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CHAPITRE V
Dispositions fondamentales de législation du travail:
Le droit de greve
Introduction
La grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs
et leurs organisations pour promouvoir leurs intérêts économiques
et sociaux. C’est le moyen d’action collective le plus visible
et le plus controversé, mais il est souvent l’ultime recours
pour les organisations de travailleurs pour faire entendre leurs voix
dans le cadre d’un conflit du travail.
La grève ne peut être envisagée en dehors du contexte
des relations professionnelles dans leur ensemble. Elle est coûteuse
et perturbatrice tant pour les travailleurs et les employeurs que pour
la société dans son ensemble, et quand elle s’impose,
elle traduit clairement l’échec de la négociation
collective des conditions de travail. Elle est également, plus
que tout autre élément des relations professionnelles,
le symptôme d’enjeux plus larges et plus diffus, de sorte
que le fait que la grève soit interdite par une législation
ou par une décision judiciaire n’empêchera pas son
déclenchement si les pressions économiques et sociales
sont suffisamment fortes. Le droit de grève est reconnu par les
organes de contrôle de l’OIT comme le corollaire indissociable
du droit d’association syndicale protégé par la convention
(n° 87). Le droit pour les organisations de travailleurs de formuler
leur programme d’action pour promouvoir et défendre les
intérêts économiques et sociaux de leurs membres
inclut le droit de grève. Cependant, le droit de grève
n'est pas un droit absolu. Il peut être soumis à certaines
conditions, faire l’objet de certaines restrictions ou être
interdit dans certaines circonstances exceptionnelles (la convention
(n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit
syndical, 1948, article 3; l'etude d'ensemble, paragraphe 151).
Le droit de grève est également reconnu dans plusieurs
instruments internationaux et régionaux. Citons parmi eux, le
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels (article 8.1.d) ; la Charte internationale américaine
de garanties sociales de 1948 (article 27) ; la Charte sociale européenne
de 1961 (article 6(4)) et le Protocole additionnel de la Convention américaine
relative aux droits de l'homme traitant des droits économiques,
sociaux et culturels (1988) (article 8(1)(b).
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Le droit de grève dans les Constitutions et les législations
Le droit de grève est consacré par les Constitutions
ou reconnu par les législations de nombreux pays. Il peut être
un droit individuel reconnu au travailleur, ou un droit collectif des
travailleurs ; dans ce dernier cas, un travailleur participant à une
grève ne pourra bénéficier de la protection de la
loi que si le mouvement a été initié à l’appel
d’un syndicat reconnu.
Exemple
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Définition de la grève
Pour qu’une action collective menée pour défendre
les intérêts des travailleurs soit protégée,
(c'est-à-dire que les participants ne soient pas considérés
comme responsables pour ses conséquences, notamment économiques),
elle doit correspondre à la définition établie des
grèves ou des actions similaires. Les actions violentes ou les
interruptions de travail ne sont pas protégées si elles
n'entrent pas dans le cadre de cette définition. Dans la plupart
des cas, une interruption de travail sera considérée comme
une grève. D'autres formes d’actions qui paralysent ou réduisent
l'activité économique d'une entreprise, comme la grève
perlée (ralentissement du travail) ou la grève du zèle
(application stricte du règlement), peuvent ou non être
assimilées à une grève légale et bénéficier
des garanties offertes par la loi. Les organes de contrôle de l’OIT
considèrent que les restrictions légales à ces différentes
formes d'actions ne sont justifiées que si la grève perd
son caractère pacifique.
Exemple
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Les restrictions possibles au droit de grève: les fonctionnaires,
les services essentiels, le service minimum, les différends portant
sur des droits établis
Dans certains pays, le droit de grève est reconnu à tous
les travailleurs du secteur public ou privé, indépendamment
des conséquences qu’un tel arrêt de travail dans leur établissement
pourrait avoir pour les intérêts publics. Dans d'autres
pays, en revanche, le droit de grève est refusé aux fonctionnaires ou
aux travailleurs des services essentiels. De nombreux pays interdisent
la grève dans des situations d'urgence.
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Les fonctionnaires
Les fonctionnaires bénéficient, comme les autres travailleurs,
du droit de se syndiquer. Cependant, le principe de la liberté syndicale
reconnaît que les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au
nom de l'Etat peuvent être privés du droit de grève.
(l'etude d'ensemble, paragraphe 158). L’interdiction du droit de
grève peut concerner les fonctionnaires de l’administration
judiciaire mais ne peut pas s’étendre aux fonctionnaires
en général ou aux travailleurs publics des entreprises
commerciales ou industrielles de l’Etat (le
recueil, paragraphes 537, 532).
Au regard de cette distinction, toutes les restrictions légales
au droit de grève devraient définir aussi clairement et étroitement
que possible les catégories de fonctionnaires qui peuvent connaître
des restrictions à l’exercice de ce droit. La détermination
des fonctionnaires publics concernés doit se fonder sur :
- la nature des tâches qu’ils accomplissent ; et
- l'évaluation des conséquences d'une interruption du
service en cas de grève.
Exemple
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Les services essentiels et les situations d'urgence
Les législations nationales limitent souvent le droit de grève
dans certaines activités généralement définies
comme des services essentiels. Les organes de contrôle de l’OIT
considèrent qu’il est possible de limiter ou interdire le
droit de grève dans les services essentiels, s’ils sont
définis comme des services dont l’interruption mettrait
en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population,
la vie, la sécurité ou la santé de la personne.
(l'etude d'ensemble, paragraphe 159) Dés lors, la législation
peut donner une définition générale des services
essentiels, et laisser à une autorité publique ou à un
tribunal la compétence pour interpréter la loi dans les
cas particuliers. Elle peut aussi établir une procédure
qui permette de déterminer si une activité doit être
considérée comme un service essentiel, avec éventuellement
avec la participation des organisations d'employeurs et de travailleurs.
La législation comporte dans certains cas une liste des activités
définies comme étant des services essentiels et pour lesquels
les interruptions de travail ne sont pas autorisées.
Définir les services essentiels absolus, ceux qui le seraient
dans tous les cas, est difficile. L’interruption, par exemple,
de certains services peut, dans un pays, être considérée
comme ne mettant pas en danger, dans l’ensemble ou dans une partie
de la population, la vie, la sécurité ou la santé de
la personne, alors que le même service sera considéré comme
essentiel dans un autre pays. Par exemple, les services portuaires ou
du transport maritime peuvent être considérés comme
essentiels pour une île, qui dépend en grande partie de
ces services pour l’approvisionnement de base de la population,
ce qui n’est en général pas le cas d’un pays
continental. De plus, les conséquences d’une grève
dépendent aussi de sa durée. Un arrêt de travail
de quelques jours créé moins de difficultés qu’un
mouvement qui dure plusieurs semaines ou plusieurs mois et qui peut causer
des préjudices lourds à l’ensemble de la population
(par exemple la grève dans les services d’enlèvement
des ordures ménagères). Dans certains pays une autorité publique
a donc compétence pour déterminer les services qui sont
essentiels et pour interdire la grève dans ces services, lorsque
la durée d’un mouvement à créer une situation
d’urgence pour toute ou partie de la population.
Les organes de contrôle de l’OIT ont décidé que
lorsque le droit de grève fait l’objet de restrictions ou
d’une interdiction, les travailleurs concernés devraient
bénéficier de garanties compensatoires, par exemple de
procédures de conciliation et de médiation, aboutissant,
en cas d'impasse, à un mécanisme d'arbitrage recueillant
la confiance des intéressés. Il est important dans ce cas
que les parties puissent participer à la définition et à la
mise en œuvre de la procédure, qui devrait par ailleurs donner
des garanties suffisantes d'impartialité et de rapidité.
Les décisions arbitrales devraient avoir un caractère obligatoire
pour les deux parties et, une fois rendues, pouvoir être exécutées
rapidement et complètement. (l'etude d'ensemble, paragraphe 164.)
Exemple
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Service minimum
Il n’est pas nécessaire, pour que les besoins fondamentaux
de la population soient couverts, d'interdire les grèves dans
toutes les activités d’utilité publique. L’interruption
de certain service public ne fait pas nécessairement subir à la
population un préjudice de nature à justifier l'interdiction
de toute grève. Des dispositions peuvent organiser un régime
de service minimum pour garantir que les besoins de base de la population
soient satisfaits, et réserver l’interdiction de la grève
aux services essentiels au sens strict du terme (voir étude d’ensemble
de 1994, paragr. 160 à 162). Les organes de contrôle de
l’OIT ont à ce sujet décidé que le service
minimum est une alternative appropriée dans ces services s’il
ne remet pas en cause le droit de grève de la plus grande partie
des travailleurs. L’établissement d’un régime
de service minimum dans une activité d’utilité publique
doit répondre à au moins deux conditions:
- il doit s'agir effectivement et exclusivement d’un service
minimum, c'est-à-dire limité aux opérations strictement
nécessaires pour que la satisfaction des besoins de base de
la population ou des exigences minima du service soit assuré,
tout en maintenant l’efficacité des moyens de pression
; et
- les organisations de travailleurs concernées devraient pouvoir,
si elles le souhaitent, participer à la définition de
ce service, tout comme les employeurs et les pouvoirs publics.
Les dispositions relatives au service minimum doivent être :
- déterminées clairement ;
- appliquées strictement ; et
- connues à l’avance par les intéressés.
Il est donc fortement souhaitable :
- que les négociations sur la détermination et l'organisation
du service minimum ne se tiennent pas durant un conflit du travail,
afin que les parties bénéficient du recul et de la sérénité nécessaires
pour examiner la question ; et
- que les parties envisagent de créer un organisme paritaire
ou indépendant, appeler à statuer rapidement sur les
difficultés rencontrées dans la définition et
l'application d’un tel service minimum, et habilité à prendre
des décisions exécutoires.
Exemple
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Différends portant sur des droits établis
Les différends qui portent sur les droits établis par
la loi, les conventions collectives ou les contrats de travail ne sont
en général pas considérés comme justifiant
le recours à une grève. Les parties auront plutôt
dans ce cas recours à un règlement judiciaire ou à l’arbitrage
pour résoudre le différend, une fois épuisée
les procédures de conciliation éventuellement applicables.
Exemple
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Conditions d'exercice du droit de grève
La législation nationale établit souvent certaines conditions
préalables que doivent respecter les travailleurs et leurs organisations
dans l'exercice de leur droit de grève. Cependant, pour éviter
que ces conditions ne remettent en cause ou limitent la liberté des
travailleurs et de leurs organisations d’organier leurs activités
et de formuler leurs programmes d’action, elles ne doivent pas à tort
empêcher les travailleurs de recourir à la grève
pour la défense de leurs intérêts. A cet égard,
les conditions suivantes sont souvent présentes dans la législation:
- l’épuisement des procédures de conciliation et
de médiation avant le déclenchement de la grève
;
- l’exigence d’un vote majoritaire des travailleurs en
faveur de la grève, avant son déclenchement ;
- l’obligation de respecter un préavis de grève.
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Epuisement des procédures de conciliation et de médiation
La législation d’un grand nombre de pays prévoit
que les procédures de conciliation et de médiation soient épuisés
avant le déclenchement de la grève. Ces conditions sont
compatibles avec le principe de la liberté syndicale et du droit
de grève puisqu’elles peuvent encourager le développement
de la négociation. Ces procédures ne doivent cependant
pas être si lentes ou si complexes que toute grève licite
devienne impossible en pratique, ou soit privée de toute efficacité.
Dans certains cas, c’est la législation directement qui
précise que le recours à la grève ne peut avoir
lieu qu’après épuisement de toutes les procédures
de conciliation et de médiation. Dans d'autres, la loi prévoit
que les différends sont soumis aux services de conciliation et
que l’autorisation de déclencher une grève n’est
accordée que face au constat d’échec, lorsque le
différend n’a pu être résolu par aucune des
procédures prévues.
Exemple
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Vote de grève
L’exigence de recourir à un vote de grève permet
de s’assurer que les relations professionnelles, y compris les
actions de revendication, se déroulent correctement, afin d’éviter
les grèves sauvages et pour garantir un contrôle démocratique
sur une décision importante pour les intérêts des
travailleurs. D’ailleurs souvent, même lorsque la législation
ne prévoit rien dans ce sens, les statuts des syndicats prévoit
le recours au vote de grève. Dans les pays où le droit
de grève est un droit collectif et donc subordonné à une
décision syndicale, la loi comporte souvent l'obligation pour
un syndicat de recourir à un vote de grève avant tout déclenchement
d’une action, avec l’approbation d’une certaine majorité des
travailleurs concernés. De telles dispositions respectent le principe
de la liberté syndicale si elles ne rendent pas, dans la pratique,
l’exercice du droit de grève difficile ou impossible. Les
dispositions de la loi sur ce sujet doivent donc garantir que :
- le quorum et la majorité requis ne soient pas tels que l'exercice
du droit de grève devienne en pratique très difficile,
voire impossible ;
- ne sont pris en compte que les votes exprimés pour décider
s'il existe une majorité en faveur du déclenchement d'une
grève.
Exemple
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Préavis
Dans de nombreux pays, la loi oblige les travailleurs et leurs organisations à respecter
un certain préavis de grève. Dans la mesure où ces
dispositions sont conçues comme une étape supplémentaire
du processus de négociation destinée à encourager
les parties à engager d’ultimes pourparlers avant le recours à la
grève, elles sont une des mesures prises pour encourager et promouvoir
le développement de la négociation collective volontaire,
conformément à la convention (n° 98 ). Le délai
devra, par ailleurs, être d’autant plus court qu’il
s’ajoute à une procédure de médiation ou de
conciliation déjà longue en elle-même, et qui aura
permis d’identifier clairement les points litigieux qui subsistent
(voir étude d’ensemble de 1994).
Le délai de préavis applicable dans les établissements
en général doit être court, alors que celui applicable
dans les services essentiels ou aux services d’intérêts
social ou public peut être plus long. Le Comité pour la
liberté syndicale a décidé que les préavis
cités ci-dessous étaient compatibles avec le principe de
la liberté syndicale:
- un préavis de 20 jours dans les services d’intérêts
social ou public ; (le recueil, paragraphe 504) et
- un préavis de 40 jours dans un service essentiel, à condition
que qu’il ait pour finalité d’accorder aux parties
un délai de réflexion (le recueil, paragraphe 505).
Exemple
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Les piquets de grève pacifiques
Le piquet de grève vise à assure le succès de
la grève en persuadant un maximum de personnes de ne pas se présenter
au travail. Les pratiques nationales sont à ce sujet très
variées, mais le piquet de grève est en général
autorisé et considéré comme une modalité du
droit de grève. Dans certains pays, la législation impose
des conditions à l’établissement d’un piquet
de grève ou à une occupation des lieux. Pour respecter
le principe de la liberté syndicale, ces limitations doivent être
réservées aux cas où les actions cessent d’être
pacifiques.
Exemple
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La protection des grévistes contre le licenciement et contre
leur remplacement temporaire
Le maintient de la relation d’emploi durant et après la
grève est une conséquence juridique normale à la
reconnaissance du droit de grève. En effet si la législation
ne prévoit pas une protection réellement efficace, le droit
de grève risque d’être vidé de son sens.
Dans la plupart des pays, en cas de grève licite, les travailleurs
ne peuvent pas être licenciés pour y avoir participer. Le
contrat de travail d’un travailleur gréviste est généralement
suspendu pendant toute la durée de la grève.
Exemple
Updated by MB. Approved by AB. Last Updated
10 May 2003.
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