Publié en juillet 2021
Les syndicats en pleine transition: quel rôle peuvent-ils jouer dans l’avenir du travail?
Si l’avenir du travail est incertain, celui des syndicats l’est tout autant. Les changements, qu’ils soient liés à la mondialisation, à la démographie, à l’environnement ou aux technologies, bouleversent le marché du travail actuel et seront déterminants pour leur avenir.
Par ailleurs, la crise du COVID-19 a mis en évidence et aggravé les difficultés déjà existantes. Au niveau mondial, le nombre d’adhérents aux organisations syndicales est en baisse au fil du temps, affectant ainsi leur capacité à organiser et à servir les travailleurs.
Parmi tous les scénarios possibles pour les syndicats, lequel est le plus probable? Le scénario le plus bénéfique est sûrement celui de la revitalisation, c’est-à-dire celui dans lequel les organisations syndicales trouveront des méthodes innovantes et formeront des coalitions pour représenter l’ensemble des travailleurs.
Les syndicats pendant la pandémie de COVID-19
Alors que la pandémie a mis à nu les multiples dimensions des déficits de travail décent qui existent au sein du monde du travail, les travailleurs ont compté sur les organisations syndicales pour optimiser leur emploi, mieux garantir leurs revenus et accéder à la protection sociale.
Malgré toutes les restrictions subies pendant la pandémie, les syndicats sont parvenus à venir en aide aux travailleurs et à leurs familles de différentes manières, en proposant une aide juridique, en établissant des fonds d’urgence, en organisant des campagnes de sensibilisation, en ajustant les programmes de formation, en militant pour que le COVID-19 soit reconnu comme maladie professionnelle ou encore en utilisant les réseaux sociaux.
A travers le monde, environ 80% des pays ont eu recours au dialogue social, qu’il soit tripartite ou bipartite, dans le cadre de la réponse apportée à la crise du COVID-19. Les sujets de négociation les plus fréquents ont été la protection sociale et les mesures concernant l’emploi, les relations entre partenaires sociaux, la sécurité et la santé au travail (SST) et les mesures budgétaires.
Les syndicats ont trouvé des moyens innovants pour atteindre de nouveaux membres et contribuer aux réponses à la crise par le biais du dialogue social. En voici deux exemples.
Les syndicats suédois
Les syndicats suédois ont attiré de nouveaux membres après avoir négocié avec succès avec les employeurs du secteur du commerce de détail afin d’éviter les licenciements et protéger les salaires des travailleurs pendant la crise. Même si les activités permettant d’organiser les membres ont été gelées, les syndicats ont continué à enregistrer de nouvelles adhésions par téléphone et via les réseaux sociaux.
la Confédération des syndicats géorgiens
Pendant la crise du COVID-19, la Confédération des syndicats géorgiens a mené toute une campagne afin d’aider les travailleurs du secteur informel à remplir les critères d’éligibilité leur permettant de bénéficier des mesures prises par le gouvernement pour répondre à la crise, en leur expliquant comment réaliser les démarches en ligne.
Où en sont les syndicats à présent?
Au fil du temps, le nombre de syndiqués au niveau mondial a diminué, malgré quelques exceptions notables dans certains pays d’Afrique ou d’Amérique latine dans lesquels les adhésions aux syndicats sont en hausse. Plusieurs facteurs entrent en jeu pour expliquer cette baisse globale: pensez au passage d’emplois manufacturiers aux emplois de services, à la sous-traitance des emplois syndiqués, au développement de l’économie informelle, à l’évolution des relations de travail ou encore à l’automatisation.
En réalité, l’adhésion syndicale est plus faible chez les personnes occupant des formes d’emploi atypiques ou précaires, comme celles qui exercent un emploi temporaire ou qui sont à leur compte, ou encore chez les travailleurs de l’économie informelle ou de l’économie des petits boulots.
Par ailleurs, les restrictions sur le plan juridique et la violation des droits des syndicats sont très répandues, notamment le droit à la liberté syndicale et à la négociation collective. Cela entame la capacité des syndicats à organiser leurs membres, à les représenter et à les servir. Il n’est pas surprenant d’apprendre que c’est là où les droits des syndicats sont bafoués que les taux d’adhésion sont les plus faibles.
Quelles perspectives pour les syndicats et à quoi peut-on s’attendre de leur part?
On peut envisager quatre scénarios pour les organisations syndicales: la marginalisation, la dualisation, le remplacement et la revitalisation.
Marginalisation
La poursuite du déclin des taux d’adhésion, combinée au vieillissement des syndicats. Cela pourrait alors se traduire par la marginalisation des organisations syndicales à travers le monde.
Dualisation
Les syndicats défendent leurs positions actuelles, s’adressant aux travailleurs dont ils sont proches et dans des secteurs où ils sont forts, par exemple dans la grande industrie, le secteur public, chez les travailleurs ayant un emploi formel, etc. Et cela aux dépens d’autres travailleurs plus précaires ou de secteurs moins représentés.
Remplacement
Les syndicats doivent faire face à la concurrence d’autres organisations, telles que les organisations non gouvernementales, d’autres agences intermédiaires, les avocats spécialistes du droit du travail, ou également les employeurs, par exemple à travers des formes alternatives de participation des travailleurs, conduites par la direction et sans participation syndicale.
Revitalisation
Les syndicats parviennent à trouver des moyens innovants et à former des coalitions afin d’organiser tous les travailleurs, de les défendre et de renforcer un dialogue social efficace et inclusif.
Le chemin à suivre vers la revitalisation
Il existe de nombreux exemples positifs en matière de revitalisation des organisations syndicales. Cela passe généralement par la capacité:
- à organiser les nouveaux membres et à leur offrir des services, notamment pour les jeunes travailleurs ou les travailleurs évoluant soit dans l’économie informelle, soit dans l’économie des petits boulots.
- à parler et agir d’une seule voix, c’est-à-dire la capacité à agir de manière collective quel que soit le secteur, au niveau national, régional et mondial.
- à disposer d’une bonne gouvernance interne, à travers un ensemble de règles transparentes qui gouvernent le mandat, la direction, les élections et les activités des organisations syndicales.
- à renforcer un dialogue social efficace et inclusif sur les thèmes d’aujourd’hui et de demain.
Les syndicats peuvent répondre aux besoins des travailleurs
Les organisations syndicales ont coutume d’organiser et de servir les travailleurs appartenant à des groupes émergents ou traditionnellement sous-représentés. Les syndicats se préoccupent également des besoins des travailleurs de l’économie informelle, par exemple en organisant ces derniers et en les intégrant au sein de structures formelles du mouvement syndical. Il en est de même pour les jeunes travailleurs.
Malgré les nombreux obstacles qui existent pour organiser et servir les travailleurs de l’économie de plateforme, ces derniers s’organisent, à la fois de manière traditionnelle et de façon innovante, par le biais de syndicats existants ou en créant de nouvelles organisations.
- L’organisation des travailleurs dans l’économie informelle
- L’organisation des travailleurs dans l’économie de plateforme
- L’organisation des jeunes travailleurs
- Le renforcement de la gouvernance interne des syndicats
- Parler et agir d’UNE SEULE voix
L’organisation des travailleurs dans l’économie informelle
- En Jordanie, un protocole d’entente a été signé entre le gouvernement et les syndicats pour assouplir la réglementation concernant la délivrance de permis de travail aux réfugiés syriens et pour leur faciliter l’accès au marché du travail formel. L’accord permet aux permis de travail d’être émis par l’intermédiaire d’un centre spécialisé situé dans les locaux de la Fédération générale des syndicats jordaniens (GFJTU).
- La Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS) a créé un syndicat national destiné aux personnels de sécurité privée et a engagé des négociations collectives afin de régulariser les travailleurs de l’économie informelle, leur faciliter l’accès à l’assurance maladie, améliorer la SST et veiller à ce qu’ils puissent cotiser à un fonds de pension ou à un régime de sécurité sociale.
- La Fédération des syndicats d’Ouzbékistan (FTUU) organise les travailleurs saisonniers tels que les cueilleurs de coton. Elle a adopté un certain nombre de recommandations destinées aux organisations qui lui sont affiliées afin d’ajuster leurs politiques, leurs structures et leurs réglementations permettant, par exemple, d’appartenir temporairement en même temps à deux syndicats.
L’organisation des travailleurs dans l’économie de plateforme
- En Argentine, l’Association du personnel de l’économie de plateforme (APP) organise les travailleurs de ce secteur par l’intermédiaire d’un nouveau syndicat soutenu par la Fédération des travailleurs argentins (CTA) et par la Confédération générale du Travail d’Argentine (CGT).
- En Indonésie, les chauffeurs de taxi et de moto, ainsi que plusieurs syndicats, ont créé un Comité d’action en ligne dans le domaine des transports qui a ouvert des négociations avec plusieurs entreprises et avec le ministère des Transports et de la Main-d’œuvre afin de mieux réglementer ce secteur.
- En 2018, la Fédération unie des travailleurs danois (3F) a signé une convention collective avec Hilfr, une plateforme danoise de travail digital. L’accord couvre des questions comme la transition du statut d’indépendant à celui d’employé, la couverture en matière d’assurance et la résolution des conflits.
L’organisation des jeunes travailleurs
- Le mouvement des syndicats australiens organise et propose des services aux jeunes travailleurs dans des Centres de jeunes travailleurs (YWC). Ces centres leur permettent d’en savoir plus sur leurs droits au travail ou d’obtenir des conseils personnalisés ou une assistance (y compris sur le plan juridique) pour résoudre des difficultés liées à leur travail. La Confédération des syndicats australiens (ACTU) cible les jeunes travailleurs en les organisant de manière virtuelle et à travers les réseaux sociaux, y compris en utilisant des podcasts ainsi que TikTok.
- La Fédération générale des syndicats du Bahreïn (GFBTU) a développé une application afin de mobiliser et de recruter les jeunes travailleurs au chômage à travers le pays. Elle a créé une alliance nationale avec plusieurs organisations de la société civile.
- Le Forum national des jeunes travailleurs du Congrès des syndicats sud-africains (COSATU), lancé en 2018, a mis en place une stratégie opérationnelle afin d’offrir des services améliorés aux jeunes travailleurs, parmi lesquels un programme d’éducation politique personnalisé ainsi que l’établissement de structures pour les jeunes travailleurs.
Le renforcement de la gouvernance interne des syndicats
Disposer d’une gouvernance interne démocratique est non seulement essentiel pour le bon fonctionnement d’un syndicat, mais également pour garantir sa crédibilité aux yeux des travailleurs et du public en général.
- La Confédération générale du Travail du Vietnam (VGCL) considère la gouvernance interne comme étant une priorité, en mettant en avant l’efficacité des syndicats et de leurs dirigeants ainsi que le renouvèlement de la structure organisationnelle.
- Le Congrès des syndicats (TUC) du Ghana a placé la question de la gouvernance interne des syndicats au cœur de ses préoccupations. Le TUC attend de ses représentants qu’ils connaissent leur sujet, qu’ils agissent avec intégrité, en toute transparence et en étant redevables de leurs actes.
Parler et agir d’UNE SEULE voix
Dans de nombreux pays et régions, on enregistre une prolifération d’organisations syndicales fragmentées. Cependant, c’est la coopération accrue entre les syndicats, lorsqu’ils parlent et agissent d’une même voix, qui permet d’obtenir une meilleure représentation et d’avoir une influence sur les prises de décision.
- Au Bénin, les principales organisations syndicales ont créé une Déclaration conjointe et une Charte visant à encourager l’unité syndicale et les actions communes. La Charte établit une nouvelle structure syndicale qui regroupe la prise de décision, les activités, l’adhésion et le financement.
- En Lituanie et en Ukraine, les syndicats collaborent de manière transfrontalière à travers des campagnes conjointes et par le biais d’un accord de coopération bilatérale afin de favoriser le recrutement et la représentation des chauffeurs de poids lourds ukrainiens au sein des syndicats des deux pays.
- A l’île Maurice, l’unité syndicale – dans les actions menées et dans les structures – est devenue une priorité pour le mouvement syndical. La création d’un Conseil des syndicats mauriciens constitue une tentative de rassembler les principales confédérations syndicales du pays.
Un dialogue social efficace et inclusif accroît l’impact des syndicats
Les organisations syndicales doivent s’engager dans un dialogue social efficace et inclusif afin de faire avancer le travail décent, mais aussi sur des questions plus larges de développement socio-économique et durable qui affectent les travailleurs dans le monde entier. Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 constitue l’une des plateformes permettant d’aboutir à un dialogue social élargi.
Zimbabwe
Le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU) a contribué à la création d’une stratégie nationale de développement et d’un rapport de situation sur les Objectifs de développement durable. Les contributions du syndicat ont souligné le rôle du travail décent pour aboutir au développement d’un processus de reprise économique qui privilégie les pauvres et les travailleurs tout en allant vers une stratégie de développement durable.
Fédération de Russie
Dans la Fédération de Russie, l’engagement efficace des syndicats dans le dialogue social au niveau national a permis l’adoption d’une nouvelle loi sur le télétravail.
Colombie
En Colombie, l’OIT a travaillé avec plusieurs organisations syndicales sectorielles et nationales dans l’économie agricole et rurale, afin de renforcer l’organisation et la représentation syndicales dans les zones rurales. Cela a permis aux syndicats de contribuer à l’élaboration de politiques au sein de forums alternatifs de dialogue social, par exemple au niveau municipal et départemental, sur des questions telles que le développement des compétences ou l’aménagement du territoire.
République de Moldova
En République de Moldova, les syndicats ont collaboré afin de faire modifier la loi sur l’inspection du travail. Cela a abouti à une nouvelle loi après des années de plaidoyer de la part de la Confédération nationale des syndicats (CNSM), et suite à la sensibilisation exercée par la Commission d’experts pour l’application des conventions et des recommandations de l’OIT.
Un avenir marqué par la revitalisation des syndicats
Les quatre scénarios possibles pour les syndicats – la marginalisation, la dualisation, le remplacement et la revitalisation – sont tous plausibles et sont, en fait, déjà en cours, parfois dans le même pays, dans différents secteurs et avec des associations différentes. Par exemple,
- dualisation pour résister à la marginalisation;
- substitution en tant que source d’inspiration pour la revitalisation;
- revitalisation en tant qu’ouverture vers la dualisation.
Divers outils, comme ceux tournés vers la prévision et l’élaboration de scénarios, peuvent s’avérer utiles pour les syndicats afin de gérer les incertitudes, d’anticiper les changements, d’explorer l’avenir sous différentes formes et de s’engager vers une transformation.
Cependant, dans ce contexte de transitions multiples où les syndicats doivent affronter toute une série de graves difficultés, ces derniers ont montré qu’ils savaient faire preuve d’une grande résilience et d’une capacité remarquable à se revitaliser de manière innovante. Ceci est de bon augure pour l’avenir. Plus que jamais, nous avons besoin de syndicats puissants afin de construire un monde du travail fondé sur le développement durable qui assure un travail décent pour tous.