BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL |
Bangkok décembre 1997 |
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Douzième Réunion régionale asienne |
Rapport du Directeur général |
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RELATIONS PROFESSIONNELLES, |
II |
La libéralisation économique et la mondialisation exigent non seulement des changements accélérés sur le plan de la technologie, de l'organisation et du marché du travail, mais également une attention accrue portée aux relations professionnelles et à la protection des travailleurs de façon à faciliter et à appuyer l'industrialisation et le développement économique en Asie et dans le Pacifique.
Au cours des années quatre-vingt-dix, les exigences nouvelles de la concurrence internationale et les importants progrès réalisés dans le domaine de la technologie, conjugués avec une orientation plus marquée de nombreux pays vers l'économie de marché sous l'effet de la libéralisation, ont modifié de façon spectaculaire la nature et le fonctionnement des marchés, ainsi que l'organisation de la production dans maintes industries. Les entreprises, considérées individuellement, en tant qu'éléments moteurs de la croissance économique et de l'emploi ont désormais un rôle essentiel à jouer en innovant de manière à fournir «le produit ou le service voulu au prix voulu et en temps voulu».
Les entreprises les plus concurrentielles de la région appliquent de nouvelles conceptions des relations professionnelles afin de relever ce défi. On considère en effet que les relations professionnelles ont de plus en plus un rôle crucial à jouer, dans le même temps que leur nature évolue. Elles sont utilisées par ces entreprises pour obtenir de meilleurs résultats, grâce au renforcement de la coopération sur les lieux de travail, pour organiser le travail de façon plus efficace et pour renforcer les qualifications et l'adaptabilité de la main-d'œuvre. Dans ces entreprises et dans les pays les plus développés de la région Asie-Pacifique en général, on admet de plus en plus que cette conception des relations professionnelles doit s'appuyer sur une attention accrue vouée à la protection des travailleurs, de façon à assurer une répartition plus équitable des avantages de la croissance, à mieux mettre à profit ces avantages et à répondre aux besoins de certains groupes.
Toutefois, l'évolution dans ce sens n'a pas été suffisamment uniforme, cohérente et équilibrée dans toute la région pour améliorer significativement la situation des travailleurs. Or, dans leur grande majorité, les travailleurs d'Asie et du Pacifique se situent encore en marge des systèmes officiels de relations professionnelles, et les conditions de travail sont le plus souvent précaires et dangereuses. Même dans le cas des travailleurs couverts par des systèmes nationaux de relations professionnelles, les politiques, la législation et les institutions régissant les relations professionnelles et la protection des travailleurs ne répondent qu'avec lenteur aux exigences du nouvel environnement économique. Les solutions sont généralement insuffisantes et il existe des signes inquiétants de réduction des droits collectifs et de la représentation des travailleurs. Dans maints pays, les relations entre le gouvernement et les partenaires sociaux se sont encore tendues lorsque certains problèmes se sont posés, tels que la privatisation et la multiplication des licenciements et des formes atypiques d'emploi, dans la course à l'efficacité économique.
Les gouvernements et les partenaires sociaux devront relever ces redoutables défis s'ils souhaitent tirer profit des formidables possibilités ouvertes par la libéralisation et la mondialisation et permettre à la région de réaliser une croissance économique forte et soutenue.
Les relations professionnelles et la mondialisation
Les relations professionnelles dans le nouvel environnement
Traditionnellement, les relations professionnelles s'articulaient sur les liens existant à l'intérieur et à l'extérieur des lieux de travail, sur les procédures concrétisant ces liens (négociations collectives et participation des travailleurs aux décisions), sur la gestion des différends entre les employeurs, les travailleurs et les syndicats (avec participation des institutions officielles et officieuses), et sur les droits et responsabilités du patronat et des travailleurs, ainsi que de leurs représentants. Les relations professionnelles visaient à la conclusion d'accords collectifs au niveau national ou sectoriel, ou à celui de la branche d'activité, accords qui devaient être répercutés sur chaque entreprise.
Toutefois, parallèlement à la mondialisation, les progrès de l'information et la régulation des processus industriels ont permis de constituer des réseaux interentreprises dans le monde entier, battant ainsi en brèche la notion traditionnelle des limites d'une entreprise et compromettant les accords collectifs conclus dans le cadre des relations professionnelles. De nouveaux systèmes de gestion, en matière notamment de ressources humaines, apparaissent. Ils sont centrés sur l'entreprise et s'efforcent de concilier les intérêts des chefs d'entreprise, des travailleurs ou des groupes de travailleurs de façon à atteindre certains objectifs définis sur une base collective. Ces systèmes mettent l'accent sur les relations individuelles et s'efforcent de promouvoir l'engagement des travailleurs, l'intégration organique et la flexibilité, l'efficacité, l'innovation et la qualité sur les lieux de travail. Dans ces conditions, les relations de travail doivent être vues dans une perspective plus large, et il importe d'harmoniser les relations professionnelles et les politiques et pratiques de gestion des ressources humaines, de façon à obtenir de meilleurs résultats dans l'intérêt des deux parties. La figure 1 fournit un cadre pour l'analyse des effets de la mondialisation sur les relations professionnelles.
Les entreprises multinationales sont le moteur du changement dans le nouvel environnement économique. Elles mettent en place des réseaux très complexes de production internationale qui distinguent la mondialisation des formes plus simples d'intégration économique internationale qui avaient cours antérieurement. En tant que producteurs de biens et de services à l'échelon mondial, centres névralgiques des réseaux et en tant que gros employeurs, les entreprises multinationales exercent une influence qui s'étend bien au-delà des centres urbains des pays où elles sont implantées. Pour leur part, les entreprises locales réagissent également au nouvel environnement en appliquant les nouvelles techniques d'information et de régulation des processus industriels aux marchés intérieurs et internationaux, de façon à promouvoir l'individualisation et la décollectivisation du travail dans de nombreux pays.
La mondialisation a également une autre conséquence globale, en ce sens que les chefs d'entreprise des pays investisseurs doivent adapter leurs pratiques de gestion aux conditions qui prévalent dans d'autres pays. Cela exige à la fois la connaissance et le respect des pratiques suivies dans le domaine juridique, dans celui des relations professionnelles et dans celui de la gestion des ressources humaines (et des autres ressources) dans des environnements culturels différents. En effet, les règles, pratiques et comportements qui ont cours dans les lieux de travail d'un pays donné peuvent ne pas convenir dans d'autres pays. Par ailleurs, les syndicats et les travailleurs doivent se familiariser avec des méthodes d'exploitation (et des comportements culturels) qui peuvent leur être étrangères et ils doivent s'y adapter. Le nombre croissant de différends du travail qui surgissent dans certains pays au sein des succursales d'entreprises étrangères et d'établissements exploités en coentreprise montre que ce problème d'adaptation est encore mal géré.
Problème connexe, le «capital» est dorénavant nettement plus mobile dans un environnement international ouvert, alors que la «main-d'œuvre» demeure relativement stable. La main-d'œuvre risque d'en être relativement défavorisée dans la mesure où le «capital peut» désormais employer des travailleurs venant d'autres pays à un coût inférieur et sur une base qui risque de compromettre la continuité d'emploi (voir chapitre I). Le nombre croissant des zones franches d'exportation reflète bien la situation. En effet, ces zones créent des emplois dans les pays d'accueil mais, encore que la situation varie d'un pays à l'autre, les syndicats y sont fréquemment désavantagés ou interdits, les salaires sont souvent inférieurs aux rémunérations pratiquées par des entreprises analogues fonctionnant à l'extérieur des zones franches; les autres formes de protection (notamment dans le domaine de la santé et de la sécurité des travailleurs) ne s'appliquent pas ou sont ignorées, et la qualité et la stabilité de l'emploi, ainsi que la formation de perfectionnement sont généralement médiocres.
La mondialisation lance également un défi plus général au système officiel de relations professionnelles: il s'agit de la nécessité de protéger les conditions d'emploi devant les efforts déployés par les employeurs pour accroître l'efficacité économique de leurs entreprises en réponse à une concurrence intérieure et internationale accrue. L'extension du travail occasionnel et d'autres formes d'emplois atypiques, dont il est question au chapitre I, ainsi que les préoccupations croissantes exprimées par les travailleurs au sujet de la sécurité de l'emploi et de la nécessité d'améliorer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs reflètent cette situation (on décrira plus loin les conséquences qui en découlent pour les relations professionnelles ou pour la protection des travailleurs). Le défi le plus important lancé au système officiel de relations professionnelles, défi qui est d'ailleurs un avatar du nouvel environnement économique, consiste à savoir s'il convient (et de quelle manière) d'étendre la protection du cadre réglementaire au secteur non structuré et d'en promouvoir le développement. Les institutions et procédures à l'œuvre dans le domaine des relations professionnelles peuvent permettre de résoudre de nombreux problèmes posés au secteur non structuré, mais les contraintes et besoins spécifiques des travailleurs de ce secteur devront être inscrits à l'ordre du jour des mécanismes présidant aux relations professionnelles et à la négociation collective, et une attention appropriée devra être vouée à des mécanismes nouveaux ou améliorés représentant les intérêts des travailleurs. Un problème pratique d'importance consiste à déterminer si les gouvernements et les partenaires sociaux sont capables de faire face aux besoins du secteur non structuré en matière de protection sociale accrue.
Enfin, la mondialisation a, sur les relations professionnelles, des effets contradictoires. Elle accélère l'interdépendance économique des pays sur une base intra et interrégionale, et elle encourage l'adoption de comportements similaires par les entreprises sur les marchés ouverts à la concurrence. Il peut en résulter une certaine convergence des dispositions prises dans le monde entier en matière de relations professionnelles. D'autre part, et cela reflète les différences dans les situations et les systèmes de valeur de la région, il est évident que la région Asie-Pacifique oppose une résistance à cette convergence, et cela malgré l'influence qu'exercent toujours la législation, les institutions et les pratiques «occidentales» sur les systèmes de relations professionnelles.
L'évolution des relations professionnelles dans la région Asie-Pacifique
Bien qu'il y ait des exceptions, les principales caractéristiques des systèmes de relations professionnelles mis en place dans la région peuvent être décrites sommairement de la façon suivante: un degré élevé d'engagement économique des gouvernements à faciliter une industrialisation menée par le secteur privé; l'accent mis sur les relations professionnelles pour prévenir ou atténuer les différends du travail; une protection de la main-d'œuvre et une législation des relations professionnelles relativement étendues (encore que très ciblées), allant de pair avec des institutions et mécanismes de relations professionnelles relativement faibles; l'absence d'organisations syndicales fortes et indépendantes; enfin, la nécessité de renforcer les organisations d'employeurs.
Du point de vue de l'OIT, un bon système de relations professionnelles doit reposer sur les normes et principes régissant la liberté syndicale et le droit d'organisation et de négociation collective, ce qui est directement lié à la campagne en faveur d'une ratification et d'une application universelles des conventions sur les droits fondamentaux de la personne humaine.
Si l'on a récemment constaté certaines réactions positives à la mondialisation et à la libéralisation, on observe également la persistance ou l'exacerbation des problèmes traditionnels de relations professionnelles dans certains pays ou sous-régions. La situation à cet égard est résumée ci-dessous.
Il est admis que les relations professionnelles sont la clé de la réussite économique des entreprises. Dorénavant, et pour de nombreuses entreprises de la région, l'impératif premier consiste à faire face à la concurrence. Qualité et innovations revêtent une importance critique pour maints pays de l'Asie de l'Est et du Sud-Est, et pour certains pays du Pacifique Sud-Ouest. Pour la plupart des pays en transition et pour un certain nombre de pays d'Asie du Sud, l'abaissement des coûts constitue à l'heure actuelle le problème essentiel. Certains pays (notamment en Asie occidentale) devront adopter ces deux types de solutions en raison des niveaux de développement différents des divers secteurs industriels. Quelles que soient les solutions adoptées par les différents pays, les réformes des relations professionnelles et le renforcement de la protection des travailleurs sont de plus en plus perçus comme un élément essentiel de l'évolution à assurer.
Il est admis que les relations professionnelles font partie intégrante des politiques et de la planification au niveau macroéconomique. Une caractéristique remarquable des économies à croissance rapide d'Asie et du Pacifique occidental est constituée par l'étroite corrélation entre les relations professionnelles et le développement économique au niveau de l'élaboration et de l'application de la politique macroéconomique. On constate une intégration de plus en plus poussée des relations professionnelles, d'une part, et, d'autre part, des politiques d'enseignement, de mise en valeur des ressources humaines et de formation (pour que les travailleurs soient plus qualifiés), des politiques actives suivies sur le marché du travail et en matière d'immigration (remédier à la pénurie de certains travailleurs), et des politiques fiscales et autres mesures financières plus vastes (pour continuer à favoriser les investissements étrangers). Il apparaît, d'après certains indices, que des conceptions politiques analogues se font jour en Asie du Sud, mais que la plupart des pays de cette sous-région appliquent toujours des conceptions traditionnelles en matière de relations professionnelles. Il est également à remarquer que les partenaires sociaux de maints pays ne participent pas réellement à l'élaboration et à l'application des politiques.
L'évolution des relations professionnelles et de la mise en valeur des ressources humaines. Dans la plupart des pays de la région, les relations entre les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sont toujours envisagées dans la perspective limitée des relations professionnelles traditionnelles. Or il importe maintenant de considérer que les relations professionnelles s'étendent à tous les aspects des activités liées au travail et sujettes à des interactions entre les employeurs, les travailleurs et leurs représentants, y compris pour ce qui touche aux résultats de l'entreprise. Toutefois, toute la gamme des problèmes associés à la mise en valeur des ressources humaines et à la gestion transculturelle n'était pas, jusqu'à une date récente, considérée comme faisant partie des relations professionnelles. Dans la région, il faudra que les relations professionnelles fassent davantage place que ce n'est le cas actuellement aux problèmes des relations de travail et des relations entre les personnes. Elles ne peuvent plus se limiter aux relations collectives. A cet égard, les entreprises les plus concurrentielles et les plus novatrices de la région (qu'il s'agisse de multinationales ou d'entreprises nationales) sont en train de modifier leur conception des relations professionnelles et de la mise en valeur des ressources humaines: alors que cette conception était naguère du type traditionnel (fourniture de conseil, négociation et application des règles), elle encourage maintenant les innovations et elle fait partie intégrante du soutien à la politique des entreprises. En d'autres termes, le rôle des relations professionnelles et de la mise en valeur des ressources humaines est maintenant considéré comme aussi important, par exemple, que la planification et le développement, la production et la commercialisation dans une entreprise.
Les nouvelles relations de travail qui se font jour dans les entreprises les plus modernes se caractérisent par les éléments suivants: sécurité de l'emploi pour les travailleurs indispensables et contrats plus flexibles conclus avec des travailleurs périphériques; emplois élargis et plus stimulants à base essentiellement de travail en équipe; amélioration des procédés et responsabilités accrues envers les autres unités/départements de la même entreprise; encadrement fondé sur la facilitation du travail et non sur la surveillance hiérarchique; perfectionnement continu; évaluation des résultats individuels; système de gratifications selon les résultats; participation des travailleurs aux décisions par le truchement d'un comité d'entreprise et/ou d'un syndicat constituant une unité de négociation unique.
A mesure que des entreprises de plus en plus nombreuses commencent à se pencher sur ces problèmes, qui impliquent une intention accrue vouée à la corrélation entre les résultats, le perfectionnement et les systèmes de rémunération, la pertinence du salaire minimum, lorsqu'il existe, sera de plus en plus mise en question. Traditionnellement, le salaire minimum a constitué un instrument de politique destiné à assurer une protection de base aux économiquement faibles ou à atténuer la pauvreté. Le débat actuel reflète les préoccupations manifestées au sujet de la portée du salaire minimum (lequel ne protège pas un groupe très important de travailleurs pauvres, à savoir les agriculteurs indépendants) et des insuffisances de l'application du salaire minimum (trop forte influence politique, manque de critères fiables pour la fixation et l'ajustement des salaires, lacunes dans la collecte et l'analyse des données et dans l'application des mesures). La controverse est vive au sujet des critères à appliquer: dans la perspective d'un accroissement de la concurrence et de l'emploi à l'échelon international, il s'agit de déterminer si telle augmentation du salaire minimum national ne risque pas de nuire aux investissements, ou si l'augmentation des coûts de main-d'œuvre devra être compensée par des gains de productivité. Un certain nombre de pays (notamment le Cambodge, la République démocratique populaire lao et le Viet Nam) fixent encore ou s'efforcent de modifier (Inde, Indonésie, Philippines, Thaïlande) leurs systèmes de salaire minimum pour répondre à ces préoccupations. Enfin, certains employeurs de la région et certaines de leurs organisations se demandent si le salaire minimum doit être maintenu. A ce jour, leurs arguments n'ont guère été retenus par les gouvernements.
Accent accru mis sur la sécurité de l'emploi. Ces dernières années, de nombreux travailleurs de l'Asie du Sud-Est ont pu bénéficier d'une sécurité de l'emploi accrue en raison des pénuries de plus en plus graves de main-d'œuvre dont ces pays ont souffert. Toutefois, la contraction de nombreuses entreprises de la région (sous l'effet des nouvelles technologies ou d'une réorganisation des entreprises leur permettant de mieux faire face à la concurrence) et les programmes d'ajustement économique réalisés en Asie du Sud et ailleurs (fermeture ou privatisation d'entreprises d'Etat) ont entraîné la disparition de nombreux emplois à plein temps. Cette évolution est allée de pair avec des demandes croissantes, du fait des employeurs, de formes d'emplois atypiques (travail à temps partiel, temporaire et occasionnel), avec une détérioration concomitante des conditions de rémunération. De nombreux travailleurs ayant perdu leur emploi ont eu du mal à retrouver un emploi comparable du fait des difficultés de redéploiement et du manque de possibilités de recyclage; d'autre part, de nombreux ex-fonctionnaires dans un certain nombre de pays ont souffert d'une diminution de leur protection sociale (perte des prestations de santé et des avantages en matière de logement, d'éducation et de protection de la famille). Malgré le rythme rapide de développement de nombreuses régions d'Asie, la majorité des emplois créés chaque année dans un certain nombre de pays le sont dans le secteur non structuré, qui se situe en marge de la législation sociale et, partant, de la protection sociale dans la plupart des pays (voir chapitre I, «Le secteur non structuré»).
Modernisation de la législation sociale. La législation et les institutions et règles présidant aux relations professionnelles doivent être mises à jour en permanence afin d'appuyer les nouvelles politiques et stratégies. Dans de nombreux pays de la région, la législation du travail reflète des conceptions surranées dont le but est simplement de minimiser les différends du travail. Un ordre de priorité plus élevé devrait être accordé aux méthodes permettant d'appliquer la législation afin d'établir un cadre permettant aux employeurs, aux travailleurs et aux syndicats de poursuivre des objectifs plus ambitieux de productivité et de flexibilité, sur la base de la participation, tout en garantissant aux travailleurs une protection suffisante et une part des avantages de la croissance. A cet égard, il convient de déterminer la portée de la législation du travail. En effet, pour que tous les travailleurs bénéficient d'une protection appropriée, il faut d'abord que la législation leur soit applicable. Dans de nombreux pays d'Asie, la législation met surtout l'accent sur les travailleurs de l'industrie; en ce qui concerne les travailleurs agricoles, les services domestiques, la main-d'œuvre occasionnelle et contractuelle, le personnel des magasins et des petites entreprises et certains groupes spéciaux (enfants au travail, travailleurs handicapés, travailleurs étrangers), tous ces groupes sont soit exclus de l'application de la législation, soit placés dans une situation ambiguë. Il importe également de faire en sorte que les mécanismes de règlement des différends (procédures et institutions) soient rendus plus efficaces dans un certain nombre de pays, eu égard à la nécessité de prévenir les différends par une coopération renforcée sur les lieux de travail. Ces dernières années, certains pays de la région ont essayé de réformer leur législation du travail et de la réorienter. D'autres envisagent des mesures similaires.
Coopération tripartite limitée. Bien que le principe de la coopération tripartite semble être accepté dans la région Asie-Pacifique, on ne peut pas encore dire que la majorité des gouvernements considère cette coopération comme un élément essentiel de leurs relations avec les partenaires sociaux. Si un certain nombre de pays appliquent depuis longtemps des accords efficaces dans ce domaine, d'autres ont du mal à mettre ce principe en pratique. Dans les pays en transition, la compréhension et l'application de ce concept en sont encore à un stade embryonnaire.
Un certain nombre de facteurs importants limitent toujours l'efficacité de la coopération tripartite dans la région. Du côté des gouvernements, ils comprennent: le défaut d'intégration de la consultation tripartite dans le processus national de planification et de développement; le manque de «volonté politique» de faire fonctionner ce processus (manque de consultation, manque de suivi lorsque des accords ont été conclus); restrictions politiques et législatives imposées au rôle des organisations de travailleurs et d'employeurs; obstacles techniques et financement insuffisant nuisant au fonctionnement effectif des organismes tripartites consultatifs ou autres. Les organisations de travailleurs et d'employeurs sont toujours défavorisées lors des négociations tripartites, et cela pour les raisons suivantes: faiblesse relative vis-à-vis du gouvernement (pour ce qui est des moyens en personnel, des moyens techniques et de l'organisation); manque de représentativité; manque de communauté de vue avec les autres fédérations syndicales ou organisations d'employeurs; politisation des syndicats (notamment en Asie du Sud); absence de relations bilatérales organisées et suivies.
Faiblesse des relations bipartites et de la participation des travailleurs aux décisions. Dans de nombreux pays, on n'accorde guère d'importance à l'établissement de fortes relations bilatérales entre employeurs et travailleurs ou syndicats. Bien que l'on ait cherché à institutionnaliser la participation des travailleurs aux décisions dans plusieurs pays (par exemple, grâce à une législation exigeant la constitution de comités paritaires), ces institutions n'ont pas fonctionné de façon satisfaisante. On a trop mis l'accent sur la forme et non sur le fond. Ainsi qu'on l'a noté précédemment, les pressions exercées, en matière de concurrence, par la mondialisation font que l'on accorde désormais davantage d'importance à une amélioration des relations sur les lieux de travail (grâce à des consultations et à une coopération bipartites accrues) et à une participation plus active des travailleurs aux résultats de l'entreprise. On peut donc nourrir un certain optimisme. L'une des questions les plus importantes serait de savoir dans quelle mesure les syndicats pourront améliorer leur image et leur influence dans ce contexte.
Déclin du syndicalisme. La syndicalisation n'a jamais été un trait marquant des relations professionnelles dans la région. Les syndicats asiens sont très en retard sur leurs homologues européens à cet égard, encore qu'un certain nombre de mouvements syndicaux nationaux et de syndicats individuels exercent un pouvoir et une influence politiques considérables. Les restrictions imposées à la création de syndicats dans certains secteurs ou dans les zones franches d'exportation, les limites législatives et pratiques de la négociation collective, et le fait que les travailleurs tirent avantage de la croissance économique et de l'augmentation des salaires réels ont eu pour effet, un peu partout, de démobiliser les syndicalistes. De plus, de nombreux employeurs et entreprises multinationales répugnent à s'acquitter pleinement de leurs obligations vis-à-vis de leur personnel, et les syndicats ne peuvent compter sur les gouvernements pour appliquer efficacement la législation du travail. On constate également avec inquiétude que les secteurs à croissance rapide de maints pays d'Asie (textiles, vêtements et chaussures, et électronique, notamment dans les zones franches d'exportation) n'ont guère de représentation syndicale.
Décentralisation de la négociation. Cette décentralisation résulte, notamment dans les secteurs voués à l'exportation, de l'importance accrue accordée à la négociation aux échelons inférieurs (notamment au niveau de l'entreprise), de la plus grande flexibilité des salaires et de l'essor des syndicats d'entreprise. Toutefois, la négociation collective n'a guère progressé dans le secteur public et l'on constate, dans certains pays, une tendance à favoriser la négociation individuelle. Il est également difficile de savoir si le niveau de la négociation collective a augmenté dans la région depuis quelques années et si la négociation collective a réellement contribué à améliorer les résultats des entreprises. En outre, il est évident que les procédures de négociation collective devraient être renforcées dans de nombreux pays, et cela grâce à des modifications appropriées de la législation.
L'élaboration d'une solution plus efficace
Les recherches concernant les effets de la mondialisation sur les relations professionnelles dans la région Asie-Pacifique sont limitées. Il faudrait déployer bien plus d'efforts dans ce domaine pour aider les gouvernements et les partenaires sociaux à mieux comprendre le nouvel environnement économique et à concevoir des solutions appropriées.
Il ressort de ce qui a été dit antérieurement dans le présent chapitre que les pays devraient réorganiser les marchés du travail soumis à une réglementation excessive (réglementation qui risque de limiter leur flexibilité et leur capacité concurrentielle sur les marchés mondiaux), mais également assurer une protection suffisante aux travailleurs et leur permettre de partager les avantages tirés du développement et de la croissance des entreprises. Pour atteindre ce double objectif d'efficacité et d'équité dans les relations professionnelles de la région, il sera nécessaire de reconsidérer en profondeur les rôles respectifs du gouvernement et des partenaires sociaux.
Tout d'abord, une décentralisation plus poussée des relations professionnelles (justifiée par la nécessité, pour les entreprises, d'être plus adaptables, plus productives et plus concurrentielles) implique que les gouvernements accordent davantage de pouvoir et de responsabilités aux employeurs et aux travailleurs aux niveaux de la branche et de l'entreprise, afin de leur permettre de résoudre, sur le lieu de travail, les problèmes qui les intéressent directement. Il faudra pour cela remettre en question le rôle, traditionnellement fort, de l'Etat dans la région. Il en résultera également une augmentation considérable des exigences imposées à chaque entreprise, et la nécessité de disposer d'organisations de travailleurs et d'employeurs fortes et efficaces, capables de défendre les intérêts de leurs membres (voir ci-dessous).
Deuxièmement, les valeurs défendues par les protagonistes du système de relations professionnelles devront être soumises à un examen approfondi à l'avenir. Des relations professionnelles équitables et stables ne peuvent être instaurées que par les parties intéressées elles-mêmes bien que, ainsi qu'il ressort des normes de l'OIT sur la liberté syndicale, le droit d'organisation et la négociation collective, les gouvernements aient un rôle important à jouer en mettant en place un environnement favorable. De plus, les normes sur les consultations tripartites (notamment la convention no 144, mais aussi les recommandations nos 113 et 152) permettent d'édifier une base solide pour progresser dans ce domaine. En particulier, il sera nécessaire de réaffirmer le principe de la liberté syndicale, les droits des travailleurs et le pluralisme. Certains pays devront donc vouer une attention accrue à la promotion du rôle et de la légitimité des syndicats et des autres représentants des travailleurs. Il conviendra également d'accorder un rang de priorité beaucoup plus élevé à des problèmes tels que l'élimination du travail forcé et du travail des enfants, et à la réduction, voire à l'élimination, de la discrimination dans les lieux de travail. A cet égard, les normes internationales du travail continueront de jouer un rôle très important dans les orientations des différentes parties.
Il existe une pluralité de solutions appropriées que les partenaires sociaux peuvent adopter pour promouvoir les modifications à apporter au cadre et au fonctionnement du système de relations professionnelles de chaque pays.
Le rôle des gouvernements. La mondialisation exige des gouvernements qu'ils réorientent bon gré mal gré leurs politiques, ce qui diminuera peut-être le pouvoir de contrôle qu'ils exercent sur la planification économique. Toutefois, cela n'implique pas nécessairement que l'Etat cesse de jouer un rôle important dans les relations professionnelles, en raison de la mondialisation; simplement, son rôle sera différent dans certains domaines. L'Etat interviendra, comme il l'a toujours fait, mais sous des formes améliorées, dans le domaine des orientations politiques et de la législation afin d'élaborer et d'appliquer des normes d'emploi minimales et de mettre en place des mécanismes du règlement des différends du travail. De plus, les dispositions prises au niveau de l'entreprise devront être plus souples. Il sera peut-être nécessaire d'envisager de nouvelles formes d'intervention des institutions compétentes (systèmes de recyclage, aide à la recherche d'emploi), compte tenu de l'évolution marquant l'organisation de la production et du travail au niveau de l'entreprise, et du fait que la mobilité des emplois et des entreprises va probablement augmenter (voir au chapitre I la section «Mise en valeur des ressources humaines» où ces questions sont examinées).
On peut aussi encourager chaque entreprise (qu'il s'agisse des entreprises multinationales ou des entreprises nationales) à faire l'expérience de nouvelles pratiques en matière de perfectionnement, d'organisation du travail et de formes améliorées de relations professionnelles et de mise en valeur des ressources humaines, par exemple grâce à des programmes de «bonne pratique». Les gouvernements pourraient se fonder sur les résultats de ces programmes pour élaborer, à l'échelon central ou à celui de la branche d'activité, d'autres programmes plus larges destinés à disséminer les nouvelles méthodes. Une autre politique efficace consiste à encourager les employeurs et les travailleurs, ainsi que leurs représentants, à élaborer et à promouvoir des conventions collectives «modèles» dans ces domaines.
La mondialisation peut conduire à l'élargissement ou à la contraction de différents secteurs d'activité et elle favorise la concurrence des pays en développement pour l'obtention d'investissements (dans les zones franches d'exportation ou sur un plan plus général). Par voie de conséquence, la situation des travailleurs devient plus vulnérable. Certaines conditions d'emploi minimales devront être prévues pour remédier à l'affaiblissement relatif du pouvoir de négociation collective des travailleurs. Les droits d'organisation et de négociation collective avec les employeurs devront être affirmés; le travail forcé et le travail des enfants devront être interdits, et une protection contre la discrimination devra être assurée sur les lieux de travail (voir, ci-dessous, la section «Les normes internationales du travail et les droits des travailleurs»). C'est aux gouvernements qu'il incombe de faire en sorte que ces normes soient respectées par tous les employeurs, y compris les entreprises étrangères et les entreprises multinationales.
Enfin, les gouvernements devraient continuer à promouvoir des institutions et procédures bipartites et tripartites propres à fixer des orientations et des normes sociales appropriées. Les apports de toutes les parties intéressées devront être pris en compte. De cette manière, il sera non seulement possible de limiter les risques de différends du travail (notamment lorsque d'importants intérêts commerciaux et d'importants investissements -- pour les entreprises multinationales en particulier -- sont en jeu), mais également d'établir une base solide pour la croissance économique, les investissements et le développement de l'emploi.
Les réactions des employeurs et de leurs organisations. De nombreux employeurs de la région Asie-Pacifique -- qu'il s'agisse de PME ou de grandes entreprises -- comptent sur le faible prix de revient des biens et services qu'ils produisent et sur la rapidité de livraison pour conserver leur avantage concurrentiel. Or il leur faut dorénavant adopter des styles de gestion et des stratégies plus modernes tenant compte des valeurs culturelles traditionnelles (respect de l'autorité et expérience) et des vues et compétences des travailleurs dans la prise de décisions au jour le jour, et cela dans le cadre d'une philosophie d'entreprise mettant l'accent sur l'innovation, dotant les travailleurs d'une capacité technique accrue (grâce au perfectionnement) et encourageant les expériences nouvelles. Des modes de gestion ayant une dimension culturelle devront également être appliqués lorsque les entreprises investissent dans la région même ou au-delà.
Les entreprises multinationales continueront d'exercer une grande influence dans l'édification d'une culture d'entreprise locale. Leurs politiques et pratiques et leur technologie influencent les entreprises nationales, soit directement (en tant que modèle ou en exigeant de leurs fournisseurs qu'ils se plient à certaines pratiques), soit indirectement (en augmentant les salaires, en améliorant les conditions d'emploi et en accroissant les qualifications professionnelles). Les entreprises locales devront également prendre des initiatives pour faire face à une concurrence plus sévère, et cela grâce à des contacts officieux avec les grands groupes d'entreprises au sein desquels elles opèrent et à des tests d'évaluation.
Les organisations d'employeurs, comme les syndicats, affrontent une situation difficile lorsqu'elles cherchent à aider leurs membres à répondre aux nouveaux défis de la mondialisation. En effet, il leur faut non seulement être plus représentatives (en recrutant de nouveaux membres dans tout l'éventail de la communauté commerciale et industrielle), mais également, comme les syndicats, faire face à des situations qui varient considérablement d'un pays à l'autre; de plus, elles ne sont pas toujours en mesure de s'acquitter efficacement de leurs fonctions.
L'un des rôles primordiaux des organisations d'employeurs a toujours été de chercher à exercer une influence sur l'environnement politique de façon à favoriser les intérêts de leurs membres. Certes, ce rôle conserve toute son importance mais, en définitive, leur crédibilité dépendra de leur capacité de fournir les services nécessaires aux entreprises. On accorde de plus en plus d'importance au renforcement des organisations d'employeurs en tant qu'associations professionnelles puissantes dans la région. La planification stratégique est désormais prioritaire de même que la fourniture, aux membres, d'un plus grand nombre de services directs (services consultatifs, négociations et formation) dans toute une série de domaines (législation du travail, relations professionnelles et gestion des ressources humaines, information sur le marché du travail, mise en valeur des ressources humaines), et la constitution des capacités internes nécessaires à la fourniture de ces services (personnel technique compétent et expérimenté, s'appuyant sur des bases de données contenant les derniers résultats de la recherche et les dernières informations).
Les réactions des travailleurs et de leurs organisations. Un syndicalisme plus efficace s'impose, c'est-à-dire un syndicalisme dynamique qui permette aux syndicats de participer à l'application des mesures tendant à améliorer la compétitivité des entreprises et la qualité du travail, en mettant l'accent sur le perfectionnement, sur la réorganisation du travail et sur les relations professionnelles, et en permettant aux travailleurs de partager équitablement les gains de productivité. L'efficacité du syndicalisme ne se limite pas au lieu de travail: des activités doivent être aussi déployées au niveau de la branche, au niveau national et au niveau international afin de promouvoir des initiatives et d'obtenir les appuis nécessaires. L'essor d'un syndicalisme efficace (et, en fait, du mouvement syndical en général) dépend de la reconnaissance et de l'application du principe de la liberté syndicale, de la liberté d'organisation et du droit de négociation collective.
Un syndicalisme efficace doit appliquer des politiques visant une répartition équitable des résultats du progrès économique, à prévenir l'exploitation des travailleurs en cherchant à obtenir des salaires équitables et de meilleures conditions de travail pour les membres, à combler les lacunes de la réglementation officielle des relations de travail, à améliorer la productivité et à sensibiliser les travailleurs à la nécessité de changements, et à assurer le respect des droits fondamentaux des travailleurs dans le cadre des activités commerciales et des investissements internationaux.
Les politiques de développement d'un syndicalisme efficace varieront nécessairement d'un pays à l'autre. Par exemple, la sensibilisation et la formation concernant leur rôle dans une économie axée sur le marché devront avoir un rang de priorité très élevé dans les pays en transition. Toutefois, quelles que soient les conditions régnant dans un pays donné, les organisations syndicales nationales doivent viser avant tout à attirer davantage d'affiliés en améliorant les procédures de recrutement, en offrant de meilleurs services et en assurant des communications plus efficaces entre les syndiqués et les responsables syndicaux. A cet égard, il est indispensable que les centrales syndicales jouent un rôle moteur et qu'elles s'accordent sur la coordination de leurs objectifs prioritaires. Pour que les syndicats puissent conserver les appuis et l'influence nécessaires au niveau de l'entreprise, il faudra également constituer ou renforcer la représentation syndicale sur les lieux de travail. A cette fin, il est essentiel de disposer, sur le lieu de travail, de représentants syndicaux plus qualifiés et plus compétents techniquement, lesquels bénéficieront, à un niveau supérieur, de l'appui professionnel et des ressources du syndicat.
Dans quelle mesure les syndicats peuvent-ils réaliser des progrès grâce à ce nouveau dynamisme? Cela dépendra d'un certain nombre de facteurs, y compris la politique de gouvernement, la législation et les attitudes aux niveaux national et international, la réaction des employeurs et de leurs organisations, et la direction, l'organisation et la politique des syndicats. Compte tenu des difficultés considérables que le mouvement syndical doit encore affronter en Asie et dans le Pacifique, de nouvelles mesures législatives et promotionnelles seront nécessaires pour assurer à la main-d'œuvre la reconnaissance nécessaire et pour lui permettre de se faire entendre au niveau de l'entreprise et au niveau national, ainsi que pour assurer une meilleure protection aux représentants des travailleurs dans l'exercice de leurs fonctions au sein des entreprises.
Les normes internationales du travail et les droits des travailleurs
Dans un cadre de relations professionnelles en pleine évolution, les normes internationales du travail jouent un rôle majeur en déterminant des orientations à l'échelle mondiale. Elles constituent un cadre qui permet aux travailleurs et aux employeurs (ainsi qu'aux gouvernements, le cas échéant) de développer des relations de travail saines et équitables, tenant compte des intérêts des travailleurs (salaires équitables et bonnes conditions de travail), et de ceux des employeurs (flexibilité et compétitivité des entreprises). En réalité, la portée des normes internationales du travail n'est pas limitée à cet aspect du développement économique et social. Divers instruments peuvent orienter, d'une façon générale, les politiques visant l'emploi, la mise en valeur des ressources humaines, l'administration du travail, etc. Le Conseil d'administration du BIT s'efforce de faire en sorte que l'appareil normatif demeure à jour et soit révisé si besoin est en fonction de l'évolution de la situation et des exigences des Etats Membres dans toutes les régions.
Indépendamment des conventions et recommandations internationales du travail traitant particulièrement des relations professionnelles, de nombreux autres instruments de l'OIT permettent d'orienter les gouvernements et les partenaires sociaux, qu'il s'agisse des droits de l'homme au travail (liberté syndicale, égalité, travail forcé, travail des enfants) ou des conditions de travail (salaire, durée du travail, travail de nuit, repos hebdomadaire, congés payés, sécurité et hygiène), ou encore de normes relatives à la sécurité sociale ou à des groupes particuliers de travailleurs tels que les enfants et les adolescents, les femmes, les travailleurs migrants, les handicapés, les gens de mer et les travailleurs des plantations.
Au fil du temps, la ratification et l'application de ces normes de l'OIT et d'autres instruments ont largement contribué au progrès social dans le monde entier. L'acceptation de ces instruments dans la région Asie-Pacifique et l'application, en droit et en pratique, des principes qu'ils contiennent varient d'un pays à l'autre.
En tant que centre d'un fort développement industriel, la région doit une grande partie de la croissance qu'elle a connue à sa situation concurrentielle découlant de faibles prix de revient, y compris le coût de la main-d'œuvre. Bien que l'on s'accorde en général à reconnaître que les droits des travailleurs et autres droits de la personne humaine -- ainsi que le tripartisme -- font partie de toute stratégie présidant à un développement viable, durable et harmonieux, la crainte de perdre cet avantage concurrentiel par rapport à d'autres pays fait que l'application des conventions et recommandations internationales du travail se heurte à une certaine résistance. Toutefois, cette attitude est due en partie à certaines erreurs d'interprétation et à un certain manque d'informations.
La nécessité d'obtenir de nouveaux investissements étrangers et de promouvoir le développement a alimenté un vif débat régional sur la dimension sociale de la mondialisation. La crainte a été exprimée que ce phénomène ne soit utilisé par les pays industriels pour imposer des normes sociales élevées aux pays en développement, privant ainsi ces derniers de l'avantage qu'ils détiennent dans le commerce international. Par exemple, on a soutenu que les pays de la région devaient se défendre contre l'imposition d'une norme mondiale uniforme sur le salaire minimum, car cette norme risquerait de ruiner des économies en plein essor. Toutefois, les normes de l'OIT sur le salaire minimum ne font que suggérer une méthode de mise en place d'un système de salaire minimum adapté aux conditions nationales, et seulement en cas de besoin. Elles n'imposent nullement un niveau salarial uniforme.
En outre, certains pays de la région ont soutenu que les récentes discussions au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) au sujet de la dimension sociale de la mondialisation, et notamment de certaines propositions tendant à lier les accords commerciaux au respect de certaines normes du travail (il s'agit de la «clause sociale»), n'étaient pas de saison. Bien que la nécessité d'appuyer les normes internationales du travail ait été réaffirmée à de nombreuses reprises lors des réunions des ministres de l'ANASE et dans d'autres réunions régionales, les discussions de l'OMC ont influé sur la manière dont ces normes sont considérées dans de nombreux pays. La première Conférence ministérielle de l'OMC tenue à Singapour en décembre 1996 a permis de clarifier la situation en grande partie, tout en renouvelant l'engagement à respecter, sur le plan international, les principales normes internationales du travail reconnues, et d'ailleurs la Déclaration finale exprime ce qui suit: «Nous renouvelons notre engagement d'observer les normes fondamentales du travail internationalement reconnues. L'Organisation internationale du Travail (OIT) est l'organe compétent pour établir ces normes et s'en occuper, et nous affirmons soutenir les activités qu'elle mène pour les promouvoir.» Le Conseil d'administration du BIT et la Conférence internationale du Travail ont continué à étudier les moyens de renforcer le système de contrôle de ces normes fondamentales. Tout récemment, le Conseil d'administration a confirmé que «l'Organisation doit être ... le foyer où s'élaborent, se mettent en œuvre et se contrôlent les droits de l'homme au travail. L'accent doit être placé sur le respect des droits fondamentaux du travailleur dans l'économie mondialisée et sur une amélioration généralisée du travail normatif afin que les instruments pertinents puissent être ratifiés rapidement par le plus grand nombre d'Etats Membres, modifiés en fonction de l'évolution des situations, et que leur application soit contrôlée de manière efficace.»
Certains des aspects fondamentaux des relations de travail sont consacrés par un ensemble de sept conventions que l'OIT s'efforce depuis longtemps de promouvoir en priorité. Leur importance et leur pertinence ont été soulignées en 1995 par le Sommet mondial des Nations Unies pour le développement social et par la quatrième Conférence mondiale sur les femmes.
Ces conventions portent sur la liberté syndicale et le droit d'organisation et de négociation collective (nos 87 et 98), sur l'égalité de rémunération et la discrimination (nos 100 et 111) et sur le travail forcé (nos 29 et 105). En outre, la convention (no 138) sur l'âge minimum, 1973, constitue la norme de référence dans le domaine du travail des enfants. La décision a été prise, lors des sessions de 1998 et 1999 de la Conférence internationale du Travail, de préparer un nouvel instrument sur les formes les plus intolérables du travail des enfants (voir chapitre III, «Travail des enfants»).
La ratification de ces sept conventions est illustrée en annexe dans les tableaux A2 et A3 qui énumèrent respectivement les ratifications dans la région Asie-Pacifique et dans les Etats arabes. Quoi qu'il en soit, 15 sur 25 Etats Membres de l'OIT figurant dans cette région géographique et placés sous la juridiction du bureau régional de l'OIT pour l'Asie et le Pacifique ont ratifié au moins trois des sept conventions fondamentales. Deux pays seulement n'ont ratifié aucune de ces conventions, mais il s'agit de nouveaux Membres de l'OIT. En ce qui concerne l'Asie occidentale, huit des onze Etats Membres entrant dans le ressort géographique du bureau régional pour les Etats arabes ont ratifié au moins quatre des sept conventions.
Avec l'extension de la démocratie et de systèmes politiques et économiques plus ouverts, il est de plus en plus accepté que les droits fondamentaux de la personne humaine et des travailleurs soient pris en compte. Bien qu'il s'agisse d'un processus évolutif, on peut d'ores et déjà observer certains résultats positifs. Ce qui est en fait plus important que la ratification des instruments, c'est leur mise en œuvre effective.
L'action entreprise par l'OIT pour assurer le contrôle de l'application des normes et pour promouvoir leur mise en œuvre, ainsi que la ratification universelle des sept conventions fondamentales est exposée au chapitre III.
La protection des travailleurs
Les conditions de travail -- notamment la durée du travail, le repos hebdomadaire, les congés payés, le travail de nuit, la fourniture d'installations et de moyens destinés au bien-être des travailleurs et la cessation de l'emploi -- sont largement réglementées par les gouvernements de nombreux pays de la région Asie-Pacifique, notamment ceux qui ont hérité des anciennes administrations coloniales une structure juridique perfectionnée régissant les problèmes du travail et de l'emploi. Toutefois, en pratique, il semble que la protection effective doive beaucoup moins au détail de la législation et de la réglementation qu'à la mise en place d'un cadre précis d'orientation de la législation, appuyé par l'adoption, sur une base tripartite, de politiques nationales visant les principaux problèmes (notamment l'ordre des priorités et les responsabilités respectives des différents partenaires).
La situation actuelle. L'application des lois et règlements régissant la protection des travailleurs laisse généralement à désirer même dans les domaines de l'économie -- notamment le secteur industrialisé moderne -- auxquels les administrations du travail et les organisations d'employeurs et de travailleurs ont voué le plus d'attention. Dans les PME, et même dans les microentreprises et dans le secteur non structuré qui emploient la grande majorité des travailleurs de la région, les efforts déployés pour améliorer les conditions de travail n'ont guère eu de succès jusqu'ici. Des millions de travailleurs de la région Asie-Pacifique sont occupés dans des conditions inférieures aux normes, voire dangereuses, avec une durée du travail excessive le plus souvent.
Les écarts importants existant dans les conditions de travail, non seulement entre, d'une part, les PME et les microentreprises et, d'autre part, les grandes entreprises modernes, mais également parmi ces dernières, nuisent aux travailleurs. En particulier, dans les pays connaissant une forte croissance où ces écarts contrastent de la façon la plus flagrante avec les espérances nouvelles des travailleurs, cette situation engendre une instabilité qui risque de menacer la croissance future. Il est donc nécessaire de faire en sorte que les résultats positifs du développement économique entraînent une amélioration réelle et visible des conditions de travail et des revenus de la grande majorité des travailleurs.
On admet de plus en plus la nécessité, pour les administrations du travail, de fixer des priorités et de concentrer leurs efforts sur certains domaines entrant dans le champ de leurs responsabilités. De même, les organisations d'employeurs et de travailleurs s'efforcent de jouer un rôle plus efficace en définissant et en appliquant efficacement des normes convenables régissant les conditions de travail.
Cette évolution des rôles respectifs des gouvernements et des organisations d'employeurs et de travailleurs s'est accélérée avec la déréglementation qui vise la quasi-totalité des activités du secteur public. Il en est résulté un approfondissement du débat sur la définition des domaines essentiels à réglementer. Dans la région Asie-Pacifique, ce débat coïncide avec une discussion générale sur l'opportunité d'élargir la réglementation des conditions de travail de façon à couvrir par exemple les travailleurs ayant des responsabilités familiales, les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à domicile, ainsi que la protection de la vie privée des travailleurs; on se préoccupe également de la possibilité de concilier la nécessité d'une protection accrue des travailleurs avec des dispositions plus souples régissant par exemple la limitation de la durée du travail ou la sous-traitance de la main-d'œuvre.
Les effets de la mondialisation. La rapidité de l'industrialisation, notamment dans les pays à croissance rapide d'Asie de l'Est et du Sud-Est, a entraîné une large diffusion et une plus vaste application des normes minimales de base régissant des conditions de travail et notamment la durée du travail et les moyens et installations de bien-être destinés aux travailleurs. Toutefois, la croissance enregistrée dans ces pays reposait essentiellement sur l'existence d'une nombreuse main-d'œuvre bon marché et sur des investissements assez anarchiques. Dans ces conditions, la tendance était plutôt de n'appliquer, au mieux, que le strict minimum de normes juridiques. Aussi, les conditions de travail ne se sont-elles pas améliorées: par exemple, l'augmentation rapide de la durée du travail, particulièrement évidente si on la compare avec la moyenne très inférieure de la durée du travail dans l'agriculture, est allée de pair avec la croissance économique dans la région.
Dans l'accélération du processus de mondialisation et de libéralisation des économies nationales, l'Asie a été au premier plan et, pour la plupart des pays de la région, ce processus a eu des effets quantitatifs très positifs sur l'emploi (voir le chapitre I et la section «L'évolution des relations professionnelles dans la région Asie-Pacifique», ci-dessus). Toutefois, quelques préoccupations s'expriment quant aux conséquences négatives que ce processus pourrait avoir sur la qualité de l'emploi. Par exemple, le risque existe que, dans le but d'attirer des investissements étrangers, les pays ne s'engagent dans une spirale de diminution des salaires et de détérioration des conditions de travail pour être plus compétitifs. Cela peut se produire, par exemple, lors d'opérations officieuses de création et de commercialisation de zones «non syndicalisées» dans les zones franches d'exportation ou même dans les zones franches d'exportation qui sont légalement exemptées de l'application des lois sociales.
Toutefois, si le processus de mondialisation et de libéralisation a parfois entraîné une certaine dégradation des conditions de travail, il a aussi, et paradoxalement, joué un rôle considérable dans leur amélioration. A cet égard, les entreprises ont joué un rôle direct et les organisations d'employeurs et de travailleurs un rôle de soutien de première importance. Ainsi qu'on l'a noté plus haut dans le présent chapitre, dans leurs efforts tendant à relever les défis associés à la nécessité d'être concurrentielles et adaptables, et d'assurer une production de qualité, les entreprises consacrent toute leur attention aux moyens optimaux de mise en valeur des ressources humaines. Les systèmes flexibles de rémunération (selon la productivité et les bénéfices) retiennent de plus en plus l'attention dans la mesure où ils permettent de récompenser les bons résultats obtenus grâce à des qualifications d'un niveau supérieur (sans augmentation du coût de la main-d'œuvre) et de répondre aux fluctuations des cycles commerciaux. Dans quelques pays, ce sont les gouvernements qui ont en premier lieu entamé le processus de modification des arrangements salariaux. Toutefois, pour être efficaces, de tels arrangements doivent être négociés et convenus au niveau de l'entreprise, ce qui confère une valeur accrue à la négociation collective décentralisée portant sur les résultats de l'entreprise et sur les questions connexes.
L'amélioration des conditions de travail fait également partie des solutions adoptées pour atteindre les objectifs des entreprises, et de nombreuses firmes ont volontairement adopté des conditions qui sont de loin supérieures aux normes minimales obligatoires. De telles améliorations n'ont pas pour seul but d'accroître l'avantage concurrentiel: ces entreprises ont souvent d'autres motivations, telles que le respect des principes de la responsabilité sociale des entreprises et la nécessité de renforcer la stabilité sociale de la collectivité. Toutefois, la contribution potentielle des conditions de travail à la stratégie de croissance des entreprises est encore mal perçue dans la région, et les entreprises ne possèdent pas les instruments qui leur permettraient d'analyser les coûts et avantages de telles améliorations. Les organisations d'employeurs et de travailleurs pourraient jouer un rôle important dans les efforts tendant à améliorer les conditions de travail en mettant en exergue les exemples de succès à l'appui de leurs activités visant à assurer le respect des normes minimales nationales. Ces stratégies ne permettent pas d'atteindre aussi facilement les travailleurs du secteur non structuré et des PME. L'OIT accorde une grande attention à ce problème dans la région Asie-Pacifique depuis une décennie, et des interventions pratiques permettent d'ores et déjà d'améliorer les conditions de travail dans ces secteurs (voir chapitre III).
Ainsi qu'on l'a noté au chapitre I, de nombreux groupes sont laissés de côté dans le processus de croissance en raison de leur situation géographique, du manque d'actifs de diverses sortes ou d'une situation structurelle faible sur le marché du travail. Ces groupes pâtissent surtout de mauvaises conditions de travail: les travailleuses doivent faire face à maints problèmes dus à la discrimination, à leur statut socio-économique inférieur, au manque de protection de la maternité, à la double charge de leurs responsabilités professionnelles et familiales, au harcèlement sexuel et à d'autres facteurs; on admet de plus en plus que le travail des enfants pose un sérieux problème dans la région mais, malgré cette sensibilisation, l'élaboration de solutions pratiques traîne (cette question sera abordée dans la suite du présent chapitre); les travailleurs migrants sont souvent exclus de toute protection; les personnes handicapées, lorsqu'elles peuvent trouver un emploi, sont fréquemment exploitées et sous-payées, et il reste encore beaucoup à faire pour les aider à utiliser au mieux leur potentiel et à faire valoir leur droit à l'égalité de traitement et de chances; les besoins des travailleurs âgés commencent seulement à retenir l'attention dans quelques pays qui ont connu une transition démographique anticipée, mais bien d'autres pays d'Asie seront bientôt confrontés à ces problèmes. L'un des défis lancés aux responsables de la région Asie-Pacifique, y compris les partenaires sociaux, consiste à faire bénéficier ces groupes vulnérables des avantages d'une croissance durable.
Sécurité et santé des travailleurs
Le taux élevé de croissance économique que la plupart des pays d'Asie et du Pacifique ont connu récemment a ouvert de réelles possibilités d'améliorer la sécurité et la protection de la santé sur les lieux de travail. Comme faits nouveaux encourageants, on peut noter la ratification, par le Viet Nam en 1994, de la convention (no 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, la ratification de la convention (no 170) sur les produits chimiques, 1990, par la Chine en 1995, et l'adoption d'une législation globale sur la sécurité et la santé des travailleurs par la Malaisie en 1994 et par Fidji en 1996, ainsi que l'élargissement, dans de nombreux pays, des programmes de formation et de sensibilisation (voir chapitre III).
Toutefois, les statistiques disponibles sur les accidents mettent en lumière la nécessité de poursuivre une action concertée pour améliorer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans la plupart des pays de la région. C'est ainsi qu'en 1995 on a signalé au total 216 525 accidents du travail (dont 966 mortels) en Thaïlande et 114 134 (dont 828 mortels) en Malaisie. En Chine, la même année, on a recensé 20 005 accidents du travail mortels, surtout dans les mines et le bâtiment. Plus de 10 000 cas de pneumoconiose sont signalés annuellement en Chine. Ces chiffres élevés reflètent l'expansion de l'industrialisation et l'amélioration des systèmes nationaux d'enregistrement; beaucoup d'autres pays ne disposent que de données limitées, notamment sur les maladies professionnelles, en raison de l'insuffisance ou des lacunes des moyens nationaux d'identification de ces maladies. En outre, des accidents majeurs continuent de se produire. C'est ainsi qu'en 1993 un incendie survenu dans une fabrique de jouets de Thaïlande a coûté la vie à 188 jeunes travailleurs, tandis que l'explosion d'une poudrière a tué 63 personnes à Hubei, Chine.
Dans maints pays, l'appareil législatif qui régit la sécurité et l'hygiène du travail ne protège encore que certaines catégories de travailleurs. L'application des dispositions législatives est souvent limitée aux grandes entreprises, faute d'une capacité suffisante d'inspection des pouvoirs publics. C'est ainsi que des millions de travailleurs des PME ne sont pas suffisamment protégés par la législation en vigueur. La plupart des employeurs et des travailleurs de la région ne sont pas encore suffisamment sensibilisés à l'importance fondamentale des mesures de sécurité et de protection de la santé des travailleurs, et à leurs rapports avec l'accroissement de la productivité; de même, le développement des services d'information et de formation dans la région ne s'est pas poursuivi au même rythme que le développement économique.
Les pays de la région doivent relever des défis communs en matière d'intensification des programmes visant à assurer une protection efficace de tous les travailleurs dans une économie en voie de mondialisation. L'une des tâches essentielles consiste à rallier une adhésion unanime dans chaque pays sur un point précis, à savoir que la sécurité et la santé des travailleurs ne doivent en aucun cas être compromises par la recherche de la croissance économique. La définition d'une politique nationale claire à ce sujet constituerait un progrès important dans cette direction. La mise au point d'une telle politique, avec la collaboration des pouvoirs publics et des organisations d'employeurs et de travailleurs, de sorte que les mesures prises s'intègrent dans le processus national de planification économique, et l'obtention des ressources financières voulues, devrait faciliter les actions nécessaires. Diverses mesures pratiques sont exposées ci-dessous.
Amélioration de la législation visant la sécurité et la santé des travailleurs et renforcement de son application. Cette législation devrait être mise à jour en permanence de façon qu'elle suive l'évolution de la situation, notamment sur le plan économique. Il est essentiel que les employeurs, quels que soient la taille et le type de leurs entreprises, soient responsables de la protection de leur personnel contre tous les risques présents dans les lieux de travail. Lors de la révision de la législation, référence devrait être faite aux normes récentes de l'OIT, et notamment à la convention no 155. Parallèlement, des efforts supplémentaires devraient être déployés pour assurer l'application de la législation en vigueur. Les mesures d'appui devraient comprendre l'annonce faite publiquement par le gouvernement de sa décision d'appliquer strictement la législation; de plus, les inspecteurs du travail devraient être mieux formés, et un personnel qualifié supplémentaire devrait être recruté.
Elaboration de programmes spéciaux. Il est essentiel que des programmes soient spécialement conçus à l'intention des occupations et industries dangereuses si l'on veut que les ressources humaines et financières limitées soient utilisées à bon escient. Chaque programme devrait prévoir l'analyse des questions et problèmes et comporter des mesures pratiques. Une attention spéciale devrait être vouée aux mesures pratiques à prendre dans les petites entreprises et notamment aux mesures en rapport avec l'accroissement de la productivité et avec les faibles prix de revient obtenus localement.
Amélioration de la collecte et de l'analyse des statistiques. Des statistiques globales et fiables sur les accidents du travail et les maladies professionnelles sont nécessaires pour définir les mesures préventives prioritaires, ainsi que des programmes concrets destinés à des secteurs précis. Il convient de promouvoir la collecte de données provenant des régimes d'assurances contre les accidents du travail. La mise au point de méthodes d'identification des maladies professionnelles les plus fréquentes est la première mesure de prévention à prendre.
Campagnes nationales de sensibilisation et programmes promotionnels. Il est de la plus haute importance que les employeurs, les travailleurs et la collectivité dans son ensemble soient sensibilisés à l'importance de la protection des travailleurs si l'on veut parvenir à un développement socio-économique durable et accroître la productivité. Les activités promotionnelles de formation, planifiées et mises en œuvre dans le cadre de la coopération tripartite, ont aussi un rôle crucial à jouer. Il conviendrait également d'envisager le renforcement des campagnes nationales régulières sur la sécurité et la santé des travailleurs, et notamment des programmes sectoriels.
Mise en place de mécanismes nationaux de formation à la prévention. La formation des chefs d'entreprise, du personnel d'encadrement et des travailleurs est la priorité essentielle en matière de prévention. Cette formation devrait être assurée dans l'ensemble du pays. Bien que les services officiels d'inspection du travail jouent un rôle important dans la promotion de cette formation, ils ne sont pas d'ordinaire en mesure d'organiser et de fournir eux-mêmes la formation nécessaire. Il importe donc d'envisager la mise en place et la mobilisation d'organismes du secteur privé.
Mobilisation des ressources et compétences disponibles. Pour promouvoir la prévention, des fonds suffisants doivent être réunis. C'est là que la plupart des pays se heurtent à de réelles difficultés. Le financement devrait être recherché dans un certain nombre de directions. La protection des travailleurs est au premier chef la responsabilité des employeurs. Lorsque cette responsabilité est inscrite dans la législation et que l'accent est placé sur les mécanismes de formation et sur l'application des dispositions en vigueur, on dispose alors d'une base permettant d'obtenir, dans chaque entreprise, le budget nécessaire. Les gouvernements qui s'engagent à promouvoir la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles devraient être en mesure d'allouer des fonds à cet effet. Une autre source éventuelle de financement pourrait être constituée par les régimes nationaux d'assurance contre les accidents du travail, lesquels auraient tout à gagner d'une diminution du nombre des accidents du travail et des maladies professionnelles.
A quelques très rares exceptions près, la sécurité sociale est relativement peu développée dans la région Asie-Pacifique, surtout si l'on tient compte du niveau de développement économique atteint par de nombreux pays de la région. Or, à mesure que le développement prend une dimension humaine de plus en plus importante, les besoins de sécurité sociale acquièrent un rang de priorité de plus en plus élevé. Les principaux défis à relever dans ce domaine sont exposés ci-dessous.
Revenu de substitution pour les personnes âgées. Compte tenu de l'intensification de l'exode rural et du fait que de plus en plus de personnes prennent un emploi salarié, la nécessité d'un revenu de substitution pour les personnes âgées s'impose. Alors que les travailleurs indépendants peuvent poursuivre leurs activités aussi longtemps qu'ils ont la force de travailler, les possibilités de travail des salariés s'amenuisent considérablement après l'âge normal de la retraite. Bien qu'elle soit toujours importante, la solidarité à l'intérieur des familles et des communautés villageoises ne permet pas autant que par le passé d'assurer la sécurité économique des personnes âgées. Cela s'explique non seulement par la mobilité accrue de la main-d'œuvre, mais également par les aspirations des personnes âgées elles-mêmes qui souhaitent jouir d'une plus grande indépendance économique et ne pas dépendre de l'assistance de leurs enfants. L'allongement de l'espérance de vie est également un facteur important.
Les travailleurs des grandes entreprises bénéficient d'une certaine protection sociale, lorsqu'ils prennent leur retraite, dans la plupart des pays de la région. Toutefois, cette protection revêt souvent la forme d'une caisse nationale de prévoyance qui ne verse qu'une somme forfaitaire à la retraite et non une rente constituant un revenu de substitution pendant le reste de la vie des intéressés. Les études effectuées ont montré que les sommes forfaitaires ainsi versées sont généralement épuisées au bout de deux ou trois ans.
Le problème qui se pose donc aux pays où fonctionnent des caisses de prévoyance consiste à introduire des pensions de vieillesse et à supprimer progressivement les prestations sous forme de sommes forfaitaires, ou du moins à en réduire l'importance. Une telle politique permet d'éviter de plonger dans la pauvreté les retraités les plus âgés et également de permettre aux personnes protégées par un même régime d'assumer en commun les risques (facteur particulièrement important pour les personnes infirmes ou qui décèdent en laissant un conjoint et/ou des enfants à charge) et d'assurer une certaine redistribution du revenu en faveur des retraités désavantagés.
Extension de la protection de sécurité sociale. Dans la plupart des pays de la région, la sécurité sociale -- pour autant qu'elle existe -- ne protège généralement que les travailleurs des grandes entreprises. Certes, lorsque l'on met en place un système de sécurité sociale, il est raisonnable d'y inclure en premier lieu les travailleurs des grandes entreprises car cela ne pose guère de problèmes administratifs. Toutefois, l'exclusion des travailleurs des petites entreprises se prolonge parfois pendant des décennies. Le temps est d'ailleurs venu de diminuer encore le nombre minimum de travailleurs au-dessus duquel les entreprises doivent assurer une protection de sécurité sociale. Une autre possibilité efficace consiste à rendre cette protection obligatoire dans les entreprises dont la masse salariale dépasse un certain montant; ce système permet d'intégrer de façon précoce dans les régimes de sécurité sociale les entreprises qui sont le plus à même de payer les cotisations.
Dans les pays en développement de la région, la main-d'œuvre est essentiellement constituée par des travailleurs indépendants ou par des personnes travaillant dans le secteur non structuré. Les systèmes actuels de sécurité sociale peuvent être progressivement élargis de manière à inclure certaines de ces personnes, notamment les salariés du secteur non structuré, mais cela exige des inspections beaucoup plus efficaces par les autorités responsables de la sécurité sociale.
En ce qui concerne les personnes travaillant à compte propre, il faut adopter en général d'autres dispositions puisqu'il n'y a pas d'employeur participant au paiement des cotisations de sécurité sociale. Dans ces conditions, les régimes applicables à ces groupes de personnes seront en général d'ampleur plus restreinte et couvriront surtout les besoins prioritaires des intéressés, notamment les soins médicaux de base. Par la suite, il est plus facile de mettre en place des régimes assurant des prestations à long terme (pensions de retraite, d'invalidité et de survivants).
Elargissement de l'accès à des soins médicaux appropriés. Dans la plupart des pays d'Asie, les ressources consacrées à la protection de la santé ne représentent qu'une très faible proportion du produit intérieur brut. En outre, ces dépenses sont généralement réparties de façon très inégale, les pauvres n'ayant accès qu'à des établissements publics surchargés, tandis que les soins de qualité dispensés dans les hôpitaux privés sont réservés aux personnes bénéficiant d'un revenu élevé. Le double problème qui se pose ici consiste à augmenter les ressources totales mises à la disposition des soins de santé et à faire en sorte que ces ressources soient bien utilisées et réparties de façon plus équitable. Le rôle que joue l'assurance sociale en la matière est de plus en plus reconnu. En particulier, les systèmes d'assurance sociale à base large présentent d'énormes avantages par rapport aux assurances privées lorsqu'il s'agit de trouver la méthode qui convient le mieux pour rémunérer les pourvoyeurs de soins. De plus, il est particulièrement important de faire en sorte que la population cible s'étende au-delà des travailleurs du secteur structuré.
Protection sociale et transition vers l'économie de marché. Dans les pays en phase de transition vers l'économie de marché, le nombre des personnes employées par l'Etat diminue, à l'inverse des effectifs employés dans le secteur privé, et cette évolution est parfois assez rapide. Autrefois, la sécurité sociale ne protégeait que les travailleurs du secteur public. Le problème qui se pose maintenant est de faire en sorte que les travailleurs du secteur privé bénéficient d'une protection efficace et que les travailleurs exclus du secteur public ne soient pas privés des droits à pension découlant de leur emploi antérieur. Pour atteindre ces objectifs, il importe avant tout de donner une base financière saine aux régimes de sécurité sociale. Il faut pour cela procéder à une réforme institutionnelle et, éventuellement, revoir les conditions d'admission et de réception des prestations lorsque ces conditions semblent incompatibles avec la capacité contributive des employeurs et des travailleurs. Il faut également modifier de fond en comble l'administration de la sécurité sociale dans ces pays de manière à l'adapter aux réalités de l'entreprise privée. Il ne faut plus compter que les employeurs assument l'essentiel des tâches administratives associées au système de sécurité sociale, comme c'était le cas pour les ministères et les entreprises d'Etat dans le passé. Dorénavant, l'administration de la sécurité sociale devra se charger de la plupart de ces tâches, lesquelles exigeront davantage de personnel qualifié et de systèmes informatiques appropriés. Cette administration devra également fournir aux employeurs et aux travailleurs une meilleure information et renforcer sa capacité d'inspecter les lieux de travail et d'assurer le respect de la législation.
Administration du travail et inspection du travail
Il résulte du processus de mondialisation, ainsi que des conséquences distinctes mais connexes de la libéralisation et de la transition, que l'administration du travail et l'inspection du travail dans la région devront être conçues dans une optique nouvelle.
L'administration du travail, définie par la convention (no 150) sur l'administration du travail, 1978, comme «les activités de l'administration publique dans le domaine de la politique nationale de travail», doit déterminer quelle politique du travail devrait être poursuivie pour faire face au processus de mondialisation, et quelles activités devraient être entreprises pour mettre en œuvre cette politique. L'inspection du travail, qui consiste à faire appliquer la législation du travail et à donner des conseils sur la manière de respecter les exigences légales, doit également redéfinir le rôle qui lui incombe dans le cadre nouveau de la mondialisation; les services publics de l'emploi devront d'ailleurs en faire de même. On examinera ci-dessous les principaux problèmes et défis auxquels l'administration du travail et l'inspection du travail doivent faire face.
Efficacité économique et protection sociale. Aux fins de promouvoir l'efficacité économique, d'accroître la compétitivité sur les marchés internationaux des produits et d'attirer des investissements étrangers directs, les gouvernements s'efforcent de réduire leurs interventions sur les marchés des capitaux, des produits et du travail. Toutefois, la recherche de l'efficacité économique doit tenir compte de la nécessité d'assurer aux travailleurs une protection suffisante et de conserver toute sa valeur à la protection sociale. Dans ces conditions, l'administration du travail doit renforcer sa capacité de participation active aux discussions sur ce problème et se faire l'avocat efficace de la justice sociale face aux pressions tendant à abaisser les normes de protection des travailleurs.
Mise en œuvre des politiques et de la législation. L'avènement de la mondialisation impose l'élaboration de politiques novatrices et imaginatives qui devront être traduites en lois et règlements donnant une expression positive à ces initiatives. Les normes internationales du travail pertinentes, notamment la convention (no 81) sur l'inspection du travail, 1947, la convention (no 129) sur l'inspection du travail (agriculture), 1969, et la convention no 150 déjà mentionnée, contiennent des directives utiles pour l'élaboration et l'application des politiques à suivre. Toutefois, il ne suffit pas de ratifier les conventions et d'adopter une législation du travail à l'appui des nouvelles politiques adoptées en la matière, même si ce sont là des facteurs importants; il importe aussi d'appliquer les conventions et la législation du travail avec impartialité et de façon cohérente, et il faut que les administrations du travail soient renforcées pour être en mesure de s'acquitter efficacement de leurs responsabilités. Cela vaut tout particulièrement pour les pays en transition, qui ont tous dû adopter, ou adopteront bientôt, un dispositif de législation sociale relativement nouveau.
Cependant, les administrations du travail ne disposent que de moyens limités pour faire connaître aux employeurs, aux travailleurs et au public en général le contenu de la législation, pour fournir des avis sur la manière d'appliquer les dispositions législatives, et pour imposer le respect des lois et règlements avec impartialité et efficacité. Il faut apporter à ces administrations un appui considérable pour que les moyens limités d'inspection dont elles disposent soient consacrés aux domaines prioritaires, que les inspecteurs soient formés aux procédures d'application, que les tâches respectives de l'inspection du travail et de l'inspection de la sécurité soient mieux intégrées, et qu'une «culture de l'inspection», fondée sur le service des clients, la protection sociale et l'intégrité professionnelle, soit développée.
Efficacité de la gestion. La «contraction» ou la rationalisation des administrations publiques est un élément fondamental des programmes d'ajustement structurel et de réformes économiques de maints pays d'Asie et du Pacifique. Les ministères du Travail ne sont pas exemptés et on leur demande de plus en plus d'améliorer leurs résultats et d'utiliser à meilleur escient les ressources disponibles. Certaines administrations du travail ne sont guère familiarisées avec la notion d'efficacité de gestion et n'accordent en fait qu'une attention limitée à la définition d'indicateurs de performance qui pourraient permettre d'évaluer leurs efforts. Elles ont besoin d'une capacité renforcée pour réunir, compiler et analyser les statistiques produites dans le cadre de leurs responsabilités essentielles, de façon à pouvoir évaluer avec plus de précision les résultats obtenus. Sur cette base, elles pourront ensuite définir des objectifs réalistes à atteindre comme point de départ d'un nouveau cycle d'activités tenant dûment compte des indicateurs quantitatifs, sans pour autant ignorer la dimension qualitative de la protection des travailleurs.
Un autre aspect de la gestion générale de l'administration du travail et de l'inspection du travail a trait aux relations entre le ministère du Travail et ses services aux échelons provincial et départemental. Les provinces et départements constituent le fer de lance des services de protection des travailleurs, et l'on ne saurait les ignorer au bénéfice d'une centralisation excessive au siège.
A l'avenir, les administrations du travail devront également envisager la possibilité de privatiser certains de leurs services, notamment les services de placement où les agences d'emploi privées devraient jouer un rôle plus important à l'avenir (voir chapitre III, «Administration du travail»).
Autres solutions pratiques. La mondialisation et les pressions qu'elle exerce sur les entreprises pour que celles-ci réduisent leurs coûts afin de demeurer compétitives ont entraîné certains aménagements du travail qui intéressent au premier chef les administrations du travail. Or, comme les administrations du travail luttent déjà pour assurer la protection des salariés du secteur structuré, elles n'accordent guère d'attention aux régimes de travail moins officiels tels que la sous-traitance, le travail à domicile et d'autres situations où les relations entre employeurs et travailleurs se situent en marge des contrats de travail.
Comment étendre la protection à ces nouvelles catégories de travailleurs ainsi qu'au secteur non structuré (notamment en ce qui concerne la sécurité et la santé)? Tel est le défi majeur que les administrations du travail et l'inspection du travail devront relever si elles veulent atteindre l'ensemble de la main-d'œuvre (voir ci-dessus).
En bref, le problème qui se pose aux administrations du travail consiste à affronter le processus de mondialisation et ses effets, à évaluer ses aspects concrets et ses incidences, et à procéder aux ajustements, modifications et innovations nécessaires. Cela ne doit pas leur faire perdre de vue leur objectif premier qui est la protection des travailleurs. Pour atteindre cet objectif, les administrations du travail devront procéder à des interventions différentes mais tout aussi efficaces. Dans l'avenir prévisible, la majorité des pays d'Asie et du Pacifique auront besoin à cet effet d'une assistance tant nationale qu'internationale.
Le cas particulier du travail des enfants
Ces dernières années, l'Asie a réalisé des progrès économiques spectaculaires mais, pour ce qui est du travail des enfants, les résultats sont à la fois inquiétants et encourageants. D'un côté, la région abrite les deux tiers des enfants qui travaillent dans le monde et l'on y trouve certaines des formes de travail les plus répugnantes. De l'autre, l'Asie est également la région où les résultats les plus visibles ont été obtenus dans la réduction de l'incidence globale du travail des enfants. Tant que le travail des enfants subsistera non seulement les enfants continueront de souffrir physiquement et psychologiquement d'une situation inique, mais encore cet état de choses aggravera la position d'infériorité des travailleurs lors des négociations collectives.
Si l'on considère l'offensive globale lancée contre le travail des enfants ces dernières années, on constate que l'on s'est surtout attaché à certaines formes intolérables de ce travail, lesquelles existent toujours de façon plus ou moins dissimulée en Asie. De nombreux pays de la région s'efforcent maintenant d'éliminer le travail des enfants, surtout parce qu'ils ont pris conscience du fait qu'il est incompatible avec le développement économique à long terme, mais également parce que les pressions internationales risquent d'entraîner une chute des échanges commerciaux avec l'étranger. Les gouvernements ont réexaminé et mis à jour leur législation, renforcé les procédures d'application et élaboré des programmes et politiques pratiques de lutte contre le travail des enfants. Les organisations d'employeurs et de travailleurs ont participé à cette campagne. Le Programme international de l'OIT pour l'abolition du travail des enfants (IPEC), qui est décrit en détail au chapitre III, déploie d'ores et déjà ses activités dans plus de onze pays de la région.
C'est surtout la pauvreté qui incite à avoir recours au travail des enfants et à leur exploitation à un âge précoce. Le manque de possibilités d'accès à un enseignement convenable, les insuffisances notamment qualitatives, de l'enseignement dispensé et des pratiques socioculturelles bien enracinées jouent également un rôle important à cet égard.
Or le problème est complexe. Lorsque l'on demande aux enfants et à leurs familles (ce fut le cas dans le cadre d'une enquête de l'OIT sur le travail des enfants dans le secteur manufacturier de l'Asie du Sud-Est)(5) pourquoi les enfants travaillent, la cause le plus souvent évoquée est la pauvreté de la famille. Pourtant, un petit nombre de familles seulement déclarent que les gains des enfants sont indispensables à la survie de la famille. Presque aucun employeur n'admet que le travail des enfants est meilleur marché. La réponse donnée le plus souvent est qu'il n'a pas été possible de trouver des adultes pour accomplir certaines tâches particulières, ou que les enfants accompagnent d'autres membres de leurs familles à leur travail. La majorité des enfants qui travaillent sont rémunérés à la pièce plutôt qu'à la journée ou à la semaine. Une autre étude de l'OIT(6) démontre que les arguments relatifs aux compétences prétendument «irremplaçables» des enfants et au coût inférieur de leur emploi ne sont pas étayés par les faits. Dans tous les secteurs d'activité étudiés, la plupart des tâches non qualifiées exécutées par des enfants l'étaient également par des adultes qui travaillaient avec eux. Certes, les enfants qui travaillaient étaient moins payés que les adultes, mais la différence était minime. Les résultats de ces deux études mettent sérieusement en doute la nécessité économique, pour certaines des industries les plus compétitives de la région, d'avoir recours au travail des enfants.
Divers stéréotypes illustrent le problème du travail des enfants dans la région, par exemple les petits porteurs et les travailleurs des plantations au Népal, les conducteurs de pousse-pousse et les travailleurs du vêtement au Bangladesh, les enfants affectés au tissage des tapis noués en Inde, la prostitution des enfants en Thaïlande, les enfants travaillant dans les mines aux Philippines ou dans les pêcheries en Indonésie. Bien que quelque peu simplistes, ces exemples donnent néanmoins une idée de la variété des emplois occupés par des enfants.
L'absence quasi totale de données sur l'incidence du travail des enfants fait qu'il est impossible d'établir des estimations fiables sur l'ampleur du problème et d'identifier les tendances au fil du temps. L'OIT estime que, dans le monde entier, au moins 120 millions d'enfants de 5 à 14 ans travaillent à plein temps; ce chiffre doit être doublé (250 millions d'enfants) si l'on prend également en compte les enfants dont le travail constitue une activité secondaire. Plus de 60 pour cent de ces enfants se trouvent en Asie. En moyenne, le taux d'activité des enfants en Asie est proche de 20 pour cent; autrement dit, un enfant sur cinq travaille.
Certains experts s'occupant essentiellement de l'Asie du Sud-Est estiment que le travail des enfants diminue sous l'action de divers facteurs tels que l'augmentation du revenu individuel, la généralisation de l'instruction et la réduction de la taille des familles. En Asie du Sud, pourtant, ce déclin n'est guère attesté par les indicateurs, ce qui peut s'expliquer par les structures démographiques, l'incidence élevée de la pauvreté, les lacunes du système éducatif et certaines attitudes sociales bien enracinées. Dans les pays de la région qui s'orientent vers une économie de marché, le problème est différent. Ces pays disposaient autrefois d'une infrastructure sociale développée, et le travail des enfants n'existait pratiquement pas dans le secteur organisé. Toutefois, le coût élevé de l'éducation et l'existence de nouvelles possibilités d'emploi dans des secteurs employant une main-d'œuvre bon marché ont quelque peu aggravé le problème.
Comme on manque de données sur les pays insulaires du Pacifique, il est difficile d'évaluer la situation qui y règne. Les informations limitées dont on dispose au sujet du taux d'activité des enfants en Papouasie-Nouvelle-Guinée par exemple (19,3 pour cent) et aux Iles Salomon (28,9 pour cent) peuvent cependant susciter des inquiétudes.
Il existe bien entendu des différences qualitatives importantes entre les pays pour ce qui est du stade de développement et du niveau de la pauvreté, mais certaines tendances et caractéristiques sont communes à toute la région. A cet égard, on a soutenu que l'intensification de la concurrence résultant de la mondialisation avait encore aggravé la situation des enfants qui travaillent. Le débat à ce sujet n'est pas encore conclu, mais certains signes montrent que l'emploi des enfants a quelque peu changé de nature ces dernières années. En effet, on constate une évolution dans l'incidence du travail des enfants, lequel était autrefois cantonné dans le secteur primaire, mais qui se développe dorénavant dans les secteurs secondaire et tertiaire; de plus, on note une proportion accrue d'emplois salariés par rapport au travail familial non rémunéré.
Formes intolérables du travail des enfants
L'ampleur du travail des enfants ne saurait être mesurée uniquement d'après le nombre d'enfants qui travaillent. Il existe une différence considérable entre l'enfant qui travaille dans un environnement familial protégé pendant une heure ou deux chaque jour après l'école, et un autre enfant qui, loin de chez lui, travaille régulièrement de huit à dix heures par jour dans des conditions pénibles. Depuis peu, le travail des enfants est sous les feux de l'actualité, au niveau national comme au niveau international, ce qui constitue une juste réaction après les différentes études qui ont rendu publiques ses formes les plus abusives et les plus extrêmes.
Il ressort de plusieurs études que des millions d'enfants travaillent dans des secteurs présentant des dangers flagrants, qui menacent leur santé et leur avenir, et cela pour un salaire dérisoire. Ces enfants sont exposés aux mêmes dangers que les adultes, mais pour eux les conséquences sont beaucoup plus graves. Une vaste enquête menée aux Philippines(7) sur les enfants qui travaillent a révélé que plus de 1,8 million d'enfants étaient exposés à de mauvaises conditions de travail; de plus, 30 000 d'entre eux ont signalé avoir été victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Les enfants employés comme domestiques -- pratique toujours très répandue en Asie -- sont peut-être les plus exposés mais aussi les plus difficiles à protéger. Une pratique encore pire est celle du travail forcé des enfants. Dans de nombreux pays de la région, des enfants travaillent encore dans des conditions proches de l'esclavage. En dépit de la législation et des efforts déployés pour mettre cette pratique hors-la-loi, des enfants sont toujours vendus ou placés en servitude pour dettes. En Asie du Sud, cette pratique est difficile à éliminer en raison de facteurs liés à des pratiques d'exploitation bien enracinées et à d'autres facteurs sociaux complexes. En Asie du Sud-Est, le problème revêt une dimension différente encore que l'exploitation soit tout aussi présente. Ces dernières années, on a dénoncé différents cas de commerce des enfants à partir du Cambodge, de la Chine, de la République démocratique populaire lao et du Myanmar à destination de la Thaïlande où ces enfants travaillent dans des maisons de tolérance ou dans des ateliers où ils sont exploités. Une fois entrés illégalement dans un pays, les enfants sont à la merci de leurs employeurs.
Ces quelques exemples de formes intolérables de travail des enfants sont loin de clore la liste. Quelle que soit la forme du travail, les enfants risquent de subir des dommages irréversibles dans leur développement physique et psychologique, avec les handicaps permanents et les graves conséquences qui en découlent et qui marqueront leur vie d'adultes. En outre, faute d'avoir reçu une éducation, ces enfants risquent de n'être jamais en mesure d'occuper un emploi normal qui leur permettrait d'échapper à la pauvreté. Une étude menée par l'OIT au Pakistan(8) a montré que, parmi les enfants au travail qui avaient été interrogés, 72 pour cent d'entre eux n'avaient reçu aucune éducation.
La croissance économique rapide et le relèvement du niveau d'instruction en Asie -- associés à des orientations politiques et à des mesures législatives énergiques -- favorisent l'instauration de conditions propres à l'élimination progressive du travail des enfants. Malheureusement, le problème ne sera pas résolu instantanément.
L'enseignement obligatoire pour tous constitue le meilleur moyen de réduire et d'éliminer définitivement le travail des enfants. D'une façon générale, c'est surtout lorsque l'enseignement obligatoire n'est guère organisé que le travail et l'exploitation des enfants sont les plus répandus. Beaucoup d'initiatives de développement prises dans les domaines de l'éducation et de l'atténuation de la pauvreté auraient contribué à l'élimination progressive du travail des enfants si ce problème avait été pris en compte d'emblée.
Pour être efficaces, de telles initiatives doivent être adaptées à la situation socio-économique de chaque pays. Tous les pays de la région ne sont pas en mesure d'éliminer immédiatement toutes les formes de travail des enfants. Il ne faut pas oublier que les personnes qui risquent le plus d'avoir recours au travail des enfants pour assurer leur propre survie sont précisément les exclus (il s'agit en général des castes inférieures, des minorités ethniques et des autochtones ou des groupes tribaux). En tout état de cause et quelle que soit la situation régnant dans un pays, certaines formes du travail des enfants sont inacceptables. Il est donc impératif de régler en priorité, par des mesures, une législation et des programmes appropriés, le problème des formes les plus intolérables de travail des enfants.
Les pays asiens, en particulier les pays d'Asie de l'Est et du Sud-Est, devraient être en mesure de mettre un terme assez rapidement aux formes les plus intolérables du travail des enfants. Des progrès ont été réalisés grâce aux efforts déployés conjointement par les gouvernements, les employeurs et leurs représentants, les syndicats et des organisations non gouvernementales. Pour autant, les efforts ne doivent pas être relâchés et les actions vigoureuses et concertées doivent être poursuivies.
L'évolution requise en matière de relations professionnelles et de protection des travailleurs dans le nouvel environnement économique -- au niveau des orientations politiques, de la législation et des arrangements institutionnels -- doit, en tout premier lieu, viser l'amélioration des relations entre employeurs, travailleurs et leurs représentants sur les lieux de travail, afin de permettre aux entreprises d'obtenir de meilleurs résultats et d'améliorer les perspectives d'emploi. Dans cette optique, cette évolution doit assurer une participation équitable des travailleurs aux avantages tirés du développement et de la croissance des entreprises. Elle doit également permettre aux travailleurs de conserver leurs droits collectifs, y compris la possibilité d'adhésion au syndicat de leur choix.
Pourtant, les systèmes de relations professionnelles et de protection des travailleurs de chaque pays doivent aller plus loin. Il leur faut répondre à une évolution du marché du travail qui favorise l'emploi occasionnel et l'emploi dans le secteur non structuré de la région. Les gouvernements peuvent choisir entre l'élargissement du cadre réglementaire ou une action volontariste en vue de résoudre les problèmes qui se posent. Dans les deux cas, il faudra qu'ils s'assurent la participation des partenaires sociaux dont la capacité de large représentation et les fonctions consultatives devront être renforcées. L'appui donné au secteur non structuré devrait faire partie d'une stratégie à long terme destinée à promouvoir l'emploi dans le secteur organisé.
L'OIT peut mettre à profit les analyses et l'expérience internationales pour résoudre les problèmes complexes abordés dans le présent rapport. Dans le nouvel environnement économique, le rôle particulier qu'elle a à jouer en aidant ses mandants à insérer des considérations de justice sociale fondées sur les normes internationales du travail dans les politiques et stratégies de croissance économique revêt plus d'importance que jamais.
5. Falkus, M.: A survey of child labour in South-East Asian manufacturing -- Summary and reflections, IPEC Asia papers no 2 (Bangkok, ILO/IPEC, 1996).
6. BIT: Le travail des enfants -- L'intolérable en point de mire, rapport VI (1), Conférence internationale du Travail, 86e session, 1998 (Genève, 1996).
7. OIT/IPEC et Office national des statistiques, Philippines: Survey of children 5-17 years old, Set of fact sheets (Manille, 1995).
8. OIT/IPEC: Qualitative survey on child labour in Pakistan, document préparé par le ministère du Travail, de la Main-d'œuvre et des Pakistanais travaillant outre-mer, et par SEBCON (Pvt) Ltd. (Islamabad, 1996).