OIT Page d'accueil


ILO LOGO

BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL

Bangkok  décembre 1997

Douzième Réunion régionale asienne

Rapport du Directeur général


CONCLUSION:
LES DÉFIS DU XXI
e SIÈCLE

IV

Les moyens d'une croissance économique durable

Dynamisme et diversité continuent de caractériser la situation de l'emploi et de la pauvreté en Asie. Bien que plusieurs pays aient enregistré un ralentissement de la croissance et des exportations en 1996, la région dans son ensemble devrait conserver un taux de croissance relativement élevé au cours des prochaines années avec, toutefois, des écarts assez importants entre les pays et les secteurs.

La région est maintenant engagée de façon irréversible dans la mondialisation et la libéralisation économique. L'emploi subira de plus en plus les effets des mesures prises par les différents pays pour élargir leurs marchés d'exportation et restructurer leurs économies de façon à tirer parti de leur avantage concurrentiel. Le progrès technique et l'obsolescence font partie intégrante de ce processus. Le protectionnisme peut apparaître comme une manière plus facile d'opérer une diversification, mais de tels palliatifs à court terme ne sauraient donner de meilleurs résultats que lorsque le protectionnisme marquait la stratégie de développement sous la forme d'une industrialisation de remplacement des importations.

De nombreux pays de la région doivent faire face à une évolution encore plus spectaculaire de la situation de l'emploi, dans le cadre du processus continu de libéralisation, dans le but de favoriser la croissance. La croissance a été effectivement au rendez-vous en Chine, en Inde, en Jordanie et au Viet Nam par exemple, mais non sans soulever des problèmes immédiats tels que les compressions massives d'effectifs dans le secteur étatique de Mongolie, du Viet Nam et du Yémen, et la fin de l'expansion de l'emploi salarié en Inde et à Sri Lanka. Jusqu'ici, la Chine a pu éviter de trop fortes répercussions négatives au prix d'un subventionnement continu du secteur étatique. Entre-temps, des politiques sont élaborées pour former les travailleurs en surnombre afin qu'ils puissent occuper des emplois plus dynamiques, et pour améliorer la protection sociale. Des mesures analogues devront être prises dans les autres pays en voie de libéralisation pour éviter l'aggravation du chômage et de la pauvreté au cours du processus de réforme.

La diversité de la région est telle que les politiques de l'emploi doivent être adaptées à la situation de chaque pays. Les pays les plus avancés ont réalisé des progrès considérables dans la lutte contre le chômage et pour l'atténuation de la pauvreté. Certains sont même désormais des destinations de travailleurs migrants en provenance de pays voisins moins prospères. Curieusement, les pays les plus avancés doivent faire face à des problèmes d'emploi particulièrement difficiles, car leurs industries qui étaient autrefois à l'avant-garde doivent désormais affronter la concurrence des nouveaux venus. Il leur faut opérer une transition favorisant les industries à fort coefficient de qualifications et de compétences, ce qui exige le perfectionnement en continu de la main-d'œuvre.

D'autres pays asiens affrontent encore d'énormes problèmes de sous-emploi et de pauvreté, notamment dans les régions rurales. Il importe tout particulièrement d'orienter les investissements publics vers l'agriculture. La croissance agricole est impérative non seulement parce qu'elle influe directement sur l'emploi et la pauvreté, mais également parce qu'elle contribue à freiner l'exode rural. En même temps, la croissance du secteur non agricole doit être accélérée par l'élimination des rigidités du marché du travail qui freinent la croissance de l'emploi dans le secteur moderne.

La situation des travailleuses s'est quelque peu améliorée dans la région, qu'il s'agisse des possibilités d'emploi, de statut professionnel ou des conditions de travail, mais elle se heurte encore à de nombreuses formes de discrimination. La proportion de travailleuses ne s'est accrue que modestement ou a même diminué, et l'écart entre salaires masculins et féminins est encore énorme dans quelques pays. Bien que les nouvelles possibilités d'emploi des femmes dans le secteur organisé aient augmenté les perspectives qui s'ouvrent à de nombreuses travailleuses, la plupart des femmes occupent encore des emplois peu qualifiés et instables. Les femmes sont surreprésentées parmi les groupes habituellement exclus de la législation du travail, à savoir les travailleurs occasionnels ou à domicile, les travailleurs du secteur non structuré et les migrants sans papiers. Enfin, les femmes continuent d'assumer la double charge d'une activité professionnelle et des responsabilités familiales, et elles ne sont guère représentées dans les organes de direction des entreprises, au sein du gouvernement, dans les organisations d'employeurs et dans les syndicats.

Bien que la situation varie considérablement d'un pays à l'autre dans la région asienne, on peut du moins tirer un enseignement général: la meilleure assurance d'une croissance soutenue réside dans l'utilisation la plus efficace possible des ressources nationales de main-d'œuvre, dans les investissements consacrés au capital humain, dans la promotion de l'innovation et de l'entreprise, dans l'élimination des incitations hostiles à l'emploi de la main-d'œuvre et dans des interventions ciblées sur les groupes les plus vulnérables et les plus pauvres.

Comment concilier croissance et justice sociale

La croissance économique ne favorise pas automatiquement l'avènement de la justice sociale. La répartition de plus en plus inégale des revenus dans de nombreux pays n'est qu'un aspect de cette situation. Les accidents du travail résultent souvent d'une accélération trop rapide de la production; l'exploitation des travailleurs migrants et des enfants est encouragée par la pénurie de main-d'œuvre; des compressions d'effectifs suivent les réformes structurelles. Le dynamisme implique des possibilités d'amélioration du sort des travailleurs ordinaires, mais les chances qui existent à cet égard ne sont pas toujours saisies.

Les nouveaux défis lancés à la région ne sont nulle part plus apparents que dans le domaine des relations professionnelles. De nombreux éléments clés des systèmes traditionnels de relations professionnelles s'effondrent sous l'action conjointe des réformes législatives, de la privatisation, des nouvelles pratiques de gestion et d'une main-d'œuvre mieux informée nourrissant de plus hautes espérances. Dans les entreprises les plus modernes et les plus rentables, notamment les entreprises d'appartenance internationale ou opérant sur des marchés internationaux, la mise en valeur des ressources humaines est de plus en plus perçue comme la clé de la performance économique. Si ce principe est bien compris et correctement appliqué, il peut en résulter une réelle amélioration de l'influence des travailleurs et de leurs conditions de travail. Il existe cependant un clignotant rouge, à savoir les pressions tendant à diminuer les droits collectifs des travailleurs, voire même à éliminer les syndicats. L'idée que les aspirations des travailleurs pourraient être refoulées de cette manière constitue une violation des conventions fondamentales de l'OIT, en même temps qu'une source de frustration légitime et de différends à risques. On ne saurait accepter que de telles idées soient présentées comme étant dans l'intérêt national.

La grande majorité des travailleurs de la région sont en marge de tout système de relations professionnelles organisées. Il est essentiel que des moyens plus efficaces soient trouvés pour représenter les intérêts de ces travailleurs. Les mandants tripartites de l'OIT, et en particulier les syndicats, ont une responsabilité particulière à assumer à cet égard, et leur rôle doit être renforcé.

C'est surtout lorsque les travailleurs sont mal organisés que la législation et l'administration du travail doivent leur apporter les garanties minimales essentielles. Dans de nombreux domaines, la nécessité d'une intervention de l'Etat n'est pas mise en cause -- par exemple, en ce qui concerne la sécurité et la santé des travailleurs -- mais il ne semble guère que les ressources mises à la disposition des administrations du travail aient suivi la croissance du nombre de travailleurs ayant besoin de protection, ni que les différents risques auxquels ils sont exposés soient pris en compte, pas plus que les difficultés pratiques d'appui aux inspections du travail dans leur tâche.

Bien que les conditions de travail et la sécurité et la santé des travailleurs soient réglementées dans de nombreux pays, les dispositions en vigueur sont souvent mal appliquées, et la plupart des travailleurs ne sont pas protégés par la législation. Il existe un gros écart entre les travailleurs des grandes entreprises modernes, où les conditions de travail sont généralement supérieures aux normes minimales, et les millions d'hommes et de femmes qui effectuent de longues heures de travail dans de petites entreprises et dans le secteur non structuré, avec peu de moyens et le plus souvent dans des conditions dangereuses et insalubres. Aussi, ces travailleurs sont-ils exposés à un taux inacceptable d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Certains groupes comme les travailleurs migrants, les minorités et les personnes handicapées sont particulièrement touchés.

Les normes minimales concernant les salaires et les autres conditions d'emploi sont plus controversées. Le déséquilibre croissant de la répartition du revenu et les problèmes de plus en plus aigus rencontrés par la petite entreprise et par le secteur non structuré sont autant de signes montrant qu'il reste encore beaucoup à faire; or l'action réglementaire est souvent perçue comme un obstacle à l'emploi et à la croissance. Il faut donc s'efforcer d'améliorer la situation des travailleurs les plus exposés, mais de façon à ne nuire ni à l'emploi ni à la croissance.

La sécurité sociale est généralement peu développée dans la région, sauf dans le secteur public et dans les grandes entreprises du secteur organisé. Le temps est venu d'étendre la protection aux petites entreprises et d'étudier la possibilité de protéger les travailleurs du secteur non structuré et les travailleurs indépendants. Il s'est produit un affaiblissement de la protection sociale dans les économies en transition, notamment en ce qui concerne les agents du secteur public qui ont été mis à pied. Il faudrait prévoir un revenu de substitution pour les personnes âgées et accroître les possibilités d'accès à des soins de santé adéquats. Pour cela, une réforme financière et administrative est nécessaire.

La situation au regard du travail des enfants présente à la fois des aspects inquiétants et des aspects encourageants. Bien que, dans de nombreux pays, la diminution de la pauvreté et une meilleure instruction aient contribué à diminuer sensiblement l'incidence du travail des enfants, c'est encore dans cette région que l'on trouve le plus d'enfants au travail. Il semble que le nombre d'enfants faisant l'objet d'abus ou employés à des tâches dangereuses et insalubres ait augmenté ainsi que la prostitution et la traite des enfants et les pratiques de quasi-servitude. Pourtant, certains progrès ont été réalisés. Un engagement plus ferme des gouvernements à éliminer et à réduire le travail des enfants, un meilleur cadre juridique et un appui renforcé des employeurs, des syndicats et des ONG ont entraîné une multiplication des mesures et programmes de lutte contre le travail des enfants, souvent avec l'appui de l'IPEC. Les pressions internationales ont joué un rôle important à cet égard, et de plus en plus nombreux sont les employeurs qui réalisent que le développement économique risque d'être entravé par la perpétuation du travail des enfants.

La prise de conscience de plus en plus fréquente du fait que les conventions fondamentales de l'OIT devraient orienter l'action des Etats Membres revêt une importance particulière en Asie où les ratifications sont généralement peu nombreuses. D'aucuns soutiennent que l'application des normes devrait être renforcée en dissociant normes commerciales et normes du travail. C'est un argument d'importance, mais il reste à voir s'il en résulterait davantage de ratifications et de mesures d'application.

La Réunion régionale asienne offrira une occasion de poursuivre les discussions sur les problèmes abordés par le Directeur général dans son rapport à la 85e session de la Conférence international du Travail, en particulier en ce qui regarde la ratification universelle des sept conventions fondamentales de l'OIT et l'adoption d'une déclaration solennelle sur les droits fondamentaux.

Le rôle de l'OIT

Le programme de l'OIT en Asie est exécuté dans le cadre des politiques et priorités établies pour l'ensemble de l'Organisation. Nombre de ces politiques ont été remaniées de façon à favoriser l'action aux échelons régional et national. Les améliorations apportées à l'activité normative et au renforcement des mécanismes de contrôle, par exemple, donneront une impulsion nouvelle au rôle de l'OIT en tant qu'institution normative dans toutes les régions. La promotion de la coopération technique, en faveur de laquelle de nouvelles initiatives mondiales ont été prises -- à propos du travail des enfants, d'une amélioration de l'emploi des femmes, de la sécurité et de la santé des travailleurs --, aura des conséquences notables dans toutes les régions en développement, y compris l'Asie. Le travail technique et l'élaboration des politiques au siège de l'OIT joueront un rôle important en améliorant les services destinés aux activités sur le terrain. Bien que tous ces faits nouveaux ne soient pas abordés en détail dans le présent rapport, ce qu'il faut retenir c'est le rôle des politiques et de l'action menées à l'échelon global, et en particulier le rôle fondamental des organes tripartites de l'OIT.

Depuis la dernière Conférence régionale asienne tenue en 1991, l'OIT a procédé à d'importantes réformes structurelles. Nous avons lancé la politique de partenariat actif (PPA), mis en place les équipes multidisciplinaires, renforcé le rôle des bureaux de l'OIT et entamé un processus de décisions conjointes sur les priorités avec nos mandants, par le truchement des objectifs par pays. La Réunion régionale asienne permettra de passer en revue l'application de la politique de partenariat actif et contribuera ainsi largement à la tâche d'évaluation menée actuellement par le Conseil d'administration.

Les efforts tendant à rendre l'action de l'OIT plus pertinente et plus efficace à l'échelon national se reflètent dans un certain nombre de plans ou de réformes du système des Nations Unies. L'OIT se trouve désormais placée dans un environnement beaucoup plus concurrentiel pour assurer le financement de la coopération technique. En outre, nous sommes soumis à des pressions croissantes pour coordonner les activités opérationnelles dans le cadre du PNUD, voire pour subordonner nos activités aux objectifs plus vastes des Nations Unies. Etant donné que la structure tripartite de l'OIT est unique dans le système des Nations Unies, les préoccupations propres de l'OIT risquent d'être marginalisées si l'Organisation n'adopte pas une forte position tripartite sur les modalités de son travail sur le terrain.

Du fait que l'OIT est une organisation universelle, appliquant des normes universelles et exécutant un mandat qui s'étend à tous les problèmes du travail, elle doit adapter son travail pratique aux réalités rencontrées à l'échelon régional, sous-régional, national, voire local. La Réunion régionale asienne offre une occasion unique d'œuvrer en ce sens en Asie.

Points suggérés pour la discussion

1. Comment les ministres du Travail et les organisations d'employeurs et de travailleurs pourraient-ils exercer davantage d'influence sur les décisions politiques essentielles concernant la croissance, l'emploi, les échanges commerciaux, les investissements et l'atténuation de la pauvreté? Comment l'OIT peut-elle appuyer ces efforts en renforçant le rôle de ces institutions?

2. Quelles sont les politiques et approches macro et microéconomiques qui ont donné les meilleurs résultats en conciliant la promotion de l'emploi et la croissance avec l'équité en faveur des pauvres, des femmes, des migrants et d'autres groupes cibles? Quelles mesures spéciales seraient nécessaires compte tenu des effets de la mondialisation et de la libéralisation? Quel devrait être le rôle des mandants tripartites de l'OIT, et de l'OIT elle-même, dans le soutien à ces politiques et approches?

3. Que peut-on faire à l'échelon national et à celui des entreprises pour augmenter les investissements destinés à la mise en valeur des ressources humaines? En quoi cela peut-il favoriser des relations professionnelles plus positives, de même que la productivité et la croissance? Quel appui l'OIT devrait-elle apporter?

4. Quelles sont les mesures à prendre pour que la croissance aille de pair avec un renforcement de la sécurité et de la santé des travailleurs, des conditions de travail et de la sécurité sociale? Quelles contributions appropriées les administrations du travail et l'inspection du travail, la représentation collective des travailleurs, et les négociations et mécanismes bipartites et tripartites peuvent-ils apporter à l'amélioration de la qualité des emplois? Comment faire pour que l'action de l'OIT soit la plus efficace possible?

5. Que peut-on faire pour amener à un progrès immédiat des droits de base des travailleurs tels qu'ils sont exprimés dans les conventions internationales du travail fondamentales, de manière à assurer que l'Organisation assume la responsabilité de ces normes internationalement reconnues dans un contexte mondialisé?

6. Comment la politique de partenariat actif pourrait-elle être renforcée en Asie? Quelles affectations de personnel et quels moyens d'action seraient les plus efficaces? Quel serait le meilleur équilibre à réaliser entre les actions à l'échelon national et les actions à l'échelon international?

7. Que peut-on faire pour mobiliser davantage de ressources de coopération technique? Les approches interrégionales, régionales ou nationales sont-elles préférables? De quelle manière l'appui des mandants tripartites de l'OIT et la référence à des objectifs par pays peuvent-ils transmettre un message plus convaincant aux donateurs?

Previous Contents Next