sélectionner les qualifications demandées. Un autre problème connexe est celui qui consiste à accroître les compétences du personnel enseignant grâce à des programmes de formation mieux adaptés accordant davantage d'importance aux liaisons avec le monde professionnel.

Un autre problème se pose à propos de l'adéquation de la formation, c'est celui de la réceptivité des travailleurs à la formation. Les pays de la région réorientent de plus en plus leurs systèmes d'enseignement et de formation professionnelle en élargissant leurs bases de façon à renforcer les compétences essentielles des participants et à leur permettre de suivre le progrès technique.

Un autre facteur important est celui du transfert des qualifications. D'une façon générale, le système d'équivalences entre les qualifications délivrées par des institutions d'enseignement de la région et au-delà est bien reconnu. Par conséquent, les travailleurs ne rencontrent guère de difficultés pour faire reconnaître leurs compétences sur la base des diplômes et certificats obtenus, ce qui est particulièrement important dans le contexte de la mondialisation et des migrations transfrontières. Pourtant, il reste encore beaucoup à faire en matière de normalisation des qualifications. L'harmonisation des normes de qualification contribuerait largement à l'amélioration des conditions de travail, notamment pour les travailleurs migrants. D'importantes initiatives ont été prises dans le cadre du Programme de l'OIT de développement des qualifications pour l'Asie et le Pacifique (APSDEP) et par des organisations régionales comme le Forum de coopération Asie-Pacifique (CEAP), et elles font l'objet d'un suivi (voir chapitre III, sous «Mise en valeur des ressources humaines»). Il faudra donc mettre en place des mécanismes capables de conférer davantage d'efficacité aux efforts déployés jusqu'ici.

L'examen des systèmes de formation fonctionnant dans les différents pays de la région a mis en évidence la nécessité de vouer une attention ciblée aux problèmes d'égalité en particulier. Des efforts spéciaux devront être déployés pour accroître les possibilités de formation des femmes, des membres de certains groupes linguistiques ou minoritaires, des travailleurs du secteur non structuré, des travailleurs âgés et des travailleurs handicapés. Autre sujet de préoccupation, la nécessité de renforcer la formation des travailleurs migrants, compte tenu non seulement des besoins du pays d'accueil mais également des possibilités de réintégration de ces travailleurs dans leur pays d'origine.

Les efforts d'amélioration des systèmes d'enseignement et de formation professionnelle visent à faire en sorte que ces systèmes s'adaptent plus rapidement aux nouvelles possibilités d'emploi. En même temps, les planificateurs politiques de la région ont reconnu la nécessité de viser certains objectifs à plus long terme compte tenu du fait que le marché du travail pourrait accepter des méthodes de production moins efficaces et des travailleurs moins qualifiés en cas de pénurie de travailleurs mieux formés. Etant donné les délais nécessaires pour mettre en valeur les ressources humaines, et notamment pour répondre à la demande des industries de pointe, le cadre politique et réglementaire est en voie de réorganisation afin de mieux soutenir la formation et le perfectionnement des travailleurs de ces secteurs, l'accent étant mis particulièrement sur une participation accrue des femmes. Les entreprises et les associations patronales ont largement soutenu les efforts déployés par les autorités nationales.

Etant donné les limites du financement public et la demande croissante dans le domaine de la formation professionnelle, il a fallu trouver d'urgence d'autres sources de financement. Il en est résulté un processus de décentralisation de la planification et de la mise en valeur des programmes de formation professionnelle. Parallèlement, une approche participative et communautaire de la formation professionnelle était adoptée, mettant l'accent sur l'utilisation des ressources locales, ce qui a donné une grande impulsion aux programmes de formation professionnelle de la région, notamment dans les campagnes.

Parmi les efforts déployés par les autorités nationales pour développer les ressources humaines, il faut noter le rôle constructif des organisations d'employeurs et de travailleurs. Ces organisations ont non seulement participé à la réalisation des programmes de perfectionnement des travailleurs, mais elles ont également contribué de façon significative à renforcer le rôle de formation des entreprises. Le chapitre II («Elaboration d'une solution plus efficace») examine le rôle des organisations d'employeurs et de travailleurs dans l'amélioration de la gestion des ressources humaines.

Qualité de l'emploi

Les succès économiques de plusieurs pays d'Asie de l'Est et du Sud-Est ne se sont pas seulement traduits par une augmentation des possibilités d'emploi, mais également par une amélioration de la qualité de l'emploi (voir également chapitre II). En particulier, ces pays, qui ont appliqué une stratégie fondée sur la mise en valeur des ressources humaines, ont délibérément amélioré les conditions de travail et d'emploi comme faisant partie intégrante du processus d'augmentation de la productivité, processus d'ailleurs intimement lié aux résultats de l'entreprise et aux niveaux de revenus. Ainsi, les améliorations apportées à la qualité de l'emploi ne s'expliquent pas seulement par le remplacement des industries «insalubres» par des industries plus avancées et plus «propres» sur le plan technique, mais également par un effort plus général visant à optimiser la productivité du travail, notamment par la création d'emplois de meilleure qualité. Toutefois, même dans ces pays, les améliorations qualitatives ont été inégales. Par exemple, on a très peu progressé dans le domaine de la protection des travailleuses et de l'élimination des discriminations. A Singapour, le salaire moyen des travailleuses de l'industrie représentait 55,7 pour cent du salaire masculin, et cette proportion était de 50,8 pour cent en République de Corée. Dans ce dernier pays, les femmes n'occupaient en 1991 que 4 pour cent des postes de direction (15,5 pour cent à Singapour à la même époque). L'assouplissement des régimes de travail et le recours au travail occasionnel, solutions adoptées pour faire face à la mondialisation et à la libéralisation, ont eu pour effet non seulement de diminuer la sécurité d'emploi et les salaires, mais également d'empirer les conditions de travail d'une grande partie de la main-d'œuvre, notamment les femmes (voir également «L'emploi des femmes» ci-dessus, et les développements consacrés à la protection des travailleurs au chapitre II).

Un des principaux éléments intervenant dans la qualité de l'emploi a trait aux droits fondamentaux des travailleurs tels que la liberté syndicale et la négociation collective. Les pays qui ont mis au point des systèmes plus élaborés de négociation collective et de reconnaissance des droits des travailleurs sont mieux placés pour tirer pleinement parti d'une politique de mise en valeur des ressources humaines. Des mécanismes novateurs sont nécessaires pour améliorer les résultats des entreprises et renforcer la protection des travailleurs, objectif à la réalisation duquel les organisations d'employeurs et de travailleurs doivent participer.

Les nouveaux pays en voie d'industrialisation qui se sont récemment engagés dans la voie de la mise en valeur des ressources humaines commencent à montrer qu'ils ont tiré des enseignements de l'expérience des pays qui se sont industrialisés avant eux, encore qu'il reste beaucoup à faire. En particulier, il apparaît de plus en plus que le passage d'une politique d'exportations d'un faible coût et à fort coefficient de main-d'œuvre à une stratégie à fort coefficient de technologie dans les nouveaux pays en voie d'industrialisation risque d'être déstabilisant sur le plan social faute de relations professionnelles saines et d'une protection adéquate de la main-d'œuvre.

La persistance du secteur non structuré urbain, notamment en Asie du Sud et du Sud-Est, pose des problèmes particuliers aux gouvernements qui s'efforcent d'améliorer la qualité de l'emploi. Des services insuffisants d'inspection du travail, les pressions syndicales et l'influence des organisations d'employeurs, l'absence de relations professionnelles formelles dans le secteur non structuré, des revenus limités et irréguliers, et aussi la perception insuffisante de l'importance et des avantages d'un milieu de travail amélioré constituent autant d'obstacles au progrès. Aussi, le secteur non structuré, qui emploie de nombreuses femmes, se caractérise-t-il par des conditions de travail médiocres et dangereuses, par l'absence de toute protection sociale et par l'emploi de nombreux enfants.

Enfin, le phénomène des migrations de main-d'œuvre pose un certain nombre de problèmes spéciaux de qualité de l'emploi. De nombreux travailleurs -- surtout du sexe féminin -- occupent des emplois subalternes et vulnérables, notamment dans le secteur des services domestiques et du spectacle, ce qui pose de nouveaux problèmes de protection de la main-d'œuvre.

Atténuation de la pauvreté et filets de sécurité

Les pays où règnent la pauvreté et l'inégalité doivent procéder à des réformes du marché du travail s'appuyant sur des politiques et programmes destinés à renforcer la capacité des pauvres de bénéficier des nouvelles possibilités qui s'ouvrent. Dans les autres pays, l'adoption de mesures de libéralisation et de réforme économique a eu des effets défavorables sur l'emploi et la pauvreté, surtout dans l'immédiat. Des réformes économiques peuvent entraîner une baisse de l'emploi dans les secteurs protégés, une réduction des salaires urbains et une intensification de l'exode rural, surtout dans les cas où celui-ci était endigué. Il peut en résulter, pour les salariés urbains, une détresse encore aggravée par la réduction des dépenses publiques consacrées aux services sociaux, suite à l'adoption de politiques fiscales plus restrictives.

De tels ajustements à court terme peuvent être indispensables pour engager l'économie sur une trajectoire de forte croissance. En Mongolie, le chômage, qui était autrefois négligeable, a atteint 8,7 pour cent en 1994 et, contrairement aux tendances constatées un peu partout, l'économie est en fait redevenue agraire, l'emploi agricole ayant augmenté de près de 50 pour cent entre 1987 et 1994. A la suite des réformes entreprises, les salaires ont diminué de 60 pour cent en deux ans seulement. En échange, une croissance positive a été enregistrée au cours des trois dernières années, soit 3 pour cent en moyenne pour la période 1994-1996, alors que les trois premières années des réformes avaient été caractérisées par une forte baisse de l'activité économique, soit 7 pour cent en moyenne en 1992 et 1993. Au Viet Nam, en l'espace de trois ans seulement (1988-1991), plus d'un million de travailleurs ont été retirés du secteur étatique (soit 20 pour cent de la main-d'œuvre), et les salaires urbains ont chuté de près de 40 pour cent; toutefois, après la réforme, la croissance a représenté au moins le double de la croissance enregistrée pendant la période immédiatement précédente. Jusqu'ici, la Chine a pu éviter des perturbations aussi massives grâce à des réformes progressives, elles-mêmes dictées par l'ampleur même du problème. Dans les zones urbaines, les entreprises d'Etat représentent les deux tiers de l'emploi et un tiers du PIB. On estime que plus du quart des travailleurs employés dans les entreprises étatiques sont en surnombre (soit environ 25 millions de travailleurs). Or il existe déjà 5 millions de travailleurs en chômage visible dans les villes (soit 2,8 pour cent de la main-d'œuvre urbaine en 1994); il existe de surcroît une «population flottante» de 50 à 100 millions de personnes, également dans les villes, ainsi qu'un chômage massif dans les exploitations agricoles.

Par conséquent, le défi majeur qui est lancé à de nombreux pays d'Asie consiste à gérer les réformes de façon qu'elles assurent une protection sociale et des filets de sécurité aux personnes directement touchées, et de façon à ne pas entraver la lutte contre la pauvreté. Comme une forte proportion de la main-d'œuvre est encore employée dans les régions rurales de maints pays d'Asie, la priorité doit être donnée au développement de l'emploi aussi bien dans le secteur agricole que dans les secteurs non agricoles. Les réformes économiques capables de supprimer les distorsions antérieures qui, en matière de prix et d'incitations, jouaient contre l'agriculture peuvent conduire à une amélioration de la situation économique de nombreux agriculteurs. En même temps, le processus de réforme doit tenir compte des petits agriculteurs marginalisés, notamment dans les régions isolées et écologiquement fragiles, de façon que des services de vulgarisation leur soient assurés et que leurs besoins en matière d'intrants, y compris le crédit, soient satisfaits et que, de plus, ils disposent de suffisamment de temps pour s'adapter aux nouvelles incitations. Des réformes structurelles favorisant une meilleure répartition des terres et une utilisation plus judicieuse des moyens d'irrigation (l'eau étant un facteur d'emploi), de façon à accroître la productivité et le rendement des récoltes et à encourager l'utilisation de techniques appropriées, sont de nature à accroître l'absorption de main-d'œuvre dans l'agriculture, ainsi que la preuve en a été donnée en Asie de l'Est. L'expérience montre que les investissements publics revêtent une importance cruciale pour le développement de l'infrastructure agricole, où les investissements privés font d'ordinaire défaut. Les investissements publics peuvent en outre encourager le secteur privé à investir dans l'agriculture. Des moyens d'irrigation mis en place grâce aux investissements publics encouragent les agriculteurs privés à investir dans les engrais, dans des semences à haut rendement et dans le matériel agricole.

Des micro-interventions revêtant la forme de programmes spéciaux de création d'emplois indépendants et d'emplois salariés sont au centre de la stratégie de lutte contre la pauvreté appliquée dans la plupart des pays d'Asie du Sud et dans certains pays d'Asie de l'Est. Ces programmes sont souvent conçus et mis en œuvre sans considération des impératifs macroéconomiques. Aussi n'ont-ils servi, le plus souvent, que de programmes de secours. En outre, les programmes destinés à créer des emplois indépendants sont généralement fondés sur l'obtention de crédits bien qu'ils comprennent parfois un élément de formation et/ou d'assistance dans le domaine de la commercialisation. Le principal problème est celui du ciblage; en effet, de nombreux programmes finissent par profiter en fait à des personnes ne figurant pas dans le groupe cible. Cela s'explique par la demande généralement excédentaire de crédits, demande encore renforcée lorsque le crédit est subventionné. Les garanties jouent donc une grande importance en tant que mécanisme de sélection, ce qui peut avoir des résultats contraires au but visé. Il ressort de l'expérience passée en matière de programmes de création d'emplois salariés que, tout d'abord et bien que permettant d'assister les pauvres, ces programmes ne contribuent guère à la création d'actifs productifs durables et susceptibles d'engendrer des emplois. Toutefois, si la création d'actifs était un objectif explicite, on aurait alors tendance à consacrer davantage de fonds à l'achat de matériaux et d'équipements, au recrutement d'une main-d'œuvre qualifiée, etc. Cela irait nécessairement à l'encontre de l'objectif d'atténuation de la pauvreté. Deuxièmement, bien que ces programmes présentent un avantage en ce sens qu'ils sont destinés à fournir des emplois uniquement aux pauvres (ce qui ne pose guère de problème de ciblage), la fixation d'un niveau de salaire approprié peut soulever des difficultés. Si le salaire est trop élevé, des personnes non considérées comme pauvres peuvent être tentées d'y participer. Si le salaire est trop bas, l'effet d'atténuation de la pauvreté risque d'être négligeable. En outre, dans certains cas, il peut être souhaitable de considérer de tels programmes comme une forme d'intervention sur le marché du travail visant à relever le niveau des salaires sur ledit marché.

Remarques finales

L'évolution que connaît la région dans le domaine de l'emploi et des conditions du marché du travail a également des conséquences profondes pour les relations professionnelles et la protection des travailleurs. Les organisations d'employeurs et de travailleurs, ainsi que les gouvernements, doivent relever des défis nouveaux et complexes découlant de la mondialisation et d'une concurrence internationale accrue. Il est essentiel qu'ils puissent contribuer de façon significative à l'élaboration de politiques intégrées de création d'emplois et de mise en valeur des ressources humaines, et qu'ils soient en mesure de fonder ces politiques sur le respect des droits des travailleurs, y compris la négociation collective et le droit d'organisation. Des structures doivent également être mises en place pour permettre aux mandants tripartites de mettre au point des solutions aux problèmes des licenciements et des redéploiements liés à la restructuration industrielle, et d'élaborer et réaliser des programmes d'emploi ciblés pour sauvegarder l'emploi et les revenus des groupes les plus pauvres et les plus vulnérables.

La conception de mécanismes novateurs pour résoudre les problèmes de qualité de l'emploi est un autre objectif prioritaire, inséparable des problèmes posés par les relations professionnelles et par la protection des travailleurs. La priorité doit également être accordée aux mesures de lutte contre la discrimination sur le marché du travail et de promotion de l'égalité d'accès à l'emploi, pour les femmes en particulier.

Grâce à sa composition tripartite et à ses perspectives et expériences internationales, l'OIT est exceptionnellement bien placée pour faciliter la mise en place et le fonctionnement de ces structures et mécanismes.


1.  Le présent rapport traite de la période allant jusqu'au 30 juin 1997, au cours de laquelle Hong-kong constituait un territoire non métropolitain du Royaume-Uni. Le 1er juillet 1997, la Chine a rétabli sa souveraineté sur Hong-kong qui est devenue une région administrative spéciale de la République populaire de Chine.

2.  BIT: Poverty alleviation and macroeconomic policies: Lessons from the past experience, document de synthèse pour l'Atelier régional asien d'orientation sur les macropolitiques et les micro-interventions tendant à atténuer la pauvreté, 5-7 fév. 1997, Bangkok.

3.  Tomoda, Shizue: Women workers in manufacturing, 1971-1991, programme d'activités sectorielles, documents de travail, p. 21 (Genève, BIT, 1995).

4.  Rashid Amjad (ILO/SEAPAT): «Philippines and Indonesia: on the way to a migration transition», dans Asia and Pacific Migration Journal, vol. 5, nos 2-3, 1996.